Abraham

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r é c i t s

p r i m o r d i a u x

Présentation de la collection Au commencement des apprentissages, pourquoi, dans les familles comme dans les classes, ne pas faire entendre aux enfants la grande musique des mots ? Pourquoi ne pas leur raconter ces récits fondateurs, ces récits qui datent de la jeunesse du monde. Issus de toutes les traditions, ils se sont transmis de génération en génération, portés par la parole des hommes, contés, chantés avant d’être écrits, réécrits, traduits pour devenir accessibles à tous. Qu’ils viennent de l’Orient ancien, d’Asie ou d’Europe, d’Amérique ou d’Afrique, ces récits, qui nous parlent d’un temps où les dieux et les hommes entremêlaient leurs existences, © La Documentation Française appartiennent aujourd’hui au patrimoine de l’humanité. Nous les avons appelés récits primordiaux parce qu’ils sont à la fois premiers et fondateurs, ils portent les mythes et les croyances dont les hommes se nourrissent depuis toujours. N’ayons pas peur de les faire nôtres et de les transmettre avec nos mots, nos voix… Ainsi chaque ouvrage de cette collection propose, autour d’un thème ou d’un personnage, six récits, ou ensemble de récits, réécrits et adaptés par des spécialistes, universitaires et enseignants, pour être racontés aux enfants. En marge, de courts extraits des textes originaux sont signalés par un ■. Chacun de ces récits est encadré par un préambule qui le replace dans son contexte historique, mentionne ses sources, précise les langues originelles, et par des clés de lecture pour explorer plus avant sa signification et confronter les traditions. Raconter, c’est préparer et accompagner l’apprentissage de la lecture : l’écoute doit retenir l’intérêt et susciter la parole de l’enfant, favoriser la libre expression sur les thèmes entendus. Le récit constitue aussi une première approche du langage symbolique. À leur manière, ces récits disent quelque chose du monde et des hommes. Ils permettent de commencer à différencier ce qui est de l’ordre du savoir de ce qui relève de la croyance. En fin d’ouvrage des pistes pédagogiques sont proposées aux enseignants par des enseignants pour exploiter ces récits en classe, à l’école ou au collège (en histoire ou en lettres). Et puis, il y a les images… Volontairement nous avons fait le choix de ne pas recourir aux dessins d’illustration mais de montrer des œuvres d’art, des enluminures, des peintures, des objets, de toutes origines et de toutes les époques. Ces images sont commentées, deux d’entre elles plus particulièrement, non pas qu’elles surpassent toutes les autres, mais parce qu’elle sont emblématiques et permettent une première initiation à l’histoire des arts. Ces documents nous montrent comment les récits primordiaux ont traversé les siècles et inspiré les artistes. Une double page les rassemble en une chronologie rapide et donne des pistes pour les étudier en classe. Maintenant, faisons cercle autour du conteur et laissons venir à nous ces mots venus du fond des âges.

Reproduction interdite © La Documentation Française


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Dans la même collection Réci ts de créa ti on Khashayar Azmoudeh Cécile Becker Maud Lasseur Nathalie Toye Anna Van den Kerchove Anne Zali U l ysse Marella Nappi D éesses de l ’O l y mp e Caroline Plichon

Cette col l ecti on est réa l i sé e en col l a b ora ti on a ve c l ’ IE S R . L’Institut européen en sciences des religions (IESR) a été créé en 2002 par le ministère de l’Éducation nationale comme une composante de l’École pratique des hautes études et de sa section des sciences reli– gieuses. L’IESR est un lieu de réflexion, d’expertise et de conseil consacré à l’histoire et à l’actualité des questions religieuses, et à la pratique de la laïcité. La participation à la mise en œuvre de l’enseignement des faits religieux à l’école laïque est au cœur des missions de l’Institut. Dans ce cadre, l’IESR organise des stages de formation et contribue à des entreprises éditoriales. Dominique Borne, historien, doyen honoraire de l’inspection générale, est président du conseil de direction de l’IESR qui est dirigé par JeanPaul Willaime, directeur d’études à l’EPHE. www.iesr.fr

