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chapitre 02 l dynamiques et influences territoriales

chapitre 02 l dynamiques et influences territoriales

Entre métropolisation et périphérisation | Notre ambition, outre notre tentative de déconstruire des imaginaires tenaces, est de comprendre le rôle des influences qu’entretiennent ces villes moyennes avec leurs territoires, métropolisés ou non. Ces influences sont-elles plutôt un levier ou un frein ? Le phénomène de métropolisation peut-il être à la fois la cause et la réponse à la déprise de ces villes et de leurs centres ? Leurs périphéries, parfois rurales, sont-elles un soutien ou un poids à porter pour les communes-centres ? Leur émancipation est-elle envisageable ? En bref, comment ces influences territoriales peuvent participer ou non aux réponses à apporter pour la revitalisation des villes moyennes et de leurs centres.

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Des systèmes territoriaux en mutabilité | Les systèmes territoriaux dans lesquels s'inscrivent les villes moyennes sont amenés à muter, comme c'est le cas depuis les premières politiques d'aménagement du territoire, avec, par exemple, l'exode rural ou encore la fusion des régions. Sur la base de quels scénarios peuvent s'opérer ces changements ?

Vienne, en tant que première ville d'étude, s’inscrit dans le territoire métropolitain lyonnais. Nous en venons alors à questionner le phénomène de métropolisation, encouragé par certains, vivement critiqué par d’autres, et souvent accusé de causer du tort au reste du territoire.

Vers une métropolisation du territoire français ?

1. verMeren Pierre. L’impasse de la métropolisation. Paris : Gallimard, Collection Le Débat. 2021, 108 p. (p.17)

2. Ce document est tiré du site du Réseau des Pôles Métropolitains. URL : http:// www.poles-metropolitains.fr Les politiques territoriales, en France, semblent se tourner davantage vers la métropolisation du territoire que vers l’équité territoriale et la décentralisation promise par le gouvernement depuis les années 70/80.

« La France est particulièrement en pointe dans la structuration métropolitaine de son espace national. Les autres pays européens n’ont pas subi de mutations aussi radicales ni aussi rapides que l’espace français depuis les années 1970 » (1)

Le document ci-dessus est décrit comme un « état d’avancement » (2), comme si le phénomène n’en était qu’à ses prémices et que l’objectif était, à terme, de recouvrir l’entièreté du territoire de ''Pôles Métropolitains''. Le projet n’est-il qu’un regroupement théorique favorisant les échanges ou un regroupement spatial et territorialisé favorisant l’urbanisation généralisée et la montée en puissance des métropoles ? Cela questionne face aux conséquences délétères aujourd’hui connues et partagées sur la question de l’urbain-métropolisé (faible résilience, impossible autonomie, pollution environnementale, consommation de masse, ségrégation sociale, stress et mauvaise qualité de vie, etc.).

Zoom régional : Auvergne-Rhône-Alpes

2015

Lyon

SaintÉtienne

Pôle Métropolitain lyonnais en 2015 / source : Pôle Métropolitain

2020

Villefranche /Sâone Vienne BourgoinJal.

SaintÉtienne Lyon

Genas

Vienne BourgoinJal.

Pôle Métropolitain lyonnais en 2020 / source : Pôle Métropolitain

Zoom régional : Auvergne-Rhône-Alpes

N'étant pas une entité territoriale à proprement, ce pôle questionne surtout pour le projet qu'il défend et d'un point de vue politique. En effet, la gouvernance du Pôle Métropolitain, tel qu’elle existait en 2020 se base, comme beaucoup d'objets politiques et économiques, sur le poids de chaque partie. Ici, c'est le poids démographique qui donnera le nombre de sièges au conseil du Pôle Métropolitain. Quelle place reste-il aux autres collectivités aux côtés de la Métropole de Lyon ?

49% pour la Métropole de Lyon (43 sièges)

10% pour Vienne-Condrieu Agglomération (9 sièges)

17% pour la Saint-Étienne Métropole (15 sièges) 3,5% pour la CC de l'Est Lyonnais (3 sièges)

Gouvernance du Pôle Métropolitain lyonnais en 2020 : quelques exemples

L'étendue du Pôle Métropolitain en 2020 n'étant qu'un ''état d'avancement'', qu'en sera-t-il dans 30 ans ? Dans une logique prospective, nous imaginons une cartographie potentielle de ce à quoi il pourrait ressembler en 2050, les espaces intersticiels étant désormais rentrés en jeu.

