r é c i t s
p r i m o r d i a u x
Présentation de la collection Au commencement des apprentissages, pourquoi, dans les familles comme dans les classes, ne pas faire entendre aux enfants la grande musique des mots ? Pourquoi ne pas leur raconter ces récits fondateurs, ces récits qui datent de la jeunesse du monde. Issus de toutes les traditions, ils se sont transmis de génération en génération, portés par la parole des hommes, contés, chantés avant d’être écrits, réécrits, traduits pour devenir accessibles à tous. Qu’ils viennent de l’Orient ancien, d’Asie ou d’Europe, d’Amérique ou d’Afrique, ces récits qui nous parlent d’un temps où les dieux et les hommes entremêlaient leurs existences, appartiennent aujourd’hui au patrimoine de l’humanité. Nous les avons appelés récits primordiaux parce qu’ils sont à la fois premiers et fondateurs, ils portent les mythes et les croyances dont les hommes se nourrissent depuis toujours. N’ayons pas peur de les faire nôtres et de les transmettre avec nos mots, nos voix… Ainsi chaque ouvrage de cette collection propose, autour d’un thème ou d’un personnage, six récits, ou ensemble de récits, réécrits et adaptés par des spécialistes, universitaires et enseignants, pour être racontés aux enfants. En marge, de courts extraits font entendre la musique du texte original. Chacun de ces récits est encadré par un préambule qui le replace dans son contexte historique, mentionne ses sources, précise les langues originelles, et par des clés de lecture pour explorer plus avant sa signification et confronter les traditions. Raconter, c’est préparer et accompagner l’apprentissage de la lecture : l’écoute doit retenir l’intérêt et susciter la parole de l’enfant, favoriser la libre expression sur les thèmes entendus. Le récit constitue aussi une première approche du langage symbolique. À leur manière, ces récits disent quelque chose du monde et des hommes. Ils permettent de commencer à différencier ce qui est de l’ordre du savoir de ce qui relève de la croyance. En fin d’ouvrage des pistes pédagogiques sont proposées aux enseignants par des enseignants pour exploiter ces récits en classe. Et puis, il y a les images… Volontairement nous avons fait le choix de ne pas recourir aux dessins d’illustration mais de montrer des œuvres d’art, des enluminures, des peintures, des objets, de toutes origines et de toutes les époques. Ces documents nous montrent comment les récits primordiaux ont traversé les siècles et inspiré les artistes. Ces images sont commentées, l’une d’entre elles plus particulièrement, non pas qu’elle surpasse toutes les autres, mais parce qu’elle est emblématique et permet une première initiation à l’histoire des arts. Maintenant faisons cercle autour du conteur et laissons-nous pénétrer par ces mots venus du fond des âges et qui pourtant nous parlent encore.
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Présentation de la collection
1
r é c i t s
Dans la même collection U l ysse Marella Nappi A b ra h a m Laurent Klein D éesses de l ’O l y mp e Caroline Plichon
Cette col l ecti on est réa l i sé e en col l a b ora ti on a ve c l ’ IE S R L’Institut européen en sciences des religions (IESR) a été créé en 2002 par le ministère de l’Éducation nationale comme une composante de l’École pratique des hautes études et de sa section des sciences reli– gieuses. L’IESR est un lieu de réflexion, d’expertise, et de conseil consacré à l’histoire et à l’actualité des questions religieuses, et à la pratique de la laïcité. La participation à la mise en œuvre de l’enseignement des faits religieux à l’école laïque est au cœur des missions de l’Institut. Dans ce cadre l’IESR organise des stages de formation et contribue à des entreprises éditoriales. Dominique Borne, historien, doyen honoraire de l’inspection générale, est président du conseil de direction de l’IESR qui est dirigé par JeanPaul Willaime, directeur d’études à l’EPHE. www.iesr.fr
p r i m o r d i a u x
R é c its de c r é a tio n
collection que Borne
e produit gmar Rolf
Les auteurs Khashayar Azmoudeh, chercheur, docteur de l’École pratique des hautes études
ographes Kalaydjian Petitjean
(EPHE). Spécialiste de la philosophie islamique. Publications : nombreux articles notamment dans Jacques Potin et Valentine Zuber (dir.), Dictionnaire des monothéismes, Paris, Bayard, 2003 ; Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris, Robert Laffont, 2007.
graphique e Chabaud
Cécile Becker, docteur en Histoire de l’Art (Paris IV), chef du service culturel et
e en page e Gélibert
Maud Lasseur, professeur agrégé et docteur en géographie (Paris I). Domaine de
brication arc Guyan nick Rollo
ermes du ectuelle, uction ou entation, partielle blication, procédé ofilmage, sation...) e l’auteur nts droit st illicite ntrefaçon L. 335-2 du Code ctuelle.” alement e abusif otocopie quilibre u livre.”
aise, 2008
07124-8
pédagogique du musée Guimet. recherche : géographie des religions et rapports islamo-chrétiens au Cameroun. Publications : “Religions” dans Christian Seignobos (dir.), Atlas du Cameroun, Paris, Les Éditions J. A., 2006 ; “Nordistes musulmans et sudistes chrétiens s’affrontent dans les États africains”, dans Georges Courade (dir.), L’Afrique des idées reçues, Paris, Belin, 2006 ; “Cameroun, les nouveaux territoires de Dieu”, Afrique contemporaine, n°215, Paris, Agence française de développement, 2005-3.
