Mémoire de master II - ressources latentes, le cas des logements vacants

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RESSOURCES LATENTES LE CAS DES LOGEMENTS VACANTS tentative de définition d’un modèle post-carbone pour l’architecture et les territoires

ÉTUD. DANTCIKIAN Romane UNIT E0932B - MÉMOIRE 3 - MÉMOIRE INITIATION RECHERCHE

SRC

DE./MEM DE./TUT.

D’EMILIO Luna ROUEFF Boris

MARCH ARCH

S10 DEM AMTH 19-20 VEU

© ENSAL



RESSOURCES LATENTES

LE CAS DES LOGEMENTS VACANTS

tentative de définition d’un modèle post-carbone pour l’architecture et les territoires

Mémoire d’initiation à la recherche sous la direction de Luna D’EMILIO

Romane DANTCIKIAN École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon 2019-2020


Remerciements Je tiens à remercier chaleureusement Luna D’EMILIO pour son suivi bienveillant, pour le temps qu’elle m’a accordé et pour la qualité de ses conseils, Teva BLANC pour nos riches et longues discussions pleines d’idées pour le monde de demain, Alexandra OUZAR et Clémentine DANI pour l’attention qu’elles ont porté à la relecture de cet écrit. Et bien entendu, je remercie toutes les personnes qui m’ont donné de leur temps dans le cadre des entretiens tenus au cours de la phase de recherche. Je souhaite également remercier ma famille, ainsi que quelques autres dracénois et dracénoises, pour leur regard critique sur cette ville qui m’est chère et qui a été centrale dans ce travail.


« Il faudrait cesser de jeter un regard condescendant sur l’histoire passée et faire notre miel de ce qu’elle a engendré de meilleur. Il faut considérer ce passé comme un patrimoine de l’humanité à réhabiliter et à harmoniser avec ce que la modernité a produit de positif, et que l’appât du gain a pris en otage en le privatisent. » Pierre RABHI, Vers la sobriété heureuse (2013)

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PrĂŠambule


Il paraît que « l’architecture est un sport de combat ». Si ce n’était pas écrit, je ne l’aurais pas cru quand, enfant, je passais chaque jour devant les immeubles des remparts de Draguignan, pensant alors que, "quand je serai grande", je pourrai me rendre utile en sauvant ces bâtiments de la ruine et en leur rendant leur capacité d’héberger décemment des dracénois·e·s. On m’a alors dit que celui qui détenait ce rôle s’appelait l’Architecte ; un mot qui est resté depuis toutes ces années, jusqu’à ce que je prenne le titre d’étudiante en architecture, en passe d’intégrer une profession bien plus complexe que celle que je pensais capable de résoudre ces questions.

droit fondamental, me dira-t-on. Je répondrai que c’est incontestablement vrai. Je répondrai aussi qu’il y a 4 millions de français·e·s mal-logé·e·s et que c’est un problème ; mais qu’il y a 3 millions de logements vacants et que c’est peut-être une solution. Que se passerait-il si nous nous mettions à considérer ce stock de logements comme une ressource en latence qui n’attend qu’à être exploitée ? Et si l’industrie de la construction telle qu’on la connaît aujourd’hui avait atteint ses limites et qu’il ne s’agissait plus de construire, mais de ré-investir des lieux qui nous attendent, en espaces de vie ? de régénérer 3 millions de logements inoccupés ?

Aujourd’hui, des limites que nous soupçonnions peu se dévoilent. Elles sont le fondement d'un écosystème vieux de quelques milliards d'années, mais apparaissent désormais comme un obstacle à un mode de vie et un mode de construire qui ne savent se développer sans les fruits de cet écosystème. Il s’agit bien de ressources dont nous parlons ici. Des ressources en quantités limitées, qui nous ont servi à édifier et qu'on s’autorise encore à puiser massivement, toujours pour édifier.

Demain, il s’agira alors d’intervenir à une échelle plus large que l’enceinte des remparts du centre ancien de Draguignan : c’est globalement à travers l’héritage de ce qui est déjà présent que j’imagine nos territoires de demain.

Alors que certaines industries –aussi rares soient-elles– en sont à l'heure du « moins, mais mieux », le secteur de la construction prône un « plus et mieux ». Il est remarquable d’être désormais capable de construire responsable, performant ou encore passif, mais il existe un autre adage qui dit que « le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas ». Mais il faut bien se loger et le droit au logement est un fig. 01 : vue depuis les remparts de Draguignan © crédit personnel

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avant-propos

Avis au lecteur·trice Par-delà le cadre académique dans lequel s’inscrit cet exercice de recherche, ce travail est une opportunité et un support de communication pour diffuser des contenus scientifiques et des idées qu’il me semble important de rendre accessibles. Je le souhaite compréhensible par toutes et tous. À cet effet, un glossaire est à consulter à la page 128. S’y trouvent des définitions qui permettent de clarifier et comprendre au mieux les termes marqués d’un astérisque (*) dans le texte. Le lecteur ou la lectrice est invité·e à le consulter sans modération.


Au fil d'une réflexion constante, liant enjeux globaux, enjeux personnels et enjeux professionnels, et s'affinant à l'aide d’expériences et de recherches, des questionnements se sont mis en place. Ces derniers ont remis en cause des principes qui me semblaient fondateurs, comme celui de ma légitimité à concevoir de futures architectures sortant d’un sol déjà grandement urbanisé et infertilisé, tout en percevant, de manière directe ou indirecte, leur impact environnemental –aussi performantes soient-elles en termes de consommations énergétiques. Ces questionnements font également suite à mon expérience de la pédagogie et des enseignements tirés de mes premières années d’études en architecture, à Lyon et à São Paulo. Je réalise aujourd’hui que les dogmes pédagogiques, dont Françoise CHOAY fait le procès1, m'ont effectivement conditionnée à occulter une partie de l’environnement déjà bâti (du « déjàlà ») dans la conception. J’ai manqué d’avoir appris à « continuer les œuvres du passé de façon inédite »2. Peut-on parler d’un dogme de la construction neuve ? Même si la pédagogie ne reflète pas littéralement le monde professionnel – qui me donnera probablement l’opportunité de m’ouvrir à ce sujet –, j’ai tout de même ce sentiment de ne pas avoir appris à concevoir un projet dans un environnement bâti, qu'on me fera croire « contraignant ». Ce travail est avant tout le fruit de réflexions quotidiennes : des notes au fil des observations, des pensées éparses au cours de balades urbaines, qui m’ont menée à choisir mon échelle d'intérêt. Le chemin par lequel je suis passée s’est avéré être plus sinueux que prévu, et ce parcours de réflexion, qui s’est affiné au fur et à mesure, se résume en 6 étapes principales.

L’exercice de rapport d’étude en 3e année a constitué une entrée en matière et m’a poussée à creuser le thème de la vulnérabilité des territoires face aux changements globaux. Il m’apparaît, depuis, essentiel de cibler mes recherches sur ces thématiques pour comprendre le rôle que j’ai à jouer en tant que future actrice des territoires.

01.

L’année de master 1 en mobilité au Brésil a été décisive pour cibler le cadre culturel dans lequel je souhaite exercer à l’avenir. Les sujets abordés en projet étaient nourris de contextes et savoirs locaux auxquels je me sentais étrangère. Un sentiment d’illégitimité à étudier ce qui m’est géographiquement et culturellement lointain s’est manifesté. L’échelle d’étude s'est rapidement resserrée à celle du territoire français.

02.

En master 2, j’ai souhaité ouvrir mon parcours aux domaines de l’urbain et du patrimoine. L’intégration du parcours Recyclages du master Villes et Environnements Urbains, ainsi qu’un stage auprès d’architectes du patrimoine ont posé les questions de l’héritage à l’échelle de la ville et questionné son « recyclage ». Néanmoins, l’environnement professionnel de l’architecture du patrimoine se situe dans des systèmes économiques et socio-culturels parallèles à ceux d’une réalité qui touche le reste de notre environnement bâti : ces architectures ordinaires qui m’intéressent davantage.

03.

Aujourd’hui, les réflexions sur les causes et conséquences de nos modes de vie sur notre environnement sont inévitables. Dans le secteur du bâtiment, si la performance énergétique devient incontournable, le fond du sujet semble rester une contrainte plus qu’une ligne directrice pour beaucoup d’entre nous. Je suis maintenant amenée à remettre en question notre légitimité à construire. Comment pourrions-nous répondre aux enjeux de demain avec les ressources dont nous disposons déjà ?

04.

Alors qu’il m’était difficile de choisir un programme à étudier plutôt qu’un autre, un article de presse a attiré mon attention : « Les logements vacants se multiplient alors que la France manque de toits »3. J’ai trouvé là un sujet sensible, dont j’ignorais les tenants et les aboutissants, mais qui posait un grand nombre de questions.

05.

Quels enjeux territoriaux sont liés à ce phénomène de logements vacants ? Un rapide état des lieux permet de constater que les villes moyennes relatent une situation particulière à ce sujet. Accompagnée d’une volonté personnelle d’étudier le territoire sur lequel j’ai grandi, Draguignan – « ville moyenne » type – s’est trouvée être un cas d’étude idéal.

06.

CHOAY Françoise. « Enseignement et patrimoine : un enjeu de société» (publié en 1995). Dans Pour une anthropologie de l'espace. Collection La couleur des idées. Paris : Seuil. 2006. 1

2

Ibid. p. 316

MOUCHEL Philippe. « Les logements vacants se multiplient alors que la France manque de toits. » Le Figaro. 02 novembre 2018. [Consulté le 08 décembre 2019] 3

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SOMMAIRE

SOMMAIRE


00. introduction

01. logements vacants : ressource potentielle

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

03. ré-habiter le territoire

11

16

20

23

25

contexte de la recherche

réflexions d’échelles

se questionner

corpus d’étude

présentation du cas d’étude

31

37

43

57

62

le logement vacant en questions

une réponse pour la neutralité carbone ?

de la théorie à la pratique : les outils

de la théorie à la pratique : les freins et obstacles

ressource inexploitée ou inexploitable ?

70

80

86

93

99

patrimoine ordinaire, patrimoine extraordinaire

la réhabilitation comme acte de création

nouvelles qualités spatiales et énergétiques

les pistes : nouveaux usages

les pistes : nouvelles pratiques, nouvelles définitions

107

114

119

ressource territoriale

les objectifs, en théorie

les objectifs, en pratique

122

128

134

141

conclusion

glossaire

bibliographie

annexes

8


9

00.

introduction


INTRO INTRODUCTIO N DUCTION

Nous avons pris conscience, en somme, de la nécessité de récupérer les espaces piégés par la croissance démesurée des villes. Est-ce que cela signifie que la ville commence à se régénérer, à guérir de ses blessures ? Renzo PIANO, De la désobéissance de l’architecte (2009)

introduction 10


CONTEXTE DE LA RECHERCHE La nouvelle période géologique dont l’Homme est à l’origine et dans laquelle nous sommes entré·e·s – l’Anthropocène1 – définit l’ère de la transformation de la couche terrestre par l’Homme. Elle représente avant tout la faiblesse de l’équilibre des écosystèmes terrestres et la finitude des ressources, que nous nous obstinons pourtant à puiser. Ce travail de recherche s’inscrit dans ce contexte global qui met la crise environnementale face aux crises sociales, économiques et politiques. Nous, en tant que société, devons faire face à ces crises, les appréhender et lutter pour y remédier. Leurs solutions sont probablement communes et il nous appartient de faire converger ces luttes. Nous, en tant qu’architectes (et/ou urbanistes), pouvons directement participer à l’élaboration de ces solutions. Concevoir pour aménager l’espace répond à des situations complexes, urgentes ou non, et propose des solutions à des problématiques qui peuvent être globales. Ainsi, le secteur de la construction porte une certaine responsabilité et s’inscrit dans un système qu’il nous appartient de questionner. Les chiffres, les données, les études participent à l’éveil au sujet de l’impact réel et concret du secteur sur notre environnement global. Ils reflètent un système qui a bientôt atteint ses limites et met les acteurs et actrices de la construction, dont les architectes, face à leurs responsabilités. En France, ce système fait face à ses contradictions, en prétendant construire pour loger et, dans le même temps, en faisant la sourde oreille face à une quantité de logements inhabités qui ne cesse de croître chaque année. Ajoutons à cela le nombre, bien trop conséquent, de personnes mal-logées, qui suscite des interrogations face à des pratiques qui restent inchangées.

introduction

En outre, une question transparaît. Construisons-nous trop ? Pour imaginer une logique de ralentissement du rythme de construction, il est essentiel de prendre, dans un premier temps, connaissance de l’exacte situation dans laquelle le secteur se trouve.

Définie par Paul J. Crutzen et Eugene F. Stoermer, l’Anthropocène est « l’âge géologique actuelle, dominée en bien des façons par l’Homme ». The Anthropocene, Global Change NewsLetter, n°41. 2000. 1

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Le contexte global : un contexte de crises ?

4 millions de mal-logés

+1,1% de logements par an

3 millions de logements vacants

1er secteur le + consommateur d’énergie

79% des émissions liées à l’usage

+1,6% de logements vacants par an

37 millions de logements

30% des émissions de GES du pays 2e secteur le + émetteur de GES

8,4% de logements vacants

250 000 rénovations par an en 2020 146 MtCO2e par an

300 000 rénovations par an d’ici 2030 700 000 rénovations par an pour 2030-50

21% des émissions liées à la constuction -100% des émissions liées à l’usage d’ici 2050

-80% des émissions liées à l’industrie d’ici 2050

fig. 02 : infographie regroupant quelques chiffres clés au sujet des impacts du secteur de la construction et du logement en France : émissions de GES2, logements vacants3 et ambitions nationales4 © crédit personnel

Retenons, parmi ces chiffres, que le secteur du bâtiment, en France… …est le premier consommateur d’énergie. …est le deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre (30% des émissions annuelles nationales). …construit +1,1% de logements par an, soit 402 600 logements, sur la base de matières premières. Retenons également que… …les émissions du secteur ont augmenté de 8% entre 2014 et 2017 malgré les engagements pris lors de la COP21 (avant la mise en place du Plan Climat en 2017)5. …4 millions de personnes sont mal-logées.

ADEME et Carbone 4. Neutralité et bâtiment. Juin 2019. p. 13. [Consulté le 3 décembre 2019]. En ligne : http://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2019/07/Publication-neutralité-et-batiment-Carbone-4-ADEME.pdf. 2

3

Données INSEE, étude publiée le 11/12/2019. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3620894

Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. Projet de Stratégie Nationale Bas-Carbone. Janvier 2020. [Consultée le 25 février 2020] En ligne : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc 4

5

introduction

Ce rapide état des lieux permet de situer les pratiques de la construction dans ce contexte d’urgence environnementale et sociale à l'échelle du territoire français, mais surtout de rendre compte d’une situation qui n’est pas soutenable. Des incohérences se dessinent et fragilisent la pérennité du secteur. Chaque année, le nombre de logements neufs augmente, et avec lui, les problématiques de logements vacants, de personnes mal-logées, d’émissions de gaz à effet de serre et de prélèvement des ressources.

ADEME et Carbone 4. op. cit.

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Les émissions ont différentes origines qu’il sera plus ou moins complexe de réduire. Elles se placent en 3 catégories (les scopes)6 : - scope 1 (consommations d’énergie) : les émissions directes de la phase d’usage liées aux consommations d’énergies (gaz, fioul…) et aux fuites de fluides frigorigènes - scope 2 (production d’énergie) : les émissions indirectes de la consommation d’électricité et des réseaux urbains (froids ou chauds) - scope 3 (construction) : les émissions indirectes de la fabrication des matériaux et des équipements pour les constructions neuves et les rénovations Les deux premières scopes sont donc liées à notre consommation et production d’énergie (phases d’usage), alors que la troisième est directement liée à la phase de construction, à l’énergie grise d’un bâtiment. Il est en revanche plus difficile d’évaluer, pour un bâtiment, la quantité exacte d’émissions de chaque scope. Selon les sources, la phase de construction est responsable de 21%7 à 50%8 de la quantité totale des émissions d’un bâtiment. Cette seule phase représenterait donc au moins 35 MtCO29 par an – soit près de 10% des émissions annuelles globales à l’échelle de la France. Les recherches à ce sujet sont relativement peu nombreuses et ont du « 50% des émissions découlent de la mal à s’accorder. Quoi qu’il en soit, la phase de construction reste construction d’un bâtiment et 50% manifestement une importante source d’émissions –néfastes pour résultent de son exploitation », le climat– et de prélèvement de ressources –néfaste pour l’enviCharles ARQUIN, dans Rénovation, ronnement. Elle est pourtant rarement prise pour cible, contraireplus de 30 millions de logements ment à la phase d’usage, que l’on met volontiers au centre de l’enjeu énergétique. En 2015, par exemple, le gouvernement a mis en place une Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) ; autrement dit, une feuille de route qui vise une société décarbonée d’ici 2050. Cette stratégie de décarbonation place trois enjeux majeurs en première ligne : la rénovation des passoires énergétiques, la réduction des impacts de la construction neuve avec les Réglementations Thermiques et Environnementales et l’adaptation aux aléas climatiques. Révisée en décembre 2018, la SNBC communique les cibles du secteur du bâtiment autour des trois scopes10. On peut y lire : - scope 1 : 0 MtCO2e en 2050 - scope 2 : 0 MtCO2e en 2050 - scope 3 : non précisé

introduction

Les enjeux autour de la limitation des émissions de gaz à effet de serre de la phase de construction sont donc « non précisés ». Cependant, la réduction des émissions de l’industrie globale française entre 2015 et 2050 est abordée ailleurs. Plus précisément, cette industrie concerne les industries cimentières et sidérurgiques, particulièrement émettrices. Rien de plus ambitieux n’est précisé pour réduire les émissions de la scope 3. Le nombre d’unités construites n’est pas abordé, ni remis en question. C’est un exemple qui illustre le peu d'intérêt que nous montrons à cibler l’action même de construire comme une action polluante qu’il faut remettre en question (outre les performances énergétiques du bâti). Ainsi, le rapport fixe des objectifs visant à concevoir des bâtiments à faible impact carbone et celui-ci est « évalué globalement sur le cycle de vie (extraction des matières premières, fabrication des produits et équipement de construction, construction, exploitation, déconstruction et fin de vie des produits et équipements) »11. De fait, il ne fixe aucun objectif sur la réduction du rythme de production. Seule l’hypothèse

6

Ibid.

7

Ibid.

8

ADEME et d’ORSO Fabrice (dir.). Rénovation, plus de 30 millions de logements. Levallois-Perret : Éditions PC. 2019

9

Mesure pour calculer une équivalence en émissions de CO2 : 1 MtCO2 = 1 million de tonnes équivalent CO2

10

13

Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. op. cit.

ADEME et Carbone 4. Neutralité et bâtiment. Comment les acteurs du secteur peuvent s’inscrire dans une démarche zéro émission nette. Juin 2019. p. 13. [Consulté le 3 décembre 2019]. En ligne : http://www.carbone4.com/wp-content/ uploads/2019/07/Publication-neutralité-et-batiment-Carbone-4-ADEME.pdf. 11


d’une démographie en déclin est évoquée comme pouvant potentiellement le faire diminuer d’ici 2050. Le sujet est donc abordé comme une option à laquelle nous ne souscrirons pas dans nos stratégies. Le gouvernement s’alarme lorsque le rythme de construction ralentit, jusqu’à prendre des décisions pour lutter contre les recours aux permis de construire. Il se félicite de faciliter la construction (loi ELAN*) et lorsque le rythme reprend, il entend bien le stabiliser12. Ainsi, la remise en question de la pratique en ellemême et de son industrie reste inenvisagée lorsqu’il s'agit de mettre en place des stratégies d’actions nationales. En résumé, à l’image du reste de nos pratiques, c’est la « croissance verte » qui est préconisée par les pouvoirs publics. Près d’un quart de la croissance du parc s’explique par l'augmentation du nombre de logements vides.

Y a-t-il là un tabou autour du sujet ? N’assumons-nous pas que la simple construction d’un bâtiment puisse être particulièrement polluante ? Peut-être cela remettrait-il en cause notre statut et notre légitimité à exercer ? C’est sur cela qu’il faut travailler. 13

Face à ces données déconcertantes, la question de la ressource se replace au centre des réflexions. Nous n’avions pas su apprécier leur quantité et leur valeur au moment venu et nous sommes aujourd'hui en train d'expérimenter leurs limites. Telles qu’elles le sont aujourd’hui, nos pratiques constructives prônent un usage plus responsable de ces ressources. Néanmoins, elles appellent toujours à les puiser et ne répondent pas au problème de fond posé en arrière-plan. La réhabilitation est toutefois amenée à prendre une place de plus en plus grande face à la construction neuve, dans nos pratiques constructives. Posons maintenant la question du recyclage. Au quotidien, nous sommes en train d'apprendre à limiter nos consommations. Les usages se reconstruisent autour des nouvelles pratiques qui mettent en application la notion de "seconde-main". Pour prendre le naïf exemple de la mode, de nouvelles aspirations, visant à démocratiser l’achat de vêtements de seconde main, se généralisent. Ce phénomène, autrefois émergeant, a désormais dépassé le statut de signal faible à l'échelle de la société et le recours aux produits issus de chaînes de production conventionnelles –appelées communément la "fast fashion"– diminue. De manière plus globale, quelques industries et de nombreux usagers ont su s’adapter à une nouvelle offre qui répond à la fois à leur besoin et à celle d’une planète aux ressources limitées. Pouvons-nous envisager une telle transition pour la construction ? Que se passerait-il si notre rythme de construction de logements ralentissait ? Puisque l'offre correspond à une demande qu’il est difficile de freiner, il faudra alors aller puiser dans les constructions « de seconde main », c’est-à-dire ces logements qui n'attendant qu'à être habités ; autrement dit, ré-investir les logements vacants. Mais face à ces questions, d’autres interrogations émergent. Bien audelà du simple produit, le logement est avant tout un droit qu’il faut défendre. Quelles solutions communes nous devons-nous de trouver ?

Les limites des démarches dites durables « Ces dix dernières années, priorité a été donnée à la construction de bâtiments neufs toujours plus performants. Mais cette amélioration, si elle est bienvenue, ne concerne que la partie émergée de l’iceberg. », Fabrice d’ORSO, dans Rénovation, plus de 30 millions de logements.

POUTHIER Adrien. « La construction de logements stabilisée ? », Le Moniteur, 28 Janvier 2020. [Consulté le 29 février 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.lemoniteur.fr/article/la-construction-de-logements-stabilisee.2073009 12

introduction

Les contraintes pratiques posées par les pouvoirs publics aux acteurs et actrices de la construction en vue de diminuer les émissions et améliorer les performances énergétiques ont radicalement changé nos rapports à la conception. Néanmoins, même s'ils sont opérants, ces changements témoignent d'une transformation des pratiques dans leurs formes et peu dans leur fond. En effet, nos modes de construire et le rythme de construction qui

Insee. « La vacance résidentielle s’accentue ». Insee Première. n°1700. Publié le 26/06/2018. En ligne : https:// www.insee.fr/fr/statistiques/3572689#consulter $ 13

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les accompagnent restent les mêmes. Ce sont, dans les grandes lignes, les outils qui changent. De nouveau, la priorité a été donnée aux logements neufs hyperperformants ces dernières années. Pourtant, les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse entre 2015 et 2018 (+8%)14, ce qui va à l’encontre du premier budget carbone fixé en 2015. De même, les réglementations (RT2012, RE2020), bien que très précises sur les constructions neuves, encadrent peu les constructions existantes. Les rapports de Carbone 415 sont relativement critiques à ce sujet : « Quid de la réglementation sur l’existant pour garantir une performance carbone minimale et/ou inciter davantage les propriétaires à rénover ? Quid de la taxe carbone sur le long terme ? »16.

« Pour réduire les quantités sans donner l’impression de punir, nous devons innover dans la qualité », Jean H AËNTJENS , dans La ville frugale

Nous sommes capables de concevoir des constructions très vertueuses (au-delà des normes et autres contraintes élémentaires), de se réapproprier des techniques ancestrales très sobres, de mettre à profit l’innovation. Pourquoi ne pas concentrer ces efforts sur des bâtiments qui n’ont pas d’autres alternatives que d’être construits, plutôt que d’en faire des architectures d’exception au milieu d’architectures qui ne font que répondre aux normes ?

À l'échelle de la ville et des territoires, le débat est le même. Nous prétendons pouvoir répondre aux enjeux globaux à l'aide d’une surabondance d’outils qui s'éloignent de la raison, ainsi que du problème de fond. En ce sens, Jean HAËNTJENS urbaniste et spécialiste de l’éco-urbanisme, oppose la ville cleantech à la ville économe17. Autrement dit, la ville de demain ne pourra pas être "smart" si elle se veut durable, elle devra se montrer raisonnable et conserver son humanité. La complexité et la diversité des concepts et stratégies qui gravitent autour de la notion de « ville durable » rendent leur application délicate et les démarches peuvent se montrer peu efficientes. C’est, selon l’auteur, une notion beaucoup trop floue pour fonder des stratégies pertinentes.

« En somme, la notion apparemment consensuelle de ville durable est le couvercle d’une marmite où mijotent de nombreuses divergences. Sur le long terme, ce foisonnement d’images rêvées peut être vu, de façon positive, comme une garantie de richesse et de créativité. Dans l’immédiat, l’absence de direction lisible est incontestablement un handicap. La surabondance d’attentes, de solutions, de points de vue et de débats dans le débat tend à compliquer fortement la prise de décision. »18

introduction

De plus, les projets de villes dites « smart et éco-technologiques » sont souvent initiés par de grands groupes industriels qui ne tendent qu'à changer l’étiquette qui leur est attribuée et qui les place parfois comme responsables de la crise environnementale. En substance, ces initiatives manquent de fond, ne remettent pas en cause les pratiques, mais multiplient les outils à l'aide de moyens financiers. Elles évoluent toujours sur un fond de territoire de sur-consommation et de destruction des ressources. Ces villes cleantech jouent du pouvoir du numérique pour se "verdir" et s’enrichir, et font finalement l'apologie d’un urbanisme capitaliste. À terme, ces projets –en plus d'avoir des résultats discutables sur l’environnement– posent la question des territoires qui perdent leurs qualités humaines et qui n’appartiennent plus aux habitant·e·s. La logique est la même que pour les fast-food ou la fast-fashion : allons-nous vers des fast-cities ? Ce ne sont pas les ingrédients qui ne conviennent pas, c’est la fabrique qu’il faut ré-inventer.

15

Carbone 4. Le bâtiment, un secteur en première ligne des objectifs de neutralité carbone de la France en 2050. Janvier 2019. [Consulté le 3 décembre 2019]. Disponible à l’adresse : http://www.carbone4.com/article-batiment-snbc/ 14

15

Premier cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie bas carbone, partenaire de l’ADEME et autres institutions

16

Carbone 4. op. cit.

17

HAËNTJENS Jean. La ville frugale. Paris : FYP Éditions. 2011

18

Ibid. p.23


RÉFLEXIONS D’ÉCHELLES VILLES MOYENNES : POTENTIALITÉS ET PROSPECTIVES Pour ré-inventer cette fabrique, l’hypothèse qu’il faille avant tout repenser l’échelle des territoires fait son chemin. La question du choix de l’échelle d’étude a longtemps posé problème pour ce travail de recherche. L’échelle métropolitaine m’apparaissait auparavant indispensable à l’innovation de nos pratiques, comme outil de réponse aux enjeux contemporains. J’ai, depuis, perçu la tendance de fond qui se dessine, qui redéfinit petit à petit les priorités d’action et entraîne un regain d’intérêt pour les territoires moins denses. Alors que le système métropolitain nous dévoile ses failles et ses limites, des initiatives citoyennes et institutionnelles attirent le regard sur ces autres formes de territoires. Les élections municipales de 2020 ont d’ailleurs suscité beaucoup d’espoir, pour celles et ceux qui se tournent vers les échelles locales pour effectuer la transition écologique des territoires, à défaut d’avoir pu compter sur l’échelle nationale et gouvernementale. La volonté de désengorger les métropoles s’accompagne de signaux faibles*, comme le mouvement d’"exode urbain" encore discret et émergeant de citadin·e·s qui « quittent la ville ». Au fil du temps, mes recherches ont participé à une déconstruction progressive d’un imaginaire colonisé par la métropole et par la dichotomie ville/campagne-urbain/rural, qui a longtemps restreint mes horizons. L’étude du phénomène de logements vacants se porte ainsi sur le cas des villes moyennes, dont le potentiel peut permettre de résoudre de nombreuses questions urbaines, sociales et environnementales. Au-delà de l’aspect stratégique, elles possèdent, par leurs histoires locales, un riche patrimoine architectural, en tant que ressource à approfondir.

introduction 16


Agir hors de l’emprise métropolitaine Remettre en question l'échelle métropolitaine comme échelle d'action privilégiée, c’est aussi remettre les différents territoires français au cœur du débat. L’appropriation de ces changements par les pouvoirs publics s’est faite sous le terme de "décentralisation". La stratégie de décentralisation s’est mise en place depuis les années 1982-198319. D’abord consacrée à instaurer des métropoles d’équilibre dans le but de limiter l’hypercentralisation parisienne, la stratégie touche aujourd’hui tout un panel de territoires, mais peine à redonner suffisamment d’intérêt à des villes petites et moyennes, ainsi qu’à diverses ruralités. C’est une stratégie qui reste fragile. Les plus petits territoires se retrouvent aujourd’hui sous l’influence des regroupements territoriaux20 et la place de l’État réapparaît parfois sous couvert d’un principe d’égalité entre les territoires21. En ce sens, l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT, ex-CGET depuis le 1er janvier 2020) coordonne un programme qui place les villes dites moyennes au cœur du débat et accompagne leurs projets de développement : le programme Action Cœur de Ville, que nous développerons par la suite. Dans la pratique, même si les populations ont encore tendance à se concentrer dans les zones métropolitaines, il s’avère que « les très grandes villes ne sont pas des modèles de développement durable »22, peu importe la forme et les ambitions. Autrement dit, la ville durable (ou frugale) sera idéalement de densité moyenne et difficilement une métropole. Par ailleurs, des études démographiques visent à démontrer une tendance des citadin·e·s à quitter les centres-ville métropolitains23. C’est le cas de Paris, par exemple, qui a perdu 60 000 habitants entre 2011 et 201624. D’autres évoquent un exode urbain en essor25. Le constat est tout de même à nuancer, car « les fortes hausses de population bénéficient surtout aux départements des métropoles régionales de la façade atlantique, d’Occitanie et d’Auvergne-Rhône-Alpes » rappelle l’Insee dans son étude. Quoi qu’il en soit, les nouveaux modes de vie, qui se développent en Europe et qui aspirent à des cadres de vie plus sains, sereins et moins artificialisés que ceux que proposent les métropoles, sont à l’origine de ces changements. Des théories nouvellement popularisées favorisent également cet engouement. Par exemple, les théories collapsologues, qui étudient les risques d'un effondrement de la civilisation industrielle, visent en premier lieu les grandes villes, entièrement dépendantes des flux commerciaux mondialisés, et défendent les territoires moins denses et urbanisés, plus autonomes et résilients. Réévaluer l’intérêt porté aux échelles non-métropolitaines peut également permettre, à terme, d’envisager des réponses à trois enjeux majeurs des territoires métropolitains : préserver l’habitabilité des grandes villes en engageant des processus de désengorgement, limiter le phénomène de gentrification et ralentir leur étalement urbain. De plus, les territoires non-métropolisés disposent d’une flexibilité de mise en œuvre, dans les projets, que la rigidité du système métropolitain ne permet pas, car il se situe dans une logique urbaine qui lui est propre et qui ne peut répondre à certaines questions de fond. Les stratégies d’action sont logiquement moins complexes à mettre en place lorsque l’échelle se réduit. Des mises en situation l'ont démontré, notamment à travers le réseau des villes en transition (Transition Towns) initié à Totnes (Royaume-Uni) en 2006 par Rob HOPKINS et qui ne cesse de s'agrandir depuis. Des initiatives locales, citoyennes ou institutionnelles, émergent en force sur ces territoires et un changement de fond s’opère. Cependant, certaines ambitions sont ralenties, car ils disposent de moins d’ingénierie et moins de moyens humains spécialisés dans l’aménagement du territoire. Ceux-ci se concentrent dans les métropoles attractives, et c’est là un frein au processus de décentralisation.

Sous le gouvernement de F. Mitterand, la loi Defferre propose le premier projet de décentralisation territoriale et donne du pouvoir et des compétences aux départements.

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La loi NOTRE, de 2015, renforce les intercommunalités et de nouvelles compétences sont données aux régions.

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Mise en place du Commissariat général à l’Égalité des territoires (CGET) en 2014.

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HAËNTJENS Jean. La ville frugale. Paris : FYP Éditions. 2011. p.51

Insee. La prédominance démographique des plus grandes communes s’atténue. Publiée le 02/01/2017. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2533334#consulter 23

Insee. Dossier complet du département de Paris. Publiée le 01/01/2020. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=DEP-75 24

MERLIN Pierre. « L’exode urbain est plus rapide que ne l’a été l’exode rural. » Maires de France. Décembre 2010. pp. 16-17 25

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La ville moyenne*, typologie privilégiée Face à cela, les villes dites « moyennes » présentent une échelle d’action intéressante. Ces polarités secondaires qui maillent le territoire français sont, dans l'imaginaire collectif, moins rêvées que la campagne et moins commodes que la ville. Elles répondent pourtant à de nombreux critères qui les rendent désirables à habiter (cadre de vie, bassin d’emploi, prix accessibles…). À l’égard de notre thématique de recherche, elles rassemblent des spécificités intéressantes. Lorsque la question de savoir si la problématique des logements vacants était homogène à l’échelle du territoire français s’est posée, une rapide étude comparative a mis l’accent sur le cas des villes moyennes. On peut facilement imaginer que la situation des zones tendues (les métropoles, par exemple) se diffère de celle des zones rurales moins attractives, avec un taux de vacance plus élevé de par leur isolement des secteurs d’activités. Néanmoins, la situation se nuance en fonction des typologies de territoires. Le site internet de l’Insee propose une étude comparative26 qui permet d’analyser différents territoires (régions, départements, communes, intercommunalités, etc.) et de confronter leurs données en termes de logements. Cela a permis de répondre plus précisément à la question, mais surtout de cibler le sujet. En effet, après avoir comparé une vingtaine de communes d’échelles différentes, quelques généralités se dessinent. Nous retiendrons celle des villes moyennes. À quelques exceptions près (celles où les initiatives ont fleuri ces dernières années), elles présentent toutes une situation systématiquement similaire : un taux de vacance bien plus élevé que la moyenne (entre 11 et 20%27, contre 5-9% dans les métropoles et 8,1%28 à l’échelle du territoire français). Pour ces raisons, l’échelle de la ville moyenne offre un champ d’étude particulièrement intéressant.

Scénario prospectif Aujourd’hui, l’étude des villes en décroissance (shrinking cities) montre qu’elles ont su se réinventer par des biais plus ou moins inattendus et des démarches plus ou moins innovantes. Des études29 démontrent que de nouvelles qualités spatiales et façons d’habiter ces territoires peuvent émerger, sous forme de réponses résilientes, par différents processus, tous abordés sous le prisme de l'optimisme. Cette logique prospectiviste servira d’exemple dans notre étude. Si nous voulons vraiment rendre un territoire désirable, cessons alors de considérer ses spécificités comme des maux et tentons d’en faire des ressources pour des solutions durables. Nous devons apprendre à « faire avec » ces spécificités, mais aussi à « faire avec » les ressources qui sont déjà en place. Le territoire est déjà, en grande partie, urbanisé. Peut-être n’avons-nous pas besoin d’en faire plus, mais « La ville de demain est, pour simplement d’apprendre à requalifier et approfondir ce que nous l’essentiel, déjà dessinée. », avons déjà créé ? En d’autres termes : inventer de nouveaux récits. Jean HAËNTJENS, dans La ville frugale La notion d'exode urbain, dans un avenir plus ou moins proche –et sans pour autant faire l'objet d’une hypothèse– a permis de poser les bases d’un contexte propice à l’évolution de la problématique. Cette conjecture établit un cadre de fond dans lequel l’attention portée aux villes moyennes les habilitera à manifester leurs potentialités. Toutefois, un scénario d’exode urbain massif montre aussi quelques fragilités. Quels impacts quant au monde professionnel aujourd’hui centralisé ? Quel avenir pour l’environnement proche de ces territoires ? La problématique des bassins d’emploi relativement restreints dans les zones non-métropolitaines peut trouver plusieurs réponses. L’exode urbain va, de fait, amener de nouvelles professionnalités dans le monde rural et de nouvelles organisations du travail s’installent peu à peu (le télétravail, par exemple). Ces perspectives rendent beaucoup de professions largement envisageables. En revanche, le risque d’étalement urbain des villes moyennes et petites, ainsi que des villages questionne. Jusqu’à aujourd’hui, l’arrivée de néo-ruraux au sein

https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=COM-83050+COM-69123

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Estimation réalisée sur un échantillon de 15 villes.

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Taux de vacance en 2019 : 8,4%. L’étude datant de 2016, nous ne retiendrons que les chiffres de cette période.

