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La france de La désobéissance
français ». Et très vite, ce fut le clash. Plaqué à terre, menotté, le voici interpellé, jeté dans une cellule, livré à lui-même : « Personne ne me disait rien. J’étais en isolement absolu. J’avais un livre avec moi et j’en lisais dix lignes par jour. Pour l’économiser. Le reste du temps, je réfléchissais. Je ne suis ni un terroriste ni un martyr, mais jusqu’où étais-je prêt à aller ? Prendre des risques et finir en prison ? Oui. A une condition : éviter la violence. Parce que je serais toujours perdant face à celle des forces de l’ordre. »
Il fait nuit à présent. Les joints ont souvent remplacé les cigarettes. Quelqu’un a mis de la musique. Après les cours du jour, « stagiaires » et formateurs se retrouvent autour d’une grande table en bois pour un repas qui réveille des souvenirs d’enfance. Comme dans une colonie de vacances, pâté, baguette et salade passent de main en main. « C’est quand même un peu le bordel vos stages », plaisante Didier avec l’accent chantant du coin. Lui, petit barbu au visage chiffonné, passe juste pour le dîner. Il connaît tout le monde depuis le temps qu’il sabote les panneaux publicitaires, détruit les champs d’OGM, peint des slogans sur la nationale…
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« Grand Gourou », un mentor si discret Briscard multicartes sur le front des luttes, il sourit quand on lui raconte les jeux de rôle imaginés au cours de cette journée de stage. La fausse confrontation entre flics et manifestants avec un corps à corps qui, finalement, a tourné à la bousculade générale. Ou encore cette répétition de manif, très organisée. En première ligne, les activistes : « les bloqueurs », qui affrontent les policiers, essayent de gagner du terrain et de s’y maintenir.
des slogans sur la nationale…
Puis, les « sensibilisateurs », chargés de dialoguer avec la police, la presse ou la foule et que l’on appelle souvent « peacekeepers » : « Parce qu’en français, ben heu… “gardiens de la paix”, ça évoque quand même autre chose, hein ! » Enfin, « les anges gardiens » Chargés d’assister les « bloqueurs », ils sont les seuls à pouvoir libérer les activistes enchaînés : « Evidemment, si ça dure longtemps, t’auras peut-être envie de pisser… »
De cette fausse pièce de théâtre qui peut parfois prêter à sourire, on retient d’abord le folklore. Depuis peu, il attire les médias comme des mouches. Des manifestations planifiées et organisées comme une action commando ? Des formateurs, qui, tels de vieux sages Jedi, ont vu un jour « le côté obscur de la force » ? Voilà bien un « sujet en or » pour la presse ou la télé ! Une fois achevés les jeux de rôle, les fausses scènes de batailles enregistrées ou « mises en boîte », restent pourtant quelques questions. Dont celle-ci : qui sont les généraux supposés conduire à l’affrontement ces troupes de bric et de broc ? « Nous sommes des citoyens lambda. Il n’y a pas de chef, pas de leader. Nous voulons rester anonymes », assure Christian d’un ton lent.
Ce n’est pas tout à fait vrai : il n’y a pas de chef, mais il y a bien un mentor, si discret qu’on le remarque à peine. Calvitie précoce et allure de jeune financier, il ne ressemble pas aux autres, ne boit pas, ne fume pas et dispose de l’aisance de celui qui réfléchit et organise. Il le sait d’ailleurs, en joue. Sur les forums Internet, son nom de code, ironique, est « Grand Gourou ».
YAncien de Greenpeace, une bonne école pour apprendre à former des activistes, « Grand Gourou » se tient ce soir à l’écart de la tablée enfumée où Christian explique la vraie finalité du mouvement : « Ce n’est pas un truc de baba cool. La nonviolence, on en parle beaucoup, mais c’est juste un outil. L’essentiel est ailleurs : faire germer la désobéissance, l’amener au plus profond de nous. » Un temps : « Dans la société actuelle, ce qui ressort c’est la passivité des gens qui pensent qu’on ne peut plus rien changer. Il faut réveiller leur conscience. » Paris, métro Glacière, un vendredi soir sous la pluie. La voilà donc, cette foule passive et fataliste. Ces visages fermés qui se bousculent en silence au portillon, épaules rentrées, pour oublier le crachin gris qui surprend à la sortie d’une journée de travail. Une de plus, et il faut se dépêcher de rentrer. Ont-ils seulement remarqué ? Ce jeune homme avec un haut-parleur et un tabouret, qui s’installe au milieu des flots charriés par le métro ? Et les policiers ce soir-là ? Bien campés sur leurs bottes devant la buvette du Chicco Burger, sous la colonne du métro aérien ? Le jeune homme au haut-parleur interpelle soudain la foule. De petits groupes de badauds s’assemblent autour de lui. « Ce soir nous allons transgresser la loi, annonce l’orateur d’un ton joyeux. Nous assumons qu’il faut parfois désobéir pour que la loi progresse... » Timides applaudissements. Un second orateur grimpe sur le tabouret, lit un texte évoquant les « progrès réalisés » quant aux « nouvelles législations sur l’affichage publicitaire à Paris… », lève le nez pour ajouter en souriant : « Si nous n’étions pas intervenus… »
Cinq cars de CRS viennent de se garer le long du trottoir. Impassible, un policier en civil muni d’un talkie-walkie s’approche. L’orateur enchaîne : « Il n’est pas question de nous opposer à la police. Vous n’imaginez pas le plaisir de se faire arrêter et de s’expliquer devant un officier de police. »
Un petit cortège se met en marche. Les CRS suivent. Etrange défilé en vérité : une trentaine de personnes remontant la