Nathalie Toye, attachée d’enseignement et de recherche (2006-2008), doctorante à l’EPHE, Ve section (sciences religieuses). Domaine de recherche : la piété personnelle dans la religion de l’Égypte ancienne. Publications : “Amon-de-la-bonne-rencontre”, Gottingen Miszellen. Beitr. Zur ägyptol. Diskuss. Göttingen, 211, 2006 ; “A Particular Form of Amun at Deir elMedina : Amun-Rê n Ab.t jmn or Amun-Rê n Ab.(w)t Jmn ?”, Journal of Egyptian Archeology, Londres, 95, 2009 (à paraître).
Anna Van den Kerchove, professeur agrégé, responsable formation-recherches à l’EPHE-IESR. Domaine de recherche : cohabitations et contacts religieux dans l’Empire romain. Publications : “La voie d’Hermès, la question des sacrifices et les cultes orientaux” dans Religioni in contatto nel Mediterraneao antico, Actes des 3e rencontres sur les religions orientales dans le monde grec et romain, Côme, 26-28 mai 2006, Mediterranea IV, Roma, Bonnet C., Ribichini S., Steuernhagel D. (ed.), 2007.
Anne Zali, conservateur général responsable du service d’action pédagogique de la Bibliothèque nationale de France. Publications : La Naissance des écritures, direction d’ouvrage avec Annie Berthier, Paris, BNF, 1997 ; LA page, direction d’ouvrage avec Lucile Trunel, Paris, BNF, 1999 ; Livres de Parole, Torah, Bible, Coran, codirection d’ouvrage, Paris, BNF, 2005.
Remerciements À tous les membres du comité éditorial : Bernard Boulley, responsable du département des périodiques, des collections et du conseil éditorial de la Documentation française, Colette Briffard, agrégée de lettres classiques, Philippe Claus, inspecteur général de l’Éducation nationale, Mariannick Dubois-Lazzarotto, inspectrice de l’Éducation nationale, Anna Van den Kerchove, responsable formation-recherches à l’IESR, Laurent Klein, directeur, école élémentaire, Anne Latournerie, responsable du département des éditions de la Documentation française, Marie-Pierre Meynet-Devillers, professeur de lettres, Emmanuelle Wolff, professeur des écoles, Anne Zali, conservateur général de la BNF.
Sommaire Au co mmen c emen t … Dominique Borne 7
Myt h es de l’ Ég yp te an ci en n e Nathalie Toye 12
La n ai ss an ce d es di eu x ch ez le s Grecs Anna Van den Kerchove 24
R éc i ts de créati on b ib l iqu es Anne Zali 36
R éc i ts des or i gin e s da n s l ’In d e an c ien n e Cécile Becker 48
R éc i t de créati on d an s l e C oran Khashayar Azmoudeh 60
Myt h es du p ays dogon Maud Lasseur 72
U n e œu vre patr i mon i al e 84
Pis tes p édagog i qu e s Laurent Klein Emmanuelle Wolff 86
Image et création du monde “Tu ne feras point d’idole ni une image quelconque de ce qui est en haut dans le ciel ou en bas sur la terre” : l’interdiction délivrée par le deuxième des dix commandements a été interprétée avec plus ou moins de rigueur par les trois monothéismes, selon les époques. Certains manuscrits hébreux du Moyen Âge, comme les rituels de prières et les Haggadoth, font ainsi l’objet d’illustrations. Les Haggadoth sont des récits qui racontent la sortie du peuple hébreu hors d’Égypte et une explication des rituels du repas pascal. La présence ici dans l’image du thème de la Création suggère que le récit du “Commencement” se fait à la lumière de cet événement fondateur qu’est l’Exode. Séparation saisissante de la lumière et des ténèbres, puis des eaux d’en haut d’avec les eaux d’en bas, puis création de la verdure et apparition des luminaires tels sont, en conformité avec le texte de Genèse 1 (voir page 40), les épisodes évoqués par ce manuscrit. Cette représentation de la création, magistrale de sobriété, rend compte d’un imaginaire bien différent de celui d’un artiste de la Renaissance comme Michel-Ange, dont La Création d’Adam (voir page 84) est une exaltation de l’homme créé à l’image de Dieu.