p r i m o r d i a u x

A br a h a m


collection que Borne

Édition gmar Rolf

ographes Kalaydjian Petitjean

L’auteur

Sommaire Laurent Klein, diplômé de l’INALCO, professeur des écoles, est directeur d’école élémentaire à Paris. Introduction A b rah am

graphique e Chabaud

7

e en page e Gélibert

Six récits

brication arc Guyan nick Rollo

ermes du ectuelle, uction ou entation, partielle blication, procédé ofilmage, sation...) e l’auteur nts droit st illicite ntrefaçon L. 335-2 du Code ctuelle.” alement e abusif otocopie quilibre u livre.”

aise, 2009

07458-4

La vocatio n d’A b rah a m 12

A b rah am : ju ge, g u err i er et al li é de D ieu 24

A b rah am devi ent p ère

Remerciements À tous les membres du comité éditorial : Bernard Boulley, responsable du département des périodiques, des collections et du conseil éditorial de la Documentation française, Colette Briffard, agrégée de lettres classiques, Philippe Claus, inspecteur général de l’Éducation nationale, Mariannick Dubois-Lazzarotto, inspectrice de l’Éducation nationale, Anna Van den Kerchove, responsable formation-recherches à l’IESR, Laurent Klein, directeur, école élémentaire, Anne Latournerie, responsable du département des éditions de la Documentation française, Marie-Pierre Meynet-Devillers, professeur de lettres, Emmanuelle Wolff, professeur des écoles, Anne Zali, conservateur général de la BNF.

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L’ ho sp ita l ité d ’A b rah am 44

Ib rah im, H ajer et I smaï l 54

L’ ul time ép reu ve d ’A b ra h am 64

Les plus+ pédagogiques D eu x œu vres p atr im on ial es Le Sacrifice d’Isaac, par Caravage et Rembrandt 74

Notes pour la lecture Afin de garder la saveur des langues originales des textes présentés ici, les noms de personnages ou de lieux sont transcrits d’après leur prononciation réelle en hébreu ou en arabe. La transcription des noms est donc souvent différente de celles trouvées dans les traductions. Le h est soufflé (comme en anglais), le h correspond à une gutturale proche de la jota espagnole (jerez) et le kh correspond à la gutturale allemande ch (Buch).

Pis tes p édagog i qu e s Laurent Klein Emmanuelle Wolff 77

Com men t uti li s er l es i mage s ? Emmanuelle Wolff 80


La Bible de Souvigny (Allier), chef-d’œuvre de l’art des manus crits à peinture sur parchemin centre de la France, a été produite dans les dernières e ées du XII siècle. Elle contient 200 bifeuillets, et l’on ouve plus de cent initiales ornées et cinq grandes ntures. me le aleph hébreu ou le alif arabe, le A est à la fois remière lettre de l’alphabet latin, l’initiale du premier me (Adam) et celle d’Abraham qui, le premier, a abanné le culte des idoles pour se tourner vers Dieu. Ouvrant vre 5 de la Genèse, elle est ici ornée d’une figure du

aham, père croyants

N

i l’archéologie ni l’histoire ne permettent d’affirmer qu’Abraham a existé, qu’il est né à Ur en Chaldée (Babylonie) et qu’il a migré avec son clan en terre de Canaan. Pourtant, les trois monothéismes, judaïsme, christianisme et islam, font d’Abraham la source de la découverte du Dieu Un. Au-delà, chaque tradition met en valeur des aspects différents du patriarche : pour le judaïsme, Abraham est l’ancêtre du peuple hébreu et se caractérise par son sens de la justice ; pour les chrétiens, il est avant tout “le père dans la foi”, celui qui croit aux promesses divines ; pour l’islam, il est “l’ami intime de Dieu” et un musulman exemplaire. Le lien symbolique entre Abraham et la descendance que lui assigne la Bible (juifs et Arabes) demeure très fort aujourd’hui… Ceci n’est pas sans conséquence sur les événements actuels au Moyen-Orient : Hébron, ville qui, selon la tradition, abrite la sépulture du patriarche, demeure un point de conflit très vif entre Israéliens (en majorité juifs) et Palestiniens (en majorité musulmans). Chaque tradition religieuse se considère comme l’unique dépositaire du message originel. Pourtant les recherches scientifiques démontrent un peu plus chaque jour que les textes fondateurs ont circulé oralement, puis par écrit, dans tout le Moyen-Orient, et au-delà, et que le canon de chaque religion a conservé certains de ces récits et en a rejeté d’autres. De quelles sources disposons-nous ?

