The Red Bulletin CF 07/22

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SUISSE JUILLET-AOÛT 2022 3,80 CHF

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HORS DU COMMUN

Fabienne Sutter, 31 ans, surfeuse suisse de haut niveau, ici lors d'un échauffement dans les montagnes valaisannes.

C’EST PAR OÙ LA MER ? Comment la Suisse est devenue une nation de surfeurs Plus : les 6 meilleurs spots de surf pour pros et débutants

C H A N N I N G TAT U M / C A R I S S A M O O R E / PA B L O C A P R E Z / D E L E I L A P I A S KO / J U D I T H W Y D E R


Voici à quoi ressemble le futur. La Volvo C40 Recharge Pure Electric. Jusqu’à 444 kilomètres d’autonomie. Un intérieur sans cuir. Et les services Google intégrés. Découvrez l’avenir de la mobilité: la Volvo C40 Recharge complètement électrique. Disponible en ligne sur volvocars.ch/C40

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A B C D E F G

A


É D I TO R I A L

BIENVENUE

DOM DAHER (COUVERTURE), PENGUIN RANDOM HOUSE VERLAGSGRUPPE GMBH

TOBIAS GÖBEL

TOUS AU VERT !

DES HÉROS TRÈS DISCRETS Yannick Ducrot (en haut) était en charge du sèche-cheveux lors de notre séance photo. Et Hubert M ­ arclay (en bas), propriétaire de la vache Caïpirinha, lui a fait prendre la pose. Page 38

Elle s’appelle Caïpirinha et préfère l’eau claire des montagnes : la vache qui apparaît sur notre couverture à Champéry, dans la Région Dents du Midi, avec la surfeuse Fabienne Sutter, 31 ans, marque le début de la saison chaude. B ­ ientôt, les 45 000 surfeurs et surfeuses du pays partiront en quête de la vague p ­ arfaite. Non pas en France ni à Bali, mais à Bremgarten ou à Sion. Car la Suisse est une véritable nation de surfeurs. La preuve ? Page 38 ! Cet été, l’acteur Pablo Caprez, 23 ans, passera aussi beaucoup de temps à l’extérieur, sur un terrain de foot. Page 32, le lauréat du Prix du cinéma suisse nous explique pourquoi la communauté et la famille sont plus importantes pour lui que le métier d’acteur. Et enfin, des danseurs de toutes formations se délient eux aussi en plein air, devant l’objectif du photographe Little Shao, 39 ans. Ses photos spectaculaires sont à ­découvrir dans un portfolio page 20.

JOLI TRAIT

Le dessinateur Nicolas Mahler livre en page 98 une galerie de personnages truculents. Son roman graphique dédié à Romy ­Schneider est dispo en allemand.

1 000

mètres de dénivelé vous attendent si vous allez faire du trail running à Davos. Page 73

Bonne lecture ! La Rédaction

OÙ SONT LES ­VAGUES ?

Rivière, lac ou piscine ? Les six meilleurs spots de surf de Suisse. Page 50

THE RED BULLETIN

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CONTENUS The Red Bulletin juillet-août 2022

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SUJET DE COUVERTURE

38 NATION DU SURF

Le pays des montagnes, un paradis du surf ! Pionniers et pros nous racontent toute l’histoire de la planche. Plus : nos 6 meilleurs spots de surf.

5 MINUTES CHRONO

SANS DOUTE Si aujourd’hui Carissa Moore surfe la vague du bonheur, c’est que c’est mérité !

62 M ISTER COOL

B-Boy Said délivre ses conseils pour rester calme avant un grand événement.

CHESSBOXING

64 U N ROI À TERRE

20 EN APESANTEUR

Devant l’objectif de Little Shao, les danseurs défient toutes les lois de la physique.

CINÉMA I

32 UN AIR DE FAMILLE

Pablo Caprez, le lauréat du Prix du Cinéma Suisse, en privé et en personne.

CINÉMA II

34 UN HOMME ET SON CHIEN Pour son nouveau film, le BG Channing Tatum s’est rapproché de la gent canine.

36 ENTRE LES MURS

L’actrice Deleila Piasko parle du pouvoir de se libérer des carcans sociaux et de soi-même.

SURF

52 L E POUVOIR D’ALOHA

Grâce à lui, la surfeuse Carissa Moore a vaincu ses doutes. Elle est aujourd’hui la n° 1 mondiale.

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PERSPECTIVES Expériences pour une vie amélorée

73 VOYAGE. Judith Wyder court avec nous sur les crêtes de Davos. 78 BIOHACKING. Concentration ­totale… grâce à une casquette ! 80 PLAYLIST. Les 4 chansons favorites des Fontaines DC.

36 SANS PEUR À quoi ressemble le désir de ­liberté de l’actrice Deleila Piasko ?

82 L E COIN LECTURE. Terry Miles vous rendra addictif.

CINÉMA III

6 GALERIE 12 L’ADDITION, S’IL VOUS PLAÎT !

Trois minutes d’échecs, trois minutes de boxe. Notre auteur en mode « J’ai testé pour vous ».

84 TENDANCE. La sélection aux petits oignons de la rédaction. 86 AGENDA. Des événements à ne manquer sous aucun prétexte. 88 MATOS. Les meilleurs produits pour l’été en plein air. 92 B OULEVARD DES HÉROS. L’histoire revisitée de la légende du football brésilien Garrincha.

14 OBJET TROUVÉ 16 LE MOMENT PHILO 18 AUJOURD’HUI DEMAIN

96 MENTIONS LÉGALES 98 LE TRAIT DE LA FIN

64 SANS PITIÉ Adversaires sur le ring et sur le plateau, Anatol et Josef la jouent fair-play...

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JEREMIAH KLEIN/RED BULL CONTENT POOL, JEANNE DEAGRAA/PHOTOSELECTION, NORMAN KONRAD, LITTLE SHAO

PORTFOLIO


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LE MAESTRO DES ONE-SHOTS L’ancien B-Boy Little Shao réalise des prises uniques de danseurs en apesanteur.

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WAYNE REICHE/RED BULL CONTENT POOL

DAVYDD CHONG


LE CAP, AFRIQUE DU SUD

Tuyauté En voyant un gros tube, un type de base se dirait : « Oh, un gros tuyau. » Pas un rider BMX. Comme l’explique le photographe Wayne Reiche : « Le BMXer Murray Loubser et moi avons repéré cet énorme élément de chantier et on s’est échauffés. Nous avons appris par un ouvrier qu’il allait être découpé (le tuyau, ndlr) et qu’on ­pouvait le rider. C’était serré, mais Murray a envoyé du gros. » Cette photo a valu à Reiche une place en demi-finale du concours photo Red Bull Illume. waynereiche.com


CIEL DE LA CLUSAZ, FRANCE

Jamais vu Dans sa vidéo Sky Skiing, le Soul Flyer Fred Fugen repousse une fois de plus les limites du possible. L’idée du Français ? Sauter à 6 500 m d’altitude, skis aux pieds, enchaîner des figures en chute libre et atterrir sur une pente en speedriding. Première mondiale assortie d’une spécificité : un départ depuis un télésiège accroché à une montgolfière. « J’ai volé pendant une demi-heure sur un télésiège, raconte Fred. J’étais hyper bien assis (rires). C’était très marrant, et surtout, c’est du jamais vu à ma connaissance ! » À voir sur redbull.com


ÎLE DE SIARGAO, PHILIPPINES

Éternelle

DOM DAHER/RED BULL CONTENT POOL, MATT POWER/RED BULL ILLUME

DAVYDD CHONG

Pour un photographe, la patience est un outil vital. Sans elle, cette photo de Matt Power, prise aux Philippines, n’existerait pas. « J’attendais que tous les éléments s’alignent : le coucher du soleil, une houle propre, une eau claire et un surfeur talentueux, explique-t-il à propos de cette image, qui a atteint la finale du concours photo Red Bull Illume. Le spot était très fréquenté ce soir-là, et le surfeur m’est inconnu, ce qui rend ce cliché mystique. Je le chérirai à jamais. » mattpowerphoto.com

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CARRARE, ITALIE

Une image aussi belle que son sujet est tristement célèbre. Il s’agit des carrières de Carrare. Pourquoi sont-elles célèbres ? Parce que l’on y extrait du marbre, inlassablement, depuis l’époque romaine. Et parce que le paysage de la Toscane en porte encore les cicatrices. Voilà ce sur quoi le photographe italien ­Federico Ravassard et ses acolytes grimpeurs veulent attirer l’attention. Ce bassin s’est en effet formé de manière fortuite à cause de la poussière de marbre qui scelle le sol : l’eau de pluie, emprisonnée, ne peut plus s’écouler normalement. f­ edericoravassard.com 10

FEDERICO RAVASSARD/RED BULL ILLUME

L’autre côté du ­miroir



L’A D D I T I O N , S ’ I L VO U S P L A Î T !

HARRY POTTER

C’est pas sorcier C’était il y a 25 ans : Joanne K. Rowling vit des aides sociales, et publie le premier des sept tomes relatant les aventures de l’apprenti sorcier Harry Potter. La fortune de l'auteure ­anglaise s’élève aujourd’hui à plus d’un milliard de francs suisses. Faisons les comptes.

éditeurs ont reçu le tout ­premier manuscrit en 1996. Ils l’ont tous refusé.

dollars : les droits payés par l’éditeur US Scholastic pour le premier tome.

8,3

820

millions d’exemplaires des Reliques de la Mort, le dernier tome de la série Harry Potter, ont été vendus en 24 heures en 2007.

millions de livres (plus d’un ­milliard de francs) : la fortune ­estimée de J. K. Rowling.

10,4

79 455

mots pour un total de 6 095 pages que comptent les sept v­ olumes de Harry Potter.

mètres : la longueur du tapis rouge lors de l’avant-première des Reliques de la mort à Londres.

19

7 726 174 542

29

nations ont participé, en 2018, au 4e championnat du monde de Quidditch, à Florence (Italie).

dollars (7 750 666 515 francs) de recettes pour les 8 films au ­cinéma et dans le monde ; un record pour une série fantastique. 12

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CLAUDIA MEITERT

1 084 170

HANNES KROPIK

millions de fans au parc d’attractions The Wizarding World of Harry Potter à ­Orlando rien qu’en 2019.

Le nombre de langues dans l­esquelles la saga a été traduite, dont en maori, yiddish et kazakh.

ans après le dernier livre, la pièce de théâtre Harry Potter and the Cursed Child a connu un grand succès à Broadway.

105 000

PICTUREDESK.COM, GETTY IMAGES

12

500

exemplaires ont été tirés de la ­première édition du tome À l’école des sorciers en juin 1997.


5,500 MILES On 5th October 1931 Clyde Pangborn and Hugh Herndon, Jr., two daring American aviators, completed the world’s first nonstop, transpacific flight from Japan to the United States. They took off and landed 41 hours later in Wenatchee, Washington, having covered a distance of 5,500 miles. At the time, it was the longest flight ever made over water.

PIONEERING TIME ZONES LONGINES SPIRIT ZULU TIME


O B J E T T RO U V É

Madonna Louise ­Ciccone, fille ­d’immigrés italiens, a a­ tteint le sommet du monde de la pop dans les années 80.

ANDREAS WOLLINGER

MADONNA

Le sens des dessous Pièce maîtresse de la tenue de scène de la Reine de la pop lors de la tournée Who’s that Girl, 1987

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PICTUREDESK.COM, GETTY IMAGES

Pendant la chanson Dress you up, Madonna, qui était alors, à 29 ans, la pop star la plus en vogue de la planète, soulevait sa jupe de manière taquine, à plusieurs reprises, dévoilant au public ce qui se cachait dessous : un collant résille et une culotte transparente au message suggestif à un endroit très coquin. À la fin de la chanson, elle la tient à la main… Le spectacle a battu tous les records d’audience enregistrés jusqu’à cette date. Ça vous étonne ?

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L E M OM EN T PHILO

L’EMPEREUR MARC AURÈLE A DIT :

« On vit bien mieux quand on ne se prend pas au sérieux »

D’accord. Vous avez un style bien à vous, c’est incontestable. Mais est-ce bien raisonnable de vous prendre comme exemple? Oui, je pense que c’est dans la nature de l’homme d’être spécial, tant au niveau physique qu’intellectuel. Un ­besoin qui s’exprime justement dans le style propre à chacun.

C’est vrai ? Si quelqu’un vous ­attaque ou vous blesse en paroles ou en armes, vous y voyez un signe du destin ? Et vous ne vous énervez pas ? Tout à fait. Ou j’essaie au moins d’accueillir et d’accepter ce qui m’arrive en me disant que tout cela est source d’enseignements. Une telle attitude permet de vivre de manière beaucoup plus apaisée. Que de temps précieux perdu à m’énerver contre les autres, à me plaindre des circonstances, à pleurnicher pour des broutilles. La vie est courte, mon ami, vous feriez mieux de mettre ce temps à profit pour aider vos semblables.

À votre guise, Marcus. Vos détrac« Que de temps teurs vous mettent-ils souvent en précieux perdu à colère ? m’énerver contre Vous voulez dire mes semblables ? Non, pas du tout. Je ne m’énerve les autres… » jamais contre eux. Et pourquoi au juste ? Tout le monde fait ce que bon lui semble, autant mes adversaires que mes rivaux, voire même les ennemis de Rome contre lesquels Et vous alors, vous en êtes où ? j’ai livré une guerre sans répit. C’est pourquoi je ne Question grotesque ! Il ne s’agit pas de moi, de prête à personne de mauvaises intentions ; tout au toutes façons je ne serai plus là demain. Et déclarer plus de la stupidité ou de l’aveuglement. Mais c’est être le centre du monde ne me permettra pas de leur affaire, pas la mienne. vivre mieux ou plus longtemps. On vit beaucoup mieux quand on ne se prend pas au sérieux. Cela signifie-t-il que vous laissez pleuvoir les ­critiques à votre égard ? MARC AURÈLE (121-180 AV. J.C) empereur de Rome pendant Faux. J’écoute très attentivement ce que les autres les dix-neuf dernières années de sa vie et pas vraiment heuont à me dire et m’intéresse immédiatement au désir reux de l’être, lui qui nourrissait le désir d’embrasser une ou à la motivation véritable qui les anime. Cela me carrière de philosophe dès sa prime jeunesse. Son règne fut assombri par de nombreuses guerres à la frontière nord de permet de les comprendre. Je discerne parfois une l’Empire. Peu avant sa mort, il rédigea en campagne ses erreur regrettable en filigrane de leurs actions ou désormais célèbres Pensées pour moi-même. de leurs paroles. Ou comprend que quelqu’un s’est CHRISTOPH QUARCH, 57 ans, est un philosophe allemand, laissé emporter par sa passion ou ses peurs. Dans ces fondateur de la Nouvelle Académie Platonicienne (akadecas-là, au lieu de m’énerver, j’éprouve tout au plus mie-3.org) et auteur de nombreux ouvrages philosophiques. de la pitié. Ah, mais voilà une autre manière de s’immuniser contre la critique : faire mine d’être désolé pour

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Dernier paru: Kann ich? Darf ich? Soll ich? Philosophische Antworten auf alltägliche Fragen (trad. Puis-je? Ai-je le droit? Devrais-je? Réponses philosophiques aux questions du ­quotidien), legenda Q, 2021.

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BENE ROHLMANN

the red bulletin : Votre Majesté, cher ­Empereur, Éminence... marc aurel : Trêve de balivernes ! Appelez-moi Marcus.

l’autre (voire le penser vraiment), mais sans que sa voix n’ait droit au chapitre… ? Archifaux. Car même si cet individu concret ne me blesse pas, je pars du principe que ses paroles et ses actions renferment un message. Dans le cosmos qui nous entoure, tout est lié, rien n’est le fruit du hasard. Appelez ça Dieu, raison du monde ou destin si cela vous chante, je suis quant à moi convaincu de pouvoir mettre tous ces incidents à profit pour mieux remplir mon devoir d’homme et d’empereur.

DR. CHRISTOPH QUARCH

Certains prennent les critiques trop à cœur et en souffrent terriblement. Selon Marc Aurèle, philosophe et empereur romain, il suffit d’adopter la bonne attitude pour éviter cela. Comment a-t-il fait pour rester un modèle de stoïcisme malgré ses nombreux adversaires et critiques ? Il nous l’explique dans cet entretien fictif avec le philosophe Christoph Quarch.


