Exposition Confidenti-elles

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Extrait de la revue le festin n° 115, octobre 2020.


« CONFIDENTIELLES »

ANNE-MARIE PRIEGNITZ

Exposition co-écrite entre

ADJOINTE AU MAIRE DÉLÉGUÉE À LA CULTURE ET À LA LAÏCITÉ, VILLE DE LIBOURNE

le musée des beaux-arts de Libourne et le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA

Initiée par le précédent directeur, Thierry Saumier, et conçue par Caroline Fillon qui lui succède depuis mai dernier à la tête du musée, cette exposition est une sorte de passage de relais. Elle réaffirme des partenariats historiques et prestigieux avec l’ADIAF et le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA qui ont contribué à la qualité des propositions culturelles de la Ville de Libourne ces dix dernières années. Et elle annonce, en même temps, la volonté de donner un nouveau souffle au musée. Il est nécessaire de développer des actions innovantes permettant de décomplexer le public vis-à-vis de ce lieu culturel encore trop souvent considéré comme un temple des arts réservé aux esthètes. Confidentielle, cette exposition ne le sera assurément pas, d’une part parce qu’elle aborde un thème universel – celui de la place des femmes dans la société – et, d’autre part, parce qu’elle prend en compte tous les publics grâce à une programmation culturelle variée : que l’on souhaite rencontrer les artistes exposées, slamer ou rapper sur le contenu de l’exposition, s’initier à la création de mangas, participer à des ateliers d’écriture, etc., chacun trouvera un peu de lui dans ce projet. Alors pourquoi ce titre « Confidentielles » ? Parce que cet adjectif, qui permet le jeu de mots graphique, répond à l’autre adjectif du projet de co-écriture du Frac : « Vivantes ! ». Deux qualificatifs accordés au féminin pluriel qui rappellent que le mot « artiste » est encore trop souvent considéré comme un nom masculin. Et puis, la confidence est un échange placé sous le sceau du secret, éphémère, hors du temps, à l’image des rencontres provoquées dans cette exposition et au sein desquelles les œuvres semblent instaurer un dialogue imprévu dont le visiteur devient le témoin (in)discret. Enfin, il faut savoir que le travail des artistes femmes fut et est encore bien trop confidentiel, moins médiatisé et reconnu que celui de leurs homologues masculins. Espérons que cette exposition à Libourne contribuera, à sa mesure, à faire évoluer les choses.

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BERNARD DE MONTFERRAND

GILLES FUCHS

PRÉSIDENT FRAC NOUVELLE-AQUITAINE MÉCA

PRÉSIDENT ASSOCIATION POUR LA DIFFUSION INTERNATIONALE DE L’ART FRANÇAIS

Le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA est heureux de jouer un rôle fédérateur de nombreuses initiatives autour d’une réflexion sur la place des femmes dans l’art et son histoire. C’est un grand sujet au cœur des bouleversements sociétaux et anthropologiques que connaît ce début du xxie siècle. Il justifie de multiples regards : ceux des artistes nommées ou lauréates du Prix Marcel Duchamp, présentes dans la collection du Frac, ceux des œuvres du musée des beauxarts de Libourne, ceux de la dizaine d’institutions et d’associations impliquées, en partenariat avec le Frac, autour de cette séquence d’expositions intitulée « Vivantes ! » sur la place des femmes dans l’art, comme sujet de représentation et créatrices.

Je suis très heureux que le Tour de France du Prix Marcel Duchamp prenne son envol en Nouvelle-Aquitaine, et plus particulièrement au musée des beaux-arts de Libourne qui nous avait accueillis avec chaleur en 2013. Aujourd’hui, et alors que nous fêtons les 20 ans de notre prix, le monde de l’art est fortement affecté par cette terrible pandémie. Le programme d’expositions en région que nous avons conçu en partenariat avec Platform et les Frac prend ainsi une nouvelle dimension. Il s’agit, désormais, non seulement de fêter le 20e anniversaire de notre prix, mais surtout de soutenir une scène française fragilisée pour laquelle l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (ADIAF) se mobilise depuis 1994.