2050 ?

Villefranchesur-Sâone

SaintÉtienne Lyon

Genas

Vienne BourgoinJallieu

projection 2050 du Pôle Métropolitain lyonnais © production personnelle

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La métropolisation : quelles conséquences ?

La métropolisation est un phénomène mondualisé né aux EtatsUnis, qui a gagné la France depuis les années 1970/80, marquant le début de la fabrique des métropoles. Il est devenu une idéologie dominante, mais qui commence toutefois à être à bout de souffle. Certain·e·s auteur·e·s déplore une critique très tardive et difficile du modèle métropolitain, longtemps restée silencieuse par les géographes. (1) De plus en plus de voix se haussent néanmoins, – que ce soit dans la littérature comme sur le petit écran, à la radio et tout autre médium plus ou moins grand public – allant à l'encontre de ce modèle dominant qu'est devenu la dynamique de métropolisation. De la même façon, de plus en plus de rencontres sont organisées à ce sujet. Lors d’une conférence tenue le 22 janvier 2020 à la Maison de l’Écologie de Lyon, le média Floraisons (2) accueille Isabelle attard (ancienne députée écologiste), Guillaume Faburel (enseignant et chercheur) et Floréal M. roMéro (agriculteur et écrivain) (3). Tous·tes dénoncent l'urbain métropolisé comme instrument d'assujettissement politique et surtout comme une fuite en avant vers l'impasse écologique et environnementale sous couvert d'un discours politique séduisant emprunt aux logiques néo-libérales.

« Les grandes villes auraient, nous dit-on, les solutions face à l’effondrement du vivant. Un emploi dans un fab lab ? Un post-it bleu ou rose pour faire démocratie ? Des fermes en aquaponie pour notre autonomie ? Des Jeux olympiques face au mur climatique ? »

Guillaume Faburel, en sa qualité de professeur à l’Université Lyon 2 et Sciences Po Lyon et de chercheur à l’UMR Triangle, est un des portes-voix de ce mouvement. Il travaille sur les conséquences écologiques et sociales de la métropolisation et questionne les communs territoriaux. Au cours de ces dernières années, ses différentes publications ont participé à ouvrir le débat à plus grande échelle. En 2018, il publie « Les métropoles barbares - Démondialiser la ville, désurbaniser la terre » (4), qui se positionne radicalement contre la métropolisation mondialisée des territoires et la folle expansion de ces « villes gloutonnes ». L’ouvrage démontre les effets délétères (souvent irréversibles) qu’entretiennent les grandes villes sur l’environnement et les populations. Les pouvoirs économiques et politiques y manipulent des idées faussement écologiques, sous un marketing toujours plus vendeur et compétitif, en opposition avec les principes d’une écologie radicale et d’une politique sociale. L’auteur s’attache également à montrer que des luttes, internes et externes aux métropoles, s’enclenchent pour lutter contre ce phénomène. Il y dresse un tour d’horizon des initiatives « alter-urbaines » sur le territoire français (p. 265) : des coopératives d’habitat iséroises aux luttes contre les projets de développement dans le Var, en passant par la chute des grands projets urbains, comme EuropaCity à Gonesse. C’est un discours qui conforte les logiques de décroissance de certains territoires, à l’abri de ''l’urbain-métropolitain''. Il y met en avant sont triptyque habiter / coopérer / autogérer sans lequel

1. verMeren Pierre. op. cit. p. 17

2. Floraisons est un média lyonnais autogéré qui, par le biais de son blog et de son podcast, participe à la déconstruction des modèles dominants.

3. Floraisons. Contre la métropolisation capitaliste [conférence]. La Maison de l’Écologie, Lyon. 22 janvier 2020.

4. FaBurel Guillaume. Les métropoles barbares : démondialiser la ville, désurbaniser la terre. Paris : Le Passager clandestin. 2018, 430 p.

5. FaBurel Guillaume. Pour en finir avec les grandes villes : manifeste pour une société écologique post-urbaine. Paris : Le Passager clandestin. 2020

6. verMeren Pierre. L’impasse de la métropolisation. Paris : Gallimard, Collection Le Débat. 2021, 108 p.