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AU J O U RD ’ H U I D EM A IN

LIZ GOMIS

Un nouveau regard sur le continent africain Une journaliste rend à l’Afrique ses lettres de noblesse en prenant le contre-pied de clichés encore trop véhiculés par les médias à l’égard de ce continent hyper créatif. La fondatrice de la revue Off To, Liz Gomis, 41 ans, d’origine bissau-­guinéenne, nous raconte les enjeux de sa revue bi-annuelle : dépeindre les subtilités du continent africain sans le filtre occidental, en partant à la découverte des métropoles via un prisme qui se veut objectif. the red bulletin : Quand êtesvous allée en Afrique pour la première fois ? liz gomis : J’avais 21 ans, c’était avec l’école. Et la première fois que je suis allée dans le village de mon père, j’avais 25 ans. C’était au moment de son décès. Quelque chose dans mon cerveau a shifté (bougé, ndlr). J’ai réalisé que je ne savais même pas d’où je venais, que je ne comprenais pas les enjeux du continent car j’en avais une vision occidentale. Mon regard était biaisé. Je n’avais jamais pris le temps de considérer ce continent de manière objective.

Vous magnifiez l’Afrique et les gens qui peuplent ce continent. À qui avez-vous fait appel pour ce projet ? Des femmes en qui j’ai une confiance aveugle : Saran Koly et Ndeye Diarra ­Diobaye (journalistes, ndlr), Sofia Doudine (graphiste, ndlr), Leïla De Casimacker (chargée de projet, ndlr). J’avais besoin de leurs cerveaux pour penser le concept convenablement.

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AUJOURD’HUI DEMAIN, UN PODCAST THE RED BULLETIN est une invitation à la réflexion, un espace où coexistent des solutions et des idées propres à notre époque, à travers les expériences de nos invités. Comment construire un environ­nement sain pour s’inscrire dans un « bien ­ensemble » ? Sur les plateformes ­habituelles et via le QR code ci-dessus.

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LIZ GOMIS

Comment définiriez-vous Off To en quelques mots ? C’est le magazine que j’aurais aimé lire quand j’avais 25 ans, écrit de la manière dont j’aurais aimé qu’on me parle de l’Afrique. C’est pour cela que mes collaborateurs et collaboratrices sont plus jeunes que moi, la moyenne d’âge est de 28 ans. J’ai besoin d’avoir un regard neuf sur celles et ceux qui font la ville, se posent les bonnes questions et sont né(e)s bien après la colonisation.

MARIE-MAXIME DRICOT

Chaque numéro est consacré à une ville. Au fil des pages, on découvre des portraits, on flâne dans des quartiers… Comment choisissez-vous les villes que vous avez envie de mettre en valeur ? Coup de cœur ! J’étais à Paris, j’avais envie d’aller à Accra (le sujet du premier numéro, ndlr) 0:00 –30:06 mais pas de possibilité de bouger Liz Gomis dans à ce moment-là. Cette ville, je Aujourd’hui Demain, le podcast l’aime particulièrement. Depuis 2016, j’y vais quasiment une fois par an. J’ai des amis là-bas, des repères, et en termes de mouve« Off To, c’est le ment culturel, elle me convient. Est-ce la raison pour laquelle vous avez créé Off To ? magazine que j’aurais Il s’agit d’une ville dans un pays entouré de pays franJ’y pensais depuis pas mal aimé lire quand j’avais anglophone cophones. Elle possède donc cette ­d’années déjà. Je me suis dit 25 ans. » que c’était le bon moment pour “west african fl ­ avour” que j’aime lancer un produit culturel qui beaucoup, et le dynamisme des Liz Gomis resterait dans le temps. Les pays anglophones que je peux news vont tellement vite sur les retrouver à Nairobi au Kenya, ou réseaux sociaux que le temps de publier, le lendemain à Kampala en Ouganda. Et aussi, il fallait que je choisisse une ville qui parle un peu à tout le monde. c’est presque obsolète. J’avais envie de créer une sorte d’archive. Mon sujet premier, c’était sûr, serait consaofftomag.com cré à l’Afrique.


Suivez le guide : Subaru 4×4


P O RT FO L IO

Sans gravité Le photographe Little Shao côtoie les B-Boys et B-Girls de Paris et d’ailleurs depuis dix ans. Ses copains danseurs sont des superhéros : ils défient les lois de la physique avec grâce, et véhiculent une légèreté qui aide à transcender toutes les épreuves. Images choisies de l’expo qui leur rendait hommage. Texte NINA KALTENBÖCK 20


Nuit blanche à Philly

Philadelphie, Pennsylvanie, USA, 2017 Drud, un B-Boy originaire d’Ukraine, avait encore de l’énergie à revendre après le Silverback Open, un événement de break. « À une heure du mat, on est passés sous ce pont que j’ai trouvé cool. J’aime bien la façon dont la lumière tombe directement sur la tête de Drud, élancé et souple, et les ombres ­projetées sur le sol. Sans flash », se souvient Little Shao.


P O RT FO L IO

« One-shots only ! J’ai une vision très précise de ce que je veux réaliser. » Little Shao

Donne des ailes Mumbai, Inde, 2019

« Une scène unique. Si j’avais loupé le moment, je n’aurais capturé que le move du B-Boy brésilien, Bart, à l’aube aux portes de la ville », raconte Little Shao dans un sourire. Ce backflip, réalisé dans le cadre de la finale mondiale du Red Bull BC One qui désigne le champion du monde chaque année, a donné l’impulsion à de nombreux Indiens de se mettre au break.

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« Une photo, c’est une question d’équilibre, et ce sur quoi on veut mettre le focus. » Little Shao

Street ballet Chicago, Illinois, USA, 2016

Mannequin et danseuse classique, Renee Lee hèle un taxi par un lundi matin d’octobre froid et pluvieux, mais avec grâce. « Il n’a fallu qu’un seul saut, se réjouit Little Shao. Comme je suis moi-même danseur, je sais quelles sont les lignes qui ont de l’allure. De son côté, Renee était surtout satisfaite de ne pas avoir les cheveux devant les yeux, et que son visage soit dégagé. » Ce détail fut-il crucial pour que la photo soit sélectionnée en finale du concours photo mondial Red Bull Illume ?

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P O RT FO L IO

50 nuances de gris Paris, France, 2020

La Défense, quartier d’affaires à l’architecture u ­ ltra moderne, est le plus grand parc de bureaux en Europe. Devant ce mur coloré, l’acrobate Andrea Catozzi fait des siennes. Pour Little Shao, c’était du ton sur ton : « Je suis daltonien. La façon dont je vois le monde, c’est mon superpouvoir. »

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Sous hypnose

Paris, France, 2017 Jean Michel Premier, alias Diablo, est un danseur debout au style unique, dont les mouvements ont des propriétés quasi hypnotiques. Par sa danse, il change notre regard sur ce que nous qualifions de « possible ». « Diablo a sauté d’un monument de cinq mètres de haut, je l’ai photographié en contre-plongée », éclaire Little Shao. Une prise de vue qui nous transmet l’intensité de ce danseur originaire du quartier des Moulins, à Nice.

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Le parc magique

Sceaux, France, 2018 Promenade matinale dans le parc de Sceaux avec Francis Quessary, alias 6Franc, son coéquipier de la R.A.F Crew. La lumière était magistrale et le fond de l’air frais… Une atmosphère digne d’un film. « Celle-ci, c’est la dernière photo que j’ai prise, sur le chemin du retour. Pour moi, elle évoque un moment magique », s’exclame Little Shao.

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« Le break a fait de moi un photographe exigeant. Je m’efforce de ne jamais me répéter dans mon travail. » Little Shao

Air Diop

Paris, France, 2019 Ablaye Diop travaille comme danseur, performeur et chorégraphe. Il est connu pour danser de manière très expressive avec ses bras. Little Shao, toujours aussi ­impressionné : « Nous avons fait un shooting près des Olympiades. J’adore cet endroit ! Ablaye donnait l’impression de pouvoir marcher dans les airs. »

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P O RT FO L IO

Ne te retourne pas… Paris, France, 2019

Lment, le vainqueur du Red Bull Dance Your Style Cuba, débarquait pour la première fois à Paris. Dans sa valise : son talent de B-Boy, un grande humilité vis-à-vis de la ­capitale française, et le vertige. « J’avais la tour Eiffel dans le dos, ce qui a au moins permis à Lment d’oublier que trois pas derrière lui, c’était le vide… »

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« Mes passions, des obsessions, ce sont la photo, le gaming, et le break. »

FLORA MÉTAYER

Little Shao

Little Shao dans l’une de ses activités préférées : « Je fais beaucoup de photos sur les toits de Paris ! »

LE PHOTOGRAPHE

LITTLE SHAO Peu de fans de break et de danse urbaine connaissent le nom de Thinh Souvannarath, mais Little Shao (son surnom), ça leur parle ! Il est l’un des plus talentueux photographes de leur scène, et a également shooté certains des plus grands noms de la musique pop, comme Madonna ou Justin Bieber. Ce surnom, il le doit à ses potes. « J’étais le plus petit du crew, j’avais le crâne rasé et je faisais des mouvements comme un moine Shaolin », raconte l’artiste de 39 ans d’origine vietnamienne. Shao est entré en contact avec la culture hip-hop dans les banlieues défavorisées de Paris, où il a grandi. Quelques années passées à un poste d’analyste commercial dans une banque le décident finalement à changer de voie : « Je veux montrer et partager ma façon de voir le monde. » Depuis, sa devise est simple : ne pas faire tous les jours la même chose. Et le fait qu’il soit daltonien ne l’a jamais limité : « Ma façon de voir le monde, c’est mon superpouvoir ! » Instagram : @littleshao

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Cinéma I

A reçu cette année le Prix du cinéma Suisse. Mais à 23 ans, il n’a pas la grosse tête. Il fait des études en parallèle de ses tournages afin d’assurer l’avenir de sa future famille. Entretien MICHÈLE ROTEN

Photo LAURIN BLEIKER

Dans Soul of A Beast, Pablo Caprez, 23 ans, joue le rôle d’un jeune père, Gabriel, qui se bat pour son fils de deux ans, et tombe amoureux de la copine de son meilleur ami. Ce film est une ode en 16:9 à cette phase étourdissante de la vie pendant laquelle on s’interroge sur qui l’on est et qui sont les autres. Personne n’aurait été mieux placé que la Zurichois Pablo Caprez pour jouer ce rôle. Nous nous retrouvons au café Kleine Freiheit, à Zurich. Rester assis tranquillement, ce n’est pas son truc : ses jambes ne cessent de remuer, son regard effleure tout ce qui l’entoure sans se poser nulle part. Il parle fort, en patois zurichois. Pablo Caprez a grandi entouré de trois frères et une sœur. Cette famille déjà grande ne cesse de s’étendre, ses membres ayant tous hérités de la fibre philanthrope. Il ne prononce pas une phrase sans faire référence aux autres : la famille, l’équipe, la communauté. C’est grâce à eux que Pablo Caprez est multiple, et unique. the red bulletin : Nous sommes dans un café près de l’uni… Comment se passent vos études d’économie ? pablo caprez : J’ai commencé au semestre d’hiver dernier. Il y a quelques années, une année d’évaluation a été mise en place. Si on la rate, on est interdit de fac d’Économie pendant trente ans. C’est sévère et stressant, je dois m’accrocher.

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Le moment tombe assez mal pour faire la promotion d’un film… Absolument. D’autant plus que je viens de louper six semaines de cours, car j’étais à Miami. Mais je ne vais pas me plaindre. Pourquoi des études d’économie ? Il est important pour moi d’avoir quelque chose de stable en plus de la comédie. Quelque chose qui m’apporte une sécurité. J’aimerais fonder une famille, et ne pas avoir à me soucier de l’aspect financier plus tard. Le théâtre doit rester une liberté, comme une opportunité à saisir quand elle se présente. C’est ainsi que ça s’est passé pour Soul Of A Beast ? Oui. Ça a tout de suite collé entre Lorenz (Merz, le réalisateur, ndlr) et moi. Lors du casting, Luna (Wedler, ndlr) était là aussi, c’est une amie d’enfance. On a tous très vite compris qu’on voulait faire ce film ensemble. C’est presque la seule chose qui compte dans ce genre de projet : que l’équipe se comprenne et s’apprécie. L’équipe, la famille au sens large… Ce sont des sujets primordiaux pour vous ? À fond. Ce n’est que l’année dernière que j’ai déménagé de chez mes parents. J’habite seulement à cinq minutes de chez eux, mes frères et ma sœur y sont encore. Mes frères et moi sommes tous entraîneurs au club FC Seefeld, mon père en est le président, alors je les vois tout le temps sur le terrain. Mes parents sont super

Vous avez d’ailleurs adopté un enfant, c’est bien vrai ? Quand j’ai quitté la maison, mes parents trouvaient dommage d’avoir une chambre vide. Entretemps, l’enfant accueilli est retourné chez sa mère, et maintenant, ce sont deux réfugiés ukrainiens qui occupent mon ancienne chambre. On aide quand on peut, là où on peut. C’est dans cet état d’esprit que j’ai grandi. Que faites-vous pour aider ? Je fais beaucoup de bénévolat, même au foot, c’est de cela dont il s’agit : aider les enfants dans le concret. On les conduit d’un endroit à l’autre, on aide à subventionner les cotisations annuelles. Et dans l’ensemble, on représente des personnes de confiance pour ces gosses. À l’été 2017, on a fondé l’association Kampala Galaxy Soccer Academy, en Ouganda. Le but du projet, c’est d’aider les enfants défavorisés du ghetto de Bukoto à accéder au foot. Cette fibre sociale, elle est dans la famille depuis longtemps : mon grand-père est le journaliste qui, il y a cinquante ans, a révélé au grand jour le scandale des enfants yéniches volés à leurs parents, cette soi-disant œuvre ­d’entraide qui s’appelait « Les enfants de la Grand-Route ». L’esprit de communauté et la soif de justice coulent dans les veines de la famille Caprez dirait-on… C’est certain. L’idée de tracer sa route tout seul tout au long de sa vie ne résonne pas en moi. Bien sûr, on est seul à mourir quand l’heure est venue, mais la route, on la fait ensemble. beast-movie.com ; Instagram : @pablocaprez

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LAURIN BLEIKER (MARTY/TREZZINI)

Pablo Caprez

cool. Après ma copine, c’est avec ma famille que je passe le plus de temps.


« On aide quand on peut, là où on peut. » Pablo Caprez, 23 ans, sur la facilité à partager son bonheur.

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Cinéma II

Dans son corps d’Apollon bat le cœur d’Ulysse : l’acteur n’hésite pas à voler vers de nouveaux horizons, quitte à se donner un mal de chien. La preuve avec son dernier succès en date. Entretien RÜDIGER STURM

Quand on est face à cette carrure toujours aussi musclée, on reconnaît bien le héros d’action de ses débuts. Mais, à 42 ans, Channing Tatum a d’autres priorités que de cultiver un physique de mannequin. Il vient d’entamer une nouvelle partie de sa carrière. Cet habitué des géants du septième Art comme Quentin Tarantino (Les Huit salopards) ou les frères Coen (Ave, Caesar !) vient de se lancer derrière la caméra. Il nous raconte ce qu’il a appris des chiens et pourquoi il ne se contente jamais de la médiocrité. the red bulletin : Dans Dog, vous incarnez un vétéran qui parcourt les États-Unis en compagnie d’un berger belge. Avez-vous déjà eu un chien ? channing tatum : Oui. J’avais une chienne appelée Lulu, une croisée, malheureusement morte des suites d’un cancer en 2020, et j’ai adopté un chien de berger après elle. Qu’est-ce que les chiens vous ont appris ? Une nouvelle manière d’écouter. Les chiens expriment leurs émotions par la manière dont ils se déplacent, par exemple. Tu te dis : « Pourquoi n’at-elle pas accouru m’accueillir à la porte aujourd’hui ? Est-ce qu’elle va bien ? » Instinctivement, on s’adapte à son comportement, sans analyse rationnelle. C’est comme de vivre avec un être muet très émotionnel.

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Que vous a enseigné la perte de Lulu ? Le lâcher-prise. Au moment où Lulu était en train de mourir, j’ai entrepris un dernier voyage avec elle, c’est d’ailleurs l’une des inspi­ rations de ce film. Ce voyage m’a fait comprendre que je ne pouvais rien changer à sa mort et qu’il fallait m’y préparer. Comment cela a-t-il influencé votre manière de voir la vie ? J’ai tendance à vouloir imposer ma volonté. Lorsque je suis face à un mur, une porte fermée ou un refus, je prends une hache et je brise l’obstacle. J’étais du genre entêté, quand j’étais plus jeune. Désormais, j’aborde les événements avec plus de sérénité. Si quelque chose me ­résiste, au lieu de faire pression, je m’arrête pendant une minute, je réfléchis et je me dis : « Si ça ne marche pas pour le moment,il ne faut pas forcer les choses. » Mais votre volonté et votre détermination vous ont quand même pas mal aidé dans votre branche… Je suis toujours aussi ambitieux, voire même plus qu’avant concernant mes projets. Je pense que c’est probablement lié au fait d’avoir une petite fille de 8 ans. Je veux passer du temps avec elle. Je ne me contente pas de tourner des films juste pour le fun sans motivations plus sérieuses derrière. Et je ne me contente pas non plus de la médiocrité, j’ai besoin de franchir de nouvelles étapes.