SOWA Charline. Penser la ville en décroissance : pour une autre fabrique urbaine au XXIe siècle. Regard croisé à partir de six démarches de projet en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. [Thèse]. Grenoble : Université Grenoble Alpes. 2017

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de ces territoires a souvent entraîné un déséquilibre. Pierre MERLIN, urbaniste et démographe, auteur de L’exode urbain (2009), avertit sur les risques d’une rupture avec les paysages locaux. « Cet habitat à faible densité entraîne aussi une forte consommation d’espace, mais surtout une transformation de l’espace rural : les bâtiments existants ont peu été réutilisés, et les constructions neuves sont en rupture avec l’habitat traditionnel : les maisons sont au milieu de jardins, elles sont dispersées dans l’espace rural ou groupées en lotissements, alors que l’habitat était souvent constitué de maisons mitoyennes, en bordure de rue, avec jardin à l’arrière. Les matériaux locaux sont peu employés, et il y a une rupture dans les couleurs des bâtiments. Tout cela conduit à une altération des paysages de l’espace rural. »30

« Parmi ces sujets, il en est un de prime importance : la capacité de ces territoires à incarner un autre projet de société que celui relevant du « règne de l’urbain » et du « triomphe » de la métropolisation. Mais aussi la capacité de ces territoires à manifester une autre éthique du changement que celle véhiculée par le développement durable, dont l’adhésion au principe de croissance contredit à n o s y e u x u n e ré a l i t é p h y s i q u e e t écologique : celle que nous vivons dans un « monde fini ». Une autre vision s’impose. », Co-auteur·e·s du Réseau ERPS, dans Ruralités post-carbone

Il nous revient d’apprendre aujourd’hui à maîtriser ce déséquilibre. À cela, le sujet de notre étude offre une réponse. Ces territoires sont particulièrement touchés par le phénomène de vacance. Le bâti et les logements sont en latence. Il s’agira de ré-investir les lieux, et non de les conquérir, et ainsi apprendre à habiter ces espaces aujourd’hui vidés de leurs habitants. Pour ce faire, il nous faut travailler sur nos imaginaires –colonisés par le culte de la métropole et le style de vie citadin– et mettre en place des stratégies d’aménagement et des modes d’habiter durables. Il nous faut sortir de l’image de « la ville de demain » vendue par la géo-ingénierie et les grands groupes industriels, et rêver des territoires de demain comme « des espaces fragmentés par le besoin de proximité, de lien social dans un monde devenu hostile, et intimement liés à la fonction nourricière des campagnes »31.

introduction

Au fil des recherches, le simple cadre des villes dites « moyennes » s’est montré bien trop vaste. Même si beaucoup de ces villes, en France métropolitaine, présentent de nombreuses similitudes socio-spatiales, elles expriment aussi des disparités en fonction de leur géographie et de leur inscription régionale. Il nous fallait cibler des territoires plus homogènes, qui offrent plus ou moins les mêmes particularités géographiques. L’échelle d’étude s’est alors restreinte à celle de villes moyennes situées dans l’arrière-pays des zones métropolitaines (ou d’agglomération) littorales de la Méditerranée. Chacune d’elle contient en son sein un cœur de ville souvent historique et fort de potentialités. Nous pouvons attendre de ces villes, souvent situées en zones tendues et attractives, qu'elles présentent un taux de vacance assez bas. Nous verrons que la réalité démontre le contraire et questionne leur avenir.

MERLIN Pierre. « L’exode urbain est plus rapide que ne l’a été l’exode rural. » Maires de France. Décembre 2015. pp. 16-17 30

FAVRIAU Mathieu. « Urbanisme et collapsologie : saisir la perspective de l’effondrement pour penser les territoires de demain ». Urbanews. 28 octobre 2019. En ligne : https://www.urbanews.fr/2019/10/28/57003-urbanisme-et-collapsologie-saisir-la-perspective-de-leffondrement-pour-penser-les-territoires-de-demain/ 31

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SE QUESTIONNER face à la trajectoire actuelle et nos modes de construire Des questionnements Au fil des lectures, certaines théories, faits établis ou encore prises de position des auteur·e·s, ont suscité quelques interrogations qui ont nourri mes réflexions. Tendance. Dans son article consacré à Séoul32, le hors-série « Villes, ici s’invente demain » de Courrier International présente les projets de transformation des anciennes infrastructures de la capitale sud-coréenne comme une « phase révélatrice d’une nouvelle tendance qui amène les villes à privilégier la consolidation et la rénovation par rapport à l’expansion ». L’auteur·e parle donc de « tendance », au sens d’une impulsion qui porte les pouvoirs publics à agir ainsi de façon transitoire, jusqu’à ce qu’une autre impulsion se manifeste, telle « une mode » qui passe. Le problème du manque de ressource face à notre consommation excessive n’est, quant à lui, pas transitoire. Nous ne pouvons pas défendre une « tendance » –qui, par définition, passera dans quelques années– comme un modèle d’aménagement durable. Si aujourd’hui les acteurs et actrices des territoires doivent invariablement tendre vers de nouvelles pratiques qui « privilégient la consolidation et la rénovation par rapport à l’expansion », peut-on continuer à parler véritablement de « tendances » ? Réhabilitation. La pratique de réhabilitation a toujours eu sa place en architecture. Cependant, avec les problématiques liées aux ressources, elle a récemment fait un bon en avant pour arriver sur le devant de la scène des lieux culturels. Le recyclage des friches urbaines en espaces culturels n’a, aujourd’hui, plus rien d’exceptionnel. Néanmoins, cette pratique est souvent associée à des usages temporaires, éphémères, qui ne durent pas dans le temps. Comment replacer la réhabilitation au cœur de pratiques durables ? En surface, j’estimais que la reconversion culturelle des friches était justement une « tendance » et trahissait un peu la profondeur du phénomène, que la rénovation d’architectures classées ou inscrites aux Monuments Historiques ne reflétait pas la réalité et que les projets de réhabilitation à petite échelle ne faisaient pas assez parler d’eux. Quel est l’élément qui freine la démarche ? Le programme ? La pratique ? Sur ce constat, il m’a semblé intéressant d’étudier la réhabilitation à l’échelle du logement, de l’architecture du quotidien.

Courrier International. « Séoul met du vert dans les airs », Courrier International, hors-série « Villes, ici s’invente demain. 2018. p. 50 32

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Sobriété. Pour être soutenable, la société a fixé des objectifs pour effectuer sa transition et différentes démarches émergent pour atteindre ces objectifs. La démarche négaWatt33 traduit un changement des comportements pour atteindre une sobriété énergétique conforme aux ambitions, en réduisant drastiquement l’impact de l’économie humaine sur l’environnement et notre dépendance aux énergies fossiles et nu-

L’association négaWatt propose, depuis 2003, des scénarios négaWatt de transition énergétique qui visent à se passer des énergies fossiles et nucléaires d’ici 2015. 33

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cléaires. Selon Jean HAËNTJENS, seule la ville économe (définie en amont) peut prétendre à une démarche négawatt. Or, la ville –sous sa forme actuelle et sous l’emprise de la métropolisation mondialisée– défend l’idée du progrès et du productivisme aux antipodes de la notion de ville économie, et son moteur principal est la croissance. Certains appellent à rompre avec la croissance des villes pour anticiper leur survie, d’autres ré-inventent les territoires en décroissance. Peut-on imaginer rompre avec la croissance de notre secteur –à l’abri du modèle capitaliste qui promeut un rythme de construction croissant– tout en répondant à une demande élémentaire qui est celle d’avoir un toit ? Pourquoi ne pas imaginer que le secteur du bâtiment puisse s’adapter en mettant à profit toutes les ressources dont il dispose déjà et faire de la construction neuve une architecture complémentaire ? Enjeux financiers. Les enjeux financiers, à travers la question des coûts, constituent un aspect central du sujet. Pour un propriétaire privé comme pour une collectivité, acquérir et réhabiliter des logements existants revient plus cher, dans un premier temps, que construire des logements neufs sur des terrains démolis ou vierges. Aménager le territoire pour répondre aux besoins en logements est aujourd’hui encore considéré comme un facteur de développement économique. Le système, tel qu'il est pensé aujourd’hui, lie profondément les stratégies territoriales et projets architecturaux à la question des coûts, au nom de l’économie de marché –plus qu’au nom du droit au logement. De fait, ce système occulte les coûts, sur le long terme, des externalités négatives34 liées à la construction d’un bâtiment : émissions de gaz à effet de serre, extraction de ressources, artificialisation du sol, etc. La réhabilitation est souvent présentée comme trop coûteuse, mais une de ses caractéristiques principales est qu’elle limite fortement ces externalités. Ne réduirait-elle donc pas les coûts sur le long terme ? Éthique. De la même manière que le lien étroit entre économie et production de logements m’interroge, le systématisme du recours à la facilité dans les façons de construire nos logements pose question. L’intuition qui en ressort est que certaines questions qui méritent d'être consciencieusement posées pour chaque projet de construction ne le sont pas forcément. Par exemple, posons-nous systématiquement la question du recyclage et/ou de la requalification avant chaque projet de démolition/reconstruction ? Posons-nous systématiquement la question de la légitimité de chaque projet vis-à-vis de leur environnement proche et habitant·e·s ? Le cas récent du projet de logements de luxe, « EntreVues », de Bouygues Immobilier au cœur des Pentes de la Croix-Rousse, à Lyon, illustre les propos. Il entraîne la destruction d'une maison de quartier, la dénaturalisation d’un ancien quartier populaire en cours de gentrification* et la colère des ses habitant·e·s. Les questions se sont-elles véritablement posées ?

introduction

Risques. Ces pratiques de recyclage posent le problème du renouvellement urbain. Si un espace bâti reste vacant, c’est souvent qu’il n'exploite pas toutes les possibilités foncières, qu’il est peu rentable et/ou qu’il n’intéresse pas les usagers et élu·e·s. Le réhabiliter, c’est lui donner une nouvelle fonction, un nouvel usage. D’un autre point de vue, c’est aussi prendre le risque de favoriser la capitalisation de ces espaces et de gentrifier. C’est aussi prendre le risque de fermer les portes au renouvellement urbain et limiter les capacités d’améliorations des villes. Collectif. Selon Jean HAËNTJENS, « ce nouvel art de ville [la ville frugale] ne peut devenir une référence que s’il est le fruit d’une création collective ». À l’ombre de l’approche traditionnelle de l’architecture et aux côtés d’une nouvelle approche émergente, la création collective semble être plus durable puisqu’elle est pensée avec et pour les usagers, et doit répondre au mieux à leurs besoins. La notion de maîtrise d’usage, d’abord développée par Michel GERMAIN dans le domaine du numérique, vient compléter le traditionnel binôme maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre pour plus d’inclusivité dans les projets.

Une externalité négative représente les dommages produits par une activité et qui vont provoquer des coûts supplémentaires sur le long terme. 34

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approche environnementale

phase 2 phase 3

Au-delà de ces questionnements épars, un fil de réflexion en trois phases d’approche s’est développé sur un parcours qui guidera l’argumentaire. L’approche initiale est celle de l’énergie et du rapport à l’environnement. C’est elle qui a mené à soulever la question de la ressource. Par la suite, c’est en cherchant des réponses à cette question que deux autres approches –que nous appellerons approches composantes- se sont immiscées au sein de la réflexion : l’approche architecturale et l’approche territoriale.

phase 1

Des hypothèses

question de la ressource approche architecturale et spatiale

approche territoriale

Ressources et énergie. Le secteur de la construction fait face à une trop forte dépendance aux énergies fossiles et aux ressources premières. La simple efficacité énergétique de nos bâtiments ne semble pas suffire pour compenser. De plus, ce qui est déjà bâti contient intrinsèquement un stock de carbone qu’il faut préserver, et non libérer par la démolition. Pour cela, renforcer l'attractivité du parc existant semble être un véritable enjeu contemporain. Tentons de redéfinir la notion de ressource sur la base de ce qui est déjà-là. Qualités spatiales et architecturales. Un des enjeux élémentaires de l’architecture est de concevoir de l’espace à habiter. Avec des techniques constructives qui leur étaient propres, les habitant·e·s s’appropriaient autrefois l’espace, en dépit, parfois, d’une cohérence d’ensemble. Le schéma s’est depuis inversé. Ainsi, un nouveau bouleversement des pratiques, qui met la ré-architecture au centre du débat, permettrait peut-être de redonner du sens à l’espace, au bâti, à l’habitat et au patrimoine. Territoires. La vulnérabilité de nos territoires va de pair avec la métropolisation globalisée qui nous dépossède de ces lieux habités. Les sociétés cherchent aujourd’hui par quels biais elles peuvent les rendre plus résilients face aux crises. De nouvelles façons de penser les territoires, de les habiter et de les construire sont encore à trouver. Valoriser notre patrimoine existant est peut-être une façon ne nous y mener.

Sur ces constats, à l’échelle des villes moyennes françaises non-métropolisées, il semble intéressant de se demander sous quelles conditions la régénération des logements vacants –en tant que patrimoine et ressources en latence– peut participer à la construction d’une réponse soutenable à certains enjeux contemporains –environnementaux, architecturaux et territoriaux–, par les concepteur·trice·s et pour les habitant·e·s.

introduction

Pour y répondre, chaque partie aura pour but d’affirmer, de réfuter ou de nuancer chacune de ces hypothèses. Dans une première partie, nous poserons la question des ressources : les potentialités des logements vacants constituent-elles une véritable ressource en latence dans l’industrie de la construction ? Il s’agira de cibler ces potentialités, de questionner l’exploitabilité du stock bâti et d’identifier des modes d’actions. Par la suite, nous verrons si, dans la pratique, la réhabilitation est un geste vecteur de qualité pour les habitant·e·s et le patrimoine. Enfin, notre étude cas permettra d’éclaircir le lien territorial. À terme, cela peut-il permettre de construire de nouveaux récits pour habiter le territoire différemment ? De façon transversale, l’objectif sera de chercher à proposer des solutions qui remettent au cœur du problème les fondements d’un système linéaire non-soutenable, en valorisant la pratique de la ré-architecture, aujourd’hui en marge des pratiques conventionnelles et pourtant essentielle pour renforcer l’attractivité du parc existant.

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CORPUS D’ÉTUDE Pour construire les bases de l’argumentaire, nous nous appuierons sur quatre types de corpus, permettant de croiser les faits, les approches théoriques et les cas pratiques répondant aux hypothèses. Données. Le premier est constitué d’études permettant de bien comprendre le cadre du sujet et de rapporter le contexte, de manière factuelle. Il s’agit : - d’études statistiques permettant de construire l’argumentaire sur une base plus solide, souvent tirées du site internet de l’Insee - de rapports publiés par (ou en partenariat avec) des agences gouvernementales qui abordent la question comme problématique nationale et proposant des stratégies d’action, comme le guide du Réseau National des Collectivités mobilisées contre le Logement Vacant (2018), publié en partenariat avec l’Agence nationale de l’habitat, et qui formule des « méthodes et stratégies pour en sortir » - de données SIG (Système d’Information Géographique) pour situer les faits à l’échelle territoriale Écrits théoriques. Le second type de corpus constitue les principaux apports théoriques sur les questions spatiales, territoriales, urbanistiques et sociologiques : - Ressources urbaines latentes (D’ARIENZO, LAPENNA, YOUNÈS, et al., 2016) qui ouvre le débat sur la question des « ressources latentes » en réponse aux problèmes que leur exploitation actuelle suscite. - (Ré)concilier architecture et réhabilitation de l'habitat (MOLEY, 2017), qui rassemble des réflexions théoriques et pratiques sur la place de l’architecture dans la requalification de l’habitat collectif - Pour une anthropologie de l’espace (CHOAY, 2006), pour les questions de fond et de sémantique, et pour l'aspiration à remettre en question les systèmes, tels qu'ils le sont aujourd'hui - La ville frugale (HAËNTJENS, 2011), qui propose une autre vision de la ville soutenable - les ouvrages du réseau ERPS (Espace Rural & Projet Spatial) qui ouvrent la voie quant au potentiel des territoires ruraux, hors des métropoles - Spatialiser la transition énergétique. Vers la production d’"écosystèmes énergétiques territoriaux" en milieu rural (COSTE, GUILLOT, et al., 2015) pour la question des logiques d’aménagements territoriaux dans le contexte de la transition énergétique et pour les nombreuses références de diagnostics et de projets

introduction

Entretiens. Le troisième type de corpus se compose d'une série d'entretiens semi-directifs et non-directifs réalisés avec différent·e·s acteurs et actrices de la construction et des territoires, pour comprendre les enjeux et les stratégies d’action de chacun·e face au sujet et participer à confirmer ou réfuter chacune des hypothèses grâce à des arguments de terrain qui sont propres aux interviewé·e·s. Il s’agit d’échanges avec les architectes de l’agence Ré-architecture, spécialisée dans la rénovation, la réhabilitation et notamment la reconversion de logements et de bureaux ; avec Jean-Louis COUTAREL, architecte, enseignant-chercheur et spécialiste de la revitalisation des quartiers anciens ; avec Sylvie FRANCIN, adjointe à l’urbanisme de la mairie de Draguignan ; et avec Citémétrie, bureau d’études en charge des opérations à Draguignan.

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Cas d’étude. Pour finir, l’argumentation et l’illustration des propos ne pouvaient se faire sans l’étude de cas pratiques. Les villes dites « moyennes » présentent des caractéristiques très contrastées de celles de leurs grandes sœurs métropolitaines, en termes d’habitat et de politiques d’aménagement de leurs centres. C’est le cas de la ville de Draguignan (83), dans l’arrière-pays varois et qui connaît une forme relative d'influence des métropoles régionales (Métropole Toulon Provence Méditerranée, Métropole Nice-Côte d’Azur et Métropole Aix-Marseille-Provence). Pour obtenir des données quantitatives, connaître les politiques locales et étudier les stratégies d'aménagement en place, s'il y en a, il a été question d’aller puiser dans différentes sources documentaires : presse locale, communication avec les élu·e·s locaux, documents produits par la maîtrise d’œuvre et arpentage de centre-ville. Pour approfondir, il sera intéressant de mener une courte étude comparative en première partie avec des territoires similaires, comme la commune de Grasse (06) – dans l’arrière-pays cannois et sous influence de la Métropole de Nice-Côte d’Azur– et la commune de Carcassonne (11)–dans l’arrière-pays audois et sous influence de la Métropole de Montpellier Méditerranée. Ces villes font partie intégrante du programme Action Coeur de Ville, qui a également été un point de départ.


Grasse Carcassonne

Nice Marseille Toulon

Draguignan territoires similaires métropoles régionales fig. 02 : carte de localisation du cas d’étude © production personnelle

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PRÉSENTATION DU CAS D’ÉTUDE Avant de commencer l’étude, il semble essentiel de présenter les spécificités du territoire d’analyse pour le situer sur différents plans (socio-spatial, géographique, morphologique, notamment).

Draguignan est une ville de 40 053 habitant·e·s35. Située dans l’arrière-pays varois, à 25 km du littoral méditerranéen et 60 km des premières stations de sports d’hiver, la ville bénéficie d’un emplacement privilégié entre mer et montagne. Elle est la villecentre de la Dracénie Provence Verdon Agglomération (DPVA), mais reste fortement dépendante des métropoles de la région (Métropole Toulon Provence Méditerranée, Métropole Nice-Côte d’Azur et Métropole Aix-Marseille-Provence) et échange beaucoup avec les zones d’activités littorales proches (Fréjus, Saint-Raphaël, Puget-sur-Argens).

La ville s'étend sur plusieurs secteurs, centraux et péricentraux. Le secteur qui nous intéresse ici est celui du centre-ville, et principalement le centre ancien. Ce cœur historique s’est construit au fur et à mesure depuis le XVe siècle –en atteste la Tour de l’Horloge, construite au XVIe siècle, qui domine le centre ancien–, mais a perdu de son attractivité ces dernières décennies. Un important recul démographique s’est fait sentir entre 2007 et 2012 au sein du territoire, et de manière plus importante encore au sein du centre ancien.

-90 hab/an

AixMars. Prov.

DPVA

-130 hab/an

Nice Côte d’Azur

-90 hab/an Toulon Prov. Méd.

Échanges migratoires déficitaires pour la ville et bénéficiaires pour les métropoles régionales

Déficit d’attractivité concentrée sur le centre ancien

fig. 04. Déficit d’attractivité sur la période 2007-2012

introduction

© production personnelle. Source : bureau d’études Citémétrie

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Depuis avril 2014, la municipalité a lancé le PUG (Projet Urbain Global) qui « vise à redonner au centre-ville son attractivité et son rôle moteur de l’agglomération »36. Soutenu par le programme Action Cœur de Ville, le PUG promet de revitaliser le centre-ville à travers 7 thématiques : habitat, commerce, culture et tourisme, aménagement urbain, mobilité, pôle universitaire et sécurité. Depuis, la ville a retrouvé un peu de dynamisme et sa démographie est repartie à la hausse (+1,3% par an entre 2011 et 2016). 35

Insee. Chiffre issu du recensement de la population 2016.

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Documentation publique disponible sur la site www.ville-draguignan.fr


fig. 05 : Tour de l’Horloge, carte postale datant du XIXe siècle © Passion Provence fig. 06 : vue aérienne de l’îlot de l’Horloge © Hôtel du Parc fig. 07 : vue aérienne du centre-ville de Draguignan avec le centre ancien au centre © Apple Inc.

introduction

Les chiffres qui suivent relatent d’un parc de logements reparti par secteurs. Les quartiers péricentraux comptent une part dominante de propriétaires occupants, alors que les locataires privés se concentrent dans le centre ancien. La part de logements vacants particulièrement élevée dans ce secteur s’explique, en partie, par le recul démographique des dernières décennies associé à une augmentation du parc de logements sur le reste de la commune. Par ailleurs, bien que située au cœur d’un département touristique, la ville est épargnée du phénomène, croissant dans la région, de résidences secondaires. La population en centre ancien est relativement jeune, mais elle est avant tout particulièrement paupérisée*. Les données ci-après présentent la situation de la ville avant la phase opérationnelle du PUG et sont issues du diagnostic territorial réalisé par le bureau d’études Citémétrie en 201537. Citémétrie. Diagnostic intermédiaire du centre-ville de Draguignan. Projet Urbain Global - volet habitat. 2015 (document interne au service d’urbanisme de la mairie) 37

26


L’habitat à Draguignan L’habitat en centre ancien

introduction

parc locatif privé dominant (70% de T1-T2)

parc locatif social dominant (majorité T3)

parc propriétaire occupant dominant (majorité T4-T5)

logements vacants 25,6%

logements vacants 13,3%

logements vacants 7%

centre ancien

quartiers péricentraux

quartiers périurbains

locatif privé 75%

locatif social 3%

propriétaire occupant 22%

fig. 08. Diagnostic de l’habitat sur le territoire dracénois © production personnelle. Source : bureau d’études Citémétrie

27


4059 habitants 3500 logements

zone paupérisée

population jeune 47% a moins de 30 ans

population seule 60% habitent seuls

niveaux de revenus inférieurs aux quartiers d’habitat social

27% de chômeurs contre 13% sur la commune

21% de non-diplômés contre 6% sur la commune

introduction

2e centre le + pauvre du Var 7e centre le + pauvre de PACA

fig. 09. Diagnostic de la population dans le centre ancien © production personnelle. Source : bureau d’études Citémétrie

28


29

01.

01. logement vacant : ressource potentielle


01. Logements LOGEMENTS v acants : VACANTS : ressource RESSOURCE potentielle POTENTIELLE

01. logement vacant : ressource potentielle

Dans l’indispensable réactualisation de nos habitudes de faire et de penser, la figure de l'obsolescence contient une potentialité de régénération à déployer. Ressources urbaines latentes (2016)

30


1.

LE LOGEMENT VACANT EN QUESTIONS

Cette première sous-partie consistera en l'analyse des causes et des conséquences du phénomène de vacance des logements, au sein du parc de logements français –qui présente lui-même ses particularités– et au sein des territoires.

Le parc de logements en France L’analyse du parc de logements en France offre une toile de fond sur laquelle se dessinent des tendances. Il semble intéressant de dresser un état des lieux au préalable pour comprendre les mécanismes de vacance au sein même de ce parc, selon les études de l’Insee1 et de l’Observatoire des Territoires2.

36 330 000 logements 81,9% de résidences principales 9,7% de résidences secondaires 8,4% de logements vacants

28,8 millions de ménages habitent ces logements, dont : - 35% dans le parc locatif (supérieur à la moyenne européenne) - 15% dans le parc social (supérieur à la moyenne européenne) En 2015, 18,8% des dépenses des ménages sont liées au logement. Ce chiffre est inférieur à la moyenne européenne (22,5%). Le parcours résidentiel des français·e·s est particulièrement défini : - du locatif dans les centres urbains - de la propriété occupante en périphérie

01. logement vacant : ressource potentielle

L’accès au logement est hétérogène : - accès à la propriété difficile dans les métropoles, sur la Côte d’Azur et vers espaces transfrontaliers - accès au logement social difficile dans les métropoles et grandes villes

« La France est le pays européen qui construit le plus, relativement au stock de logements existants. », Observatoire des territoires

La construction est d’autant plus dynamique dans les grandes métropoles, le long du littoral Atlantique et dans le sud de la France. On y construit en moyenne 10 nouveaux logements pour 1000 habitants chaque année ; c’est 2,5x plus qu’au sein des espaces en décroissance démographique (Ardennes, Bretagne intérieure, Sarthe). Par ailleurs, le Var, qui accueille la ville de Draguignan, est un des rares départements à être entièrement concerné par ce dynamisme constructif. Cette offre importante n’est pourtant pas suffisante face à la demande et ces zones restent en situation de tension, notamment à cause de la monopolisation de la construction par les logements secondaires et résidences non-permanentes. De plus, elle ne répond pas à 1

étude Insee publiée le 02/10/2018. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3620894

Observatoire des Territoires, ALBERTINI Jean-Benoit (dir.). Le parc de logements, fiche d’analyse de l’Observatoire des Territoires 2017. Novembre 2017 2

3

31

L’effort de construction en France est particulièrement important : 320 000 résidences principales sont mises en chantier chaque année, soit 6 logements construits pour 1 000 habitants, c’est presque 2x plus que la moyenne européenne (3,3 pour 1000 habitants)3. Ce rythme est soutenu par la politique du choc de l’offre* voulue par le gouvernement qui vise à construire plus pour faire baisser les prix des logements. Il était par ailleurs question d’une promesse (non tenue) de 500 000 logements neufs par an en 2013.

OCDE, Documentation de la base de données sur le logement abordable, 2015.


la demande croissante en logements sociaux. 34 % des ménages français sont éligibles. Pourtant, en 2015, l’offre n’a pu satisfaire qu’un seul ménage demandeur sur 4 à l’échelle nationale et un sur 16 sur le littoral méditerranéen4. L’accès au logement social est donc particulièrement difficile dans ces régions, où beaucoup de communes ne respectent pas les obligations de construction de logements sociaux imposées par loi SRU.

« Il faudrait augmenter de plus d’un quart le stock de logements sociaux pour répondre instantanément à cette demande. »4 Observatoire des territoires

Cet effort de construction s’explique par différentes raisons : - la croissance démographique - la part croissante des logements secondaires - les besoins de la population (décohabitation, renouvellement du parc) - un dynamisme constructif ancré dans la culture française C’est donc sur ce dernier point que notre étude se porte, puisqu’il répond, en partie, aux trois autres points par la production systématique de logements neufs. La politique française encourage une construction dynamique à ce sujet, notamment par les aides et avantages accordés aux producteurs et occupants de ces logements. C’est une solution de réponse au-delà de la demande qui semble avoir trouvé sa place, puisque ce rythme important s’est stabilisé à +1,1% par an5 depuis plusieurs décennies, alors que la croissance démographique se stabilise à +0,3% par an6 depuis 2017. Une alternative plus cohérente est-elle envisageable ? Peut-être. À titre d’exemple, la Grande-Bretagne dont la croissance démographique est particulièrement élevée7 ne construit, chaque année, que 2 logements pour 1000 personnes, et ce depuis plusieurs décennies8. Cette comparaison ne mènerait-elle pas à penser que le recours systématique au logement neuf serait une solution par défaut ?

Logement vacant : de quoi s’agit-il ? Selon l'Insee, un logement vacant est un logement inoccupé qui peut l'être pour plusieurs raisons : il est laissé vacant et sans affectation par le propriétaire, il est en attente de règlement de succession, il est conservé par un employeur pour un usage futur au profit d'un de ses employés, il est proposé à la vente ou à la location et en attente d’occupation… Il se diffère de la résidence secondaire qui peut être un logement utilisé pour les loisirs, un logement meublé à louer pour des séjours touristiques ou un logement occasionnel (souvent difficile à distinguer).

· la vacance conjoncturelle (ou de « courte durée ») C’est une vacance "naturelle" et inhérente au processus de rotation des locataires. Elle correspond à la période d’inoccupation entre deux locations et garantit la fluidité des parcours résidentiels et l’entretien du parc du logement. Elle ne nécessite pas de traitement particulier puisqu’il s’agit des logements proposés à la vente ou à la location, déjà attribués à un acheteur ou un locataire ou en attente d’occupation pour cause de travaux, par exemple. Pour être conjoncturelle, la durée de vacance doit être inférieure à un indice fixé par la collectivité, mais dépasse rarement 1 an d’inoccupation.

4

Observatoire des Territoires. op. cit.

5

Données Insee, étude publiée le 02/10/2018. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3620894

6

Données Insee, étude publiée le 14/01/2020. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4281618

7

Données Eurostat. En ligne : https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/9967990/3-10072019-BP-FR.pdf/

8

Observatoire des Territoires. op. cit.

01. logement vacant : ressource potentielle

Les raisons qui mènent un logement à rester vacant sont nombreuses et se retrouvent en deux catégories9 :

Réseau National des Collectivités mobilisées contre le logement vacant. Vacance des logements : stratégies et méthodes pour s'en sortir. Strasbourg : Anah. 2018 9

32


· la vacance structurelle (ou de « longue durée ») Dans ce cas, la vacance doit être résorbée. Elle peut prendre 4 formes. - la vacance d’obsolescence ou de dévalorisation. Il s’agit de logements obsolètes, inadaptés à la demande ou dévalorisés par l’offre de logements neufs. - la vacance de désintérêt économique. Elle est liée à un désintérêt du propriétaire pour s’occuper du bien, à de mauvaises expériences locatives, à un manque de capacité financière à l’entretenir... - la vacance de transformation du bien. Il s’agit de logements en travaux de longue durée, en indivision ou propriétaire en maison de retraite. - la vacance expectative. Le propriétaire conserve le bien pour le transmettre à ses héritiers. Bien entendu, c’est autour de la vacance structurelle que la question se pose. C’est spécifiquement sur des logements subissant une vacance structurelle d’obsolescence ou de dévalorisation qu’il faut travailler en priorité. Renforcer l’attractivité du parc existant est aujourd’hui un véritable enjeu. Les acteur·trice·s à mobiliser sont, à la fois les propriétaires qu’il faut inciter à revaloriser leurs logements obsolètes, et les locataires qu’il faut inciter à venir ré-habiter les territoires particulièrement touchés. La vacance de désintérêt économique ne concerne, en revanche, que le propriétaire, qui ne trouve pas d’intérêt financier direct à remettre son logement sur le marché. Il s’agira, une fois de plus, de démarches incitatives. Or, en France, le droit de propriété est culturellement très ancré, reste souvent dans un cadre très privé et porte parfois défaut à une transparence qui permettrait une meilleure gestion du patrimoine dont les propriétaires sont désintéressés. Il y a des questions d’ordre idéologique qui posent problème, au niveau des propriétaires privés, mais aussi des propriétaires publics. Par exemple, l’État est le premier propriétaire foncier de France, mais l’opacité autour de son patrimoine ainsi qu’une mauvaise gestion des biens multiplient les chances de les voir inoccupés. Une étude10 a dévoilé en 2015 que l’État était propriétaire de 11,1 millions de m² sur le territoire, entièrement vacants, dont 2 millions sont des logements habitables. Les auteurs dénombrent, par exemple, pas moins de 10 000 anciens logements d’instituteurs laissés vacants depuis le 1er août 1990, date à laquelle le droit au logement de fonction a été en partie supprimé.

« Les politiques publiques de lutte contre les logements vacants doivent se concentrer sur la vacance structurelle. », Réseau National des Collectivités mobilisées contre le logement vacant

01. logement vacant : ressource potentielle

Prenons maintenant l’hypothèse que le logement vacant puisse être une ressource à mobiliser et vérifions que ce terrain est quantitativement stratégique. 1988 Nombre de logements

Répartition (en %)

Nombre de logements

Évolution annuelle moyenne (en %)

Répartition (en %)

Ensemble des logements

26  097  000

Résidences principales

21  462  000

82,2

29  744  000

81,9

1,1

Résidences secondaires et occasionnelles

2  703  000

10,4

3  519  000

9,7

0,9

Logements vacants

1  932  000

7,4

3  067  000

8,4

1,6

36  330  000

1,1

Le parc de logements en France en 2018. Source : Insee, publié le 02/10/2018. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3620894

10

33

2018

BOULARD Denis et PILIU Fabien. À qui appartient la France ? Paris : Ed. First Document. 2015


Les chiffres parlent d’eux-mêmes et confirment l’hypothèse de manière évidente. Parmi ces chiffres, nous en retiendrons quelques uns qui situent la place des logements vacants dans le parc de logements global : - combien de logements en France aujourd’hui ? 36  330  000 logements - comment ce chiffre évolue-t-il d’années en années ? +1,1% par an - combien de logements vacants en France aujourd’hui ? 3 067 000 logements vacants - comment ce chiffre évolue-t-il d’années en années ? +1,6% par an Au-delà de chiffres très précis, la répartition des vacances conjoncturelle et structurelle semble difficile à quantifier. Malgré tout, certaines études montrent que la moitié, a minima, des logements vacants le sont depuis plus d'un an11. En mars 2020, le Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales compte 1,2 million de logements structurellement vacants12. Ils constituent donc bel et bien un stock conséquent au sein du parc existant. Tous types confondus, presque un logement sur dix est vacant aujourd’hui, en France. De plus, nous avons vu que l’évolution annuelle du nombre de logements neufs est stable depuis plusieurs décennies (+1,1%). Or, la quantité de logements vacants est en constante progression depuis quelques années (+1,6%). C’est 5 fois plus que celle de la population. Selon le Ministère, le stock de logements vacants a augmenté de 900 000 logements en 15 ans13 et il est responsable de près d’un quart des constructions de logements neufs14. Ces logements vides contribuent donc grandement à la croissance du parc, plus que les résidences secondaires et occasionnelles. En outre, chaque année, alors que 320 000 résidences principales sont mises en chantier, nous gagnons en parallèle 50 000 logements vacants qui s’additionnent d’années en années. Par ailleurs, toujours selon le Ministère, au moins 200 000 seraient immédiatement remobilisables sans réhabilitation lourde, ni travaux de rénovation, au sein des zones tendues. Il convient alors de se demander quel avenir prévoyons-nous, pour ce parc déjà déséquilibré, si nous conservons ce rythme. Le fondement d’une stratégie prospectiviste étant de se projeter, mettons désormais ces chiffres à l’épreuve pour imaginer quel avenir ils nous réservent. Puisqu’il s'agit de montrer ici les limites d’un système, empruntons le processus d'élaboration d'un scénario statistique qui s’étend sur les cinq prochaines décennies, avec une projection à l’horizon 207015. Année

Nombre de logements

Nombre de logements vacants

Population

36 330 000

3 067 000

66 890 000

2019

36 729 630

3 116 072

66 993 000

2020

37 133 656

3 165 929

67 063 703

2030

41 426 598

3 710 550

70 280 913

2040

46 215 837

4 348 859

72 450 546

2050

51 558 750

5 096 974

74 024 500

2060

57 519 345

5 973 784

75 210 246

2070

64 169 032

7 001 427

76 448 495

Projection de l’évolution du nombre de logements et de la population en France entre 2018 et 2070. Sources : calculs basés sur les données Insee du tableau précédent, représentés par les chiffres soulignés

11

Inspection Générale des Finances. Évaluation de politique publique. Logements et bureaux vacants. 2013

Plan national de mobilisation des logements et locaux vacants. En ligne : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/ plan-national-de-mobilisation-des-logements-et-locaux-vacants 12

13

Ibid.

14

étude Insee publiée le 26/06/2018. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3572689#consulter

01. logement vacant : ressource potentielle

2018

« Ne pas oublier que +1% par an, c’est +50% en 50 ans. », Jean H AËNTJENS , La Ville Frugale

La projection 2070 a été choisie de façon symbolique. Les stratégies d’action (notamment la SNBC) sont majoritairement basées sur une projection à l’horizon 2050. C’est cette projection qui sera préférée pour le reste de l’étude. 15

34


Ce tableau, bien qu’anecdotique au vu des tendances qui n’évolueront probablement pas de façon stable sur les cinquante prochaines années, est tout de même révélateur d’un rythme qui n’est pas viable sur le long terme. D’après les calculs, si nous continuons à construire tel que nous le faisons depuis 1988 (période à laquelle le rythme de construction de logements a commencé à se stabiliser à hauteur de +1,1% par an), nous aurons sur le territoire français plus de 64 millions de logements, dont presque 7 millions de logements vacants (soit plus de 10%). Mis en parallèle des données démographiques et d’un territoire déjà grandement urbanisé, ces chiffres sont déconcertants. Naturellement, de telles projections ne reflètent pas une réalité qui intègre un certain nombre de logements qui seront détruits, ni un rythme qui va potentiellement ralentir au vu des tendances démographiques. Ils permettent cependant de souligner les limites de nos modes de construire et d’anticiper de nouvelles pratiques.

Logement vacant : causes et conséquences territoriales

01. logement vacant : ressource potentielle

Les grandes métropoles françaises présentent toutes un taux de vacance relativement bas par rapport à la moyenne16. Ces territoires dynamiques se situent en zones tendues et sont particulièrement attractifs. L’hypothèse qu’il s’agisse majoritairement d’une vacance conjoncturelle liée à la rotation normale des locataires peut donc être soutenue. En revanche, les territoires éloignés de ces aires urbaines présentent généralement un taux plus élevé que la moyenne et pour des durées plus longues. L’attractivité d’un territoire a donc une forte influence sur le taux de vacance structurelle. De fait, celle-ci touche en priorité les territoires moins urbains, éloignés des métropoles, où le marché de l’immobilier est moins tendu, sans pour autant être spécifique aux zones les plus rurales et isolées des centres d’attractivité. En effet, le taux atteint en moyenne 10,2 % dans les petits pôles urbains17, mais reste très inégal. Ce constat est central puisqu’il fait le lien entre statuts et conditions d’un territoire et « La vacance affecte les petits phénomène de vacance. Il démontre que si la problématique de vacance pôles urbains et les espaces se cartographie à l’échelle du pays, elle peut s’avérer très spécifique à peu denses des régions l’intérieur même des zones géographiques. Elle est dépendante des polimanquant d’attractivité . »12 tiques locales et doit donc rester au cœur des débats publics. Ce phénomène est souvent systématique dans les communes situées dans l’arrière-pays des métropoles littorales. Ces territoires constituent des enclaves en manque de dynamisme à l’intérieur même des régions attractives et deviennent facilement des cibles de la vacance. Ainsi, les villes moyennes, bien que certaines soient situées en zones tendues, font face à un problème de vacance préoccupant. Elles offrent pourtant un cadre de vie privilégié (bassin d’emplois, services, culture, etc.), qu’accordent plus difficilement les villes plus petites et les zones plus rurales. Un autre constat se fait à l’intérieur même de ces villes. Il est spécifique à l’ensemble des villes moyennes. Suite à la ruée vers les terrains nombreux et bon marché des espaces périurbains à la fin des années 70, l’accession pavillonnaire hors des centres-villes connaît ses heures de gloire. Ensuite, dans les années 90, les centres commerciaux attirent toujours plus de monde en périphérie. Bien que l’évolution démographique ait joué un rôle évident, ces deux événements associés à l’accroissement du parc de logements en périphérie, sont accusés d’être à l’origine d’une dévitalisation intense des centres-villes. De fait, le patrimoine bâti et les logements dans les centres se dégradent et le taux de vacance augmente bien plus qu’ailleurs. « Ce désir d'habiter dans un logement bénéficiant de tout le confort moderne et l'attrait pour la maison individuelle expliquent qu'une partie des habitants quittent les centres urbains pour aller vivre en périphérie où les constructions neuves sont les plus nombreuses »18 16

Comparateur de territoires de l’Insee. Étude en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/zones/1405599

17

Réseau National des Collectivités Mobilisées contre le Logement Vacant. op. cit.