Haggadah de Sarajevo Espagne, 1350 Paris, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits orientaux, 8° Fac-sim or 189 (1) © BnF, Paris
A
u commencement… Des récits racontent les débuts du mond Ne sont-ils pas les plus primordiaux des récits primordiaux ? Tou imaginent un début de l’aventure humaine, où se mêlent les dieu et les hommes. Ils nous viennent d’horizons différents, de ces régions de l Méditerranée orientale (Égypte, Grèce, rives du Jourdain, Arabie) qui sont berceau commun des civilisations méditerranéennes et européennes, ma ils nous viennent aussi d’ailleurs, de l’Inde ancienne, des traditions orale (africaines) du pays dogon. L’ensemble n’a pas vocation à être exhaustif nous avons choisi six traditions, mais il faudrait plusieurs volumes pour u inventaire plus complet de tous les récits primordiaux de création. Depu cinq mille ans les hommes ont-ils cessé de raconter le moment où tout commencé ? La longue naissance de ces récits
Ces récits de création ont vécu sous une forme orale et vagabonde, en passan de bouche en bouche depuis l’aube de l’histoire. Aujourd’hui, nous les lison dans des livres : ils sont l’œuvre souvent savante de scribes ou de prêtres. Le textes les plus anciens de l’Égypte des Pharaons ont été écrits au cours d e millénaire avant notre ère, le Véda est progressivement élaboré depuis e millénaire, le Grec Hésiode a composé sa Théogonie autour du e siècle e dans sa forme écrite, le récit de la Genèse naît un peu plus tard. Au e sièc de notre ère, le Coran reprend partiellement et transforme profondément texte biblique. Enfin, comment dater ces récits dogons qui circulent encor
et dont les versions écrites sont le résultat des travaux d’anthropologues du siècle dernier ? Ces récits viennent d’un groupe humain déterminé, mais ils ne sont pas nés en vase clos. Les traditions orales qui donnent naissance au récit biblique sont en consonance avec les récits babyloniens. Dans quels fonds puise Hésiode ? Il met en forme des mythes et des traditions orales que l’on retrouve également dans les poèmes homériques. Trois des six récits sont des œuvres complètes et rédigées : l’auteur de la Théogonie est Hésiode, la Genèse juxtapose deux récits de création, le Coran est écrit à partir de la révélation de Mahomet. Des scribes ont donc fixé des traditions qui, tout au moins pour la Bible et le Coran, deviennent canoniques et objet de croyances. Pour l’Égypte, l’Inde et le pays dogon, les récits sont construits en rassemblant des éléments plus dispersés. Il faut imaginer différentes traditions et non un récit cohérent. Des récits pour inventer à nouveau la naissance du monde
Ces récits ont été recopiés, lus et écoutés, ils ont été parfois chantés de génération en génération dans le cercle familial, dans les édifices religieux, dans les écoles. Certains – comme la Bible – ont été traduits dans de nombreuses langues. Ils ont tous suscité d’innombrables images. Les raconter aujourd’hui, ce n’est pas lire un texte figé, mais c’est donner vie à un patrimoine qui est le patrimoine commun de l’humanité. L’erreur première serait de se laisser intimider, de garder une distance respectueuse. Ces récits appartiennent à tous, ils nous appartiennent, à nous qui venons au bout d’un long cortège. Que chacun s’en empare ! N’hésitons pas à dire aux enfants : écoute ! Le monde commence, dans la fraîcheur retrouvée de l’aube des temps. Laissons se déployer librement les ailes de l’imagination et du rêve. Les mots s’envolent, nous entrons dans les forêts des symboles, dans un ordre d’intelligibilité et de vérité qui n’est pas l’ordre de la raison et de la recherche scientifique ; l’intelligence du monde passe aussi par le déploiement des symboles. Choisissons des images ou laissons les mots faire naître de nouvelles images, peu importe, l’essentiel est de raconter. Chaque fois le narrateur-conteur et le cercle de ses auditeurs inventent ensemble la naissance du monde.
La place des dieux – de Dieu ? – et la place des hommes
Ces récits de création ont été composés pour donner une culture commune e des croyances partagées à un groupe d’hommes. Après avoir rêvé leurs mot et leurs images et laissé résonner leurs symboles, vient comme une deuxièm étape le moment de la réflexion pour comprendre ces hommes à partir de origines qu’ils se sont imaginées.
Les symboles et les images reflètent d’abord un univers familier. L’imaginair part d’un réel et donne sens à un présent. Ces récits disent fidèlement e concrètement des morceaux de vie quotidienne. Les nomades des désert rêvent de jardins, d’oasis enchantées ; le fonio, céréale nourricière, joue un rô important dans le récit dogon, la sortie de l’Eden, dans la Genèse, résonn comme un écho douloureux de l’exil du peuple hébreu à Babylone, la rigou reuse répartition sociale qui régit le monde hindou est présente depuis l naissance du monde.