7. FaBurel Guillaume. Les métropoles barbares. op. cit.

8. CHoay Françoise (1994) « Le règne de l’urbain et la mort de la ville». In Pour une anthropologie de l’espace. Coll. La couleur des idées. Paris : Seuil. 2006. pp. 165198 l'émancipation des métropoles ne sera possible. Après avoir démontré que le territoire métropolitain participe vraisemblablement aux crises écologiques et sociales, l’auteur publie, en 2020, « Pour en finir avec les grandes villes - Manifeste pour une société écologique post-urbaine. » (5). Il tente d'y concrétiser et spatialiser ses propos et « dresse un plaidoyer en faveur de la construction d’une société écologique hors des grandes villes, seul futur viable pour l’humanité et la planète ». La description de cette société post-urbaine s’illustre de témoignages et d’expériences concrètes. Elle donne des orientations pour éviter de reproduire le phénomène sur le reste du territoire, « éviter la contamination métropolitaine de la terre » (p. 135) et « habiter sans bétonner » (p. 160). Habiter avec le vivant, autonomie et coopération sont toujours les maîtres-mots.

De façon plus générale, la majorité des auteur·e·s critiques à l’encontre du phénomène semblent être d’accord sur un point : les métropoles sont les outils les plus efficaces d’application du capitalisme néo-libéral aux territoires.

Pour Pierre vErmErEn, « la métropolisation est une modalité du capitalisme néolibéral, présentée en idéal politique et de civilisation. » (p. 9)

Pour Guillaume Faburel, c'est « c'est un fait social total organisant les fondements économiques (dynamique de compétition globalisée), géographiques (processus d’attractivité différenciée) et politiques (repolarisation des pouvoirs) de la surmodernité néolibérale. », (p. 18)

Le phénomène de métropolisation semble donc être très explicitement à l’origine de la reconfiguration des rapports villes-campagnes, des rapports villes centres-banlieues, des oppositions entre les classes sociales, de la nature du tissu économique et ses performances et donc globalement des organisations du territoire. Les métropoles regroupent très distinctement les élites et populations aisées (« principal vivier de nos écologistes »), ainsi des populations immigrées récemment, et structurent des forces économiques et sociales du territoire.

Spatialement, dans cette nouvelle géographie du capitalisme, il s'agit donc de concentrer les populations, de concentrer les fonctions et les lieux de commandement politique, de concenter les réseaux de communication et de polariser les flux économiques pour construire un modèle de ''ville-monde'' exportable (8), où la nature tient une place superficielle et où le mot ville pourrait être remplacé par celui d'urbain. Ainsi, la « mort de la ville » (8) prédite par Françoise Choay dans les années 90 et accompagné du « règne de l'urbain », célèbre également l’avènement des métropoles et de l'urbain généralisé/mondialisé.

Zoom régional : Auvergne-Rhône-Alpes

Mais concrètement, quels impacts sur les villes moyennes de la région ?

Depuis les années 2000, leur poids économique s’est affaibli du fait de politiques territoriales nationales favorisant le développement des métropoles régionales. Dans la région, six villes moyennes se distinguent cependant par le poids plus important des emplois s’apparentant à des fonctions dites ''métropolitaines'' ou supérieures et par la diversité des fonctions occupés par les actifs. Elles comportent aussi plus de services administratifs et de santé. Les plus grandes villes moyennes possèdent une relative autonomie face aux métropoles les plus proches lorsqu’elles possèdent un tissu économique varié et des fonctions supérieures. Pour d’autres, la proximité directe avec une grande aire urbaine leur confère une attractivité résidentielle forte qui compense la moindre attractivité économique. Elles font alors systèmes avec les plus grandes aires. Enfin, d’autres sont plus isolées et leur population rencontrent notamment des difficultés d’accès aux services essentiels, équipements et formations, présents dans les grandes agglomérations.

polarisation lyonnaise

polarisation valentinoise

polarisation genevoise polarisation grenobloise

polarisation clermontoise

polarisation autour d'une ville moyenne

Lyon

Mise en application

Vienne

Sous-préfecture du département de l’Isère, Vienne n'en reste pas moins à la frontière avec celui du Rhône, séparés par le fleuve éponyme. En bordure de ce dernier, elle est en aval de Lyon et y est facilement connectée par les réseaux routiers, auto-routiers et ferroviaires. L’intercommunalité dont elle est la commune-centre, Vienne-Condrieu Agglomération, est frontalière la Métropole de Lyon.