d’une représentation inverse du monde de Babel où règne la dispersion. L’unité du genre humain ne se trouve pas dans le projet du roi Nimrod de tenir l’humanité tout entière sous son joug en bâtissant une tour pour atteindre le ciel. Elle réside dans la diversité des peuples qui sont fidèles au message abrahamique contenu dans la Bible, vraisemblablement le livre que tient l’un des personnages abrités par Abraham. Bible de Souvigny Allier, fin du XIIe siècle

Le premier récit sur Abraham est la Bible hébraïque. Pour les croyants juifs, la Torah (appelée en français Pentateuque : les cinq premiers livres de la Bible) est un texte révélé : elle a été dictée par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï. Dès le e siècle, pourtant, on s’est posé la question des sources du texte biblique. Au début du e siècle furent proposées trois origines : les textes yahwistes, liés au royaume de Juda et dans lesquels Dieu est nommé par le tétragramme YHWH, les textes élohistes, liés au royaume d’Israël et dans lesquels Dieu est nommé Élohim, et les textes sacerdotaux, liés à la caste des prêtres (en hébreu cohen, pluriel cohanim). Des recherches plus récentes datent la mise par écrit du récit abrahamique de la fin du e siècle avant J.-C., période durant laquelle le royaume de Juda est à son apogée. L’histoire d’Abraham serait donc une compilation de textes assemblés probablement à l’époque du retour de l’exil à Babylone d’une partie des élites juives en 538 avant J.-C., afin de répondre aux attentes de tous les juifs, qu’ils soient demeurés en Judée ou restés en diaspora, et également à celle


de prêtres soucieux de conforter leur influence. Depuis les années 1970, cette théorie est contestée : la Torah rassemblerait plutôt différentes traditions orales mises par écrit avec des ajouts. Le Midrach constitue un second récit sur Abraham. Ce terme (du verbe hébreu daroch, signifiant “interroger”, “chercher”, “apprendre”) désigne à la fois une technique d’interprétation allégorique qui cherche à dévoiler le sens symbolique du texte biblique et les ouvrages dans lesquels ces textes rabbiniques ont été compilés entre le er et le e siècle après J.-C. La ressemblance est frappante entre les récits du Midrach et ceux du Coran, troisième récit sur Abraham. Pour les croyants musulmans, l’archange Gabriel (Jibril en arabe) aurait transmis le texte du Coran (de l’arabe al-Qour’ane, lecture) au prophète Mahomet, sur une période de 23 ans, afin qu’il le récite à son auditoire pour qu’il soit ensuite utilisé lors des prières. Le canon retenu est divisé en 114 sourates (chapitres) qui contiennent 6 219 versets. Issu d’une tradition orale, puis écrit sur divers supports, le texte coranique présentait des variantes à l’origine. Une première compilation est effectuée deux ans après la mort du prophète Mahomet (632), sous le règne du premier calife, Abou Bakr. C’est finalement sous le règne du troisième calife, Othman, que le texte arabe est fixé pour prévenir les erreurs de prononciation et que les sourates sont définitivement classées, afin d’éviter les divergences qui pourraient mener à des schismes. Dans la tradition musulmane, les récits non retenus dans le Coran sont recueillis dans les hadiths, mis par écrits environ 150 ans après la mort de Mahomet. Il est incontestable que les traditions religieuses et littéraires moyen-orientales se sont influencées l’une l’autre. Ces récits ont circulé oralement à travers le Moyen-Orient avant d’être mis par écrit dans les premiers siècles après Jésus-Christ dans les traditions juives, puis chrétiennes et musulmanes.