Mais, mêlé à ce temps quotidien, le monde des récits de création est aus une vision du divin : parfois les dieux s’affrontent dans de gigantesques e sanglants combats et les enfants qu’ils engendrent sont d’immédiats et redou tables rivaux. Alors l’homme n’existe que de biais. D’autres récits n’opposen au Dieu unique que la puissance du mal, l’homme est alors comme l’aboutisse ment de la création. Dans le premier cas, la création est la mise en ordre d’u chaos primordial. Comme si les éléments – l’eau, l’air, la terre, le feu – préexis taient à la volonté créatrice et que du geste de création naissait une harmoni Les hommes sont alors de simples éléments d’un ensemble d’autant plu fragile que sa construction est le fruit de subtils équilibres négociés par de puissances antagonistes. L’homme, parce que la moindre contrariété du divi rompt l’harmonie préétablie, craint les dieux et, pour les rendre propice multiplie les hommages, les prières et les sacrifices. Les récits de créatio n’ont-ils pas alors pour fonction de justifier un ordre terrestre ? De mainten la cohésion d’une société ? La plus grande partie des récits de création plac le geste créateur dans un présent d’éternel recommencement ou d’éternit
Toute autre est la création dans la Bible et le Coran : le travail du Dieu unique culmine dans la fabrication de l’homme et de la femme, sommet de la création et chef-d’œuvre du créateur. Mais l’homme ose user de sa liberté, il désobéit à Dieu. Alors, chassé du Jardin, il entre dans l’Histoire, et déjà s’annoncent les derniers jugements et la fin des temps. Les récits de création dessinent deux visions de l’homme, jouet de puissances qui le dépassent ou capable de vivre son histoire. Est-ce un hasard si cette démarcation sépare les mondes où le divin est multiple et les trois monothéismes ? Chacun à leur manière, le judaïsme, le christianisme et l’islam invente un Dieu qui donne à l’homme origine, liberté et destin. Des récits de mondes si lointains et si proches…
Les récits égyptien et grec appartiennent à des civilisations qui ont durablement marqué le monde méditerranéen, mais les croyances qu’ils révèlent renvoient à des religions mortes. Face à eux notre curiosité est curiosité de poète qui se nourrit d’images ou d’historien qui restitue les mondes disparus. Les textes qui viennent de l’Inde, comme les traditions orales des Dogons rapportées par les ethnologues, sont encore vivants, ils ont survécu aux transformations profondes des sociétés et cohabitent avec toutes les modernités de notre temps. Ces textes védiques et ces imaginaires africains représentent d’autres univers que le nôtre, ils n’ont pas irrigué directement les civilisations méditerranéennes : les découvrir permet de mieux percevoir le monde dans sa globalité et, plus simplement, de comprendre et respecter des croyances et des images qui ne sont pas les nôtres. Toute autre est la place des textes de la Bible et du Coran, ils ont constitué les monothéismes qui ont marqué la Méditerranée et l’Europe et qui, même dans leurs affrontements, se sont nourris de sources communes. Ces textes ont toujours été lus et diversement commentés, ils sont aujourd’hui encore livres de parole vivante pour les fidèles qui se réclament du judaïsme, du christianisme et de l’islam, mais aussi pour tous ceux qui, face aux croyances, veulent affirmer la légitimité de la raison.
Savoir et croire
Le monde hindou vit dans la certitude des cycles successifs de création et de destruction ; juifs, chrétiens et musulmans croient à l’unicité d’un Dieu créateur ; le renard pâle rôde aux confins des terroirs dogons. Pour certaines communautés humaines ces textes témoignent de la vérité d’une croyance. Leur ultime leçon est donc de faire apparaître que l’ordre de vérité de la croyance est radicalement différent de l’ordre de vérité du savoir. La démarche scientifique cherche et construit progressivement la vérité sans jamais l’atteindre absolument. La vérité de la croyance est vérité d’une autre nature… Elle explique par l’image et le symbole. On peut croire ou ne pas croire. La recherche raisonnable de la vérité s’impose à tous et à chacun.
te du dieu Ptah ynastie, époque de Toutankhamon (1335-1326 avant J.-C.) cm ; l. 16,5 cm égyptien du Caire, JE 60739 Margarete Büsing, Berlin, diffusion RMN
Ptah, créateur du monde Cette statuette en bois doré, retrouvée dans la tombe de Toutankhamon, représente le dieu Ptah. Il apparaît ici sous les traits d’un homme dont le corps est enserré dans un vêtement de plumes, moulant, un peu à la manière d’une momie. Il ne porte pas de couronne mais est coiffé d’un bonnet bleu cobalt, orné parfois de deux plumes. Il tient un grand sceptre dont la tête est composée de trois signes hiéroglyphiques (ouasankh-djed) qui signifient : force, vie et stabilité. L’or est la couleur associée au soleil, à l’immortalité, la couleur des dieux. Ptah, le dieu “au beau visage”, est le patron de la ville de Memphis où il est considéré comme le créateur du monde. Il porte dans ce cas le nom de Ptah Ta-tenen, qui signifie “la terre qui se soulève”. Il est l’époux de la déesse lionne Sekhmet. D’après les récits de Memphis, Ptah a créé le monde avec son cœur et sa langue (son verbe). Pour les Égyptiens, c’est avec le cœur que l’on pense ; cet organe est le siège de l’esprit, de la volonté, et non pas des sentiments. La tradition veut que Ptah ait prononcé avec sa langue le nom de toutes les choses que son cœur avait pensé. C’est ainsi qu’il donna vie au dieu Chou, l’Air, et à la déesse Tefnout, l’Humidité, qui euxmêmes donnèrent naissance à Geb, la Terre, et Nout, le Ciel. Il est dit aussi que par son verbe, Ptah créa les villes, les temples, les offrandes et tous les arts. “Ainsi ont été créés tous travaux et tout art, l’activité des mains, la marche des jambes, le fonctionnement de tous membres, selon l’ordre qu’a conçu le cœur et qui s’est exprimé par la langue, et qui est exécuté en toute chose.” (Document de théologie memphite VII)
