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chapitre 01 l une nouvelle approche du territoire

chapitre 01 l une nouvelle approche du territoire

Une remise en question | Nos premières expérimentations nous ont menés à nous positionner contre le modèle métropolitain que nous connaissons tout en étant placé dans une dynamique de dépendance de ces métropoles. Les projets qui en ont résulté étaient d’une part inexploitables pour d’autres territoires qui n’auraient pas les moyens de les mettre en œuvre et d’autre part, ne prenaient pas suffisamment en compte la spécificité des territoires propres. Ici, faire de Vienne une centralité n'a pas suffit à obtenir un équilibre viable pour le territoire. Il s’agit alors d'élargir la focale en considérant finalement « un pays viennois ». Un nouveau rapport, un changement de regard | Après avoir expérimenté les définitions conventionnelles permettant d'identifier les territoires, il est aussi possible – il est même temps – de s’affranchir de ces approches. Il s'agit d'opérer un changement de regard pour accompagner la volonté de « ré-habiter le territoire », recomposer avec lui et l'apprécier pour ce qu'il nous offre.

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Maquette augmentée du pays viennois © production personnelle

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Vers une échelle de vie biorégionale ?

Alors que la métropolisation –comme outil d’aménagement du territoire et comme phénomène aux conséquences non-soutenables– et les métropoles – comme lieux de vies accélérateurs de la normalisation des modes de vie toxiques– sont remises en cause, se pose la question de l’échelle de vie, de représentation et de gestion soutenables des territoires. À cela, les biorégionalistes états-uniens apportaient déjà une réponse dans les années 1970 : celle de la biorégion (1). Pour les auteurs, la biorégion est un territoire qui fait sens, du point de vue écologique, par ses formes de vie, ses bassins versants, sa géomorphologie, sa topographie..., mais aussi par les relations humaines qui s’y jouent.

En France, l’introduction des concepts biorégionaux s’est faite tardivement, par la traduction de l’ouvrage d’Alberto MaGnaGhi, architecte, urbaniste et fondateur de l’école territorialiste italienne, dans lequel il décrit la biorégion comme « urbaine » (2). L’ouvrage est critiqué pour sa vision culturaliste qui s’éloigne des concepts originels portés par berG et dassMann quarante ans plus tôt (3). C’est donc par ce biais que l’appropriation française du concept s’est réalisée, voire institutionnalisée au travers de schémas de planification territorial (4) et d’études menées par les organisations institutionnelles (5). Néanmoins, ces institutions ne remettent pas en cause le fait urbain. Ils défendent une vision non plus ''écocentrée'', mais bien plus ''anthropocentrée''. (6) L’expression « biorégion urbaine » n’est-elle pas, à ce sujet, un contresens complet ? Si le terme de « biorégion » désignait originellement à la fois un contexte naturel et les idées humaines à son propos, s’il caractérisait bien un ensemble fait d’humains et de non-humains, de bassins versants et d’établissements humains, de populations animales et d’histoires culturelles, d’ensembles végétaux et de pratiques artistiques, de types de sols et d’imaginaires communs, de climats et de symboliques signifiantes, que peut bien vouloir dire l’expression «biorégion urbaine » ? (7)

Pour en revenir aux préceptes originaux, berG et dassMann défendaient l’idée que la biorégion impliquait de vivre in situ, c’est-à-dire d’entretenir «des échanges équilibrés avec sa région d’accueil». Ils appellent ce phénomène la ré-habitation et l’illustre avec le cas de la Californie. Les réhabitant·e·s seraient les seuls responsables de leur territoire et apprendraient à vivre en fonction de celui-ci. Les modes de vie se seraient donc plus normalisés, mondialisés, globalisés, mais bien localisés, cohérents et adaptés au territoire. L’auto-détermination serait par ailleurs le maître-mot.

En ce sens, même si l’approche purement écocentrée du biorégionalisme ne semble pas faire l’unanimité, l’idée de réhabiter le territoire semble être transposable, sous divers points de vue, pour la fabrique d’une alternative possible au phénomène de métropolisation. Il y a donc ici l’idée que les territoires ''déshabités'' puissent être ''réhabités''.

1. Berg Peter et DasMann Raymond. « Reinhabiting California », 1977. Traduit de l’anglais par rollot Matthias. « Réhabiter la Californie ». EcoRev’, n°47. 2019. p. 73-84.

2. MagnagHi Alberto. La Biorégion urbaine. Petit traité sur le territoire bien commun. Paris : Eterotopia France. 2014

3. rollot Matthias. « Aux origines de la ''biorégion''. Des biorégionalistes américains aux territorialistes italiens ». Métropolitiques, 22 octobre 2018.

4. interSCoT de Gironde en 2015

5. Rapport de l’institut Momentum financé par la SNCF et réalisé par l’ancien ministre Yves COCHET, sur une biorégion francilienne

6. Réseau des Territorialistes. « La biorégion et sa radicalité d’écologie politique ». 21 août 2020.

7. rollot Matthias. « Aux origines de la ''biorégion''. op. cit.