Ne craignez-vous pas les surprises ? J’ai traversé des moments difficiles, donc je peux m’en passer. Mais il faut être capable de s’ouvrir à l’inconnu, comme le fait mon personnage dans le film : sans savoir ce qui l’attend, il entreprend un voyage avec ce chien. Et au bout du compte, il aura progressé sur le plan humain. Quelles sont les qualités des chiens qui vous influencent ? Les chiens sont des êtres totalement purs, dépourvus d’ego. Ils s’investissent complètement et sans arrière-pensée. Cette aptitude à faire totalement confiance me plaît énormément. Je suis moimême du genre à faire confiance aux autres au premier contact, puis mon cerveau prend la relève et le doute s’installe. Que le monde serait beau si on avait tous un cœur de chien. Le film Dog est à l’affiche actuellement ; Instagram : @channingtatum

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DANNY MOLOSHOK/AP/PICTUREDESK.COM

Channing Tatum

En avez-vous déjà franchies ­beaucoup dans votre vie ? Quand j’étais jeune, je n’étais pas très sportif, j’ai dû m’entraîner dur. Quand j’ai vu que le métier d’acteur me laissait sur ma faim, j’ai coécrit le scénario du film Magic Mike. Il y avait une autre raison aussi : je ne voulais pas être dépendant et attendre qu’on me propose des rôles qui me conviennent. Apprendre les codes de narration m’a permis d’améliorer mon jeu d’acteur. Logiquement, l’étape suivante était de passer à la réalisation : c’est chose faite avec Dog. Mais je ne suis jamais satisfait du travail accompli. Ce qui m’intéresse, c’est d’apprendre de nouvelles choses.


« Que le monde serait beau si on avait tous un cœur de chien. » Channing Tatum, 42 ans, résume ce qu’il a retenu de nos amis à quatre pattes.

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Cinéma III

Celle qu’on surnomme la « Penélope Cruz suisse » se livre sur ce que signifie la liberté et raconte pourquoi, ado, elle éprouvait des sentiments ambivalents vis-à-vis de son pays. Entretien RÜDIGER STURM

the red bulletin : Dans le film allemand Stasikomödie (le dernier film de la trilogie sur la RDA, du réalisateur Leander Haußmann, amorcée en 1999 avec Sonnen­ allee, ndlr), vous jouez le rôle d’une muse dans le milieu artis­ tique de Berlin-Est avant la chute du mur. À votre avis, si vous aviez vécu à cette époque, auriez-vous ressenti le besoin de fuir la RDA ? deleila piasko : On ne peut que spéculer sur les décisions que l’on aurait prises à un moment donné de l’histoire, à une époque à laquelle on n’a pas vécu. Mais de mon point de vue, dans les circonstances actuelles, je pense que j’aurais eu une envie irrépressible de fuir. Que signifie la liberté pour vous ? La liberté, c’est un espace dans lequel on peut être créatif sans se mettre de restrictions, et où on peut laisser libre court à ses pensées. Il n’y a pas de notion de vrai ou de faux, de bien ou de mal. C’est pour cela que la liberté est une base très importante pour la créativité. Faut-il surmonter des résistances pour trouver cette liberté ? Oui. Dans la tête de nombreuses personnes, il existe encore énormément de limitations structurelles, et une dichotomie très nette entre le bien et le mal. En tant qu’artiste, je suis donc toujours à la recherche de murs que je peux faire exploser.

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Comment faites-vous ? Je me donne du mal pour que ces personnes ne prennent pas le dessus sur moi. Et je m’interdis de m’adapter. Je ne veux pas correspondre à un mode de pensée étranger. Quelle a été votre plus grande action de libération ? Quand j’étais ado, j’avais cette sensation impérieuse qu’il fallait que je m’échappe de mon milieu. J’ai développé une forme d’amour-haine envers Zurich et la Suisse. Même si tout n’est pas que rose, je m’y sentais à l’étroit. C’est pour cela que le changement avec Berlin, quand j’avais 20 ans, est arrivé à point. Comment avez-vous passé le cap de changer de ville et de pays ? Je ne connaissais personne, j’étais seule. Et à l’époque, j’avais vraiment honte de mon accent. Les Berlinois peuvent être très critiques. Ils ont une autre forme de répartie. Le premier semestre à l’école de théâtre, nous avions des cours d’improvisation. Mon accent suisse me pesait tellement que je jouais toujours des rôles muets, ou je les mimais. Je me débrouillais pour ne pas parler sur scène. Cette expérience a été très formatrice. C’est la meilleure école quand on veut changer d’horizon. Comment vous êtes-vous familia­ risée avec Berlin ? Grâce aux gens que j’ai rencontrés et qui ont commencé à compter pour moi. Quand tu as un cercle d’amis, tu découvres la ville sous un autre angle.

Y a-t-il quelque chose que vous pensez avoir raté dans votre vie ? Après mon bac, je voulais voir le monde et faire quelque chose d’utile. Alors j’avais l’idée d’aller vivre dans un kibboutz en Israël. Mais ensuite, contre toute attente, j’ai été acceptée dès ma première candidature à l’école de théâtre d’Ernst Busch. Et puis je voulais faire des études de théologie, car la religion et la culture sont des thématiques qui m’intéressent tout particulièrement. Je trouve fascinant de constater tout ce qui a été mis en place au cours de l’histoire grâce à la ­­ religion et à la foi. Que faites-vous au quotidien quand vous ressentez le besoin de vous libérer ? Je danse ! J’aime beaucoup danser… Plus jeune, j’ai pratiqué la danse classique, le hip-hop, la danse moderne. Maintenant, je fais cela à la maison. La danse est, selon moi, un mode d’expression très sensuel. Quand je me laisse aller à danser, je me sens libre. Mais mon objectif principal, c’est de me sentir libre dans mon travail. Instagram : @deleila_piasko

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JEANNE DEAGRAA/PHOTOSELECTION

Deleila Piasko

Avez-vous toujours besoin de monde autour de vous pour vous épanouir, ou vous débrouillez-­ vous mieux seule ? Tout est une question d’équilibre. Trouver le juste milieu. J’adore quand j’entends du bruit, du mouvement, de la vie sous mes fenêtres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’habite en ville. Il se passe toujours quelque chose, on croise sans cesse de nouveaux visages, on fait partie d’une dynamique. Mais il est important aussi de prendre un peu de recul de temps en temps.


« J’avais honte de mon accent suisse. » Deleila Piasko, 31 ans, se remémore ses années d’études à Berlin.

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Surf

Surfing Switzerland

Pas de mer à des kilomètres à la ronde, pas un mètre de côte, pas de vagues déchaînées. Et alors ? La Suisse est un paradis du surf ! Nous avons surfé sur les rivières, les lacs et les piscines ‒ et trouvé la vague parfaite. Texte ALEXANDER NEUMANN-DELBARRE

Photos DOM DAHER


JOUIR DE LA VAGUE

Pour cette histoire, le p ­ hotographe Dom Daher nous ouvre son album des meilleures photos de surf de Suisse : ici, Ueli Kestenholz, un ami de Daher, utilise la vague d’étrave d’un bateau de plaisance sur le lac de Thoune.

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Surf

S

ur le pont de la Machine, les passants incrédules observent les jeunes dans l’eau. Ils ne passent pas inaperçus. Les enfants les montrent du doigt. Les piétons s’arrêtent, bloquent le trottoir, c’est presque tous les soirs le même manège. Les journaux ne tarderont pas à écrire que les commerçants sont dérangés dans leur travail à cause de l’agitation qui règne sur le pont au cœur de la vieille ville de Genève. Nous sommes à l’été 1982, et la raison de cette agitation, c’est une bande de jeunes avides de sensations, dont Gaël Vuillemin, alors âgé de 14 ans. Debout sur des planches de surf, ils laissent se déverser sous leurs pieds les eaux tumultueuses du lac Léman qui se jettent furieusement dans le Rhône. « Avant notre ­première tentative là-bas, j’avais passé quatre semaines à faire du surf en France, raconte Gaël, aujourd’hui âgé de 54 ans. Quand je suis rentré, j’ai vu le pont et je me suis dit qu’on pourrait peut-être surfer ici aussi. » Alors ils tentent le coup. Ils attachent une corde au pont et s’en servent pour se hisser sur leurs planches. Quand ils la lâchent, ils se retrouvent pendant quelques secondes debout sur une vague, comme leurs idoles en Californie. Ils font du surf. En Suisse. Incroyable ! « On était guidés par notre passion et notre envie d’essayer, tout simplement, 40

explique Gaël. On n’avait pas l’impression d’être des pionniers. » Mais c’est exactement ce qu’ils étaient : des pionniers du surf. Dans un pays qui ne dispose pas du moindre centimètre de littoral maritime, ils ont été parmi les premiers à ne pas se laisser décourager par ce « détail ». Et ils se sont mis à chercher des moyens de surfer au pays des montagnes. « Je savais que le surf pouvait devenir populaire ici, poursuit Gaël, parce que beaucoup de mes amis à qui j’avais fait découvrir ce sport avaient accroché. » Mais quid de son essor ces dernières années ? Ça, il ne l’avait pas vu venir. On compte aujourd’hui près de 45 000  surfeurs et surfeuses actifs en Suisse, selon une estimation de l’association de surf Swiss Surfing. Un chiffre étonnant pour un pays sans accès à la mer, situé à une journée de trajet de la côte la plus proche avec des vagues exploitables. Le nombre de surfeurs par rapport au nombre d’habitants en Suisse est aussi élevé qu’en France, un pays baigné par la mer et connu pour ses

« Après avoir surfé l’Atlantique, je me suis dit : pourquoi pas aussi à Genève ? » Gaël Vuillemin

spots légendaires le long de l’Atlantique. La Suisse est bel et bien devenue un pays de surfeurs. Et ils sont de plus en nombreux à réaliser qu’ils n’ont même pas besoin de quitter leur pays pour s’adonner à leur passion. Comment cela est-il possible ? Qui sont ces gens qui, à l’instar de Gaël et de sa bande en leur temps, font éclore des spots de surf dans les eaux suisses ? Et surtout : où se trouvent-elles, les meilleures vagues du pays ?

Sur la trace des glisseurs heureux

Voilà deux ans que le surfeur amateur Esteban Caballero, le photographe Dom Daher et la journaliste Patricia Oudit ­sillonnent le territoire pour tenter de répondre à ces questions. Leurs découvertes, ils les partagent dans Landlocked, une web-série aussi instructive que divertissante. Ils ont rencontré des surfeurs comblés sur des vagues de rivière sans fin, vu des surfeurs intrépides sur les vagues glacées du lac de Neuchâtel et se sont rendus en Valais, dans une piscine à vagues géante qui pourrait bien transformer radicalement la pratique du surf en Suisse. Et partout où ils sont allés, raconte Dom, c’est le même constat encore et encore : « Le surf en Suisse a de multiples facettes et il y a vraiment de quoi s’éclater. » L’exemple parfait, c’est probablement la vague de rivière de Bremgarten, à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de Zurich. Dès le début des années 70, des surfeurs auraient commencé à taquiner la vague ici. Aujourd’hui, Bremgarten est l’un des spots de surf les plus connus et THE RED BULLETIN


VAGUE INSTANTANÉE

Fantin Habashi s’entraîne dans la piscine de surf en plein air d’Alaïa Bay à Sion, la première d’Europe.


LE DÉBUTANT

Image symbolique tirée de l’album de Dom ­Daher : un surfeur novice sur le point d’entrer dans l’eau vive urbaine.


Surf

En haut : les surfeurs suisses Esteban ­ aballero (à g.) et Valentin Milius. En bas : C ­Esteban fait des ronds sur le lac de Neuchâtel lors du tournage de la série Landlocked.

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En haut : Vincent Schneider surfe sur la r­ ivière à Bremgarten. En bas : Hale Woods, inventeur du Freeride World Tour, a fondé la Swiss Surfing Association en 1992.

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Surf

« La diversité des possibilités chez nous est incroyable. » Dom Daher Les surfeurs Valentin Millius et Esteban Caballero (à dr.) vissent leurs planches ­fabriquée par leurs soins. Ils sont les protagonistes de la web-série Landlocked.

depuis huit ans, le nombre de surfeurs augmente à vitesse grand V. En 2014, ils étaient 20 000 de moins qu’aujourd’hui.

Le petit monde des planches

En plein cœur de la ville de Zurich : le surfeur José Fernandes dompte la vague urbaine. La hauteur des vagues est adaptée électroniquement au niveau du surfeur.

les plus populaires de Suisse. Les conditions sont idéales au printemps et au début de l’été, quand la fonte des neiges fait monter la Reuss, créant ainsi une vague sans fin. Les surfeurs plongent dans l’eau vert foncé depuis la petite île au milieu de la Reuss, ils se hissent sur leurs planches et surfent la vague. Jeunes ou moins jeunes, débutants ou experts, spécialistes des vagues de rivière, vétérans des vagues de l’océan, peu importe. « Le plus impressionnant là-bas, c’est qu’on a vraiment l’impression d’être en train de surfer, ­s’enthousiasme Esteban qui, dans ­Landlocked, sort régulièrement sa planche pour tester les vagues de son pays. On gare la voiture, on enfile sa combi, on embarque sa planche et c’est 44

parti. C’est comme un petit surf trip. On oublie le stress de la semaine, on a, pendant quelques secondes, cette sensation de se tenir debout sur sa planche. Et après, on rentre au camping, on se fait un barbeuc et on chille entre potes. » S’il y en a un qui sait parfaitement de quoi Esteban parle, c’est bien Benedek Sarkany. À 42 ans, le président de Swiss Surfing est aussi entraîneur de l’association, et il a sa propre caravane installée à Bremgarten. Ces dernières années, sur les rives de la Reuss, il a fait un constat qui se ressent aussi dans les chiffres de son asso :

Comment explique-t-il cela ? « D’une part, la Suisse est une nation de sports de glisse. Dès notre plus jeune âge, on nous met sur des skis ou un snowboard et on nous apprend à dévaler les pentes. Du ski et du snowboard au surf, il n’y a qu’un pas. Et d’autre part, on aime bien voyager. Il y en a beaucoup qui apprennent le surf à l’étranger et qui ont envie de continuer à leur retour. C’est comme cela qu’ils découvrent Bremgarten et toutes les autres possibilités. » Et elles ne manquent pas aujourd’hui. Ces dernières décennies, les surfeurs suisses ont découvert plusieurs nouvelles vagues de rivière, comme à Berne, Bâle ou Thoune. Les premières piscines avec des vagues statiques artificielles ont également vu le jour, telles que le centre de surf en plein air Urbansurf, au cœur de Zurich, ou le complexe indoor Oana Citywave à Ebikon. Bien sûr, il y a aussi la possibilité de traquer les vagues sur l’un des nombreux lacs suisses. Mais ça, c’est plutôt réservé aux plus motivés – et à ceux qui n’ont pas froid aux yeux. En février 2014, à Villette, sur le lac Léman, Greg Williams, surfeur lausannois et cofondateur de l’Association Romande de Surf, a probablement surfé les vagues les plus hautes jamais surfées sur un lac suisse. THE RED BULLETIN


VALEUR AJOUTÉE

L’athlète et monitrice de surf ­Fabienne Sutter lors d’une session photo pour The Red Bulletin dans les montagnes de la Région Dents du Midi. (La vache qui pose aussi pour nous s’appelle Caïpirinha).


Surf

L’AUTRE SURF

Le vent soufflait à une vitesse pouvant atteindre les 150 kilomètres à l’heure. « Les vagues devaient faire 1,50 mètre de haut et on ne pouvait surfer que quelques secondes, raconte Williams dans Land­ locked, mais, oh mon Dieu, quelle sensation unique de surfer sur son lac ! » Des vagues aussi hautes qu’en ce « Big Thursday », comme Williams l’appelle aujourd’hui, il n’y en a pas tous les jours. Mais selon Esteban, quelques jours par an, il serait possible de surfer sur certains spots du lac Léman et du lac de Neuchâtel. Il a lui-même eu cette chance sur le lac de Neuchâtel pendant le tournage de Land­locked. « Il faisait super froid et les vagues étaient minuscules, mais il n’empêche qu’on pouvait quand même surfer ! » Bien évidemment, il ne faut pas s’attendre à trouver des vagues comme celles de la mer sur un lac. Mais ce n’est pas impossible en Suisse. Pour cela, il faut se rendre un peu plus au sud. À Alaïa Bay, à Sion, niché au pied des Alpes suisses. « Depuis que ce complexe a ouvert ses portes, j’ai l’impression qu’on peut 46

« Surfer la vague de la rivière à Bremgarten, c’est comme un petit surf trip. » Esteban Caballero

Ueli Kestenholz en wingfoil sur le lac de Thoune. La voile et la planche sont dissociées l’une de l’autre.

vraiment faire du surf en Suisse », déclare Fabienne Sutter au sujet d’Alaïa Bay, un bassin de surf en plein air de la taille d’un terrain de football (et le tout premier bassin de surf d’Europe continentale), qui fournit des vagues idéales de toutes tailles sur simple pression d’un bouton.