ESCUDIÉ Jean-Noël. « La vacance des logements progresse dans les villes moyennes et petites » Localtis Banque des Territoires. 12 janvier 2018. [Consulté le 10 janvier 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.banquedesterritoires.fr/lavacance-des-logements-progresse-dans-les-villes-moyennes-et-petites 18

35


CAS PRATIQUE Étude comparative

Var

SaintRaphaël

SixFours-les- Brignoles Plages

Grasse

Carcasonne

Draguignan

Nombre de logements

707 520

35 045

25 364

8 823

25 817

27 241

20 824

Résidences principales

68,1 %

52,1 %

64,4 %

83,0 %

82,8 %

82,3 %

85,3 %

Résidences secondaires

25,6 %

44,1 %

31,2 %

2,8 %

7,2 %

4,2 %

2,4 %

Logements vacants

6,4 %

3,8 %

4,4 %

14,2 %

9,9 %

13,4 %

12,4 %

Centre ancien

3 500

25,6 %

Tableau comparatif entre différents territoires sur le thème du logement. Sources : Comparateur de territoires de l’Insee. 2016 et Citémétrie. op.cit. 2015

01. logement vacant : ressource potentielle

Échelle régionale et interrégionale. Dans la région et sur le littoral méditerranéen, une dizaine de villes affichent un profil similaire à celui de Draguignan, en termes de population et de géographie. Grasse et Carcassonne sont deux exemples représentatifs. Au cœur de leurs départements attractifs, elles dénotent. Elles confirment les hypothèses et dessinent quelques généralités sur ces villes qui souffrent du phénomène de vacance. Échelle départementale. Le département du Var, dans le sud-est de la France, est un territoire particulièrement dynamique. Il présente un taux de vacance de 6,4%, ce qui est inférieur de 2 points à la moyenne nationale et à beaucoup d’autres départements à population équivalente. Il présente également un fort taux de résidences secondaires, mais, en comparaison avec d’autres départements, cela n’a pas particulièrement d’impacts sur le taux de vacance. Les villes varoises considérées comme « moyennes » sont établies sur la zone littorale, à l’exception de Draguignan et de Brignoles, qui s’en éloignent d’une trentaine de kilomètres. Les premières présentent un taux de vacance particulièrement bas et un taux de résidences secondaires important. Saint-Raphaël et SixFours-les-Plages sont les profils types de ces villes attractives. En revanche, Draguignan, au cœur du Var, s’éloigne de la zone littorale qui est la plus attractive, gagne significativement en logements vacants et perd, de la même manière, en logements secondaires. Bien que située en zone tendue, elle semble bien moins attractive. Dans le département, seule la ville de Brignoles présente un taux de vacance plus élevé en centre-ville (34%). La pression et les enjeux financiers des propriétaires sont moindres. Les logements subissent ainsi une vacance structurelle de dévalorisation, de désintérêt économique, puis d’obsolescence. Échelle communale. Les disparités à l’échelle communale de Draguignan sont très claires en fonction des secteurs. Les quartiers péricentraux sont relativement épargnés. C’est au cœur du territoire que le phénomène se concentre, et spécifiquement en centre ancien avec un taux de 25,6% de logements vacants. Les dynamiques socio-spatiales n’expliquent pas tout : la suroffre de petits logements (T1-T2) ne répond pas à la demande et renforce le phénomène.

36


2.

LE LOGEMENT VACANT COMME RESSOURCE LATENTE : UNE RÉPONSE POUR LA NEUTRALITÉ CARBONE ?

Cette sous-partie se développera autour du concept de ressource latente et mènera l’analyse des potentialités des logements vacants en tant que ressource. La notion de ressource relationnelle démontrera qu’il y a nécessité à la penser comme solution et non comme problème pour qu'elle puisse faire état de ressource. Nous aborderons l’approche initiale pour comprendre en quoi cela peut-être une approche résiliente d'un scénario viable dans le cadre de la neutralité carbone. Il sera également question de comprendre ce qui fait ressource pour les deux approches composantes.

Ressource latente D’abord utilisée dans le lexique agricole pour désigner les bourgeons qui donneront des fruits, la notion de latence, et spécifiquement de ressources latentes, a ensuite été empruntée en économie pour parler de réserves financières, avant d’être utilisée de façon plus théorique et à l’échelle des territoires dans l’ouvrage collectif Ressources urbaines latentes : pour un renouveau écologique des territoires (2016) dans lequel les auteur·e·s, chercheur·e·s et membres du GERPHAU (Groupe d’études et de Recherches Philosophie, Architecture, Urbain), tentent de questionner les potentialités de ces ressources en latence, dans les milieux habités, en réponse aux enjeux écologiques. Il nous servira de base théorique pour définir cette notion.

01. logement vacant : ressource potentielle

« À l’ère de l’anthropocène, nos villes semblent concentrer en leur sein tous les composants de la crise écologique en cours. Elles regorgent pourtant de ressources qui permettraient de résoudre une partie des problèmes que leur développement actuel suscite. Les matières déchues, les espaces bâtis, mais aussi les savoirs ancestraux et les pratiques culturelles représentent autant d’opportunités qui peuvent et doivent ouvrir de nouvelles perspectives d’action pour accompagner nos sociétés vers les nombreux changements qui se profilent. »19

37

Ces « matières déchues », « espaces bâtis » et « savoirs ancestraux » sont des ressources dissimulées, en attente – en « latence » –, qu’il faut apprendre à questionner et valoriser. La pratique du ré-emploi, qui commence à prendre ses marques dans le secteur de la construction, valorise les matériaux et autres ressources matérielles déchues. En revanche, la reconquête des « espaces bâtis », que sont ces constructions inadaptées ou délaissées, prend moins d’ampleur. Elle se limite souvent à des typologies et programmes spécifiques, comme l’illustre le cas typique de la reconversion des friches industrielles en lieux culturels qui s’attache à devenir une tendance lourde* dans le milieu de l’architecture et de l’aménagement. Le latent, c’est aussi « une situation intermédiaire entre une cause et son effet, ou entre l’aboutissement d’un processus et le démarrage d’un autre, suivant, possible, à venir »20. Pour se manifester, ce processus à venir doit être déclenché par un élément. Pour Chris YOUNÈS, co-auteure de l’ouvrage, l’énergie – sous la forme conceptuelle d’une puissance qui anime les milieux de vie21 – est cet élément déclencheur. L’énergie, c’est ici le projet de revalorisation, celui qui a été voulu un maître d'ouvrage qui souhaite redonner vie à un espace à partir d'un instant T. S’ensuit le projet d’architecture, pensé par l’architecte, qui poursuivra cette période de transition. En pratique, le projet de revalorisation d’un espace bâti – ici d’un logement inhabité – matérialise l’énergie qui va lui permettre d’être habité de nouveau, d’enclencher un nouveau processus d’habitation. En opposition au manifeste, Chris Younès décrit le latent comme un élément qui contient des potentialités qui ne se manifestent pas encore. Elles sont dissimulées et seule l’énergie – ici, le projet – peut

19

D’ARIENZA

20

Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al.. Ressources urbaines latentes. Genève : MétisPresses. 2016

Ibid. p. 14

21

YOUNÈS Chris, « Les énergies comme puissantes latences », dans Ibid. p. 28


les rendre manifestes et épanouies lorsque les conditions y sont favorables : « ce qui est latent peut devenir manifeste », avoir déjà été manifeste et se manifester à chaque instant. Lorsqu’il se manifeste, le latent devient alors un élément pour penser les territoires habités et mettre fin à « l’époque de l’ascension perpétuelle de la montagne de déchets »22 fabriqués à partir de ressources premières. Pour illustrer par analogie, prenons l’exemple de la graine. Pendant 8 mois, elle reste tranquillement sous terre. C’est une période de latence, ce n’est pas une période morte. La graine attend le moment propice, que toutes les conditions soient réunies, pour s’épanouir au mieux et devenir une ressource manifeste. Les espaces bâtis et vacants, en tant que ressources latentes, sont donc une opportunité pour leur environnement, une véritable matière pour recycler les milieux habités23 qui semble être la seule qui puisse être véritablement durable et qui puisse garantir la survie d’un territoire. Dominique BOURG, dans la préface de l’ouvrage, explique que déceler les ressources latentes aujourd’hui, c’est éviter, demain, la « ville oignon » (avec des peaux mortes, inexploitées, abandonnées) au profit de villes vivantes, vivables, soutenables et durables, où recyclage et « formes originales d’extraction » des pelures sont les maîtres mots.

« Il est indispensable d’imaginer […] une véritable stratégie de transition de l’existant vers des scénarios soutenables, un véritable recyclage plutôt qu’une production ex novo. » Collectif, dans Ressources urbaines latentes

Ressource relationnelle

« La vacance est tout sauf une problématique simple à appréhender et recouvre de multiples dimensions (économiques, juridiques, sociales, sanitaires, environnementales...). C’est un phénomène national, mais qui comporte des disparités territoriales fortes. »24 Syamak Agha Babaei (vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg en charge de la politique de l’habitat et président du RNCLV)

22

EMERY Nicolas, « Latences, permanences, porosités. Éléments pour penser la ville », dans Ibid. p. 38

En ce sens, l’ouvrage fait d’ailleurs suite à un autre des mêmes auteurs, qui traite de ce processus : D’ARIENZA Roberto et YOUNÈS Chris. Recycler l’urbain. Pour une écologie des milieux habités. Genève : MétisPresses. 2014 23

24

01. logement vacant : ressource potentielle

La question des logements vacants est donc bien transversale. Elle peut et doit faire ressource pour différents enjeux, en relation à des objectifs et contextes différents. De manière générale, la ressource est de nature relationnelle et ne constitue pas une ressource en elle-même tant qu’elle n’est pas mise en relation avec un objectif, un contexte. De fait, tant que nous verrons le logement vacant comme un problème, il restera un problème. Lorsque nous le verrons comme une ressource, il deviendra peut-être une solution. C’est ce que nous faisons depuis deux siècles avec les hydrocarbures et depuis toujours avec les matières premières, à la différence près que celles-ci seront recyclées par nature et intrinsèquement locales, puisque déjà sur place. Ensuite, pour être durable, l’usage de cette ressource doit répondre à la plus grande diversité d’enjeux possibles, pour proposer un projet global à l’échelle d'un territoire donné. Notre étude porte en priorité sur les enjeux environnementaux (approche initiale), architecturaux et territoriaux (approches composantes). Il existe tout un panel d’autres enjeux qui peuvent compléter l’étude sous d’autres angles, auxquels nous ferons rapidement référence sans pour autant les développer.

Réseau National des Collectivités Mobilisées contre le Logement Vacant. op. cit.

38


L'approche initiale Nous savons aujourd’hui que les éco-gestes ne suffisent pas pour véritablement réduire l’empreinte écologique anthropique. Les ressources qui nous permettent de vivre s’amenuisent d’année en année et la biocapacité de la Terre se restreint. La réflexion en amont nous mène à penser le territoire habité et ses espaces bâtis comme une ressource et à envisager leurs aménagements de façon circulaire, en opposition au processus linéaire qui donne, par exemple, une durée de vie au bâtiment et le transforme en déchet. Cette manière linéaire de construire a bien d’autres conséquences. Antonella TUFANO co-auteure de Ressources urbaines latentes, en cite trois principalement liées à l’environnement25 : la perte de l’empreinte naturelle de la ville, la perte de la complicité architecturale avec les éléments naturels de la ville et la modification de l’environnement qui nous a menés à l’Anthropocène. Les meilleures ressources Elle en appelle à démanteler notre manière de construire et prendre sont encore celles qui conscience de la « vie cachée » de la latence, en retrouvant le lien dynamique sont déjà en place. entre architecture et énergie, dans le cadre de la ville qui a tout pour être le milieu de cette métamorphose. Approche énergétique et environnementale

01. logement vacant : ressource potentielle

« L’architecture est le phénomène le plus spectaculaire de cette artificialisation qui précipite les hommes dans la crise globale; ainsi il faut non seulement imaginer des solutions palliatives, mais surtout renverser la manière de penser l’acte de construction et sa mesure énergétique. Portée par de fines constructions esthétiques depuis la Renaissance, soutenue par les innovations de haute technologie, l’architecture pourrait être le fer-de-lance d’une inversion de pensée qui commence par les retrouvailles avec une énergie latente. », Antonella TUFANO26

39

Suite aux accords de Paris de 2015, le plan SNBC a fixé la neutralité carbone à l’horizon 2050. Les stratégies visent en priorité la rénovation thermique des logements habités et une construction neuve encadrée par des normes énergétiques (objectif BBC*). Or, même très respectueuse de ces normes, la simple construction d’un bâtiment neuf est source d’une importante quantité de ressources premières puisées et d’émissions de gaz à effet de serre. Nous avons vu que l’équilibre à trouver se situe donc entre la régénération du parc de logements existant et, lorsqu’il n’y a pas d’alternatives, une construction neuve modérée, qui se doit d’être très vertueuse en toutes circonstances. Ainsi, la mise sur le marché de logements neufs doit s’effectuer suite à un choix particulièrement réfléchi, car l’argument selon lequel un logement neuf est forcément plus économe en énergie qu’un logement existant, s’il est réhabilité, est à nuancer fortement : « une construction neuve qui remplace un bâtiment existant peut dans certains cas permettre de réduire les émissions des GES, mais ce n’est pas systématique. Il convient de réaliser un calcul comparatif des émissions en analyse de cycle de vie pour s’en assurer »27. Le contexte, toujours très spécifique, d’un logement vacant peut être source de difficultés et parfois desservir l’intérêt à le remettre sur le marché. Par exemple, si la quantité de ressources nécessaires pour le rendre habitable et obtenir une efficacité énergétique suffisante est trop importante, la démarche peut s’avérer contre-productive sur l’aspect environnemental et ne pas s’inscrire dans le principe de décroissance énergétique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la scope 3 de la SNBC concerne également les travaux de rénovation qui peuvent parfois être très consommateurs d’énergie. Qu’à cela ne tienne, un logement ancien, après rénovation, peut devenir plus efficace que la plupart des constructions récentes. L’exemple qui sera 25

TUFANO Antonella. « Les clés de la latence : dispositifs conceptuels pour la fabrique du projet. » dans Ibid.

26

Ibid. pp. 143

27

ADEME et Carbone 4. op. cit.


donné en partie 02.3.28 d’une petite maison de ville bordelaise centenaire réhabilitée et labellisée Effinergie suffit à le démontrer. Cette approche énergétique, lorsqu’il y a réhabilitation, est désormais un facteur indispensable dans la réussite des projets et tend à se démocratiser, grâce à certains organismes qui tentent ainsi de responsabiliser la réhabilitation de bâtiments anciens, comme le CREBA (Centre de Ressources pour la Réhabilitation responsable du Bâti Ancien).

Ce type d’intervention sur l’existant permet une économie à deux échelles. Économie de ressources matérielles. L’idée de cycle est inhérente à la notion de durable. La ressource en question, lorsqu’elle est utilisée durablement, va rentrer dans un cycle qui peut recommencer à l’infini. La ressource n’est pas le matériau dont on se passe, mais bien le logement. Il devient une ressource cyclique, en opposition au logement neuf qui entretient la notion d’obsolescence par la simple utilisation de matières premières.

Économie de ressources opératoires. Les économies s’opèrent sur toutes les étapes opératoires du projet, de la filière jusqu’au cycle de vie qui se renouvelle. Les économies sont moindres pour les phases liées aux procédés constructifs et aux transports, puisqu’une réhabilitation nécessite tout de même des techniques de construction, bien qu’artisanales, et des transports, bien que restreints à l’acheminement des matériaux nécessaires.

En outre, il s’agit ici de proposer une approche du scénario négawatt. Or, une telle démarche est inhérente à des changements plus ou moins radicaux des modes de vie et de construction et se traduit par différentes formes de décroissance constructive, que sont ces « économies » quantitatives, en accord avec les principes de frugalité et de sobriété énergétique. Antonnela TUFANO défend l’idée qu’il nous faut tirer profit de la crise énergétique pour que notre époque soit « le moment des retrouvailles avec une architecture sobre, celle du latent »29.

01. logement vacant : ressource potentielle

28

Se référer à la page 87.

29

TUFANO Antonella. op. cit. p. 148

40


Les approches composantes

01. logement vacant : ressource potentielle

Ces approches composantes sont d’ordre plus qualitatif. En écho à l’idée de ressource relationnelle, il s’agit de mettre en évidence la façon dont un espace bâti, un logement inhabité, vacant, peut faire ressource à l’espace et au territoire, pour leur apporter de la qualité. Approche spatiale et architecturale Une des causes déterminantes de la vacance structurelle étant l’obsolescence des logements, il en revient aux architectes de prendre en main ces problématiques d’usages et d’espaces, et d’apprendre à les transformer. Julien DENORMANDIE explique le phénomène par « une offre de logements inadaptée aux besoins des Français laissant de nombreux logements vacants »30. L’amélioration qualitative du parc de logements neufs dévalorise les biens existants, participe à leur obsolescence et ainsi à la hausse du taux de vacance. Pour lutter contre cette augmentation significative, la réponse peut se trouver dans la simple revalorisation des biens existants. Pour cela, il est de notre ressort d’accompagner leur adaptation et leur transformation, qui semblent indispensables, pour répondre « aux besoins des français·e·s », ou pour le dire autrement, à ces usages qui évoluent. Concevoir un espace adapté à de nouveaux usages dans un tel milieu, c’est finalement créer un nouvel espace, mais à partir de ressources existantes, pour loger, améliorer le cadre de vie des habitants et mettre en place un moyen incitatif de les faire rester. Par ailleurs, la valorisation concrète du patrimoine est un des trois principaux objectifs du guide de lutte contre le logement vacant du RNCMLV. La cause patrimoniale devient inhérente aux actions de lutte contre l'habitat dégradé et en faveur de la transition énergétique, si celles-ci se veulent durables. Dans l’exemple de l’échoppe bordelaise, la préservation patrimoniale, de l’esprit et de l’architecture du lieu, était un enjeu fort que les maîtres d’œuvre ont su faire coïncider avec des enjeux énergétiques ambitieux. Nous savons optimiser nos rapports aux choses lorsqu’il s’agit de faire du profit à court terme. Nous avons, par exemple, optimisé nos mécanismes industriels pour construire vite, massivement et moins cher. Il n’est donc pas absurde de

penser que nous sommes capables d’optimiser notre rapport à l’espace et au patrimoine pour imaginer des projets d’une temporalité tout autre : celle du long terme et de la soutenabilité. La question de la place que nous souhaitons donner au profit, face à ces enjeux, reste à débattre. Approche territoriale En adoptant une échelle plus large, soutenons que cette lutte contre les logements vacants, à travers des processus de revalorisation, puisse devenir un véritable projet de territoire. Réhabiliter massivement ces logements en centre-ville/centre-bourg, c’est aussi prendre part à un projet plus global, qui puisse répondre de façon prospective à une diversité de questions d’ordre local. Certains projets de territoire –que nous détaillerons dans la partie qui leur est dédiée– ont démontré que la recherche d’une solution globale, sans apport supplémentaire de richesses extérieures et à partir de ressources existantes, a été une réponse viable dans la quête de leur propre résilience. Les milieux habités alimentent le territoire, et les espaces bâtis, bien que vidés de leurs habitants, sont donc bien une forme de ressource, en latence. Ces projets posent ainsi la question d’un modèle de développement territorial sans croissance. À l’échelle qui nous intéresse, il ne semble pas impossible d’imaginer que la réhabilitation du stock bâti des centres-ville/centre-bourgs puisse véritablement accompagner la requalification des villes moyennes en déshérence et participer à leur redonner un nouveau souffle. L’attractivité territoriale est un autre des objectifs du guide du RNCMLV. Elle répond aux besoins et aux attentes des ménages. Elle est donc essentielle pour les maintenir ou les attirer sur un territoire donné. En somme, lutter contre le logement vacant c’est participer activement à la redynamisation des territoires.

Réseau National des Collectivités Mobilisées contre le Logement Vacant. Vacance des logements : stratégies et méthodes pour s'en sortir. Strasbourg : Anah. 2018 30

41


Quelques autres approches complémentaires D’autres approches peuvent être tout autant constitutives de la réflexion, d’autant qu’il s’agit de proposer « un projet plus global, qui puisse répondre de façon prospective à une diversité de questions d’ordre local » (pour reprendre les propos). Ces approches ne sont pas pour autant déterminantes pour répondre à la problématique de l’étude, mais elles viennent rapidement enrichir la réflexion de façon transversale. Approche sociale « Nous avons un très grave problème Le mal-logement est, encore aujourd’hui, un fléau national qui de logement avec 6 millions de 31 touche de nombreux·se·s français·e·s. Selon le rapport de la fondaFrançais en difficulté pour se loger et tion Abbé Pierre, en France et en 2020, près de 4 millions de peren même temps cette explosion du sonnes sont en situation de grande précarité –c’est-à-dire dans des nombre de logements vacants qui conditions de logement très difficiles ou sans domicile. 902 000 sont progressent d’un million en dix ans. », d’ailleurs privées de domicile. La grande majorité des sans-domicile Julien DENORMANDIE est concentrée dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants. De fait, les villes moyennes, autant que les métropoles, sont concernées. La lutte contre le logement vacant n'est pas sans lien. Leur remobilisation peut se faire au profit des plus démunis. La démarche gouvernementale "Logement d’abord"32 appelle timidement à mobiliser des logements inhabités en faveur des sans-abri en évoquant très brièvement une « remise sur le marché de logements vacants »33 en travail avec l’Anah, sans pour autant mettre en place de réels dispositifs. Nous pouvons nous interroger sur cette démarche restée discrète depuis son annonce. C’est pourtant une stratégie qui porte ses fruits chez nos voisins européens. En Allemagne, par exemple, les logements inhabités sont mobilisés pour accueillir les personnes sans domicile et désengorger les centres d’accueil. Les acteurs ont su tirer profit de ces ressources pour résorber cette problématique sociale. Une nouvelle fois, la situation n’est pas perçue comme un problème en soi, mais comme un enjeu à lier avec les ressources dont le territoire dispose. Frederik SPINNEWIJN, directeur de la Fédération européenne des associations travaillant avec les sans-abri, explique que « en France, l'urgence [sans abri et logements vacants] est considérée comme un problème à part. Ce n'est pas le cas ailleurs »34. C’est une façon de revoir notre rapport aux biens.

Approche juridique Les marchés de l’immobilier, du bâtiment et de la réhabilitation sont ainsi régis par des lois et dispositifs légaux qui peuvent soit brider, soit faciliter la mise en place d'un tel modèle. Les comprendre et les traduire est un travail qui semble alors indispensable. Approche sanitaire La résorption de l’insalubrité est un sujet que certains de ces dispositifs légaux accompagnent. Au-delà d'une amélioration en termes de confort, la réhabilitation permet aussi de résoudre des questions sanitaires. 31

Fondation Abbé Pierre, ROBERT Christophe (dir.). L’état du mal-logement en France 2020. Rapport annuel n°25. 2020

Démarche mise en place par le gouvernent dans le cadre du « Plan quinquennal pour le Logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme (2018-2022) ». En ligne : https://www.gouvernement.fr/logement-d-abord 32

33

Dossier de presse de la démarche « Logement d’abord ». Mars 2018. En ligne. p. 8

Article en ligne du Figaro, novembre 2007 : https://www.lefigaro.fr/france/20071107.FIG000000024_l_allemagne_utilise_ses_logements_vacants_la_grande_bretagne_a_recours_au_prive.html 34

01. logement vacant : ressource potentielle

Approche économique À contre-courant de la politique de production de logements actuelle qui, comme le veut la loi ELAN* de 2018, vise à « construire plus, mieux et moins cher »35, un modèle de remise sur le marché de logements existants propose une nouvelle approche économique, au sein d'un secteur du bâtiment largement soumis aux pouvoirs économiques en place (lobbies). Il s’agirait d'un nouveau marché dans les filières concernées.

Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales. Loi ELAN. En ligne : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/loi-portant-evolution-du-logement-de-lamenagement-et-du-numerique-elan 35

42


3.

DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE : LES OUTILS

La cohérence des solutions proposées dans la lutte contre le logement vacant dans un centre-ville ne peut se faire sans une connaissance territoriale accrue. L’État doit évidemment apporter son soutien, mais les stratégies doivent donc être mises en place à l'échelle locale par les collectivités. Les réponses et outils apportés par ces deux échelles sont très différents, mais sont-ils complémentaires ?

Échelle nationale

01. logement vacant : ressource potentielle

1. lutter contre la vacance : outils théoriques Prise de conscience institutionnelle. Selon les rapports gouvernementaux, la vacance de logements est considérée comme une situation problématique majeure à l’échelle du pays. En revanche, si de nombreux chiffres reviennent fréquemment dans les rapports, nous pouvons remarquer, sur la durée, un réel manque de soutien dans les stratégies d’action institutionnelles, probablement lié à une prise de conscience relativement récente. En effet, le premier groupe institutionnel de réflexion sur la –le Réseau National des Collectivités mobilisées contre le logement vacant– n’a été fondé qu’en novembre 2016, par Emmanuelle Cosse, à l’époque Ministre du Logement et de l’Habitat durable. Ce réseau d’une quarantaine de collectivités et partenaires des politiques publiques de l’habitat a pour objectif d’afficher la question des logements vacants comme un enjeu prioritaire. Elle permet, entre autres, aux collectivités d’échanger autour des différentes pratiques et moyens de lutter contre les logements vacants. Bien que tardive, cette initiative montre tout de même un certain intérêt stratégique. Programme Action Coeur de Ville. Pour agir à une échelle plus précise, le Programme Action Coeur de Ville joue un rôle moteur dans cette lutte au sein des bourgs, petites villes et villes moyennes. Mis en place en mars 2018 à Châtellerault (86), ce programme est coordonné par le Commissariat général à l’Égalité des territoires (CGET)36. Pour replacer cette échelle au cœur du débat public, il vise à redonner de la valeur à 222 territoires et améliorer les conditions de vie de leurs habitant·e·s. Un des inva-

Devenu l’Agence Nationale de la Cohésion des territoires en 2020, au service du Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales 36

37

43

riants est de « revitaliser le centre des villes moyennes afin qu’elles retrouvent une attractivité »37 avec le retour des emplois, des habitant·e·s et des services dans le centre. Ce programme se développe autour de cinq axes : commerce et développement économique, mobilités et connexions, accès aux équipements et services, paysage et patrimoine, et enfin habitat. C’est sur les deux derniers axes que le programme apporte des éléments de soutien à notre étude. L’Anah et Action Logement sont deux partenaires principaux du programme, qui mettent le volet habitat en avant dans la démarche. Bien qu’institutionnalisée, cette démarche se décline à l’échelle locale sur les 222 territoires en question, elle apporte de l’intérêt, mais surtout des moyens financiers (en partenariat avec la Banque des Territoires) pour revitaliser les centres à travers des actions directes sur l’habitat. Le programme, en tant que stratégie nationale, devient un soutien de taille pour l’amélioration de l’habitat en centre-ville, mais fait finalement très peu référence à la lutte contre la vacance des logements. Dans tous les documents disponibles sur le site du Ministère, la question de la vacance n’est abordée que par son "taux" et n’est utilisée qu’en tant que simple indicateur quantitatif pour cibler les territoires. Le plan national défend la valorisation des patrimoines locaux, mais n’intègre donc pas les logements des cœurs de ville comme des éléments qui puissent être constitutifs d’un programme de revitalisation ; ce qui nous pousse à nous interroger sur le caractère de la démarche. Le programme entend pourtant « favoriser la transition écologique […] et valoriser le patri-

Ibid.


moine architectural, paysager et urbain dans les cœurs de ville »38, mais promet, dans le même temps, « des financements pour la démolition de logements sociaux obsolètes et vacants en zones distendues hors quartiers politiques de la Ville : une subvention 8 000 € par logement détruit […] et un prêt complémentaire de 25 000 € par logement reconstruit. »39

fig. 10 : annonce du Plan de lutte contre la vacance © Twitter CGET. Consultation nationale du Programme Action Coeur de Ville. 29 août 2019. En ligne : https://cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2019-07/plaquette_reinventons-nos-coeurs-de-ville_2019_0.pdf 38

CGET. Boite à outils financiers des opérations de revitalisation du territoire et Action Coeur de Ville. Juin 2019. En ligne : https://cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2019-07/Rénovation_Boite%20à%20outils%20des%20aides.pdf 39

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MOUCHEL Philippe. op. cit.

GERBEAU Delphine. « Un plan light contre les logements vacants » La Gazette des Communes. 12 février 2020. En ligne : https://www.lagazettedescommunes.com/662419/un-plan-light-contre-les-logements-vacants/ 41

Mairie Info. Édito du 11 février 2020. En ligne : https://www.maire-info.com/logement/le-gouvernement-lance-unplan-pour-reduire-le-nombre-de-logements-vacants-article-23869 42

01. logement vacant : ressource potentielle

Accompagnement des propriétaires. Depuis quelques années, le gouvernement manifeste sa prise de conscience, au regard de cette lutte, dans ses politiques de réglementations du logement. Les outils mis en place restent néanmoins très juridiques. Dans la loi ELAN, adoptée le 16 octobre 2018, pour lutter contre l’expansion du phénomène de vacance, Julien DENORMANDIE, Ministre chargé de la Ville et du Logement, annonce que cette loi vise à « simplifier les choses, à proposer plus de solutions et à rétablir la confiance entre locataires et propriétaires »40. La loi inclut également la mise en place du « bail mobilité » de 1 à 10 mois, non reconductible, pour permettre aux propriétaires qui veulent utiliser leur logement dans moins d’un an de louer plutôt que de laisser vacant pendant de longues périodes, tout en répondant aux besoins des salariés mobiles. La démarche est innovante, mais reste très réglementaire et semble par ailleurs réservée au cadre dynamique des métropoles, où vivent les salarié·e·s mobiles. Le 10 février 2020, par un simple communiqué, le Ministère lance un plan de soutien à la lutte. Julien DENORMANDIE annonce (sur le réseau social Twitter) le lancement du « Plan national de mobilisation des logements et locaux vacants », qu'il définit comme un « plan de lutte contre la vacance ». Certains médias accusent le caractère discret de cette annonce41 qui reste peu communiquée aux propriétaires, premiers concernés. En ce qui concerne le contenu, ce plan reste une stratégie très large, d’accompagnement des propriétaires, qui prend

peu en compte des difficultés concrètes de terrain et qui n’inclut pas les collectivités locales. Le Réseau National des Collectivités mobilisées contre le logement vacant est d’ailleurs très critique à son égard. Syamak AGHA BABAEI trouve ce plan « assez vague, avec un ministre qui s’adresse directement aux propriétaires, sans mettre les collectivités locales comme la nôtre dans le coup »42. De plus, sur les 3 millions de logements –dont 1,2 million, a minima sont structurellement vacants– le plan ne s’applique qu’à une partie du parc vacant et ne propose pas de stratégie globale, ni applicable au cas par cas. En effet, il fait référence à 200 000 logements vacants qui n’ont pas été habités depuis plusieurs années. Il s’agit en réalité de logements qui remplissent deux critères : situés en zone tendue et mobilisables immédiatement. Ce choix fait donc abstraction du million d’autres logements structurellement vacants. De même, les 18 000 propriétaires envers qui il s’adresse sont ceux qui possèdent au moins deux biens vacants43, ce qui ne représente pas la majorité des propriétaires. Le plan vise néanmoins à communiquer, diffuser massivement les enjeux et outils en place pour sensibiliser les propriétaires et accompagner les collectivités dans le repérage et le suivi de la vacance.

Plan national de mobilisation des logements et locaux vacants. En ligne : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/ plan-national-de-mobilisation-des-logements-et-locaux-vacants 43

44


2. lutter contre la vacance : outils pratiques

01. logement vacant : ressource potentielle

Mise en réseau. À l’échelle nationale, la SNBC préconise les initiatives de mise en commun des stratégies locales avec des « des plateformes de partage d’informations, de meilleures pratiques et de veille »44. Ces plateformes sont mises en place par des réseaux de villes et des conseils nationaux spécialistes. C’est, entre autres, ce qu’essaye de faire le Réseau National des Collectivités mobilisées contre le Logement Vacant, en regroupant des retours d’expériences de collectivités et partager leurs initiatives et innovations sur les territoires. Ce point est important puisque, comme nous l’avons évoqué, le phénomène de vacance est hétérogène à l’échelle du pays, et les territoires doivent donc bénéficier de réponses locales pour des besoins locaux. En ce sens, le président du Réseau National des Collectivités mobilisées contre le logement vacant, Syamak AGHA BABAEI, affirme que « la réponse ne peut être uniforme et elle doit être liée aux caractéristiques du territoire, au tissu d’acteurs locaux, aux dispositifs et actions déjà en place, aux synergies existantes ou à créer »45. Pour l’endiguer, il faut alors des connaissances locales pour apporter des solutions cohérentes, mais également des connaissances techniques. Or, les territoires que nous ciblons manquent d’ingénierie territoriale. Pour tenter d’y répondre, ces mises en réseau semblent essentielles, pour assurer une mise en commun des connaissances et expériences de collectivités, ainsi qu’une aide et un suivi méthodologique.

45

Dispositifs d’intervention de l'Anah. L’Anah est un soutien clé dans toute action d’amélioration de l’habitat et, de fait, dans la résorption des logements vacants. Elle accompagne les collectivités à mettre en place des opérations sur leur territoire avec différents dispositifs : - OPAH-RU (Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat et Renouvellement Urbain) : ce sont deux dispositifs souvent associés l'un à l’autre. L’OPAH est un partenariat entre l’État, l'Anah et la collectivité concernée. L’enjeu est de revitaliser un quartier à travers la réhabilitation de l’habitat privé ancien. À travers ce dispositif, la collectivité dispose d’aides financières, mais aussi d’ingénierie qui permet de mener le diagnostic, les études et le suivi sur le territoire. C’est

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-

un outil particulièrement intéressant dans le cadre de notre étude, notamment lorsqu’il est associé au RU*, car il s’agit alors d’interroger la pratique du renouvellement urbain à travers la réhabilitation, ainsi que de l’encadrer. l’opération RHI (Résorption de l'Habitat Insalubre irrémédiable ou dangereux) : elle vise à interdire à l’habitation les logements pour lesquels le danger est présent, pour cause d’insalubrité, ainsi qu'à enclencher un renouvellement urbain sur ces secteurs. Cette opération ne permet pas de remettre des logements vacants sur le marché, puisqu’elle vise à les résorber, par la démolition ou par une réhabilitation partielle. Néanmoins, associée à d’autres dispositifs, elle permet d’éviter la monopolisation du foncier en centre-ville par de tels logements, qui amenuisent son attractivité. le dispositif Thirori (Traitement de l’Habitat Insalubre Remédiable et des Opérations de Restauration Immobilière) : elle permet l’acquisition d’immeuble par expropriation ou à l’amiable à des fins de réhabilitations complètes des logements et des immeubles, grâce aux subventions de l’Anah.

Dispositifs légaux. Les droits de l’urbanisme et de la construction, en France, proposent différents outils qui, de façon plus indirecte, participent à lutter contre la vacance : - le PIG (Projet d’Intérêt Général) institué en 1983, facilite tout projet de construction ou de réaménagement à caractère d’utilité publique, à l'échelle territoriale, par l’expropriation, mais aussi par une inscription dans les documents locaux d’urbanisme. Il permet aussi de protéger un patrimoine culturel ou naturel. - le PLHi (Programme Local de l’Habitat intercommunal), obligatoire pour un certain nombre de collectivités, donne les détails sur l’ensemble des stratégies d’actions locales sur le thème de l’habitat. Si la vacance est préoccupante sur un territoire, des mesures stratégiques peuvent être inscrites dans le PLH.

- le PSP (Plan Stratégique de Patrimoine) est aussi

un outil intéressant –obligatoire depuis 2019 pour les bailleurs sociaux– qui permet de garantir un certain confort des logements sociaux sur

44

ADEME et Carbone 4. op. cit.

45

Réseau National des Collectivités Mobilisées contre le Logement Vacant. op. cit.


le long terme. Il s’agit en réalité d'adapter l’offre de logements sociaux à la demande, de les faire évoluer, tout en respectant les normes environnementales. D’autres dispositifs légaux sont également en place pour faciliter et inciter les propriétaires à remettre sur le marché de logements vacants : opération d’acquisition-amélioration, prêt à taux zéro dans l’ancien, bail à réhabilitation, etc.

Cette énumération permet de faire un état des lieux des outils déjà en place, qui permettent, de façon directe ou indirecte, de lutter contre la vacance des logements. Or, face à une croissance préoccupante, cette multiplication d’outils pose question. Nous remarquons que peu d’entre eux répondent de façon frontale à la question. Ceux qui le sont, sont finalement peu appliqués, du fait de leur nature coercitive. En outre, ils semblent déconnectés les uns des autres. La question de la cohérence globale de la gestion de la question à l’échelle nationale se pose alors. Nous pouvons d’ailleurs souligner l’absence d'un « observatoire de la vacance des logements », alors que certains départements sont dotés, par exemple, d’« observatoire de la vacance commerciale ».