Mythes de l’Égypte ancienne En préambule
M
ême s’ils relèvent du mythe, les récits de création du monde sont toujours liés aux origi des civilisations, à leur histoire, aux conditions dans lesquelles elles ont élaboré leurs valeu leurs structures économiques et politiques, leurs références, leur imaginaire. Non pas un mais des récits de création
L’Égypte des Pharaons s’est construite au cours d’une longue préhistoire à partir de peuplades de chasseu de piroguiers du Nil, de bergers, d’agriculteurs primitifs. Chacun de ces groupes avait développé ses prop croyances et sa propre pensée magique. À l’aube du e millénaire avant J.-C., ils s’unifièrent en un seul É regroupant quarante-deux provinces, vingt-deux pour la Haute-Égypte, au Sud, et vingt pour la Basse-Égyp au Nord. Mais chacune de ces provinces avait érigé un dieu au rang de patron protecteur et l’avait placé au cœ d’élaborations théologiques. Lors de l’unification, ces diverses croyances se juxtaposèrent pour aboutir à ensemble complexe, la “religion égyptienne”. Cause ou conséquence de ce processus, il n’y a pas dans la pen égyptienne de notion d’exclusivité : une même réalité peut être définie et approchée par des images variées des mythes différents. C’est pourquoi il n’existe pas un seul récit de la création du monde, mais plusieurs, et quantités de traditions apparentées. Cependant parmi les différents systèmes théologiques coexistant, trois se dégagent par l’influence qu’ils ex cèrent sur les autres et ce dès le IIIe millénaire : – la tradition d’Héliopolis, la “ville du soleil”, située en Basse-Égypte, est la théologie la plus ancienne, conn dès les Textes des pyramides. Héliopolis était une des capitales religieuses de l’Égypte, les pharaons venaien faire reconnaître leur pouvoir. Au cœur du temple d’Héliopolis, consacré au soleil, était placée une pierre dr sée, le benben, qui faisait l’objet d’un culte. Le benben symbolisait les rayons du soleil qui engendra le monde est à l’origine de la forme des obélisques ; – la tradition de Memphis, en Basse-Égypte, ville du dieu Ptah et capitale des bâtisseurs des pyramid L’antique cité ceinte d’un “mur blanc” était la capitale de l’Égypte sous l’Ancien Empire (2635-2140 avant J.-C. – enfin le système d’Hermopolis, en Moyenne-Égypte, la ville du dieu Thot, patron des lettrés. Il était composition certainement plus tardive et son origine géographique n’était pas exclusivement hermopolitai s’y mêlaient des éléments d’origine thébaine. Si ces systèmes nous livrent des développements théologiques différents, ils comportent néanmoins u trame commune. Bien sûr, à côté de ces trois traditions majeures, existaient bon nombre de récits parallè Chaque centre religieux, pour ne pas dire chaque temple, élaborait son propre récit de création et faisait d divinité locale le démiurge du monde. Le fait que plusieurs traditions coexistent dans une Égypte politiq ment centralisée et qui partageait les mêmes valeurs, posait néanmoins des problèmes de logique. La nécess
L’Égypte ancienne Mer Méditerranée
Bouto Saïs
Behédet Iséum Mendès
Busiris
BASSE - ÉGYPTE (Delta) Athribis
Héliopolis Le Caire
PÉNINSULE DU SINAÏ
Nil
Memphis FAYO U M DÉSERT
Hérakleopolis
MOYENNE - ÉGYPTE Oxyrhynkhos
Kynopolis ?
LIBYQUE
Hermopolis
DÉSERT
Hébenou Beni-Hassan
(Achmounein)
Hat-Noub
ARABIQUE
Cusae Lykopolis (Assiout) Aphroditopolis
Dendérah
Abydos
Coptos
Diospolis Parva Hermonthis
HAUTE - ÉGYPTE Nekhen (Hierakônpolis)
Thèbes (Karnak, Louqsor) Nekheb (El-Kab)
Abou (Île Éléphantine)
Centre religieux
Apollinopolis Magna (Edfou)
(Assouan)
NUBIE
100 km
Memphis
Mer Rouge
Panopolis This
0
À côté du découpage administratif en quarante-deux provinces réparties en Haute-Égypte et Basse-Égypte, existe un découpage géographique qui distingue la Haute-Égypte (sud de l’Égypte, à peu près de la région thébaine, Karnak, Louqsor, à l’actuel barrage d’Assouan), la MoyenneÉgypte (partie centrale, du nord de la région thébaine à la région du Fayoum) et la Basse-Égypte (delta du Nil). Ainsi Hermopolis se situe géographiquement en Moyenne-Égypte mais administrativement dans la 15e province de la Haute-Égypte.
au-dessous du niveau de la mer
Abydos Centre urbain
0 à 200 m
(Edfou) Ville et noms modernes
au-dessus de 200 m
Source : d’après Georges Duby, Grand Atlas historique, Paris, Larousse, 1997 © La Documentaion française
boutir à une cohérence de points de vue se faisait sentir. De ce fait, tout au long de l’histoire pharaonique, et manière croissante jusqu’aux périodes les plus tardives, les prêtres des différentes villes tentèrent d’élaborer s synthèses permettant de concilier les données contenues dans les diverses traditions. Ils recoururent pour a à des procédés qui consistaient le plus souvent à subordonner au grand dieu local les démiurges reconnus eurs, dans d’autres centres religieux, ou bien encore à présenter les démiurges étrangers comme des émanans, des hypostases – formes diverses sous lesquelles se manifeste une même divinité – du dieu local. Ainsi ent bâties des synthèses cosmogoniques entre les différentes traditions et principalement entre les trois s influentes.
