L'éclat des ombres, l'art en noir et blanc des îles Salomon

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L’art en noir et blanc des îles Salomon

L’éclat des ombres

Les œuvres des îles Salomon, archipel de quelque neuf cents îles et îlots dans l’océan Pacifique Sud, frappent par leur sobriété. Leur beauté intrigue et exerce sur le regard une ascendance magnétique. Quels que soient les matériaux employés (fibres végétales, bois, coquillages, écaille de tortue, ivoire) ou la technique mobilisée (sculpture, dessin, peinture, tressage), l’effet recherché vise toujours la même intention : produire du contraste pour révéler un éclat. De quelles instances l’éclat et son corollaire, l’éblouissement, sont-ils les indices ? De quelles propriétés ces effets sont-ils investis ? Par quelles procédures techniques et rituelles les Salomonais parviennent-ils à façonner des dispositifs visuels aussi remarquables ? Anthropologues et historiens de l’art spécialistes de la région nous livrent ici leurs dernières recherches sur ces questions, que relaie l’exposition du musée du quai Branly « L’éclat des ombres. L’art en noir et blanc des îles Salomon ».

978-2-7572-0805

Couverture BAT.indd 1

L’éclat des ombres L’art en noir et blanc des îles Salomon

39 d

29/09/14 16:55


Les artefacts de la guerre art, échange et politique pendant la Seconde Guerre mondiale

David Akin et Geoffrey M. White

« Je suis parti en jeep à la recherche d’un village indigène dans les collines, et j’en ai trouvé un. Le prix des massues était de 5 $ pièce et il avait la monnaie sur un billet de vingt [… ]. Sa hutte avait une porte coulissante. »

Le lieutenant-colonel Alex Sharpe du corps des Marines américain à David Akin en 1988

Le récit des achats d’objets sculptés rapporté par l’officier Sharpe (cf. citation ci-dessus) est un exemple parmi des milliers d’autres du commerce d’artefacts qui s’est développé entre les militaires américains et les Salomonais à partir de la campagne des îles Salomon, premier théâtre de l’offensive alliée dans la guerre du Pacifique. Les historiens se sont beaucoup intéressés à la façon dont la bataille de Guadalcanal changea le cours de la guerre. Si l’incidence du conflit sur l’histoire des îles Salomon est peu connue, les échanges et les relations sociales entre les soldats et les autochtones furent sans le moindre doute déterminants. Ils amenèrent en effet un grand nombre d’autochtones à remettre en question la nature depuis longtemps discriminatoire des relations entre Blancs et Noirs aux îles Salomon et, globalement, tout le système colonial. Offert en cadeau ou vendu, l’art joua un rôle notable dans l’établissement de ces relations. L’offensive américaine contre les forces militaires japonaises débuta dans l’archipel le 7 août 1942 avec le débarquement de Marines sur l’île de Guadalcanal et des îles avoisinantes. Les six mois de combat qui s’ensuivirent furent marqués par l’arrivée de plus de 100 000 militaires à Guadalcanal, soit presque sept fois plus que le nombre officiel d’autochtones vivant sur l’île. Une fois les combats terminés, Guadalcanal devint l’un des principaux points de transit des troupes alliées et de ravitaillement à destination des fronts situés plus à l’ouest. Même au plus fort de la campagne, les forces américaines s’étaient mises non seulement à construire

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Fig. 9. Consécration d’une chapelle commémorative édifiée et offerte aux forces armées américaines par des membres du corps de main-d’œuvre salomonais Lunga, Guadalcanal, septembre 1943 National Archive, U. S. Marine Corps 59510

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Les artefacts de la guerre art, échange et politique pendant la Seconde Guerre mondiale

David Akin et Geoffrey M. White

« Je suis parti en jeep à la recherche d’un village indigène dans les collines, et j’en ai trouvé un. Le prix des massues était de 5 $ pièce et il avait la monnaie sur un billet de vingt [… ]. Sa hutte avait une porte coulissante. »

Le lieutenant-colonel Alex Sharpe du corps des Marines américain à David Akin en 1988