EN PRATIQUE Des mesures nationales peu adaptées au terrain. Même si elle a mis en place un certain nombre de ces outils, la ville de Draguignan semble s’émanciper des mesures nationales. À propos des dispositifs de réquisition encouragés par le Ministère, Sylvie FRANCIN explique qu’ils semblent déconnectés de la réalité du terrain : « Pour ce genre d’outils, lorsqu’une commune rentre dedans, elle se rend souvent vite compte qu’il y a un grand nombre d’éléments qui dérangent un peu la marche à suivre, qui font qu’on n’obtient pas ce que l’on voulait dès le départ et qui ne sont souvent pas prévus dans ces plans. Tous ces dispositifs comme ça, de réquisition, c’est gentil, mais il faut savoir ce qu’on en fait derrière. Nous avons choisi de travailler plus structurellement, avec les outils qui ont été décidés par les acteurs qui nous accompagnent. Et maintenant nous sommes dans la faisabilité. Nous préférons ce genre de procédé. »

01. logement vacant : ressource potentielle

Dispositifs fiscaux. Il s’agit notamment de dispositifs fiscaux coercitifs (comme la taxe aux propriétaires qui refusent de louer ou de vendre leurs logements vides depuis une longue durée, spécifiquement dans les zones tendues) ou incitatifs (comme les primes et indemnisations des propriétaires qui acceptent la réquisition de leurs logements vacants). Ces outils contraignants, d’ailleurs très peu appliqués, sont utiles à court terme lorsqu’il s’agit de débloquer une situation. En revanche, la contrainte n’est pas une stratégie pérenne et ces dispositifs, qui ne sont d’ailleurs que peu appliqués, ne peuvent être suffisants. Selon le RNCMLV, ils peuvent même s’avérer contre-productifs au sein des territoires qui doivent faire face une vacance durable –comme c’est le cas dans notre étude– s’ils ne sont pas accompagnés de stratégies plus globales de remobilisation "douce" des logements inoccupés. C’est ce qui manque aujourd’hui dans le « Plan national de mobilisation des logements et locaux vacants ». En ce sens, le Réseau affirme que le lien entre les propriétaires et les communes est à mettre au centre des stratégies et que le soutien politique de la part des élus est essentiel aux propriétaires pour légitimer leurs démarches. C’est donc bien à l’échelle locale que tout se joue.

Réutilisation des biens vacants de l’État. Pendant longtemps, aucune stratégie de réaffectation n’a été donnée aux 2 millions de m² de logements appartenant l’État et laissés vacants, malgré les besoins d’une population mal logée et le dispositif de Droit Au Logement Opposable (DALO) –en place depuis 2007, il engage l’État auprès de cette population pour leur trouver un toit en 6 mois. Le 18 janvier 2013, la loi Cécile DUFLOT rend possible la vente d’un bien de l’État à une collectivité, pour un prix en dessous de sa valeur, dès lors que le programme comporte une part de logements sociaux. Par la suite, en une année, 300 000 m² de biens appartenant à l’État ont été vendus et réhabilités en 5000 logements habitables, majoritairement sociaux.

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Échelle locale

01. logement vacant : ressource potentielle

« Tro p l o n g t e m p s p e rç u comme un travail de Sisyphe, le traitement de la vacance paraît humainement réalisable à l’échelle d’un territoire. », Julien DENORMANDIE

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Dans son guide, le Réseau National des Collectivités mobilisées contre le logement vacant confirme qu’il est essentiel de « partir du bâti et du propriétaire […] pour une connaissance plus en lien avec la réalité »46. Pour se faire, il donne des bases méthodologiques pour mettre en place des politiques publiques territoriales à adapter aux réalités locales. Cette méthode permet de prendre du recul sur les chiffres nationaux, de s’émanciper des dispositifs institutionnels et d’avancer sur le terrain, au cas par cas. Il propose une stratégie en 4 étapes pour aiguiller les collectivités dans l’élaboration leurs stratégies locales. Il semble intéressant de les reprendre ici pour se les approprier ensuite dans notre étude de cas.

1. établir un état des lieux Dans un premier temps, l’objectif est de cibler les enjeux spécifiques au territoire. La remise sur le marché des logements vacants doit être un élément de réponse à ces enjeux. Le guide évoque trois enjeux majeurs : - les enjeux démographiques : le territoire est-il en prise ou en déprise démographique ? offre-til une attractivité résidentielle ? l’offre de logement est-elle adaptée à la typologie des ménages et des modes de vie ? la mixité sociale et la loi SRU sont-elles respectées ? le parc privé est-il ouvert aux ménages les plus modestes ? - les enjeux d’aménagement : les stratégies actuelles se portent-elles sur le parc existant ? la réduction de l’étalement urbain est-elle prise en considération ? les centralités sont-elles attractives et leurs infrastructures en adéquation avec les besoins des habitant·e·s ? - les enjeux techniques : le bâti est-il ancien (avec un attention portée sur les logements d’avant 1975 ? quels sont les types de problèmes sur et dans le bâti (dégradation, insalubrité, normes de confort, etc.) ? quels objectifs sont à cibler en priorité (sauvegarde du patrimoine, attractivité des logements, facture énergétique, etc.) ? Cet état des lieux consiste également à quantifier et qualifier les logements pour établir un diagnostic de la vacance. L’objectif est de connaître le volume de logements et les raisons qui confortent le phénomène de vacance. Ce diagnostic est généralement réalisé par une commune, une Agence Départementale d'Information sur le Logement (ADIL) ou un bureau d’études spécialisé. Il doit répondre à 5 questions :

- le périmètre d’études : quelles zones sont à prioriser ?

- la durée de la vacance : quels logements su-

-

bissent une vacance structurelle et sont vacants depuis plusieurs années ? le statut du bien immobilier vacant et type de propriétaire : le propriétaire est-il une personne physique ou morale ? pour quelle raison laisse-til son bien inoccupé ? l’âge et état du bâti : dans quel état est-il ? peut-on identifier les travaux à faire pour le rendre habitable ? la typologie : est-il dans une copropriété ? est-ce une maison, un appartement ? quel est le nombre de pièces et les surfaces d’habitation ? quels conforts et équipements sont disponibles ?

Pour répondre à toutes ces questions, le guide propose un certain nombre d’outils pratiques : - des outils statistiques nationaux : fichiers Insee, fichier FILICOM, fichier 1767 BisCom, base de données MAJIC, arrêtés d’insalubrité - des outils empiriques locaux : repérage de terrain, enquêtes qualitatives auprès des propriétaires, groupes de travail locaux, observatoire et cartographie de la vacance Cependant, ces outils restent aléatoires. À l’échelle nationale, les données ne sont pas centralisées au sein d'une agence et restent hasardeuses. À l’échelle locale, leur fiabilité dépend des capacités des collectivités et les données peuvent rester aux mains d’un bureau d'études externe. Syamak AGHA BABAEI, président du réseau, demande une « mise à disposition de fichiers fiscaux fiables afin de mieux repérer les logements réellement vides »47.

46

Réseau National des Collectivités Mobilisées contre le Logement Vacant. op. cit. p. 6

47

Mairie Info. op. cit.


2. analyser les raisons de la vacance L’objectif est d’interpréter les résultats du diagnostic pour déterminer les causes de la vacance et les raisons qui poussent les propriétaires, au cas par cas, à laisser leurs logements vacants. Le guide recense quatre types de raisons dominantes qui font écho aux quatre formes de vacances définies en amont (vacance d’obsolescence ou dévalorisation, de transformation du bien, de désintérêt économique ou expectative) : - les raisons techniques : logement dégradé, obsolète, de qualité insuffisante… - les difficultés juridiques : successions difficiles, propriétaires non souverains… - une inadéquation avec les besoins du marché : faible attractivité, faible demande, prix trop élevés… - des raisons personnelles : personne âgée en maison de retraite ou dans l’incapacité de gérer son bien, mauvaise expérience locative, difficultés de gestion, transmission générationnelle…

3. développer une stratégie adaptée Le guide présente deux types d’outils sont à développer en fonction du diagnostic et des enjeux établis dans les étapes précédentes : - les outils coercitifs : ils permettent d’encadrer la stratégie à court terme et non de la garantir durablement - les outils incitatifs : cette méthode plus « douce » permet d’amorcer une stratégie de long terme, avec des aides financières pour les propriétaires et accédants, de l’accompagnement et suivi du propriétaire, de la communication autour des dispositifs disponibles… 4. suivre et évaluer L’objectif est de pérenniser les stratégies par un système de suivi. Le guide propose deux outils à mettre en place : - un observatoire de suivi pour suivre les tendances, communiquer et échanger - une implication des partenaires pour accompagner, financer et définir des programmes annuels

Pédagogie et sensibilisation. Les territoires français, leurs habitant·e·s et leurs entreprises de construction sont culturellement influencé·e·s par un fort dynamisme constructif qui défend une croissance perpétuelle du parc de logements ; à juste titre, puisqu’il s’agit, avant tout, de répondre à des besoins ou même à un droit fondamental qu’est celui du logement. S’il s’avère que nos hypothèses sont justes, il y aurait donc d’autres moyens pour répondre à ces besoins. Pour cela, un changement des mentalités et une sensibilisation des acteur·trice·s du territoire semble s’imposer. Nous pouvons imaginer qu’un projet de pédagogie puisse être mis en place, comme c'est déjà le cas sur le thème de la rénovation énergétique. Pour la rénovation énergétique du parc existant, l’état met en place un système de pédagogie locale pour communiquer autour du sujet avec les citoyens. Philippe WAHL, le PDG de La Poste, explique que « La Poste a signé un contrat avec l'Anah par lequel les postières et les postiers font, sur le terrain ,la pédagogie de la rénovation thermique »48

LOMBARD Éric. « Le bâtiment au coeur de la transition écologique » Les Échos. 1 décembre 2019. [Consulté le 2 décembre 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.lesechos.fr/industrie-services/immobilier-btp/le-batiment-au-coeurde-la-transition-ecologique-1152738

01. logement vacant : ressource potentielle

En résumé, ce guide propose une palette d’outils relativement complète pour accompagner la lutte au sein des collectivités, mais ne propose rien de particulièrement innovant. C’est une démarche intéressante pour guider les collectivités qui se sentent dépourvues et pour leur fournir une méthodologie pour établir un diagnostic. En revanche, cela reste un travail d’amont qui capitalise les connaissances sur la méthode théorique, à l’échelle du territoire, sans pour autant montrer par l’exemple des résultats qualitatifs pour les habitant·e·s et les patrimoines locaux. Par ailleurs, la liste des partenaires à impliquer regroupe une quinzaine de partenaires institutionnels (bailleurs sociaux, banques, Anah, ADIL, etc.), mais aucun partenaire « humain » qui puisse garantir la réussite, en aval, c’est-à-dire la réussite des projets individuels qui garantit la cohérence d’ensemble d’un projet de territoire. En d’autres termes, la place des associations, des habitant·e·s, des usagers, des architectes et autres maitres d’oeuvre n’est pas représentée.

48

48


Appropriation des outils nationaux à l’échelle ultra-locale. Le programme Action Coeur de Ville est un programme national, mais c’est à l’échelle locale qu’il se met en place et qu’il se matérialise par des projets. Il fait ses preuves dans une multitude de villes moyennes. L’exemple du Puy-en-Velay, commune de 19 000 habitants, est assez symbolique49. La commune a souhaité utiliser les fonds du programme pour valoriser et réhabiliter, en priorité, son cœur de ville. En effet, une OPAH-RU est en cours grâce aux subventions du programme Action Cœur de Ville et permet de réhabiliter, puis remettre sur le marché des logements et des immeubles, au cas par cas. Une opération phare se démarque. La « Maison des Cornards », demeure quadricentenaire de l’ancienne confrérie des Cornards, était inhabitée depuis des années et s’est dégradée au fil du temps. Les fonds et l’impulsion du programme Action Cœur de Ville a permis une réhabilitation lourde de cet immeuble, et une transformation en trois appartements de 96 m² et un commerce en rez-de-chaussée. C’est un exemple symbolique –relaté dans la presse locale et dont les acteur·trice·s sont fièr·e·s– qui démontre que les collectivités peuvent tirer profit des outils nationaux pour garantir la faisabilité de projets d’échelle ultra-locale, pour leurs territoires. De la même manière, ce soutien leur permet d’imaginer des projets ambitieux, comme le fait la ville de Bayonne, avec la réhabilitation de nombreux immeubles, datant du XVIIIe et XIXe siècle, dont certains avaient été désertés.

01. logement vacant : ressource potentielle

CAS PRATIQUE

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fig. 11 :

l’équipe locale du programme devant la

Maison des Cornards © l’Éveil de la Haute-Loire

« Le PUG fait partie de l’Action Coeur de Ville, qui nous accompagne dans les financements. Quand le programme est sorti en 2018, il fallait avoir fait un certain nombre de diagnostics pour être éligible. Nous les avons fait depuis 2014, donc nous étions totalement prêts. On est rentrés immédiatement dans l’éligibilité du programme. On a ensuite décliné le programme sous d’autres actions. », Sylvie FRANCIN (adjointe à l’urbanisme)

Action Coeur de Ville. Le programme a été amorcé en 2018, soit 3 ans après les premières ambitions de revitalisation du centre-ville de Draguignan. Néanmoins, il a été un soutien de taille pour la commune, en termes de ressources financières, mais aussi en termes de directions à prendre. Comme cité précédemment, le programme entend « réinventer les cœurs de ville », en « favorisant la transition écologique et l’inclusion sociale et valoriser le patrimoine architectural, paysager et urbain dans les cœurs de ville »50. Même si la volonté reste fragile face à des financements contradictoires, c’est un point important pour notre étude, car ce que nous cherchons à démontrer est que le patrimoine bâti local est une ressource majeure pour revitaliser les territoires (ici, le cœur de ville). De fait, si le programme tient ses promesses, la ville sera orientée et soutenue dans cette démarche et va continuer les efforts qu’elle porte sur la réhabilitation massive du patrimoine bâti en centre ancien, dont la majorité comprend des logements. D’après Sylvie FRANCIN51, adjointe à l’urbanisme auprès du Maire, la ville a d’ailleurs été sélectionnée, car elle avait déjà entamé un diagnostic et des projets qui allaient dans ce sens.

49

ADEME et d’ORSO Fabrice (dir.). op. cit.

50

CGET. op. cit.

51

Entretien en annexe


outil local

CAS PRATIQUE Projet Urbain Global PUG. La notion de projet global semble bien être appliquée ici. En 2014, les ambitions du nouveau maire tournent prioritairement autour de la revitalisation du centreville. Il lance les premières études permettant de diagnostiquer le territoire. La démarche aboutit, en 2016, à la création du Projet Urbain Global (PUG). Réparti sur 10 ans, le projet veut transformer le centreville sur 7 thématiques :

- l’aménagement urbain avec le réaménagement d’espaces publics, comme la Place du Marché (fig. 14) - le patrimoine, la culture et le tourisme avec des circuits culturels (« fil des remparts », « fil de l’eau » et « fil de l’art »), ainsi que la réhabilitation d’un ancien palais d’été en Musée des Beaux-Arts (fig. 13) - les commerces avec le rachat de locaux commerciaux vacants en rez-de-chaussée et la mise en place d’une « boucle commerciale » rendue attractive sur le secteur sud du centre ancien, comme à la rue de Trans (fig. 12) - l’habitat (cf. page suivante) - la mobilité, le pôle universitaire et la sécurité

fig. 13 : projet de Musée des Beaux-Arts © BLP Associés architectes

fig. 14 : réaménagement de la Place du Marché © Mutabilis

Ingénierie. Au sein de ses services municipaux, la ville manque d’ingénierie territoriale. Comme beaucoup de villes à cette échelle, elle ne dispose pas de service d’urbanisme spécialisé dans les études urbaines, ni de partenaire public, ni même de partenaire privé. Des bureaux d’étude extérieurs, non-ancrés dans le territoire, sont sollicités. L’agence de paysage et d’urbanisme Mutabilis, basée à Paris, est mandatée pour porter le projet, avec deux autres partenaires co-traitants : - Bérénice, agence de conseil spécialisée dans le commerce et basée à Paris - Citémétrie, bureau d’études spécialisé dans l’habitat et la réhabilitation accompagnée et basé dans la région (à Marseille et à Nice)

01. logement vacant : ressource potentielle

fig. 12 : coloration de la rue de Trans © Ma rue en couleurs

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outil national

CAS PRATIQUE OPAH-RU Volet habitat du PUG. Pour répondre au mieux à la problématique de l’habitat du PUG, la commune se dote, en 2018, de deux des dispositifs proposés par l’Anah, dont l’OPAH-RU (cf. page 45), soutenue par la DPVA, le Var et la région PACA. C’est une opération emblématique du PUG, puisqu’elle entend, d’ici 2022, réhabiliter le parc privé en centre ancien. Elle « est lancée sur cinq ans à destination des propriétaires pour améliorer, modifier et transformer l’offre de logements »52 sur un périmètre précis du centre-ville (fig. 15).

01. logement vacant : ressource potentielle

Ingénierie. Citémétrie est de nouveau sollicité pour établir un diagnostic précis de l’habitat et des mesures d’intervention. Le bureau d’études s’associe à la SAIEM de construction de Draguignan, entreprise de construction publique locale et ancrée sur le territoire depuis depuis 1972. Pendant 5 ans, les propriétaires bailleurs et occupants seront accompagnés gratuitement dans leurs démarches d’amélioration et de réhabilitation. Résorber la vacance. Lors de notre entretien, Sylvie FRANCIN précise qu’une attention particulière a été portée sur le parc vacant suite au diagnostic de 2015 qui relevait plus de 25% de logements vacants dans le centre ancien : « Sur ce constat-là, on devait vraiment faire des actions qui soient majeures, qui soient sur le long terme. » Pour autant, l’opération ne vise pas d’objectif précis, mais considère plutôt la question comme une conséquence évidente de l’opération dans sa globalité.

volet incitatif et coercitif

axe 1 : améliorer et requalifier le parc de logements

52

51

axe 2 : réhabiliter les immeubles collectifs axe 3 : diversifier et restructurer l’offre de logements axe 4 : valoriser le bâti et le patrimoine du centre-ville

« C’est un dispositif qui va permettre aux habitant·e·s de recevoir jusqu’à 80% de subventions de l’état, qui vont leur permettre de réhabiliter intégralement leur bâti, leur cage d'escalier, leur habitat. On est sur des actions relativement fortes qui vont permettre de réhabiliter le coeur de ville au fil du temps, de façon ponctuelle. », Sylvie FRANCIN Prendre soin. L’OPAH est accompagnée d’actions préventives pour anticiper les risques d’altération architecturale des immeubles, par le biais d’un dispositif de repérage et de remontées des signalements. L’OPAH comprend également un enjeu de requalification des façades avec des projets de ravalement. D’apparence moins importante, cet enjeu est finalement significatif à l’échelle du centre ancien. Des façades en mauvais état, c’est un territoire peu attractif. Et un territoire peu attractif, c’est aussi des habitant·e·s qui partent et d’autres qui ne viennent pas, laissant les logements inhabités. C’est une hypothèse que confirme Sylvie FRANCIN lors de notre entretien : « Pour cette partie, les subventions viennent de la mairie, parce-que nous voulions aussi travailler sur la façade, sur le visuel. Il y a de magnifiques appartements à vivre en cœur de ville, mais certaines façades sont délaissées et favorisent la perte d’attractivité. On a donc mis un dispositif pour aider les gens à réhabiliter leur façade. » Renouvellement Urbain. Associé à l’OPAH, le volet RU (Renouvellement Urbain) permet de cibler les secteurs prioritaires sur lesquels la ville s’autorise à agir de façon coercitive pour acquérir des immeubles, sur deux secteurs : secteur Courtiou-Observance et le secteur Place du Marché. Le premier vise à être en partie démolireconstruit, le second vise à être restructuré.

axe 5 : intervenir en RU sur des sites stratégiques avec du recyclage foncier ou de la réhabilitation lourde

volet renouvellement urbain

Site internet de la ville : https://www.ville-draguignan.fr/actu/91-opah-ru-ameliorer-et-transformer-l-habitat


CAS PRATIQUE

avril 2014 : lancement des premières études mai 2016 : mise en place du PUG 1 octobre 2018 : mise en place de l’OPAH-RU 12 octobre 2018 : programme Action Coeur de Ville

outil national

Opération RHI

Opération RHI. Au sein du périmètre de l’OPAH-RU, la ville s’est également dotée d’un autre dispositif proposé par l’Anah : l’opération RHI (cf. page 45). Alors que l’OPAH-RU vise à réhabiliter massivement les logements du centre ancien, une opération RHI permet de résorber ce que la ville appelle des « points durs », c’est-à-dire des secteurs entiers ou des îlots qu’elle ne peut réhabiliter pour cause d’insalubrité trop importante. Ces situations sont parfois dangereuses. C’était le cas du secteur Observance qui s’est en partie effondré en 2011 avant d’être mis sous l’opération RHI et acquis par la SAIEM, qui a mené un projet de 13 logements neufs livrés en 2020. L’opération défend ses mesures coercitives d’acquisition par le statut public de l’acquéreur/bailleur et son obligation de gestion durable des bâtiments et des logements. La SAIEM (entreprise publique dont la commune est l’actionnaire principal) garantie également le conventionnant social des logements.

1

2

Périmètre de l’OPAH-RU

1

Secteur RU Courtiou-Observance

Opération RHI Observance

2

Secteur RU Place du Marché

01. logement vacant : ressource potentielle

fig. 15 : carte de localisation des opérations © production personnelle

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CAS PRATIQUE outil national

Projet d’Intérêt Général L’habitat à l’échelle territoriale élargie. En parallèle du PUG porté par la commune, l’intercommunalité dont Draguignan est la ville-centre –Dracénie Provence Verdon Agglomération– porte le PIG-Habiter Mieux en Dracénie depuis 2018. Sur les principes du PIG portés par l’État (cf. 45), il vise une thématique sur laquelle la DPVA s’engage sur 3 ans : l’amélioration de l’habitat sur l’ensemble du territoire dracénois, grâce à un accompagnement financier de l’État. En simultané, 9 communes mènent des actions plus fortes et plus localisées, comme Draguignan avec l’OPAH-RU que le PIG vient compléter sur le reste de la commune. C’est donc un outil complémentaire d’échelle nationale que les collectivités locales peuvent s’approprier en faveur de l’habitat.

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Enjeux. La rénovation énergétique des logements et leur adaptation aux besoins des habitant·e·s sont les 2 enjeux du PIG. L’enjeu social semble également être central dans la démarche, puisque d’après Sylvie FRANCIN « avec ce dispositif, on travaille avec le conventionnement. C’est-à-dire que le propriétaire qui réhabilite est obligé de confier le logement à du locatif social pendant 9 ans »53. Dans sa communication en ligne54, le PIG s’adresse aussi aux propriétaires de logements vacants. Cette démarche semble être d’ordre principalement incitatif, adressée à des propriétaires qui « souhaitent mettre en location après une période de vacance ». On peut interroger l’absence de mesures fortes sur un territoire globalement touché par le phénomène de vacance (10% de logements vacants sur l’ensemble de l’intercommunalité).

Dans les faits. Le PIG compte 235 propriétaires accompagnés dont la majorité (86%) sont occupants et mènent des projets de rénovation énergétique. Les chiffres du document de synthèse55 fourni par Sylvie FRANCIN démontrent que les propriétaires bailleurs manifestent peu d’intérêt pour ce dispositif, le logement locatif semble être relégué au second rang ; c’est pourtant une ressource à mobiliser lorsque des enjeux sociaux interviennent. Il s’agit alors probablement d’une vacance de désintérêt économique, liée à un désintérêt du propriétaire pour s’occuper du bien. S’ils s’agissait de vacance d’obsolescence ou de dévalorisation, liée à des logements obsolètes ou inadaptés à la demande, nous pouvons imaginer que le dispositif aurait connu plus de succès auprès de ces propriétaires.

Cette hypothèse à l’échelle de l’intercommunalité ne s’applique pas à l’échelle de notre étude (centre ancien de Draguignan), au sein de laquelle notre repérage de terrain laisse à penser qu'il s’agit réellement de logements obsolètes et dévalorisés. Néanmoins, il semble intéressant de préciser cela pour montrer que chaque outil s’applique différemment, en fonction du contexte et du territoire.

outil local

01. logement vacant : ressource potentielle

Ingénierie. Le bureau d’étude Citémétrie est de nouveau chargé d’assurer l’accompagnement des propriétaires bailleurs et occupants, à l’échelle de l’intercommunalité.

Pédagogie et sensibilisation Accompagnement. Une permanence, tenue par le groupement Citémétrie/SAIEM s’est installée au sein d’une des rues les plus préoccupantes : la rue de Trans, en partie désertée et dégradée. Les habitant·e·s y reçoivent gratuitement conseils et accompagnement.

53

Entretien en annexe.

54

Site internet du PIG Habiter Mieux en Dracénie : https://habiter-mieux-en-dracenie.fr

55

Citémétrie. Document de synthèse du comité de pilotage du PIG en DPVA. Programme Habiter Mieux en Dracénie.


CAS PRATIQUE Sensibilisation. Accompagnée par Citémétrie, la mairie a mis en place des opérations de communication au sein du territoire. Des réunions publiques se sont tenues sur des thématiques clés, conviant les dracénois·e·s à y assister. Une réunion d’information et de sensibilisation auprès des syndics de co-propriété ont été menées. Des flyers ont été distribués dans le centreville pour informer les habitant·e·s des démarches et des projets en cours. Des séances de discussion ont été animées par Citémétrie au sein des Conseils de quartier et de La Fabrique (espace de vie sociale et culturelle situé en cœur de ville). La mairie a également tenu à regrouper toutes les catégories sociales autour des projets en animant une réunion Action-Logement pour sensibiliser les chefs d’entreprise.

Primes. Dans le cadre de l’OPAH-RU, la ville a mis en place différents dispositifs fiscaux pour inciter les propriétaires à agir en faveur de la lutte contre le logement vacant : - une prime « sortie de vacance » financée par la ville aux propriétaires de logements inoccupés pour les inciter à les remettre sur le marché - une prime « regroupement de petits logements » financée par la ville afin de créer de plus grandes surfaces habitables et faire correspondre l’offre de logements à la demande des ménages.

OUTIL NATIONAL

outil local

Dispositifs fiscaux Primes. Un partenariat avec Action Logement garantit un accompagnement financier et des aides individuelles aux propriétaires, pour mieux maîtriser les loyers, en les incitant à conventionner leurs logements, une fois réhabilités et remis sur le marché. Cette démarche est intéressante, car elle participe à prévenir une spéculation qui serait potentiellement associée au projet de revitalisation globale du centre ancien.

Lutte contre l’habitat indigne. La mobilisation des pouvoirs de police et les acquisitions publiques sont envisagées parmi les stratégies coercitives. Ces mesures sont inscrites dans le PLHi (cf. page 45). Sylvie FRANCIN explique que « depuis 2017, nous sommes en lien avec les agences régionales de santé, les UTS [Unités Territoriales Sociales], le préfet, les polices municipales et nationales. Il y a un vrai dispositif qui permet de mailler le territoire et d’avoir tous, au même moment, l’information comme quoi il y a un logement indigne quelque part et tous vont l’interdire. Tous ces dispositifs font qu’aujourd’hui on ne peut pas passer à côté de l’habitat insalubre. » Déclaration d’Utilité Publique. La commune peut obliger un propriétaire à être en DUP (Déclaration d’Utilité Publique) pour effectuer des travaux, notamment dans le cas d’immeubles insalubres. « On va prendre une décision forte et on va leur dire [aux propriétaires] "maintenant, vous avez une DUP de travaux. Vous allez devoir mettre en place et réaliser les travaux nécessaires" ». Expropriation et THIRORI. Si les propriétaires ne répondent pas, la ville peut utiliser le dispositif THIRORI (cf. page 45) et mettre en place des mesures d’expropriation. Néanmoins, elle semble vouloir éviter d’avoir recours à la préemption de biens : « Il y a plusieurs dispositifs de rachat. On a un droit de préemption, mais le principe, c’est de ne pas en faire, surtout si on peut avoir des accords. »

01. logement vacant : ressource potentielle

outil national

Mesures coercitives

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outil local

CAS PRATIQUE Rôle des acteurs locaux. Pour éviter la responsabilité de ce genre de mesure publique trop forte, la ville travaille en partenariat avec les acteurs de l’habitat locaux : « On peut se contenter aussi de ne pas racheter. Parfois, la commune n’est pas obligée de se mettre au milieu. Il y a les bailleurs sociaux. La SAEIM de construction est le bras armé bailleur de la ville. D’ailleurs, le maire en est le président actuellement. La ville n’est pas forcément dans l’obligation d’être un acteur immédiat. C’est aussi un acteur qui peut avoir une vision et encourager un autre organisme. Ça se produit souvent comme ça. »

Réseau national. Dans le sens où la ville n’adhère pas aux grands plans et grandes stratégies lancés par le Ministère, elle ne semble pas non plus être dans une démarche de mobilisation collective à l’échelle nationale, comme certains organismes le préconisent (cf. 45). Par ailleurs, l’interviewée n’avait pas connaissance de l'existence du Réseau National des collectivités mobilisées contre le logement vacant.

outil local

outil national

Mise en réseau Réseau local. Toutefois, il est intéressant de voir qu’elle met en place, accompagnée par Citémétrie, un réseau local, sous forme de plateforme en ligne sur laquelle tous les partenaires locaux ont accès, pour faciliter le suivi des situations et le partage d’informations et de documents. La ville défend donc une démarche de collaboration très proche avec ses partenaires et à l’échelle du territoire, mais ne projette de rendre publique la documentation liée aux projets en cours ou terminés, car cela relève de la sphère privée.

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outil national

01. logement vacant : ressource potentielle

Action Coeur de Ville Diversifier les projets. Dès 2019, sur l’impulsion du programme Action Cœur de Ville, les élu·e·s lancent de nouveaux projets concrets, en accord avec les principes du PUG, mais qui n’étaient pour autant réalisables dans le seul cadre de l’OPAH-RU. Le programme permet de diversifier les projets en intégrant la requalification d’espaces qui n’étaient pas des logements. Par exemple, pour renforcer l’offre de logements étudiants, la ville promet la réhabilitation de l’ancienne Bourse du Travail (8, rue Georges Cisson) pour offrir 25 logements T1 et T2. Nous pouvons néanmoins questionner cette démarche, puisqu’une des problématiques soulevées en 2015 dans le diagnostic de Citémétrie est la sur-offre de petits logements qui ne répond pas à une diversité de ménages.

« Cet illustre immeuble datant du XIIIe siècle est l’un des plus emblématiques de la ville. […] La réhabilitation de ce site […] permet, en plus de revitaliser le centre historique, de rénover un monument historique qu’il était impératif de revaloriser pour en exploiter au mieux les potentialités en termes d’habitat et d’attrait architectural et touristique », TV83.info fig. 16 : 8, rue Georges Cisson © Jean-Marc Dantcikian


outil local

CAS PRATIQUE Diagnostic Cette énumération d’outils, du plus large au plus précis, semblait nécessaire pour comprendre suffisamment le contexte dans lequel s’inscrivent les actions de lutte contre le logement vacant, de façon théorique, puis de façon plus pratique à Draguignan. Si les différents dispositifs nationaux ne semblent pas toujours efficaces à l’échelle locale, cela devient alors essentiel pour les collectivités de se doter d’outils innovants, comme l’a fait Draguignan avec le PUG. Le diagnostic est une étape préliminaire élémentaire pour chacun de ces outils. Comment les acteurs locaux mettent-ils en place des méthodologies de diagnostic ? Sont-elles adaptées à leurs territoires ? Reprennent-elles la méthodologie préconisée par la RNCMLV ? Méthodologie empruntée. Le diagnostic du centre ancien de la capitale dracénoise, commandé par la commune, a été établi par le bureau d’études Citémétrie par le biais d’une méthodologie qui lui est propre. Même s’il y a des critères en commun, la méthodologie engagée semble assez différente de celle proposée dans le guide du RNCMLV : le diagnostic relate de problématiques locales et spécifiques à Draguignan, mais donne peu de données suffisamment précises pour quantifier les logements et immeubles concernés et ainsi établir un état des lieux précis. Ce diagnostic semble relever d’un travail de terrain plutôt que d’un travail statistique. Le bureau d’études précise dans son diagnostic qu’il a effectué un repérage de terrain pour cibler les besoins de requalification des immeubles en centre ancien, puis réalisé une évaluation de l’état de 1300 immeubles d’habitation par observation depuis la voie publique et les autres espaces librement accessibles. Les immeubles ont ensuite été classés en fonction de leur état et leurs besoins en travaux estimés sur le clos et le couvert. Ce travail de terrain n’a pas pu permettre de relever les logements vacants au sein d’immeubles habités, puisqu’il s’agit d’un diagnostic réalisé dans le cadre de l’amélioration de l’habitat et des immeubles collectifs, et non d’une opération de résorption de la vacance.

01. logement vacant : ressource potentielle

Données insuffisantes. Avec les données disponibles, l’élaboration d’un diagnostic calqué sur la méthodologie du RNCMLV n’est pas possible. Elles sont insuffisantes. Différentes requêtes ont été faites auprès des services de la mairie et de la communauté d’agglomération pour obtenir des données statistiques telles que des données SIG, les fichiers FILICOM ou la base de données MAJIC. Toutes ont été infructueuses. Même si cela est trop conséquent à élaborer à l’échelle du centre-ville dans le temps imparti, un relevé de terrain et des comparaisons photographiques permettent toutefois de cibler quelques opérations et/ou immeubles intéressants.

56


4.

DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE : LES FREINS ET LES OBSTACLES

Lorsqu’un logement subit une vacance d’obsolescence, de dévalorisation, il est indispensable de prévoir des travaux de revalorisation pour en sortir. Cela n’est pas encore systématique pour diverses raisons, et c’est des limites de cette pratique constructive qu’il est question dans cette sous-partie. L’intervention sur l’existant –entendons ici les pratiques architecturales qui visent à réhabiliter, restructurer, rénover, reconvertir, revaloriser, etc.–, par définition, c’est faire face au contexte environnant complexe d’une architecture existante, mais aussi à des difficultés dans la mise en œuvre. Cette complexité exige du temps, des compétences et une adaptation à des contraintes parfois structurelles, parfois culturelles. Entre coût financier, enjeux énergétiques, normes de confort, insalubrité irrémédiable, etc., la question est de savoir quand est-ce qu'il est cohérent ou non d'adapter la pratique à la réalité des lieux. Par-delà de l’aspect technique, les enjeux socio-culturels posent également question. Les a priori et les conditionnements sociaux compliquent parfois la tâche. Est-ce que revaloriser des barres de logements sociaux issus des 30 Glorieuses les rendra plus désirables ? Sommes-nous aptes à déconstruire les consignes marketing vendues par les promoteurs du logement neuf ? Christian MOLEY, architecte et chercheur HDR spécialiste des questions de l’habitat et de sa réhabilitation, dans son ouvrage (Ré)concilier architecture et réhabilitation de l’habitat, émet trois hypothèses sur les « origines et raisons des insuffisances architecturales constatables en réhabilitation »56, qu’il appelle des handicaps initiaux : - en France, les architectes intéressés par les projets de réhabilitation d’habitat collectif sont peu nombreux - les architectes manquent de « référentiel et de formation dans ce domaine » - les réglementations techniques (rénovation thermique et maîtrise énergétique) portent préjudice à l’architecture et « l’auraient de plus en plus assujettie aux conceptions des grandes entreprises et bureaux d’études » Nous allons essayer, ici, d’étudier un certain nombre de ces freins, obstacles et « handicaps initiaux », en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, mais bien d’une tentative de compréhension globale et à différentes échelles.

01. logement vacant : ressource potentielle

L’intervention sur l’existant, à quel prix ?

57

Il est souvent avancé que la réhabilitation d’un logement ou d’un immeuble revient plus cher que la démolition/reconstruction de logements neufs. Nous avons posé la question à l’atelier Ré architecture, agence basée à Lyon et « spécialisée dans la rénovation, la reconversion et la restructuration d’espaces existants ».

« C’est effectivement plus cher. Tout simplement parce-que les artisans y passent beaucoup plus de temps. Les matériaux que l’on utilise sont aussi plus responsables et sont, de fait, également plus cher. C’est le rôle de l’architecte de sensibiliser les artisans et les clients pour faire comprendre que ce sont de meilleures pratiques, malgré les enjeux financiers. »57

En fonction de l'état de dégradation du logement, les travaux peuvent être de nature et d’envergure différentes et générer des coûts relativement élevés. Cela n’est néanmoins pas systématique ; selon le site internet de veille scientifique collectivitésviables.org, tenu par l’organisation québécoise d’intérêt public Vivre en

56

MOLEY Christian. (Ré)concilier architecture et réhabilitation de l’habitat. Paris : Éditions du Moniteur. 2017. p. 7

57

Entretien en annexe.


ville : « il peut s’avérer économiquement avantageux pour un promoteur de recycler un bâtiment plutôt que d’opter pour la démolition-reconstruction. Selon Shipley, Utz et Parsons (2006), le coût de la rénovation au mètre carré peut être moins élevé que la construction neuve dans certains cas, en particulier dans les domaines résidentiel et institutionnel. De plus, un des avantages de la rénovation est la possibilité d’un phasage qui permette de garder des locataires durant les travaux, et ainsi maintenir des revenus. »58 En outre, plus que des coûts supplémentaires, il faut voir ces investissements comme une économie, sur une échelle de temps plus longue. À titre individuel, ces travaux sont aujourd’hui systématiquement accompagnés d’une rénovation énergétique, qui, sur le long terme, est finalement une façon très concrète pour le propriétaire et/ou le locataire de faire des économies. À titre collectif, s’abstenir de construire du neuf, c’est éviter la production de nombreuses externalités négatives (émissions de gaz à effet de serre, extraction de ressources, artificialisation du sol, etc.). Nous commençons aujourd’hui à payer littéralement le prix de ces externalités émises dans les années passées, qui sont en partie les causes des bouleversements climatiques : besoins énergétiques supplémentaires en été, infrastructures de retenue des eaux le long des villes littorales, reconstruction d’ouvrages inondés, taxes environnementales, etc. À l’échelle des territoires, les externalités négatives à long terme ne sont pas plus prises en compte lors de l’évaluation des coûts. Pour Jean HAËNTJENS, leur évaluation et leur prise en compte sur le long terme suffisent à contredire le mythe de la rénovation trop coûteuse : « il est plus coûteux, dans un premier temps, de refaire la ville sur elle-même que de l’étendre en rase campagne. Le bilan serait différent si l’on prenait en compte l’ensemble des coûts de fonctionnement et des coûts externes, mais ceux-ci sont étalés dans le temps et, souvent, assez mal évalués. »59 Pour illustrer les propos à l’échelle d’un projet, prenons l’exemple d’un ancien pavillon des années 70, situé à Montgermont (Ille-et-Vilaine) et réhabilité en 2017 par l’agence Quinze Architecture, spécialisée dans la construction Passivhaus. D’après l’agence, cette opération –qui a obtenu le prix national du Bois 2018 dans la catégorie « Réhabiliter un logement »– a coûté 15% plus cher qu’une rénovation classique60. Très performant, le logement va, de fait, faire diminuer significativement les coûts de chauffage, réduire la facture énergétique et amortir les surcoûts de la réhabilitation en quelques années. De plus, les matériaux utilisés pour la rénovation ont été choisis de façon à réduire au maximum l’impact environnemental, améliorer la qualité de l’air (isolation par l’extérieur et sarking en ouate de cellulose et fibres de bois, bardage bois et extension en ossature bois) et, par voie de conséquence, réduire ses externalités négatives.

