r é c i t s
p r i m o r d i a u x
Présentation de la collection Au commencement des apprentissages, pourquoi, dans les familles comme dans les classes, ne pas faire entendre aux enfants la grande musique des mots ? Pourquoi ne pas leur raconter ces récits fondateurs, ces récits qui datent de la jeunesse du monde. Issus de toutes les traditions, ils se sont transmis de génération en génération, portés par la parole des hommes, contés, chantés avant d’être écrits, réécrits, traduits pour devenir accessibles à tous. Qu’ils viennent de l’Orient ancien, d’Asie ou d’Europe, d’Amérique ou d’Afrique, ces récits qui nous parlent d’un temps où les dieux et les hommes entremêlaient leurs existences, appartiennent aujourd’hui au patrimoine de l’humanité. Nous les avons appelés récits primordiaux parce qu’ils sont à la fois premiers et fondateurs, ils portent les mythes et les croyances dont les hommes se nourrissent depuis toujours. N’ayons pas peur de les faire nôtres et de les transmettre avec nos mots, nos voix… Ainsi chaque ouvrage de cette collection propose, autour d’un thème ou d’un personnage, six récits, ou ensemble de récits, réécrits et adaptés par des spécialistes, universitaires et enseignants, pour être racontés aux enfants. En marge, de courts extraits du texte original sont signalés par un ■. Chacun de ces récits est encadré par un préambule qui le replace dans son contexte historique, mentionne ses sources, précise les langues originelles, et par des clés de lecture pour explorer plus avant sa signification et confronter les traditions. Raconter, c’est préparer et accompagner l’apprentissage de la lecture : l’écoute doit retenir l’intérêt et susciter la parole de l’enfant, favoriser la libre expression sur les thèmes entendus. Le récit constitue aussi une première approche du langage symbolique. À leur manière, ces récits disent quelque chose du monde et des hommes. Ils permettent de commencer à différencier ce qui est de l’ordre du savoir de ce qui relève de la croyance. En fin d’ouvrage des pistes pédagogiques sont proposées aux enseignants par des enseignants pour exploiter ces récits en classe. Et puis, il y a les images… Volontairement nous avons fait le choix de ne pas recourir aux dessins d’illustration mais de montrer des œuvres d’art, des enluminures, des peintures, des objets, de toutes origines et de toutes les époques. Ces documents nous montrent comment les récits primordiaux ont traversé les siècles et inspiré les artistes. Ces images sont commentées, l’une d’entre elles plus particulièrement, non pas qu’elle surpasse toutes les autres, mais parce qu’elle est emblématique et permet une première initiation à l’histoire des arts. Maintenant faisons cercle autour du conteur et laissons-nous pénétrer par ces mots venus du fond des âges et qui pourtant nous parlent encore.
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Présentation de la collection
1
r é c i t s
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Dans la même collection Réci ts de créa ti on Khashayar Azmoudeh Cécile Becker Maud Lasseur Nathalie Toye Anna Van den Kerchove, Anne Zali D éesses de l ’O l y mp e Caroline Plichon
À paraître A b ra h a m Laurent Klein
Cette col l ecti on est réa l i sé e en col l a b ora ti on a ve c l ’ IE S R L’Institut européen en sciences des religions (IESR) a été créé en 2002 par le ministère de l’Éducation nationale comme une composante de l’École pratique des hautes études et de sa section des sciences reli– gieuses. L’IESR est un lieu de réflexion, d’expertise, et de conseil consacré à l’histoire et à l’actualité des questions religieuses, et à la pratique de la laïcité. La participation à la mise en œuvre de l’enseignement des faits religieux à l’école laïque est au cœur des missions de l’Institut. Dans ce cadre l’IESR organise des stages de formation et contribue à des entreprises éditoriales. Dominique Borne, historien, doyen honoraire de l’inspection générale, est président du conseil de direction de l’IESR qui est dirigé par JeanPaul Willaime, directeur d’études à l’EPHE. www.iesr.fr
Uly s s e
ollection ue Borne
Édition mar Rolf
graphes alaydjian Petitjean
aphique Chabaud
L’auteur Marella Nappi, docteur en histoire et littérature grecques anciennes, se consacre depuis plusieurs années à l’étude de l’épopée homérique et de la tragédie grecque classique. Passionnée de mythologie, elle a enseigné dans plusieurs universités en France. Elle prépare un livre sur “La parole des femmes dans l’Iliade”, à paraître en 2010.
aise, 2009
Au tou r de l’O dy s s ée. ..
Six récits
rication rc Guyan ick Rollo
07248-1
Introduction
7
en page Gélibert
ermes du ectuelle, uction ou entation, partielle blication, procédé ofilmage, sation...) e l’auteur nts droit st illicite ntrefaçon L. 335-2 du Code ctuelle.” alement e abusif otocopie quilibre u livre.”
Sommaire
U lyss e ch ez les Ph éa ci e n s : l ’ h i stoi re d u ch eva l d e Troie 18
Au p a ys des Lotop h ag es 28
Pol yp h ème, l e Cyclop e
Remerciements À tous les membres du comité éditorial : Bernard Boulley, responsable du département des périodiques, des collections et du conseil éditorial de la Documentation française, Colette Briffard, agrégée de lettres classiques, Philippe Claus, inspecteur général de l’Éducation nationale, Mariannick Dubois-Lazzarotto, inspectrice de l’Éducation nationale, Anna Van den Kerchove, responsable formation-recherches à l’IESR, Laurent Klein, directeur, école élémentaire, Anne Latournerie, responsable du département des éditions de la Documentation française, Marie-Pierre Meynet-Devillers, professeur de lettres, Emmanuelle Wolff, professeur des écoles, Anne Zali, conservateur général de la BNF.
34
Circé, la mag ici en n e 45
Les Sirèn e s 52
Le re tour à Ith aqu e 60
Les plus+ pédagogiques U n e œu vre patr i mon i al e Un vase grec : Ulysse et les Sirènes 70
Pis tes p édagog i qu e s Laurent Klein Emmanuelle Wolff 72
Sou rces et resso urces 75
Ulysse Quel visage avait Ulyssse ? Dans les représentations antiques, Ulysse apparaît le plus souvent comme un homme d’âge mûr à la barbe et aux cheveux drus et bouclés. Son expression est réfléchie, voire grave. Il est coiffé d’une sorte de bonnet en feutre, le pilos ou pilion, dont la forme évolue au cours des siècles. Au IVe siècle avant J.-C., c’est un bonnet conique, plutôt haut et pointu ; à l’époque hellénistique et romaine, c’est un petit bonnet rond qui emboîte le crâne comme sur cette statuette. Le pilos est un des attributs, avec le bâton du voyageur, qui permet d’identifier Ulysse, mais il est aussi porté par d’autres personnages comme Hephaïstos, le dieu grec du feu, patron des forgerons (Vulcain, ches les Romains), ou Charon, le passeur des Enfers. Ce bonnet était généralement porté par les artisans. Ulysse Statuette en bronze (détail) IIe siècle après J.-C. H. 12 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, Monnaies, médailles et antiques, collection Oppermann © Erich Lessing / AKG
U
lysse, comme nous l’appelons en français d’après son nom latin (Odysseus, en grec), est sans doute un des héros les plus célèbres de toute l’Antiquité. Son histoire est surtout connue grâce aux deux épopées attribuées à Homère : l’Iliade (de Ilion = Troie) et l’Odyssée. Ces épopées qui datent probablement de la fin du e siècle ou du début du e siècle avant J.-C., nous ont été transmises par des manuscrits médiévaux et sont un des fondements de la culture occidentale. Elles sont la référence obligée de toute adaptation ultérieure du mythe d’Ulysse. L’Odyssée ou le récit des errances d’Ulysse
C’est dans les poèmes homériques qu’il faut chercher les premiers éléments écrits de la légende d’Ulysse. Il n’apparaît qu’épisodiquement dans l’Iliade, alors qu’il est le personnage principal de l’Odyssée. Chacune de ces deux épopées est divisée en 24 chants (un pour chaque lettre de l’alphabet grec) et regroupe autour d’un thème central toute une série d’épisodes. Si la colère d’Achille lors de la guerre de Troie constitue le noyau de l’Iliade, l’Odyssée raconte les pérégrinations d’Ulysse en Méditerranée lors de son retour chez lui après la guerre. À Ithaque, son royaume – une île située en mer ionnienne, au nord-ouest du Péloponnèse –, l’attend sa femme, la fidèle Pénélope. L’Odyssée fait le portrait du héros à travers le récit de ses errances : c’est un homme à la fois rusé – les Grecs définissaient cette qualité par le terme metis, qui indique une forme d’intelligence prompte à inventer des stratagèmes pour surmonter les obstacles –, courageux et téméraire. Le prologue l’annonce d’emblée : “C’est l’Homme aux mille tours, Muse, qu’il faut me dire, Celui qui tant erra, quand, de Troade [Troie], il eut pillé la ville sainte, Celui qui visita les cités de tant d’hommes et connut leur esprit, Celui qui, sur les mers, passa par tant d’angoisses, en luttant pour survivre et ramener ses gens” (chant , -). Le voyage de retour d’Ulysse dure dix ans pendant lesquels le roi d’Ithaque vit de nombreuses aventures et doit surmonter bien des épreuves. Certains épisodes sont racontés de manière détaillée (celui du Cyclope, par exemple), d’autres sont évoqués plus brièvement (la rencontre avec les Lotophages). La plupart des épreuves d’Ulysse se terminent mal : souvent ce sont l’indiscipline, la désobéissance et l’impiété de son équipage qui provoquent
et héros
g poème narrant les exploits historiques ou mythiques d’un e. Il s’agit d’un genre littéraire qui retrace des événements é lointain. On parle parfois de “poème héroïque”. mme exceptionnel qui accomplit des exploits grâce à son éniosité et qui s’élève ainsi au-dessus de ses semblables, si un culte particulier. cit traditionnel qui raconte des histoires autour de dieux ect essentiel du mythe est qu’il n’est pas fixé une fois parvient dans une pluralité de versions, chaque version e une interprétation, toujours susceptible d’être remaniée r s’adapter aux circonstances. Mais il est construit à partir ucturée. La mythologie grecque est donc l’ensemble des les Grecs sur leurs dieux et sur leurs héros. Elle transmet, ertoire narratif, la mémoire des épisodes fondateurs de sa
catastrophes et désastres. Mais parfois elles ont une fin heureuse, comme le séjour chez Circé, la magicienne, ou le passage près du rocher des Sirènes. À la fois fantastique et romanesque, l’Odyssée présente une grande variété thématique : le héros erre dans un monde fabuleux qui n’obéit plus aux règles du monde réel, monde imaginaire peuplé de monstres, de créatures étranges, monde où règne la magie mais où il fait aussi des rencontres amoureuses.