uifs et chrétiens parlent de la Bible, évoquent-ils le même texte ?

as que durant les trois premiers siècles après Jésus-Christ, la distinction entre juifs et chrétiens n’est pas totale et que les ant la vie des patriarches sont un héritage partagé. , la Bible se nomme Miqra’ (“Lecture”, de la même racine sémitique que l’arabe Qour’ane, Coran) ou TaNaKH, des trois ensembles de textes qu’elle comporte : Torah (ou Enseignement : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et e), Névi’im (Prophètes : les trois grands – Isaïe, Jérémie, Ezéchiel – et les douze petits), Kètouvim (Hagiographes : overbes, Cantique des cantiques, Ecclésiaste ou histoire de la reine Esther). La langue originale de ces textes est l’hébreu, portent quelques passages en araméen. tiens, la Bible regroupe deux ensembles de textes. D’abord la Bible hébraïque, le canon chrétien ayant retenu plus de es Hagiographes que le canon juif : ce premier ensemble est appelé Première Alliance, en référence aux diverses alliances ntre Dieu et le peuple juif. Le terme Ancien Testament est plus courant dans le monde chrétien, mais il est de moins en car il véhicule des idées considérées comme obsolètes : “ancien” voudrait dire que le judaïsme est caduc et remplacé par me ; “testament” a perdu aujourd’hui le sens de pacte. Un second ensemble regroupe les textes propres au christianisme, s la Seconde Alliance (Nouveau Testament), c’est-à-dire les quatre Évangiles (Matthieu, Marc, Luc et Jean), les Actes les Épîtres de Paul, Jacques, Pierre et Jean ainsi que l’Apocalypse de Jean. Ces textes nous sont parvenus en grec.

Quelles sources ont été retenues ici ?

Cet ouvrage n’a pas vocation à transmettre telle tradition plutôt qu’une autre. Tout d’abord, parce que le texte biblique de la Première Alliance est commun aux juifs et aux chrétiens. Ensuite, parce que le texte de la Seconde Alliance ne mentionne Abraham que dans la mesure où il renforce le message du Christ. Enfin, contrairement au texte biblique, le texte coranique n’est pas chronologique : les versets faisant mention d’Ibrahim (Abraham en arabe) sont intégrés aux sourates en fonction de l’enseignement moral qu’ils apportent et restent laconiques quant au récit de la vie du patriarche. Nous avons choisi pour ce recueil d’évoquer six épisodes de la vie d’Abraham. Pour cinq d’entre eux, nous nous fonderons sur le texte de la Genèse, parce qu’il est le seul qui décrive chronologiquement la vie du patriarche et qu’il est le plus connu dans les pays de culture judéo-chrétienne. Le Midrach, les textes chrétiens et le Coran viennent s’inscrire dans cette trame pour l’enrichir. Un récit (“Ibrahim, Hajer et Ismaël”) reprend un épisode propre à la tradition musulmane, qui raconte notamment la construction du sanctuaire de la Kaaba à La Mecque. L’importance des noms propres

