Breaking news

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La Breaking news est une nouvelle considérée comme suffisamment importante pour qu’elle conduise à arrêter le flux normal des émissions télévisées. Le 9/11 constitue (de par le caractère mondial du traitement médiatique effectué) la forme archétypale de ce surgissement de l’événement dans l’agencement bien ordonné de la grille des programmes (idée développée notamment par Pierre Encrevé lors de son séminaire à l’EHESS en 2006-2007) .


Il est intéressant de noter que depuis plus de 70 ans des canulars médiatiques mimant ces Nouvelles ressurgissent régulièrement. Le programme radiophonique dans lequel Orson Welles informait - sur un ton alarmiste - ses auditeurs d’une invasion extraterrestre est devenu un classique. Dans cette même veine satirique on peut noter ces dernières années la multiplication de productions comiques et politiques (écologiste) sur Internet. Au cinéma, ce type de fictions- documentaires prend une tournure plus politique dans le contexte de la guerre froide avec La bombe de Peter Watkins. Ce dernier propose un film d’anticipation extrêmement réaliste imaginant les conséquences d’une attaque nucléaire sur le Royaume-Uni. Plus récemment, on peut souligner la réalisation du docu-fiction, Death of a president (2006), proposant de regarder en direct le 17 octobre 2007 la mort de Georges Bush. On peut également noter le film de Johny To intitulé Breaking the news (2005), mais dont l'intrigue insiste plus sur les manipulations réciproques entre police et médias. Un peu plus tard, c’est la chaîne anglaise Channel4 qui propose un documentaire proposant de vivre au présent de l’année 2010 le procès de Tony Blair (The Trial of Tony Blair, janvier 2007). Le jeu est de toujours présenter un événement possible mais non réalisé qui conduise à s’interroger sur le présent. Le 13 décembre 2006, l’émission Bye bye Belgium diffusé en direct sur la RTBF alliait canular médiatique et anticipation en annonçant que la Belgique avait cessé d’exister. En France, c’est sur Jimmy qu’un programme justement nommé Breaking news a présenté en février 2008 l’arrestation en direct de Ben Laden, bien que le présentateur ait pris la peine de préciser dès le départ le caractère fictif de l'information qu'il venait de révéler. Mardi 16 décembre 2008 à 22h20 ce sera le second numéro de cette émission et cette fois il s’agira de simuler une « attaque bioterroriste ». Le pitch que l'on peut lire sur site de l'émission est le suivant : « BREAKING NEWS est une édition spéciale, en temps réel, qui annonce et décrypte les premiers développements d’un événement… fictif. » Les émissions sur les médias telles que + clair sur Canal+ présente le 13 décembre les coulisses et la préparation du direct… enregistré il y a quelques jours. On voit sur le photogramme cidessous Bruce Toussaint, le présentateur vedette des information sur Canal+, exhiber le scénario du show.


Pour synthétiser Breaking news en est donc à son second numéro, diffusé sur une chaîne du câble, avec un horaire fixe, annoncé par les journaux et en différé. L’enjeu n’est donc plus de créer une rupture dans le flux d’information comme dans le cas des canulars médiatiques, mais de proposer une fiction d’anticipation au format d’un documentaire (52’) qui s’inscrivent dans la grille des programmes. Pour autant, on ne saurait rapprocher cette forme des films mentionnés ci-dessus, le principe de l’émission reposant entièrement sur la monstration du dispositif et non sur la nature politique de l’Information anticipée (bombe atomique, assassinat du président, procès de Tony Blair). Il s’agit ici seulement de faire comme si on croyait qu’une Breaking news venait de se produire. Un vrai présentateur interroge en effet de vrais intervenants habitués aux plateaux des chaînes télévisés : Hervé Mariton (député UMP), Yves Cochet (élu Vert), directeur général de la santé, etc. la seule différence étant que la Nouvelle est elle fausse. L’événement médiatique ici c’est le médium, peu importe finalement que l’on parle d’une attaque bioterroriste, de l’attaque d’un train ou d’une diligence. On est donc en fait non pas face à un canular, mais face à une méta-émission qui postule que l’exposition du « théâtre » médiatique (pour reprendre le terme de B. Toussaint) suffit à retenir l’attention du spectateur. Outre le fait que la télévision produit de plus en plus d’émissions portant sur la télévision, que peut donc nous apprendre cet exercice de style?


En fait, la fictionnalisation des nouvelles, son extrême mise en scène, loin d’invalider la valeur informative de ce programme nous renseigne sur la manière dont sont pensées les informations à la télévision. Il ne s’agit pas ici de sacrifier à une vision critique des médias mais de noter que le fait que les producteurs et réalisateurs de l’émission aient eu tout le temps de rédiger un scénario permet de montrer comment dans l’idéal ils souhaiteraient traiter un tel événement. On peut alors faire le parallèle avec l’émission belge qui révélait une certaine forme de kitsch de la représentation en insistant sur le fait que le présentateur vedette était informé au début du programme – tel Yves Mourousi en 1970 – par un téléphone fixe posé sur son bureau…

Plus sérieusement on peut étudier la hiérarchisation des informations, le choix des reportages, l’usage des split screens et autres infographies, les prises de paroles minutées (pardon secondées) qui se succèdent, etc. De plus, on sait que les intervenants (politiciens et spécialistes) n’ont pas de script écrit en amont ; cette émission nous permet donc d’appréhender leur réaction ou la manière dont ils pensent qu’ils doivent réagir en cas d’urgence (libéré ici de tout rapport avec le réel).


Il serait alors pertinent de voir comment le réel résiste à la mise en scène de l’information. Cette émission considérée alors comme une répétition générale pourrait alors être comparée avec les futures Breaking news. Pour autant, il ne faut pas oublier que le contexte de production de ce programme est bien celui d'un format 52' enregistré et non le résultat du travail dans l'urgence d'une rédaction de journalistes (nous ne disposons pas ici d'informations suffisantes le processus de réalisation pour développer plus notre propos). Enfin, il est toujours intéressant de se rappeler que Metz disait qu’un film est toujours un documentaire sur ses propres conditions de production. Le mot de la fin reviendra donc à Yves Cochet assis dans la loge et interrogé par l’équipe de +Clair et qui en voyant une image d’archive insérée dans l’émission montrant selon le commentaire « François Fillon entrer à l’Elysée », relève en fait qu’il « entrait à Matignon ». Les questions d'un usage raisonné des sources visuelles et de la prise en compte de l'importance du traitement des images d'archives restent donc à la télévision tout aussi hypothétiques, qu'il s'agisse de vraies ou de fausses Breaking news.

Rémy Besson (remybesson@gmail.com) Ce billet a été réalisé dans l'optique de la séance "Du vidéoreportage à la recherche en histoire" (16 décembre 2008) dans le cadre de l'atelier La part de fiction dans le cinéma documentaire.


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