30%

des actifs occupés résidant à Vienne travaillent à Lyon

La ville connaît une très forte influence de la métropole lyonnaise. Nombreux·ses sont les viennois·e·s qui partent chaque matin travailler dans le cœur métropolitain (1 actif sur 3). Cette influence est désormais subie par Vienne qui se vide de ses activités, et pourrait être absorbée par l'aire lyonnaise.

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Vers la fin du règne métropolitain ?

« Fragmentée et disséminée, la ville est désormais partout et nulle part. » (1)

Et si la ville n’était devenue qu’un simple terme pour panser les maux d’une forme de territoire bientôt obsolète ? Autrefois considéré comme un ensemble urbain cohérent et continu, comme le « lieu traditionnel de l’usage et de l’échange sous toutes leurs formes », le territoire de la ville est finalement devenu « l’objet d’échange » (2). Il ne définit plus la ville bâtie : la ville traditionnelle s’est effacée au profit de « territoires désincarnés et interconnectés » (3). Tout mène à penser que la notion de ville est bel et bien devenue un « archaïsme lexical » (4), ou bien le couvercle d’une marmite qui rassemble, en réalité, une variété de territoires. Parmi ceux-ci, prenons celui qui monopolise l’attention : la ville métropolitaine, qui n’a donc de « ville » plus que le nom. Certain·e·s la définissent comme un projet social et politique, d’autres comme un lieu de capitalisation des biens et services. Pour le chercheur en études urbaines, Guillaume Faburel, la métropole est le « stade néolibéral du capitalisme mondialisé » (5). Quoi qu’il en soit, ses limites sont désormais atteintes puisque des formes d’exodes urbains se multiplient. Ce texte s’inscrit dans un contexte où certains enjeux contemporains –qu’ils soient environnementaux, sociaux, économiques, sanitaires– mettent en exergue les incohérences de la ville métropolitaine face au projet d’avenir qu’elle promet. Nos imaginaires, colonisés par cette échelle de vie, par la culture de la « grande ville » et des modes de vie citadins, peinent à sortir des sentiers battus pour envisager d’autres cadres de vie plus viables. « Et si les habitants de ces mégapoles s’en allaient, peupler d’autres territoires lors d’exodes urbains massifs, volontaires, militants ? » (6). En tant qu’habitant·e·s, ne s’agirait-il pas aujourd’hui d’élargir nos imaginaires restreints pour produire de nouveaux modes de vie et apprendre à habiter les territoires loin d’un système métropolitain non-soutenable, pour une vraie résilience individuelle et collective ? En tant que concepteur·trice·s, ne devrions-nous pas nous réconcilier avec les cultures constructives locales et apprendre à concevoir pour des échelles de territoires variées et singulières ? Tentons de mettre en lumière les failles du système métropolitain pour ouvrir la voie vers d’autres échelles, qui permettent de construire un réel projet d’avenir.

La fin d’un modèle

Sur un fond de mondialisation, les 40 dernières années ont formé un cadre idéal à la croissance exponentielle des villes métropolitaines. Elles sont devenues l’habitacle de formes de vie urbaines qui posent un certain nombre de questions vis-à-vis des enjeux contemporains. Pour Guillaume Faburel, la métropolisation mondialisée présente des effets positifs pour un petit nombre d’acteurs du capitalisme urbain, mais surtout de nombreux effets délétères pour le reste du vivant, humain et non-humain. C’est en cela que la ville, sous cette forme, devient « barbare » pour ses habitant·e·s.

1. CHoay Françoise (1990) « ‘‘Ville’’ : un archaïsme lexical ». In Pour une anthropologie de l’espace. Coll. La couleur des idées. Paris : Seuil. 2006. pp. 148-153

2.Ibid.

3. Paquot Thierry. Désastres urbains, les villes meurent aussi. Paris : La Découverte. 2019, 262 p.

4. CHoay Françoise (1990) op. cit.

5. FaBurel Guillaume. Les métropoles barbares. Paris : Le Passager clandestin. 2018, 430 p.

6. Paquot Thierry (2019) op. cit..

vue aérienne de Santiago, capitale du Chili, une urbanisation en pleine expansion © Landsat/Copernicus, Google Earth, 2020.

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