Ce grand mouvement est placé sous des auspices favorables, dont la célébration du vingtième anniversaire du Prix Marcel Duchamp qui joue un rôle de premier rang, dans notre pays, pour soutenir la scène contemporaine. De nombreux Frac se sont associés à cet événement. La diversité des partenaires concernés, qu’il s’agisse de musées, de structures ou des collectionneurs de l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (ADIAF) est une garantie de pouvoir toucher un très large public et d’irriguer le territoire de notre région, ce qui est la mission même des Frac. Notre pays a plus que jamais besoin de cette animation culturelle du territoire qui réunit la dynamique d’initiatives privées et des missions de service public. On ne travaille bien qu’avec des partenaires de confiance. Le Frac a une longue connivence avec le musée des beaux-arts de Libourne et avec tous ceux, de manière générale, qui participent à nos « co-écritures ». Cela signifie travailler systématiquement ensemble dans un esprit de partage pour mieux diffuser l’art contemporain à partir de notre collection. Ce dialogue et la diversité des regards qu’il permet sont la clé du succès.

Permettez-moi de remercier le Frac NouvelleAquitaine MÉCA qui a permis l’organisation de cette exposition, dans le cadre de sa programmation régionale hors-les-murs, dédiée au rôle des femmes dans l’histoire de l’art. Conçue par le musée des beaux-arts de Libourne et présentée au sein de la chapelle du Carmel, « Confidentielles » réunit huit artistes reconnues comme les plus talentueuses de leurs générations et figurant parmi les 25 finalistes femmes du Prix Marcel Duchamp : Dominique Gonzalez-Foerster, première femme distinguée dès la seconde édition du prix et Valérie Jouve (2002), Tatiana Trouvé lauréate en 2007, Farah Atassi (édition 2013), Yto Barrada et Ulla von Brandenburg (édition 2016), Thu-Van Tran (édition 2018) et Katinka Bock (édition 2019). Je me réjouis que le rôle éminent des femmes dans la création artistique soit ici brillamment mis en lumière avec des œuvres qui apportent un éclairage précieux sur le dynamisme actuel de l’art contemporain en France.

L’exposition « Confidentielles », conçue par Caroline Fillon avec la complicité de Claire Jacquet et de Karen Tanguy, met en regard des œuvres de créatrices du xvie siècle à nos jours. En mettant en perspective le travail d’artistes contemporaines avec leurs aînées, l’exposition permet ainsi de mieux comprendre notre époque. Merci à toutes celles et ceux qui ont permis ce beau projet. le festin 3


Gironde

Tatiana Trouvé, Fantôme, de l’ensemble Bureau d’Activités Implicites, scotch transparent poinçonné, roulettes, 67 cm x 42 cm x 52 cm, 1998, Bordeaux, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.

FEMMES ARTISTES : CONFIDENTIELLES MAIS AUDACIEUSES par CAROLINE FILLON

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© Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA - Frédéric Delpech / © Adagp, Paris, 2020

De Sofonisba Anguissola, dont le travail suscita les éloges de Giorgio Vasari et Michel-Ange, à Dominique Gonzalez-Foerster ou Tatiana Trouvé, lauréates du Prix Marcel Duchamp, l’exposition « Confidentielles » porte un regard sensible sur la place des femmes dans l’art. À partir du 10 octobre, la chapelle du Carmel de Libourne devient le théâtre d’un dialogue inédit et (in)discret entre des œuvres anciennes et contemporaines.


© Musée des beaux-arts de Libourne - Jean-Christophe Garcia

Mathilde Arbey, Fin de journée. Autoportrait dans l’atelier, huile sur toile, 163,5 cm x 131,5 cm, 1928, Libourne, musée des beaux-arts.