Dans le texte biblique, en devenant parents, Abraham et Sarah changent de nom : Abram, en hébreu Avram (av, père + ram, très haut) devient Avraham (probablement de av, père + hamone, nombreux) et Saraï (en hébreu, ma princesse) devient Sarah (princesse, ce qui en hébreu confère une notion d’autorité). L’épisode du changement de nom n’apparaît pas dans le Coran : Abraham y est toujours nommé Ibrahim. Le nom des fils du patriarche est tout aussi symbolique. Isaac se dit en hébreu Yitshaq, littéralement “il rira”, en référence au rire de Sarah apprenant que Dieu peut la rendre mère à 90 ans ! Et Ismaël est Yichma’èl, littéralement “Dieu (Èl) entendra (Yichma’)”, car Dieu a entendu la plainte du fils de Hagar mourant de soif dans le désert. Enfin, pour nommer Dieu, on utilise l’expression “l’Éternel Dieu”, car lorsque Moïse demanda à Dieu de se définir lors de l’épisode du buisson ardent, Dieu lui répondit : “Je serai Celui qui sera”, c’est-à-dire l’Être éternel. À d’autres moments, Dieu est appelé Èlohim, pluriel de majesté de Èl, “Dieu” en hébreu, de la même racine qu’Allah en arabe. Avec Abraham, nous quittons les récits des débuts de la Genèse. Le décor a été planté dans les chapitres 1 à 11, l’humanité a dépassé les soubresauts originels (Création, Caïn et Abel, Déluge, tour de Babel) ; le texte se concentre désormais sur la vie d’un personnage principal, Abraham, dont la généalogie est retracée depuis Sem, fils de Noé, jusqu’à Tèrah, père d’Abraham, dont nous allons maintenant suivre les péripéties.


La destruction des idoles La destruction des idoles est un épisode de la vie d’Abraham cité dans le Coran et dans le Midrach, mais pas dans la Bible. Il fait partie du processus de prise de conscience par le patriarche de l’existence d’un Dieu unique. L’épisode est ici représenté sur un manuscrit d’Al Bîrûnî datant du XVIe siècle. Abraham est nimbé et vêtu d’un caftan vert rehaussé de brassards et de rinceaux dorés, tenue perse traditionnelle. Muni d’un bâton, il a renversé une des idoles de terre cuite aux formes grossières représentées dans un dégradé de marron. La scène, encadrée de rideaux fleuris sur fonds rouge et bleu, s’insère dans la partie inférieure d’un feuillet manuscrit. Le texte, écrit en arabe, présente Abraham comme étranger aux pratiques babyloniennes, notamment à cause de la pratique de la circoncision et du rejet des idoles. Abraham détruisant les idoles Al Bîrûnî, Al âthâr al bâqya, vers 1560 Paris, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits orientaux, Arabe 1489, folio 156 verso © BnF, Paris

La vocation d’Abraham En préambule

C

e récit s’appuie sur les différents textes qui décrivent la vie d’Abraham : la Torah, le Midrach e Coran. Il ne s’agit pourtant pas de créer un personnage hybride ni de verser dans le syncrétism bien qu’il soit frappant de constater à quel point les récits résonnent et se complètent d’une tradition à l’au Les recherches scientifiques ont montré que la Bible fut transmise oralement dès l’Antiquité, accompagn de ses commentaires rassemblés au sein du Midrach. C’est ainsi que le christianisme et l’islam ont intégré récits rabbiniques à leur tradition. Par exemple, il n’est pas fait mention de la fournaise de Nimrod dans la Torah. Seule est évoquée la mort de H rane, le frère d’Abraham, devant son père Tèrah. C’est le Midrach qui donne l’explication de ce verset en narr l’épisode de la fournaise, dont Abraham sort vivant. Le christianisme voit dans ce récit une annonce de la rés rection du Christ. De son côté, le Coran ne parle pas de Harane, mais évoque la fournaise en disant qu’elle pour Abraham “une fraîcheur salutaire”. De la même façon, la Torah donne bien la généalogie d’Abraham m ne dit plus rien de lui jusqu’à l’épisode où il reçoit l’ordre divin de quitter son pays et sa famille. En revanc le Midrach et le Coran décrivent des événements qui concernent la jeunesse du patriarche, ses relations a son père et son cheminement vers le monothéisme. De la tour de Babel au Dieu unique