Le récit des achats d’objets sculptés rapporté par l’officier Sharpe (cf. citation ci-dessus) est un exemple parmi des milliers d’autres du commerce d’artefacts qui s’est développé entre les militaires américains et les Salomonais à partir de la campagne des îles Salomon, premier théâtre de l’offensive alliée dans la guerre du Pacifique. Les historiens se sont beaucoup intéressés à la façon dont la bataille de Guadalcanal changea le cours de la guerre. Si l’incidence du conflit sur l’histoire des îles Salomon est peu connue, les échanges et les relations sociales entre les soldats et les autochtones furent sans le moindre doute déterminants. Ils amenèrent en effet un grand nombre d’autochtones à remettre en question la nature depuis longtemps discriminatoire des relations entre Blancs et Noirs aux îles Salomon et, globalement, tout le système colonial. Offert en cadeau ou vendu, l’art joua un rôle notable dans l’établissement de ces relations. L’offensive américaine contre les forces militaires japonaises débuta dans l’archipel le 7 août 1942 avec le débarquement de Marines sur l’île de Guadalcanal et des îles avoisinantes. Les six mois de combat qui s’ensuivirent furent marqués par l’arrivée de plus de 100 000 militaires à Guadalcanal, soit presque sept fois plus que le nombre officiel d’autochtones vivant sur l’île. Une fois les combats terminés, Guadalcanal devint l’un des principaux points de transit des troupes alliées et de ravitaillement à destination des fronts situés plus à l’ouest. Même au plus fort de la campagne, les forces américaines s’étaient mises non seulement à construire

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Fig. 9. Consécration d’une chapelle commémorative édifiée et offerte aux forces armées américaines par des membres du corps de main-d’œuvre salomonais Lunga, Guadalcanal, septembre 1943 National Archive, U. S. Marine Corps 59510

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Parures corporelles de Malaita

Fig. 22. Men of Roas, Malaita (détail) John Watt Beattie, 1906 Tirage gélatino-argentique sur papier baryté 10,2 × 14,8 cm Paris, musée du quai Branly, inv. 70. 2010. 8. 145

Autrefois, les habitants des îles Salomon affirmaient leur statut et leur richesse par le port de parures précieuses d’une grande beauté. Composés d’anneaux de coquillage à l’ouest et de perles de coquillage à l’est, ces ornements servaient aussi de monnaie pour acheter des biens, rémunérer des services et établir ou rétablir des relations. Si le style de ces objets de valeur variait d’un groupe d’îles à l’autre ou d’une région à l’autre, ils circulaient dans de vastes réseaux d’échanges, à très longue distance. Parmi les plus élaborées figuraient les parures de l’île de Malaita, même si peu d’entre elles étaient exclusivement produites sur cette île. Jadis acquis pour leurs rangs de perles de coquillage ou de dents de dauphin qui correspondaient aux unités-étalons de la monnaie locale, les ornements de Malaita les plus prisés étaient constitués de ces perles et/ou de ces dents enfilées en rangs simples et portés en collier ou en bandoulière. Les perles pouvaient aussi être assemblées en mailles frangées de dents. Des brassards, jambières et ceintures faits de tissage de perles de coquillage (cat. 35 p. 104) étaient fabriqués à Malaita mais aussi à Makira et à Santa Isabel, où l’on réalisait également des bandeaux de fibres tressées de dents de dauphin (cat. 41 p. 106). La valeur de ces parures était reconnue bien au-delà des îles dans lesquelles elles étaient confectionnées. Méticuleusement façonnés en sciant et meulant des coquilles de tridacne ou de cône, les anneaux étaient eux aussi des