La connexion atlantique

À 31 ans, Fabienne est un peu une référence en matière de surf en Suisse : un parcours classique sur sa planche lui a permis d’atteindre un niveau exceptionnel. Ayant grandi dans le canton de Schwyz, elle fait du ski dès l’enfance, avant d’enchaîner sur le skate et enfin le surf à 18 ans, sur la côte Atlantique. Aujourd’hui, elle passe la majeure partie de l’année à Ferrol, village côtier au nord de l’Espagne, travaille comme monitrice de surf et a longtemps fait partie de la National Talents Team de Swiss Surfing. THE RED BULLETIN


DES AIIILES POUR L’ÉTÉ.

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STIMULE LE CORPS ET L‘ESPRIT.


Surf

« Des vagues adaptées à chacun, c’est une petite révolution. » Benedek Sarkany

Une vague taillée sur mesure

Le surfeur Sandro Sanchi s’entraîne au cœur de la vieille ville de Thoune : le spot de l’écluse du moulin est aussi appelé « le Monstre » en raison de sa puissance.

Landlocked

Histoires de surf suisses : la série sur le phénomène Dans la série web Landlocked, des passionnés de surf réunis autour du photographe Dom Daher montrent que la Suisse est aussi un paradis pour les surfeurs, bien qu’elle n’ait pas d’accès à la mer. À voir sur YouTube : Landlocked Swiss Surfing.

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Elle a goûté à la chasse aux vagues sur les rivières et les lacs suisses, mais ça ne l’a pas vraiment emballée. En revanche, elle ne tarit pas d’éloges sur Alaïa Bay, où elle s’est rendue peu après l’inauguration en 2019 : « On peut passer tant de temps sur la vague que l’on fait vraiment des progrès. » Selon elle, le complexe pourrait démocratiser la pratique du surf en Suisse et offrirait également de formidables opportunités aux athlètes de haut niveau. « C’est sûr que ce n’est pas la même chose que de surfer en mer, il n’y a que là que l’on peut r­ essentir le véritable esprit du surf. Mais quand on veut se perfectionner sur des points précis, c’est parfait. Parce qu’on peut passer vraiment beaucoup de temps sur la vague. Et parce que notre coach peut nous faire sortir, nous donner des conseils et nous y renvoyer tout de suite pour les mettre en pratique. »

Benedek Sarkany, de Swiss Surfing, parle même d’une « petite révolution ». D’après lui, c’est surtout pour les espoirs du surf qu’Alaïa Bay pourrait changer beaucoup de choses : « On peut faire du surf en Suisse dès l’âge de 8 ans, dans un environnement sûr, avec des vagues parfaitement adaptées aux capacités de chacun. Cela va permettre d’élever le niveau général du surf en Suisse. » Adam Bonvin, fondateur d’Alaïa Bay, renchérit : « C’est la même révolution que la création des remontées mécaniques, et elle donne une plus grande accessibilité au surf. Désormais, grâce à la piscine à vagues, les surfeurs sans accès à la mer ont leur propre spot. » Et peut-être même que le pays aura un jour sa première star du surf grâce à cela. En tout cas, c’est bien ainsi que le créateur de Landlocked, Dom Daher, voit les choses. Dans un avenir pas si lointain, il pense que les compétitions olympiques de surf pourraient se dérouler non plus en mer, mais dans des piscines similaires à celle d’Alaïa Bay. La conclusion de Dom : « Si Roger Federer est devenu ce qu’il est, c’est bien grâce à nos fantastiques courts de tennis, alors pourquoi n’aurions-nous pas le prochain Kelly Slater grâce à nos fantastiques installations dédiées au surf ? » neufdixieme.com

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La vague suisse parfaite La Suisse, pays enclavé, offre une grande variété de vagues naturelles et artificielles. Découvrez ici où aller et sur quel type de vague surfer. Illustration TOBIAS GÖBEL

Lac Léman. Elles sont rares, mais elles existent : des vagues surfables sur le lac Léman. Mais seulement les rares jours de tempête en hiver – et sur des spots que les locaux aiment garder pour eux. Esteban Caballero (de la série Landlocked) recommande de parcourir la rive ouest (de Pully à Montreux) par vent fort de sud-ouest, et de guetter les vagues et les accès au lac… et d’emporter une bonne combinaison néoprène bien épaisse !

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Alaïa Bay à Sion. L’immense bassin de surf situé au milieu des Alpes valaisannes est le premier et le seul de ce type en Europe continentale. Environ 300 à 1 000 vagues surfables de taille, de forme et de fréquence réglables déferlent chaque heure dans le bassin. Et pour ceux et celles qui en ont encore la force après, il est possible d’enchaîner avec une session de snowboard à moins d’une heure de là. alaiabay.ch

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L’écluse du moulin à Thoune. Ce n’est pas pour rien que les surfeurs de la rivière qui traverse la vieille ville de Thoune appellent ce spot « Le Monstre ». La vague est vive, haute, et non sans danger : les piliers du pont du moulin sont proches et les rochers dans l’Aar sont nombreux. Mais pour les surfeurs de rivière expérimentés, c’est un petit paradis entouré de cafés et de bars. flusssurfen.ch

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Surf

La plateforme ­Urbansurf à Zurich. Au cœur de la ville, l’installation offre un package complet : une vague artificielle extra en plein air dans une piscine de la taille d’un court de tennis. Avec des bars, de la street food et parfois des concerts live. Ouvert d’avril à octobre, le spot est parfait pour les débutants grâce à des parois rembourrées et une profondeur de bassin ­suffisante. urbansurf.ch

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La vague stationnaire de Bremgarten. Cette vague est considérée comme la Mecque du surf de rivière en Suisse. Les conditions sont généralement idéales au printemps et au début de l’été. Un conseil : ­vérifiez le niveau d’eau de la Reuss (station de Mellingen). Si le niveau est compris entre 200 et 350 m³/s, il est généralement possible de surfer. La vague se trouve au barrage de Honegger, il est préférable d’y accéder par l’île. flusswellenbremgarten.ch

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Indoor Citywave OANA à Ebikon. La seule installation de surf indoor de Suisse offre toute l’année une vague stationnaire dans une piscine tropicale. Il est possible de réserver des slots de surf individuels, des sessions avec entraîneur, et de suivre des cours et des camps de surf. Grâce à la hauteur réglable des vagues, l’activité se prête aussi bien aux débutants qu’aux experts. oana.surf

ALEXANDER NEUMANN-DELBARRE

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Surf

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La reine des vagues Cinq titres mondiaux, l’or olympique : à 29 ans, l’Hawaïenne CARISSA MOORE est la surfeuse la plus titrée du monde. Son secret : elle surmonte le doute grâce au pouvoir de l’esprit « Aloha ». Texte CHRISTINE YU

Photos STEVEN LIPPMAN

RETOUR AUX SOURCES

La reine du surf lors de la séance photo pour The Red Bulletin sur l’île d’O’ahu, à Hawaii. Elle porte ici un haku lei, la coiffure t­ raditionnelle de son pays.


Carissa Moore en privé

Championne du monde de surf A surfé sa première vague à 5 ans Est aussi amatrice de boxe A épousé Luke, son amour de lycée A souffert de troubles alimentaires Aime ses chiens Maya et Tuffy

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Surf

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« Je me suis toujours demandé qui je serais sans mes victoires. » En 2021, Carissa Moore a réussi l’année parfaite dans son sport. Mais sa plus grande victoire n’avait rien à voir avec le surf : « Je devais œuvrer à me rendre heureuse. »

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septembre 2021, la Coupe du monde de surf féminin inaugurait une nouvelle formule : le titre allait désormais être décerné non pas à l’athlète ayant cumulé le plus de points au cours d’une saison, mais à la victorieuse d’une finale unique et décisive. Pour les spectateurs, c’était la promesse d’un suspense encore plus haletant : les meilleures surfeuses de la saison allaient s’affronter lors de la phase finale de la Rip Curl World Surf League (WSL) dans la ville californienne de San Clemente au cours d’une journée de compétition unique, dans un genre d’épreuve de force par élimination directe : d’abord la cinquième contre la quatrième, puis la gagnante de ce duel contre la troisième et ainsi de suite jusqu’à la grande finale, un duel au meilleur des trois manches pour consacrer l’ultime championne. Pour Carissa Moore, l’icône hawaïenne du surf, la situation paraissait enviable : en tête du classement général de la Coupe du monde, sa place en finale était déjà assurée et elle n’avait plus qu’une seule adversaire à battre. Mais en pratique, cela signifiait également qu’elle allait devoir s’armer de patience au cours d’une longue et éprouvante journée d’attente jusqu’au moment fatidique. Et si par malheur elle ne donnait pas le meilleur d’elle-même à cet instant précis, elle verrait sa cinquième couronne mondiale lui échapper. Un risque qui semble inévitable dans ce genre d’affrontement. Moore trompe bravement l’attente en alternant échauffements et moments de détente au son de la musique diffusée par ses écouteurs Beats rouges. L’après-midi, elle apprenait enfin le nom de l’adversaire qu’elle allait affronter en finale : Tatiana 55


Surf

Weston-Webb, une surfeuse brésilienne de naissance qui a grandi à Hawaï. La première série ne réserve aucune surprise, c’est même du Carissa Moore pur jus : elle prend sa première vague juste après le signal de départ et engrange les points du jury les uns après les autres. Tout porte à croire que Carissa va terrasser sa rivale dès la deuxième série. Mais soudain, l’invraisemblable se produit : la reine des vagues peine à tenir la cadence. Tatiana Weston-Webb profite aussitôt de cette défaillance, s’améliorant et gagnant un peu plus en confiance à chaque ride. À moins de trente secondes de la fin, les deux finalistes sont au coude à coude et se livrent une lutte acharnée pour la prochaine vague.

L’invraisemblable se produit lors de la finale de la CM : la reine des vagues perd son sang-froid. Weston-Webb coiffe sa rivale au poteau et arrache un point de plus. Fébrile, Moore tente de combler son retard dans les neuf dernières secondes, mais faute de vague, elle doit s’incliner. Au coup de sifflet final, la tenante du titre doit faire cet amer constat : elle avait perdu son sang-froid. « Je voulais gagner aussi rapidement que possible, se souvient Carissa Moore durant l’entre-

tien Facetime. Je voulais que ça se termine le plus vite possible.» Il lui restait à présent 35 minutes avant le départ de la deuxième série; 35 minutes pour limiter la casse et reprendre le contrôle de ses émotions. Mais ses pensées s’entrechoquaient, et elle était désormais dans l’obligation de remporter les deux prochaines séries. En était-elle capable ? Et si elle échouait ? « J’ai travaillé d’arrache-pied pour ce moment, et maintenant, je suis à la traîne », constate-t-elle. La voilà qui refait surface, cette lancinante voix intérieure. Une voix que Carissa Moore n’a que trop bien connue par le passé. Une voix qui lui est si familière qu’elle lui a même donné un nom : “Old Riss” (c’est-à-dire la « vieille Carissa », Riss désignant le milieu de son prénom).

Moments forts d’une année record. En haut : en septembre 2021, Carissa Moore ­soulève la coupe à San Clemente (Californie), son cinquième titre mondial de surf. En bas : en juillet 2021, Moore fête sa première victoire olympique au Japon.

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Ces dernières années, elle a travaillé dur pour réduire Old Riss au silence et au prix d’efforts acharnés, elle a appris à prendre conscience de sa présence et à l’accueillir avec bienveillance. Mais Old Riss est de retour, plus déterminé que jamais. « Pour moi, c’était clair, raconte Moore, soit je continuais à m’enfoncer dans la spirale infernale du doute et je n’avais plus qu’à jeter l’éponge, soit je serrais les dents, je me battais et donnais le meilleur de moi-même. » Elle passe un coup de fil à son coach mental, reprend des forces auprès de son entraîneur de père, Chris, et de son mari, Luke Untermann. Ce dernier lui dit, les larmes aux yeux : « Chérie, s’il y a bien une personne au monde qui peut le faire, c’est toi !» Il n’en fallait pas plus pour lui permettre d’aborder la deuxième série l’esprit libéré. Car au fond, les titres et autres trophées sont une chose, mais ce qu’elle aime par-dessus tout dans le surf, c’est de pouvoir s’exprimer. Quelle que soit l’issue de la finale, elle était déjà championne dans son cœur. Carissa Moore remporte alors les deux séries suivantes avec une facilité si déconcertante qu’elle cloue le bec à Old Riss, THE RED BULLETIN

GETTY IMAGES(2), RYAN MILLER/RED BULL CONTENT POOL

Faire taire son critique intérieur


Surf pic MARQUES DE FABRIQUE Entre force et élégance, Moore lors du Corona Open Mexico à Huatulco en 2021.


ELLE A DU PUNCH

Carissa Moore en plein entraînement au sac de frappe dans sa salle de sport outdoor installée dans le jardin de sa maison d’Honolulu.

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Moore trace ses lignes avec une précision chirurgicale. Ses tricks ont révolutionné le surf féminin. THE RED BULLETIN


Surf

empochant ainsi son deuxième titre mondial d’affilée, son cinquième au total. Un triomphe qui couronne une année 2021 placée sous le signe de l’excellence : elle est montée sur le podium de toutes les épreuves du championnat et n’a jamais eu à céder son maillot jaune de leader un seul jour. Lors de la Rip Curl Newcastle Cup disputée en Australie, elle a en outre réussi un 360 ° en l’air, l’un des tricks les plus spectaculaires jamais réalisés. Enfin, elle a remporté la médaille d’or lors de la toute première épreuve olympique de surf aux Jeux de Tokyo. « Jamais aucune autre athlète n’avait eu autant de succès dans ce sport au cours d’une même année », estime Jessi MileyDyer, responsable des compétitions de la WSL et ancienne surfeuse pro.

Une ado sous les feux de la rampe

À première vue, une telle réussite semblait parfaitement prévisible : née à Honolulu en 1992, Carissa Moore a toujours fait figure d’enfant prodige. Elle n’a que cinq ans lorsque, initiée par son père, elle monte pour la première fois sur une planche de surf à Waikiki Beach. Les vidéos de la petite surdouée n’ont pas tardé à faire le buzz dans le milieu du surf. Jessi Miley-Dyer, encore en activité à l’époque, se souvient très bien de son émerveillement au moment de découvrir

le talent insensé de la fillette, ses aerials (des tricks aériens), ses fin throws (un trick consistant à projeter la planche dans les airs quasiment à la verticale) et ses virages négociés à toute allure sur de grosses vagues, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. À douze ans, Moore participe à ses premières compétitions et remporte onze titres de la National Scholastic Surfing Association (NSSA). En 2010, elle accède à la ligue professionnelle et n’est encore qu’une adolescente lorsqu’elle remporte son premier titre mondial. Dès ses débuts, elle fait figure de référence absolue : Moore surfe les vagues avec un flow impeccable agrémenté de mouvements rythmés et puissants sur la lèvre et de manœuvres fulgurantes dans le curl (le centre énergétique de la vague), avant de tracer une ligne nette sur le face (la partie non brisée de la vague) avec une précision chirurgicale. Ses tricks radicaux ont révolutionné le surf féminin : « Aucune surfeuse ne l’avait fait avant elle », précise Jessi Miley-Dyer. Mais à y regarder de plus près, on découvre que cette médaille a aussi un revers. Ainsi Carissa Moore a-t-elle par exemple vécu toute sa puberté sous le feu des projecteurs, laissant au monde entier le loisir de découvrir ses troubles alimentaires et de se moquer de son p ­ hysique.