En Égypte, “le récit de création” – l’emploi du singulier est ici inadapté – est donc loin d’être un récit figé. Il s constitué tout au long de l’histoire pharaonique. Les textes sont connus, recopiés et lus encore sous la domi tion romaine, tant que les temples sont en activité. Il faut attendre la fermeture du dernier temple, celui d’ à Philae sur décision de l’empereur Justinien en 535-537 après J.-C. et l’interdiction de pratiquer le culte p que ces récits cessent d’être enrichis. Des sources variées
Les textes que l’on a retrouvés et qui évoquent la création du monde appartiennent donc à toutes les pério de l’histoire pharaonique depuis l’Ancien Empire (2635-2140 avant J.-C.) jusqu’à l’époque où l’Égypte était so domination romaine (30 avant J.-C.-392 après J.-C.). Ils sont écrits en égyptien hiéroglyphique, c’est-à-dire “écriture sacrée”, traduction littérale du terme grec “hiéroglyphe”, et en hiératique qui est une cursive du hié glyphique employée pour les écrits sur papyrus ou sur ostraca, qui sont des fragments de poterie ou des écl de calcaire servant de support d’écriture, beaucoup moins coûteux que le papyrus. Ces textes sont d’une grande variété. Parmi eux citons : – les Textes des pyramides : ce sont des textes funéraires royaux gravés à l’intérieur des pyramides à partir règne du roi Ounas (2350-2321 avant J.-C.), pharaon de la Ve dynastie. Leur efficacité magique a pour d’aider le roi dans son périple pour rejoindre le ciel et accéder à l’éternité auprès des dieux, après s’être lui-mê transformé en dieu Osiris ; – les Hymnes aux dieux : ce sont des textes religieux destinés à louer le dieu et dans lesquels sont mis en av les qualités démiurgiques, c’est-à-dire créatrices, de la divinité et les procédés qu’elle employa pour crée monde ; – les Textes des sarcophages et le Livre des morts : il s’agit de recueils de formules et de textes magiques compo pour faire revivre les morts en les identifiant aux dieux. Mis à part un document, le Document de théologie memphite (daté vers 710 avant J.-C., mais on place la premi rédaction autour de la Ve dynastie, environ 2500 ans avant J.-C.), ces textes ne sont pas à proprement pa des récits qui racontent la genèse du monde, mais ils y font allusion dans des contextes variés. Il est de ce difficile d’en extraire un récit “type” pour raconter cette “première fois”, expression employée par les Égypti pour désigner la création du monde. Les récits qui suivent s’inspirent donc librement de deux des principa traditions, celles d’Héliopolis et d’Hermopolis, qui sont aussi celles pour lesquelles les reconstitutions les p complètes ont pu être proposées.
Les signes qui composent les hiéroglyphes sont de deux types : - d’une part il y a ceux qui ont une valeur phonétique, c’est-à-dire qui marquent un son. Ce sont des idéogrammes et des phonogrammes. Les idéogrammes sont des signes qui notent un mot. C’est-à-dire que le dessin représente le mot et note sa prononciation. Les phonogrammes ne notent que les consonnes mais leur prononciation se faisait avec des voyelles qui étaient ajoutées oralement. Ils notent un ou plusieurs sons, ils dérivent des idéogrammes par le principe du rébus, mais n’ont pas de rapport sémantique avec le dessin qui sert à les écrire. - d’autre part les déterminatifs qui n’ont qu’une valeur sémantique. Ces signes ne se prononcent pas. Ils indiquent à quelle catégorie appartient un mot : un élément naturel, un animal, un dieu, une activité humaine, une construction (architecture), etc. Ils permettent donc de distinguer des mots qui s’écrivent et se prononcent de la même façon mais qui n’ont pas le même sens. Par exemple, dans le mot ra = le soleil : le signe est un idéogramme, il représente une bouche de face, il se lit r et signifie “bouche” ; le signe est aussi un idéogramme, il représente un bras de profil, il se lit a et signifie “bras”. L’association des deux signes se lit ra et signifie “soleil”. Dans ce contexte, les deux idéogrammes sont utilisés en tant que phonogrammes. Le déterminatif qui suit représente un soleil et indique que le mot appartient au champ sémantique du soleil, de la lumière. Dans les exemples ci-dessous il n’y a pas d’idéogrammes mais simplement des phonogrammes et des déterminatifs. b
Déterminatif qui représente une pyramide, car la pyramide symbolise le benben, la pierre levée.
n bnbn = benben ra = Rê (le nom du soleil)
Déterminatif qui représente le soleil.
Déterminatif qui représente un dieu. Cela veut dire que le mot écrit est le nom d’un dieu.
Jtm Ra-Jtm = Rê-Atoum
Déterminatif qui représente trois filets d’eau. Cela indique que le mot Noun désigne un élément liquide.
Nwn = Noun
Le récit d’Héliopolis
u commencement, il y avait le Noun, une immensité d’eau qui contenait en elle les germes de la création, c’est-à-dire tous les éléments, on pourrait dire les ingrédients, qui allaient permettre de créer le monde. Dans cette vaste étendue d’eau nageait le démiurge, le futur créateur du monde. Il avait pour nom Rê-Atoum. C’était le dieu-soleil, un être parfait. Un jour, il eut envie d’avoir un sol où se poser car il était bien fatigué de nager. Alors, en se servant des éléments qui étaient dans le Noun et de toute sa magie, il créa une première pierre, qu’on appelle le benben. Certains disent qu’il s’agissait plutôt d’une motte de terre ou d’une colline de sable. Personne ne le sait vraiment.