Le statut des artistes féminines évolua conjointement à la légitimité que l’on accorda à l’expertise des femmes dans le monde de l’art

Groupe d’étudiantes à l’Académie Julian, Paris, vers 1885, Washington, Library of Congress.

Dans le cadre de la célébration des vingt ans du Prix Marcel Duchamp qui distingue, chaque année, les artistes les plus novateurs de la scène française, le musée des beaux-arts de Libourne s’associe à l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (ADIAF) et au Frac Nouvelle1. Magali Danner, Gilles Galodé, Aquitaine MÉCA, à l’occasion « L’insertion des du programme régional d’exfemmes artistes : entre obstacles positions Vivantes ! , pour quesculturels et choix tionner la place et l’audience rationnels », Formation emploi, des femmes dans le monde n° 104, 2008, pp. 37-52. de l’art. 2. Octave Fidière, Les Femmes artistes à l'Académie royale de peinture et de sculpture, Éditions Charavay Frères, 1885, p. 10. 3. Cité dans l’ouvrage de Marianne RolandMichel, Anne Vallayer-Coster : 1744-1818, Comptoir International du Livre, 1970, p. 72.

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Longtemps exclues des circuits traditionnels de formation et de diffusion (écoles, académies, lieux d’exposition, salons, marché de l’art, etc.), les artistes féminines ont peiné à se faire connaître. Aujourd’hui, a contrario, elles représentent la majorité des élèves inscrits dans les écoles d’art1. Mais trop peu d’entre elles parviennent encore à trouver leur place sur la scène artistique au sortir de ces formations.

Esther Huillard, présidente de la Société des femmes peintres et sculpteurs en Une du n° 73 de la revue Femina, le 1er février 1904.

digne 2 ? ». La présence tutélaire du mari ou du père était toujours d’actualité. Les femmes n’ont-elles pas droit au mérite et aux honneurs ? Dans ces mêmes dictionnaires, le mot « artiste » est utilisé pour désigner le plus haut degré de maîtrise atteint dans une discipline. Or, le talent conférant l’autorité, il a toujours été masculin. En guise de réponse, laissons la parole à Diderot qui commente ainsi le travail d’Anne Vallayer (1744-1818), artiste reçue à l’Académie en 1770 : « ce n’est pas Chardin, mais au-dessous de ce maître, cela est fort au-dessus d’une femme3 ». Enfin, rappelons que les arts ont « la nature pour modèle, le goût pour maître, le plaisir pour but4 ». Or, une femme honnête ne devait pas être en butte au plaisir. Le principal obstacle à la reconnaissance des femmes artistes serait-il donc l’expression d’une pudeur mêlée de pudibonderie ? Il n’aurait pas été convenable d’accueillir dans un même lieu des élèves

© Library of Congress - D. R. / D. R.

4. Jacques Lacombe, Dictionnaire portatif des beauxarts, ou abrégé de ce qui concerne l’architecture, la sculpture, la peinture, la gravure, la poésie & la musique, chez Jean-Th. Herissant, à S. Paul & à S. Hilaire, 1753.

LES FEMMES ARTISTES… DE LEUR DESTIN ?

Jusqu’à l’aub e du xviii e siècle, les dictionnaires employaient le terme « artisan » pour désigner les peintres, sculpteurs ou graveurs. Or, les femmes étaient professionnellement peu reconnues dans l’artisanat. La plupart du temps elles constituaient une maind’œuvre discrète, assistant un père ou un mari. Il en allait de même dans les ateliers de peintres, la féminisation des tâches n’étant souvent tolérée que pour les actions subalternes. En 1648, la création, en France, de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture eut précisément pour but d’affranchir les « beaux » arts des autres travaux manuels et, par là même, des règles des corporations qui les régissaient. Mais les femmes artistes n’en furent pas mieux considérées. Jusqu’à sa suppression en 1793, l’Académie en accueillit seulement quinze. En 1885, Octave Fidière, conservateur adjoint du musée du Luxembourg, publia un ouvrage dédié à ces académiciennes, déplorant la misogynie de la célèbre institution. Cela ne l’empêcha pas, dès la première artiste évoquée – en l’occurrence Catherine Duchemin (1630-1698), reçue en 1663 – de s’interroger : « Fut-ce à la haute situation de son mari [le sculpteur François Girardon] qu’elle dut cet honneur, ou bien son seul mérite l’en rendait-il