La tradition épique grecque connaissait sans doute d’autres récits concernant la guerre de Troie et le retour des guerriers achéens (terme utilisé dans les poèmes homériques pour désigner les Grecs) dans leur patrie. Ces récits de voyage étaient connus sous le nom de nostoi, ce qui en grec signifie “retours”. D’ailleurs, l’Odyssée fait allusion à d’autres héros qui avaient participé à la guerre, comme Agamemnon, tué par son épouse Clytemnestre, ou son frère Ménélas, rentré en Grèce avec son épouse Hélène dont le rapt par le Troyen Pâris était à l’origine de la guerre. Toutefois, l’Odyssée est le seul récit à nous être parvenu qui raconte intégralement le voyage d’un héros.
Composition du poème
L’Odyssée est constituée de 12 109 vers appelés “hexamètres dactyliques”. Chaque vers est composé de six pieds qui peuvent être des dactyles (une syllabe longue suivie de deux brèves) ou des spondées (deux syllabes longues). Cette structure, caractéristique des épopées homériques, donne un rythme très simple, facile à scander, qui favorise la mémorisation. Elle permet aussi l’emploi de groupes de mots, de formules ou épithètes servant à qualifier un héros ou un dieu que l’on retrouve constamment employés au long du poème : “l’Aurore aux doigts de rose”, “l’industrieux Ulysse”, “Ulysse aux mille ruses”, “Zeus, l’assembleur de nuées”, “Héra, la déesse aux bras blancs”, “Poséidon, l’Ébranleur du sol”, etc. Les 24 chants du poème sont répartis en trois parties, “évidemment complémentaires : Ithaque sans Ulysse, Ulysse loin d’Ithaque, Ulysse à Ithaque”(Pierre Carlier, Homère). Absent ou présent, Ulysse domine tout le récit.
1) Le voyage de Télémaque (chants
à
I
IV
)
La première partie, qui précède “l’odyssée” proprement dite, est appelée “Télémachie”, c elle raconte le voyage du fils d’Ulysse, Télémaque, parti s’enquérir à Pylos, puis à Spart des nouvelles de son père auprès des survivants de la guerre de Troie, pendant qu’à Ithaq les prétendants au trône s’installent dans le palais du roi absent et se disputent la main la reine Pénélope. 2) Le retour d’Ulysse (chants
V
à
XII
)
La seconde partie décrit les pérégrinations d’Ulysse et les différentes étapes de son voyag Chez les Phéaciens, dans le palais du roi Alcinoos et de la reine Arété, Ulysse raconte longue histoire. 3) La vengeance d’Ulysse (chants
XIII
à
XXIV
)
La dernière partie, se déroule à Ithaque. Après vingt ans d’absence, Ulysse est de reto chez lui. Le temps et les périls traversés l’ont profondément changé, mais d’autres épreuv l’attendent : il doit se venger des prétendants, se faire reconnaître par la reine Pénélope rétablir son autorité et celle de sa lignée sur son royaume, avant de pouvoir goûter enfi un repos mérité.
Ce bref résumé montre que l’Odyssée couvre l’ensemble des épreuves subies par Ulysse depu son départ de Troie jusqu’à son triomphe sur les prétendants. Mais la construction du réc n’est pas chronologique. L’œuvre prend comme point de départ le moment où les dieu ayant décidé qu’il était temps pour le héros de rentrer chez lui (chant , -), program ment son retour (chant , -). Ulysse se trouve alors dans l’île d’Ogygie, une île que l’o situe généralement vers le détroit de Gibraltar, en compagnie de la nymphe Calypso. L aventures qui lui sont arrivées durant les dix années qui ont précédé, sont racontées par héros lui-même, un peu plus tard, dans le palais d’Alcinoos. Le poète procède ainsi par d retours en arrière, des récits dans le récit. Il ne conte lui-même, à la troisième personne, q la fin du voyage, les derniers jours d’errance. Si l’on veut suivre dans l’ordre chronologiq
L’Iliade, l’autre épopée d’Homère L’Iliade, composée de plus de 15 000 vers, ne raconte pas toute la guerre de Troie, mais seulement un épisode précis de celle-ci, une période de crise qui dure environ deux mois. Le sujet en est la colère du héros Achille, qui se voit ravir par Agamemnon, chef de l’expédition achéenne, la belle Briséis, emmenée comme captive par le héros. Mû par la colère et la douleur, Achille se retire sous sa tente et refuse de combattre. L’armée grecque, privée de son meilleur guerrier, subit de graves défaites. Achille toutefois retournera sur le champ de bataille pour venger son ami Patrocle tué par Hector, fils du roi Priam et chef des guerriers troyens. L’Iliade raconte la dernière année du siège de Troie, qui aurait duré dix ans, mais ne dit rien des causes premières de la guerre, de ses préparatifs, ni d’ailleurs de son dénouement. Les détails nous en sont connus par d’autres textes.