Carissa Moore dans son salon avec Maya (à g.) et Tuffy, ses deux chiens qui l’accompagnent dans les moments de joie comme dans les épreuves. THE RED BULLETIN

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Surf

Des moqueries qui ont conduit Carissa à douter de sa valeur en dépit de tous ses succès. De manière générale, c’est cette recherche d’identité qui a été son plus grand défi. « Dans ma vie, je me suis mis énormément de pression pour obtenir certains résultats, dit-elle aujourd’hui. Je me suis toujours demandé qui je serais sans mes victoires. » Carissa Moore a fini par faire un burnout après avoir remporté sa troisième coupe du monde en 2015. Une épreuve qui lui a permis de comprendre que sa

valeur ne se mesurait pas à l’aune de son seul palmarès. « Parfois, il faut simplement recommencer à zéro, résume-t-elle. Dans mon cas, il s’agissait de retrouver l’amour, le bonheur et de libérer du temps pour me détendre et profiter de la vie. » Banco ! En 2017, elle épouse Luke Untermann, son amour de lycée. Elle consacre du temps à ses amis et sa famille, fait des randonnées en forêt près de chez elle dans les collines d’Honolulu et saupoudre le tout de séances de brico-

lage et de skate avec ses deux chiens, Maya et Tuffy. En 2018, elle fonde Moore Aloha, une organisation à but non lucratif qui accompagne les jeunes filles pour les rendre fortes, sûres d’elles et empathiques. « Aloha », la salutation hawaïenne qui se traduit entre autres par amour, empathie ou sympathie, désigne plus généralement la légendaire bonhomie des Hawaïens. Si l’on demande à ses proches de décrire Carissa Moore en une phrase, la plupart vous répondront : « C’est quelqu’un de bien. » Moore a toujours eu le chic pour surprendre les gens avec des gestes pleins d’humanité. Après sa première victoire sur le circuit professionnel en 2010 en Nouvelle-Zélande, elle a par exemple reversé sa prime de victoire à une association de surf locale. Et récemment, elle a prononcé un discours en japonais pour remercier les organisateurs d’avoir permis à l’équipe de surf américaine de s’entraîner sur place en préparation des Jeux de Tokyo.

Sa nouvelle mission : devenir un mentor pour les jeunes surfeuses

Pour Carissa Moore, les forêts de la vallée de Palolo qui entourent sa maison d ­ ’Honolulu représentent une « cathédrale verte ».

« J’aimerais que l’on se souvienne de mon style de surf pour les émotions positives qu’il provoquait. » 60

Elle est aujourd’hui âgée de 29 ans. ­Difficile de faire mieux qu’elle dans le domaine du surf. Elle a inspiré toute une génération de jeunes surfeuses prêtes à porter leur sport à un niveau toujours plus stratosphérique. « Ce qu’elles font, il me faudrait sans doute une deuxième vie pour y parvenir et c’est très bien comme ça, dit-elle en riant. Mais j’espère pouvoir rivaliser avec elles encore quelque temps ». Après les succès de 2021, Carissa se sent libre pour la première fois de sa vie : « J’ai l’impression que je commence tout juste à être en phase avec mon moi personnel et professionnel. » Quels objectifs peut-elle encore avoir envie d’atteindre ? Elle rêve par exemple d’améliorer sa technique de backside barrel ride, le trick le plus difficile de tous. Et elle considère qu’elle a encore des progrès à faire pour surfer les vagues géantes de la plage de Teahupo’o : son style doit devenir encore plus fluide, plus élégant et plus radical. Mais au final, il n’y a plus qu’une chose qui compte pour elle : « Plus tard, j’aimerais que l’on se souvienne de mon style de surf pour les émotions positives qu’il provoquait. » Instagram : @rissmoore10 THE RED BULLETIN


PROFITER DE LA VIE

Objectif atteint pour ­ arissa Moore, ici lors C du shooting photo pour The Red Bulletin à Hawaï.


5 M IN U TES C HRONO

00:00 EN FINIR AVEC LE TRAC

Profite de l’instant !

L’un des meilleurs danseurs d’Allemagne, B-Boy SAID explique comment un séjour dans le désert l’a aidé à apprendre à rester cool devant son public.

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01:59

Porter des bijoux Pour être moins nerveux et avoir plus confiance en soi, on peut aussi se munir d’un porte-bonheur. Il peut s’agir d’un vêtement, d’une pierre, ou d’un bijou, peu importe. Je possède par exemple une bague que je porte toujours sur moi avant chaque battle. Je me la suis acheté au Maroc, lors d’un voyage que j’ai fait dans le d ­ ésert en 2018. À l’époque, j’ai beaucoup réfléchi au sens de ma vie, à la quantité de travail à investir pour le break ou aux sacrifices que j’étais prêt à faire pour ma carrière. Aujourd’hui, quand je suis en compétition, je regarde cette bague à mon doigt et une foule d’émotions remontent en moi. Ça me donne encore plus de force.

Soigner son diaphragme

Regarder le public dans les yeux

Avant mes performances, je fais toujours le même exercice de respiration : je me tiens bien droit, dans une position confortable pour donner le plus de place possible au diaphragme, puis je respire plusieurs fois profondément par le ventre. Pourquoi ? Une respiration consciente et profonde régule le rythme cardiaque et détend les nerfs. Les battements de notre cœur sont reliés au cerveau. Une respiration superficielle accélère le rythme cardiaque et transmet des signaux de stress au cerveau. Le problème, c’est qu’on est habitué à respirer par les poumons, il faut donc un peu d’entraînement. Je dis toujours à mes élèves de breaking de poser une main sur leur poitrine et l’autre sur le ventre, puis d’inspirer profondément et lentement par le nez pour que la main sur la poitrine se ­soulève en premier, puis c’est le tour de la main posée sur le ventre.

Un conseil répandu est d’imaginer les spectateurs nus ou d’en faire totalement abstraction. Il paraît que ça 03:07 réduit le trac, les spectateurs perdant alors ce côté menaçant. Moi, en fait, je fais exactement le contraire : j’observe attentivement le public lors de mes représentations. Voir l’expression sur le visage des gens me rassure car je comprends qu’ils ne me veulent absolument aucun mal. Personne n’est Je me félicite déjà avant d’entrer en là pour me juger. Ils veulent simplement me voir et passer du bon temps scène, même si je le fais en silence. en ma compagnie. Dans ma tête, je visualise ma victoire En plus, mon équipe est toujours là. et pense à mes sensations quand je Quand je sais que j’ai des potes dans le lèverai les bras au ciel. Un facteur de motivation supplémentaire qui me public ou que ma mère regarde mes donne encore plus confiance en moi. performances en streaming, je ne me Et je continue de dérouler ce film sens pas seul. Je sais que ces personnes dans ma tête : j’imagine les mouveseront toujours là pour me soutenir, ments que je vais effectuer, les réacquel que soit mon résultat. Ça me tions des spectateurs et les adversaires rassure. qui m’attendent. Visualiser ces différentes situations à l’avance les rendent

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THE RED BULLETIN

PHILIPP LEDÉNYI, ROMINA AMATO/RED BULL CONTENT POOL

Se féliciter soi-même


03:42 familières, elles n’auront plus ce caractère imprévisible lorsqu’elles auront réellement lieu. Je suis mieux préparé et donc plus détendu au moment d’entrer en scène. On peut aussi se familiariser avec les lieux du battle en regardant des photos et des vidéos sur le net.

04:15

Réciter un mantra

Serhat Perhat (alias B-Boy Said) : à 25 ans, son style de danse créatif et son calme intérieur lui ont permis de remporter le Red Bull BC One Cypher Germany en 2021.

« Faire abstraction des spectateurs ? Je fais exactement le contraire. » B-Boy Said

Les meilleurs B-Boys et B-Girls du Red Bull BC One Cypher Switzerland (le 12 juin à Baden) représenteront la Suisse en novembre à la finale à New York City. Infos : redbull.com/bconeswitzerland

THE RED BULLETIN

Quand on a le trac, on ne se sent pas bien, c’est clair. Mais en fait, c’est le moment qu’on attendait : la plupart du temps, on veut montrer au public ses talents de danseur ou de chanteur, recevoir une récompense ou prononcer un discours, sinon on ne serait pas là. Avant chaque représentation, ­j’intègre cette idée grâce à un mantra que je me répète en boucle. Un dialogue intérieur positif pour me motiver. Par exemple, lorsque j’ai p ­ articipé aux championnats ­d’Allemagne de break en avril, je sortais de mon deuxième Covid et j’étais loin d’être au top de ma forme physique. Donc je me répétais continuellement : « Ne bloque pas sur le score ou sur tes mouvements, l’important, c’est que tu profites de la musique et du moment. »

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L’HONNEUR EST SAUF !

Une image rare : notre auteur Anatol Vitouch (à droite) a adopté une défense compacte.

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Anatol (à gauche) a trois minutes pour battre son adversaire Josef sur ­l’échiquier ou devra monter sur le ring pour le prochain round.

Chessboxing

L’AUTOTEST PAR TH E R ED ­BULLETIN

ÉCHEC AU POING Trois minutes d’échecs, trois minutes de boxe. Victoire par mat ou par knock-out. Le Chessboxing est-il l’ultime ­alliance entre poing et cerveau ? Champion d’échecs, notre auteur découvre la boxe. Rencontre à Berlin pour son premier combat. Texte ANATOL VITOUCH

THE RED BULLETIN

Photos NORMAN KONRAD

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B

erlin Mitte, salle de sport Franz Mett, vendredi soir, 19 heures. Deux poings bandés, un pion dans chacun, l’un blanc, l’autre noir. Je désigne le poing droit, mon opposant l’ouvre : blanc. J’ai déjà gagné le choix de la couleur. Dernière poignée de mains et j’entame les hostilités : 1. c2-c4. Après une douzaine de coups, mon ouverture anglaise m’a donné l’avantage. Mon adversaire se débrouille plutôt bien. Il développe ses pièces au centre, ne fait aucun mouvement de pions inutiles et met son roi à l’abri. Pourtant, après deux minutes, je sais déjà que sa position finira par s’effondrer tôt ou tard. Je le repousse peu à peu au centre, développe agressivement mes pions vers l’aile droite et avance ma dame en position favorable au bout de l’échiquier. Mes coups viennent si naturellement que je ne perds aucune seconde à réfléchir. Mais le gong ne tarde pas à sonner : le premier tour d’échecs est terminé avant que je puisse passer à l’attaque. Deux assistants ôtent l’échiquier et la pendule d’échecs du ring. D’une main tremblante, j’enfile mon protège-dents et mes gants de boxe. J’ai à peine le temps de penser à enlever mes lunettes que mon adversaire me tend déjà les poings pour taper dedans. Nouveau gong. Je mords mon protège-dents… À l’aide, ­Bobby Fischer ! Mais c’est quoi le chessboxing ? Une question que m’ont posée tous ceux à qui j’ai confié le motif de mon séjour. La réponse est simple : trois minutes d’échecs puis trois minutes de boxe, successivement, en onze rounds maximum. Échec et mat ou K.O. décident de la 66

LE CHALLENGEUR

Premier combat de boxe pour notre écrivain et champion d’échecs Anatol Vitouch, 37 ans.

« JE MORDS MON PROTÈGE-DENTS… À L’AIDE, BOBBY FISCHER ! »

v­ ictoire selon la discipline dans laquelle le dernier coup victorieux est porté. L’annonce de ma décision de monter sur le ring a suscité des réactions variées. Une amie au bon cœur s’est mise à pleurer pour moi en silence. Un ami du type sportif tête brûlée a essayé de me traîner devant la porte du bar où nous étions assis pour tester mes connaissances en boxe. Mais voilà : je n’y connais rien, en boxe. Certes, le sujet m’a toujours passionné : aussi loin que je me souvienne, j’ai passé mon enfance à regarder les combats des frères Klitschko, d’Henry Maske ou d’Axel Schulz à la télé. THE RED BULLETIN


Chessboxing

À 16 ans, j’ai lu Paris est une fête, d’Ernest Hemingway, et en suis sorti convaincu qu’en tant que futur écrivain, je devais absolument me consacrer à ce sport. Mais hormis certains combats à mains nues lors de soirées arrosées et quelques séances d’entraînement dans un club en banlieue de Vienne (Autriche), je n’ai jamais vraiment pratiqué ce noble art. Précisons aussi qu’à 37 ans, j’ai atteint un âge où la plupart des hommes en sont à découvrir leur fauteuil préféré. Ma forme physique n’est pas non plus catastrophique : si je devais la décrire je dirais qu’elle se situe dans la moyenne… pour un type de 37 ans. Mon seul avantage pour un match de chessboxing est que je suis champion d’échecs, et plus précisément maître de FIDE, titre octroyé par la Fédération internationale des échecs aux joueurs qui dépassent un classement Elo de 2 300 points. Les meilleurs joueurs de café se situent autour de 1 700 points, le champion du monde d’échecs, Magnus Carlsen, dépasse régulièrement les 2 800 points. Conclusion : loin de gagner ma vie aux échecs et souvent obligé de m’incliner face aux grands maîtres, je suis malgré tout bien meilleur que la plupart de ceux qui pensent être de bons joueurs.

« COMMENT ÉVITER DE SORTIR DE LÀ SUR UN BRANCARD ? » La question est donc de savoir si j’ai une chance de tenir suffisamment de rounds de boxe pour mettre mon adversaire au tapis. Et si ce n’est pas le cas, comment éviter de sortir du ring sur un brancard ?

En plein dans le pif

Josef fait une tête de plus que moi, son corps n’est qu’un seul muscle tendu comme un arc. Avant, il était ceinture noire d’aïkido. Quand il en a eu marre, il s’est mis à la boxe, puis au chessboxing. J’espérais un peu qu’il commence en douceur, me laisse venir et me permette de trouver mes repères. Des clous. Dès la première seconde, mon adversaire me couvre de coups. Il lance principalement des coups droits, entrecoupés de crochets du droit et du gauche qui m’atteignent à la tempe alors que je protège mon visage. Pendant les trente premières secondes, une avalanche de coups m’empêche de penser à riposter. Mon instinct de survie me dit de me couvrir, de me baisser, de me rouler en boule et de m’enfuir du ring. J’ai échafaudé beaucoup de straté-

PREMIER ENTRAÎNEMENT. Pas de chessboxing sans entraînement préalable : la veille

du combat, notre auteur Anatol tente de se mettre rapidement en forme avec la corde à sauter et le sac de frappe. Il donne au moins une bonne correction à son adversaire en rouge. THE RED BULLETIN

gies pour ce second round : les coups les réduisent en fumée. Comme aux échecs, on ne peut faire que ce que l’adversaire laisse faire. En ce qui me concerne, Josef ne laisse rien passer. Mon assistant m’encourage depuis le coin du ring : « Au courage, Anatol ! » Je tente une combinaison de coups. Josef n’a aucun mal à bloquer mon gauche. J’essaie d’enchaîner avec une droite, mais elle n’a même pas atterri qu’il me place déjà une droite en plein nez. Je fais deux ou trois pas en arrière en titubant, me rajuste et relève ma garde. Josef aura beau dire par la suite qu’il n’était pas à fond, un tel coup ne fait pas seulement mal, il vous coupe le souffle. Et le souffle est précieux. Le protège-­ dents me gêne pour respirer, j’ai le vertige. Lorsqu’un beuglement annonce la fin des deux minutes, j’ai l’impression que mes jambes se dérobent. Mais les coups de Josef continuent de me repousser sur le ring. Je ne feins plus les contres que pour le tenir à distance, même brièvement. Je n’ai plus la force d’attaquer. Ding, ding, ding. Sauvé par le gong pour les trois prochaines minutes.

Le Fight Club des intellos

L’histoire du chessboxing est vite racontée. On doit sa création à l’artiste de performance Iepe Rubingh, originaire de Rotterdam et devenu, en 2003, le premier champion du monde de ce sport dont l’inspiration lui est venue à la lecture d’une bande-dessinée française, Froid Équateur, d’Enki Bilal. Adepte de ces deux disciplines, le Néerlandais a décidé de transformer cette fiction en réalité. Au lieu de faire un combat de boxe complet suivi d’une partie d’échecs, Rubingh a eu l’idée d’alterner les deux. Le premier club de boxe d’échecs du monde voit rapidement le jour à Berlin, ville d’adoption de Rubingh. Et si les clubs de chessboxing se sont aujourd’hui mondialisés, d’Angleterre en Russie en passant par la Chine, l’Inde et les ÉtatsUnis, Berlin est toujours considérée comme le berceau de ce sport. C’est ici, dans le plus ancien club de chessboxing au monde, le Chess Boxing Club Berlin (CBCB), que je dispute mon premier combat. Échecs et boxe font-ils vraiment bon ménage ? Les fans de l’invention de Iepe 67


Chessboxing

Rubingh ne jurent que par cet i­ ntellectual fight club, alliance ultime entre sport physique et mental. Selon eux, le fait d’avoir le cerveau trop ramolli pour jouer raisonnablement aux échecs après un crochet du droit bien placé n’est pas un handicap mais la raison d’être de ce sport. Il faut avoir un niveau comparable dans les deux disciplines. Un super crochet du droit ne servira à rien si on se fait avoir par le coup du berger (une mise en échec et mat rapide en début de partie). Jusqu’à présent, les championnats du monde ont presque tous été décidés par un échec et mat.