Sofonisba Anguissola, Autoportrait, huile sur bois, 19,5 cm x 12,5 cm, 1554, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Alexander Roslin, Portrait d’Anne Vallayer-Coster, huile sur toile, 72 cm x 59 cm, 1783, coll. part.

Hilla Rebay devant la maquette du musée Guggenheim conçu par Frank Lloyd Wright, années 1940.

Katherine Dreier travaillant à une peinture murale pour la Saint Paul’s School à New York, en 1945.

des deux sexes, ni d’offrir au regard de ces dames les corps dénudés des cours de modèles vivants. Elles en étaient d’ailleurs exclues. Tout comme des cours de géométrie et de perspective. Et elles ne purent suivre les cours de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts qu’à partir de 1897, et se présenter au Prix de Rome qu’en 1903.

VERS UN STATUT SOCIAL

D. R. pour la page entière

Photographie d’Étienne Carjat représentant la sculptrice Hélène Bertaux en 1864.

La III e République vit, d’un certain côté, l’émergence du statut social de la femme artiste. En 1902, les métiers de peintre ou sculpteur figuraient même dans l’ouvrage de Paul Bastien, Les Carrières de la jeune fille. Mais, de l’autre, les avancées en la matière entretenaient un cloisonnement des genres et, finalement, une reconnaissance à deux vitesses. De l’Académie Julian qui ouvrit, en 1876, un cours réservé

aux femmes, à la création de l’Union des femmes peintres et sculpteurs par Hélène Bertaux (1825-1909) en 1881, les artistes féminines s’affirmaient, certes, mais en s’excluant toujours des circuits masculins. Leur statut évolua conjointement à la légitimité que l’on accorda à l’expertise des femmes dans le monde de l’art, et donc aux figures de l’enseignante, de la collectionneuse-mécène puis, plus tard, de la conservatrice de musée. Citons l’exemple de Nélie Jacquemart (1841-1912) : peintre médaillée aux Salons, enseignante à Paris, puis collectionneuse aux côtés de son époux, qui fut à l’origine du musée Jacquemart-André. D’autres figures s’affirmèrent à la même époque. En 1896, Hélène Bertaux devint l’unique membre féminin du jury de sculpture du Salon des Artistes français. En 1901, Berthe Weill (18651951) ouvrit une galerie à Paris et fut la première à vendre des œuvres de Picasso

Nélie Jacquemart-André, Autoportrait, huile sur toile, 134 cm x 81 cm, 1880, Paris, musée Jacquemart-André.

Peggy Guggenheim installant un mobile de Calder, années 1940-1950.

et Matisse. Mais l’impulsion vint surtout du monde anglo-saxon. En 1920, l’Américaine Katherine Dreier (1877-1952) fonda, avec Marcel Duchamp, le premier musée consacré à l’art contemporain à New York. Ce sont aussi trois femmes qui furent à l’origine de la création du MoMA : Abby Aldrich Rockefeller (1874-1948), Lillie P. Bliss (1864-1931) et Mary Quinn Sullivan (1877-1939). En 1937, Hilla Rebay (1890-1967) devint la première directrice du Solomon R. Guggenheim Museum. Un an plus tard, Peggy Guggenheim (1898-1979) ouvrit une galerie à Londres, puis une autre, en 1942, à New York où elle organisa l’exposition « 31 Women » qui présentait exclusivement des artistes féminines. Parallèlement, en France, Jacqueline Bouchot (1893-1975), qui avait exposé au Salon des artistes indépendants, devint la première femme nommée conservatrice au musée du Louvre, en 1945.