58

Collectivités Viables, Recyclage des bâtiments : http://collectivitesviables.org/articles/recyclage-des-batiments/

59

HAËNTJENS Jean. La ville frugale. Paris : FYP Éditions. 2011. p. 64

60

ADEME et d’ORSO Fabrice (dir.). Rénovation, plus de 30 millions de logements. Levallois-Perret : Éditions PC. 2019

01. logement vacant : ressource potentielle

fig. 17 : Maison BFS, Réhabilitation lourde et extension, agence Quinze Architecture © Joan Casanelles

58


Un manque de connaissances et de savoir-faire

01. logement vacant : ressource potentielle

Les architectes. Dans son ouvrage, Christian MOLEY accuse l’absence d’écrits théoriques sur les questions de réhabilitation. Ce manque de connaissances rend plus difficile encore la mise en place d’une définition générale à propos de la pratique de réhabilitation, en tant que discipline théorique et pratique. Selon lui, les écrits fondateurs de l’architecture, de Vitruve (Ier siècle av. J.-C.) au Mouvement Moderne (XXe siècle), se sont succédé sans jamais questionner la pratique de la réhabilitation. Nous pouvons toutefois relativiser ces propos en donnant l’exemple de Leon Battista Alberti (XVe siècle) et de son traité d’architecture De re ædificatoria (L’art d’édifier, en français), dans lequel il dénonce le manque de capacités des architectes à travailler avec l’existant et émet l’hypothèse que l’innovation en architecture ne peut être qu’une intervention réussie avec l’existant. Il en est de même pour la formation qui semble, le plus souvent, s’abstenir d’inscrire durablement « Au fil de leur histoire, toutes les théories et cette discipline dans son enseignement. Elle a longtemps doctrines architecturales ont toujours délaissé considéré l’architecture comme un « art majeur » et la la question de la réhabilitation, comme s’il réhabilitation comme une discipline séparée et « un art s’agissait d’une pratique subalterne de remise mineur en quête de légitimation »61. Dans la pratique, ce en état difficile à distinguer de l’entretien et manque de connaissances peut se traduire par un des réparations. », Christian MOLEY manque de savoir-faire pour les jeunes professionnels architectes. Toutefois, Claire MEUNIER et Pauline SUHR, deux architectes engagées dans la reconversion, la rénovation et la restructuration d’espaces existants au sein de leur agence Ré-architecture, nous confient lors de notre entretien que le travail d’équipe qu’elles mènent sur le chantier avec les artisans est véritablement formateur : « tout ce qu’on sait aujourd’hui, sur la technique, on l’a apprit sur le tas, avec les artisans. Le but de l’architecte, c’est d’avoir des notions de tout, mais l’artisan reste le spécialiste. C’est lui qui a la technique. C’est un vrai travail d’équipe qui se fait avec les artisans, pour pouvoir avancer avec eux et faire évoluer autant le projet que notre savoir-faire. On peut dire que oui, on manque de savoir-faire ; mais c’est peut-être aussi parce-qu’on n’est pas formé pour ça et que les équipes sont là pour qu’on apprenne à gérer les difficultés sur les chantiers. ».

59

Les entreprises. La question des savoir-faire constructifs, spécifiques à chaque territoire, est inévitable lorsqu’il s’agit d’intervenir sur de l’habitat existant, et particulièrement dans les centres anciens où les bâtiments, parfois centenaires, peuvent avoir été construits avec des techniques et matériaux locaux. Il est alors plus difficile pour les artisans non-spécialisés d’intervenir. À Draguignan, les techniques constructives de l’habitat ancien sont relativement simples. Les façades traditionnelles des maisons de ville modestes et mitoyennes sont généralement en moellons de pierre maçonnés et enduits à la chaux. Même s’ils sont plus facilement appropriables que, par exemple, les systèmes constructifs en pisé dans la région rhône-alpine, des savoirfaire adaptés sont toutefois nécessaires lors d’une réhabilitation ou simplement d'une rénovation thermique. Les collectivités. À l’échelle territoriale, le manque de partage et de mise en réseau entre les collectivités est un frein important à la mise en place de stratégies. Beaucoup manquent de retours d’expériences et/ou d’inventivité face à des questions nouvelles. Les modes d’action innovants sont encore en marge et il est urgent de les partager. C'est en ce sens que le Réseau National des Collectivités mobilisées contre le Logement Vacant se mobilise. De même, le manque de connaissances à propos des outils et des partenaires disponibles fait obstacle à la mise en place de politiques ambitieuses de résorption de la vacance. Les démarches, souvent initiées par des associations et services communaux non-formés à ce sujet, s’arrêtent souvent à l’étape de repérage des logements vacants62. Par exemple, le droit de préemption de logements est finalement peu utilisé ; les démarches administratives étant trop importantes et la suppression radicale du droit de disposer un bien étant mal perçue par les propriétaires.

61

MOLEY Christian. op. cit. p. 13

62

Réseau National des Collectivités Mobilisées contre le Logement Vacant. op. cit.


Les co-propriétés Communiquer. L’organisation des immeubles de logements en co-propriétés complique les démarches. 10 millions de logements en France sont dans cette situation63. Il faut alors trouver des moyens pour communiquer au mieux avec les copropriétaires. Des systèmes innovants voient le jour pour mener à bien les projets de réhabilitation au sein de co-propriétés habitées. C’était, par exemple, l’enjeu du projet de rénovation énergétique et architecturale de la tour d’habitations Super-Montparnasse. Conçue par Bernard ZEHRFUSS à la fin des années 60, la transformation de la tour en bâtiment BBC a été orchestrée par les architectes François PELLEGRIN et Lair&Roynettes Architectes en 2015. Pour favoriser la communication avec les co-propriétaires, les architectes sont passés par une démarche innovante : exploiter le BIM pour échanger avec les copropriétaires. La maquette numérique a largement facilité la compréhension et la bonne conduite du projet. Soutenir. La réhabilitation de certains logements peut également poser problème dans les copropriétés en difficulté et en manque de moyens financiers. Face à cet enjeu, l’Anah et l’ANRU ont lancé en 2018, à Marseille64, le Plan Initiative Copropriétés, qui fournit une « aide aux copropriétés fragiles ou dégradées ». Ainsi, 2,7 milliards d’euros sont débloqués sur 10 ans pour faciliter la rénovation de 700 copropriétés. Le Plan prévoit de racheter certains logements pour les remettre sur le marché, de réhabiliter massivement ces copropriétés dégradées et pour éviter la spirale de la dégradation, des efforts de prévention seront menés ainsi qu’un accompagnement sur la gestion de l’immeuble. Néanmoins, le plan ne soutient que 26 territoires, dont la majorité sont dits « nationaux » (autrement dit, métropolitains) et ne semble pas concerner notre échelle d’étude.

CAS PRATIQUE 70% du parc privé en co-propriété

75% de petites co-propriétés (- 10 logements)

26% de mono-propriétés

63

ADEME et d’ORSO Fabrice (dir.). op. cit.

64

3 semaines avant le drame des effondrements de la rue d’Aubagne, à Marseille

65

Citémétrie. Diagnostic intermédiaire du centre-ville de Draguignan. Projet Urbain Global - volet habitat. 2015

démarches + complexes

coût des travaux + élevés

démarches complexes

01. logement vacant : ressource potentielle

À Draguignan, le système de co-propriétés complexifie effectivement les démarches lorsqu’un logement vacant se trouve à l'intérieur. Dans le centre ancien, les co-propriétés représentent 70% du parc de logements privés65. Dans une majorité de cas, le manque de structuration et d’organisation des co-propriétés est un frein majeur à l’amélioration de l’habitat du Projet Urbain Global, mais aussi au processus de remise sur le marché des logements inhabités. Certains nécessitent d’être réhabilités, mais tous nécessitent d’être attractifs. Or, un immeuble avec des espaces communs dégradés ne l’est pas. Il faut alors solliciter les co-propriétés, mais 75% d’entre elles sont des micro-copropriétés de 3 à 10 logements. De fait, le montant que chaque propriétaire doit allouer aux travaux est plus élevé et ne peut être assumé par tous. Pour pallier le manque de soutien national, la ville tente d’apporter une aide financière, dans le cadre de l’OPAH-RU, aux co-propriétés en difficulté qui souhaitent rénover leurs espaces communs. Dans son étude, Citémétrie explique aussi que, à l’inverse des copropriétés, les immeubles en mono-propriété (26% du parc privé), qui sont donc détenus par un seul propriétaire bailleur, sont intéressants et plus simples à traiter. L’interlocuteur est unique et habite souvent un appartement de l’immeuble. De fait, les propriétaires sont plus impliqués dans les démarches de réhabilitation partielle ou complète de l’immeuble.

60


Des propriétaires peu impliqués Propriétaires privés. D’après le RNCMLV, le parc privé locatif est bel et bien celui qui subit le plus le phénomène de vacance. Ce résultat s’explique principalement par la deuxième cause de vacance structurelle : le désintérêt du propriétaire à l’égard de son bien.

CAS PRATIQUE Le centre ancien de Draguignan est le théâtre de nombreuses mauvaises pratiques locatives de la part des propriétaires bailleurs privés (marchands de sommeil, division de logements, vente à la découpe…). Lors de notre entretien, Sylvie FRANCIN explique que « on est sur un bâti très très ancien et souvent dégradé, et sur lequel, évidemment, des marchands de sommeil s’installent et font de l’argent sur l’indignité des gens qui sont en situation sociale complexe. » La population y est précaire et l’habitat dans le secteur s’avère être un business lucratif pour un certain nombre de propriétaires.

01. logement vacant : ressource potentielle

81% des logements en co-propriété sont à vocation locative. 30% des copropriétés sont même entièrement dédiées à la location. 20% des propriétaires sont des SCI, donc des personnes morales, parfois susceptibles d’appartenir à des marchands de sommeil. « Sur le constat de Citémétrie, on s’est aussi rendu compte que les propriétaires étaient des SCI, constituées de nombreuses personnes, parfois de 99 personnes, parfois de la même famille. Elles ne se mettent jamais d’accord et ça complique les choses. C’est très difficile de mobiliser tout le monde en même temps. On s’est retrouvé avec 60 propriétés dont on ne sait même pas à qui elles appartiennent. Il ne reste plus rien et on ne peut pas remonter aux anciens propriétaires. »

61

81% de logements à vocation locative

propriétaires peu impliqués

De fait, la majorité des propriétaires bailleurs est souvent peu impliquée dans la gestion des immeubles, se désintéresse des travaux de réhabilitation et des démarches engagées par la commune. Ces situations freinent la rénovation globale des immeubles, empêchent la réhabilitation des logements vacants au cas par cas et accélèrent le phénomène de dégradation, car aucune action ne peut être menée, sans mesure coercitive.


5.

RESSOURCE INEXPLOITÉE OU INEXPLOITABLE ?

Pour conclure cette première partie, après un état des lieux des moyens mis en place ainsi que des obstacles qui interfèrent, une question apparaît en filigrane : la faiblesse des stratégies à grande échelle, le manque de formation technique et d’implication des différent·e·s acteur·trice·s ou encore la dévalorisation culturelle du parc existant traduisent-ils une volonté délibérée d’"inexploiter" ces espaces en latence ? Ou sont-ils bel et bien des obstacles qui les rendent inexploitables ?

Ressource inexploitée Dans l’ouvrage collectif Ressources urbaines latentes, la question de l’exploitabilité de ces ressources dissimulées66 ne se pose pas expressément. Toute ressource inexprimée –latente donc– est tenue d’être exploitée. Pour reprendre les références données par les auteur·e·s, citons Günther ANDERS dans l’Obsolescence de l’homme (2002) « nous ne sommes pas seulement tenus d’exploiter tout ce qui est exploitable, mais aussi de découvrir d’exploitabilité "cachée" en toute chose ». La question se pose donc bien autour de l’action même qui va permettre d’exploiter, autour de l’énergie. C’est bien d’elle que le changement dépend. De façon sous-jacente, il y a donc la notion d’une volonté préalable, sans laquelle l’action ne peut avoir lieu. Selon cette hypothèse, et notamment dans un contexte où nous connaissons la valeur et les possibilités offertes par un espace existant, il s’agit là de ressources délibérément inexploitées.

Ressource inexploitable

fig. 18 © Patrick Gherdoussi 66

D’ARIENZA

fig. 19 : effondrement des n° 63 et 65, rue d’Aubagne © Made in Marseille

01. logement vacant : ressource potentielle

La généralisation de ce concept cache tout de même un aspect plus complexe et plus technique. La vacance au sein de de ces espaces, logements, bâtiments entiers parfois, mène parfois à un état de dégradation tel qu’il deviendrait contre-productif, voire dangereux, d’intervenir sur le bâti, si ce n’est pour démolir. Il est aujourd’hui difficile de définir quelle part tient ce bâti au sein des différents territoires. Délaissés, les espaces les plus ruraux semblent être les plus touchés par l’insalubrité. Mais ce phénomène touche également les centres des villes et même des métropoles. Pour certains bâtiments qui ne tiennent que parce-qu’ils sont mitoyens, il serait même difficilement possible de garder ne serait-ce que les murs. Pour d’autres, démolir devient même une condition indispensable pour assurer la sécurité des habitant·e·s, des riverain·e·s et des passant·e·s. Rappelons le drame de la rue d’Aubagne, en plein centre-ville de Marseille, qui a coûté la vie à 8 personnes, au cours de l’effondrement de deux immeubles le 5 novembre 2018.

Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al.. op. cit. p. 12

62


Pour cela, il existe différentes façons de définir un immeuble pour s’assurer de son exploitabilité. Les immeubles en situation de péril ou d’insalubrité présentent un danger ou un risque pour la sécurité ou la santé des habitants. Les immeubles en situation de non-décence ne répondent pas aux normes basiques, telles qu’une aération suffisante, l’absence de nuisibles, la présence d’équipements essentiels… Chacune de ces situations doit aboutir à une prise en charge pour résorber les situations. Il est donc ici question de mener, de façon indispensable et systématique, un état sanitaire du parc existant de façon à ne pas laisser inexploité un espace exploitable, mais aussi à ne pas laisser un espace inexploitable monopoliser le foncier.

CAS PRATIQUE

1

01. logement vacant : ressource potentielle

2

fig. 20 : localisation des logements en état d’insalubrité ou de dégradation en 2016. Source : Citémétrie © production personnelle Opération RHI Observance

Immeuble en suspicion de péril (imminent/ordinaire)

1

Secteur RU Courtiou-Observance

2

Secteur RU Place du Marché

Immeuble en suspicion d’insalubrité, de non-décence ou dégradations moyennes et importantes

Immeuble entièrement vacant

63

Ruines


CAS PRATIQUE Les suspicions de péril (imminent et ordinaire) sont ici les immeubles en état de dégradation irrémédiable : 13 immeubles, dont 8 regroupés dans le secteur de Renouvellement Urbain CourtiouObservance (secteur 1) et incluant les 3 périls imminents. Les suspicions d’insalubrité et de non-décence ou les dégradations moyennes et importantes sont ici les immeubles en état de dégradation remédiable : 43 immeubles. Les immeubles entièrement vacants sont ceux qui ne sont pas du tout habités : 41 immeubles, dont 1 en péril imminent, 3 en péril ordinaire et 14 dont l’état de dégradation est remédiable.

Les suspicions de péril sont les cas les plus avancés dans la dégradation et sont regroupées, pour la majorité, autour du secteur Courtiou-Observance en projet de Renouvellement Urbain. Celui-ci autorise à questionner la légitimité de ces immeubles à être conservés et requalifiés, au vu de leur dangerosité et non pas de leur état.

fig. 21 : secteur RU Courtiou-Observance © Google Maps

nue de Grasse, est représentatif de ce qu’il est possible de faire. Diagnostiqué comme vacant et dégradé en 2016, il est aujourd’hui réhabilité et habité.

2016

2020

fig. 22 et 23 : 103, avenue de Grasse en 2016 et 2020 © Google Maps Une réflexion complète consisterait à analyser l’espace intérieur et à vérifier qu’une rénovation thermique ait été réalisée. N’ayant pas pu entrer en contact avec les habitant·e·s, nous mènerons cette analyse sur d’autres projets, en partie 2.

01. logement vacant : ressource potentielle

Lorsque la dégradation est remédiable, celle-ci survient notamment à la suite d’un enchaînement de mauvaises pratiques techniques au fil du temps (entretien insuffisant, travaux inadaptés, utilisation d’enduitciment provoquant de graves problèmes d’humidité, défaut structurel des façades, réseaux et menuiseries non-entretenues…) Il s’agit donc de problèmes nécessitant des travaux, mais sans risque de danger ou d’effondrement. L’exemple cicontre (fig. 22 et 23), au 103, ave-

64


CAS PRATIQUE En fonction de leur état, le diagnostic de Citémétrie67 définit trois enjeux à faire valoir dans le cadre de l’OPAH-RU, pour ces « bâtiments relevés comme dégradés ou dégradants » dont l’état est remédiable. Les deux premiers enjeux sont la requalification lourde des immeubles particulièrement dégradés et la valorisation des façades et de l’environnement proche des immeubles moyennement dégradés. Le troisième nous intéresse plus particulièrement. Il s’agit d’un enjeu de mutation « qui vise les immeubles entièrement vacants pour leur potentiel de réorganisation immobilière et/ou foncière ». Hormis le cas des ruines considérées comme « des biens sans vie dont l’usage doit aujourd’hui être réinterrogé », il s’agit d’identifier les « facteurs de blocage inconnus qui doivent être connus » (les raisons de la vacance). Le but est d’engager des réponses aux besoins de travaux importants des 14 immeubles vacants dégradés et aux besoins de requalification des 23 autres immeubles vacants.

01. logement vacant : ressource potentielle

En outre, l’opération RHI Observance semble être la seule opération achevée qui ait nécessité une démolition-reconstruction complète des immeubles concernés. La commune s’est dotée de cet outil RHI à la suite d’un effondrement partiel qui a eu lieu en 2011. L’opération a mené à la démolition en 2016, puis à la construction de 13 logements sociaux livrés en 2020. Il s’agit donc bien d'un état de dégradation tel qu’il justifie ces mesures coercitives, pour garantir la sécurité et lutter activement contre l’habitat insalubre, au profit d’une nouvelle offre de logements sociaux en plein cœur de ville. Par ailleurs, nous avons vu page 27 que l’offre de logement social ne représente que 3% du parc en centre ancien, qui est essentiellement privé. Nous pouvons en conclure que cette opération semble apporter bien plus que ce qu’une tentative de réhabilitation par les propriétaires n’aurait pu apporter.

fig. 24 : en 2008, 22-28, rue de l’Observance © Google Maps

fig. 25 : en 2015, après effondrement partiel © Google Maps

fig. 26 : en 2017, après démolition complète © Google Maps

fig. 27 : en 2020, après reconstruction © crédit personnel

67

65

Citémétrie. Diagnostic du centre-ville de Draguignan. op. cit.


CAS PRATIQUE D’après ce diagnostic, notre cartographie permet de rendre compte précisément de l’impact de l’insalubrité et de la dégradation sur la vacance des immeubles. Contrairement à une hypothèse posée avant l’étude, selon laquelle la plupart des logements vacants seraient dans un état d’insalubrité plus ou moins irrémédiable, ces résultats nous montrent que les deux phénomènes ne sont pas forcément corrélés. Beaucoup d’immeubles insalubres sont habités et à l’inverse, la majorité des immeubles entièrement vacants ne sont pas diagnostiqués comme insalubres. Et des exemples ont montré qu’un immeuble vacant et dégradé reste inexploité tant qu’aucune action n’est menée. Pour cela, il faut que celui-ci devienne un véritable sujet de projet afin qu'il puisse libérer son potentiel. Ces résultats, bien que spécifiques au centre ancien de Draguignan, permettent néanmoins d’ouvrir le débat face à l’argument de l’insalubrité, qui est souvent rapporté comme le principal obstacle qui les rendrait inexploitables. Pour proposer des résultats plus complets, une étude similaire à l’échelle même des logements, et non plus seulement des immeubles, est indispensable, mais difficile à mener dans un contexte où l’accès aux propriétés privés nous a été impossible. La partie suivante s’attachera à démontrer qu’il s’agirait donc plutôt d’un patrimoine inexploité à valoriser, par le biais de divers exemples.

01. logement vacant : ressource potentielle 66


67

02.

02. un patrimoine ordinaire Ă valoriser


02. UN Un PATRIMOINE patrimoine ORDINAIRE À ordinaire à VALORISER

valoriser

Françoise CHOAY, De la démolition (1996)

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

La conservation du cadre bâti permet de poursuivre ensemble la création et la fondation du monde humain. Autrement dit, l’activité créatrice de l’architecte et la durée du bâti ancien pèsent d’un poids égal dans la refondation permanente des institutions dans l’espace.

68


La première partie, en tant qu’état des lieux, a mis le doigt sur une brèche au sein des actions collectives menées dans la lutte contre le logement vacant : les architectes semblent être les grands absent·e·s, à l’échelle nationale comme à l’échelle locale. L’intervention et la place des architectes dans les grandes stratégies, outils et guides nationaux ne sont pas précisément abordées, ni même préconisées. Ils et elles ne sont pas non plus particulièrement sollicité·e·s par les collectivités et les propriétaires dans les projets locaux.

Pour Christian MOLEY, toutes ces initiatives mettent souvent de côté le fait qu’intervenir sur du bâti existant, c’est faire de l’architecture. Ce n’est pas qu’un simple geste technique dénué de toute sensibilité.

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

« La réhabilitation du parc existant est devenue l’un des volets majeurs de la politique du logement. Elle suscite un nombre croissant d’opérations, mais aussi leurs publications dans des revues, de même que des expériences, actions, réflexions et bilans, en particulier au PUCA dans le cadre du programme REHA, à l’Union Sociale pour l’habitat, à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), dans des Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’Environnement (CAUE) ou au Ministère de la Culture et de la Communication. Des évaluations, des réalisations ainsi que des réactions et débats qu’elles suscitent, il ressort que, en majorité, les conceptions actuelles de la réhabilitation sont essentiellement envisagées sous un angle technique, également économique et social, mais qu’elles en appellent rarement à des objectifs et critères de qualités architecturales, comme si ces dernières n’avaient pas leur place dans de telles opérations ou n’avaient pu ni su la trouver. Cette absence pourrait ne poser aucun problème, à condition d’admettre que les interventions sur le bâti ne relèvent pas du domaine de l’architecture. »1

69

Cette partie participera à démontrer que la réhabilitation du parc existant peut finalement en appeler « à des objectifs et critères de qualités architecturales ». Mais toujours selon l’auteur, « nombre de réhabilitations interpellent au vu de leurs résultats, par des défauts ou carences qui traduisent bien un manque d’architecture »2. Il semblerait donc que seuls certains savoir-faire, dans la conception comme dans la mise en œuvre, ne puissent garantir une qualité architecturale et spatiale à la suite d’opérations de réhabilitation, fréquemment laissées aux mains de non-spécialistes. Pourtant, les habitant·e·s sont souvent les mieux à même pour redonner sens et s’approprier l’espace. N’y a-t-il pas là un travail de collaboration à mener pour sortir du schéma dichotomique d’une architecture de réhabilitation et de soin de l’existant réservée aux Monuments Historiques et d’une architecture du quotidien mal-façonnée par des habitant·e·s et autres intervenant·e·s non-spécialistes ? S’agit-il de dialoguer autour d’une autre façon de faire de l’architecture – la réarchitecture ? Nous tenterons d’y répondre dans cette partie, en cherchant à comprendre quelle valeur nous accordons aujourd’hui au parc existant, quelles opérations sont menées, et comment la réhabilitation peut être un geste architectural vecteur de qualité pour l’espace et ses habitant·e·s.

1

MOLEY Christian. op. cit. p. 7

2

Ibid.


1.

PATRIMOINE ORDINAIRE, PATRIMOINE EXTRA-ORDINAIRE

La valeur que nous accordons aux logements inhabités semble être le reflet de celle que nous accordons au parc existant dans sa globalité, aux architectures et patrimoines du quotidien, et de la façon dont nous les définissons. L’inconscient collectif semble aussi avoir été conditionné par une définition assez restreinte du patrimoine. Cette sous-partie fait l’objet d’une tentative de définition plus ouverte, qui redonne de la valeur à l’ensemble du parc existant et comprendre sous quelle forme il peut être une véritable ressource.

Définir le patrimoine

Selon les définitions données par le CNRTL, la notion de patrimoine se définit par l’« ensemble des biens hérités des ascendants ou réunis et conservés pour être transmis aux descendants » ou bien comme « ce qui est transmis à une personne, une collectivité, par les ancêtres, les générations précédentes, et qui est considéré comme un héritage commun ».

Cette définition considère tout bien hérité comme composante du patrimoine. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, le patrimoine est souvent lié à l’exceptionnel, au monumental. Lorsque la notion de patrimoine est abordée, le cas des bâtiments et sites remarquables, des monuments, se place au centre des échanges. Les mesures de protection qui sont prises à leur égard les institutionnalisent et renforce cette valeur patrimoniale de l’extra-ordinaire qui s’est formée collectivement autour de ces édifices, sacralisés par les conventions. Ils forment désormais « un répertoire d’objets singuliers et autonomes auxquels s’appliquent les outils de protection, d’entretien, de conservation et de restauration »3 et s’approprient malgré eux le terme de patrimoine. Cette approche dominante divise ces œuvres symboliques du reste du patrimoine bâti. La définition du patrimoine semble être confondue avec la définition du monument :

Pour vérifier cette hypothèse, questionner des proches exerçant des professions toutes aussi éloignées des domaines de l’architecture et de la construction et ne portant pas d’intérêt approfondi pour les questions de patrimoine, semblait être une méthodologie représentative. À la question suivante : « si je vous demande ce que représente pour vous le patrimoine, que me répondez-vous ? », les réponses étaient unanimes : - « Pour moi, le patrimoine c’est tous les monuments/sites d’une ville. J’aurai même mis les musées dedans, par exemple. », Clémentine, 24 ans, orthophoniste - « Le patrimoine au sens étatique donc soit historique (monuments, œuvres..) soit dans les traditions (l’état d’esprit à la française ou encore fêter Noël, c’est dans notre patrimoine) », Alexandra, 24 ans, élève avocate - « Je dirais les monuments comme Notre-Dame, les châteaux, les ponts, parce-que c’est ce qui correspond à tes études. Et je dirais aussi que le patrimoine, c’est ce qui représente l’histoire du pays, comme la langue (le provençal, par exemple) », Vanessa, 35 ans

3

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Selon les définitions données par le CNRTL, la notion de monument se définit par un « ouvrage d'architecture ou de sculpture édifié pour transmettre à la postérité le souvenir d'une personne ou d'un événement. Consacrer, dresser, édifier, ériger un monument à la gloire de qqn; inaugurer, restaurer un monument » ou « édifice imposant par sa taille et remarquable par son intérêt historique ou esthétique, par sa valeur religieuse ou symbolique. Monument mégalithique ; les monuments de la Grèce antique; visiter les monuments d'une ville. »

FISHER Alex et al. « Vers une politique active du patrimoine bâti ». Les cahiers nouveaux, n°81. Mars 2012. p. 19

70


- « Un peu quelque chose d’exceptionnel. Tous les monuments historiques, en fait. Ceux qui sont classés, car si ce n’est pas classé, ce n’est pas Historique, non ? », Véronique, 59 ans, infirmière Puis à la question « est-ce que le centre-ville de Draguignan vous évoque une dimension patrimoniale ? » : - « Pour moi non, parce que je ne trouve pas que ça soit la ville la plus provençale. Un village provençal, j’aurai plus tendance à dire que oui c’est du patrimoine. », Alexandra, 24 ans, élève avocate - « Non, pas du tout. Bien que je me rappelle que Jean-Marc avait dit qu’il ne pouvait pas changer les volets du Centre Hermès. Donc c’est bien que c’est du patrimoine ou au moins un truc classé. », Vanessa, 35 ans - « Ah non, pour moi le centre ancien de Draguignan ça ne correspond pas à un site patrimonial. », Véronique, 59 ans, infirmière Après quelques explications et l’exposition du point de vue selon lequel les patrimoines seraient plutôt au pluriel, comme un « héritage commun » qui regroupe tous les biens matériels et immatériels relatifs à un lieu, une culture, une histoire, du plus ordinaire au plus exceptionnel : - « Maintenant que tu me dis tout ça, je comprends complètement. J’assimilais déjà ça à la région, au sud, mais j’avais du mal à complètement le voir comme patrimoine sans que tu ne le mettes en avant. Je suis convaincue que c’est vraiment en bougeant ailleurs qu’on se rend compte que c’est pas partout pareil et donc différent. », Alexandra, 24 ans, élève avocate - « C’est vrai que, par exemple, à l’école ou dans les livres, on nous parle toujours des monuments : quand on parle de New York, c’est la statue de la Liberté, à Paris, c’est la Tour Eiffel. », Vanessa, 35 ans - « Effectivement, ça peut, comme tu l’expliques plus haut. Mais à première vue, je n’aurais jamais dit ça. », Véronique, 59 ans, infirmière

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Ces témoignages, bien qu’anecdotiques, reflètent de façon particulièrement évidente la manière dont l’imaginaire collectif s’est formé autour de la notion de patrimoine, séparant distinctement l’héritage du quotidien et celui de l’exceptionnel. Mais comme le dit Françoise CHOAY, dans une publication de l’Académie d’Architecture en 20044, les Monuments Historiques (MH) ne sont finalement qu’une sous-catégorie du patrimoine, qui a "contaminé" le terme même de "patrimoine". Pour certain·e·s, « le patrimoine s’écrit au pluriel »5. Il s’agit donc bien d’un héritage commun, qui concerne une grande diversité d’éléments matériels et immatériels. Ainsi, pour éclaircir le propos, nous emprunterons à Françoise CHOAY les notions de patrimoine extra-ordinaire, pour définir les monuments, et de patrimoine ordinaire, pour définir l’ensemble du patrimoine bâti6. Et c’est bien ce dernier qui nous intéresse.

« Car, à côté des Monuments Historiques identifiés dès le XIXe siècle comme une sélection limitée d’œuvres exceptionnelles qui ont vocation à être conservées, est née peu à peu, par étapes successives, la notion de « patrimoine », bâti ou immatériel, urbain ou rural, minéral ou végétal, naturel ou non, qualifiant tout ce qui est ancien et transmis, sans avoir la même « vocation à l’éternité », ni à la « préservation absolue ». Sa présence dans le paysage contemporain est forte, étendue, certains diraient même étouffante, n’hésitant pas à le condamner comme un danger potentiel, un frein à la modernité, au dynamisme, au développement de la société… Et il a apparaît alors urgent de faire le point sur la question. »7, Benjamin MOUTON, Architecte en Chef des MH et professeur émérite de l’École de Chaillot

CHOAY Françoise, LOYER François et MOUTON Benjamin. « Patrimoine en enjeu de société : idées fausses et nouvelles réflexions ». Académie d’Architecture. Juin 2004. p. 17 4

5

CHOAY Françoise. « De la démolition » (publié en 1996). Dans Pour une anthropologie de l'espace. Collection La couleur des idées. Paris : Seuil. 2006. p. 295 7

71

MESTRES Jean-Michel. « Revitaliser ». La Revue Urbanisme, H.S. n°69. Septembre 2019. p. 7

6

CHOAY Françoise, LOYER François et MOUTON Benjamin. op. cit. p. 1


Prendre soin du patrimoine ordinaire à l’ombre du patrimoine extra-ordinaire Cette image de « frein à la modernité, au dynamisme, au développement de la société » qu’évoque Benjamin MOUTON, semble être une des raisons pour laquelle le patrimoine ordinaire est parfois malmené. Plus qu’un frein ou une contrainte, ce patrimoine peut finalement s’avérer être un catalyseur de projets au profit de « la modernité, au dynamisme, au développement de la société ». C’est ce que nous allons tacher de démontrer dans la suite de cette partie. Avant cela, pour comprendre cette confusion qui met à mal le potentiel du patrimoine ordinaire, il semble intéressant de retracer l’historique de la notion même de patrimoine en France. Aujourd’hui. Depuis la seconde moitié du XXe siècle et de façon plus marquée depuis les années 2000, la protection du patrimoine s’élargit à des types d’éléments de plus en plus variés, y compris à l’architecture domestique, ancienne, moderne ou contemporaine. Plus récemment, en 2016, la loi LCAP (Liberté de la Création, à l’Architecture et au Patrimoine) met en place l’appellation « Sites patrimoniaux remarquables » regroupant 844 zones d’intérêt patrimonial8, qui s’ajoutent à près de 7000 sites inscrits et classés, naturels ou urbains. La loi étend la patrimonialisation à des sites entiers, dont certains centres anciens, relatant la dimension d’intérêt général. Ils sont suivis, au même titre que les abords des Monuments Historiques, par les 120 Architectes des Bâtiments de France ; ce qui implique une attention particulière qui doit être apportée au patrimoine ordinaire du site et qui peut être perçue comme une contrainte. La politique de patrimonialisation donne des discours finalement assez contradictoires sur ce type de patrimoine dont on veut à la fois préserver les qualités patrimoniales intrinsèques et en rénover des éléments pour assurer une qualité d’habiter. L’ouvrage Rénovation, plus de 30 millions de logements9 donne l’exemple des grands ensembles. Deux discours s’opposent face à la patrimonialisation des grands ensembles et leur rénovation, essentielle pour répondre aux standards de confort contemporains de l’habitat. L’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) défend un effort de rénovation indispensable au prix de destructions potentielles de certains bâtiments, alors que le Ministère de la Culture, en charge du patrimoine, défend l’incontestable qualité patrimoniale de l’habitat des 30 Glorieuses en faisant parfois fi du contexte local et des attentes des habitant·e·s.

L’exemple du « Serpentin de Pantin », grand ensemble de logements sociaux de la Cité des Courtillières à Pantin en Seine-Saint-Denis (93), a justement été l’objet de ces discours contradictoires. 8

L’appellation a notamment regroupés les secteurs sauvegardés, les ZPPAUP et les AVAP, puis élargit d’autres secteurs.

9

ADEME et d’ORSO Fabrice (dir.). Rénovation, plus de 30 millions de logements. Levallois-Perret : Éditions PC. 2019

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

1790. Pour la première fois, en 1790, la notion de « Patrimoine commun de la Nation » apparaît à la confiscation des Biens Nationaux lors de la Révolution Française. Il y a là le rapport à la patrie et à ses biens communs. Néanmoins, ces biens sont ceux qui ont le plus compté pour l’Histoire de la Nation, il s’agit donc principalement d’églises inscrites dans la culture française, qui sont, par leur vocation, des architectures remarquables. Le patrimoine est donc essentiellement une transmission ecclésiastique. 1913. Le 31 décembre 1913 paraît la Loi de protection des Monuments Historiques. Ce sont des éléments bâtis qui présentent un intérêt public du point de vue de l’art ou de l’histoire, sur les propriétés privées comme sur les propriétés publiques. Cette loi donne notamment la possibilité de classer l’édifice contre l’avis du propriétaire et de protéger autre chose que des églises. C’est la première loi qui considère le patrimoine non plus comme une succession d’églises, mais comme des monuments à protéger, qui méritent une certaine attention. 1920-1930. Le véritable rôle de protection et la conceptualisation du « patrimoine » n’arrivent finalement qu’à partir des années 1920-1930. Survenue en opposition au mouvement moderne –qui prônait la table rase du passé comme processus de projet–, la notion de « patrimoine » imposait un respect et une protection des éléments bâtis qui traduisait de façon forte la prise en compte des dimensions historiques ou architecturales d’un lieu, d’un édifice. Il s’agissait donc d’un geste politique qui allait à l’encontre de la tabula rasa.