La dame dit merci

J’ôte mon protège-dents et mes gants. Mon cœur bat à tout rompre, je suis en nage. Quel bonheur d’avoir mes pions face à moi plutôt que les poings de Josef. Il oublie un pion sur b7, ma dame le remercie. Mes pièces s’engouffrent dans la percée opérée dans la défense de Josef aussi vite que ma sueur dégouline sur l’échiquier en plastique. Mon fou se fait une petite place au soleil en d6 avant de continuer sa progression pour s’emparer d’un cavalier noir. Les pièces pataudes de Josef somnolent sur la ligne de base, la victoire m’est clairement acquise. Malheureusement, cela ne signifie pas que le mat est déjà en vue. Car le roi noir de Josef est toujours en position de roque derrière une solide défense de pions. Je dois la faire sauter avant de passer à l’attaque, ce qui prendra du temps. Ding, ding, ding. Quoi ? Déjà ? Je pose mes lunettes, une bonne rasade d’eau, rechausse mes gants et mon protège-dents. Quatrième round, je sens encore la fatigue du deuxième.

« J’AIME BIEN LE SOL. PAS BESOIN DE BOUGER, ICI. ET ON NE SE FAIT PAS TAPER DESSUS. » 68

L’ADVERSAIRE

Josef Galert, 49 ans, vice-président du CBCB.

Je devrais peut-être passer à l’offensive ? Josef sait qu’il est mal en point aux échecs ; il fond sur moi en trois grandes enjambées et cogne. Je me baisse, me couvre, essaie de pivoter mon corps pour ne pas offrir une cible fixe. Il fait mouche, mais pour une raison qui m’échappe, je me sens mieux qu’au deuxième round. Peut-on s’habituer si vite à une raclée ? J’ai encore un peu d’air et j’ai envie de boxer, moi aussi. Je repousse un direct du gauche de Josef avec mon gant gauche, m’avance et frappe : droite-gauche-droite. Le direct du droit de Josef m’atteint au front, je vois des étoiles et me retrouve au sol. J’aime bien le sol. Pas besoin de bouger, ici. Et on ne se fait pas taper dessus. Le coup n’était pas si terrible

à la réflexion mais chaque saucée de Josef affaiblit un peu plus mon état physique. Je ne pense plus au prochain tour d’échecs, juste à survivre. Josef me tend sportivement sa pogne gantée pour m’aider à me relever. C’est pas les ­championnats du monde ni une question de vie ou de mort, après tout. Il faut juste tenir encore une minute jusqu’à la fin du round. La peur revient, de manière subtilement différente : peur de retomber au tapis, ce que j’essaie d’éviter avec mon jeu de jambes, mais Josef ne me laisse aucun répit. Pourquoi le ring est-il si minuscule ? Je suis encore coincé dans les cordes, THE RED BULLETIN


SPORT CÉRÉBRAL

Malheureusement pour Anatol, son adversaire ne sait pas seulement boxer, il se débrouille bien aux échecs.

AÏE ! AÏE ! AÏE !

Anatol connaît bien le concept de couverture aux échecs mais en matière de boxe, il a du retard.


Chessboxing

me fais cueillir par un crochet de Josef sur la côte gauche, m’écarte, reçois deux coups supplémentaires, touché au corps et au front, mais arrive encore à tenir ma garde. Au son du gong, je sais pertinemment que je ne tiendrai pas un round de plus. Soit je fais échec et mat tout de suite, soit je me couche au prochain round. Point barre.

Donne la papatte !

La veille du combat, je fais une séance d’entraînement. Au CBCB, il y a des journées boxe et des journées chessboxing. Le jeudi, c’est boxe, et le chef, c’est Ole, trentenaire dégingandé qui pousse ses élèves à la course à pied dans son

patois local. Déjà à bout de souffle après quelques tours de salle, je me renseigne sur son niveau aux échecs. « Jamais fait une bon dieu d’partie d’échecs de ma vie », lâche Ole. Après la course, on descend au sous-sol où nous attendent des sacs de sable dans une entêtante odeur de sueur. J’enfile une paire de gants rouges élimés et commence à malmener un des sacs au rythme des aboiements d’Ole : gauche-droite, gauche-droite-gauche, gauche-droite, gauche-droite-gauche. Ça fonctionne bien mais c’est vite fatigant. Je frappe trop fort, mes phalanges et mes bras me font déjà souffrir. J’ai à peine le temps de m’asseoir qu’Ole me fait venir à lui : entraînement indivi-

« MES PHALANGES ET MES BRAS ME FONT SOUFFRIR, LE COACH M’APPELLE : SESSION INDIVIDUELLE. » duel pour le bleu. Ole porte des « pattes d’ours », ces gants ronds et plats avec lesquels les entraîneurs de boxe dirigent et bloquent les coups de leurs élèves. Il m’annonce les combinaisons, je les exécute docilement : crochet gauche-droitegauche. Crochet gauche-droite-vers le haut. Crochet gauche-droite-gauche. Gauche-droite-gauche-droite, puis encore gauche-droite-gauche-droite. Ole pense que je devrais enchaîner plus vite. Moi, je ne pense rien du tout, bien trop occupé à reprendre mon souffle. Quand mes bras refusent de se lever, Ole frappe mes gants de ses pattes en rigolant, avant d’avoir enfin pitié de moi et d’aller tourmenter son prochain élève. Je m’agrippe à mon sac de sable, complètement hors d’haleine. Comment vais-je faire pour survivre demain si je suis déjà cuit après cinq minutes d’entraînement individuel ? Je sonde la salle d’entraînement du regard : une douzaine de personnes dont deux femmes, au moins dix ans de moins que moi pour la plupart, et tous en bien meilleure forme.

Le roi chancelle

RÉCUPÉRATION.

Après le combat, il faut respirer à fond. Six rounds de chessboxing fatiguent les jambes, et le cerveau.

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Je suis crevé mais retrouve enfin mon oasis sur l’échiquier. Si je peux encore m’asseoir, je peux gagner cette partie. J’ai beau m’être retrouvé au tapis au cours du dernier round, j’ai encore toute ma tête. Ou plus précisément, ma tête fonctionne encore suffisamment pour ne laisser aucune chance à un joueur de sa trempe sur l’échiquier. Car Josef commet des erreurs : il laisse des pions pendant que mes pièces tournent autour de son roi ; va-t-il faire mat ? Il réfléchit. Un seul coup lui permettra de retarder l’inévitable : sacrifier son cavalier. Merde, il l’a vu ! Son roi s’enfuit devant ma dame, je mets son cavalier en échec. Ce sacrifice ne le sauvera pas, mais lui donne quelques coups de répit. Dong, dong, dong. « Les échecs, c’est la guerre », disait l’Américain Bobby Fischer. Dans les THE RED BULLETIN


Sourire béat quoique légèrement crispé : s’affronter sportivement et loyalement sur le ring comme sur l’échiquier peut aussi créer des liens, preuve à l’appui avec Josef et Anatol.

années 70, il détruit la domination soviétique pour devenir champion du monde d’échecs en pleine guerre froide. Au cours de ses interviews, il aimait raconter que sa plus grande joie était de pulvériser l’ego de son adversaire. Bobby ne voulait pas simplement gagner, mais annihiler ses concurrents. Il aurait adoré le chessboxing. Parmi les adeptes de ce genre de sport à Berlin, on trouve autant des boxeurs attirés par les échecs pour l’équilibre intellectuel que cela procure que le contraire, surtout depuis que la fameuse série produite par Netflix, Le Jeu de la dame, a relancé la mode des échecs. Les grands maîtres montent toutefois rarement sur le ring, car ils n’aiment pas se faire taper sur la tête : c’est leur capital, après tout. Dans les vestiaires du gymnase Franz Mett, dignes de ceux d’un lycée, Mustafa, la vingtaine, cheveux et teint mats, enfile ses chaussettes après l’entraînement en m’expliquant qu’il était un jeune joueur d’échecs accompli en Turquie. Récemment arrivé à Berlin, il a découvert le chessboxing complètement par hasard et s’entraîne désormais régulièrement pour assouvir son ambitieux projet : d’ici trois ans, il veut être suffisamment habile de ses poings pour pouvoir disputer son premier vrai combat de chessboxing. Je n’ose pas lui avouer que je monterai moi-même sur le ring demain après une malheureuse heure d’entraînement. THE RED BULLETIN

« LES GRANDS MAÎTRES D’ÉCHECS N’AIMENT PAS SE FAIRE TAPER SUR LA TÊTE. » Rien ne va plus

Aux échecs, on peut abandonner. Mais en boxe ? Je sais que Josef doit me mettre K.O. Il le sait aussi. Je n’ai plus la force de résister très longtemps. Ma couverture me permet de parer encore quatre ou cinq coups. Maigre sursis. Un autre crochet du droit à la tempe me fait vaciller de côté. Quand mes jambes finissent par me lâcher, un profond s­ oulagement s’empare de moi. Josef veut m’aider à me relever une fois de plus. Je secoue la tête, crache le protège-dents qui m’empêche de respirer : rien ne va plus. K.O. technique au sixième round, j’ai perdu mon premier combat de chessboxing. À mon réveil le lendemain matin dans ma chambre d’hôtel, je commence par tâter mon corps devant le miroir de la salle de bain. La seule marque visible est un bleu sur une côte là où le crochet de Josef m’a atteint. Je me sens un peu vaseux, mais ce n’est sûrement pas étranger à mes héroïques soirées dans les bars berlinois. Je n’ose imaginer comment je

me sentirais aujourd’hui si mon adversaire avait frappé de toutes ses forces. Devant mon petit-déjeuner dans un café étudiant d’Alexanderplatz, en plein centre de Berlin, je repense à ce moment vécu sur le ring. Les échecs et la boxe font bon ménage car dans les deux sports, il faut se taire, c’est du moins ce que Josef m’a expliqué hier après le c­ ombat. Au bout de six rounds de chessboxing, je ne suis pas complètement convaincu de leurs affinités électives. On a beau les prendre au sérieux, les échecs sont et restent un jeu, un loisir. La boxe, c’est une autre dimension, une épreuve de survie où la tête devient une surface sur laquelle on frappe. Si je suis content d’avoir tout donné, je ne suis vraiment pas pressé de prendre ma revanche. J’attrape mon jeu d’échecs de poche et, de mémoire (encore intacte, heureusement), reconstitue la fin de partie d’hier. Mince, encore quatre coups et je faisais mat ! chessboxingberlin.de

LA PARTIE D’ÉCHECS À REJOUER Blancs : Anatol Vitouch, Noirs : Josef Galert 1. c4 e5 2. Sc3 Lc5 3. Sf3 d6 4. g3 Se7 5. Lg2 0–0 6. 0–0 c6 7. e3 Lg4 8. h3 Lh5 9. g4 Lg6 10. d4 e×d4 11. e×d4 Lb4 12. Lg5 f6 13. Lf4 L×c3 14. b×c3 d5 15. Db3. Fin du premier round. 15. … Lf7 16. D×b7 Sd7 17. Ld6 Te8 18. Tfe1 Kf8 19. Sh4 g6 20. c×d5 c×d5 21. L×d5 L×d5. Fin du troisième round. 22. D×d5 Sb6 23. De6 Sc8 24. D×f6† Kg8 25. Le5 Sf5 26. Dh8† Kf7 27. D×h7† Ke6 28. g×f5†. Fin du cinquième round..

8 7 6 5 4 3 2 1 A

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H

La fin de partie après abandon de notre auteur dans le round de boxe. Il jouait avec les Blancs et venait de manger le cavalier noir en f5, son pion mettait le roi en échec. Anatol aurait fait échec et mat en quatre coups.

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PERSPECTIVES Expériences et équipements pour une vie améliorée

À COUPER LE SOUFFLE

DAVOS KLOSTERS BERGBAHNEN AG

La championne Judith Wyder nous emmène sur ses trois trails préférés autour de Davos.

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PERSPECTIVES voyage

« La magnifique vue surplombant le lac de Davos est la récompense des 600 mètres de dénivelé. » Judith Wyder, 33 ans, multiple championne du monde et d’Europe de course d’orientation.

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De là, le chemin de crêtes de la chaîne Flüela est balisé, techniquement abordable, mais long. Il se termine par une légère exposition au Pischahorn, à 2 980 mètres.

Un certain savoir-faire alpin est requis Les 600 mètres de dénivelé ouvrant ce parcours sont extrêmement raides, mais vos efforts sont récompensés par la vue surplombant le lac de Davos, la Weissfluh (2 843 mètres) avec la Strela-Alp en toile de fond. En l’espace d’une petite

heure, toujours au pas de course, on peut atteindre la vallée en direction de Klosters le long de la crête. Le Pischahorn n’a pas de téléphérique, une bonne connaissance de la montagne est donc nécessaire : savoir se déplacer en toute sécurité sur un terrain rocheux, anticiper les changements brusques de météo sont quelques-unes des compétences nécessaires avant de se lancer. Pensez à emporter suffisamment d’eau, un litre à un litre et demi au minimum, car les ruisseaux sont rares. J’emporte aussi toujours quelques THE RED BULLETIN

SIMON SCHREYER

S’entraîner en été à Davos : Judith Wyder et son mari Gabriel sur le Jakobshorn.

DAVOS KLOSTERS BERGBAHNEN AG

avos est une ville où chacun trouve son bonheur. Et Dame nature n’est jamais loin. Les hautes montagnes alpines sont accessibles à pied depuis le centre et les téléphériques constituent un bon moyen de prendre un peu d’avance, et de rendre la sortie moins raide. Une situation qui offre aux traileurs que nous sommes un large choix d’itinéraires difficilement accessibles sans une infrastructure aussi développée. À la station Davos Klosters, les télécabines vous déposent en un rien de temps sur les crêtes des magnifiques montagnes grisonnes. La vue y est à couper le souffle et le paysage alterne entre espaces ouverts verdoyants et chemins de forêt ombragés. Si vous êtes bien entraîné, je vous conseille un itinéraire de trois à quatre heures, privilégiant la beauté du paysage. Un départ du village à 1 560 mètres ­d’altitude vous mènera directement au Seehorn, une montagne panoramique culminant à 2 238 mètres, une section que je couvre en une demi-heure, à un rythme soutenu et sans faire de pause.


Zurich Berne Davos

Suisse

CANTON DES GRISONS

S’y rendre En voiture : de Zurich par l’A3/A13 (suivre les panneaux verts) en direction de Coire/Chur. De Landquart, prendre la route cantonale 28 jusqu’à Davos. Les communes de Davos et Klosters disposent d’un important réseau de bus. Des aires pour vans et camping-cars existent près du lac (1 CHF/h). Davos dispose aussi de stations de recharge électrique. En train : 2 h 20 de Zurich à Davos via L­ andquart, et 5 h2 0 depuis Genève.

Inclus dans le package des Mountain Hotels, les voyages en téléphérique sont gratuits.

Bon à savoir Il vaut la peine de séjourner dans l’un des Mountain Hotels, comme l’hôtel Strela (photo). Le billet pour les téléphériques est inclus dans le package trailrunning. Pour qui veut admirer la splendeur des montagnes grisonnes, nous recommandons de monter au sommet du Weissfluh à Parsenn, qui est aussi le point de départ de nombreux trails de course et de vélo. Davos est un aimant pour les vététistes : une navette VTT ­circule tous les vendredis lors du TGIF (pour Thank God it’s Friday) Run jusqu’au col de la Flüela. THE RED BULLETIN

L’offre randonnée et trail (à partir de 74 CHF) comprend, entre autres, l’hébergement, les ­téléphériques de la région, l’accès gratuit aux bus locaux et des cartes de randonnée. Le lac de Davos se prête idéalement à la pratique du wakeboard et de la planche à voile. davosklostersmountains.ch Instagram : @davosklostersmountains

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PERSPECTIVES voyage

barres énergétiques en guise d’en-cas. Pour le matériel, je préconise des chaussures running trail avec une bonne accroche, surtout au printemps ou en automne lorsque les cailloux ou l’herbe humide sont glissants. Un teeshirt de rechange et un coupe-vent peuvent s’avérer très utiles tout comme des bâtons de trail running, notamment pour les passages raides.