ornements précieux, bien qu’ils n’aient pas eu valeur de « monnaie » comme dans l’ouest des îles Salomon. Les Malaitais portaient les plus grands au bras et enfilaient les plus petits en colliers ou en parures d’oreille ou de nez. Les disques gravés de motifs d’oiseau-frégate (cat. 38 p. 105) sont caractéristiques de Malaita. Portés à la base du cou ou sur la tête, ils pouvaient aussi provenir de Makira, qui possédait ses propres variations sur le thème. Composé d’un disque en tridacne recouvert d’un décor ajouré en écaille de tortue, l’ornement de tête dala (cat. 39 p. 105) avait tout particulièrement de la valeur. En dehors de ces parures précieuses, les Malaitais possédaient une bonne variété d’ornements de tête, de nez et d’oreilles plus petits, aux motifs découpés dans des coquillages et de l’écaille de tortue, ou bien tressés ou tissés dans des tiges d’orchidée jaune et des fibres de coco teintes en rouge (cat. 32 p. 103). Il existait une vingtaine de sortes de parures d’oreilles et une dizaine de parures de nez (Burt 2009). La plupart des ornements étaient destinés indifféremment aux hommes ou aux femmes. Quelques-uns étaient cependant réservés aux uns ou aux autres. C’était le cas, par exemple, de la ceinture en rotin (cat. 42 p. 106) à laquelle on prêtait le pouvoir d’augmenter la puissance au combat et des ceintures différenciant les femmes mariées des jeunes filles. Les parures les plus prestigieuses étaient cependant réservées aux hommes et, jusqu’au milieu du xxe siècle,

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Parures corporelles de Malaita

Fig. 22. Men of Roas, Malaita (détail) John Watt Beattie, 1906 Tirage gélatino-argentique sur papier baryté 10,2 × 14,8 cm Paris, musée du quai Branly, inv. 70. 2010. 8. 145

Autrefois, les habitants des îles Salomon affirmaient leur statut et leur richesse par le port de parures précieuses d’une grande beauté. Composés d’anneaux de coquillage à l’ouest et de perles de coquillage à l’est, ces ornements servaient aussi de monnaie pour acheter des biens, rémunérer des services et établir ou rétablir des relations. Si le style de ces objets de valeur variait d’un groupe d’îles à l’autre ou d’une région à l’autre, ils circulaient dans de vastes réseaux d’échanges, à très longue distance. Parmi les plus élaborées figuraient les parures de l’île de Malaita, même si peu d’entre elles étaient exclusivement produites sur cette île. Jadis acquis pour leurs rangs de perles de coquillage ou de dents de dauphin qui correspondaient aux unités-étalons de la monnaie locale, les ornements de Malaita les plus prisés étaient constitués de ces perles et/ou de ces dents enfilées en rangs simples et portés en collier ou en bandoulière. Les perles pouvaient aussi être assemblées en mailles frangées de dents. Des brassards, jambières et ceintures faits de tissage de perles de coquillage (cat. 35 p. 104) étaient fabriqués à Malaita mais aussi à Makira et à Santa Isabel, où l’on réalisait également des bandeaux de fibres tressées de dents de dauphin (cat. 41 p. 106). La valeur de ces parures était reconnue bien au-delà des îles dans lesquelles elles étaient confectionnées. Méticuleusement façonnés en sciant et meulant des coquilles de tridacne ou de cône, les anneaux étaient eux aussi des

ornements précieux, bien qu’ils n’aient pas eu valeur de « monnaie » comme dans l’ouest des îles Salomon. Les Malaitais portaient les plus grands au bras et enfilaient les plus petits en colliers ou en parures d’oreille ou de nez. Les disques gravés de motifs d’oiseau-frégate (cat. 38 p. 105) sont caractéristiques de Malaita. Portés à la base du cou ou sur la tête, ils pouvaient aussi provenir de Makira, qui possédait ses propres variations sur le thème. Composé d’un disque en tridacne recouvert d’un décor ajouré en écaille de tortue, l’ornement de tête dala (cat. 39 p. 105) avait tout particulièrement de la valeur. En dehors de ces parures précieuses, les Malaitais possédaient une bonne variété d’ornements de tête, de nez et d’oreilles plus petits, aux motifs découpés dans des coquillages et de l’écaille de tortue, ou bien tressés ou tissés dans des tiges d’orchidée jaune et des fibres de coco teintes en rouge (cat. 32 p. 103). Il existait une vingtaine de sortes de parures d’oreilles et une dizaine de parures de nez (Burt 2009). La plupart des ornements étaient destinés indifféremment aux hommes ou aux femmes. Quelques-uns étaient cependant réservés aux uns ou aux autres. C’était le cas, par exemple, de la ceinture en rotin (cat. 42 p. 106) à laquelle on prêtait le pouvoir d’augmenter la puissance au combat et des ceintures différenciant les femmes mariées des jeunes filles. Les parures les plus prestigieuses étaient cependant réservées aux hommes et, jusqu’au milieu du xxe siècle,