72


fig. 28 : vue aérienne de la Cité des Courtillières en 1964 © Archives municipales de Pantin Conçu à la fin des années 50 par Émile AILLAUD, célèbre architecte de l’habitat social des Trente Glorieuses, le Serpentin est une barre qui ondule sur plus d’un kilomètre de long (fig. 28). Au début des années 2000, la ville de Pantin, soucieuse de changer le visage d’un quartier dégradé et à la dérive depuis de nombreuses années, souhaite la réhabilitation du Serpentin. L’agence d’architecture RVA (Dominique RENAUD et Philippe VIGNAUD) entame un projet de réhabilitation lourde sur 13 ans qui vise principalement à isoler les façades par l’extérieur, agrandir les surfaces des logements et les restructurer, ainsi qu’à améliorer l’insertion urbaine en créant plus de lien à la ville. Ce projet de réhabilitation lourde, assurant en premier lieu une meilleure qualité de vie aux habitant·e·s, implique deux grosses transformations de l’œuvre originelle : la démolition de certains tronçons pour assurer des passages intermédiaires et la transformation de la façade, désormais recouverte d’une mosaïque pixellisée de 32 millions de carreaux de pâte de verre colorés (fig. 29). Le Ser-

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

pentin, œuvre labellisée « Patrimoine du XXe siècle » et témoin d’une époque, ne reste pas indifférent aux yeux du Ministère de la Culture, qui gèle le projet de réhabilitation, accusant les démolitions prévues de casser la continuité (fig. 30) et la rénovation de la façade (fig. 29) de dénaturer l’œuvre phare d’Émile AILLAUD. Des compromis ont finalement été trouvés pour mener à bien le projet, livré en 2016. Cet exemple illustre comment notion de patrimoine (labellisée, elle devient ici patrimoine extra-ordinaire) et qualité de l’habiter peuvent s’entrechoquer et difficilement s’accorder.

fig. 29 : élévation du projet de façade du Serpentin © agence RVA

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fig. 30 : vue aérienne 3D de la Cité des Courtillières en 2020 © Google Maps

Pour revenir à la terminologie de « patrimoine », dans son texte, Benjamin MOUTON confirme que la naissance de cette notion date du XVIIIe siècle, mais que la dimension politique nationale qui lui est associée est assez tardive et ne date finalement que du XIXe siècle10. Néanmoins, cette définition semble être très culturelle. Selon les pays, les politiques de protection changent radicalement et les différentes définitions floutent un peu plus la frontière entre patrimoine ordinaire et patrimoine extra-ordinaire. En 2019, en France, 45 555 600 édifices étaient protégés au titre des Monuments Historiques, selon la base Mérimée. À titre de comparaison, dans d’autres pays11 : - en Espagne : 13 405 édifices protégés - en Italie : 146 025 édifices protégés - en Royaume-Uni : 376 099 édifices protégés - en Allemagne : 1,3 million d’édifices protégés

Dans cette même publication, François LOYER, chercheur en histoire de l’architecture, écrit que « derrière la crise de l’architecture comme valeur partagée, il y a quelques raisons d’espérer que le patrimoine sera l’élément porteur d’un projet collectif »12. Le patrimoine est donc un véritable enjeu, non pas seulement réservé à une certaine élite culturelle, mais bien à l’ensemble de la société, en tant que « projet collectif ». Cette notion d’enjeu de société revient aussi à dire que les patrimoines, au pluriel, constituent bien une véritable ressource qui participe à la construction de notre société ; et qui plus est, une ressource en faveur

10

CHOAY Françoise, LOYER François et MOUTON Benjamin. op. cit. p. 1

chiffres issus du cours de COUTURIER Bastien (docteur en architecture sur processus de patrimonialisation). Le patrimoine de demain. Lyon : ENSAL. 22/10/2016 11

12

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Il y a donc bien une dimension culturelle dans cette définition du patrimoine à protéger et, comparativement, la France semble être encore assez sélective quant aux mesures de protection. Institutionnalisée et sélective, cette sélection participe à la construction collective d’un imaginaire patrimonial « d’élite » constitué de « monuments », qui fait de l’ombre au patrimoine ordinaire.

CHOAY Françoise, LOYER François et MOUTON Benjamin. op. cit. p. 8

74


« Le fait de considérer les potentialités i n e x p r i m é e s d u d é j à - l à o u v re u n e perspective, par laquelle l’ensemble des écosystèmes urbains devient un patrimoine global, à respecter et à déployer, support précieux de développement soutenable », François BOUVARD dans Ressources Urbaines Latentes

d’une logique durable, comme « un support précieux de développement soutenable ».13 Dans son numéro spécial dédié à la revitalisation des cœurs de ville, La revue Urbanisme tente de démontrer que les patrimoines locaux participent activement à la revitalisation de leurs territoires : « à Saint-Denis, il intègre les savoir-faire ; à Nantes, il s’appuie sur la création contemporaine ; à Elbeuf, il passe par la transformation d’anciennes manufactures en logements et lieux de vie, et à Saint-Laurent-du-Maroni, par la mutation de l’ancien bagne en lieu de création culturelle. »14

La valeur immatérielle du patrimoine ordinaire Ce manque de considération et les lacunes qui se sont perpétuées dans le temps ont donc profondément dévalorisé le patrimoine ordinaire. Or, le bâti existant, quel qu’il soit, possède en lui différentes valeurs qui dépassent les conventions patrimoniales souvent liées à l’histoire, au monumental, à la technique, etc. Denys LÉGER, architecte DPLG, chef de l’agence Archigroup et auteur d’un certain nombre de projets de réhabilitation15, évoque trois valeurs fondamentales16 intrinsèque à toute construction : · une valeur économique : ces bâtiments, souvent situés dans les centres des villes, qui sont des emplacements privilégiés pour une diversité de raisons

· une valeur environnementale : l’énergie qui a été nécessaire à leur construction reste stockée tant que le bâtiment subsiste

· une valeur symbolique : l’espace et le bâti sont représentatifs d’une époque et d’une histoire qui disparaissent s’ils sont démolis

De façon plus théorique et globale, Mathias GERVAIS DE LAFOND, architecte, professeur à l’ENSAL et fondateur de Particules Élémentaires –collectif qui interroge la notion de valeur en architecture– défend l’idée que l’architecture est faite de deux composantes, que sont la valeur matérielle et la valeur immatérielle :

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

· la valeur matérielle se définit principalement sur la valeur économique et la valeur environnementale, que cite Denys LÉGER, mais aussi sur la valeur technique ou encore la valeur formelle. Ce sont des valeurs généralement quantifiables.

75

· la valeur immatérielle de l’architecture se définit sur multitude de critères non-palpables : valeur historique, valeur théorique, valeur d’ancienneté, valeur de rareté, valeur esthétique, valeur identitaire, valeur symbolique, valeur contextuelle, valeur scientifique et valeur d’usage17. Ce sont, par la suite, ces critères qui vont constituer la valeur patrimoniale d’un bâtiment, et donc le patrimoine.

En résumé, la valeur d’une architecture ne dépend pas uniquement de critères objectifs, mais aussi, et surtout, de données sensibles, propres à chacun·e.

« Le patrimoine n’a pas une réalité objective, il n’a que la signification que nous lui donnons, le sens n’appartient pas à l’objet, c’est nous qui le reconstruisons en permanence. », François LOYER, cité par Benjamin MOUTON18

13

BOUVARD François, Postface, dans D’ARIENZA Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al. op. cit. p. 405

14

MESTRES Jean-Michel. « Revitaliser ». La Revue Urbanisme, H.S. n°69. Septembre 2019. p. 7

Les ambitions de l’agence Archigroup et leurs projets sont relativement éloignés de notre sujet d'étude. Néanmoins, sur l’aspect théorique, ces trois valeurs semblent être communes à tout type de vision, projet et parti-pris architecturaux 15

16

LÉGER Denys. « La ré-architecture, une autre vision de la réhabilitation ». Archistorm, n°80. Septembre 2016. pp. 10-11

17

texte de présentation de Particules Élémentaires. En ligne : https://www.particules-elementaires.com

18

CHOAY Françoise, LOYER François et MOUTON Benjamin. op. cit. p. 2


Pour les auteurs de Particules Élémentaires, il s’agit donc de « faire patrimoine », au-delà de « construire de l’architecture ». La seule forme (valeur matérielle) ne peut suffire à l’architecture qui a besoin de fond (valeur immatérielle) pour exister dans le temps, être durable et « faire patrimoine ». Or, la principale distinction entre ces deux valeurs est que la première est quantifiable et la seconde ne l'est pas. Pour cette raison, le patrimoine ordinaire, principalement constitué d'architectures domestiques, a donc du mal à faire signifier sa valeur au grand public, même si celle-ci repose essentiellement sur son caractère immatériel.

« La pérennité d’une bâtiment n’est pas liée à sa raison d’être physique, ni fonctionnelle, mais à la valeur qu’on lui attribut, à sa valeur immatérielle. », Mathias GERVAIS DE LAFOND

La valeur symbolique liée à l'usage La valeur symbolique et la valeur d’usage sont deux composantes de la valeur immatérielle d’un espace bâti et semblent intimement liées. Comme pour le reste, les critères subjectifs qui les définissent les rendent difficilement quantifiables. Elles deviennent entièrement dépendantes de leurs usagers ou de leurs responsables. Par exemple, nous protégeons au titre des Monuments Historiques certains bâtiments sans qualités architecturales matérielles remarquables, sur l’argument de la valeur symbolique et/ou historique. Prenons l’exemple de l'immeuble au 14, rue Jean-Jacques Rousseau à Grenoble, inscrit aux Monuments Historiques, car l’écrivain Stendhal est né dans un des appartements19. Sur ce constat, nous pouvons imaginer qu’il est alors possible d’utiliser cet argument de la valeur symbolique pour tout lieu vécu et marqué par une histoire qui est propre à ses habitant·e·s, à ses usagers. C’est finalement une valeur liée à l’usage, qui participe aussi à définir le patrimoine de chacun·e. L’espace habité devient par définition le patrimoine de son habitant·e. À l’inverse, dès lors qu’un espace perd son usager, il perd son usage et devient un « objet sans maître », pour citer François LOYER. Pour faire de nouveau patrimoine, il doit être récupéré par un « défenseur », qui va lui redonner un usage fonctionnel ou symbolique. Le « défenseur » est un rôle indispensable pour assurer la pérennité d’un espace bâti. Plus que le rôle que remplit l'État lorsqu’il labellise, inscrit ou classe, le rôle du « défenseur » en assure l’usage et la continuité de l’histoire. En pratique, ce rôle peut-être incarné par une commune, soucieuse de revaloriser (c’est-à-dire de redonner de la valeur) à un espace sur le territoire qu’elle pratique. Nous pouvons nous demander si, à l’inverse, les activités purement économiques, comme certaines actions de promotion immobilière, désincarnent ce rôle ou l’entretiennent avec bien plus de distance, par la valorisation marchande. Pour les auteurs de Particules Élémentaires, « si l’architecture est construite dans une simple perspective de transaction marchande, sa potentielle valeur patrimoniale, n’est généralement pas interrogée, au bénéfice d'une rentabilité plus immédiate. Le potentiel d’une architecture dépasse considérablement le simple accomplissement d’un moment présent. »20

19

fiche de l’édifice en ligne : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA38000010

GERVAIS DE LAFOND Mathias. « Quelle est la valeur du contemporain ?» [podcast]. Particules élémentaires [en ligne]. 1 juillet 2020. [Consulté le 1 juillet 2020] 20

ROLLOT Mathias. « L’architecture devient manifeste dans l’habitation. » Ressources urbaines latentes. Genève : MétisPresses. 2016. pp. 65-78 21

22

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

La valeur d’usage liée à la charge imaginaire Au-delà de l’usage, pour Mathias ROLLOT –architecte, docteur en architecture, spécialiste de l’habitabilité et co-auteur de Ressources Urbaines Latentes– l’espace, dès lors qu'il est habité par un usager, comporte une charge imaginaire estimable21. C’est ce qui différencie une construction d’une architecture. La construction est une architecture latente. Elle ne « C’est l’habitation humaine qui devient architecture que lorsqu’elle « héberge et accompagne l’habitatransforme les espaces en lieux tion humaine »22 et devient alors manifeste (en opposition au latent). et les matières assemblées en L’article de l’auteur consiste essentiellement à démontrer que « la architectures, donne forme à la considération des liens entre architecture et latence [se fait] par l’enmatière et sens au bâti. », trée de l’habitation humaine ». Ce passage d’un état à l’autre se situe Mathias ROLLOT temporellement après la livraison – au moment où l’espace est enfin habité – et non après la construction.

Ibid. p. 66

76


Cette notion de charge imaginaire est d’abord théorisée par le socio-anthropologue Pierre SANSOT23 pour parler de l’articulation de l’homme avec son milieu. Elle est reprise par Mathias ROLLOT pour être discutée à l’échelle de l’espace habité, de l’architecture. En ce sens, elle définit une sorte de sacralisation d’un espace renvoyée par une habitation humaine antérieure : la charge habitationnelle. Les espaces qui ont hébergé l’habitation humaine sont emplis d’une charge imaginaire, car ils incarnent des histoires et ont recueilli les traces du passage humain et des fonctions réalisées par les habitants. De fait, même les espaces les plus décriés possèdent en eux une valeur sociologique forte qui les rend uniques, qui les valorise. En ce sens, Mathias ROLLOT démontre que l’opposition du couple de notions allographie/autographie ne peut être défendue. Un espace, une architecture est dite allographique lorsqu’elle peut être reproductible et autographique lorsqu’elle est unique et propre à son contexte. Dans l’imaginaire collectif, les habitats en série, comme l’habitat en HLM ou en pavillons, sont des formes allographiques et ne méritent pas l’intérêt que l’on porte aux formes autographiques, comme une cathédrale ou même une cabane fabriquée à la main. Pourtant, cette notion de charge imaginaire rend difficilement acceptable le fait de « reproduire des plans, déconstruire des habitats et déplacer les populations de ces habitats sans autre forme de procès, sous prétexte uniquement qu’il s’agit là d’architectures "allographiques" sans aucune forme de préciosité propre »24. L’article montre que la notion de forme allographique n’existe donc jamais en réalité. L’habitation humaine transforme tout espace en un lieu irremplaçable et authentique. La charge habitationnelle emplit l’espace lorsqu’il est habité, puis la charge imaginaire emplit l’espace lorsqu’il est quitté.

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Par ailleurs, l’auteur illustre son propos par le dialogue d’ancien·ne·s habitant·e·s de la barre de logements Debussy à la cité des 4000 de la Courneuve (93), détruite à la dynamite le 18 février 198625. Une première femme est interviewée pour le jourUne seconde femme est interviewée : nal télévisé. - Alors, vous regrettez la barre Debussy ? - C’est quelque chose qui s’en va de moi, quoi. - [une deuxième femme, plus âgée] Je la regrette, - Vous auriez préféré la garder ? d’ailleurs, j’ai pleuré quand c’est tombé, quoi… - [une jeune femme interviewée] Ben ouais, quand même, j’ai passé toute ma jeunesse là-dedans…

fig. 31 : destruction de la Cité des 4000 © INA

fig. 32 : interview d’une habitante de la Cité des 4000 © INA

23

SANSOT Pierre. Poétique de la ville. Paris : Petite Bibliothèque Payot. 2004

24

ROLLOT Mathias. op. cit. p. 68

Disponible dans les archives de l’INA : https://www.ina.fr/video/PAC00027506/la-courneuve-implosion-de-la-barredebussy-a-la-cite-des-4000-video.html 25

77


L’auteur conclut cette analyse en affirmant que « c’est une évidence : même les HLM ont, une fois habités, une foi d’unicité et un caractère irremplaçable - soit donc très probablement, une forme d’authenticité. »26. Être habitant et habiter un espace, c’est lui donner de la valeur qui lui restera intrinsèque, c’est le rendre authentique. « Habiter, c’est transformer l’espace en lieu, c’est ouvrir le logement, la maison (house) en cet ensemble indescriptible appelé habitat, milieu chez-soi (home). »27. Dans le cas de notre étude, l’argument qui défend la destruction d’un logement sous prétexte qu’il soit vide et allographique ne peut tenir. La charge imaginaire l’emplit d’une valeur à considérer dans les choix politiques ou privés qui vont déterminer son avenir. En ce sens, le patrimoine ordinaire aussi peut être sacré.

26

ROLLOT Mathias. op. cit. p. 69

27

Ibid. p. 73

FALOCI Pierre-Louis. Histoire sourde du lieu. Leçon inaugurale de l’École de Chaillot prononcée le 20 novembre 2006. Paris : Cité de l'architecture & du patrimoine. 2008 28

29

BOTTA Mario. Éthique du bâti. Collection Eupalinos. Marseille : Éditions Parenthèses. 2005

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

La valeur mémorielle du lieu et la démolition Le genius loci (esprit du lieu) est un élément fondateur de la conception architecturale, selon lequel chaque lieu est distinctif, par son histoire, son usage, son lien à l’environnement. Cette notion peut paraître évidente, car un projet débute toujours par une lecture de son contexte, mais elle l’est en réalité sur des degrés différents selon les concepteur·trice·s. Certain·e·s architectes de renommée promeuvent, plus que d’autres, l’idée que tout lieu, par sa mémoire, a de la valeur. Pierre-Louis FALOCI, architecte-urbaniste français, enseignant à l’ENSA-Paris Belleville et auteur d’un certain nombre d’œuvres architecturales de mémoire, parle d’histoire sourde du lieu28, qui sera réactivée avec l’arrivée d’un projet. L’architecte et enseignant suisse, Mario BOTTA, affirme que les solutions sont déjà inscrites dans le site lui-même29 et travaille intimement avec la mémoire du lieu. Cette valeur mémorielle fait constamment face à un acte fort qui existe depuis toujours, celui de la démolition. Pensé sous ce prisme, l’acte de démolir pose question. En effet, au sein d’un espace habité, la notion de charge imaginaire appelle au devoir de mémoire. Mais qu’en est-il du devoir de conservation ? La question de la démolition se heurte alors cette idée. Elle a d’ailleurs toujours eu sa place dans les débats publics. En 1832, Victor Hugo faisait déjà la « guerre aux démolisseurs » dans le pamphlet du même nom. Dans son article traitant de la démolition30, Françoise CHOAY rappelle que Freud, dans Malaise dans la civilisation (1929), décrivait la mémoire de l’être humain comme le fondement de l’identité personnelle, puisque « rien dans la vie psychique ne peut se perdre […], tout est conservé d’une façon quelconque ». Mais sur ce postulat, toujours selon Freud, l’analogie à la ville semble plus complexe, car « le développement le plus paisible de toute ville implique des démolitions et des remplacements de bâtisse : une ville est donc a priori impropre à toute comparaison semblable avec un organisme psychique ». Dans la suite de l’article, Françoise CHOAY fait état du couple conservation/démolition et nous aide à nuancer l’opposition qui existe entre ces deux éléments. Elle y relate l’évolution de l’acte de démolition dans l’histoire et en conclut que ce qui était autrefois « une nécessité historique » pour la constitution des sociétés est aujourd’hui une destruction accélérée du patrimoine au nom de l’unique principe de modernisation. L’acte de la démolition est devenu un acte banalisé. Les pratiques industrielles ont accéléré le rythme du processus destruction/construction, depuis les années 1930 au cours desquelles « faire place nette ou encore nappe blanche [était défendu] pour cause d’incompatibilité de l’ancien et du nouveau ». L’auteure accuse le « dogme de l’ordre radicalement neuf » tel qu'il est inculqué dans les écoles d’architecture, la presse et l’administration. De fait, elle est relativement critique au sujet des raisons qui ont poussé à la démolition généralisée (dysfonctionnement, inadaptation, gêne, inconfort, inutilité, vétusté) et qui prennent le nom marketing de « modernisation ». Elle l’est tout autant au regard de la « conservation intégrale du patrimoine bâti, qui n’a jamais eu d’existence historique », qui est parfois systématique, sans teneur de fond et freine la continuité de la vie d’un édifice, d’un lieu de vie ou d’un territoire. Cette dichotomie laisse parfois peu de place à un entre-deux. Celui-ci n’est possible qu’à la condition d’une preuve d’innovation et de savoir-faire des maîtres d’œuvre. En 1465, ALBERTI définissait déjà la démolition comme « un crime » qui n’existe qu’à

CHOAY Françoise. « De la démolition » (publié en 1996). Dans Pour une anthropologie de l'espace. Collection La couleur des idées. Paris : Seuil. 2006. pp. 294-307 30

78


02. un patrimoine ordinaire à valoriser

cause des mauvais·e·s architectes31. Seules deux raisons justifieraient une démolition : les malfaçons irrémédiables et le manque d’espace. En revanche, l’économie, le « respect humain dû à l’œuvre des générations précédentes » et la « nécessité d’inscrire dans la durée les édifices qui contribuent à fonder l’identité et la légitimité de nos institutions »32 suffisent à justifier la conservation, sous la condition essentielle que l’innovation puisse en garantir la juste continuité. Toujours dans le même article, l’auteure partage l’idée de John RUSKIN, selon laquelle la création architecturale ne peut être qu’une création « contemporaine » qui assure, dans le même « La raison inavouée des démolitions temps, le « relais mémorial » du lieu. En d’autres termes, la courantes est l’incompétence des construction d’un édifice n’est jamais terminée et il nous faut aparchitectes qui ne savent bâtir si prendre à concevoir de façon innovante et propre au contexte auparavant, tout ce qui occupait le pour le continuer. site n’a pas été éliminé. », ALBERTI

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31

ALBERTI Leon Battista. De re aedificatoria. livre III. Milan : Editions Orlandi. 1966. p. 175

32

CHOAY Françoise. « De la démolition » op. cit.


2.

LA RÉHABILITATION COMME ACTE DE CRÉATION

Cette distinction qui ne cesse donc d’être faite entre patrimoine ordinaire et patrimoine extra-ordinaire, accompagnée par des mesures de protection parfois institutionnalisées et peu ancrées dans le réel, restreint nos capacités à imaginer que la réhabilitation puisse être un véritable acte de création, où les contraintes sont plutôt des ressources pour la conception, où l’espace sans usage est plutôt lieu où la continuité de l’histoire est à écrire et où les murs dégradés sont plutôt une nouvelle façade attractive pour le territoire. Cette sous-partie vise à question« Que l’on cesse enfin d’opposer ner les qualités spatiales possibles par ce processus et notre possibi« patrimoine » et « création » pour lité de ré-inventer les espaces existants en tant que concepteur·trine plus parler que d’architecture, ce·s. Mais pour cela, il s’agit d’abord de déconstruire l’image d’une d’urbanisme et de cadre de vie », architecture bridée et la figure de l’architecte désintéressé·e par Benjamin MOUTON dans Patrimoine l’existant. et enjeu de société

Rôle et responsabilité de l’architecte

R. D. : « Pour rebondir sur la place de l’architecte, ce que j’ai pu tiré comme hypothèse, c’est aussi que les architectes sont les grands absent·e·s de ces programmes. Pourquoi ? Ne sontils pas sollicités ? Sont-ils désintéressés ? Quelles sont les raisons de cette désertion ? » J.-L. C. : « Je ne comprends pas non plus. Ce que je peux dire, c’est que l’architecte à tendance à créer plus de liens avec sa production architecturale qu’avec sa capacité à inscrire son œuvre dans l’existant. Par exemple, les revues d’architecture montrent des formes architecturales singulières, qui se distinguent. Il est difficile pour un « artiste » de se tenir en retrait et avoir une expression retenue. » 33

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

La figure de l’architecte : une image biaisée Au cours d’une discussion avec des ami·e·s et après exposition des principes ci-dessus évoqués, l’un deux s’exprime en pensant avoir compris de quels enjeux il s’agissait : « en réalité, toi c’est plus de l’architecture d’intérieur que tu veux faire », Clément RISSE, ingénieur en bâtiment. Bien que très anecdotique, cette remarque semble être très symptomatique quant au rôle que la société attribue à l’architecte. L’architecte crée une nouvelle forme singulière, remarquable, quitte à être déconnectée de son environnement. S’il s’agit de repenser l’existant, d’en prendre soin, de l’améliorer, en toute discrétion, alors on ne parle pas d’architecture, mais peut-être d’architecture d’intérieur, parfois même de décoration. Cette remarque ouvre les yeux sur un enjeu qui ne s’applique non plus seulement aux architectes, mais bien à l’ensemble de la société, du moins en France : la figure de l’architecte-créateur qui, par définition, l’éloigne des enjeux de l’existant et l’inscription d’un projet dans un tissu ancien, à l’exception des territoires métropolisés dans lesquels la pression économique est telle que les enjeux sont différents. De fait, les architectes sont les grands absent·e·s des actions stratégiques de revitalisation des centres anciens des territoires non-métropolisés, puisque, pour eux·elles, comme pour les élu·e·s et les habitant·e·s, ils n’y ont pas leur place. Pour Denys LEGER, dans l’article cité précédemment, « devant une construction lambda datant de quelques décennies, notre ego n’a qu’une envie démolir pour reconstruire ! Il faut aller un peu plus loin. Un bâti existant peut être valorisé ou modernisé. Plutôt que de raser et de reconstruire, il est intéressant d’intervenir dans une logique d’optimisation des consommations futures, mais aussi de respect de ce qui a déjà été fait. Le patrimoine est précieux. »33 Le mot est fort, mais la notion d’ego en appelle à l’architecture du neuf, à l’œuvre créée de toutes pièces par la figure créatrice de l’architecte, face à une architecture de réhabilitation qui, au-delà de la modestie, reflète finalement une noble capacité d’adaptation et de compréhension fine des enjeux ultra-locaux (c’est-à-dire à l’échelle même d’un logement ou d’un immeuble). Un entretien mené avec Jean-Louis COUTAREL, architecte, enseignant-chercheur et spécialiste de la question des quartiers anciens des centres-bourgs, des villes petites et moyennes et de leur revitalisation, le confirmera :

LÉGER Denys.op. cit.

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De fait, dans une grande majorité des cas, et aussi pour des raisons financières, les propriétaires ne font pas appel à des architectes pour la réhabilitation de leur logement. Selon la loi LCAP*, au-delà de 150 m², le dépôt de permis de construire est nécessaire, le recours à l’architecte est donc obligatoire. Cependant, la surface des logements concernés, particulièrement en centres anciens, est rarement supérieure à 150 m² et le recours à l’architecte est considéré comme un luxe qui va coûter entre 8% et 16% plus cher34.

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Les responsabilités de l’architecte Le rôle de l’architecte est pourtant primordial pour permettre de mener les projets de réhabilitations lourdes à bien. Sa formation, ses compétences et son expérience permettent d’assurer différents rôles dans le projet : En tant que conseiller·ère. Pour améliorer le cadre de vie pendant les travaux, évaluer leur durée et conseiller le maître d’ouvrage sur des points techniques, comme les prix des artisans ou des entreprises de travaux. En tant que concepteur·trice. Pour concevoir des espaces adaptés aux besoins actuels des habitant·e·s, améliorer leur cadre de vie et proposer un projet en cohérence avec les enjeux patrimoniaux, énergétiques et environnementaux, faire appel à un architecte semble essentiel. Dans ce rôle, l’architecte doit faire une analyse juste du bâti, de ses qualités et de son potentiel. En principe, sa formation lui permet d’apprécier les qualités architecturales du bâti ancien pour l’adapter aux nouveaux besoins et le magnifier. Le recul sur les questions patrimoniales dont on bénéficie aujourd’hui permet de reconsidérer des architectures dévalorisées. Le but est alors d’assurer la continuité du bâti en lui donnant une nouvelle image, une nouvelle vie pour offrir un cadre de vie adapté aux habitant·e·s. Prenons exemple des grands ensembles des Trente Glorieuses qui font souvent débat pour des raisons esthétiques et fonctionnelles et du projet de transformation de 530 logements Grand Parc Bordeaux, mené à bien par Lacaton & Vassal architectes, Frédéric DUROT Architecture et Christophe HUTIN Architecture. Le projet est certes d’une ampleur tout autre que celle à laquelle nous nous intéressons ici. Néanmoins, il illustre ce que le travail de conception de l'architecte est capable de produire.

fig. 33 : façade du bâtiment H du Grand Parc avant intervention © Philippe Ruault 34

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Selon l’Ordre des Architectes

En tant que maître d’œuvre. Au-delà de la phase de conception, et dans les cas de projets de construction neuve, la présence de l’architecte est indispensable pour le bon déroulement de la phase de réalisation. Il n’en est pas moins dans le cas de travaux de réhabilitation, qui reste une intervention architecturale. Dans le cas d’une commande privée, le choix des artisans peut se montrer particulièrement important pour des raisons que nous avons déjà évoquées, comme les difficultés liées aux savoir-faire des entreprises. De manière générale, le suivi de chantier est évidemment une étape cruciale qui permet d’assurer un résultat à la hauteur des attentes des propriétaires ou du commanditaire. Il s’agit alors d’un véritable travail d’équipe pluridisciplinaire, entre le maître d’œuvre et les entreprises, pour répondre à des enjeux à chaque fois particuliers au contexte. Les compétences de l’architecte permettent également de trouver l’équilibre entre la qualité architecturale, les coûts et la technique. De plus, la problématique de la réhabilitation en site occupé pose une question supplémentaire à la gestion du chantier. C’est un facteur de plus à prendre en compte, ce qui rend le travail de maître d’œuvre une fois de plus primordial. « L’architecte a une capacité de percevoir les potentiels du réel », Nicola DELON du Collectif Encore heureux

fig. 34 :

façade du même bâtiment et ses jardins d’hiver après

intervention © Philippe Ruault


L’existant et le bâti ancien : atout ou contrainte ? Le dogme de la « créativité libérée » L’idée selon laquelle la créativité de conception ne peut être libérée que sur un terrain exempt de bâti existant est aujourd’hui encore largement répandue et participe sans doute à la banalisation de la démolition. Dans un autre article, Françoise CHOAY parle d’une « fausse légitimité » à rompre avec les contraintes imposées par le contexte bâti35, inculquée dès la formation. Pendant cette période, l’architecte apprend que, pour singulariser ses œuvres, il peut/doit « instaurer des commencements absolus » à chaque projet. Pourtant, le contexte bâti est la contrainte de base pour un projet, « qu’il s’agisse de grands monuments ou du tissu formé d’édifices mineurs » et ce principe n’est pas nouveau. Selon l’auteure, « Alberti condamne sans appel ceux qui ne respectent pas, lorsque c’est possible, l’œuvre et le cadre édifiés par leurs prédécesseurs » et ceux qui ne savent bâtir « si auparavant tout ce qui occupait le site n’a pas été éliminé »36. Il est par ailleurs repris par John RUSKIN et Adolf LOOS, tous deux également marqueurs de leur époque. Cette idée, qui prend donc parfois la forme du dogme, considère bel et bien l’existant, et qui plus est le bâti ancien, comme une véritable contrainte et un frein à la créativité de l’architecte. La contrainte comme ressource Dans ce cas, la contrainte semble freiner radicalement les possibilités du projet d’intervention sur l’existant. Ne s’agit-il pas d’une question d’habitude constructive ? De manière générale, transformer une habitude est une occasion de puiser dans la contrainte pour imaginer et faire surgir de nouvelles habitudes, plus vertueuses. C’est ce que les auteur·e·s de l’ouvrage collectif Ressource urbaines latentes défendent : « réduire de manière consistante l’empreinte écologique générale nous pousse à devoir imaginer un nouveau paradigme à travers lequel repenser en profondeur nos modes de construction et de transformation des milieux. »37 Ainsi, peut-on imaginer que la "contrainte" du bâti existant puisse être une façon de repenser le projet ? Qu’elle puisse être un véritable activateur de créativité dans lequel il faut aller puiser ? C’est ce que nous tâchons de démontrer et ce que Mathias GERVAIS DE LAFOND explique dans une contribution pour la Pavillon de l’Arsenal. « Le patrimoine est à la fois une culture et un outil pour fabriquer de l’architecture. Il est une matière où puiser. Il est un socle pour bâtir. Il est une mémoire vive et un but à atteindre. Pour un œil en quête de singularités, un site regorge toujours d’histoires, de géométries et d’orientations particulières. Ce sont des fragments offerts pour la conception ; ce sont des clés de compréhension du lieu. Valorisons une créativité issue de l’histoire des lieux. Notre connaissance des savoir-faire et des traditions démultiplie les capacités d’innovation. »38

« L’inadaptation [comme potentialité manifeste] révèle et stimule, permet de nouvelles entrées ; elle met en lumière les figures de "reliance" et les écarts entre des époques et des cultures ; réactualise la mémoire et l’imaginaire des usages, des pratiques et des coutumes. »39

35

CHOAY Françoise. « Enseignement et patrimoine : un enjeu de société» (publié en 1995). Dans op. cit. pp. 307-317

36

Ibid. p. 311

37

D’ARIENZA

Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al. op. cit. p. 11

CAMPEDEL Simon et GERVAIS DE LAFOND Mathias. « Faire patrimoine ». Contribution pour le forum Et demain, on fait quoi ? En ligne : https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/11691-faire-patrimoine.html 38

39

D’ARIENZA

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

C’est d’ailleurs tout l’enjeu du potentiel en latence. L’existant est bel et bien un atout, une ressource latente pour la conception, au profit de la créativité. À ce titre, les auteur·e·s de Ressources urbaines latentes définissent l’obsolescence comme un prisme pour la création : « dans l’indispensable réactualisation de nos habitudes de faire et de penser, la figure de l'obsolescence contient une potentialité de régénération à déployer » ; et la contrainte et l’inadaptation, comme une potentialité et une ressource pour le projet :

Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al. op. cit. p. 14

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Travailler avec le potentiel d’une ressource latente

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Des dispositifs conceptuels complexes. En ce sens, Antonella TUFANO, architecte-urbaniste et chercheuse au laboratoire Gerphau sur la relation milieu/projet, définie, dans son article au sein du même ouvrage, un nouveau modèle plus proche de celui de la nature. C’est un modèle qui se régénère en puisant dans ses propres ressources et dans lequel « la force du projet n’est plus dans l’apparence, mais dans le latent » et les acteur·trice·s doivent faire preuve d’une « capacité renouvelée à regarder le projet de la ville à partir du non visible ou du négligé »40. Il s’agit, entre autres, d'une remise en question de la culture architecturale basée, depuis des siècles, sur des théories et des esthétiques de l’architecture, applicables sur des formes singulières et remarquables. À l’inverse, cela rejoint davantage le principe selon lequel la ville s’apparente à un organisme ou un éco-système et dans lequel une évolution trop fortement influencée par l’activité humaine peut causer un déséquilibre. Ce potentiel régénérateur (à partir de ressources négligées, latentes) semble donc pouvoir se manifester dans un système urbain qui se rapproche davantage de l’acupuncture urbaine* que de la planification urbaine, en agissant sur des points particuliers à l’échelle architecturale pour revitaliser un ensemble. Ainsi, l’auteure considère le bâtiment comme un milieu dans le milieu, pour lequel il faut travailler chaque partie –aussi peu valorisée soit-elle– et considérer qu’il se trouve dans un milieu complexe, pour concevoir quelque chose en cohérence avec le territoire. Néanmoins, en tant qu’architecte spécialisée dans la récupération des centres historiques, elle confirme que cela n’est pas chose aisée, puisque « déceler ces potentialités requiert intelligence et méthode, en raison notamment de leur nature latente, imperceptible, enfouie. »41. C’est bien de cela dont il s’agit ici : explorer comment aller au-delà de ces « dispositifs conceptuels pour la fabrique du projet ».

83

La rencontre pour libérer les potentialités d'usages. Selon Mathias ROLLOT, pour travailler ces potentialités, il faut avant tout prendre conscience que « l’architecture construite n’est jamais terminée »42. Il existe une large palette de potentialités d’usages ou de programmes latents qui se manifestent sous l’impulsion d’une politique, d’une volonté ou de tout autre événement fécond au sein d’un espace habité. Telle ou telle autre architecture, forme, matière ou fonction « conditionne l’habitant en le guidant malgré tout dans une direction plutôt qu’une autre »43. Cette impulsion (ou énergie) donnée par le maître d'ouvrage, qu’il soit public ou privé, peut être influencée par l’architecte. En amont de l’aspect pratique et technique, il s’agit donc de diffuser une forme de pédagogie, qui pourrait mener vers une forme d’évolution plus soutenable des milieux habités. Il s’agit, pour l’auteur, de considérer la latence des choses bâties pour que cette forme d’influence nous invite à travailler sur d’autres formes, d’autres pratiques de l’architecture, et pour pouvoir donner à l’espace la capacité d'héberger le plus grand nombre de potentialités habitationnelles, dans le temps. Le dialogue entre le maître d’ouvrage, l’usager de l’espace et l’architecte peut être la première forme d’influence. L’auteur explique, par ailleurs, que ces potentialités ne peuvent être révélées que par des rencontres avec celles et ceux « La véritable ressource urbaine qui peuplent les lieux (avec les habitant·e·s, par exemple), puisque latente est avant tout l’habitation « comme toute latence, nos illustrations s’actualisent dans/par la humaine qui doit y prendre place. », rencontre ; seule l’architecture, parfois, semble avoir oublié qu’elle Mathias ROLLOT dans Ressources est bien peu de chose sans ce qui la peuple. »44 Il nous faut donc Urbaines Latentes apprendre à co-concevoir et co-construire pour accompagner l’habitation et non pas la programmer – c’est d’ailleurs, en partie, cette programmation (planification urbaine) qui a causé la dévitalisation des centres anciens et la dévalorisation de son habitat. Co-construction avec la maîtrise d'usage. Cette co-construction est donc un maillon indispensable pour travailler le potentiel d’une ressource en territoire habité. Elle redonne de la valeur également aux usagers,

40

TUFANO Antonella. « Les clés de la latence : dispositifs conceptuels pour la fabrique du projet. » dans Ibid. p. 147

41

Ibid.

42

ROLLOT Mathias. « L’architecture devient manifeste dans l’habitation. » dans Ibid. p. 71

43

Ibid. p. 72

44

Ibid. p. 74


qu’on qualifiera de maîtres d’usage, et qui participent à une véritable création collective. Le maître d’usage peut travailler sur le quoi – quel est l’élément ou la ressource qui doit être révélé pour améliorer le lieu, l’espace ? –, tandis que le maître d’œuvre peut travailler sur le comment – par quels moyens techniques peuton y arriver ?. Cette notion de maîtrise d’usage, d’abord développée par Michel GERMAIN45 dans le numérique, s’ajoute au binôme maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre pour inclure l’usager dans le projet. Elle se pérennise de plus en plus et fait d’ailleurs l’objet de recherches, d’actions et de pratiques récentes dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme. Jodelle ZETLAOUI-LÉGER, professeure à l’ENSA Paris-La Villette et docteure en urbanisme et aménagement de l’espace, travaille notamment sur ces questions d’inclusivité et de maîtrise d’usage en architecture. Par ailleurs, certains professionnels vont même plus loin dans la pratique en proposant des services d’assistance à la maîtrise d’usage. Le Réseau de l’Assistance à la Maîtrise d’Usage (AMU) participe d’ailleurs à la diffusion de ces idées dans des publications récentes46 et ambitionne, à terme, de donner un cadre juridique et professionnel autonome à l’AMU47. Le présence modeste de l’architecte. L’émergence de la maîtrise d’usage finalement rend compte du rôle relativement limité de l’architecte dans l’acte même de révéler des potentialités latentes. Pour Mathias ROLLOT, l’habitation humaine est autonome et échappe donc au pouvoir de l’architecte concepteur·trice. La mission de l’architecte s’arrête après la livraison, là où commence celle de l’architecture : l’habiter est hors du cadre « L’art d’habiter est une activité qui dépasse de la conception, du chantier et du cadre de compéla portée de l’architecte. […] L’architecte ne tence de l’architecture. L’architecte est là pour offrir des peut rien faire d’autre que construire. », possibles, favoriser l’appropriation et permettre l’imagiIvan ILLICH cité par Mathias ROLLOT dans naire « par une justesse à redéfinir toujours entre préRessources Urbaines Latentes sence et absence. »48 Il accompagne l’usager, pour qu’il puisse s’épanouir dans sa pratique d’habiter.