Le récit qui précède la vie d’Abraham dans la Torah est celui de la tour de Babel. Le Midrach relie ces texte travers le personnage de Nimrod, roi dictateur qui veut unifier l’humanité sous son commandement, ce est contraire au projet divin de diversité humaine. Cette diversité est placée sous le signe de l’unité de l’esp humaine à travers le personnage d’Adam, père unique des humains, dont le nom en hébreu signifie tout s plement “humain”. Si l’espèce humaine est une, aucun d’entre les humains ne peut se prétendre supérieu ses frères. Seul Dieu est le Roi, le Seigneur. C’est ce message que Dieu demande à Abraham de transmettr l’humanité. Abraham a-t-il été choisi uniquement parce qu’il avait découvert l’existence d’un Dieu univers Alors que Noé avait été sauvé du déluge car, dit la Torah, “Noé est un homme juste, intègre” (Genèse 6,9), c l’ensemble de l’histoire du patriarche qui nous fait découvrir les vertus qui valent à Abraham d’être choisi Dieu.


Ce manuscrit français du XVe siècle est extrait du parchemin intitulé Miroir de l’humaine braham et Dieu sont au centre de la représentation. met sa vie entre les mains de Dieu, nimbé d’or, d’un halo orangé. Ce dernier le sauve de la fournaise représentée de manière quasi abstraite, par quelde couleurs rouge et jaune. Les autres personnages peut-être le père et le frère d’Abraham – observent le lien privilégié entre Dieu et celui qui a été choisi r à l’humanité le message divin. Tous sont vêtus à l’époque, portant leur arme ou leur bourse à la cein-

eu

n ce temps-là, Nimrod gouvernait le long du fleuve Euphrate. C’est dans son empire, dans la ville d’Our-en-Chaldée, que vit Tèrah, fils de Nahor, fils de Sèroug, fils de Rè’ou, fils de Pèlèg, fils de Èvèr, fils de Sem, fils de Noé. Tèrah a trois fils : Abram, Nahor et Harane. Abram se pose beaucoup de questions. Il veut comprendre qui a donné vie au monde, qui domine la terre. Dans son pays, les gens prient les étoiles comme le leur apprennent les astrologues. Chez eux, ils placent des statuettes d’argile qu’ils appellent des idoles et leur offrent de la nourriture, afin d’obtenir, en retour, richesse et bonne santé. Abram sait cela car Tèrah, son père, est un fabricant d’idoles. Chaque jour, il prend de l’argile, la modèle et fait cuire des statuettes pour les vendre. Mais Abram n’est pas satisfait par toutes ces croyances. Un soir, il vient s’asseoir au bord du fleuve. ■ Seul dans la nuit, Abram regarde une étoile et pense qu’il a trouvé Dieu. Mais l’étoile disparaît et voici qu’apparaît la lune. “Ça y est, se dit-il, voilà Dieu qui éclaire la nuit !” Mais la lune disparaît à son tour et voici que le soleil se lève. “Celui-ci doit être Dieu !” Mais à la fin du jour, le soleil s’en va lui aussi. Alors Abram réfléchit et comprend : “Seul Celui qui organise le monde est Dieu. Pauvres habitants de ma ville, qui prient des idoles. Ils sont vraiment ignorants !” Quelques jours plus tard, Tèrah doit quitter son atelier et le confie à Abram. Un homme vient pour acheter une idole. Abram lui demande son âge : “Cinquante ans. ture. L’image est isolée du texte par un liseré doré qui la met en valeur. En rouge, le texte latin commente ainsi l’illustration : “Le Seigneur libéra Abraham d’Ur des Chaldéens Genèse XIII, [chapitre?] III, de l’Histoire scolastique sur la Genèse.” La représentation de Dieu sous forme humaine situe l’œuvre dans un contexte chrétien. Miroir de l’humaine salvation Anonyme, milieu du XVe siècle Chantilly, musée Condé © RMN/René-Gabriel Ojeda

— Quel malheur, s’exclame Abram, voici un homme de cinquante ans qui veut adorer une statuette cuite hier !” Saisi de honte, l’acheteur s’en va. Se présente alors une femme tenant un plat de farine. Elle demande à Abram de l’offrir aux idoles. Abram se lève, prend un bâton, fracasse toutes les statuettes et met le bâton dans les mains de la plus grande idole. La femme, médusée, lâche le plat et s’enfuit.