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Les récits de la “première fois”
Les hiéroglyphes
En tout cas, cette première pierre permit à Rê-Atoum de quitter les eaux du Noun alors que le sol terrestre n’existait pas encore, et, en apparaissant, de faire jaillir la lumière. À partir de là, il put commencer à agir et à créer. Rê-Atoum utilisa un procédé bien étrange : il cracha. Non pas de la salive, mais deux divinités : le dieu Chou, l’Air, et la déesse Tefnout, l’Humidité. ■ Ce premier couple se chargea de poursuivre et de compléter l’œuvre de création commencée par leur père. Chou et Tefnout donnèrent à leur tour naissance à deux enfants : le dieu Geb, la Terre, et la déesse Nout, le Ciel. Chou dut séparer le Ciel et la Terre de manière à créer un vide entre eux, un espace pour permettre à la vie d’apparaître et de se développer. Pour cela, Nout fut élevée dans les airs par son père et c’est son corps étoilé qui forme la voûte céleste. Mais Chou ne voulait pas que celle-ci retombe sur la terre et anéantisse la création, alors il fit naître des sortes de génies-gardiens pour soutenir les cieux. À quoi ressemblaient ces petits êtres ? Personne ne le sait. On ne connaît que leur nom : ce sont les huit héhéou. À cette étape, le monde n’était pas encore achevé, alors Geb créa les minéraux et les plantes. Et Nout mit au monde les autres dieux : Osiris, Isis, Seth et Nephtys. Ainsi sont nés les neuf dieux et déesses qui forment l’Ennéade.
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Une fois le ciel, la terre, les dieux et tous les autres éléments de la création mis en place, Rê-Atoum, voyant que ses enfants, Chou et Tefnout, n’avaient plus besoin de lui, se retira dans le ciel. Triste de ne plus être auprès d’eux, il pleura, et ses larmes donnèrent naissance aux êtres humains. Ensuite, les dieux de l’Ennéade s’occupèrent d’organiser et de diriger le monde afin qu’il fonctionne correctement. Osiris reçut pour royaume les terres fertiles d’Égypte. Avec sa sœur et épouse Isis, il fut chargé d’apporter la civilisation aux hommes, notamment l’art et l’écriture, et d’assurer la fertilité des sols pour que les récoltes soient abondantes. Seth et Nephtys, eux, devaient s’occuper des terres arides et des déserts. Mais ce partage ne satisfaisait pas Seth qui avait un caractère envieux et violent. Rongé par la jalousie, il assassina son frère pour lui voler son trône. Il découpa son corps en morceaux qu’il dispersa à travers toute l’Égypte. Ainsi Seth introduisit-il le mal dans le monde. Comme Osiris n’avait pas d’enfant, donc pas d’héritier, Seth devenait le mieux placé
Rê-Horakhty = le soleil couchant
Nout
pour lui succéder. C’était compter sans la détermination d’Isis qui, aidée par sa sœur Nephtys, retrouva toutes les parties du corps de son époux et réussit à le reconstituer. Grâce à des formules magiques, elle lui redonna vie et eut de lui, en cachette, un fils, Horus. Elle dissimula l’enfant dans les marais du delta afin de le protéger de son oncle Seth jusqu’à ce qu’il fut en âge de le combattre. Après une lutte acharnée, Horus récupéra le trône de son père et devint ainsi le premier pharaon à régner sur les terres d’Égypte. Osiris, lui, se retira dans le royaume des morts pour y régner. La création était maintenant terminée, le monde était organisé, mais le Noun n’avait pas pour autant disparu. Il restait cantonné aux limites de l’univers et menaçait sans cesse de l’envahir et de le détruire si l’équilibre parfait, la Maât, que le créateur avait mis en place était modifié. Pour éviter que cela n’arrive, le pharaon célébrait chaque jour le culte. Ainsi l’ordre du monde était préservé et le Noun refoulé au loin.
œil, oudjat (= amulette protectrice)
Geb
Chou
barques de Rê, avec Maât (ordre, justice) et Héqa (déesse de la magie) : elles montrent le parcours du soleil pendant la nuit, qui passe par les différentes étapes de la création.