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UNE SITUATION QUI PEINE À ÉVOLUER

Tatiana Trouvé au musée d’art moderne et contemporain de Genève à l’occasion de l’exposition « Tatiana Trouvé, The Longest Echo », en 2014.

Le Prix Marcel Duchamp fête ses 20 ans !

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Tatiana Trouvé, 2019

dédiés aux artistes émergents en France6. Tatiana Trouvé (1968), lauréate de la 7 e édition du Prix Marcel Duchamp, en 2007, pour son Bureau d’Activités Implicites (B.A.I.), est l’une des rares plasticiennes dont la cote avoisine celle de ses homologues masculins. Enseignante à l’École des Beaux-Arts à Paris, elle faisait cet amer constat en 2019 : « les femmes constituent 80 % des effectifs des écoles d’art, or seules 20 % vivent de leur travail. Le monde de l’art n’est pas le bastion progressiste qu’il s’imagine être7 ».

5. La place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes, rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Brigitte Gonthier-Maurin (n° 704, 20122013). 6. Mathilde Provansal, Artistes mais femmes. Formation, carrière et réputation dans l'art contemporain, sous la direction de Marie Buscatto, Université Paris 1 PanthéonSorbonne, IDHE.S. 7. Yves Deloison, « Art contemporain : pourquoi la cote des femmes artistes décolle enfin », L’Express, 23 décembre 2019.

En 2014, Camille Morineau (1967), à l’origine de l’accrochage « elles@centrepompidou » de 2009 à 2011, créait l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) pour identifier et replacer les artistes femmes dans l’histoire de l’art. Depuis, de nombreuses initiatives se sont déployées. En 2020, le musée d’art de Baltimore a même décidé de n’acheter que des œuvres créées par des femmes. Et en 2019, à Rabat, la biennale d’art contemporain était exclusivement féminine. Mais ces positions radicales ne sontelles pas aussi, d’une certaine manière, excluantes ? L’enjeu, comme le rappelle le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA dans son projet de co-écriture Vivantes !, « n’est pas de faire des femmes un sujet à part ou d’essentialiser leur relation à la production artistique, mais d’observer et d’apprécier, à leurs côtés, leur rôle dans l’histoire de l’art ».

© Matteo D’Eletto, M3studio - D. R.

Présidée par Gilles Fuchs, l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (ADIAF) regroupe 400 collectionneurs d’art contemporain français engagés intensément dans l’aventure de la création. Soutenue par des entreprises mécènes, l’association s’est donnée comme mission de mettre en lumière le foisonnement créatif de la scène française de ce début du xxie siècle et de contribuer à son rayonnement international. C’est dans cet esprit que l’ADIAF a créé en 2000, le Prix Marcel Duchamp, un prix de collectionneurs qui, au fil des années, s’est imposé comme l’un des plus pertinents vecteurs d’information sur l’art contemporain en France et figure aujourd’hui parmi les grands prix de référence sur la scène internationale. Il distingue chaque année un lauréat parmi quatre artistes français, ou résidant en France, travaillant dans le domaine des arts plastiques et visuels : installation, vidéo, peinture, photographie, sculpture... Plus de 80 artistes ont été distingués à ce jour, dont 19 lauréat.e.s. Parmi eux, les femmes artistes Dominique GonzalezFoerster (2002), Carole Benzaken (2004), Tatiana Trouvé (2007), Latifa Echakhch (2013) et Joana Hadjithomas (2017).