Une activité stimulante En ce sens, tirer profit de la contrainte pour la conception, l’innovation et la créativité, c’est aussi définir cette activité de l'architecture comme une activité particulièrement stimulante pour les concepteur·trice·s, en opposition aux idées reçues. Claire MEUNIER et Pauline SUHR, de l’agence Ré-architecture, nous le confirment lors d’un entretien. Auparavant salariée d’une agence spécialisée dans le logement social neuf à Paris, Pauline raconte que, par expérience, sa pratique actuelle de l’architecture est bien plus stimulante :

45

Michel GERMAIN est un professeur français et conseiller sur les enjeux sociétaux des nouvelles technologies.

46

Réseau AMU, Livre blanc de l’Assistance à la Maitrise d’Usage. 2020

47

voir le site internet du Réseau AMU : https://www.reseau-amu.fr

48

ROLLOT Mathias. « L’architecture devient manifeste dans l’habitation. » dans op. cit. p. 76

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

« Pour moi, le meilleur moment d’un chantier, c’est le curage. On découvre au fur et à mesure tout ce qui s’est passé avant. C’est quand même plus sympa que de voir des blocs de béton se monter les uns après les autres, sans histoires à raconter. Pour ce qui est de la créativité, je ne suis pas du tout d’accord avec cet argument qui dit que « ça restreint la créativité ». Pour être honnête, il y a quelques années, je travaillais dans du logement neuf. Lorsqu’on avait un T2, un T3 ou autre, on prenait un classeur, on allait à la page correspondante et on faisait un copié-collé. Autrement dit : zéro créativité. Puis j’ai aussi peur de la page blanche, je ne sais pas avoir un terrain libre en ne partant de rien. Alors que dans la rénovation, je m’éclate à fond. Plus je fais marcher mon cerveau, plus je m’éclate. On est en permanence obligé de chercher des solutions et ça nous stimule. Plus il y de contraintes, plus je sors de ma zone de confort, plus j’invente des super trucs et plus ça développe ma créativité ! »

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Il y a comme un « challenge » supplémentaire (pour reprendre les mots des interviewées), car il ne s’agit pas seulement d’un projet de conception/construction, mais aussi d’une analyse pluridisciplinaire qui mobilise une multitude d’outils, de compétences et de qualités (architecture, urbanisme, histoire, paysage, anthropologie, écologie, géographie, philosophie), plus encore que celles que nous mobilisons pour construire du neuf. Par exemple, le travail de recherche en amont est une étape clé pour comprendre le bâtiment sur lequel nous allons intervenir et anticiper les difficultés qui peuvent se dévoiler au fur et à mesure. Les découvertes, comme le système constructif ou bien des traits d’identités d’usagers ou de concepteur·trice·s antérieur·e·s, peuvent être des points de départ inspirants pour la conception. Ces entrées « atypiques » sont à chaque fois spécifiques au projet, puisque le bâtiment, par sa simple raison d’exister et d’avoir été habité, est une pièce unique (une œuvre autographique, donc) et la conception, du sur-mesure. Le contexte patrimonial et technique devient donc un contexte stimulant pour la conception. Ils s’agit de faire les bons com« Le chantier est un vrai cours de promis entre la conservation d’éléments représentatifs d’une structure, de technique. C’est le réel époque et d’autres éléments qui peuvent dénaturer l’architecqui apprend à dessiner, qui apprend à ture d’un bâtiment. Ces compromis découlent en partie des comprendre le bâti et les spécificités compétences de l’architecte à faire des choix, qui peuvent être d’un bâti ancien. », acquises lors de sa formation, mais que les architectes de RéClaire M EUNIER et Pauline S UHR , architecture définissent comme quelque chose « qu’on apprend architectes de l’agence Ré-architecture sur le tas », par l’expérience du chantier et la connaissance de terrain du bâti ancien.

Un apport qualitatif

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Au-delà d’une pratique qui semble finalement vertueuse pour l'exercice de conception, l'intervention sur l’existant est aussi une occasion de donner des qualités à un espace à l’origine mal conçu ou bien fonctionnellement inadéquat, pour le sortir d’une situation de dévalorisation, et ici de vacance. Christian MOLEY, dans (Ré)concilier architecture et réhabilitation de l’habitat, tente de répondre à la question suivante : « en quoi un apport de qualités architecturales est-il à même de contribuer à requalifier un immeuble qui n’en était pas particulièrement pourvu initialement. »49 Il fait remarquer que, depuis quelques années, la réhabilitation de l’habitat prendre un autre tournant. Longtemps associée à la remise aux normes, à l’amélioration des performances techniques et phoniques ou encore à la stabilisation, la réhabilitation est aujourd’hui de plus en plus travaillée sous le prisme de la qualité spatiale.

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« Elles font désormais appel à la "requalification", notion qui renvoie globalement à la patrimonialisation envisagée par les bailleurs, à la satisfaction des habitants et à leurs modes de vie dans leur espace reconfiguré, ainsi qu’à la perception des riverains en termes d’image de leur quartier. Pensée sous ces différents angles de la qualité de l’habitat, la réhabilitation, ainsi redéfinie et étendue à une notion de requalification englobant l’aménagement extérieur, devient plus attractive et offre certainement de meilleures opportunités de conception pour les architectes »50

« L a ré h a b i l i t a t i o n lourde des logements, un levier de la qualité architecturale, urbaine et environnementale. », REHA

La notion de « requalification » entre alors en jeu pour fixer de nouveaux objectifs aux concepteur·trice·s et au profit des usagers, des habitant·e·s. C’est d’ailleurs sous cet angle que les ministères de la Cohésion des territoires et de la Transition Écologique incitent les professionnel·le·s de la construction, avec le programme d’expérimentation et de recherche REHA, lancé par le Plan Urbanisme Construction Architecture, qui « vise à trouver une voie intermédiaire entre la déconstruction/reconstruction […] et la seule rénovation énergétique »51. Fort de sa réussite, le programme en est aujourd’hui à son troisième appel à projets.

49

MOLEY Christian. op. cit. p. 7

50

Ibid. p. 21

51

PESKINE Hélène. Vidéo : http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/reha-la-rehabilitation-lourde-des-logements-un-r105.html


3.

LE PARC EXISTANT EN CHANTIER : NOUVELLES QUALITÉS SPATIALES ET ÉNERGÉTIQUES

L’habitat ancien, par ses performances énergétiques très faibles, est en première ligne dans la lutte contre la précarité énergétique et les passoires thermiques. C’est donc un enjeu majeur qui doit être un invariant dans l’incitation aux pratiques de réhabilitation. L’analyse du grand chantier de rénovation énergétique lancé en France par les pouvoirs publics est une entrée pour situer la qualité des interventions et des savoir-faire. Selon le rapport de Carbone 4, la rénovation thermique des bâtiments résidentiels est l’enjeu principal de la SNBC sur le secteur de la construction. Le parc immobilier français est en partie constitué de 6,4 millions de passoires énergétiques52, que la massification de la rénovation thermique peut voir disparaître. Même si cette stratégie a du mal à prendre du côté du parc privé, le chantier promet 300 000 rénovations par an sur 2015-2030 et 700 000 sur 2030-2050, de façon à obtenir 100% des bâtiments BBC au terme du programme. Mais au-delà de la technique et du chantier de rénovation thermique et énergétique, où en sommes-nous du chantier de revalorisation/remobilisation de l’existant ? Comment s’articulent ces deux chantiers ? Quels types d’intervention se font et savons-nous faire ? Le logement vacant est-il sujet à ces interventions ?

Combiner enjeu énergétique et enjeu spatial Les projets dits « manifestes » dans certains écrits ou les projets publics incarnent très bien l’enjeu thermique. Par ailleurs, les projets qui suivent, dans cette sous-partie, ont tous intégré le facteur énergétique dans la conception. Néanmoins, les projets du parc privé, à l’initiative des propriétaires, sont bien moins ambitieux. Ils bénéficient de moins de moyens, et, bien souvent, il n’y a ni souhait de médiatisation et/ou labellisation, ni suivi professionnel qui puisse tirer le niveau d’ambition vers le haut, en termes de qualité environnementale. Toutefois, le système de subventions publiques est aujourd’hui pensé de façon à inclure l’enjeu énergétique comme un invariant dans les projets de réhabilitation : atteindre certains objectifs permet d’obtenir un certain nombre de subventions dans le cadre du chantier de rénovation énergétique français. Dans la liste des aides de l’État53, il y en a une qui attire notre attention. Il s’agit de la Loi DENORMANDIE (ou Réduction d'impôt DENORMANDIE), mise en place au 1er janvier 2019, qui vise à inciter les propriétaires à acheter et améliorer des logements anciens dans les 222 villes du programme Action Cœur de Ville. Il s’agit d’un dispositif intéressant qui fait converger les enjeux : en plus d’accompagner la revitalisation des villes moyennes, les travaux doivent être mener par des professionnels certifiés et répondre à une certaine ambition en termes de performance énergétique et de modernisation et aménagement des surfaces habitables.

52

Selon le collectif Rénovons, collectif d’acteurs engagés dans la rénovation énergétique des logements en France

Liste accessible sur le site du Ministère de l’économie, des finances et de la relance : https://www.economie.gouv.fr/ particuliers/aides-renovation-energetique 53

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Néanmoins, en marge de ces politiques publiques, les pratiques d’auto-réhabilitation ne cessent de se développer ; il s’agit de projets de réhabilitation directement menés par les habitant·e·s. Mais l’auto-réhabilitation n’est pas garante de la qualité environnementale d’un projet, ni de l’efficacité énergétique de l’habitat54. Ainsi, pour les accompagner, les magasins de bricolage proposent leurs expertises de façon à orienter les habitant·e·s vers des choix plus vertueux en matière d’énergie et d’environnement. En ce sens, un groupe de chercheur·e·s du laboratoire AAU (Ambiances, Architectures, Urbanités), Céline DROZD, Kévin MAHÉ, Ignacio REQUENA-RUIZ et Daniel SIRET, a mené un projet de recherche intitulé « L’accompagnement des projets d’auto-réhabilitation par les magasins de bricolage : état des lieux et prospective pour l’amélioration énergétique de l’habitat en milieu rural » (2016). Ce rapport de recherche a permis d’affirmer que « la performance énergétique n’apparaît pas comme une motivation première des auto-réhabilitateurs, mais plutôt comme une caractéristique minimale à satisfaire dans la construction d’un habitat contemporain, voire

DROZD Céline, MAHÉ Kévin, REQUENA-RUIZ Ignacio et SIRET Daniel. « La maitrise de l’énergie dans les pratiques d’autoréhabilitation en milieu rural » dans COSTE Anne, D’EMILIO Luna, GUILLOT Xavier (dir.). op. cit. pp. 186-197 54

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comme une obligation économique ou éthique »55 ; et que dans la pratique, l’expertise technique de ces magasins trouve ses limites, car « la sectorisation des magasins de bricolage constitue un frein pour l’accompagnement des chantiers d’auto-réhabilitation sur les questions énergétiques qui impliquent souvent plusieurs corps d’état [et] l’approche par produit et rayon du magasin s’oppose à la logique de projet nécessaire à l’efficacité énergétique »56. L’auto-réhabilitation est donc un terrain intéressant pour les propriétaires qui manquent de moyens financiers et dans les milieux peu attractifs pour les investisseurs et certaines entreprises, mais qui peine à combiner efficacement l’enjeu spatial de réhabilitation à l’enjeu énergétique. De plus, si le champ de l’auto-réhabilitation semble intéressant d’un point de vue sensible, car il participe à la fabrique de l’expertise énergétique des habitant·e·s, il nous faut néanmoins garder à l’esprit que les enjeux des milieux ruraux sont possiblement différents de ceux de notre étude, puisque les territoires étudiés, bien que non-métropolisés, bénéficient d’une attractivité relative (en arrière-pays des zones littorales attractives) et d’une urbanisation plus avancée (centres-ville et agglomérations).

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Dans un article57 de l’ouvrage consacré à la transition énergétique du réseau d’enseignement et de recherche ERPS (Espace Rural et Projet Spatial), ce même groupe de chercheur·e·s éclaire sur la place actuelle de l’énergie dans les pratiques d’auto-réhabilitation, toujours en milieu rural. Selon les auteur·e·s, les habitant·e·s forment des réseaux d’entraide et de partage de connaissances et savoir-faire qui facilitent la bonne intégration de l’enjeu énergétique dans les travaux : « la recherche révèle que les auto-réhabilitateurs constituent de manière individuelle un réseau d’acteurs amateurs et professionnels pour l’échange de connaissances et de compétences »58. Néanmoins, des échanges réalisés avec des habitant·e·s suffisent à démontrer que les connaissances sont parfois insuffisantes pour garantir une performance énergétique optimale : - « Nous remarquons également que tous les cas étudiés ont en commun la même difficulté à évaluer l’impact de leur choix d’isolation, qu’il s’agisse du type de matériau ou bien de la mise en œuvre. » - « Deux habitants seulement relient les questions énergétiques à celle de la ventilation et ont fait le choix de la vmc double flux pour optimiser leurs dépenses énergétiques. »59 Lorsque les conditions financières et temporelles sont réunies, faire appel à une expertise professionnelle et qualifiée semble indispensable pour garantir cette optimisation de la performance énergétique. Citons

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fig. 35 : extérieur du projet © Armelle Canchon Architecte

fig. 36 : intérieur du projet © Armelle Canchon Architecte

DROZD Céline, MAHÉ Kévin, REQUENA-RUIZ Ignacio et SIRET Daniel. L’accompagnement des projets d’auto-réhabilitation par les magasins de bricolage. État des lieux et prospective pour l’amélioration énergétique de l’habitat en milieu rural. [Rapport de recherche] Leroy Merlin Source. 2016. p. 41 55

56

Ibid. p. 43

DROZD Céline, MAHÉ Kévin, REQUENA-RUIZ Ignacio et SIRET Daniel. « La maitrise de l’énergie dans les pratiques d’autoréhabilitation en milieu rural » dans COSTE Anne, D’EMILIO Luna, GUILLOT Xavier (dir.). Ruralités post-carbone : milieux, échelles et acteurs de la transition énergétique. Collection Espace Rural et Projet Spatial. Volume n°7. Saint Etienne : PUSE. 2017. pp. 186-197 57

58

Ibid. p. 188

59

Ibid. p. 189


l’exemple d’une petite maison de ville bordelaise, centenaire, désertée, puis réhabilitée en logement par l’architecte Armelle CANCHON. Le client, André POUGET, président d’un bureau d’études thermiques, affirme que les performances énergétiques et environnementales du projet sont bien supérieures à celles d’un logement équivalent neuf, grâce à des « technologies innovantes, efficaces et facilement reproductibles pour un surcoût de 90€/m² »60. Cet effort a permis l’obtention du label Effinergie rénovation et basses émissions carbone "niveau or" et la préservation d’une architecture locale, celle de l’échoppe bordelaise61.

Tirer des leçons des expérimentations ambitieuses Dans un article consacré à la « ville réutilisée »62, la revue Ecologik tire l’exemple de projets, dits « manifestes » pour l’architecture de réhabilitation. Chacun d’entre eux est pensé « comme un tout composé de diversités sociales, écologiques, économiques et culturelles », ce qui reprend l’idée, évoquée en première partie, qu’une démarche globale est indispensable pour la durabilité des projets. Deux d’entre eux sont des projets d’habitat. Il s’agit de projets d’ampleur au sein des deux métropoles (Bordeaux et Bâle). Autrement dit, ils ne représentent ni l’échelle de territoire, ni l’échelle de projet qui nous intéressent, et ne répondent pas non plus à notre problématique puisqu’ils s’agissait de logements habités. Néanmoins, les moyens mis en œuvre et l’ingénierie déployée permettent l’expérimentation à grande échelle et permettent de tirer des leçons sur les larges possibilités qui s’offrent à nous, en tant que concepteur·trice·s. Ils sont « manifestes » au sens où ils montrent de quoi nous sommes techniquement capables et peuvent inspirer pour d’autres projets, à l’échelle qui nous intéresse.

60

ADEME et d’ORSO Fabrice (dir.). Rénovation, plus de 30 millions de logements. Levallois-Perret : Éditions PC. 2019

Une échoppe est une petite maison de ville, spécifique à la ville de Bordeaux, dans lesquelles vivaient les commerçants du XVe siècle au XVIIIe siècle. 61

62

TELCAT Sophie. « La ville réutilisée ». Ecologik, n°51. Septembre 2016. pp. 69

63

RUAULT Philippe. « Une générosité spatiale ». Ecologik, n°61. Septembre 2016. pp. 79-83

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

530 logements à Bordeaux, par les architectes LACATON&VASSAL, Frédéric DRUOT et Christophe HUTIN63 Rapidement présenté dans la sous-partie précédente, ce projet se situe au cœur du Grand Parc, un des plus grands quartiers sociaux de Bordeaux (4000 logements des années 60). Le projet se répartit sur trois immeubles : le Gounod de 10 étages et 80 logements, le Haendel de 15 étages et 215 logements et le Ingres de 15 étages et 215 logements. Les ambitions de rénovation énergétique et de mise aux normes ont été une occasion d’aller bien au-delà qu’un simple projet d’isolation, et de transformer cet ancien grand ensemble décrié en une « situation d’habiter exceptionnelle ». Mené de 2014 à 2017, le chantier a avant tout été un chantier économe basé sur la conservation de l’existant. Il fait suite à une étude publiée en 2007 par les architectes LACATON&VASSAL et Frédéric DRUOT64, qui portait sur la démolition des grands ensembles, en la considérant comme aberrante et onéreuse. Les architectes tentent de répondre à la question des ensembles de logements des Trente Glorieuses : « faut-il réhabiliter ou démolir ? ». L’étude a montré que dans certains cas, la réhabilitation d’un logement peut être estimée à 50 000€, alors que la démolition/reconstruction d’un logement neuf est estimée à 150 000€ par l’ANRU. L’objectif du projet du Grand Parc était d’agrandir, isoler et remettre aux normes les 530 logements en revalorisant au maximum le bâtiment existant. Les problématiques étaient classiques pour ce type de bâti : questions de l’isolation et de confort (salles de bains vétustes et séjours trop petits). Il a également fallu penser le projet avec un chantier en site occupé. La présence de logements vides a servi à reloger les habitant·e·s pendant la durée du chantier autour de leur logement –ici, on peut d’ailleurs parler de vacance conjoncturelle qui, comme nous l’avons déjà dit en première partie, « garantit la fluidité des parcours résidentiels et l’entretien du parc du logement ». Sur le volet énergétique, la façade filtre et l’isolation par l’extérieur des façades nord a permis de passer de 160 kWh/m2/an à 70 kWh/m2/an. La mise aux normes a également été un élément du projet (VMC, électricité, électroménager…)

DRUOT Frédéric et LACATON&VASSAL. Plus : les grands ensembles de logements - Territoires d'exception. Barcelone : Gustavo Gili (GG). 2007 64

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fig. 37 : façade avant intervention © Philippe Ruault

fig. 38 : façade après intervention © Philippe Ruault

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Sur le volet spatial, le projet a permis une augmentation de la surface habitable de 40% en moyenne, avec la transformation des anciennes loggias en pièces habitables et une extension sur 3,8m avec un jardin d’hiver sur la façade sud. Pour compenser la perte de 8 logements liée à la création d’une circulation à haute qualité d’usage, 8 logements neufs ont été construits sur la toiture.

fig. 39 : extensions - jardins d’hiver habitables © Philippe Ruault Lichtstrasse à Bâle, par HHF Architects65 Les situations urbaines des immeubles concernés sont parfois complexes. Un projet ne peut être mené sans cette vision d’ensemble, qui conduit parfois à faire des compromis. Nous avons vu que la destruction d’une partie d’un immeuble ou d'un ensemble peut parfois être très qualitative pour le projet et pour la cohérence territoriale. Le projet Lichtstrasse dans le quartier Saint-Johann à Bâle (Suisse) mené par l’agence suisse HHF Architects en fait un bon exemple. Il concerne 4 bâtiments anciennement vétustes sur une parcelle d’angle, dont 3 ont été rénovés et le « Cette cohabitation architectudernier a été détruit puis reconstruit, ce qui a permis de remettre sur rale entre l’ancien et le nouveau le marché 18 logements confortables en pleine ville et installer un ouvre une nouvelle voie posrestaurant en rez-de-chaussée. sible pour une fabrique de la Au-delà de la mise aux normes (les sanitaires se trouvaient encore sur ville plus flexible et durable. », le pallier…), les enjeux étaient principalement spatiaux. Il s’agissait de Sophie TELCAT dans la revue transformer des logements exigus en logements flexibles, sur l’ancien Ecologik (n° 61) 65

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TELCAT Sophie. « Quatre en Un ». Ecologik, n°61. Septembre 2016. pp. 70-77


et sur le neuf, qui pourraient s’adapter dans le temps. Les quatre bâtiments ont alors été réunis pour un créer un ensemble cohérent et des logements plus spacieux. Le bâtiment neuf est venu remplacer l’ancienne bâtisse insalubre et réunir les différents bâtiments : les circulations communes ont été déplacées et centralisées dans le cœur d’îlot grâce à ce bâtiment (fig. 40). Il a également permis d’agrandir les logements existants, d’ajouter des espaces extérieurs privatifs et d’aménager d’autres appartements, plus flexibles, à cheval sur deux bâtiments. La vision d’ensemble a été prise en compte dans ce projet. L’implantation d’un restaurant en rez-de-chaussée se croise avec l’ambition de revitaliser cet ancien quartier industriel en pleine transformation et potentiellement porteur de gentrification. Ici, l’ancien a l’habitude de cohabiter avec le nouveau (fig. 41). C’est aussi ce qui a porté les architectes à répondre ainsi à la problématique de cet ensemble de logements qui ne communiquaient pas entre eux. Cette stratégie était soutenue par la municipalité qui veut limiter le phénomène de gentrification et « ambitionne de transformer le bâti vieillissant, mais souhaite parallèlement que cette modernisation ne chasse pas tout un pan de la population »66.

fig. 40 :

répartition des logements (circulations au centre et immeuble neuf en vert) © HHF Architects

fig. 41 : façades des bâtiments anciens et neuf © HHF Architects

fig. 42 : terrasses annexées au bâtiment ancien © HHF Architects 66

fig. 43 : intérieur/extérieur du logement © HHF Architects

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

L’enjeu du chantier en site habité s’est invité à ce projet également. Il est intéressant de voir que ce fut le cas pour ces deux exemples et que la présence des habitant·e·s n’empêche pas la mise en œuvre de projets ambitieux.

Ibid.

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Des partenaires d’accompagnement

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Le CREBA (Centre de Ressources pour la Réhabilitation responsable du Bâti Ancien) est un portail collaboratif destiné aux « professionnels du bâtiment (maîtres d’œuvres, architectes, bureaux d’études, artisans, prescripteurs, techniciens, experts, chercheurs…) et, plus globalement, aux acteurs de tout projet de réhabilitation, de rénovation énergétique ou de restauration d’un bâtiment ancien »67. C’est un outil d’aide à la décision qui propose des retours d’expériences sur des opérations, des fiches d’études, une charte de réhabilitation responsable et des outils pratiques. Le CREBA constitue, entre autres, une sorte de mise en réseau spécifique aux projets de réhabilitation, évolutive et collaborative, comme certains organismes le préconisent pour lutter contre les logements vacants. Le portail propose une version française de la Guidance Wheel68, outil élaboré par l’organisation britannique Sustainable Traditional Buildings Alliance (STBA) et utilisé par les architectes, maîtres d’œuvre et bureaux d’études pour être orientés dans leurs choix face aux problématiques énergétiques de la réhabilitation de bâtiments anciens.

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fig. 44 : version française de la Guidance Wheel © Creba 67

Présentation en ligne : http://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/fr/a-propos/presentation

68

Disponible à cette adresse : http://responsible-retrofit.org/greenwheel-fr/


CAS PRATIQUE L’ingénierie étant concentrée dans les métropoles, rares sont les projets ambitieux réalisés dans les territoires non-métropolisés et accessibles à distance (articles, photos, etc.). Des recherches empiriques ont permis de trouver quelques cas intéressants à Draguignan. Pour comprendre les qualités des projets en cours, il semble d’abord intéressant d’analyser le niveau de qualité de l’offre actuelle.

Niveau de qualité de l’offre actuelle de logements Nous avons déjà vu que l’offre de logements dans le centre ancien ne correspond pas toujours aux attentes des habitant·e·s, ni aux nouvelles normes de confort et d’habitat. Taille des logements. Au fil du temps, les propriétaires ont réalisé des divisions au sein des logements pour des enjeux lucratifs. Aujourd’hui, la surreprésentation des logements très petits (T1/T2) pose problème aux familles dans leurs parcours résidentiels. De plus, l’organisation interne très cloisonnée des logements et le manque de grands espaces restreignent leurs possibilités d’évolution et de modularité. Par voie de conséquence, de nombreux ménages sont aujourd’hui désintéressés pour habiter en centre ancien. Accessibilité. Pour les mêmes raisons, rares sont les immeubles et logements adaptés aux normes PMR et bénéficiant d’un ascenseur et d’une rampe à l’entrée. Les escaliers en tomettes, bien que typiques, sont le plus souvent étroits, dégradés et inaccessibles aux PMR. Confort thermique. Souvent très anciens et peu transformés, les logements existants sont très peu performants. Les murs en moellons de pierre maçonnés et enduits à la chaux sont insuffisamment isolés. En été, les ruelles étroites sont originellement pensées pour protéger du soleil, mais en hiver, la précarité énergétique touche un certain nombre de ménages. Mitoyens et en pierre, les murs permettent cependant une bonne compacité et une inertie relativement importante. Confort lumineux. Pensées pour limiter l’ensoleillement direct, ces rues participent par conséquent à réduire la luminosité dans les logements. Les parcelles étant toutes aussi étroites, nombreux sont les logements sombres mono-orientés en vis-à-vis. Seuls les appartements en dernier étage et héritant des séchoirs ou des terrasses tropéziennes bénéficient d’un bon apport en lumière naturelle.

Niveau de qualité des projets réalisés

Le 22-28, rue de l’Observance (fig. 27) est un exemple de reconstruction (presque à l’identique) qui montre qu’il est possible de construire neuf et de qualité dans le centreancien, en conservant l’identité patrimoniale du lieu. Au 10 ter, rue de Trans se trouve la permanence du groupement SAIEM/Citémétrie en rez-de-chaussée. L’immeuble, anciennement vacant, a été récemment réhabilité, y compris les logements en étages aujourd’hui habités et décents (fig. 45).

fig. 45 : 10ter, rue de Trans avant/après © Citémétrie + crédit perso.

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Plusieurs tentatives infructueuses ont rendu impossible l’accès à l’intérieur des immeubles et des logements. Le 11bis, rue des Endronnes semble être un projet ambitieux de quatre T3 (conventionnés sur 9 ans en contrepartie de subventions), dans une ancienne bâtisse entièrement vacante et dégradée. Par-delà les travaux d’isolation, de remise aux normes, de rénovation des parties communes et autres opérations indispensables, ce projet ambitieux prévoit d’améliorer les espaces intérieurs en incluant le réagencement des cloisons, la création d’escaliers intérieurs, etc. Malgré nos prises de contact et nos demandes au propriétaire, nous n’avons pas pu obtenir plus d’informations, ni de photos sur ce projet.

92


4.

LES PISTES : DE NOUVEAUX USAGES

Ces pratiques architecturales posent la question des savoir-faire, mais nous pouvons maintenant soutenir qu’elles posent aussi, et surtout, la question de la qualité de l’habitat et de l’habiter. Les usagers semblent s’être petit à petit détachés de l’espace habité, notamment en milieu urbain. C’est particulièrement vrai en territoire métropolisé, la pression économique qui confortant l’intérêt privé de grandes entreprises. Dans une moindre mesure, c’est parfois le cas dans les territoires non-métropolisés au sein desquels les habitant·e·s ne "vivent" plus leur cadre de vie, mais le subissent, comme dans ces villes moyennes qui tendent à devenir des "villes-dortoirs". À Draguignan, avant chaque bouleversement politique (comme pour les dernières élections municipales69, par exemple), cette expression menaçante de « ville-dortoir » est réutilisée et illustre un combat que les actions publiques souhaitent mener. À l’échelle de l’habitat, la question de l’appropriation se pose aussi dans des espaces qui ne servent parfois plus que de toit. Cette sous-partie vise à comprendre sous quelles formes et quels besoins nous pouvons engager une ré-appropriation des espaces.

Adaptation aux nouveaux usages Pour Denys LÉGER, de l’agence d’architecture Archigroup, les immeubles de bureaux et les centres commerciaux sont les exemples les plus évidents de programmes dans lesquels les usages évoluent. Les nouveaux modes de travail émergent régulièrement et expliquent que l’attractivité d’un bâtiment tertiaire soit estimée à 15 ans. Pour le centre commercial, la demande d’expériences « loisirs » des usagers nécessite d’adapter le programme et l’espace pour proposer des réponses innovantes. En ce sens, le sud-est de la France voit, par exemple, fleurir des centres commerciaux à ciel ouvert pour un effet « village détente ». En revanche, pour l’architecte, « c’est moins vrai pour les immeubles de logements, car les habitants s’adaptent davantage. »70 En ce sens, selon Christian MOLEY, « pour les modes de vies et modes d’habiter, souvent postulés en évolution, leur changement n’est pas si évident à caractériser et peut même être contredit par une certaine stabilité des usages largement constatable »71. Par conséquent, alors même si les normes de confort ont évolué et que certaines se traduisent spatialement (salles de bain plus grandes, cuisines ouvertes, séjours plus lumineux, etc.), il est donc difficile de clairement définir et théoriser l’évolution vers les nouveaux usages. La recherche des besoins et de leurs réponses possibles est probablement plus empirique que théorique, en s’adaptant aux pratiques, conditions et environnements locaux.

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Trois pistes de travail

93

Ainsi, pour trouver les pistes d’adaptation prioritaires, Jean-Louis COUTAREL propose de s’intéresser à trois problématiques spatiales qui doivent évoluer dans les centres anciens : l’espace extérieur privatif, le rez-dechaussée et la place de la voiture. « Pour moi, il y a une question très importante à se poser : qu’est ce qu’il faudrait à un bâtiment pour donner envie aux plus favorisés d’habiter en centre ancien ? Qu’est-ce qui rendrait enviable un habitat en centre ancien ? J’ai surtout trois points à évoquer. […] Le manque d’espace extérieur privatif, le rez-de-chaussée et la voiture sont trois situations dramatiques des centres anciens. Je considère que l’habitabilité des espaces (comme retrouver un grand salon, une salle à manger, une cuisine attenante) sera gérable. En revanche, ces trois points sont vraiment problématiques et je pense qu’il n’y que les architectes pour y répondre. », Jean-Louis COUTAREL72

ESPEJO Elena, article 7 septembre 2019 dans la journal local Var-Matin. En ligne : https://abonnes.varmatin.com/article/candidat-aux-municipales-a-draguignan-j-b-miglioli-veut-sortir-la-ville-de-sa-somnolence-410658 69

70

LÉGER Denys. op. cit.

71

MOLEY Christian. op. cit. p. 14

72

Entretien à retrouver en annexe.


Alors que les besoins sont nombreux, l’enseignant-chercheur cite trois problématiques sur lesquelles les architectes peuvent se pencher pour garantir et améliorer l’habitabilité des logements en centre ancien. Ces trois pistes de travail semblent intéressantes à approfondir. L’espace extérieur privatif. Dans les centres anciens qui sont plutôt denses et minéralisés, le manque d’espace extérieur privatif est une vraie problématique pour la qualité de vie : ils sont « si importants pour l’habitation contemporaine et si difficiles à générer dans les tissus anciens »73. Selon l’interviewé, bien avant l’urbanisation des quartiers péricentraux, il était fréquent d’avoir un jardin à l’extérieur de la ville. L’étalement urbain a donc soustrait les espaces extérieurs privatifs aux habitant·e·s (devenus des zones d’activités ou des zones pavillonnaires) et rendu plus difficile la situation des centres anciens. Pour vérifier cette affirmation et son application à Draguignan, il a semblé intéressant de demander à un ancien habitant du centre ancien s’il disposait d’un jardin en périphérie de la ville lorsqu’il y habitait. Jean-Marc DANTCIKIAN, ancien résidant du centre ancien des années 60 aux années 80 le confirme : « quand on habitait à la place aux Herbes, pendant une quinzaine d’années, on allait sur le terrain de la maison74, on y passait nos dimanches, on faisait des pique-niques, jusqu’à ce que Papi [père de l’interviewé] y construise la villa ».

centre ancien

1

2

1

situation de la place aux Herbes

2

situation du terrain familial qui servait d’espace extérieur privatif

fig. 46 : plan de situation - carte de la ville en 2020 © crédit personnel

Le rez-de-chaussée. La question du rez-de-chaussée est une problématique tout autre, car c’est elle qui va, en premier lieu, participer à l’attractivité d’un centre par les activités qu’elle propose. Des rez-de-chaussée vivants sont la condition sine qua non pour avoir un centre-ville vivant. Il est difficile d’imaginer une rue avec des rez-de-chaussée fermés. Or, habiter un rez-de-chaussée sur rue a désormais disparu des mœurs et les commerces en rez-de-chaussée sont désertés dans les centres anciens des villes moyennes. Il y a donc une

COUTAREL Jean-Louis. « Quelques réflexions sur les relations entre territoires et patrimoines ». Revue Pierre d’Angle. Article non-publié à cette date 73

74

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Pour Jean-Louis COUTAREL, « c’est une piste à étudier pour donner envie de revenir vivre en centre ancien, […], mais c’est un sujet qui n’est pas très observé ou étudié. » C’est une question complexe, car bénéficier d’un espace extérieur privatif hors de la ville n’est plus possible et les centres sont aujourd’hui majoritairement urbanisés. De fait, la seule alternative possible reste l’espace extérieur intégré au bâti, sous forme de terrasses, balcons ou loggias, mais pour le chercheur cela pose aussi question au regard du patrimoine, car ces éléments dénaturent les architectures dans les secteurs où les façades n’en sont pas pourvues : « C’est un cas désespéré de fonctionnalité de l’habitat. Ça crée des tensions folles avec les ABF*, qui ne savent pas gérer ça. » Pour lui, une alternative serait de concevoir l’espace extérieur privatif à l’arrière de la façade patrimoniale, mais, suivant les dispositions, cela n’est pas toujours possible.

Depuis les années 80, le terrain est construit et habité.

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question autour des usages qui en découle. Jean-Louis COUTAREL propose de se pencher sur les nouveaux usages contemporains, qui créent du lien social là où les commerces ne peuvent plus s’installer : « les nouveaux usages liés à votre génération [les jeunes générations] peut être une piste. On peut imaginer des tierslieux, des ateliers de fabrication. On peut même imaginer des ateliers d’architecture, c’est quelque chose qui trouve sa place. Par exemple, l’atelier d’architecture de Philippe BERGÈS, à Figeac, est en rez-de-chaussée et ça marche très bien. »

fig. 47 : atelier d’architecture de Philippe BERGÈS dans le centre de Figeac, dans le Lot (46) © Google Maps

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

La place de la voiture. Bien qu’il ne soit pas de même nature, l’enjeu de gestion de la mobilité et de délocalisation des voitures en centre-ville est également indispensable pour garantir l’habitabilité des centres-ville. Pour Jean-Louis COUTAREL, « c’est inadmissible qu’on ait laissé les voitures manger les espaces publics. Pour prendre un exemple proche de Draguignan, il y a la place Masséna à Nice. Ça ne se voit plus aujourd’hui, mais la place Masséna, avant, servait de stationnement, elle était encombrée de voitures. Aujourd’hui, on a inversé le schéma. […] Les habitudes mutent. Si vous demandiez aux usagers à l’époque, ça paraissait impossible de déplacer les voitures. Aujourd’hui elles n’ont pas disparu, elles existent toujours, mais elles sont stockées ailleurs, d’une autre façon. Pendant la crise [crise sanitaire du Covid-19], on a tellement apprécié de voir nos villes sans voitures et sans bruit. Il faut continuer sur cette voie. »

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fig. 48 : photo non-datée de la place Masséna © Stan Palomba

fig. 49 : aménagement de la place Masséna, 2007 © agence APS


CAS PRATIQUE L’espace extérieur privatif. Dans le centre ancien de Draguignan, déjà très minéral, peu nombreux sont les jardins accolés aux immeubles. Certaines maisons de ville en disposent, en cœur d’îlot ou bien dans les secteurs moins denses, mais dans les secteurs les plus denses, les îlots sont étroits et déjà entièrement bâtis. Les façades traditionnelles sont lisses et les logements ne disposent pas de terrasses, de balcons ou de tout autre espace extérieur. Pour répondre à la fois à ce besoin et à l’enjeu patrimonial qu’évoquait JeanLouis COUTAREL, les constructeurs du 22-28, rue de l’Observance –venu remplacer d’anciens immeubles traditionnels tombés en ruines (voir page 65)– ont prévu, à l’arrière de la façade patrimoniale, c’est-à-dire la façade donnant sur la rue passante (rue de l’Observance), des loggias pour chacun des logements concernés. Il est cependant bien plus difficile de concevoir de tels espaces dans d’anciens immeubles en réhabilitation lourde.

fig. 50 : loggias crédit personnel

à l’arrière du 22-28, rue de l’Observance

©

En outre, la région bénéficie de l’influence des dispositifs de terrasse tropézienne et des séchoirs*, dans les combles ou en toiture. Un tel aménagement peut être envisagé, car il ne dénature par la façade. Par ailleurs, un certain nombre de bâtiments en disposent déjà dans le centre ancien.