les pérégrinations d’Ulysse, il faudrait donc lire d’abord les chants à , qui contiennent les récits d’Ulysse, de son départ de Troie jusqu’à son arrivée dans l’île de Calypso ; puis les chants à , qui relatent la libération d’Ulysse par Calypso, son voyage et son arrivée au royaume d’Alcinoos ; enfin le début du chant qui raconte son départ de chez les Phéaciens et son arrivée à Ithaque. La composition du poème est complexe, mais claire et d’une grande habileté. Les changements de lieux et de temps sont fréquents, les méandres de l’action nombreux, pourtant l’unité d’action est surprenante. Aristote, philosophe grec du e siècle avant J.-C., résume ainsi le poème : “Un homme erre loin de son pays durant de nombreuses années, surveillé de près par Poséidon, totalement isolé. Chez lui les choses vont de telle sorte que sa fortune est dilapidée par les prétendants, son fils exposé à leurs complots. Maltraité par les tempêtes, il arrive, se fait reconnaître de quelques amis, puis il attaque ; il est sauvé et écrase ses ennemis. Voilà le schéma propre au poème, le reste, ce sont des épisodes” (Aristote, Politique). Le plus humain des héros
Suivre les étapes du voyage d’Ulysse est la meilleure manière de découvrir la grande richesse de ce personnage et de comprendre la complexité de son caractère. Il y a peu de descriptions du héros dans le poème, et le plus souvent elles sont succinctes. Le portrait d’Ulysse se crée peu à peu dans son rapport aux autres et dans ses réactions face au destin qui mettent en évidence sa metis, son esprit souple et rusé. Ulysse est l’homme aux mille tours (polymetis), l’astucieux, l’endurant, l’avisé : telles sont les épithètes qui le caractérisent et que l’on retrouve constamment dans l’Odyssée. Héros de l’intelligence par excellence, Ulysse est audacieux, curieux de tout, courageux, loyal, incapable de se dérober face aux épreuves. Il n’a qu’un désir : retrouver sa patrie et sa fidèle Pénélope, aussi persévérante et rusée que lui. Pour atteindre ce but, il ne craint pas d’utiliser la tromperie ni même le mensonge. Il tend des pièges à ses adversaires en actes ou par ses belles paroles. Ulysse survit grâce à sa bravoure, sa prudence, sa ténacité et sa grande faculté d’adaptation aux circonstances. Il a en outre une complice d’exception, la déesse Athéna, sa pareille dans le monde des dieux, qui le suit et le protège, alors que Poséidon, le dieu des mers, le poursuit de sa haine. La personnalité d’Ulysse attire les femmes, elle les séduit comme l’attestent ses aventures amoureuses avec la magicienne Circé et la nymphe Calypso. Le thème de l’endurance et celui de la souffrance sont également présents, des premiers aux derniers vers du poème. En effet, si dans l’Iliade Ulysse est avant tout le médiateur habile, l’homme ingénieux qui se distingue par ses capacités oratoires, dans l’Odyssée le poète insiste aussi sur d’autres aspects de son caractère : Ulysse est l’homme qui “souffrit beaucoup d’angoisses en son cœur sur la mer” (chant , ). Cette complexité de la personnalité d’Ulysse
Une vision romantique d’Homère
Sur ce tableau, Homère, au centre de la composition, est représenté comme un homme âgé et aveugle, un aède interprétant en plein air ses poèmes en s’accompagnant à la cithare ou sur sa lyre. L’auditoire est constitué d’hommes, de femmes et d’enfants : des paysans assis sur une charette tirée par des bœufs, à droite, un militaire, un homme et deux femmes d’un niveau social plus élevé, à gauche. En arrière-plan de cette scène champêtre, le peintre n’hésite pas à représenter un temple grec de l’époque classique. C’est une vision romantique et bucolique de la Grèce antique qu’il nous propose. Il est communément admis aujourd’hui que les poèmes homériques ont leur origine dans la tradition orale des aèdes. On peut en trouver des traces, par exemple, dans la répétition de “formules” attachées à la description d’un personnage. Ces formules étaient des moyens mnémotechniques qui facilitaient l’improvisation et la mémorisation. L’Odyssée elle-même témoigne de l’existence de ces poètes : Démodocos, chez les Phéaciens, et
Phémios, à Ithaque, en sont les deux principaux Ulysse lui-même les révère : “Il n’est homme ici-b aux aèdes l’estime et le respect : car n’apprenne Muse leurs pièces ? La Muse qui chérit la race de (Odyssée, VIII, 479-482). La cécité est le trait qui symbolise l’inspiration particulier qui relie le poète aux dieux. L’art de senti comme un don divin : seule l’inspiration d ner à un homme une mémoire aussi riche (Odyss Démodocos est lui aussi aveugle : “Le héraut r le brave aède à qui la Muse aimante avait do biens et de maux, car, privé de vue, il avait reçu mélodieux.” (Odyssée, VIII, 62-64). Homère Jean-Baptiste Auguste Leloir (1803-1892) Huile sur toile, H. 147 cm ; l. 195 cm Paris, musée du Louvre, département des Peintures © RMN/ Gérard Blot
Les larmes d’Ulysse La scène représentée sur cette intaille, pierre fine gravée en creux et sertie dans un bijou, se déroule lors du séjour d’Ulysse chez les Phéaciens. Dans le palais du roi Alcinoos, au centre, reconnaissable à son sceptre, l’aède Démodocos chante, au cours d’un banquet, les exploits des guerriers achéens lors du siège de Troie. Assis à côté du roi, Ulysse, coiffé du pilos, ne peut retenir ses larmes et pleure, la tête dans les mains. Cette intaille fait partie d’une série à sujets héroïques et mythologiques considérée un temps comme antique : certaines pierres portent en effet les signatures de graveurs grecs célèbres, ici Dioscoride. En fait, il s’agit d’œuvres réalisées au XIXe siècle, dans le goût de l’Antique, comme le montre notamment la manière de traiter la scène en restant très proche du texte littéraire, bien différente des représentations antiques, plus symboliques. Intaille en agate brune à monture dorée, signée Dioscoride Gravure de Giovanni Calandrelli, vers 1835 Paris, Bibliothèque nationale de France, Monnaies, Médailles et Antiques H. 2,2 cm ; l. 3,2 cm. Avec monture H. 4,5 cm ; l. 5 cm © BnF, Paris
se retrouve dans l’une de ses qualifications : polutlax, qui signifie aussi bien “celui qui ose beaucoup” que “celui qui supporte beaucoup”. En choisissant délibérément la condition humaine, ses souffrances et sa fragilité, contre toute forme d’immortalité, Ulysse incarne la capacité de l’homme à résister à la douleur. D’ailleurs, un changement profond s’opère dans son caractère au fil du récit. Ulysse est un personnage en devenir, qui évolue. Au début, à son départ de Troie, il est téméraire, rusé, hardi, espiègle, cherchant toujours l’aventure, poussé par la curiosité à rencontrer les habitants, souvent inhospitaliers, des différents pays dans lesquels il débarque. À cet égard, le moment où il dévoile avec fierté son nom au Cyclope Polyphème est emblématique. À la fin de son voyage, Ulysse, qui a perdu entre-temps ses compagnons et ses douze bateaux, se retrouve seul et commence à redouter l’inconnu. On le voit pleurer sur la plage d’Ogygie. Il souffre, il subit son destin, impuissant. Lorsqu’il arrive à Ithaque, c’est un homme d’expérience, mûr et prudent, qui parle et tire les leçons de son passé. À travers ce personnage, c’est le parcours d’une vie d’homme que l’on suit. Guerrier et navigateur, époux, amant et père, roi et mendiant, Ulysse est un homme aux multiples facettes qui connaît la fortune mais aussi l’adversité, qui commet des erreurs mais ne perd jamais espoir. Il est le plus humain des héros, et c’est sans doute ce trait qui a consacré sa popularité et la fortune de sa légende. Personnage clé de la mythologie, il n’est jamais tombé dans l’oubli. Son mythe n’a cessé de s’enrichir au fil du temps, à la fois dans
l’art et la littérature. À l’époque contemporaine, des écrivains comme James Joyce (Ulysse des peintres comme Marc Chagall (Le Message d’Ulysse), ont été inspirés par ses errance Aux époques grecque et romaine, ses aventures étaient déjà représentées. Ulysse y appara tantôt comme un modèle d’homme sage, éprouvé par la vie, tourné vers un seul objectif, so retour, tantôt comme l’incarnation du menteur, de l’orateur démagogue, du comédien, d fourbe. Ainsi Pindare, célèbre poète lyrique (e siècle avant J.-C.), dans ses Odes néméenne attaque la lâcheté d’Ulysse, le qualifiant d’“inventeur de ruses”. Que savons-nous d’Homère et de son monde ?
Si la personnalité d’Ulysse se dégage fort bien de l’Odyssée, que savons-nous de l’auteur d ce poème ? Et de la société qu’il décrit ? La guerre de Troie a-t-elle eu lieu ? Si les premie historiens grecs s’accordaient sur sa durée – dix ans –, ils en faisaient varier la date ent 1344 et 1150 avant J.-C. Les travaux des savants de l’époque alexandrine, ceux des érudi depuis le e siècle, des chercheurs aujourd’hui et les découvertes archéologiques on permis d’approfondir nos connaissances sans que toutes les zones d’ombre soient pou autant levées.
Le personnage même d’Homère a donné lieu à beaucoup de discussions et de débats contr dictoires. De nombreuses hypothèses ont été avancées, infirmées, contredites, validées. O parle d’une véritable “question homérique”. Les premières “biographies” du poète ne son pas antérieures à l’époque classique (510-323 avant J.-C.), et la plupart sont très tardive Plusieurs de ces Vies d’Homère le présentent comme un aède aveugle, récitant ou chantan ses poèmes. On admettait généralement qu’il avait vécu au e siècle avant J.-C. en As Mineure – l’Anatolie, “pays où le soleil se lève”, partie asiatique de l’actuelle Turquie situé entre mer Noire et mer Méditerranée. Plusieurs villes se disputaient sa paternité : Chio Smyrne, Colophon, etc. La langue d’Homère est en effet une langue composite empruntan surtout à deux dialectes, l’ionien et l’éolien, parlés principalement en Asie Mineure. Le Anciens ne remettaient pas en question l’existence du poète et ils le vénéraient comm un héros. Pendant des siècles personne ne douta que l’Iliade et l’Odyssée aient été l’œuv d’un seul et même homme que la tradition disait aveugle. Par la suite, ces certitudes furen remises en cause. À partir du e siècle on s’interrogea notamment sur le fait de savoir l’auteur de l’Iliade avait composé l’Odyssée bien des années après, ou s’il s’agissait de l’œuv d’un autre poète.
Aujourd’hui, il faut bien l’admettre, nous ne savons toujours rien de précis sur la vie l’identité d’Homère. A-t-il réellement existé ou s’agit-il d’un nom apposé après coup sur un tradition collective orale ? Quoi qu’il en soit de cette “question homérique”, qui ne sera peu être jamais résolue, les spécialistes ont progressé. Les recherches récentes tendent à montr
que l’Iliade et l’Odyssée sont sans doute l’œuvre de deux auteurs différents. Par ailleurs, il est sûr que l’auteur (ou les auteurs) des deux épopées – par convention appelé Homère – a utilisé des récits antérieurs à son époque, issus de la tradition orale. Homère prend place dans une longue tradition de chanteurs, les aèdes, qui composaient et interprétaient leur poésie épique devant un auditoire en s’accompagnant d’une lyre ou d’une cithare. Il a puisé à des sources d’origines et de dates diverses. Le poème est aussi redevable à d’autres cultures, orientales notamment, pour certains aspects, comme l’épopée babylonnienne de Gilgamesh qui conte aussi les étapes d’un voyage surnaturel.
