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ROBINSONNADES - Frank Lestringant -
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itôt Robinson Crusoé publié par Daniel Defoe en 1719, il fut traduit dans les principales langues de l’Europe et pullula. On dénombre une centaine de “Robinsons” : pastiches, suites, paraphrases, pièces de théâtre, parodies, en bref des robinsonnades, graves ou plus rarement comiques. Citons L’Hermite ou les aventures merveilleuses de Philip Quarll d’Edward Dorrington (1727), Les Aventures et les surprenantes délivrances de James Dubourdieu et de sa femme, parues à peine six mois après la mise en vente de Robinson, Le Robinson allemand de Joachim Heinrich Campe (1779), Le Robinson suisse ou le prédicateur suisse naufragé et sa famille (1812), récit tiré par Johann Rudolph Wyss (1781-1830) d’un ouvrage pédagogique de son père pasteur, Johann David, que l’on lisait en famille le soir à Berne. Une traduction en fut adaptée pour les petits Français par la baronne Isabelle de Montolieu (1824), qui donna ensuite une Continuation du Robinson suisse. La seconde édition était augmentée des Petits Robinsons dans leur île, qu’exploita à son tour Johann Rudolph Wyss, pour donner une nouvelle forme à son Robinson suisse. Le Robinson suisse est l’histoire d’un pasteur helvétique naufragé avec toute sa famille – sa femme et leurs quatre fils – sur une île déserte. M. Arnold pontifie, fait la leçon et abat un bétail impressionnant. À la fin de la journée, il lit la Bible à haute voix. La faune de l’île est un mélange de tout ce qui se trouve d’un peu exotique aux quatre coins du monde : pingouins, ornithorynques, autruches, tigres, sangliers, kangourous, boas… C’est une encyclopédie mise en pratique, un code d’éducation physique, intellectuelle, morale, en un mot le manuel du parfait
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père de famille. Mais on peut être sévère pour le Robinson suisse, qui recopie vite et sans trier des pages entières d’encyclopédie, aligne les péripéties monotones de dix années d’exil insulaire et familial, et ne sait guère ménager l’intérêt romanesque. Le Robinson suisse fut sans doute un excellent manuel d’apprentissage à lire en famille dans l’Europe austère d’autrefois, qui rêvait du monde sans le voir et sans voyager, mais aujourd’hui il décourage et frise souvent le ridicule par ses approximations, son moralisme et les déclarations péremptoires du père. Jules Verne éprouvait pourtant une admiration incroyable pour ce livre, et lui donna une suite, Seconde patrie (1900), plus réussie que son modèle. Plusieurs de ses Voyages extraordinaires adaptent du reste Robinson Crusoé : L’Île mystérieuse (1874) est une robinsonnade héroïque et adulte, suivie huit ans plus tard par L’École des Robinsons (1882). La même année paraissaient Les Robinsons de la Guyane de Louis Boussenard. Il y eut encore Le Robinson des glaces d’Ernest Fouinet (1835), Le Petit Robinson de Paris ou le triomphe de l’industrie d’Eugénie Foa (1840), Le Robinson industrieux, détails sur la botanique, la physique, etc. (1859), Le Robinson du Havre, Les Petits Robinsons de Fontainebleau, bien d’autres encore. Tous ces ouvrages avaient une volonté pédagogique et morale, et prétendaient faire l’éducation de la jeunesse tout en la distrayant. Le xxe siècle ne vit pas l’extinction de la dynastie Robinson, mais son détournement. Sa Majesté des mouches de William Golding est un Robinson à l’envers, une contre-utopie tragique, qui décrit le retour à l’état sauvage, et même féroce, d’enfants échoués dans une île. Dernier avatar
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“Histoire de Robinson Crusoé”, éd. Nicolas Gangel, Metz, fin du xixe siècle, lithographie. Marseille, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Inv. 1953.86.3093.