La seconde moitié du xx e siècle a amorcé deux grands changements. D’une part, elle tendit à clarifier l’amalgame jusqu’alors entretenu entre la figure féminine héritée du modèle de la dame patronnesse, qui considérait son engagement pour l’art comme un passe-temps valorisant, et celle des professionnelles de la culture, dont c’était le métier. D’autre part, elle a contribué à la différenciation entre une pratique artistique amateur, autrefois constitutive de l’éducation des jeunes filles de bonne famille, et une démarche artistique professionnelle. Une fois ces distinctions établies, il restait à les institutionnaliser. Cela prit – et prend encore – du temps, nous n’en sommes qu’aux prémices. Ainsi, dans les années 2010, la presse considérait encore comme notable le fait de placer une femme à la tête d’un grand établissement culturel, comme en témoignent les articles parus sur la nomination de Claire Barbillon (1960) à la tête de l’École du Louvre en 2018, ou celle de Maria Balshaw (1970), première femme à diriger les musées de la Tate, et plus récemment Chiara Parisi (1970), nommée au Centre Pompidou-Metz, Emma Lavigne (1968) au Palais de Tokyo, ou encore Laurence des Cars (1966) au Musée d’Orsay. D’après le rapport d’information rendu en juin 2013 par Brigitte GonthierMaurin, la place des femmes dans l’art et la culture demeurait faible. Les postes de direction étaient occupés, pour 75 à 98 %, par des hommes. Les œuvres d’artistes femmes constituaient moins de 30 % des acquisitions des Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) et à peine 25 % des achats du Musée national d’Art moderne entre 2000 et 2009 5 . Entre 2012 et 2017, cette part s’est élevée à 40 % pour les Frac. Le rapport pointait également du doigt les festivals, biennales d’art contemporain, foires et prix : entre 2014 et 2018, 44 % de femmes figuraient parmi les lauréats des principaux prix

« Les femmes constituent 80 % des effectifs des écoles d’art, or seules 20 % vivent de leur travail »


Henriette Desportes, Les musiciens arabes, (Tanger), huile sur toile, 140 cm x 150 cm, 1913, Libourne, musée des beaux-arts. 1913-2007. Un siècle sépare ces deux scènes qui se déroulent à Tanger et semblent se répondre : têtes ceintes, nature ensoleillée, présence d’un enfant. Sous l’apparente quiétude, les deux artistes voyageuses, reporters de leur époque, font le récit d’un monde aux prises avec la colonisation. Yto Barrada, Couronne d’oxalis, forêt Perdicaris, Rmilet, Tanger 2007, de la série Iris tingitana, photographie couleur C-Print sous Diasec®, 125 cm x 125 cm, 2007, Bordeaux, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.

Haut gauche et Bas droit : © Musée des beaux-arts de Libourne - Jean-Christophe Garcia / Haut droit et Bas gauche : © Jean-Christophe Garcia

Sur la chaise, un élément en céramique bleue porte la trace d’un corps disparu. L’empreinte de l’absent(e). Comme un écho à cette œuvre, le tableau représente les trois âges de la vie : l’enfant, la mère, la grand-mère. Cette dernière, dont l’ombre efface les traits, est assise sur une chaise similaire...

Katinka Bock, Danke (Blau), bois, terre cuite, peinture bleue, 81 cm x 27 cm x 44,5 cm, 2011, Bordeaux, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.

Antoinette Cécile Hortense Haudebourg-Lescot, Les Premiers pas de l’enfance, huile sur toile, 46 cm x 38 cm, vers 1810, dépôt de la Ville de Créon, Libourne, musée des beaux-arts.

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RENCONTRES CONFIDENTIELLES

Mise en scène dramatique et effets de lumière réunissent les œuvres de ces deux artistes qui utilisent le langage du théâtre comme moyen d’expression. Une manière de détourner des codes existants pour créer une narration.

Eugénie Honorée Marguerite Servières, La Reine Blanche, mère de Saint Louis, délivrant les prisonniers, huile sur toile, 141 cm x 109 cm, 1818-1819, Libourne, musée des beaux-arts. Ulla von Brandenburg, Mephisto et Angel, tissu brûlé par le soleil, cerceau en bois, canne à pêche en bambou vernis, 245 cm x 340 cm x 23 cm, 2010, Bordeaux, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.