Portrait imaginaire d’Homère aveugle
Ce buste, œuvre romaine datant de riale, est une réplique d’une œuvr du IIe siècle avant J.-C. Il confort Anciens se faisaient d’Homère : u mûr, voire un vieil homme, aveugle Qui ne voit le présent à cause de voir le futur. L’idée est que les aè devins, ont une connaissance supé Au IIe siècle après J.-C., le grec Luc relate dans L’Histoire vraie sa Homère dans l’île des Bienheureu voir s’il était aveugle, ainsi qu’on l tout de suite, car je le voyais bien besoin de m’en informer.” Pourquoi ? Il existe différentes propos. L’une dit qu’Homère aur par Hélène, furieuse du rôle qu’ joué dans ses poèmes dans le dé la guerre de Troie.
La plupart des chercheurs considèrent comme raisonnable de dater la composition des poèmes homériques du e siècle avant J.-C., au moment où l’espace grec s’ouvrait avec l’installation de comptoirs et de colonies sur le pourtour méditerranéen. Mais les textes n’auraient vraiment été fixés qu’au e siècle avant J.- C., à Athènes, sous le “tyran” Pisistrate. Il s’agit donc de textes vieux de trois mille ans. Homère situe l’action et les personnages de ses poèmes à une époque datant de bien avant lui. Plusieurs siècles le séparent de la société qu’il chante. Dans l’Iliade et l’Odyssée, il décrit la civilisation achéenne telle qu’il la connaît par la tradition orale et par les vestiges “archéologiques” qu’il côtoie. Mais il ne faut pas chercher à déceler dans ces épopées le reflet précis d’une réalité géographique ou d’une époque bien déterminée. Les aèdes qui transmettaient les histoires des dieux et des héros du temps jadis tentaient d’actualiser leur récit pour retenir l’attention de leur public. La poésie homérique est donc passée par le filtre de générations successives d’aèdes. Les valeurs sociales, les institutions, la vie quotidienne et religieuse, les méthodes de navigation décrites dans les poèmes étaient très certainement liées à la fois à la mémoire mais aussi au vécu et à l’imagination de l’auditoire. Les deux poèmes mettent ainsi en scène un monde héroïque, à demi réel et à demi imaginaire. Plusieurs aventures d’Ulysse évoquent d’ailleurs les contes folkloriques d’autres peuples : les personnages, parfois enchanteurs mais le plus souvent redoutables, de la magicienne, du géant anthropophage, les monstres de ces mondes merveilleux situés dans des mers inconnues, sont des thèmes récurrents dans l’imaginaire populaire. Au e siècle, l’archéologue allemand Heinrich Schliemann, persuadé que Troie n’était pas une ville légendaire et que les poèmes homériques décrivaient une réalité historique, entreprit des fouilles en Asie Mineure. En 1870, il découvrit les trésors de Troie et de Mycènes qu’il n’hésita pas à identifier comme ceux des héros homériques. Malgré des erreurs de chronologie, Schliemann prouva que Troie avait réellement été prise et détruite, et qu’un puissant royaume avait correspondu au règne d’Agamemnon à Mycènes. Le site archéologique de Troie est aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.
Buste d’Homère Marbre, IIe siècle après J.-C. Collection Albani, puis musée du Capit à Rome, apporté à Paris en 1797 Paris, musée du Louvre, département d grecques, étrusques et romaines © RMN/ Hervé Lewandowski
Dans le sillage d’Ulysse
Ulysse évoque pour beaucoup le thème du voyage, celui de l’exploration de mondes inconnus. “Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage...” chantait au e siècle le poète Joachim Du Bellay et à sa suite, plus prêt de nous, Georges Brassens... Pourtant plus qu’un voyageur Ulysse est avant tout un exilé n’aspirant qu’au retour chez lui. Quoi qu’il en soit, son voyage a beaucoup fait rêver. Bien qu’il soit difficile d’en localiser avec précision les étapes, plusieurs spécialistes ont tenté de reconstituer le cheminement du héros à travers le bassin méditerranéen, en étudiant les différents épisodes de ses récits. En fait, dès l’Antiquité on a discuté la réalité du cadre géographique du périple d’Ulysse et il existe plusieurs hypothèses à cet égard. L’helléniste Victor Bérard (1864-1931) a consacré en 1930 quatre volumes aux Navigations d’Ulysse. L’auteur s’est servi de manuels de reconnaissance des côtes pour tenter de rattacher les lieux décrits dans l’Odyssée à des endroits réels. Pour lui, ces lieux, bien que déformés par l’imagination, sont tirés d’une réalité géographique certaine. Ses tentatives d’identification ont été poursuivies par le navigateur Tim Severin et par l’ethnologue Jean Cuisenier. Plus que de localiser avec exactitude les lieux, l’objectif de ce dernier était de montrer comment le poème a pu être une source d’informations précieuses pour les marins grecs.
Diverses cartes proposent donc un itinéraire du voyage d’Ulysse au cours de son retour vers Ithaque. Le début et la fin du voyage sont clairs : Ulysse part de Troie et arrive à Ithaque. Mais, à partir du cap Malée, une péninsule à l’extrémité du Péloponnèse, lorsqu’il passe au large de Cythère, les hypothèses deviennent plus ou moins fondées. À ce moment précis, la direction des déplacements d’Ulysse est nette : le héros est entraîné vers l’Ouest. Mais pour ce qui est de la réalité des étapes du voyage, il faut rester prudent. Les peuples rencontrés par Ulysse n’ont aucune réalité géographique, même si on a souvent voulu leur chercher des équivalents. Encore aujourd’hui, à Corfou, on montre aux touristes la baie d’Agio Georgios, où Nausicaa aurait rencontré Ulysse. Selon Strabon, géographe grec qui vécut entre le er siècle avant J.-C. et le er siècle après J.-C, Ératosthène, un autre géographe de l’Antiquité, s’exprimait ainsi à ce sujet : “On trouvera les lieux des errances d’Ulysse le jour où l’on découvrira le cordonnier qui a cousu l’outre des vents.” Il ne faut donc pas chercher à tout prix dans les voyages d’Ulysse le reflet d’une réalité géographique précise. Ulysse erre dans un monde imaginaire, impossible à situer, où se mêlent constamment fiction et réalité.
Les périgrinations d’Ulysse
onde imaginaire, monde connu : le voyage d’Ulysse 7 les Cimmeriens
Nord Ouest
Est Sud
6 8 Circé
Ile d’Aiaié
5 les Lestrygons 12 Calypso
9 les Sirènes
Mer du Couchant
4
d’Ogygie braltar)
11 Ile du Soleil (Sicile)
12
Calypso
Ile de Schérie (Corfou)
1 les Cicones
Troie 14
Ile d’Éole (Vulcano)
Ithaque
10
Pénélope, Télémaque
Charybde et Scylla (détroit de Messine)
Cap Malée
Itinéraire reconstitué et étapes du voyage Peuples et personnages de l’Odyssée
d’Ogygie Sites de l’Odyssée
Gibraltar) Localisation actuelle proposée
Troie
3 les Cyclopes : 13 Polyphème les Phéaciens : Alcinoos et Nausicaa
(Djerba)
2 les Lotophages
Mer du Levant 0
300 km
Point de départ et d’arrivée Tempêtes
Source : d'après Victor Bérard, Dans le sillage d’Ulysse. Album odysséen, Paris, Gallimard, 1933. © La Documentation française
L’ancienne ville de Troie se trouvait près du détroit des Dardanelles, dans l’actuelle Turquie. Elle est le point de départ du voyage d’Ulysse. 1 - Après avoir quitté les rivages de Troie, la flotte grecque est dispersée par une tempête déchaînée par Zeus. Ulysse et ses compagnons sont jetés sur les côtes de la Thrace, au pays des Cicones, alliés des Troyens. Ulysse pille la ville de ce peuple (Ismaros) et fait un butin abondant, tuant tous ses habitants, à l’exception du prêtre Maron qui, en reconnaissance, lui offre douze jarres de vin doux (chant , 1-61). Ensuite, les mésaventures se succèdent. 2 - Une nouvelle tempête repousse la flotte grecque jusqu’à la terre des Lotophages, les géants mangeurs d’oubli, près de l’Afrique (chant , 62-104). [Récit page 29] 3 - Ulysse et ses compagnons arrivent sur l’île des Cyclopes. Le plus célèbre est Polyphème, fils de Poséidon. Ulysse parvient par la ruse à se débarrasser de ce monstre anthropophage, crevant son unique œil à l’aide d’un pieu enflammé. L’équipage s’enfuit. La colère de Poséidon ne cessera plus de le poursuivre (chant , 105-461). [Récit page 35] 4 - La mer hostile ballotte la petite flotte et la fait échouer sur les rivages de l’île d’Éole, maître des vents (chant , 1-79). Éole donne à Ulysse une outre où il a enfermé les vents contraires à son voyage. Les compagnons d’Ulysse, poussés par la curiosité, ouvrent l’outre : les vents s’échappent en tout sens et font perdre le contrôle du bateau. 5 - Les équipages d’Ulysse parviennent au pays des Lestrygons (en Sicile orientale ou en Sardaigne), des géants féroces et cannibales qui font un grand massacre parmi les compagnons d’Ulysse, harponnés comme des poissons (chant , 80-132). 6 - La flotte d’Ulysse, avec quelques survivants, atteint l’île d’Aiaié, où demeure Circé, une magicienne qui transforme les navigateurs en pourceaux. Ulysse échappe au sortilège de Circé grâce à une potion fournie par le dieu Hermès (chant , 133-574). Il passe néanmoins un an d’idylle avec elle. [Récit page 45] 7 - Ulysse se rend au pays des Cimmériens, où on ne voit pas le Soleil. Il entre dans le monde des morts et évoque l’ombre des héros tombés à Troie (chant en entier). 8 - Ulysse retourne chez Circé, qui lui fournit de nombreuses indications utiles pour la suite de son voyage (chant , 1-164). 9 - Ulysse et ses hommes échappent au chant fatal des Sirènes (chant , 165-200). [Récit page 53] 10 - Ils passent près des deux dangereux écueils, Charybde et Scylla (chant , 201-259). 11 - L’expédition poursuit sa route en faisant halte sur l’île du Soleil (chant , 260-390). Malgré les ordres d’Ulysse, ses compagnons ne peuvent s’empêcher de manger les bœufs, animaux sacrés du dieu du Soleil, Apollon. Ils provoquent ainsi la colère de Zeus qui déclenche une tempête dont Ulysse est seul à réchapper. 12 - Le bateau d’Ulysse part à la dérive, vers l’ouest. Ulysse fait naufrage dans l’île d’Ogygie, chez Calypso. La nymphe, amoureuse, le retient pendant sept ans prisonnier de ses charmes. Ulysse interrompt son récit. 13 - Libéré sur l’ordre des dieux, Ulysse échoue, après dix-sept jours en mer, sur l’île des Phéaciens, Schérie. Il rencontre la belle Nausicaa, fille du roi (chant ). Accueilli dans le palais d’Alcinoos, il commence le récit de ses voyages. [Récit page 19] 14 - Ulysse se voit offrir par ces gens très hospitaliers un navire qui le ramène à Ithaque après vingt ans d’absence – dix ans de guerre et dix autres pour son odyssée – (chant ). [Récit page 61]