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Aquarelles de Léopold Verguet Île de Makira 1845-1847 Dessins aquarellés 25 × 16 cm Rome, Archives des Pères maristes

Les quatre dessins présentés dans ce catalogue sont extraits d’un carnet de croquis que le prêtre catholique français Léopold Verguet remplit au cours des voyages qu’il effectua comme missionnaire de la Société de Marie. Ils datent de son séjour aux îles Salomon, très précisément à la pointe occidentale de Makira (San Cristo’bal), entre 1845 et 1847. Verguet n’a semble-t-il pas reçu de formation artistique, mais il a cependant choisi d’adopter le naturalisme empirique développé avec l’exploration du Pacifique par les Européens (Piniès 2004). Dans ces aquarelles, il a cherché à représenter les personnes et leurs parures de la manière la plus précise et la plus vivante. Il s’est aussi efforcé de transcrire phonétiquement les mots indigènes dénommant chaque objet, qu’il a par ailleurs traduits en français, composant ainsi la première liste connue de mots en langue « arossienne ». Mais si les typologies de Verguet semblent cloisonner les éléments référencés, les dessins quant à eux évoquent avec force les différentes manières dont les choses et les êtres dépeints agissent dans l’échange linguistique et sa transformation. La communication entre Verguet et ses modèles est presque tangible sur ces pages ; la vivacité de la gestuelle autour des parures semble donner vie à l’œuvre. Les ornements tout à la fois condensent et révèlent des relations multiples. Les bandeaux portés à la taille, aux bras ou aux jambes sont formés de centaines de fines perles, patiemment fabriquées à partir de graines foncées et de coquilles de

mollusque aux couleurs vives, qui ont été enfilées suivant des motifs symétriques. Décorées d’un motif perforé en forme de soleil rayonnant et bordées de dents de roussette, les parures d’oreille en coquille de tridacne évoquent les liens qui unissent la terre, la mer, le ciel, et les entités humaines et non humaines. Ces parures, et les éléments qui les constituent, étaient d’importants objets d’échange dans toute la région. Les insulaires les portaient lors de grandes fêtes, à l’occasion desquelles ils cherchaient à parfaire leur beauté – comme le montre Verguet – en blanchissant leur chevelure à la chaux avant d’accueillir des groupes venus d’ailleurs ou de voyager avec eux pour être à leur tour accueillis par d’autres hôtes. Le jeune homme dont le nom est devenu Sourimahè en français, à la suite de la transcription phonétique effectuée par Verguet, porte une parure appelée ici tafi. Utilisant le vocabulaire militaire européen, Verguet définit cet ornement comme un hausse-col. Dans un article illustré d’une gravure réalisée d’après cette aquarelle, il décrit ce type d’objet : « […] sur leur cou brille quelquefois un croissant de nacre aux mille nuances » (1885, p. 203). Comme un tafi (cat. 51 p. 42) – objet de grande valeur pour les Arosi, qui aujourd’hui le nomment dahi –, les aquarelles de Makira peintes par Verguet reflètent le jeu des différences, l’ambiguïté des sonorités, des significations et des nuances, et traduisent la nature composite et fortuite des éléments qui entrèrent dans leur composition.

Fig. 24. Léopold Verguet. Mélanésiens de la tribu de Loucou, à la pointe nord de San Christoval. Taou et Souiessi

Michael W. Scott

Collier, île d’Ulawa, xixe siècle. Coquillage (Conus sp.), fibres végétales L. 50 cm. Collecté par Julius L. Brenchley, 1865, Maidstone, Maidstone Museum, inv. 25a. Cat. 49

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Aquarelles de Léopold Verguet Île de Makira 1845-1847 Dessins aquarellés 25 × 16 cm Rome, Archives des Pères maristes