Voyages du dieu-soleil
Les Égyptiens n’ont jamais directement représenté la création du monde. On trouve certaines images qui y font référence dans des documents funéraires où ce thème est abordé pour sa signification mythique. Le défunt au moment de la mort reproduit un parcours semblable à celui du soleil qui doit se régénérer chaque nuit pour renaître au matin. Tout comme celui de l’astre, ce parcours prend la forme d’une navigation dans une barque sur “le fleuve d’en bas” qui est en fait le ciel nocturne. Ainsi sont reproduits certains éléments de la naissance du monde mais qui ici illustrent une renaissance. Une des scènes représentées sur ce papyrus reprend un thème de la
tradition d’Héliopolis : la séparation du ciel, Geb, et de la terre, Nout, par leur père, Chou, l’air. S’y ajoutent d’autre éléments typiquement funéraires dont la fonction es d’apporter force et protection au défunt afin qu’il renaisse dans l’au-delà. Papyrus funéraire de Tentamon, chanteuse d’Amon-Rê Égypte, Thèbes Milieu de la XXIe dynastie (1069-945 avant J.-C) Encre et pigments sur papyrus, H. 35 cm ; l. 110 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits orientaux, Égyptien 172, rouleau © BnF, Paris
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Le récit d’Hermopolis
u commencement était le Noun, une immense masse d’eau qui contenait en elle les germes de la création. Seule une île émergeait des eaux. Cette première terre, les anciens Égyptiens l’appelaient l’île de l’embrasement. Un jour, alors que le monde était encore plongé dans les ténèbres, de curieux êtres sortirent du Noun pour se poser sur l’île, car ils souhaitaient faire apparaître la lumière. Ils étaient huit, quatre couples composés chacun d’un dieu et d’une déesse. On les appelle l’Ogdoade. Le premier couple, Noun et Naunèt, représentait les eaux primitives, celles qui allaient permettre à la vie de naître. Le deuxième couple, Héhou et Héhèt, constituait l’infinité spatiale qui permet à l’univers de ne pas avoir de limites. Le troisième couple, Kékou et Kékèt, formait les ténèbres, la nuit permanente qui recouvrait le monde avant que ne jaillisse la lumière. Enfin, le dernier couple, Amon et Amonèt, représentait ce qui est caché, tout ce que l’on ne connaît pas, ce que l’on ne peut pas voir mais qui pourtant existe. Ces huit créatures étaient vraiment très étranges : les mâles avaient des têtes de grenouille sur des corps d’homme, et les femelles des têtes de serpent sur des corps de femme. Tous portaient aux pieds des chaussures en forme de tête de chien. Pour pouvoir créer le monde, les quatre couples se transformèrent en taureaux et en vaches, et s’unirent. ■ Mais ils fécondèrent par accident un bouton de lotus qui se trouvait dans le Noun. En s’ouvrant, les pétales bleus de la fleur donnèrent naissance à un enfant qui portait sur la tête une couronne et un uraeus, c’est-à-dire un cobra dressé en position d’attaque afin de le protéger. Cet enfant parfait était Rê, le jeune soleil. Lorsque le petit garçon s’éveilla et ouvrit les yeux, il illumina la terre et sépara la nuit et le jour. Il créa les dieux par sa bouche et les hommes par ses yeux. ■ Certains disent que Rê naquit d’un œuf et non pas d’un lotus, d’autres pensent que c’est un grand oiseau – une oie du Nil – appelé le Grand Jargoneur, qui par ses cris sortit le monde du silence et pondit l’œuf contenant le dieusoleil. Peu importe, la lumière était née, les dieux, les hommes, et toutes les choses du monde. Et grâce à cette lumière, la vie pouvait exister sur la terre.
Talisman Égypte, p XXIIIe-XX vers 750Faïence s H. 9,6 cm Paris, mu départem égyptien E 10943 © Dagli O
Ce petit objet en faïence est un talisman ayant appartenu au roi Osorkon. C’est un objet magique destiné à protéger le pharaon et à lui conférer certains pouvoirs. Il représente un cercle, avec au pied une sorte de nœud, qui symbolise l’univers ; au centre, un enfant nu est assis sur une fleur. Il porte un doigt à sa bouche, attitude qui pour les Égyptiens caractérise les enfants. Il est coiffé d’un disque solaire qu’encadrent deux uraei, cobras en position pour l’attaque qui symbolisent la puissance du soleil et sa
Le dieu Rê enfant sur son lotus
force protectrice. Cet enfant est le jeune soleil, né du lotus, qui créa le monde, selon le récit d’Hermopolis. Il est entouré de deux déesses qui ont la forme de serpents ailés, coiffées elles aussi de disques solaires. La couleur bleu-vert (turquoise) symbolise la vie, la vitalité, la régénération, la force. Elle est utilisée pour la majorité des amulettes protectrices. Tout autour du cercle, des inscriptions en hiéroglyphes demandent au dieu-soleil d’accorder au roi la même puissance que celle des dieux et de faire en sorte que son prestige se répande sur toute l’Égypte.
Clés de lecture La place de l’homme dans la création
Dans les différents récits de création de l’Égypte ancienne, l’homme n’est pas au cœur de la création. E apparaît comme une œuvre globale, construite par le démiurge étape par étape à partir du chaos origine Noun : le sol et le relief d’abord, avec l’émergence d’une butte, puis la lumière du soleil, les eaux primordia génératrices de vie (le Nil, les sources), et enfin les dieux et les hommes, ainsi que les animaux et les plan Le démiurge met tout en place jusqu’à l’organisation sociale de la civilisation égyptienne, avec à sa têt pharaon qui assure la jonction entre le monde des dieux et celui des hommes par sa filiation avec Horus fils d’Isis et d’Osiris. L’homme apparaît presque anecdotique, noyé dans le processus créatif. Pourtant tout ce qui est créé est p lui, ou plutôt devrait-on dire, pour l’homme égyptien, car la création telle qu’elle ressort des récits corr pond aux paysages de la vallée du Nil et à la vision que ses habitants ont du monde qui les entoure.