Ulysse chez les Phéaciens : l’histoire du cheval de Troie En préambule
L
orsque commence le récit de l’Odyssée, dix ans après la prise de Troie, tous les héros achéens s déjà rentrés chez eux. Tous, sauf Ulysse, le seul à errer loin de sa patrie, victime de la haine du d Poséidon, dont il a aveuglé le fils, Polyphème, le Cyclope. De l’île de Calypso à celle des Phéaciens
Au chant , Ulysse est retenu captif depuis plusieurs années déjà par Calypso, une nymphe qui brûle de l’av pour époux et ne le laisse pas quitter son île d’Ogygie. Dans la mythologie grecque les nymphes sont divinités mineures. De sexe féminin, elles personnifient des forces créatives et productives de la nature. E vivent dans les sources et les rivières, les montagnes et les vallées, les grottes. En grec ancien, Calypso sign “celle qui cache, qui dissimule” Ulysse à l’intérieur de sa grotte. Calypso, à plusieurs reprises, est aussi appe déesse dans l’Odyssée, elle se range d’ailleurs elle-même dans le groupe des déesses amoureuses d’un mor Ce statut divin est confirmé par le fait qu’elle se nourrit de nectar et d’ambroisie, comme les dieux, et non pain comme les mortels. Ulysse désespère de rentrer un jour chez lui. Athéna, la déesse qui le protège, s’indigne de le voir ainsi pris nier et demande à Zeus d’intervenir afin qu’il puisse regagner sa patrie. Les dieux, profitant de l’absence de séidon, se réunissent en assemblée et décident le retour d’Ulysse à Ithaque, son royaume. Hermès, le messa des dieux, est alors chargé de se rendre chez Calypso, pour lui transmettre l’ordre irrévocable lui enjoignant laisser partir le héros. Au chant , Calypso, désespérée, doit se résigner au départ d’Ulysse. Elle fait tout p favoriser son retour. Elle fournit les poutres nécessaires à la construction d’un radeau, mais aussi des réser de vin et de nourriture. Enfin, elle fait souffler une douce brise qui le pousse vers le large. Mais après une te ble tempête, Ulysse s’échoue, seul, sur l’île des Phéaciens (chant ). Il s’agit là d’une étape de transition av le retour à Ithaque. C’est là, au cours d’un banquet offert en l’honneur de son hôte par le roi Alcinoos, qu relatée l’histoire du cheval de Troie.
eval de Troie
sode célèbre du cheval de Troie est ici gravé sur le col d’une hore de terre cuite datant du VIIe siècle avant J.-C. C’est une plus anciennes représentations de la ruse d’Ulysse. On aperçoit ement les visages des guerriers achéens cachés dans la panse heval. L’un d’entre eux porte à bout de bras un casque à haut er, deux autres tiennent des épées encore dans leur fourreau, es qu’ils ne sont pas encore entrés en action mais s’apprêtent faire. Ces guerriers sont également représentés une fois sortis heval ; ils sont armés de lances et protégés par leur bouclier
Le cheval de Troie rond traditionnel. Les roues fixées sur les quatre sabots du cheval devaient permettre de le tirer jusque dans la ville. Scène de la guerre de Troie Terre cuite, vers 670 avant J.-C. H. 143 cm Mykonos, musée archéologique © Erich Lessing/AKG, Paris
L’Iliade ne raconte pas la fin de la guerre de Troie. La narration s’arrête aux funérailles d’Hector, le champ des Troyens tué par Achille. L’épisode du cheval n’y est donc pas mentionné. En revanche deux passages l’Odyssée y font allusion, plutôt brièvement, au chant et au chant . Au chant , Télémaque, le fils d’Ulysse, se trouve à Sparte. Il est accueilli avec bienveillance et hospita par Ménélas et Hélène, qui rappellent les exploits d’Ulysse, et louent sa vaillance et son énergie. Hélène,
Le récit
eul sur son frêle radeau, Ulysse s’apprêtait à rentrer chez lui après vingt ans d’absence. Pendant dix-sept jours la mer avait été paisible. Mais, alors qu’il s’approchait de son île natale, Poséidon, le dieu des mers, déchaîna contre lui une terrible et violente tempête qui mit en pièces son bateau. Pendant deux jours et deux nuits, Ulysse dériva et manqua de se noyer. Heureusement Leucothée, qu’on appelle aussi Ino, la dame blanche qui du fond des mers protège les marins et les naufragés, lui vint en aide. Sous la forme d’une mouette, elle se posa au bord du radeau : “N’aie pas peur, Ulysse, je suis la déesse Ino. Quitte tes vêtements et ce radeau, et nage jusqu’en Phéacie. Prends ce voile et tends-le sur ta poitrine, il te maintiendra à flot. Une fois arrivé sur le sable, quitte-le.” Ulysse nagea ainsi jusqu’à Schérie, l’île des Phéaciens. Échoué sur le rivage, épuisé, il se cacha dans les buissons et s’endormit. Non loin de là, Nausicaa aux beaux bras blancs, la fille du roi, accompagnée de ses servantes, lavait du linge dans l’eau claire du fleuve. Après l’avoir rincé puis étendu, après s’être baignées et restaurées, les jeunes filles jouaient à la balle en chantant de leurs voix fraîches. Mais Athéna veillait et fit en sorte que la balle tombe dans les eaux bouillonnantes d’une cascade. ■ Aussitôt de hauts cris éveillèrent le héros naufragé qui sortit des broussailles. En apercevant cet étranger, nu, sale et affamé, les jeunes filles prirent peur et s’enfuirent. Seule Nausicaa resta. Athéna lui mettait dans le cœur cette audace et ne permettait pas à ses jambes de trembler. Ulysse la supplia de lui venir en aide. Émue à la vue de l’étranger, Nausicaa s’empressa de lui fournir vêtements et nourriture. Puis, après avoir repris des forces, Ulysse se mit en chemin vers la ville. Comme il approchait, une petite fille vint à sa rencontre. C’était Athéna, la déesse aux yeux pers. “Pourrais-tu, mon enfant, me conduire à la demeure du roi”, lui demanda-t-il. “Suis-moi, étranger”, lui répondit-elle, et elle le guida jusqu’à un magnifique palais. “Tu vas trouver tout le monde en train de banqueter. Parle
Retour au texte
ticulier, affirme qu’elle ne saurait “énumérer tous les exploits de cet Ulysse au cœur vaillant”, mais elle onte “le haut fait que cet homme énergique risqua et réussit, au pays des Troyens” (, -). On trouve ette occasion la première allusion à l’épisode du cheval de Troie. Ménélas rappelle que lorsque tous les Grecs rouvaient cachés à l’intérieur du cheval de bois, Ulysse fut le seul assez lucide et fort pour résister à la voix Hélène qui, agissant pour le compte des Troyens, appelait chacun des chefs achéens par son propre nom, pruntant la voix de leurs épouses. plupart des détails de cet épisode sont connus grâce au récit du chant . Durant un festin donné en onneur d’Ulysse, hôte anonyme d’Alcinoos, l’aède Démodocos chante deux épisodes concernant la fin de la erre de Troie : d’abord la querelle d’Ulysse et d’Achille (, -), puis, à la demande d’Ulysse, les exploits Grecs lors de la prise de Troie, et en particulier “l’histoire du cheval de bois” qui causa la ruine de la ville (, -). Le poète résume alors en une vingtaine de vers l’histoire chantée par Démodocos. épisode devait aussi être raconté en détail dans les poèmes perdus du Cycle épique ou Cycle troyen – on pelle ainsi un ensemble d’épopées sur la guerre de Troie –, dans Le Sac de Troie d’Arctinos de Milet et La ite Iliade de Leschès de Pyrrha, par exemple. Malheureusement nous ne possédons que des fragments de œuvres. La datation des poèmes du Cycle épique est malaisée. Beaucoup étaient attribués par les Grecs à mère lui-même, mais leurs auteurs étaient probablement postérieurs au grand poète, ils étaient peut-être disciples. Arctinos de Milet et Leschès de Pyrrha vécurent probablement vers 650 avant J.-C. st surtout Virgile, dans l’Énéide, qui raconte les derniers moments de Troie et l’histoire du cheval, contriant à sa grande popularité. L’épisode fait l’objet de tout le Livre . Le Troyen Énée, qui était parvenu à s’enfuir la ville avec son fils et son père Anchise, s’attarde quelque peu auprès de Didon, reine de Carthage, avant de tir fonder Rome. C’est à elle qu’il fait longuement le récit de l’épisode.