Les quatre dessins présentés dans ce catalogue sont extraits d’un carnet de croquis que le prêtre catholique français Léopold Verguet remplit au cours des voyages qu’il effectua comme missionnaire de la Société de Marie. Ils datent de son séjour aux îles Salomon, très précisément à la pointe occidentale de Makira (San Cristo’bal), entre 1845 et 1847. Verguet n’a semble-t-il pas reçu de formation artistique, mais il a cependant choisi d’adopter le naturalisme empirique développé avec l’exploration du Pacifique par les Européens (Piniès 2004). Dans ces aquarelles, il a cherché à représenter les personnes et leurs parures de la manière la plus précise et la plus vivante. Il s’est aussi efforcé de transcrire phonétiquement les mots indigènes dénommant chaque objet, qu’il a par ailleurs traduits en français, composant ainsi la première liste connue de mots en langue « arossienne ». Mais si les typologies de Verguet semblent cloisonner les éléments référencés, les dessins quant à eux évoquent avec force les différentes manières dont les choses et les êtres dépeints agissent dans l’échange linguistique et sa transformation. La communication entre Verguet et ses modèles est presque tangible sur ces pages ; la vivacité de la gestuelle autour des parures semble donner vie à l’œuvre. Les ornements tout à la fois condensent et révèlent des relations multiples. Les bandeaux portés à la taille, aux bras ou aux jambes sont formés de centaines de fines perles, patiemment fabriquées à partir de graines foncées et de coquilles de

mollusque aux couleurs vives, qui ont été enfilées suivant des motifs symétriques. Décorées d’un motif perforé en forme de soleil rayonnant et bordées de dents de roussette, les parures d’oreille en coquille de tridacne évoquent les liens qui unissent la terre, la mer, le ciel, et les entités humaines et non humaines. Ces parures, et les éléments qui les constituent, étaient d’importants objets d’échange dans toute la région. Les insulaires les portaient lors de grandes fêtes, à l’occasion desquelles ils cherchaient à parfaire leur beauté – comme le montre Verguet – en blanchissant leur chevelure à la chaux avant d’accueillir des groupes venus d’ailleurs ou de voyager avec eux pour être à leur tour accueillis par d’autres hôtes. Le jeune homme dont le nom est devenu Sourimahè en français, à la suite de la transcription phonétique effectuée par Verguet, porte une parure appelée ici tafi. Utilisant le vocabulaire militaire européen, Verguet définit cet ornement comme un hausse-col. Dans un article illustré d’une gravure réalisée d’après cette aquarelle, il décrit ce type d’objet : « […] sur leur cou brille quelquefois un croissant de nacre aux mille nuances » (1885, p. 203). Comme un tafi (cat. 51 p. 42) – objet de grande valeur pour les Arosi, qui aujourd’hui le nomment dahi –, les aquarelles de Makira peintes par Verguet reflètent le jeu des différences, l’ambiguïté des sonorités, des significations et des nuances, et traduisent la nature composite et fortuite des éléments qui entrèrent dans leur composition.

Fig. 24. Léopold Verguet. Mélanésiens de la tribu de Loucou, à la pointe nord de San Christoval. Taou et Souiessi

Michael W. Scott

Collier, île d’Ulawa, xixe siècle. Coquillage (Conus sp.), fibres végétales L. 50 cm. Collecté par Julius L. Brenchley, 1865, Maidstone, Maidstone Museum, inv. 25a. Cat. 49

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Bol

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îles Santa Cruz xixe – xxe siècle Bois teinté L. 50 cm Collection Alain Schoffel Cat. 53

Île d’Owaraha Début du xxe siècle Bois teinté, nacre, résine (noix de Parinarium) 78 × 32 × 31 cm Collecté par l’expédition de La Korrigane, 1935 Paris, musée du quai Branly, inv. 71. 1962. 1. 89 Cat. 54

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îles Santa Cruz xixe – xxe siècle Bois teinté L. 50 cm Collection Alain Schoffel Cat. 53

Île d’Owaraha Début du xxe siècle Bois teinté, nacre, résine (noix de Parinarium) 78 × 32 × 31 cm Collecté par l’expédition de La Korrigane, 1935 Paris, musée du quai Branly, inv. 71. 1962. 1. 89 Cat. 54

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Figure de proue

Figure de proue

Île de Marovo Fin du xixe - début du xxe siècle Bois teinté, nacre, résine (noix de Parinarium) 17 cm Collecté par Eugen Paravicini, 1929 Bâle, Museum der Kulturen, inv. Vb 7525 Cat. 58