Monter au sommet du ­Jakobshorn Ma deuxième option consiste en un trail moins exigeant et très fluide. Il démarre à Teufi dans la vallée de la Dischma, à environ 4 kilomètres de Davos. La première partie n’a rien d’exceptionnel, juste un simple chemin de gravier, mais ensuite, le paysage devient très plaisant. Une fois que vous atteignez la ­Tällifurgga, suivez la crête panoramique jusqu’au Jakobshorn (2 590 mètres). C’est par ailleurs sur cette arête qu’a eu lieu l’an dernier le trail du Red Bull Ridges, mais dans l’autre sens. Du 76

« Je démarre de préférence le matin, lorsque la lumière est la plus belle. » Judith Wyder

Jakobshorn, un téléphérique vous permet de regagner la vallée, ou bien vous pouvez parcourir les 5,2 kilomètres du 1 k Vertical Run pour rejoindre Davos. Ce trail ascendant est aussi mon troisième conseil : c’est le plus court des trois trails et il relie directement Bolgenplaza à Davos au Jschalp et de là un sentier étroit mène au Jakobshorn. Attention aux vététistes ! Le 1 k Vertical Run est le seul des trois trails proposés sur lequel vous croiserez aussi des cyclistes. Le parcours n’est pas le plus beau, mais il est techniquement facile. Et ses 1 000 mètres de dénivelé seront un bon indicateur de cadence et de votre forme du moment. Je démarre de préférence le matin, lorsque la lumière est la plus belle. Si vous préférez partir plus tard, assurez-­ vous d’être à la station de descente au plus tard à 16 h 30, ou sinon, d’être équipé d’une lampe frontale si vous courez dans la vallée à la nuit tombée. indurance.ch ; redbull.com ; Instagram : @judithwyder THE RED BULLETIN

DAVOS KLOSTERS BERGBAHNEN AG, ROMINA AMATO FOR WINGS FOR LIFE WORLD RUN

Montées raides et vues magnifiques depuis le Jatzhorn : Judith Wyder et son mari courent vers le soleil.


fungolf.ch

Jouez au golf sans connaissance préalable.

Jouer, célébrer, s’amuser avec des amis. great fun!


PERSPECTIVES biohacking MANIÈRE DE PENSER

Une casquette pour le focus Tous les mois, le biohacker professionnel Andreas Breitfeld nous donne ses conseils pour vivre mieux. Aujourd’hui : comment travailler mieux et être plus concentré grâce à un couvre-chef adapté.

La casquette fonctionne comme une pièce basse de plafond : le champ de vision limité permet de se concentrer avec minutie sur la tâche à l’écran.

Plafond

Sensation

Travail

haut

liberté

créatif

bas

limitation

minutieux

La créativité a besoin d’espace

L’explication comporte encore ses parts d’ombre. Cependant, concernant l’effet cathédrale, tel que présenté par Edward T. Hall dans les années 1960 puis repris dans une étude américaine par Joan Meyers-Levy et Rui Zhu (2007), une chose est certaine : la hauteur du plafond a un impact sur l’activité cérébrale. Les architectes des lieux de culte l’avaient probablement déjà constaté. Ainsi, un 78

En termes simples, le BIOHACKING englobe tout ce que les gens peuvent faire eux-mêmes pour améliorer leur santé, leur q ­ ualité de vie et leur longévité.

TOUT, VOUS SAUREZ TOUT SUR LE BIOHACKING ! En scannant le QR code ci-contre, accédez à des contenus digitaux pour entraîner votre mémoire et booster vos performances mentales, entre autres… THE RED BULLETIN

SASCHA BIERL

ANDREAS BREITFELD, 49 ans, est le biohacker le plus célèbre d’Allemagne. Il est chercheur dans son labo spécialisé de Munich.

ANDREAS BREITFELD

Pourquoi je fais ça ?

plafond bas favorisera une tâche méticuleuse (ou une prière intérieure), tandis qu’un plafond haut ou un travail en extérieur alimentera la créativité (ou les pensées spirituelles). Concernant la casquette, le champ de vision restreint ­permet de se focaliser sur les détails, ­activant ainsi la « bosse des maths » dans le cortex cérébral lors de l’étude de chiffres et de tableaux. Un impact ­déjà présent dans l’inconscient collectif : souvenez-­vous de la caricature de l’expert-­comptable avec sa visière et ses protège-manches dans les BD...

PERSONNELLE

L

a plupart des métiers font la part belle au travail sur ordinateur. J’y passe moi-même une grande partie de mon temps. Mais mon écran n’a pas de place attitrée : il m’arrive de le déplacer selon la tâche à effectuer voire de mettre une casquette, ce que je fais notamment pour régler les tâches administratives.

Qui veut laisser libre cours à ses pensées doit leur donner de l’espace (ou de la hauteur). Qui travaille sur des listes Excel y arrivera mieux avec un plafond bas.



PERSPECTIVES playlist

FONTAINES DC

Sens de l’humeur

Même s’il est d’ordinaire assez morose et a tendance à pencher du côté obscur de la Force, le guitariste du groupe post-punk irlandais, Carlos O’Connell, promet de nous remonter le ­moral avec cette sélection musicale.

WUNDERHORSE

KENDRICK LAMAR

BLUR

TODAY (1993)

TEAL (2021)

HUMBLE (2017)

OUT OF TIME (2003)

« Au début de l’adolescence, j’étais à fond dans le grunge, juste pour le son. C’était avant de découvrir les Smashing Pumpkins. Ils possèdent une sensibilité très personnelle, à la fois douce et vicieuse. Je ne connais aucun autre groupe qui réalise un tel écart. C’est l’une des plus belles chansons que j’aie jamais entendues ; j’adore les guitares qu’elle contient. »

« Ce qui me plaît chez Wunderhorse, alias Jacob Slater, ex-membre des Dead Pretties, c’est qu’il écrit à nouveau des chansons. Les groupes qui ont émergé ces dernières années ne prêtent que peu d’attention au texte, à la mélodie, à l’harmonie. Cela m’a manqué. J’en ai marre de la formule de base : musique + mots parlés = chanson. »

« Mon troisième choix est différent. Je trouve que Humble, le single du rappeur américain ayant remporté trois Grammies, extrait de son album multiplatine Damn, est une chanson parfaitement exécutée. Elle est forte, elle appelle à braver toutes ses peurs, et elle est très dynamique avec ses lignes de groove. Je ne peux pas m’en lasser, pour être honnête. »

« Selon moi, le chanteur de Blur, Damon Albarn, est l’un des plus incroyables auteurs-­compositeurs vivants. Ce que j’aime dans ce titre, c’est le solo de guitare aux sonorités orientales. C’est peut-être un sitar d’ailleurs… Je trouve l’interaction entre le rock des années 90 et la musicalité orientale absolument magnifique. »

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MARCEL ANDERS

THE SMASHING PUMPKINS

FILMAWI

Scannez ce QR code pour ­accéder à la playlist et au podcast sur Spotify. fontainesdc.lnk.to

À sa sortie en avril dernier, le troisième album des Fontaines DC, Skinty Fia, a été salué comme le plus furieux du genre à ce jour. Malgré les succès de Dogrel en 2019 et la nomination aux Grammy Awards de A Hero’s Death en 2020, le quintette post-punk irlandais avait apparemment encore matière à broyer du noir. Mécontents de la manière dont le gouvernement irlandais a géré la crise Covid, et déçus par les scandales de l’Église catholique, les cinq ont déménagé à Londres pour constater que la situation n’y était guère meilleure. Mais tout n’est pas si sombre dans la vie des Fontaines DC : le guitariste Carlos O’Connell (pull jaune sur la photo) nous fait découvrir quatre chansons édifiantes de sa collection de disques.


PLUS D’INFOS :


PERSPECTIVES le coin lecture

MYSTÈRE-THRILLER

Chasse au lapin Ils veulent juste jouer : l’auteur de Rabbits, Terry Miles, fait d’un jeu underground un thriller potentiellement addictif.

L

es gens qui se jettent tête baissée dans les marécages des théories du complot scannent fébrilement leur environnement à la recherche de patterns dissimulés dans les objets et événements de notre quotidien, et entendent des messages secrets dans leurs borborygmes. Ces personnes peuvent être, grosso modo, classées en deux catégories : les chapeaux en aluminium ou les agités du bocal. Ils sont

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soit un cas urgent pour le psy, soit des joueurs de jeux de ­réalité alternée (ARG), l’un n’excluant pas l’autre. Car le frisson particulier de ces jeux réside paradoxalement dans le concept du « ceci n’est pas un jeu ». Apparemment, la chasse au trésor cross-­ média à travers les zones grises entre fiction et réalité n’est vraiment amusante que si on la prend au ­sérieux. Le jeu devient alors une partie de notre vie. Ou, si l’on n’a pas

de chance, notre vie devient une partie du jeu ... C’est dans cet eldorado de la paranoïa à toutes les sauces que puise également le cinéaste, producteur et auteur canadien Terry Miles qui, jusqu’à présent, a surtout fait des émules et des adeptes avec ses célèbres séries de podcasts mystérieux. L’une d’entre elles s’appelle Rabbits, « un nom pour un jeu sans nom qui existe pour de vrai » pour reprendre les mots de THE RED BULLETIN

VINZ SCHWARZBAUER

Texte JAKOB HÜBNER


Rabbits, quatrième de couverture : Une journée de travail normale. Tu regardes ta montre : 4 h 44. Tu vérifies tes mails et 44 messages non lus t’attendent. Tu réalises avec stupeur que nous sommes le 4 avril – le 4 du 4. Et lorsque tu montes dans ta voiture pour rentrer chez toi, le compteur kilométrique indique 44 444 km. Une coïncidence ? Ou est-ce que tu viens seulement de découvrir Rabbits ?

Miles. En 2019, il a publié son premier roman du même titre, non pas en tant qu’exploitation subsidiaire du podcast à succès, mais plutôt en tant que spin-off indépendant reprenant le même décor que le jeu de mystère qui se déroule à Seattle. Ce dernier a également fait l’effet d’une bombe au sein de la communauté. À ce stade, un petit avertissement : si vous connaissez de première main les symptômes mentionnés au début, mieux vaut réfléchir à deux fois avant d’ouvrir ce livre. Car Terry Miles travaille ici sans distance réflexive ni structure ­linéaire et introduit directement le lecteur dans le cerveau en surchauffe chronique de K, le narrateur, qui est bien sûr un joueur obsessionnel de Rabbits. Difficile à ce stade de ne pas penser au Procès de Kafka, l’histoire anxiogène d’un certain… Joseph K. « Je m’appelle K. Juste une lettre. Je vais vous dire deux choses. Premièrement, K est une abréviation. Deuxièmement, vous ne saurez pas pourquoi. » K est un nerd très intelligent, doté d’un don génial pour la reconnaissance des patterns. Cela le pousse régulièrement à la limite de la folie, mais fait de lui un joueur de Rabbits presque parfait. Car dans ce jeu, tout tourne autour de la détection et de l’interprétation des divergences et des coïncidences – c’est-à-dire des écarts dans la structure de la réalité et des coïncidences cumulées qui peuvent se manifester partout THE RED BULLETIN

et à tout moment dans le monde réel ou virtuel. Les règles en revanche sont plus faciles à comprendre. Il n’y en a qu’une : les joueurs n’ont pas le droit de parler des « lapins ». Celui qui enfreint cette règle est en danger de mort. Ce n’est qu’après une réunion conspirative avec le légendaire gagnant de Rabbits, Scarpio, qui le prévient que « quelque chose ne tourne pas rond avec le jeu » et qui disparaît le lendemain sans laisser de traces, que K réalise qu’il ne s’agit absolument pas d’un gag marketing morbide. Ce qui n’empêche pas K et ses deux compagnons d’armes, Chloé (sa meilleure amie et un peu plus) et Baron (génie de l’informatique et, le plus souvent, complètement défoncé), de s’enfoncer encore plus dans le mystérieux labyrinthe du jeu – sans se douter que la partie de Rabbits la plus dangereuse de tous les temps vient de commencer...

TERRY MILES Rabbits En anglais Del Rey

SUGGESTIONS DE LIVRES

Ciné mental Quatre stars mondialement connues qui sont également de solides autrices et auteurs.

TOM HANKS L’un des acteurs de caractère les plus célèbres d’Hollywood, doublement ­oscarisé, a su développer un sens aigu des « types ­bizarres », aussi bien à l’écran que sur le plan ­littéraire. Son recueil de nouvelles paru en 2019 est une balade nostalgique à travers le rêve américain dans laquelle l’ironie du sort a toujours son mot à dire. Questions de caractère (Points)

CARA DELEVINGNE La Britannique de 29 ans, qui est passée avec brio du podium à l’écran, ne fait pas dans la dentelle dans son premier roman. Un roman d’apprentissage aussi intense qu’impertinent, avec des personnages tout à fait convaincants, qui se transcendent notamment grâce à l’utilisation bien dosée d’éléments dignes d’un thriller. Un premier essai fort, très fort ! Mirror, Mirror (Livre de poche)

ETHAN HAWKE Avec ce quatrième roman dans lequel colère, sexe, ­alcool, nostalgie et désespoir se fondent en une image ­dramatique de l’homme contemporain, Ethan Hawke fait la preuve qu’il n’est définitivement pas un auteur du ­dimanche et qu’il peut se ­mesurer aux professionnels de la littérature. La manière dont l’acteur vedette danse ici avec ses propres démons est tout simplement magnifique. A Bright Ray of Darkness (en anglais, Penguin)

DAVID DUCHOVNY On le connaît surtout pour ses rôles de Fox Mulder (X-Files) et Hank Moody (Californication). Ce que l’on sait moins, c’est que David ­Duchovny a étudié la littérature anglaise à Princeton et à Yale, qu’il est un type super cool et qu’il écrit des histoires pas mal ­déjantées. Oh la vache !, son premier roman, best-­seller aux USA, est une comédie bien barrée, à mi-chemin entre George Orwell et Pixar. Oh la vache ! (Grasset)

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PERSPECTIVES tendance ÉTINCELANT HUBLOT

POUVOIR D’ATTRACTION BAGAGE CABINE RIMOWA Quiconque a voyagé en Afrique sait que tout y est un peu plus éclatant, un peu plus ensoleillé. Rimowa n’a pas mis les couleurs de la ­Tanzanie dans ses valises, mais s’en est inspiré. Résultat : une nouvelle gamme couleur flamant rose. rimowa.com

Le prodige français du foot, Kylian Mbappé, porte une montre de luxe Hublot à son poignet. Mission accomplie pour le photographe Ezra ­Petronio dont l’objectif déclaré est de capturer l’étincelle qui rend chacun d’entre nous unique. hublot.com

120 ANS D’EXPERTISE Valise en polycarbonate robuste, ­durable et léger.

Que du bon ! Des objets au design culte qui se portent ou roulent tout seul. Voici la sélection aux p ­ etits oignons de la rédaction.

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BIEN ÉQUIPÉ GANTS EN ACIER

EZRA PETRONIO, KHM MUSEUMSVERBAND

Ce qui était autrefois un chevalier est aujourd’hui un Iron Man. L’expo du musée d’Histoire de l’art de Vienne nous apprend que ceux qui portaient des ­armures n’allaient pas tous au combat. Certains nobles se préoccupaient surtout d’être à la mode… khm.at

INTEMPORELLE LONGINES PRIMALUNA La maison Longines est synonyme d’élégance d ­ epuis près de 200 ans. (Peut-on parler d’élégance intemporelle pour une montre ?) Ce modèle ­automatique Prima­Luna au ­bracelet bleu nuit ­affiche les phases de lune et est serti dans un boîtier en acier inoxydable poli. longines.com

POUR DE FAUX Vous ne passerez pas inaperçu à vos soirées costumées.

MISE SUR L’AVENIR RAY-BAN Rencontre du style intemporel et de la future touch : les Smart Glasses ont deux caméras HD et des haut-parleurs intégrés à l’intérieur des branches. rayban.com

RUGIR DE PLAISIR FERRARI 296 GTS Ce cabriolet donne l’impression qu’il va mordre et rugir à tout moment. Pas étonnant vu les 830 chevaux du moteur V6 hybride. Si vous l’essayez en mode ­électrique pur, vous constaterez qu’il perd rapidement de sa puissance. Autonomie : 25 km. ferrari.com

UNE VIE EN ROSE LES FLEURS DE LANCÔME Au Domaine de la Rose, vieux de 500 ans, à Grasse (la capitale mondiale du parfum), le jardin durable de Lancôme abrite 33 espèces d’oiseaux, 31 espèces de papillons et 12 espèces de chauves-souris au milieu de la lavande, du jasmin et des roses. lancome.com

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PERSPECTIVES agenda

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Le Crankworx Innsbruck réunit les meilleurs coureurs et coureuses de VTT du monde dans les Alpes tyroliennes. C’est là que s’ouvriront les compétitions de la saison le 16 juin, dont la quête du King and Queen of Crankworx. En direct sur Red Bull TV.