‘‘ ■
Chant C’est a la dée pers, v dessei réveill charm condu bourg Elle la à l’une femm balle, servan trou d Et les de pou cris ! éveillé
4 re du ue fit na, ivin t ce le, ment on.
„
à la reine Arété, elle est d’une grande bonté et aura pitié de toi.” Sur ces mots, l’enfant disparut. Suivant son conseil, Ulysse s’avanca dans la grande salle et se jeta au pied de la reine. Il la supplia de l’aider à rentrer au pays de ses pères. “Mais qui es-tu, étranger ? Quel est ton nom et quels sont donc ces maux qui t’ont tant fait souffrir ?” lui demanda-t-elle. “Je vais te répondre, ô reine. Loin d’ici existe une île isolée qu’habite Calypso, la nymphe. Je m’y échouais un jour après que la foudre eut frappé et brisé en morceaux mon navire. Tout mon équipage avait péri. Calypso me recueillit, me soigna, me nourrit. Elle m’aima tant qu’elle me promit l’immortalité et la jeunesse éternelle si je restais auprès d’elle. Mais je refusais car au fond de mon cœur je souhaitais retrouver ma famille et mon île. Les années passèrent. Au bout de sept ans, elle accepta enfin, sur ordre de Zeus, de me rendre ma liberté. Je partis, mais une terrible tempête me jeta sur vos côtes. C’est là que je vis votre fille, la belle Nausicaa, qui accepta de m’aider. Telle est la vérité, ô reine.” Le roi lui prit la main, lui offrit l’hospitalité et promit de le reconduire dans son pays. Le lendemain, Alcinoos rassembla les
fallait bien venir à bout de la résistance des Troyens ! Ce fut Ulysse qui conçut la ruse pour prendre la ville, mettant son imagination et son intelligence au service des Grecs. Il demanda aux plus habiles charpentiers de construire un cheval géant en bois, entièrement creux. Épéios en avait fait la maquette en suivant les instructions d’Athéna. Les combattants grecs prirent place à l’intérieur. Mais il fallait trouver le moyen d’introduire le cheval dans la ville. Ulysse décida alors de se déguiser en mendiant pour pénétrer dans Troie et il réussit ainsi à recueillir de précieuses informations. Un beau jour, les Troyens virent les bateaux grecs prendre le large. “Finalement, l’armée ennemie abandonne le siège ! ” pensèrent-ils. En fait, les Grecs se cachaient dans une île toute proche, Ténédos. Et ils laissaient dans la plaine troyenne Sinon, un espion au service d’Ulysse. L’homme fut bientôt fait prisonnier par les Troyens et conduit devant le roi Priam. Tous réclamaient la mort du captif, mais le roi souhaita l’interroger. Il voulait surtout savoir ce que faisait ce cheval de bois abandonné sur la plage, aux portes de la ville. Pourquoi les Grecs
Phéaciens et organisa une grande fête en l’honneur de l’étranger. Ulysse y participa et impressionna ses hôtes par sa force athlétique. Au cours du banquet, il assista aux chants de l’aède Démodocos. Ulysse l’admira beaucoup : “Comme tu chantes bien le sort des guerriers Achéens, leurs maux et leurs exploits !”
l’avaient-ils laissé là ? Sinon avait une explication toute prête : “Ce cheval est un cadeau des Grecs, construit en hommage à Athéna”, répondit-il. Sinon réussit à conseiller au crédule Priam d’introduire le cheval dans la cité fortifiée. Si les Troyens le vénéraient, ce cheval assurerait bonheur et pouvoir à leur peuple, lui
s’exclama-t-il. Ulysse cependant voulait entendre une autre histoire, celle du cheval de bois qui allait apporter la mort aux Troyens. Il s’adressa à Démodocos avec ces mots : “Dis-nous comment le divin Ulysse introduisit ce piège dans Troie”. ■ L’aède ne se laissa pas répéter la proposition. Aussitôt, inspiré par le
dit-il. La tentation était forte, mais tous les Troyens n’étaient pas du même avis. Les uns voulaient précipiter le cheval dans la mer, les autres l’offrir aux dieux. Laocoon, le prêtre, lança un javelot au flanc du cheval, qui sonna creux, mais nul ne le remarqua. Cassandre, la fille de Priam, qui avait été condamnée par
dieu Apollon, il commença à chanter l’histoire du cheval de Troie. “Le siège de Troie durait déjà depuis dix ans. Les Grecs avaient combattu en vain pour ravir la belle Hélène, la princesse grecque enlevée à son mari, Ménélas, par Pâris, un Troyen. Les morts étaient nombreux de part et d’autre,
Apollon à ne jamais être crue, prédit que le cheval était un piège qui conduirait Troie à sa perte, mais personne ne l’écouta. À la fin, malgré les avertissements de Laocoon et de Cassandre, les Troyens, trop peu méfiants, ou trop heureux de faire la paix, oublièrent toute prudence. Ils abattirent une muraille pour laisser
mais les dieux n’avaient toujours pas décidé qui devait vaincre, des Grecs ou des Troyens. La ville de Troie était ceinte de murailles impressionnantes, érigées par le dieu Poséidon lui-même. Il était pratiquement impossible d’y pénétrer ! Après ces longues années de guerre, les Grecs imaginèrent un stratagème. Il
entrer l’immense cheval de bois. Bien naïfs, ils le tirèrent jusque sur l’acropole. Ils ne pouvaient pas se douter qu’il était plein de soldats grecs ! La belle Hélène s’approcha du cheval. Elle savait qu’à l’intérieur se cachaient les héros grecs. Elle commença à appeler chaque chef achéen en imi-
tant la voix de son épouse. Elle espérait ainsi que l’un des guerriers se trahirait et tomberait dans son piège. Mais Ulysse était là pour protéger les siens et il les empêcha de répondre à la voix trompeuse d’Hélène. Prise de remords, celle-ci décida enfin d’aider ses compatriotes. Elle monta jusqu’en haut de la ville, sur les remparts, et se mit à agiter une torche. C’était le signal pour que la flotte grecque revienne à Troie. Entretemps, Sinon, libéré, avait couru prévenir les guerriers enfermés dans le cheval : “L’heure est arrivée ! Il faut maintenant quitter votre cachot !” leur dit-il. Le monstrueux et imposant cheval commença à vomir des hommes armés. Jaillis du cheval qui les avait cachés jusque-là dans ses flancs, les Grecs se mirent à piller à droite et à gauche, et ils ouvrirent les portes de la ville aux autres guerriers revenus par la mer. Les hommes de Troie furent tués, les femmes furent emmenées comme esclaves. Les maisons s’effondrèrent les unes après les autres. La panique s’empara de tous. La ville était désormais détruite et dévorée par les flammes.” Démodocos mit fin à son chant, assurant que nul ne savait ce qu’était devenu le vaillant Ulysse. Tous écoutèrent le vieil aède chanter les exploits du héros, sans se douter qu’il était présent à leur côté. Mais Ulysse, entendant le ré-
is fils de monde outes te aux
„
cit de Démodocos, ne put retenir ses larmes. Il cacha son visage dans ses mains. Le roi Alcinoos remarqua l’émotion de cet étranger, qui n’avait toujours pas donné son nom, et lui en demanda les raisons. Ulysse n’avait plus motif de se cacher. Questionné, il déclina enfin son identité avec orgueil : ■ “Je suis Ulysse, fils de Laerte, dont les ruses sont fameuses partout, et dont la gloire touche au ciel”. La révélation de son identité bouleversa l’auditoire. Tous les Phéaciens se mirent à glorifier leur invité d’honneur, cet Ulysse dont ils avaient entendu la renommée en toute la Grèce. Le roi Alcinoos l’invita à raconter ses aventures. Ulysse entreprit alors le récit des multiples péripéties qu’il avait vécues avec ses compagnons, depuis leur départ de Troie.