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La vocation d’Abraham

‘‘ ■

Coran C’est brille tombé s’emp “C’est Seign Mais l eut di “Je n’ qui di Puis v lune, cela m quand à son “Si m m’ind à suiv nomb Puis v soleil s’excl Dieu ! grand le Sol tour, “Ô mo désav vous a en mo sincèr face v créé l terre. Traduc Moham


,

eux, olonté ” Nous feu ! m

mi

adorer l’eau, puisqu’elle éteint le feu !, dit Abram. — Eh bien, adore l’eau ! — Autant adorer les nuages, puisqu’ils portent l’eau ! — Eh bien, adore les nuages !

Les gardes de Nimrod se saisissent aussitôt de lui et le précipitent dans la fournaise ardente. Ses entrailles se consument et il meurt devant son père. Tèrah regarde ses deux fils. Abram a été sauvé par ce Dieu invisible, Harane a été brûlé par Our, le dieu du feu. “Quittons Our-en-Chaldée”, se dit Tèrah. Il rassemble les siens : Abram, son fils, Saraï, la femme d’Abram, et Loth, le fils de Harane. Ils marchent avec leurs compagnons le long du fleuve Euphrate, jusqu’à la ville de Harane. Mais Tèrah est vieux, il meurt à Harane. Et l’Éternel Dieu ordonne à Abram de partir. ■ Il lui enjoint de quitter la terre où il est né et de marcher vers un pays inconnu qu’Il lui montrera. Abram entend la voix, mais il ne voit rien. “Où est cette voix, que moi seul entends ?, se demande Abram. Est-elle en moi ? Vient-elle vers moi ? L’Éternel Dieu me parle-t-il ?” La voix continue : “Tu deviendras une grande nation. Je te bénis, je grandis ton nom : sois une bénédiction. Je bénis ceux qui te bénissent ; celui qui te maudira, je le maudirai. Ceux qui se comporteront comme toi seront bénis.” ■ Abram écoute la voix et part. Abram a soixante-quinze ans, il prend sa femme Saraï, il prend Loth, le fils de son frère Harane, il prend tous ceux qui sont avec lui, ses troupeaux, tout son clan. Ils partent vers le pays de Canaan. La

— Autant adorer le vent qui souffle et disperse les nuages ! — Eh bien, adore le vent ! — Autant adorer l’être humain qui porte en lui le souffle que lui a donné l’Éternel Dieu. — Tu joues avec les mots ! Moi je me prosterne devant Our, le feu, ■ et je vais t’y faire jeter. Que ce Dieu invisible dont tu me parles vienne t’en délivrer.” Harane, frère d’Abram, qui les a accompagnés, est partagé. Il pense : “Si Abram sort victorieux, je dirai : ‘Je suis pour Abram.’ Si Nimrod sort victorieux,

route est longue. Plusieurs jours et plusieurs nuits, Abram et son clan marchent, installent le campement pour dormir, font paître les troupeaux, repartent, marchent, s’installent à nouveau et repartent. Abram avance sans fatigue vers cette terre qu’il ne connaît pas. Abram est comme une colombe : il se repose un

je dirai : ‘Je suis pour Nimrod.’” Mais Dieu protège Abram. Les flammes glissent sur lui comme un vent frais et léger. Abram est sauvé !

Mais lorsqu’il arrive sur les hauteurs de la ville de Tyr, il voit que les habitants sont occupés aux travaux des champs. “Pourvu que l’Éternel Dieu ait choisi cette terre”, se dit-il.

Alors, on demande à Harane : “Pour qui es-tu ? — Je suis pour Abram !”

instant et continue son chemin. Il marche, mais il ne sait pas où est la terre dont l’Éternel Dieu lui a parlé. En passant dans le pays d’Aram, il voit que les gens n’y font que manger, boire et s’occuper à des futilités. “Pourvu qu’il ne s’agisse pas de cette terre !”, pense-t-il.