Cascadia est un territoire du nord de l’Amérique, reconnu comme répondant aux critères de la biorégion. Les limites de Cascadia ignorent radicalement les limites administratives, arbitraires et géométriques des états de l’Oregon, de Washington, de l’Idaho, de la Colombie Britannique et de l’Alaska, pour créer une biorégion cohérente. Carte de Cascadia, 2014 © Cascadia Institute

À cela, le cas des villes moyennes françaises est manifestement un cas d’école. Ces villes, autrefois prospères et aujourd’hui en déshérence, méritent non plus seulement de l’attention, mais aussi une implication des habitant·e·s et des modes de vie adaptés à chacune d’entre elles, pour apprendre à les réhabiter.

Cultiver une nouvelle vision du territoire

Portons un regard sur ce que défend Alberto MaGnaGhi. Bien que critiquée, cette vision n'en reste pas moins intéressante, car elle assume son inscription dans le contexte contemporain d’urbanisation globalisée, qualifié d'éco-catastrophique, qui implique une diversité de contraintes socio-économiques. Les oblitérer relèverait du déni et tout projet relèverait de l'utopie. L'auteur défend la mise en place d’un réseau de biorégions urbaines fondées sur différents critères (écologiques et humains) et s’oppose à la vision contemporaine de l’urbanisation généralisée, mondialisée.

Le contre-exode est à la fois matériel et culturel. Il est un « retour au territoire en tant que bien commun », pour ré-animer des lieux, retrouver la mesure des villes et des établissements humains. Cela demande de faire grandir la « conscience des lieux ». (1)

La biorégion est présentée comme un outil de retour au territoire construite à partir des éléments suivants : - réactivation de l’art d'édifier avec les cultures et savoirs faire locaux - équilibres hydrogéomorphologiques et qualité des réseaux écologiques - systèmes économiques locaux - ressources énergétiques locales - espaces agro-forestiers multifonctionnels pour qualifier les relations ville-campagne

Retenons, pour le projet, un autre élément : des centralités urbaines polycentriques et l'« abandon du modèle opposant centre et périphérie ». C'est ce que nous cherchons à faire, à travers nos hypothèses individuelles, en travaillant le dialogue entre ces deux entités de façon spécifique à chaque territoire.

Il y a également un réel enjeu de retour à l'urbanité au sein de ces centrlités qui consiste à « restituer

aux habitants l’équilibre entre un niveau de connexions globales, des relations conviviales de proximité et une qualité de vie

urbaine perdus » (2)

L'auteur défend également la démocratie participative et l'autogestion des biens communs territoriaux comme élément fondateur de l'auto-soutenabilité des territoires. C'est donc un projet également politique appuyant les théories de Murray bookchin (1921-2006), pionnier sur les questions d’écologie sociale, sur le municipalisme libertaire : une façon d’habiter et de gouverner un territoire qui s’affranchit, par définition, du phénomène de métropolisation et des pouvoirs extérieurs (3). Cela ouvre des perspectives pour le projet d'écologie sociale appliquées aux expériences décentralisées de ménagement des villes moyennes et de leur territoires, et ouvre des pistes dans le travail programmatique des projets urbains et architecturaux. 1. MagnagHi Alberto. op. cit.

2. Ibid., p. 56

3. Floraisons. Contre la métropolisation capitaliste [conférence]. La Maison de l’Écologie, Lyon. 22 janvier 2020

Intentions de projet

1.

Garder un équilibre et une communication entre le coeur de ville et son territoire pour que l’un apporte à l’autre de façon équitable.

2.

Décloisonner la ville tout en conservant une hiérarchie dans le pays viennois, aixois ou dracénois. Organiser le territoire en fonction de la notion de temps et de besoin.

3.

Rééquilibrer les modes de déplacement. Réaffirmer les connexions territoriales. Assurer les connexions entre centre-ville et périphéries.

4.

Donner de l’espace aux modes doux : cycles et piétons. Trouver des solutions de stationnement et accompagner ces changements pour ne pas les rendre contraignants

5.

Répondre aux besoins de surfaces commerciales et des nouvelles formes d’économie de façon innovante.

6.

Assumer une identité territoriale aussi importante en cœur de ville que dans les campagnes, par la présence de patrimoines, de savoir-faire, de traditions et de pratiques singulières.

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Lire les paysages viennois

centre ancien vallée industrielle ville récente

grands ensembles infrastructures routières centre-village

zone commerciale balme zone pavillonaire

cultures céréalières et pâturages cotêaux viticoles espaces forestiers

Recomposer avec les modes de vie territoriaux

Une nouvelle définition du territoire

Givors Saint-Quentin-Fallavier

Bourgoin - Jallieu

Roussillon La Côte Saint André

1.