Au Moyen un cheval
C’est à la Bourgogne, Raoul Le Fè entre 1464 histoires de et la prise d ment illust réalisée en Rolin, gran Les muraill en partie ab Troyens d’y val, ici en dans les fla les guerrie leur permet regrouper e de la ville à l’envahissen répandent e quartiers se diant les ma La scène es du Moyen  les armures et l’architec ses tours et semble à un Hainaut au
Raoul Le Fèvr Recueil des hi Flandre, 1495 Parchemin, 2 Paris, Bibliot France, Manu fol. 277v © BnF, Paris
reprises des dieux intervenant physiquement sur le champ de bataille. Athéna intervient à la fin de l’Odys pour mettre fin à la cruelle guerre contre les prétendants. Plus généralement, quand ils s’interrogent sur raisons d’un événement, les héros homériques y voient souvent la conséquence de l’intervention d’un d Si ces derniers peuvent agir directement, ils le font aussi en donnant des ordres ou des conseils aux homm Ainsi Athéna, dans le dernier épisode du poème, pousse Ulysse à se déguiser en mendiant (voir page 63 lui ordonne de se contenir et de mettre fin au combat contre les prétendants. L’ î l e d e S c h é r i e : l i e u u t o p i q u e ?
Troie Photographie de plateau du film Troy, Wolfgang Petersen, 2004 © Bureau L. A. Collections / Alex Bailey / Warner Bros / Corbis
L’épisode du cheval reste emblématique de la guerre de Troie. En 2004, le cinéaste ersen lui accorde une place à sa mesure dans ie, avec en vedette l’acteur Brad Pitt dans ille. L’immense cheval construit sans doute nches de bois provenant des navires grecs, des cordages sur l’Acropole de la ville. La
u mythe
foule en liesse, dansant et agitant des palmes, accueille favorablement cet étrange cadeau. Depuis les débuts du cinéma, les réalisateurs ont aussi, à diverses reprises, mis en scène d’autres épisodes de la guerre, notamment les amours de Pâris et de la belle Hélène ou le combat d’Achille et d’Hector. Citons à titre d’exemple, Hélène de Troie (Robert Wise, 1956) et La colère d’Achille (Mario Girolami, 1962).
Clés de lecture L’ i n t e r ve n t i o n d e s d i e u x d a n s l a v i e d e s h o m m e s
ns l’univers de l’Odyssée les dieux interviennent souvent dans la vie des hommes et influencent le délement des événements, tantôt en bien, tantôt en mal. Ainsi, le départ d’Ulysse de l’île de Calypso est-il idé par une assemblée des dieux réunis sur l’Olympe, que le poète relate amplement au chant . Le rôle Poséidon est essentiel : c’est sa colère contre le héros, coupable d’avoir aveuglé son fils Polyphème, qui est origine des multiples péripéties et obstacles qu’Ulysse va devoir affronter. À l’inverse, plusieurs divinités nnent au secours d’Ulysse. Athéna en premier lieu, puisqu’elle l’accompagne tout au long de son voyage, et ervient en particulier lorsqu’il débarque à Ithaque. Leucothée l’aide aussi : en lui offrant son voile, elle lui met de nager jusqu’à Schérie. Les dieux en effet ne restent pas toujours dans leur demeure de l’Olympe. apparaissent sur terre sous des déguisements divers : Athéna peut ainsi prendre l’aspect d’un jeune pâtre d’une petite fille. Dans l’Odyssée, le domaine privilégié de l’action divine est la navigation : il est question intes fois des tempêtes déchaînées par Zeus ou par Poséidon, mais d’autres divinités sont capables de mer les vents violents ou de faire souffler des vents favorables : Athéna, Éole (dieu des vents), Circé, ypso, etc. La guerre est l’autre domaine où se manifeste l’action des dieux. L’Iliade montre à plusieurs
Schérie, l’île où règne Alcinoos, a plusieurs traits qui font d’elle une forme d’utopie avant la lettre. Elle est p sentée comme un pays idéal où les habitants, marins civilisés, généreux, pieux, festoient et dansent au des cithares des aèdes. Les Phéaciens sont riches des produits de l’agriculture (huile, vin, céréales), mais sont aussi d’habiles artisans, constructeurs de bateaux et de produits raffinés. Cette île florissante, pais abri pour les naufragés, est bien loin de l’idéal héroïque et guerrier de l’Iliade. C’est un monde sans conflit tensions, qui contraste non seulement avec le monde sauvage des Cyclopes, mais aussi avec Ithaque qu’Uly retrouva dans un état de quasi barbarie. Les Phéaciens vivent à la fois dans une société pleinement huma dotée d’institutions, organisée en communauté harmonieuse et bien structurée, mais aussi presque fa leuse. Il se dégage de l’île une atmosphère particulière. Isolée, située en dehors des mers connues, c’est monde à part : les dieux se mêlent aux hommes dans un équilibre idéal ; les champs produisent des fru toute l’année ; les bateaux n’ont ni pilote ni gouvernail ; l’unanimité et la concorde caractérisent l’exerc du pouvoir ; la fille du roi est d’une beauté rêveuse et insaisissable. Schérie est l’île “de tout un peuple bon accord”, un lieu utopique dans le sens étymologique du terme : tellement parfait (eutopia) qu’il n’ex nulle part et ne pourrait pas exister (outopia). D’ailleurs, selon la terrifiante prophétie dont se souvien Alcinoos, Poséidon punira les Phéaciens, coupables d’avoir aidé Ulysse, en transformant leurs navires rochers quand ils rentreront au port. Encerclés d’une chaîne de montagnes escarpées (comme le racont chant ), ils perdent leur rôle de “passeurs”. Car l’île en fait est surtout un lieu symbolique, un lieu de tr sition qui marque pour Ulysse le passage du monde fabuleux où il errait, au monde réel, celui des homm C’est ici qu’Ulysse commence son retour à la vie normale, la reconquête de son passé et de son identité. Calypso et la tentation de l’immortalité
Pour le garder auprès d’elle, Calypso propose à Ulysse l’immortalité et la jeunesse éternelle. Double tentati celle de ne jamais vieillir, celle de ne jamais mourir. En refusant la proposition de la nymphe, Ulysse cho pleinement et volontairement la condition humaine et tout ce qui la caractérise : les ravages du temps souffrance et la mort. Il accepte d’assumer sa vie d’homme. Le cheval de Troie
L’épisode du cheval de bois insiste sur le rôle joué par Ulysse lors du siège de Troie : c’est lui qui est à l’orig du piège qui va entraîner la chute de la ville. La fin de la guerre est étroitement associée à ce héros. Ulysse “le rusé”, mais aussi “le preneur de la ville”. Le cheval de Troie est l’emblème même de l’intelligence stratégiq mais il est aussi porteur de ruine et de massacres. L’expression “cheval de Troie” est d’ailleurs passée dans le l gage courant pour qualifier un cadeau empoisonné, un don qui s’avère en fait être un piège. Ainsi Laocoon, p tre de Poséidon, dans l’Énéide de Virgile dira-t-il : “Je crains les Grecs, même quand ils apportent des cadeau
Au pays des Lotophages En préambule
À
l’invitation du roi Alcinoos, Ulysse entreprend de raconter les étapes de son voyage de retour v Ithaque depuis son départ de Troie.
Du pays des Cicones à celui des Lotophages
Ulysse et ses compagnons débarquent d’abord dans le pays des Cicones, sur la côte de Thrace, région de péninsule balkanique. Ils prennent la ville d’Ismaros et tuent ses habitants, alliés des Troyens, à l’except du prêtre Maron qui, en reconnaissance, leur offre douze jarres d’un vin doux. Ivres, les Grecs s’attarde Pendant ce temps, les Cicones trouvent du renfort auprès de peuples voisins et reviennent massacrer Grecs qui doivent fuir. Une violente tempête fait sortir leur flotte des mers connues et ils dérivent ver pays des Lotophages. Ce peuple est brièvement évoqué au chant de l’Odyssée (vers -). Deuxiè étape du périple, le pays des Lotophages marque une escale importante pour les hommes d’Ulysse, non s lement parce qu’elle les éloigne des côtes connues, mais aussi parce qu’elle symbolise un danger particu qui pèse sur tous les explorateurs : celui de la défaillance de la mémoire, de l’effacement du souvenir. Le pays des Lotophages a souvent été placé en Afrique du Nord. Dès l’Antiquité, les historiens l’ont situé bien à l’est du bassin méditerranéen, au sud de l’île de Chypre, sur la côte de la Cyrénaïque (actuelle Liby c’est le cas de Strabon dans sa Géographie, ou bien dans l’île de Djerba, au sud-est de la Tunisie. D’aprè témoignage d’Hérodote, les Lotophages habitaient le rivage de la mer, dans la partie occidentale de la Tri litaine actuelle (c’est aussi l’interprétation de Victor Bérard).
ys des Lotophages
e, Ulysse, casqué, ramène de force, en les agrippant par les agnons vers les navires qui les attendent. Sur le sol sont délicieux du lotos qui les ont amollis et leur ont fait perdre urner dans leur patrie. raite d’un recueil de 58 gravures réalisées en 1633 par Théod’après les tableaux qui ornaient les murs nord et sud de au château de Fontainebleau. Commencée en 1537 sous la ice, achevée vers 1570 par Niccolo Dell’Abate, cette galerie 39. Le choix des thèmes, au départ consacrés à l’Iliade et la mort de François Ier recentré sur les voyages d’Ulysse.