2 juillet RED BULL HALF COURT Après une première éblouissante, Red Bull Half Court fait à nouveau halte en Suisse. Plus qu’un simple tournoi de basket, c’est un festival autour de la street culture conjuguant l’art, la mode, la danse et la musique. Le 2 juillet, les champions suisses de streetball seront désignés dans un tournoi 3 contre 3 le plus rapide au monde. En finale, 16 équipes masculines et 8 équipes féminines s’affronteront à Lausanne, en vue d’une place pour la finale mondiale en Égypte. Infos : redbull.com/halfcourt

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juin RETOUR À ERZBERG

Après deux ans de pause forcée, le Red Bull Erzbergrodeo est enfin de retour ! L’élite du sport moto tout-terrain se réunira les 18 et 19 juin sur le mont E ­ rzberg, en Styrie (Autriche). Cette année encore, quelque 1 800 participants sont attendus. La course sera diffusée en direct sur Red Bull TV le 19 juin à partir de 14 heures. 86

16 2 juillet OCTOPUS GRAVEL RACE À ANDERMATT Le 2 juillet, les passionnés de gravel n’auront qu’une seule ­destination : l’Octopus Gravel au cœur des Alpes, à Andermatt. Le p ­ arcours de l’événement se compose de sept routes, qui ­débouchent chacune sur un col. Toutes conduisent au site de l’événement. Informations sous : gravelraceseries.com

juin au 10 juillet CINÉMA EN PLEIN AIR Dans la cour intérieure du Musée national de ­Zurich (photo), les gourmands et les cinéphiles seront comblés : à partir du 16 juin, un film sera projeté chaque soir, ­accompagné de spécialités culinaires, dans un cadre historique unique. Infos : hofkino.ch THE RED BULLETIN

ONDREJ KOLACEK/RED BULL CONTENT POOL, BORIS BEYER/RED BULL CONTENT POOL, DANIEL GEIGER, SCHWEIZERISCHES NATIONAL MUSEUM

au 19 juin ­CRANKWORX WORLD TOUR


UN PODCAST DU RED BULLETIN Une invitation à la réflexion, un espace où coexistent des solutions et des idées propres à notre époque, à travers les expériences personnelles de nos invités. Comment souhaitons-nous construire un environnement sain pour s’inscrire dans un « bien ensemble » ?

Écoutez les nouveaux épisodes


Tous dehors !

La saison du camping est ouverte ! Voici le matos v­ acances essentiel pour tous les accros de sorties en plein air. Texte JULIAN VATER

UN TEE-SHIRT QUI VOUS RAFRAÎCHIT Laine mérinos, 100 % biocompostable.

PETITE LAINE D’ÉTÉ DEVOLD NORANG MANCHES LONGUES Ce tee-shirt 100 % pure laine mérinos fine séduit par ses propriétés de régulation thermique de la laine : elle rafraîchit et ­absorbe l’humidité. Dans la collection été 2022, le tee-shirt de la marque norvégienne Devold est proposé en version manches courtes et manches longues. devold.com

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PERSPECTIVES matos

EN SELLE POUR LE CONFORT SHORT NORRØNA FJØRÅ FLEX1 Ce short pour femmes renforcé aux genoux et aux fesses offre une grande liberté de mouvement. De plus, le pantalon a été amélioré avec des matériaux recyclés. Pour celles qui ont froid aux reins en dévalant les montagnes, Norrøna a aussi intégré une taille de pantalon plus haute. norrona.com

À L’ASSAUT DES CHEMINS SALEWA MOUNTAIN TRAINER 2 MID L’essentiel pour une sortie en montagne ? Une chaussure fiable, comme la Mountain Trainer de Salewa. Robuste et légère, elle est équipée d’une protection Gore-Tex ­Performance-Comfort contre les intempéries et d’une semelle Vibram. Cette combinaison fait de la Mountain Trainer la chaussure la plus vendue de Salewa. salewa.com

ELLE NE VOUS DÉCEVRA PAS ! GARMIN INSTINCT 2 SOLAR L’Instinct 2 Solar est vouée à devenir culte : elle fonctionne à l’énergie solaire et dispose d’une autonomie illimitée en mode smart­ watch. Le bracelet est disponible dans une grande gamme de coloris. Visuellement­attrayante et multifonctionnelle, cette montre ne vous laissera pas en rade. garmin.com

CAFÉ À EMPORTER

Jamais sans mon e-bike QiO EINS P-5

Se réveiller au camping et se rendre en 2-2 à la boulangerie peut être un véritable défi dans certains endroits très reculés. Pour rendre de tels trajets plus aisés, le QiO EINS P-5 est exactement ce qu’il faut. Un vélo électrique compact étonnamment polyvalent qui s’emmène facilement dans la voiture. qio-bikes.com THE RED BULLETIN

MACHINE À CAFÉ SANS FIL MAKITA En festival, au camping, à la montagne ou dans un bateau sur la mer, la cafetière de voyage Makita fait toujours et partout du café frais. Même avec des dosettes de café du commerce, ce compagnon de voyage pratique fonctionne parfaitement. Une cuillère de mesure et un récipient en acier inoxydable sont également fournis. makita.ch

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PERSPECTIVES matos

TOUCHE-À-TOUT

PAS DE VAGUES

AVENTURE INTÉGRÉE

SUUNTO 9 PEAK

INDIANA 12’6 TOURING LTD GONFLABLE

HYMER GRAND CANYON S CROSSOVER

Ultra-plate, petite et incassable. Voilà qui décrit bien la montre GPS de Suunto. De plus, le porteur dispose d’un cardio­ fréquencemètre et d’un baromètre au p­oignet. La 9 Peak convainc en outre par une multitude de caractéristiques pour la course, la natation et le cyclisme. ­ suunto.com

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B O U L E VARD DES HÉRO S

GARRINCHA

LA JOIE DU PEUPLE

L’auteur MICHAEL KÖHLMEIER raconte les destins hors du commun de p­ ersonnages inspirants dans le respect des faits et de sa liberté d’écrivain. Ce mois-ci : l’ascension et la chute du grand footballeur brésilien Garrincha.

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MICHAEL KÖHLMEIER BENE ROHLMANN, CLAUDIA MEITERT PICTUREDESK.COM (2), GETTY IMAGES (2)

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toute personne qui s’intéresse à – je devais avoir neuf ans – que si G ­ arrincha l’esthétique du football, je conseilavait pu devenir le meilleur dribbleur de lerais de chercher sur YouTube tous les temps, c’était parce qu’il avait deux Garrincha Best Skills & Dribbles jambes gauches. Et parce qu’il avait une Ever. La vidéo est une compilajambe plus courte – de six centimètres ! tion en noir et blanc de matches disputés – que l’autre. Mon oncle me raconta cela entre 1958 et 1962. C’est peut-être vrai ce avec un tel enthousiasme que je me pris que disent mes fils en voyant cette vidéo : à imaginer ces fameuses jambes tordues MICHAEL KÖHLMEIER L’Autrichien est considé- non comme un handicap mais comme un le meilleur football de la grande équipe du ré comme l’un des Brésil datant de cette époque a la qualité sacré atout, et je crus même que ce joueur ­meilleurs conteurs du des matchs disputés aujourd’hui au niveau extraordinaire s’était durement entraîné monde germanophone. régional… Et pourtant : si les matches pour les avoir comme ça. Dernière parution en actuels sont effectivement plus rapides, Mais comment ? À moins que ce ne fut français : La petite fille la virtuosité des joueurs de l’époque reste simplement mère Nature qui l’avait favorisé au dé à coudre, Éd. Jacqueline Chambon, 2017. encore inégalée. à la naissance, comme elle le fait pour les Car c’est toujours un bonheur de revoir plus grands génies ? Je décidai d’en parler à un ami, qui me répondit en toute logique que si ces joueurs brésiliens à l’œuvre : Pelé et sa légendaire ce Garrincha avait bien deux jambes gauches, cela élégance athlétique, Nílton Santos et son intelligence voulait dire que son pied droit avait le gros orteil tactique – que seuls des joueurs comme Zinedine à l’extérieur ; et qu’il avait donc toujours besoin de Zidane ou Franz Beckenbauer sauront, des années s’acheter deux paires de chaussures pour avoir deux plus tard, égaler – ou encore Edvaldo Izídio Neto, souliers gauches. ­surnommé « Vavá », un gardien de but imbattable et que j’appellerais le Samuel Beckett du foot, tant son e raisonnement, d’une logique imparable, confirjeu était minimaliste. mait ce que mon oncle m’avait appris au sujet de Évidemment, il ne faudrait pas oublier Valdir Pereira Garrincha, à savoir qu’il avait une jambe arquée (surnommé « Didi ») ou Amarildo, Zagallo et Zito – tous et une jambe rentrée vers l’intérieur. Je me souviens ces Brésiliens qui ont marqué la Coupe du monde 1958 que nous essayions d’imiter cette position de jambes en Suède, et celle de 1962 au Chili. Mais pour moi, le pour le moins inhabituelle, dans l’espoir évident de plus grand héros de cette époque restera à jamais nous rapprocher du génie brésilien – ce qui avait le ­Manoel Francisco dos Santos, dit Mané Garrincha. don d’exaspérer notre entraîneur de foot qui, devant J’ai un oncle – Hans, de son prénom – qui m’a beaucoup appris sur le sport, quand j’étais jeune : après nos imitations ratées de canard boiteux, répétait qu’il avoir été entraîneur d’athlétisme, il a occupé difféallait nous expulser de l’équipe si nous continuions à rents postes dans le milieu du sport, ce qui lui a perfaire les imbéciles comme ça. mis de rencontrer toutes les grandes pointures du footLe mot garrincha, dans le Nord-Est du Brésil, désigne ball allemand à l’époque. Hans m’a raconté un jour un roitelet, un petit oiseau à la démarche


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BO U LEVAR D DES HÉ RO S

mal assurée et qui préfère se laisser mourir que de vivre en cage. Mais Manoel dos Santos eut également un autre surnom : Alegria Do Povo – La Joie du Peuple. Mané, dit « Garrincha », était un homme du peuple, lui qui est né en 1933 dans une famille d’ouvriers pauvres – comme la plupart des joueurs de l’équipe nationale du Brésil. À l’époque, il arrivait que certains parents, poussés par la nécessité, abandonnent les enfants qui n’arrivaient pas à pousser droit, qui étaient retardés ou handicapés. Des enfants dont on n’attendait rien plus tard, qui n’étaient que des bouches à nourrir supplémentaires… Des gamins comme le petit Manoel, qui était né avec une malformation de la colonne vertébrale. Dans la favela où vivait sa famille, il y avait un homme que l’on vénérait comme un saint car c’était un guérisseur reconnu par la communauté : il déclara un jour à la famille de Manoel que ce petit garçon difforme ne deviendrait jamais quoi que ce soit, qu’il finirait mendiant et qu’il valait mieux l’abandonner dans une église afin qu’il puisse au moins manger à sa faim en attendant de trouver une place dans une communauté religieuse ou un cloître pour y finir ses jours. Mais personne n’écouta les sombres prédictions du saint homme.

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ar le petit canard boiteux était aussi un enfant souriant, gai comme un pinson et d’une générosité qui lui attirait toujours la sympathie des gens. S’il avait une noix dans la main, il la cassait en deux pour en offrir la moitié à un ami : voilà le genre d’histoires que l’on a racontées plus tard à son sujet, lorsqu’il était adulé par les foules. Un homme au sourire éternel et à l’esprit d’équipe incomparable : jamais il ne cherchait à briller seul. Quand il arrivait devant la cage – après l’une de ses courses en zigzag dont il avait le secret – et qu’il apercevait un coéquipier mieux placé que lui, il n’hésitait jamais à lui donner la balle. Lorsque Pelé devient, à dix-sept ans, après leur victoire commune en Coupe du monde en 1958, le nouveau chouchou du football brésilien, Garrincha n’en prit pas ombrage – ce qu’il aimait par-dessus tout, ce n’était pas la gloire ni les titres, c’était la simple joie de pouvoir jouer au foot. La plus célèbre Seleçāo de l’histoire du foot brésilien fut exceptionnelle : il y avait Vavá, Didi, Zagallo, Zito, Dino Sani, Mauro Ramos, et bien entendu, Pelé et Garrincha – le roi et l’oiseau. Mais il n’y avait qu’un joueur dont on disait qu’il

Le ballon semblait lui coller aux pieds. Il aurait dit un jour à Garrincha qu’il allait toujours lui obéir.

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­ rrivait à parler au ballon, à gagner sa confiance pour a en faire ce qu’il voulait : Garrincha. Le ballon lui aurait même dit un jour qu’il était son meilleur ami, que c’était lui, Garrincha, son joueur préféré et qu’il allait toujours lui obéir. Comment ne pas croire à ces légendes quand on le voyait danser et sautiller sur le terrain, trompant, voire ridiculisant ses adversaires qui, décontenancés, ne savaient plus comment en venir à bout. Le ballon semblait lui coller aux pieds : Garrincha usait indifféremment des deux pieds pour bloquer une passe puis s’élançait, balle au pied, se frayant un chemin dans la défense adverse, feintant d’aller à gauche pour bondir sur la droite, tournoyant sur lui-même pour contrer un adversaire avant de repartir de plus belle en zigzag, à la grande frayeur des gardiens de but. Car ce dribbleur exceptionnel était aussi un buteur hors pair, capable de tirer de n’importe quel angle. Ce qu’il faisait, c’était de la magie – tout simplement. C’était ce genre d’histoires que l’on racontait aux enfants à l’école pour leur apprendre à lire et à écrire. On leur montrait les articles des journaux en leur disant : « Regardez, voilà un homme qui vient d’en bas, un homme que tout prédestinait à l’échec et qui a réussi, malgré tout ! Vous aussi, vous en êtes capables ! » Garrincha faisait non seulement rêver tout un pays, mais aussi toutes les générations du peuple des favelas. En 1962, lors de la Coupe du monde au Chili, ce fut le même triomphe, et cette année marqua l’apogée de sa carrière et de sa vie. Après la finale à Santiago de Chile, une immense fête fut organisée, à laquelle Louis Armstrong avait été convié – ainsi que la grande Elza Soares, la reine de la samba brésilienne. Dès lors, les journaux brésiliens se mirent à spéculer : et si les deux plus grandes stars du pays se rencontraient et tombaient éperdument amoureuses l’une de l’autre ? Leur rencontre défraya la chronique, les médias annonçant à tour de rôle que les deux idoles de la nation s’étaient effectivement rencontrées, qu’on les avait même vues se tenir la main et finalement, lorsque les deux tourtereaux furent aperçus pour la première fois en train d’échanger un baiser, un des journaux nationaux se contenta d’écrire en première page un énorme « Sim ! » – Oui !

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ais le mariage d’Elza Soares et Mané Garrincha ne fut pas un mariage heureux, et l’unique responsable de ce lamentable échec sentimental était connu de tous : l’alcool. On racontait que Manoel avait commencé à boire à l’âge de dix ans – pour arriver à supporter ses douleurs physiques, à ce qu’on disait. En 1969, alors qu’il conduisait en état d’ivresse, il eut un accident de voiture, dans lequel sa bellemère décéda. Elza l’accusa d’avoir assassiné sa mère. Le couple commença à se disputer de plus en plus souvent, d’autant plus que Garrincha était aussi un oiseau volage : on a calculé qu’au total, il aurait eu entre treize

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Cet homme a prouvé au monde entier que le football pouvait être un art. et quinze enfants de cinq ou six femmes différentes… À bout, Elza finit par demander le divorce en 1977. L’homme à l’éternel sourire et à la générosité débordante poursuivit sa lente agonie. Pour le remercier de la joie qu’il avait procurée à toute la nation, l’état brésilien lui accorda une petite pension, avec laquelle il vivota tant bien que mal dans un quartier ouvrier de Rio de Janeiro. On l’y croisait parfois en train de jouer au foot avec les gosses de son quartier – avec le ballon des gamins pauvres des favelas, une boule de vieux chiffons tenus par un bout de ficelle. Comme les enfants savaient de quel grand personnage il

s­ ’agissait, ils ne le montraient pas du doigt, mais allaient s’asseoir à ses côtés une fois le match fini et lui payaient une bière. Manoel Francisco dos Santos dit Garrincha s’éteignit le 20 janvier 1983, à l’âge de quarante-neuf ans. Cause de sa mort : cirrhose du foie. Le jour de son enterrement, des milliers de personnes se pressèrent pour lui rendre hommage une dernière fois. Sur sa tombe fut inscrite cette épitaphe : Aqui descansa em paz aquele que foi a alegria do povo, Mané Garrincha – Ici repose en paix celui qui fut la joie du peuple, Mané Garrincha. Elza Soares est morte cette année à l’âge de 91 ans – un 20 janvier, comme lui. Elle est restée dans la mémoire brésilienne comme la grande interprète de la samba et demeure une légende dans son pays natal. Quant à mon oncle, il a gardé une photo de ­Garrincha tirée d’un article de journal, qu’il a fait encadrer et accrocher au mur de son salon. « Cet homme, m’avait-il dit un jour, a prouvé au monde entier que le football pouvait être un art. Un bel art, aussi beau que la musique. »

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The Red B ­ ulletin est distribué chaque mois dans six pays. Vous d ­ écouvrez ici la couverture de l’édition US, dédiée à la spécialiste du saut en hauteur Vashti Cunningham. Le plein d’histoires hors du commun sur redbulletin.com

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