15 min en voiture depuis les centres-villes des polycentralités périphériques

15 min en voiture depuis le centre-ville de Vienne

10 min en voiture depuis les centres des communes voisines

2.

3.

Nous avons cherché à constituer le territoire viennois, le pays viennois en nous affranchissant des limites administratives connues. Pour se faire, nous avons choisi d’utiliser l’iso-

chronie comme premier

outil de définition, car le temps inclu une notion d’usage et de rapport au quotidien essentiel pour le sentiment d’appartenance à un territoire. Les trois cartes ci-contre illustrent les trois étapes de cette méthode.

4.

Tentative de délimitation du pays viennois

1. Déterminer la limite du territoire ''en négatif'' de la zone d’influence des autres villes de l’agglomération. 2. Déterminer une aire d’influence de Vienne. 3. Déterminer une aire de vie des habitants des petites communes incluses dans l’aire d’influence de Vienne 4. Conguger les tracés pour obtenir une limite éminement floue du pays viennois.

Cette définition est nécessairement imprésise car c’est une notion multifactorielle. Elle réunit activités, usages, sentiment d’appartenance, paysages reconnaissables... Le territoire viennois, en dehors de son centre urbain, est composé de paysages ruraux et de surfaces agricoles.

Accompagner le projet territorial

Suite aux confinements et à la restriction des déplacements, il est un constat qui a largement été partagé : la (re)découverte de notre environnement proche. Nous ne ne connaissons pas toujours ce qui nous entoure, surtout dans les territoires proches de nos villes moyennes très souvent organisées et arpentées par la voiture. C’est pourquoi nous nous interrogeons aussi sur le lien que les habitant·e·s entretiennent avec leur environnement. Une fois de plus, l’enjeu de revitalisation des villes moyennes ne se caractérise pas seulement en cœur de ville, mais aussi par les riches caractéristiques territoriales qui l'entourent, qu'ils s'agisse des zones pavillonnaires, d'espaces forestiers ou encore de surfaces agricoles.

Nous avons ainsi développer un réseau de projets diffusé sur tout le territoire et différencié sur trois échelles de déclinaison.

déclinaison 1. Notre première échelle d’intervention est l’action en centre ancien. L’actuelle salle des fêtes - musée de la place Miremont est un lieu stratégique. Rénover ce bâtiment caractéristique, c’est affirmer une nouvelle image pour le centre ville historique. Les citadins, comme les périurbains y trouveront leur place avec des usages à la fois quotidiens (halle alimentaire, restauration) et évènementiels (marché, forum, salons)... Le projet s’accompagne d’une modification de l’espace public pour que les usages puissent s’étendre. déclinaison 2. Notre deuxième échelle d’intervention est l’action en centre village. Souvent pauvres, en services, les coeurs de village peuvent être support d’une vraie sociabilité et d’une qualité de vie au profit du local et de la proximité. Rénover le centre village c’est aussi rénover un patrimoine ordinaire tout en renouvelant l’offre de logement et de commerces.

déclinaison 3. La troisième échelle d’intervention est celle en milieu peu urbanisé, ces sorties de villages, ces entre-deux qui donnent à voir le paysage. On y va à pied, on y passe en voiture, on s’y arrête à vélo. A la fois proches et éloignés, ces points de relais se feront le support d’usages variés.

salle polyvalente (évènements, forums...)

1. échelle centre-ville : transformation de la Halle Miremont

marché couvert permanent place de marché et terrasse communicante

2. échelle centre-village : création d'un point d’équilibre des services à Reventin-Vaugris

vente de producteurs aménagement urbain habitat

commerce multi-services de proximité

événementiel halte paysagère 3. échelle arrière-pays : trouver un point relais dans le paysage viennois

Accompagner le projet territorial

1

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Coupe du projet

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développement de la déclinaison 3.

L'objet architectural prend une forme volontairement sobre et peu invasive dans le site et dans le paysage. S’il se veut relais et repère dans les usages, il n’a pas pour volonté de s’exprimer manifestement comme un signal dans le paysage. La ligne du toit évoque l’horizon montagneux, la structure métallique des arbres, et le mur épais en pisé, support des usages et protecteur. L’ensemble est léger et démontable, simplement posé sur le terrain. La toiture fixe

1

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6 toiture en tôle

structure en métal

mur en pisé

plancher en bois plots en bois fondation en béton de site

possède un déploiement en toile qui permet d’élargir la capacité d’accueil abrité et ainsi corrober aux usages évènementiels et associatif. La fenêtre donne à voir le paysage qui se trouve au loin et invite à l’espace de contemplation au dos du mur. Les matériaux utilisés évoquent un savoir-faire local vivant, du vocabulaire agricole avec le métal et la tôle, au patrimoine ordinaire bati en bois et pisé.

Insertion de la maquette dans le site et le paysage

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