Le traitement des personnages aux corps musculeux est caractéristique du maniérisme en vogue au XVIe siècle. Théodore Van Thulden, Les Travaux d’Ulysse Paris, Pierre Mariette, 1633 Gravure à l’eau forte, Planche 5 Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et Photographie, SNR-3 Van Thulden © BnF, Paris
hassés par les Cicones, Ulysse et ses compagnons reprirent la mer précipitamment. Ils étaient heureux d’avoir évité la mort, mais ils pleuraient sans cesse leurs amis laissés sur le champ de bataille d’Ismaros. Ils n’avaient pourtant pas d’autre choix, ils devaient fuir au plus vite et poursuivre leur route. C’est alors que Zeus déclencha le vent du nord, le redoutable Borée, et une grande tempête. Il enveloppa de nuées la terre et la mer. Le ciel s’obscurcit soudainement, les vagues grossirent. Les nefs furent emportées loin de leur route, leurs voiles déchirées par la force du vent. La violence de la tempête obligea les équipages d’Ulysse à rejoindre la terre ferme à la rame. Accablés de fatigue et de douleur, craignant de mourir eux aussi, ils durent attendre deux jours et deux nuits pour retrouver leurs forces. Puis, ayant dressé les mâts et déployé les voiles blanches, ils s’assirent sur les bancs des rameurs, prêts à repartir. Ils seraient sans doute arrivés sains et saufs dans la terre de leur patrie, si la houle et le courant du cap Malée ne les avaient emportés par delà l’île de Cythère. Neuf jours durant, des vents funestes les entraînèrent dans une direction inconnue. À l’aube du dixième jour, Ulysse et ses compagnons débarquèrent sur une île. Ils étaient épuisés et affamés. Ils tirèrent les bateaux sur le sable fin de la plage, puis préparèrent en hâte le repas. Quand ils eurent satisfait leur soif et leur appétit, Ulysse s’adressa à deux de ses hommes : “Il faut que vous partiez explorer les lieux et appreniez quels sont les hommes qui vivent sur cette terre”. Ulysse ne savait pas encore qu’il s’agissait du pays des Lotophages, un peuple étrange qui se nourrit de lotos, une fleur mystérieuse. Dès qu’ils se mirent en chemin, les compagnons d’Ulysse rencontrèrent les Lotophages. Loin de se montrer désagréables ou méchants, ces gens accueillirent avec hospitalité les hommes envoyés en éclaireurs, et leur offrirent leur nourriture fleurie. Les compagnons d’Ulysse en mangèrent promptement. Ces fruits de miel étaient délicieux ! Mais, sitôt qu’ils y goûtèrent, ils perdirent tout désir de retrouver
leur foyer. Ils ne voulaient plus rentrer chez eux ni donner de leurs nouvelles. Pleins d’oubli, ils voulaient rester chez les Lotophages et manger encore du lotos. ■ Ne voyant pas revenir ses compagnons, Ulysse décida d’aller les chercher pour les ramener de force aux bateaux et les faire rembarquer. Les pauvres pleuraient, mais Ulysse ne se laissa pas attendrir. Il les entraîna contre leur gré, malgré leurs larmes, et les attacha sous les bancs des navires pour pouvoir repartir. Puis, sans perdre une seule minute, il rappela tous ses autres marins : “À bord ! Vite ! Montez ! Il faut reprendre le large ! ”, s’écria Ulysse. Il craignait qu’ils puissent, eux aussi, oublier la date du retour en mangeant les fruits de cette île. Ses fidèles compagnons s’empressèrent de remonter à bord. Chacun repris sa place sur les bancs et ils commencèrent à ramer sans plus tarder, espérant pouvoir rejoindre Ithaque au plus vite.
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Le récit
‘‘ ■
Chant Or, sit goûte miel, rentre de nou voudra chez c dattes ces fru à tout du ret
Clés de lecture Le lotos, mystérieuse plante de l’oubli
Les Lotophages sont un peuple qui, par opposition aux hommes “qui mangent du pain” (Odyssée , ), se nourrissent, comme leur nom l’indique (étymologiquement “mangeurs de lotos”), de lotos. Ils en consomment et en offrent à tous leurs visiteurs. Il est difficile d’établir avec certitude la nature du lotos. Il s’agit probablement d’une fleur. D’autres penchent pour une sorte de jujubier ou encore un palmier-dattier, deux arbres bien implantés en Afrique du Nord. Une autre interprétation veut que la plante en question soit le plaqueminier, dont les fruits seraient les kakis. Hérodote précise que ce fruit est à peu près de la grosseur de celui du lentisque, une plante qui donne des fruits rouges ou noirs, et d’une douceur pareille à celle des dattes. D’ailleurs les Lotophages en font aussi du vin. Selon Strabon, les feuilles et la racine du lotos dispensent de boire ou plutôt tiennent lieu de boisson. Pline l’Ancien, auteur et naturaliste romain (23-79 après J.-C.), parle plusieurs fois du lotos dans ses Histoires naturelles (, et , ). Il le décrit comme un arbre poussant en Afrique et acclimaté en Italie, de la taille du poirier. En tout cas, pour ce qui est de sa fonction, le lotos, au goût de miel et de fleurs, agit comme une drogue qui annihile la volonté et plonge tous ceux qui en dégustent dans les délices d’un bienheureux oubli, effaçant tous les soucis de l’existence. Pour Suzanne Saïd (Homère et l’Odyssée, Paris, Belin, 1998), le lotos prive l’homme “de ce qui le définit en tant qu’être humain, c’est-à-dire la conscience qu’il a d’appartenir à une famille et à une cité”. Dès le début du poème, Homère montre donc que l’oubli de soi pèse comme un danger permanent sur Ulysse et ses compagnons. Or, pour les Grecs, chacun a une place assignée dans l’ordre du monde. Pour être homme, il faut ne pas perdre le sentiment de sa propre identité, savoir d’où l’on vient, qui l’on est et assumer sa place dans la société. Tel est l’arrière-plan de toutes les aventures d’Ulysse ; d’autres épisodes du poème montrent que le danger du non-retour est toujours présent (Calypso, les Sirènes). Homère et la mer
Vents, vagues, courants marins, mer poissonneuse… l’Odyssée contient de nombreuses indications sur le milieu marin. Si l’on admet le caractère mythique du voyage d’Ulysse force est de reconnaître le réalisme avec lequel Homère dépeint tout ce qui touche à la mer : sans doute s’est-il inspiré des récits de marins et de leurs observations. La mentalité des navigateurs est bien rendue : leur peur des tempêtes, leurs interrogations face aux caprices des vents qui changent de direction brusquement, leur soulagement à l’approche des îles et des côtes annoncée par le vol d’oiseaux… La mer est chez Homère un monde vivant. C’est le domaine du dieu Poséidon et il recèle toutes sortes de dangers. Le premier de ces dangers, qui remplit de terreur les marins, ce sont les vents qui peuvent déclencher de violentes tempêtes, brisant les navires et provoquant les naufrages : c’est le cas du redoutable Borée, un vent du nord, au passage du cap Malée, au sud du Péloponnèse. C’est lui qui détourne Ulysse de sa route et le fait entrer dans des mers inconnues. Pourtant le vent est indispensable à la navigation. Calypso et Circé font souffler une légère brise de terre pour permettre à Ulysse de repartir et c’est pour qu’il navigue paisiblement qu’Éole lui confie l’outre où sont enfermés les vents mauvais. Homère décrit aussi toutes sortes de vagues et les courants qui parcourent la Méditerranée. La navigation est difficile dans les détroits où les courants se renforcent entre les parois rocheuses comme les terribles
Charybde et Scylla. Homère est bien le chantre d’une civilisation tournée vers la mer. En ce temps de lonisation, d’autres espaces s’ouvrent aux Grecs qui partent alors de leurs cité-mères explorer des riva inconnus pour y fonder des colonies, d’abord en Italie du Sud et en Sicile jusqu’aux rives de la mer Noir plus près de nous jusqu’à Massilia (Marseille). Postérité du mythe
Contrairement à d’autres, ce bref épisode de l’Odyssée n’a pas eu beaucoup de résonance, ni dans la litté ture ni dans l’art. Dans les sources anciennes, le lotos est principalement attaché à cet épisode de l’Odys Toutefois, dans ses Métamorphoses, le poète latin Ovide mentionne “l’aquatique lotos, dont les fleurs imiten pourpre de Tyr”. Ovide évoque brièvement l’histoire de la nymphe Lotis qui, poursuivie par Priape et fuy ses avances obscènes, fut transformée en lotos : il explique ainsi pourquoi des fleurs tombaient des gouttes sang et pourquoi les tiges tremblaient. On retrouve toutefois le motif de la plante de l’oubli dans de nombr récits folkloriques. Dans chaque culture on connaît des végétaux qui par leurs propriétés adoucissante calmantes passent pour apaiser la souffrance morale.