Puis Abram entre par le Nord en terre de Canaan. Il marche jusqu’au lieu appelé Sichem, jusqu’à Èlon Morè, le Chêne Enseignant, arbre qui s’élance droit

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De retour, Tèrah demande à son fils qui a brisé toutes les idoles. “Ô père !, répond Abram, une femme avec un plat de farine est venue et m’a dit : ‘Prends et offre la farine aux idoles.’ Et c’est ce que j’ai fait. Mais une idole s’est écriée : ‘C’est moi qui mangerai la première !’ Une autre a surenchéri : ‘Non, c’est moi !’ La plus grande s’est alors saisie d’un bâton et les a toutes fracassées. — Que me chantes-tu là ? s’exclame Tèrah, elles ne comprennent rien ! — Père, réplique Abram, tes oreilles seraient-elles donc sourdes à ce que dit ta bouche ?” Tèrah entrevoit aussitôt la portée de ses paroles. Il vient d’expliquer à son fils que les idoles ne comprennent rien. Comment peut-il continuer à les prier ? Mais Tèrah ne reconnaît pas son erreur. Abram a commis une faute grave, il a détruit les idoles que le peuple doit prier. Tèrah a peur de ce sacrilège. Alors, il empoigne son fils et le livre au roi Nimrod. Assis dans son palais, Nimrod ordonne à Abram d’adorer le feu. “Autant

‘‘ ■

Genès “Va p terre, enfan maiso vers l te fe Tradu André

Épîtr C’est qu’A sa vo parti qu’il hérit sans Tradu Louis


vers le ciel. C’est le moment que choisit l’Éternel Dieu pour se montrer à Abram. Il lui dit : “Je donnerai cette terre à tes enfants et leur descendance.” Abram construit un autel pour l’Éternel Dieu qui s’est montré à lui. Puis il reprend sa marche. Il va jusqu’à Beth-El, Maison de Dieu, et dresse sa tente entre Beth-El à l’est et Aï vers la mer. Il bâtit un nouvel autel pour l’Éternel Dieu. Abram proclame haut et fort le nom de l’Éternel Dieu. Il ne fait pas de sacrifice, n’égorge aucun animal en Son honneur, il ne fait que prononcer Son nom. Puis, Abram se dirige vers le Sud, dans le désert du Néguev. Il bâtit à nouveau un autel, et à nouveau proclame le nom de l’Éternel Dieu. Abram sait maintenant qu’il est arrivé sur la terre vers laquelle l’Éternel Dieu lui a demandé de marcher. C’est là qu’il devra s’établir, apprendre à vivre avec ses habitants. C’est dans ce pays que vivront ses enfants, et leurs enfants, et les enfants de leurs enfants.

La Haggadah est le récit de la sortie d’Égypte qui est lu en famille pendant le repas rituel de la Pâque juive. Avant de raconter l’esclavage en Égypte et la libération des Hébreux sous la conduite de Moïse, le texte rappelle aux juifs les promesses de Dieu au premier d’entre eux : “Je pris votre père Abraham au-delà du fleuve et le conduisis dans tout le pays de Canaan.” Cette page de Haggadah, imprimée en Italie en 1583, est illustrée par différentes étapes de l’Alliance entre Dieu et Abraham : la fournaise de Nimrod, le départ du pays natal, la marche en terre de Canaan. Les images

L’Alliance avec Dieu

courent dans les marges droite et inférieure, enc partie le texte hébreu. Abraham, doté d’une lon blanche, est vêtu d’une tunique rouge dont la long d’une illustration à l’autre. Le style est celui de XVIe siècle. C’est une caractéristique de l’art juif que guer besoins liturgiques propres au judaïsme et artistique des cultures locales.

Haggadah, Italie, 1583, Paris, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits orie Hébreu 1388, folio 7 verso © BnF, Paris


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