Île de Choiseul Fin du xixe siècle Bois teinté, nacre, résine (noix de Parinarium) 26 × 15 cm Ancienne collection Harold W. Scheffler Collection Yann Ferrandin Cat. 59

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Figure de proue

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Île de Marovo Fin du xixe - début du xxe siècle Bois teinté, nacre, résine (noix de Parinarium) 17 cm Collecté par Eugen Paravicini, 1929 Bâle, Museum der Kulturen, inv. Vb 7525 Cat. 58

Île de Choiseul Fin du xixe siècle Bois teinté, nacre, résine (noix de Parinarium) 26 × 15 cm Ancienne collection Harold W. Scheffler Collection Yann Ferrandin Cat. 59

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Bâton de danse Île de Malaita Début du xxe siècle Bois, pigments 55 × 33 cm Collecté par Eugen Paravicini, 1929 Museum der Kulturen, Bâle, inv. Vb7418 Cat. 81

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Ce bâton de danse figure un calao (Aceros plicatus, famille des bucérotidés), gros oiseau noir pouvant mesurer jusqu’à 1,5 m de long qui se distingue par son énorme bec et son vol bruyant à basse altitude. Les motifs dentelés sur le bec et les ailes représentent respectivement sa crête et les oisillons qu’il porte sur son dos. Sculptés dans des morceaux de bois minces (Heritiera littoralis), ces bâtons varient en épaisseur, entre 50 et 100 mm. Argile de bauxite, corail et charbon de bois d’areko (Garuga floribunda) broyé et délayé dans de l’eau de mer servent de pigments. Les restes de motifs peints des deux côtés désigneraient vraisemblablement des plumes. Faite de corail, la couleur blanche de la chaux (eda) donne de l’éclat aux bâtons de danse. Pour leur donner du relief, on en frotte aussi les motifs incisés des massues telles que l’alafolo (cat. 26 p. 83), des mortiers pour piler le bétel et d’autres objets. On peint également de chaux blanche, entre de minces bandes rouges, les noix de coco symbolisant les bébés lors de la grande cérémonie de la fête des femmes (maoma ni geni – supra Maranda p. 156), au cours desquelles celles-ci décorent leurs cheveux de larges bandes de chaux venant s’ajouter aux bijoux qu’elles portent. Les Malaitais utilisent ces bâtons dans les danses rituelles ainsi que d’autres représentant des serpents, des langoustes, des humains, etc. Les danseurs les font tournoyer en exécutant des chorégraphies telles l’Esprit de l’Étoile filante, les ondulations du Serpent-Terre-Mère, etc. (www.oceanie.org, Bâtons de danse et Calao). Le calao joue un rôle important dans la socio-cosmologie malaitaise (Maranda, 2013 p. 142-143, 164-165). On le dit modèle

existentiel pour trois raisons. D’abord, il s’entend bien avec les autres espèces d’oiseaux, ce qui en fait un parangon de comportement social entre clans et entre groupes ethniques. Ensuite, la stabilité de son couple constitue un exemple de mariage serein. On dit du calao qu’il s’accouple pour la vie, mâle et femelle volant toujours de conserve. Enfin, la femme lau qui attend un enfant se comporte de la même façon que la femelle du calao couvant ses œufs. Pendant la période d’incubation, la femelle du calao loge dans un tronc d’arbre creux. Elle s’y mure avec l’aide du mâle en utilisant un mélange de boue, de terre et d’excréments. Le mâle la nourrit par un petit trou percé dans la paroi. Elle perd alors ses plumes. Un mois après l’éclosion, elle laisse ses petits et s’occupe, avec le mâle, de les nourrir. Chez les Lau, la femme qui vient d’accoucher « couve » son bébé pendant une période d’isolement rituel de trente jours. Elle se « mure » dans la partie la plus taboue du quartier des femmes et se rase le crâne pour ressembler à une calao perdant ses plumes au nid. Imitant le calao mâle, le mari nourrit sa femme par l’entremise d’une parente ; il mourrait s’il pénétrait dans le quartier des femmes. Une fois le bébé « éclos » à la vie communautaire, sa mère, le tenant dans ses bras, sort du quartier des femmes et entre dans le quartier mixte. Les Lau décorent de plumes de calao la proue et la poupe des grandes pirogues cérémonielles (barukwao) que chaque clan construit tous les vingt ans environ (supra Maranda p. 156). Des danseurs fichent une plume de calao dans leur chevelure lors des grandes fêtes de la mort (maoma).