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La femme, sujet de représentations Dans le cadre de l’exposition « Confidentielles », le musée des beaux-arts de Libourne renouvelle l’accrochage de l’une de ses galeries permanentes pour questionner l’image de la femme qui a été véhiculée par la création artistique depuis le xvie siècle. De l’école siennoise de la Renaissance aux photographies de stars contemporaines, la femme est tout à la fois un sujet de dévotion, quand elle incarne la Vierge, la sainte, la déesse, et un objet de fantasmes, quand elle se fait muse ou modèle vivant posant nu pour l’artiste. Cette nouvelle présentation est également le fruit d’une collaboration avec le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.

Haut et Bas gauche : © Musée des beaux-arts de Libourne - Jean-Christophe Garcia / Bas droite : © Jean-Christophe Garcia

C’est pourquoi, tel un (im)précis impertinent d’histoire de l’art, le musée des beaux-arts de Libourne a choisi d’aborder la question sous la forme de rencontres éphémères entre des artistes passées et actuelles, 8. Notice du Frac Nouvelleconfrontant le regard exploAquitaine MÉCA. rateur d’une Henriette Desportes (1877-1951) à la démarche photographique d’Yto Barrada (1971), questionnant le symb olisme de Marie-Paul Carpentier (1876-1915) en regard du cabinet d’analyste de Dominique Gonzalez-Foerster (1965), comparant l’atelier de Mathilde Arbey (1890-1966) aux éléments du Bureau d’Activités Implicites de Tatiana Trouvé, etc. L’une des rencontres réunit Les Fumeurs de la photographe Valérie Jouve (1964) et le Portrait d’une Dame de qualité de la peintre Sofonisba Anguissola (1535-1625). Valérie Jouve,

qui recherche constamment l’équilibre entre l’objectivité de la description et une certaine esthétique de la neutralité, met en avant « la similarité de la gestuelle et la manière dont les corps, statiques, se positionnent dans l’espace qui prend le pas sur la singularité des individus. Il s’agit ici […] de relever un répertoire d’attitudes et de comportements8 ». Ce répertoire d’attitudes semble le même pour tous les modèles photographiés. La pratique sociale de la consommation du tabac abolit la frontière entre les représentations de l’homme et de la femme. La gestuelle liée à cette consommation est intéressante à étudier car historiquement très genrée : à l’époque moderne, le tabac se prisait et était considéré comme l’un des rares rituels sociaux mixtes. Puis, à l’aube du xixe siècle, la préférence se porta sur le tabac chaud à fumer et l’on interdit cette pratique aux femmes car elle impliquait de porter quelque chose à la bouche, geste considéré comme obscène pour « le beau sexe ».

Jean Despujols, La Secrétaire, portrait de Donata Vanutelli Despujols, huile sur toile, 91 cm x 73 cm, 1925, Libourne, musée des beaux-arts.


Valérie Jouve, Les Fumeurs, 12 photographies couleur contrecollées sur aluminium, 160,9 cm x 326,4 cm, 1998, Bordeaux, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.

© Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA - Frédéric Delpech / © Adagp, Paris, 2020 / © Musée des beaux-arts de Libourne - Jean-Christophe Garcia

Il est frappant de voir à quel point la singularité de l’individu s’efface (…) face au poids des standards sociaux et esthétiques

Face à ces photographies, le portrait de femme peint par Sofonisba Anguissola est mis en scène au sein d’une mosaïque de portraits datant de la même époque : il est frappant de voir à quel point la singularité de l’individu s’efface, là aussi, face au poids des standards sociaux et esthétiques. Dans sa carrière, Sofonisba, dut, à son tour, obéir aux codes de son milieu et de son époque : ceux de la noblesse à laquelle elle appartenait et qui lui interdisaient de pratiquer son art comme une activité commerciale, et ceux de son sexe qui la soumettaient à de nombreux interdits, comme celui d’étudier l’anatomie. Elle fut néanmoins l’une des premières femmes à mener une carrière de peintre à la Renaissance et à acquérir la reconnaissance de ses pairs masculins, dont Michel-Ange ou Giorgio Vasari qui la cita dans ses célèbres Vies.