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MI LL E TOURS DU MONDE
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MILLE TOURS DU MONDE - 95
a- Courbe-Rouzet, “Bébé veut une île enchantée”, estampe, fin du xixe siècle. Marseille, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Inv. 1995.1.1828.1. b- “Face-à-face entre le capitaine Nemo et le calmar géant”, in Jules Verne, 20 000 lieues sous les mers, illustrations d’Édouard Riou et Alphonse de Neuville, fin du xixe siècle. Collection privée.
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LE GORILLE ENLÈVE
LE PETIT EXPLORATEUR - Roger Boulay -
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aul Belloni Du Chaillu, explorateur, aventurier et passionné d’histoire naturelle publie en 1886 son très polémique ouvrage Au pays des gorilles…, faisant de lui le premier observateur de ces grands singes. Ceux-ci deviennent alors une source inépuisable d’inspiration pour les romans d’aventures, les récits de voyages et pour les couvertures du fameux Journal des voyages. Ces sympathiques grands singes entament une longue carrière de symbole ambigu de l’absolue bestialité et, par un glissement moins inattendu en ces temps de recherche du chaînon manquant, de l’homme sauvage. On avait, depuis longtemps, découvert l’orang-outang, à qui les savants trouvèrent un emploi de substitut de l’homme. Il fut de toutes les démonstrations à la Cour. Napoléon côtoya quelque temps l’orang-outan de Joséphine, qu’il avait baptisé “Mademoiselle des Bois”. Buffon en possédait un fort serviable. Le pongo de Domeny de Rienzy le fut aussi. Ce marin, voyageur, ami de Dumont d’Urville, conte, dans L’Océanie (1836), l’épopée de divers orangs-outans et de ses cousins “enleveurs d’enfants” et de “négresses”. Il assène, à propos des Australiens, ce jugement définitif : “Tout au plus des êtres intermédiaires entre l’homme et l’orang-outang.” Du propre aveu de Jules Verne, Rienzy fut l’une de ses principales sources d’information. Après Les Enfants du capitaine Grant (1865), au récit peu avare en scènes de cannibalisme sanglantes, il nous gâte d’un épisode de Cinq semaines en ballon. Joe et Samuel dialoguent :
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“Quelques minutes après, le Victoria s’élevait dans l’air et se dirigeait vers l’est sous l’impulsion d’un vent modéré. « En voilà un assaut ! dit Joe. — Nous t’avions cru assiégé par des indigènes. — Ce n’étaient que des singes, heureusement ! répondit le docteur. — De loin, la différence n’est pas grande, mon cher Samuel. — Ni même de près, répliqua Joe. »” Toute cette imagerie condensée autour du gorille se trouva, en 1887, exaltée dans la célèbre sculpture du Gorille enlevant une femme d’Emmanuel Frémiet. En 1859, il avait déjà fait une tentative qui fut refusée au Salon. Son Gorille enlevant une négresse fut, malgré tout, présenté derrière un rideau. Il la réalisa sur la foi d’une information de presse contant l’enlèvement d’une villageoise par un grand singe. Cet épisode incontournable des récits d’aventures de la fin du xixe siècle eut un destin hors du commun et envahit les publications pour la jeunesse : parmi une encyclopédie d’exemples, on se souvient de Mowgli enlevé par les Bandar-Logs (Le Livre de la jungle, 1894), de Tarzan (1912, 1926 en France) et ses clones, de King Kong (1933) et ses cousins, du Yeti, “l’abominable homme des neiges”, dans le journal Radar de 1960, du gorille blanc de Bob Morane et de Moha, un succédané de Tarzan, dans Tarou, fils de la jungle (1955), qui poursuit “le monstre ravisseur” d’enfants noirs. Tous installeront définitivement le personnage du grand singe, symbole de la sauvagerie africaine, comme acteur inévitable de l’évocation des conséquences terribles
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ABÉCÉDAIRES - Julien Bondaz -