Pierre Maranda

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Bâton de danse Île de Malaita Début du xxe siècle Bois, pigments 55 × 33 cm Collecté par Eugen Paravicini, 1929 Museum der Kulturen, Bâle, inv. Vb7418 Cat. 81

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Ce bâton de danse figure un calao (Aceros plicatus, famille des bucérotidés), gros oiseau noir pouvant mesurer jusqu’à 1,5 m de long qui se distingue par son énorme bec et son vol bruyant à basse altitude. Les motifs dentelés sur le bec et les ailes représentent respectivement sa crête et les oisillons qu’il porte sur son dos. Sculptés dans des morceaux de bois minces (Heritiera littoralis), ces bâtons varient en épaisseur, entre 50 et 100 mm. Argile de bauxite, corail et charbon de bois d’areko (Garuga floribunda) broyé et délayé dans de l’eau de mer servent de pigments. Les restes de motifs peints des deux côtés désigneraient vraisemblablement des plumes. Faite de corail, la couleur blanche de la chaux (eda) donne de l’éclat aux bâtons de danse. Pour leur donner du relief, on en frotte aussi les motifs incisés des massues telles que l’alafolo (cat. 26 p. 83), des mortiers pour piler le bétel et d’autres objets. On peint également de chaux blanche, entre de minces bandes rouges, les noix de coco symbolisant les bébés lors de la grande cérémonie de la fête des femmes (maoma ni geni – supra Maranda p. 156), au cours desquelles celles-ci décorent leurs cheveux de larges bandes de chaux venant s’ajouter aux bijoux qu’elles portent. Les Malaitais utilisent ces bâtons dans les danses rituelles ainsi que d’autres représentant des serpents, des langoustes, des humains, etc. Les danseurs les font tournoyer en exécutant des chorégraphies telles l’Esprit de l’Étoile filante, les ondulations du Serpent-Terre-Mère, etc. (www.oceanie.org, Bâtons de danse et Calao). Le calao joue un rôle important dans la socio-cosmologie malaitaise (Maranda, 2013 p. 142-143, 164-165). On le dit modèle

existentiel pour trois raisons. D’abord, il s’entend bien avec les autres espèces d’oiseaux, ce qui en fait un parangon de comportement social entre clans et entre groupes ethniques. Ensuite, la stabilité de son couple constitue un exemple de mariage serein. On dit du calao qu’il s’accouple pour la vie, mâle et femelle volant toujours de conserve. Enfin, la femme lau qui attend un enfant se comporte de la même façon que la femelle du calao couvant ses œufs. Pendant la période d’incubation, la femelle du calao loge dans un tronc d’arbre creux. Elle s’y mure avec l’aide du mâle en utilisant un mélange de boue, de terre et d’excréments. Le mâle la nourrit par un petit trou percé dans la paroi. Elle perd alors ses plumes. Un mois après l’éclosion, elle laisse ses petits et s’occupe, avec le mâle, de les nourrir. Chez les Lau, la femme qui vient d’accoucher « couve » son bébé pendant une période d’isolement rituel de trente jours. Elle se « mure » dans la partie la plus taboue du quartier des femmes et se rase le crâne pour ressembler à une calao perdant ses plumes au nid. Imitant le calao mâle, le mari nourrit sa femme par l’entremise d’une parente ; il mourrait s’il pénétrait dans le quartier des femmes. Une fois le bébé « éclos » à la vie communautaire, sa mère, le tenant dans ses bras, sort du quartier des femmes et entre dans le quartier mixte. Les Lau décorent de plumes de calao la proue et la poupe des grandes pirogues cérémonielles (barukwao) que chaque clan construit tous les vingt ans environ (supra Maranda p. 156). Des danseurs fichent une plume de calao dans leur chevelure lors des grandes fêtes de la mort (maoma).

Pierre Maranda

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