Ce portrait aborde également un autre thème important : celui de la femme comme sujet de représentation. Des vierges à l’enfant aux muses, en passant par les héroïnes antiques, il semble, en effet, que l’on ait de tout temps conféré aux femmes un pouvoir spirituel, comme pour nier le pouvoir temporel qu’on ne cessait de leur refuser. • CAROLINE FILLON est directrice du musée des

beaux-arts de Libourne.

« Confidentielles » Exposition co-écrite entre le musée des beaux-arts de Libourne et le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA Du 10 octobre 2020 au 9 janvier 2021 Musée des beaux-arts de Libourne et chapelle du Carmel 45, allée Robert-Boulin libourne.fr T. 05 57 55 33 44

Sofonisba Anguissola, Portrait d’une dame de qualité, huile sur bois, 47 cm x 36 cm, xvie siècle, dépôt de la Ville de Créon, Libourne, musée des beaux-arts.

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EXPOSITION PRÉSENTÉE DU 10 OCTOBRE 2020 AU 9 JANVIER 2021 ENTRÉE LIBRE

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L’accès à l’exposition et aux collections est gratuit pour tous. Des visites commentées gratuites sont organisées (sur inscription). Les mardis de 10 h à 11 h à la chapelle du Carmel et de 11 h 15 à 12 h au musée des beaux-arts. Les jeudis et samedis de 14 h à 15 h à la chapelle du Carmel et de 15 h 15 à 16 h au musée des beaux-arts. Visite de groupes sur réservation : du mardi au samedi.

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INFORMATIONS Chapelle du Carmel : T. 05 57 51 91 05 Musée des beaux-arts : T. 05 57 55 33 44 musees@mairie-libourne.fr libourne.fr

HORAIRES Le mardi de 14 h à 18 h. Du mercredi au samedi : de 9 h 30 à 13 h et de 14 h à 18 h. Fermé le dimanche, le lundi, le mardi matin et les jours fériés.

Hôtel de Ville Musée des beaux-arts

Gare SNCF

> SAINT-ÉMILION

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ACCÈS Gare TGV à 5 min à pied de la chapelle du Carmel. Parkings à proximité.

Le nouvel accrochage des collections permanentes sur le thème de la représentation de la femme est visible au musée des beaux-arts à partir du 10 octobre 2020.

Place Abel-Surchamp

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HORAIRES Ouvert du mardi au samedi : de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Fermé le dimanche, le lundi et les jours fériés.

MUSÉE DES BEAUX-ARTS 42, PLACE ABEL-SURCHAMP 33500 LIBOURNE

Chapelle du Carmel Place Princeteau Esplanade François Mitterrand

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La chapelle du Carmel est l’espace dédié aux expositions temporaires du musée des beaux-arts.

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CHAPELLE DU CARMEL 45, ALLÉES ROBERT-BOULIN 33500 LIBOURNE

> ANGO ULÊ

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RENSEIGNEMENTS PRATIQUES

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Le musée veille au confort et à la sécurité du public et de son personnel. Nous en appelons à la complicité bienveillante de chacun : merci de porter un masque durant la visite et de respecter les mesures barrières.

SERVICE DES PUBLICS DU MUSÉE DES BEAUX-ARTS T. 05 57 55 57 43 musees@libourne.fr INFORMATIONS PRESSE MUSÉE Caroline Fillon, directrice T. 05 57 55 57 27 T. 05 57 55 33 23 cfillon@libourne.fr SERVICE DE LA COMMUNICATION, MAIRIE DE LIBOURNE Solène Riblet / Carole Matthey T. 05 57 55 33 07 / 05 24 24 21 96

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le festin


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