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ù observer le curieux voisinage d’un Néo-Calédonien et d’un nid de cigognes, la surprenante visite d’un Indou aux Invalides ou d’un Lapon à Lyon ? Les abécédaires ne sont pas seulement des outils pédagogiques, permettant aux enfants d’apprendre à reconnaître les lettres, puis à épeler et lire les mots, tout en associant les signes qu’ils déchiffrent aux éléments du monde qui les entourent. Ce sont aussi des lieux de rencontres inédites, contraintes par l’ordre alphabétique : des personnages ou des objets éloignés dans la réalité se retrouvent réunis autour d’une même lettre. siècle, les abécédaires rencontrent Au xixe un grand succès et sont largement diffusés, notamment par les colporteurs. Deux thématiques sont favorisées : les métiers et l’histoire naturelle. Les abécédaires d’animaux offrent alors un accès, par la vue, aux espèces exotiques et, par l’écoute ou la lecture, à leurs noms étranges, curieusement orthographiés. Le jocko (ancien nom de l’orang-outang), le quincajou (inclassable mammifère arboricole d’Amazonie) et l’inévitable zèbre conclusif ont ainsi connu leurs lettres de gloire. Les abécédaires de géographie sont beaucoup plus rares. Comme son long titre l’indique, l’Abécédaire géographique orné de jolies gravures représentant les principaux peuples de la terre et les animaux qui appartiennent aux différents climats, paru en 1812, mêle d’ailleurs la présentation des peuples lointains et de la faune exotique. La description des quatre “parties du monde”, faisant suite à l’alphabet, un syllabaire et une liste de mots à épeler, est illustrée par quelques vignettes dans lesquelles figurent des types humains accompagnés d’un
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représentant animal : couple d’Hottentots avec un zèbre ou de Mogols avec un éléphant, par exemple. Ce principe problématique de mixité entre anthropologie et zoologie se retrouve dans les nombreux abécédaires en couleur publiés à la suite du développement de la chromolithographie à partir des années 1840, à un moment précisément où la France se constitue un empire colonial. Devenus outils de propagande ou supports publicitaires, ils rassemblent pour une même entrée alphabétique animaux exotiques et populations lointaines, mais aussi produits coloniaux, monuments célèbres ou objets jugés typiques. C’est notamment le cas de nombreuses vignettes à collectionner éditées par les chocolats Louit ou Mignot, les biscuits Pernot ou le café Trébucien, ou encore les chocolats et thés de la Compagnie française, tandis que Liebig opte pour une série uniquement centrée sur les différentes “nationalités”, chaque personnage étant représenté dans un décor de son pays : ici l’Arabe côtoie le Breton, l’Irlandais s’affiche avec le Javanais. Plusieurs abécédaires coloniaux paraissent sous forme de livrets. À l’occasion de l’Exposition coloniale de Marseille de 1922, Raymond de La Nézière publie par exemple un Alphabet colonial. Il est l’un des illustrateurs vedettes des magazines pour jeunes filles La Semaine de Suzette et Lisette, et met également son talent de dessinateur au service de nombreux auteurs pour enfants, dont Jules Chancel, pour Le Prince Mokoko (de la série “Les enfants aux colonies”) en 1912, et Hellèle, pour Miloula la négrillonne en 1929. En 1945, l’Alphabet de l’Empire français rassemble héros coloniaux, produits des colonies
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a- ABC des colonies françaises, Éd. La brochure enfantine, Paris, 1946. Collection J. B. b- “N, noir”, in André Hellé, L’Alphabet de la Grande Guerre, éd. Berger-Levrault, ParisStrasbourg-Nancy. Collection privée.
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ETHNOLOGUES EN
HERBE ET
ENFANTS D’AILLEURS
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a- Jean-Michel Guilcher, Mangazou le petit Pygmée, éd. Flammarion, coll. “Les albums du Père Castor”, Paris, 1971 (1952). Collection R. B. b- Noël Ballif, Sans titre [jeune garçon avec un arc], tirage photographique, Mission Ogooué-Congo, 1946. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. Inv. 70.2007.34.58. c- Georgette Bouteille-Canavoso (Cana), essai pour l’illustration de la page 15 (“Construction d’un village pygmée”), non daté, fusain. Collection Archives médiathèque intercommunale du Père Castor, Meuzac, no APC01_229_1FI0670. d- Jean-Michel Guilcher, Mangazou le petit Pygmée, éd. Flammarion, coll. “Les albums du Père Castor”, Paris, 1971. Collection R. B.
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