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

fig. 51 : illustration d’utilisation des séchoirs en loggias rue de l’Observance © Atelier Skala

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CAS PRATIQUE Le rez-de-chaussée. La situation des rez-de-chaussée dans le centre ancien, bien que parfois préoccupante, a été prise en main par la collectivité. Les cellules commerciales en rez-de-chaussée étaient très nombreuses à être vacantes avant la mise en place du PUG et la collectivité, soucieuse de revitaliser son territoire, a acquis un certain nombre de cellules commerciales vacantes pour y faciliter l’installation de commerces de proximité et favoriser le retour de l’artisanat (fig. 54), en louant à bas prix. Aujourd’hui, si les efforts se font sentir dans certaines rues autrefois désertées par les passants, de nombreux rez-de-chaussée sont encore vacants et la situation est loin d’être entièrement résorbée, notamment dans les secteurs les plus difficiles et dégradés (fig. 53). À l’image de l’agence d’architecture de Philippe BERGÈS, à Figeac, la ville tente également d’innover en installant d’autres types de locaux, comme, par exemple, la permanence du groupement Citémétrie/SAIEM (fig. 52), pendant toute la durée de l’OPAH-RU, ou les locaux La Fabrique, association locale culturelle et d’éducation populaire.

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

fig. 52 : permanence de Citémétrie/SAIEM © crédit personnel

97

fig. 53 :

rez-de-chaussée vacant dans un immeuble reconnu comme insalubre © crédit personnel

fig. 54 : local racheté par la ville dans le cadre du PUG en attente d’un locataire commerçant

ou artisan © crédit personnel


CAS PRATIQUE La place de la voiture. Lors de notre entretien, Jean-Louis COUTAREL a précisé que, si le schéma de délocalisation de la voiture tend à se généraliser, cela reste particulièrement fragile et que, bien souvent, « on saute sur l’occasion des immeubles qui s’effondrent pour mettre en place des places de parking ». C’est effectivement le cas à Draguignan, où un ancien garage dégradé, vacant depuis des années, a été démoli pour laisser place à un parking. Néanmoins, ce parking, qui se situe le long du boulevard de la Liberté où se trouvait les anciens remparts, propose désormais 17 places gratuites à durée limitée, à la fois hors et proche du périmètre du centre ancien. Si sa capacité et son insertion restent à questionner, fig. 55 : plan de situation du parking cet espace permet aujourd’hui de garer des véhicules en entrée de ville, à proximité du centre ancien et donc de décongestionner ce dernier, à condition qu’il soit utilisé à cet effet. En supplément, un bassin de rétention d’eau d'une capacité de 50m³ a été créé en soussol. Ce dernier point n’est pas négligeable dans un secteur géographique qui subit des épisodes méditerranéens de plus en plus fréquents et dévastateurs. De plus, le garage Allione était vacant depuis de nombreuses années, dans un état de dégradation plus ou moins avancé et son insertion urbaine était peu qualitative. De telles conditions ont donc favorisé le projet de reconversion du foncier. De façon plus générale, s’il est parfois dense en sortie de ville, le trafic est relativement restreint dans le centre ancien. Il n’existe cependant pas de propositions concrètes de décongestion et de stationnement comme le propose Jean-Louis COUTAREL, mais quelques parkings souterrains et extérieurs très souvent remplis de véhicules.

fig. 57 : angle boul. de la Liberté/av. de Montferrat en 2020 - parking public du Dragon © Adriane Dantcikian

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

fig. 56 : angle boul. de la Liberté/av. de Montferrat en 2018 - ancien garage et logements vacants © Google Maps

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5.

LES PISTES : DE NOUVELLES PRATIQUES ET DE NOUVELLES DÉFINITIONS

Une affaire de sémantique

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Cette conscientisation de la valeur du bâti existant –dans un milieu et à une époque qui ne cessent de le dévaloriser au profit du neuf– pose la question de la terminologie. Nous avons vu que les définitions populaires des termes « architecture » et « architecte » semblent perpétuer cette dévalorisation. Pour Christian MOLEY, le manque d’intérêt pour la pratique est également lié à des questions de sémantique. Le terme de réhabilitation serait « banal » et « peu flatteur ». Pour Denys LÉGER, de l’agence Archigroup, réhabilitation et rénovation sont des « mots qui restreignent le champ d’action de l’architecte »75, comme une tendance à « refaire à neuf » avec une mise aux normes et un changement de matériaux. Selon, l’auteur de « (Ré)concilier architecture et réhabilitation de l’habitat », l’architecture et la réhabilitation sont deux disciplines distinctes que l’histoire, dans ce domaine, a définies comme « art majeur » pour la première – basé sur la notion de projet et de codes bien définis – et comme « art mineur » pour la seconde – basé sur des interventions entièrement dépendantes du contexte constructif, idéologique, sensible…76. Néanmoins, l’une est une réponse à l’autre, s’il l’on considère la réhabilitation comme une réponse aux besoins créés par l’obsolescence de l’architecture. Aussi, l’intervention sur l’habitat existant regroupe un très grand nombre de termes qui oscillent entre le domaine de la technique et celui du sensible, et autant de pratiques plus ou moins liées à la pratique architecturale : « entretien, maintenance, remplacement, remplacement, changement, réfection, rafraîchissement, ravalement, réparation, remise en état, remise à niveau, modification, reprise, rétablissement, sauvegarde, restauration, reconstitution, réhabilitation, mise aux normes, adaptation, amélioration, modernisation, renouvellement, requalification, revalorisation, restructuration, remaniement, réaménagement, rénovation, remodelage, reconstruction, reconversion, transformation, addition, extension, résorption de l’insalubrité, assainissement »77. Certains sont par ailleurs soumis à l’interprétation et les définitions ne font pas consensus. D’autres sont aujourd’hui utilisés sont une forme qui a modifié leur sens. Le terme de « recyclage » signifie originellement que l’on soumet un objet ou de la matière à un nouveau cycle, mais cette définition n’est pas toujours tout à fait claire. Utilisé dans le domaine de l’urbanisme, le recyclage foncier, par exemple, est souvent synonyme de démolition du bâti, pour libérer une parcelle et la reconstruire. Nous donnons certes un nouveau cycle à un bout de terre urbanisé, mais qu’en est-il du cycle de l’habiter et de celui de l’espace, dans ce cas ? Cette question n’est pas purement l’objet de notre recherche, mais nous amène à questionner le rôle que tient le sens des mots dans nos pratiques.

99

Lors de nos recherches, la méthode a été d’établir, au fur et à mesure, un champ lexical propre à nos questions pour dresser une liste des termes qui nous intéressent, par types et par ordre d’intérêt : - types d’intervention : réhabiliter, revaloriser, rénover, améliorer, recycler, transformer, restaurer - concepts : régénérer, requalifier, réactiver, renouveler, ré-exploiter, réinvestir, récupérer, réévaluer Pour faire face au déficit d’image que subit le terme « réhabilitation », certain·e·s architectes préfèrent rebaptiser ces pratiques, avec d’autres termes, plus attractifs : « intervention sur l’existant » pour Hugues BOSOM de l’agence Cuadra, « re-conception » pour François BRUGEL de l’agence éponyme, « remise en vie » pour Patrick BOUCHAIN ou encore « ré-architecture » pour Denys LÉGER de l’agence Archigroup78.

75

LÉGER Denys. op. cit.

76

MOLEY Christian. op. cit. p. 13

77

Ibid. p. 16

78

Ibid. p. 17


Des pratiques professionnelles favorisantes La pratique du réAlors que certaines agences d’architecture tentent de redéfinir les termes en insistant sur ces manières alternatives dont la pratique peut être exercée, le terme de « ré-architecture » nous semble particulièrement intéressant – notamment au regard du nombre de fois que le préfixe ré- s’est invité à notre champ lexical. C’est un terme englobant que nous avons d’abord trouvé très pertinent, mais très peu utilisé dans le monde professionnel. Le constat est tel que lorsque l’on effectue la recherche ré-architecture sur le moteur de recherche généraliste Google, seules trois occurrences reviennent dans les résultats. Elles renvoient vers une exposition du même nom au Pavillon de l’Arsenal en 2012, l’agence Archigroup basée à Limonest utilisant le terme pour décrire une partie de ses réalisations et à l’agence Ré-architecture basée à Lyon. Néanmoins, le fil de notre réflexion nous a amenés à interroger la pertinence de ce terme qui conduit à séparer les pratiques du neuf et de l’existant, plus que ce qu’elles ne le sont déjà. Cela ne redéfinit pas les pratiques architecturales sur les bases d’un travail avec l’existant, mais les conforte en les opposant à la ré-architecture. Séparer architecture et ré-architecture signifierait donc que nous ne remettions pas en question la place que prend la construction neuve (« l’architecture du neuf ») dans le secteur du bâtiment. C’est ce que nous tentons pourtant de faire. L’expression « intervention sur l’existant » peut sembler plus appropriée et le terme de « ré-architecture » est donc encore en cours de réflexion. Nous avons toutefois profité d’un entretien avec Claire MEUNIER et Pauline SUHR de l’agence Ré-architecture pour les questionner à ce sujet. Selon elles, la ré-architecture est un véritable travail avec l’existant qui leur manquait dans les agences d’architecture au sein desquelles elles ont travaillé :

« Pour nous, la ré-architecture c’est simplement faire de l’architecture avec quelque chose qui existe déjà. Ça regroupe toutes les pratiques en fait. On parle aussi bien de matériaux de récupération que de rénovation énergétique ou de gestion de tri des déchets. Ce sont des projets complets autour de l’existant sous toutes ses formes. »79

Un renouvellement des pratiques Parallèlement, d’autres professions innovent et tentent de rendre ces pratiques plus attractives à travers des formes de sensibilisation ou d’économies parallèles. En ce sens, et en lien direct avec notre problématique de départ, la jeune entreprise oqp80 propose une cartographie collaborative permettant de solliciter les usagers de la plateforme pour localiser les logements vacants (appelés des "ressources") présents sur le territoire français ; l’objectif étant de les signaler pour que des artisans puissent proposer leurs services aux propriétaires : « à terme, l’ambition d’oqp.io n’est pas seulement de créer un inventaire de toutes les ressources, mais aussi d’être une plateforme sur laquelle les artisans pourront identifier des chantiers intéressants ou sur laquelle des nouveaux métiers pourront se développer ». L’enjeu est d’accélérer le processus de remise sur le marché de logements vacants –ce que les pouvoirs publics ne sont pas habilités à faire, pour des questions de respect du droit privé– sur une méthodologie en trois étapes : 79

Citation issue de l’entretien en annexe

80

Site internet : https://oqp.fr et carte collaborative en ligne : https://oqp.fr/resources

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

Alors que chaque architecte praticien·ne semble donner une définition de ces pratiques qui lui est propre, pour les deux architectes, la ré-architecture prône la réinvention de l’usage du bâtiment et de toutes les pratiques qui gravitent autour. Elles s’engagent par ailleurs à refuser les propositions lorsqu’il s’agit de construire du neuf. Au-delà des évolutions réglementaires et techniques, elle veut la transformation, l’adaptation, la réorganisation des espaces et une modification de l’image globale du bâtiment. Tout comme la gestion des matériaux et des déchets, la notion de requalification architecturale est très présente, avec la valorisation des aspects esthétiques, techniques, d’usage et économiques. Cette vision globale du projet est une nouvelle fois fondamentale et offre un vrai système de cycle au bâtiment.

100


- identification des "ressources" par des usagers (voisins, propriétaires, etc.) - travail d’accompagnement et de prise de contact avec les propriétaires - travail de rénovation et de remise en location des logements vacants La structure étant relativement récente, les outils ne sont pas encore suffisamment complets pour servir à notre recherche. Néanmoins, c’est un outil particulièrement innovant qui reflète une part d’intérêt grandissante des professionnels pour ces questions.

Des pratiques habitantes favorisantes

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

L’auto-réhabilitation Parallèlement aux enjeux énergétiques que l’article sur l'auto-réhabilitation81 questionne au sein de l’ouvrage du « La participation à la réalisation de leur Réseau ERPS, l’auto-réhabilitation apparaît, de façon habitat entraîne une réflexion sur les plus transversale, comme une pratique habitante qui manières de vivre chez soi ; la question de semble répondre à d’autres enjeux que pose la réhabilil’énergie apparaît comme une entrée tation de l’habitat ancien : temps, coûts, savoir-faire… Le intéressante pour aborder plus finement les collectif de chercheur·e·s aborde, dans l’article, non pratiques habitantes », seulement les dimensions techniques de l’amélioration Collectif dans La maitrise de l’énergie dans les énergétique des logements, mais également « les dipratiques d’auto-réhabilitation en milieu rural mensions qualitatives de la perception du confort et de la construction personnelle du chez-soi »82. Pour les auteur·e·s, c’est une expérience habitante sur le temps long, pratiquée sur une continuelle adaptation de l’espace, hors des contraintes temporelles qu’exige le recours aux entreprises de construction : « le projet d’auto-réhabilitation implique d’envisager la maison comme un chantier continuel dont les étapes de conception, de construction et d’occupation se succèdent au fur et à mesure des besoins et souhaits des habitants »83. Ils et elles ont également pu observer lors de leurs enquêtes que l’entraide et la construction de réseaux informels avec des professionnels et/ou amateurs permet de réduire significativement les coûts liés aux matériaux, au transport et aux travaux, ainsi que d’améliorer l’expertise technique des habitant·e·s et la diffusion des savoir-faire. Cette capitalisation des savoir-faire et des savoir-faire est relativement récente. Selon Christian MOLEY, avant l’ère industrielle, l’auto-réhabilitation était « pratiquée naturellement, sans que l’on parle, ni que l’on cherche à capitaliser et expliciter ses savoirs, ni même que l’on s’inquiète de ses conséquences architecturales sur l’existant. »84 Il s’agissait alors de pratiques vernaculaires spécifiques à des typologies régionales de l’habitat, dont le seul enjeu était de répondre à un besoin particulier et/ou ponctuel des habitant·e·s (cloisonnement intérieur, surélévation, amélioration de la façade ou de la toiture…). Croisée avec nos enjeux, la pratique de l’auto-réhabilitation semble être une piste pour les personnes bénéficiant de peu de moyens qui veulent devenir propriétaires dans l’habitat ancien et réhabiliter les espaces vacants disponibles qui le nécessitent. Néanmoins, elle trouve rapidement ses limites. Les questions patrimoniales et l’état de dégradation parfois avancé nécessitent une expertise professionnelle et des connaissances que les habitant·e·s non-spécialistes ne peuvent pas fournir. De plus, s’investir physiquement dans de tels projets n’est souvent possible qu’à la condition d'en faire une résidence principale : rares sont les propriétaires qui peuvent s’investir autant dans un bien qui n’est pas destiné à être habité par eux-mêmes. De fait, cette pratique ne répond pas ou peu aux besoins en location très présents dans nos centres anciens, comme c’est le cas à Draguignan : pour rappel, 75% de l’habitat privé dans le centre ancien est destiné à la location85.

DROZD Céline, MAHÉ Kévin, REQUENA-RUIZ Ignacio et SIRET Daniel. « La maitrise de l’énergie dans les pratiques d’autoréhabilitation en milieu rural » dans COSTE Anne, D’EMILIO Luna, GUILLOT Xavier (dir.). op. cit. pp. 186-197 81

82

Ibid. p. 187

83

Ibid. p. 187

84

MOLEY Christian. op. cit. p. 14

Citémétrie. Diagnostic du centre-ville de Draguignan. Projet Urbain Global - volet habitat. 2016 (document interne au service d’urbanisme de la mairie) 85

101


Le cas de coopératives D’autres pratiques tentent d’aller vers une ré-appropriation de l’habitat. La sharing economy (économie du partage, économie collaborative), qui prend son essor aux États-Unis, repose sur un principe : l’usage d’un bien prime sur sa propriété86. En ce sens, dans le domaine de l’habitat, des coopératives d’habitant·e·s se développent en Europe (Suisse, Allemagne et pays scandinaves) et au Québec, pour sortir des schémas traditionnels de production de logements. Néanmoins, même si quelques municipalités s’engagent (Villeurbanne, Montreuil, Strasbourg, Toulouse), ce mouvement reste marginal en France, à cause d'une politique publique de la ville et de la notion bien ancrée de la propriété individuelle (devenir propriétaire est encore perçu comme un objectif de réussite). Il y est soutenu par la Fédération Française des Coopératives d’Habitants (anciennement Habicoop). Ces pratiques en essor reflètent la volonté de lutter conte la spéculation foncière et pour une ré-appropriation du marché du logement. Les habitant·e·s se regroupent pour fabriquer un lieu qui leur ressemble et l’habiter dans des conditions qui leur conviennent. Ils reprennent le pouvoir sur quelque chose qui leur est cher : leur logement. Le point qui nous intéresse ici est que, parallèlement, une partie de ces coopératives s’unissent pour réinvestir des espaces habitables laissés vacants et s’y installer. En France, l’achat d’un bâtiment existant par une coopérative n’est possible que depuis 2014, avec la loi ALUR*. Souvent animé·e·s par un enjeu durable et écologique, les habitant·e·s, responsabilisé·e·s, trouvent dans le choix de réinvestir des lieux vacants, une réponse à leurs besoins et une occasion de se ré-approprier le "produit" qu’est devenu le logement. Accompagné·e·s d’un·e architecte, ils et elles cherchent à en garantir une qualité que les bailleurs mettent souvent de côté87 : « le projet est souvent ambitieux, car ces groupes, s'ils cherchent l'économie de moyens, ne renoncent pas du tout à la qualité des usages. Bien au contraire, le bâtiment est souvent très bien conçu, car c'est sa durabilité qui assure l'équilibre financier. Le mouvement va donc au rebours de la baisse de qualité en cours dans le secteur privé. »88. Cela montre, une fois de plus, que les questions qui gravitent autour des espaces inoccupés, délaissés par les politiques d’aménagement, gagnent l’opinion publique et qu’il s’agit de se les réapproprier de façon moins conventionnelle. L’habitat coopératif, c’est aussi faire face à ces politiques publiques qui manquent souvent de créativité et d’innovation pour répondre aux besoins en logement : « Face à l'envolée des prix de l'immobilier, à l'enjeu climatique, au nouveau besoin de convivialité, le marché ne propose souvent qu'une offre rigide peu innovante et tarde à s’adapter. »89 Certains cas, à l’étranger, font plus parler d'eux que d'autres, notamment dans les grandes métropoles, comme les projets La Borda à Barcelone et Grover à Montréal. Ces anciennes usines, rachetées puis réinvesties par des coopératives d’habitant·e·s, ouvrent la voie sur ce qu’il est possible de faire. L’exemple de La Borda, au sein d’une ancienne usine textile abandonnée depuis 1970, se démarque par la qualité de son aménagement spatial. Accompagnée par LACOL, une coopérative d’architectes et d’urbanistes espagnol·e·s, les acteurs ont su donner au projet un caractère éco-responsable ambitieux (il s’agit du plus haut bâtiment en bois d’Espagne) et une transformation de l’espace très qualitative (fig. 59).

FRÉROT Olivier, « L’apparition de nouvelles solidarités », dans D’ARIENZA Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al. Ressources urbaines latentes. Genève : MétisPresses. 2016. p. 53-64 86

87

Notamment avec la loi ELAN, dont la question budgétaire risque de restreindre la qualité des nouveaux logements.

France Inter. « Les coopératives d'habitants : phénomène de mode ou véritable alternative au logement social ? » [podcast] Le choix de la rédaction [en ligne]. 27 juin 2018. [Consulté le 12 novembre 2019] 88

89

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

À une échelle plus locale, le projet de la Maison Oasis, à Lorgues, à proximité de Draguignan, se montre intéressant, car il amène le mouvement dans un territoire dépourvu de ce type d’initiatives. Il s’agit de la première coopérative d'habitants varoise. Lancée par Françoise et Louis, deux retraité·e·s, elle est installée dans un ancien lieu de production de tomettes et qui regroupe aujourd’hui 5 logements, 4 chambres d’accueil, des espaces collectifs et plusieurs espaces ouverts au public (salle de conférence, salle de réception, etc.). Il y a eu ici, une véritable réflexion sur la réinvention des usages et sur l’adaptation du bâti pour répondre à ces usages. Un autre projet est en cours, à 3km du centre-ville de Draguignan : le projet Kaïros, situé dans un ancien mas provençal. Il n’en est cependant qu’aux toutes premières étapes préliminaires. Enfin, il semble intéressant de constater que, si le mouvement prend de l’essor dans les territoires, l’intérêt n’est pas porté aux biens situés dans les centres anciens.

Ibid.

102


fig. 58 :

immeuble Grover reconverti en 33 logements et ate-

liers d’artistes © Royale Montréal

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

fig. 59 : cour intérieure à La Borda © Lluc Miralles

103

fig. 60 : événement dans la cour de la Maison Oasis © Laurent Grzybowski

fig. 61 : façade de la bâtisse existante du projet Kaïros © Kairos 1154


Des pratiques pédagogiques favorisantes Alors que pour Christian MOLEY, « il est urgent que les acteurs de la métamorphose, les architectes, expérimentent d’autres voies de conception. »90, Françoise CHOAY portait déjà un regard critique sur la pédagogie et les formations en écoles d’architectures à travers ses écrits. Pour elle, les étudiants doivent apprendre à se servir du patrimoine architectural et urbain au service de leur projet, non pas comme objets de muséification, mais comme outil et contexte de conception, pour les « initier à l’art de l’articulation », car « il doit être réinvesti par la vie et enseigner aux étudiants architectes un savoir-être et un savoir-faire. »91

« À travers ces différentes démarches, la propédeutique du patrimoine architectural et urbain ne constituerait pas seulement pour les futurs architectes et urbanistes une formation au respect et à la conservation vivante des œuvres du passé. Elle leur apprendrait à les continuer de façon inédite en se réappropriant les échelles d’aménagement locales et - nous voici revenus à notre point de départ - elle leur ré-apprendrait ensemble la modestie et la véritable création, bref, le plus beau des métiers, "de tous les actes le plus complet", l’architecture. »92

Depuis, peu de formations ont véritablement intégré ce facteur. Seule l’ENSA de Normandie propose, depuis 1999, un champ disciplinaire sur la conception et la création architecturale autour de projet de reconversion. Elle s’intéresse également aux questions de patrimoines ordinaires et propose un master DRAQ (Diagnostic et Réhabilitation des Architectures du Quotidien). Initiée en 2015 par le ministère de la Culture, la Stratégie nationale pour l’architecture veut « Renforcer la formation initiale en continu des architectes sur l’intervention sur l’existant » (mesure 7)93. Pour le reste, cela ne consiste pas en un enseignement de fond, car la réhabilitation « n’est cependant pas traitée de façon globale, puisqu’abordée dans différents cours et projets selon leurs angles respectifs : requalification urbaine ou prise en compte du patrimoine ou développement durable »94

91

CHOAY Françoise. « Enseignement et patrimoine : un enjeu de société» (publié en 1995). op. cit. pp. 315

92

MOLEY Christian. op. cit. p. 145

Ministère de la Culture et de la Communication. Dossier de presse de la Stratégie nationale pour l’architecture. Octobre 2015. En ligne : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Architecture/Accroitre-le-role-des-architectes 93

94

02. un patrimoine ordinaire à valoriser

TUFANO Antonella. « Les clés de la latence : dispositifs conceptuels pour la fabrique du projet. » dans Ressources urbaines latentes. Genève : MétisPresses. 2016. pp. 143-156 90

Ibid. p. 16

104


105

03.

03. rĂŠhabiter le patrimoine pour rĂŠhabiter le territoire


03. RÉRé-habiter HABITER LE le patrimoine TERRITOIRE

pour ré-habiter le territoire vu aux Halles du Faubourg, Lyon (2019)

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Comment apprendre à façonner et vivre collectivement des lieux qui nous ressemblent, en tirant parti des formes vives et des singularités de nos territoires ?

106


1.

RESSOURCE TERRITORIALE

L’existant comme entrée pour un projet territorial

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Le patrimoine comme ressource La notion de ressource relationnelle1 est celle qui nous permet de mettre en relation les patrimoines à leurs territoires. C’est d’ailleurs ce qui rend certains territoires très attractifs. C’est particulièrement le cas dans un certain nombre de métropoles françaises, qui tirent des patrimoines extra-ordinaires qu’elles concentrent en leur sein, une ressource pour leur attractivité. La métropole parisienne, par exemple, a su tirer profit du château de Versailles pour alimenter son développement, aménager son territoire et participer à son rayonnement international. C’est en revanche moins évident dans les plus petites villes ou les territoires plus isolés, pour qui le potentiel de leurs patrimoines est moins perçu, car ces derniers sont moins concentrés, moins « extra-ordinaires » ou parfois moins prestigieux. Il s’agit donc bien d’une ressource encore latente dont l’expression du potentiel est plus subtile à accompagner ou à matérialiser. Il nous faut travailler dessus, car tant que cette ressource ne sera pas manifeste2, les centres anciens continueront à subir la désertification croissante. Pour Jean-Louis COUTAREL, ces centres sont des « lieux-patrimoine »3 ; et la distance qui existe encore aujourd’hui entre les usagers du territoire (habitant·e·s, collectivités, pouvoirs publics et privés…) et le « lieu-patrimoine » fragilise le territoire. Par conséquent, cette fragilisation favorise le déclin d’attractivité résidentielle et économique du territoire. Ils rentrent dans ce que nous pourrions qualifier de « spirale », que seules la conscientisation et la valorisation de leurs ressources ne sauraient inverser. Il y a d’ailleurs matière à travailler, car les centres des villes non-métropolisées sont majoritairement constituées de bâti ancien, antérieur au XXe siècle4.

107

« L’association lieu-patrimoine serait une composante pleine de "l’écodéveloppement" », Jean-Louis C OUTAREL dans Quelques réflexions sur les relations entre territoires et patrimoines

Pour le chercheur, le lieu-patrimoine est donc une « force dynamique du projet territorial » et il s’agit de mettre en place une méthodologie pour engager cette conscientisation. Il y aurait d’abord le « lieu-socle » (ou « socle primitif ») constitué d’éléments invariants, comme le relief et l’eau. Il aurait ensuite accueilli le bâti et son habitation humaine, et les activités des habitant·e·s ont continuer à alimenter ce lieu-socle. À Draguignan, une visite de terrain suffit pour comprendre comment se traduisent spatialement ces éléments dans le centre ancien :

- le relief : les rues convergent puis s’enroulent autour d’un rocher, dit « butte de l’Horloge », cœur historique du centre ancien, sur lequel se dresse la tour qui témoigne sur passé historique de la ville - l’eau : si les cours d’eau sont nombreux aux alentours de la ville, ce ne sont pas eux qui ont influencé la morphologie du centre ancien, mais plutôt les lavoirs et les fontaines, encore présents et constitu-

tifs dans l’espace public. Le parcours de l’eau retrace l’histoire de la ville. - les activités des habitant·e·s : le centre ancien a très peu muté, son renouvellement n’a été que très partiel et les espaces fonctionnels sont toujours en place, comme les moulins à huile ou encore la place du marché qui ont conservé leurs rôles.

Toujours selon l’auteur, cette conscientisation est en cours, car « les territoires engagés dans la construction de leur projet reconsidèrent leur rapport à ce socle primitif qui a déterminé l’implantation initiale »5. Cette mise en application est d’ailleurs visible à Draguignan, où des initiatives vont dans ce sens. Par exemple, la

1

voir partie 01.2. à la page 38

2

manifeste par opposition au latent ; voir partie 01.1. page 37

3

COUTAREL Jean-Louis. op.cit.

4

COUTAREL Jean-Louis. Ibid.

5

COUTAREL Jean-Louis. Ibid.


municipalité a su tirer profit de quelques-unes de ces ressources constitutives du lieu-socle (le centre ancien), comme l’eau : elle a mis en place un Chemin de l’eau, un parcours touristique adapté aux enfants et guidé d’une application mobile, et qui devient une activité familiale attractive en plein cœur du centre ancien. Bien qu’anecdotique, ce parcours illustre bien l’hypothèse posée par le chercheur dans son article, selon laquelle le projet contemporain d’un territoire doit s’appuyer sur son lieu-socle. Draguignan peut donc s’appuyer sur son centre ancien, qui concentre de nombreuses ressources, pour son développement.

fig. 62 : le lavoir Capesse © crédit personnel

fig. 63 : capture d’écran du parcours touristique du Chemin de l’eau © Résine Média

À terme, ce processus vise également à réduire les dissociations entre les planifications et les territoires. Auparavant, une relation d’équilibre entre les milieux habités et les potentialités de leurs environnements proches s’était installée au centre des travaux de planifications urbaines et territoriales. Mais petit à petit, une rupture s’est formée entre la ville et l’environnement que l’on a cessé de considérer comme ressource8. Par extension, c’est aussi limiter l’expansion et l’étalement urbain, sans pour autant empêcher le renouvellement urbain. Il s’agit de fair évoluer la ville, et non de la figer. À une tout autre échelle, il existe par exemple des opérations de rénovations de grands ensembles d’habitat social réalisées sans besoin de faire tabula rasa, comme ce fut souvent le cas pour les grands ensembles mal-aimés du XXe siècle9. Pour Jean 6

COUTAREL Jean-Louis. Ibid.

ADEME et Carbone 4. Neutralité et bâtiment. Comment les acteurs du secteur peuvent s’inscrire dans une démarche zéro émission nette. Juin 2019. p. 13. [Consulté le 3 décembre 2019]. En ligne : http://www.carbone4.com/wp-content/ uploads/2019/07/Publication-neutralité-et-batiment-Carbone-4-ADEME.pdf. 7

8

D’ARIENZA

9

voir l’exemple de l’implosion de la barre de logements Debussy à la cité des 4000 de la Courneuve (93), à la page 77

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Prendre soin du bâti existant, un geste fort pour le territoire Concernant le bâti plus spécifiquement, il est « transmis de génération en génération et indissociable du socle. Il incarne un tissage singulier entre les conditions initiales et les pratiques habitantes. »6. Le bâti ancien, dans ces territoires, est donc une nécessité, sans laquelle un projet basé sur le socle primitif ne peut être élaboré. La considération du bâti existant, à travers l’amélioration de son habitat, semble alors être une composante essentielle dans la politique de reconquête des centres-bourgs et centres anciens des villes moyennes. Celle-ci se traduit à la fois par la revalorisation des biens existants et par l’amélioration qualitative de ces centres (retour des commerces de proximité, amélioration des transports publics, aménagements urbains, etc.). Par exemple, lutter contre la vacance des logements, c’est aussi lutter contre la vacance commerciale, et vice-versa. La stratégie doit prendre en compte cette vision globale du territoire si elle se veut durable et se traduit par ailleurs dans des rapports techniques visant la neutralité carbone : une des préconisations de la SNBC évoque une « cohérence entre l’objectif de neutralité d’un projet et l’objectif de neutralité carbone à l’échelle d’un territoire donné »7. Le patrimoine bâti devient alors un catalyseur de revitalisation des centres anciens.

Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al. op. cit.

108


HAËNTJENS, la démolition et la reconstruction de seulement 10% d’un grand ensemble sont suffisants pour changer radicalement le climat et le fonctionnement d’un quartier10. C’est effectivement ce qu’il s’est passé à la Cité des Courtilières11. Il s’agit alors d’imaginer un raisonnement équivalent pour les centres anciens. En réalité, parfois situé en secteur sauvegardé et/ou protégé et moins soumis à la pression immobilière, il est peu courant, aujourd’hui, de voir un centre ancien rasé au profit d’opérations contemporaines construites ex nihilo. Malgré cela, défendre le patrimoine ordinaire existant et en prendre soin reste un geste fort, qui contredit les pratiques les plus courantes de développement urbain, mais va dans le sens d’un développement local raisonné12. La réhabilitation massive d’un secteur est un processus essentiel de consolidation urbaine*, qui défend la revitalisation des milieux déjà habités et l’optimisation de l’utilisation des infrastructures et de l’espace bâti existants. Lors d’un entretien vidéo13 accordé à l’Association Nationale Nouvelles Ruralités, Jean-Louis COUTAREL confirme que c’est un geste qualitatif qui participe bien à l’attractivité d’un territoire : « Tout ce qui va pouvoir aller dans le sens de l’entretien et du soin apporté au patrimoine va être un élément moteur et déterminant pour les décisions des jeunes foyers qui sont en recherche d’un parcours résidentiel ». Pour clarifier et répondre notre définition du terme de « patrimoine », l’interviewé entend ici le « patrimoine » comme « ce qui incarne la particularité du territoire, au-delà des appellations référencées et des protections ». Au Royaume-Uni, le National Trust for Places of Historic Interest or Natural Beauty est une association qui, depuis plus d’un siècle, met en valeur des petits bâtiments, des monuments, des sites naturels et autres sites d’intérêt collectif grâce à ses 4 millions de membres britanniques. Ces fonds financiers permettent de réquisitionner et entretenir ces patrimoines, du plus ordinaire au plus extra-ordinaire, en rendant les citoyen·ne·s britanniques acteurs et actrices de leurs territoires.

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

État de l’art des stratégies existantes « Faire la ville sur la ville » Il serait erroné d’assimiler une stratégie de réhabilitation massive de logements inoccupés à l’idée de « faire la ville sur la ville », telle qu’elle a été exploitée ces dernières décennies. Dans les années 1980, la désindustrialisation et ses friches industrielles ont laissé place, au sein des villes françaises, à l’installation des ZAC* sur les territoires déjà urbanisés et sous l’impulsion de financements nés de partenariats public-privé. Pour Vincent VESCHAMBRE, géographe et ancien enseignant-chercheur à Angers puis à l’ENSAL, « l’expression de "renouvellement urbain", traduite en langage courant par "reconstruire la ville sur la ville", s’est imposée à la fin du XXe siècle, pour désigner les formes de recyclage des espaces urbains désaffectés ou jugés obsolètes, dans les villes des pays anciennement industrialisés (Bergel, 2002, Bonneville, 2004). »14 Aujourd’hui, ces projets urbains qui se multiplient notamment dans les métropoles ont perdu leur inscription dans leur milieu et leur tissu urbain. Cette stratégie de « renouvellement urbain », par les dynamiques de démolition/ reconstruction, n’est bien souvent qu’un remplacement physique d’un élément par un autre, sans renouvellement social. C’est le contraire que nous défendons ici, qui serait plutôt une démarche sociale sans remplacement des éléments existants. La stratégie de « faire la ville sur la ville », telle qu’elle est définie et encore largement appropriée par les métropoles, ne répond pas à notre problématique. Toutefois, et à l’inverse, la formule est parfois utilisée pour décrire cette stratégie comme une occasion d’investir de « déjà là », comme nous tentons de le défendre. En relais de l’exposition « Un bâtiment, combien

10

HAËNTJENS Jean. La ville frugale. Paris : FYP Éditions. 2011

11

voir page 73

12

Agir et apporter du soin de chaque entité bâtie se traduit par des pratiques d’acupuncture urbaine*.

Nouvelles ruralités. Jean-Louis Coutarel, Table ronde Habiter les territoires, territoires habités. Extrait à 02:40. En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=fOCAngWhBvs&list=WL&index=24&t=1s 13

VESCHAMBRE Vincent, « Le recyclage urbain, entre démolition et patrimonialisation : enjeux d’appropriation symbolique de l’espace », Norois, n°195. 2005. pp. 79-92. En ligne : https://journals.openedition.org/norois/548 14

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de vies ? La transformation comme acte de création »15, le web magazine Balises de la Bibliothèque Publique d’Information a publié un article16 qui définit l’acte de « construire dans l’existant […] comme un apport fondé, autant écologiquement qu’économiquement, dans de nouvelles stratégies urbaines globales de densification ». Il ne s’agit pas non plus de construire littéralement « la ville sur la ville » en l’élevant par le haut, en dessinant de nouveaux logements sur les toits, mais plutôt de « l’habiter intégralement ». Interpréter l’action de faire de la ville sur la ville par la verticalité mène parfois à des échecs ou des projets discutables. De plus en plus courant dans les métropoles, ajouter des logements sur les toits de constructions existantes ne semble pas répondre à nos objectifs de durabilité et apparaît comme une solution de dernier recours dans ces territoires en constante densification. Qu’il s’agisse de la résidence Cosmo Park sur le toit d’un centre commercial à Jakarta (Indonésie) ou des 33 logements sur les toits des immeubles Beauregard de logements réhabilités à Poissy (78), les projets s’inscrivent dans des contextes territoriaux très différents du nôtre. Néanmoins, il semble important de souligner qu’ils représentent le contre-exemple du modèle que nous tentons d’établir lorsque nous souhaitons ré-investir l’existant sous-utilisé. Ils posent question face aux principes évoqués en partie précédente qui invitent les architectes à continuer les œuvres du passé de façon innovante, face aux questions patrimoniales, face à l’optimisation des ressources des territoires, etc.

fig. 65 : 33 logements sur les toits à Poissy © Virtuel Architecture

Exposition de la Cité de l ́architecture et du patrimoine présentée du 17 décembre 2014 au 28 septembre 2015 et publiée sous forme d’ouvrage de références du même nom présent dans notre bibliographie 15

16

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

fig. 64 : Cosmo Park à Jakarta © Wonderful Engineering

Balises. Construire la ville sur la ville, le « déjà-là ». En ligne : https://balises.bpi.fr/arts/construire-la-ville-sur-la-ville

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03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Exemple de l’IBA Emscher. À l’inverse, l’exemple de l'IBA Emscher Park illustre relativement bien nos propos. La vallée de l’Emscher, au cœur de la région de la Ruhr en Allemagne, est un territoire fortement marqué par l’ère industrielle. Après une forte croissance au début du XXe siècle, il est rapidement devenu obsolète. Orienté uniquement sur l’économie industrielle, et principalement sur l’exploitation du charbon, il a suffi d’une crise pour que son économie succombe dès la seconde moitié du XXe siècle et laisse place à un territoire vulnérable et délaissé. En 1989, un projet de revalorisation du territoire se met en place sur 10 ans, dans le cadre du un dispositif allemand de l’IBA (Exposition Internationale d’Architecture), qui est une démarche architecturale et urbaine innovante. Elle ambitionne de répondre aux problématiques territoriales de façon globale, en rupture avec la "monoorientation" industrielle du passé, mais sans pour autant en faire abstraction. Concrètement, il était question d’un développement territorial sans croissance, qui sache tirer profit des ressources déjà présentes sur place : un héritage industriel et paysager. Le territoire fait véritablement ressource pour le projet. Il fallait alors transformer ce patrimoine, en répondant à une grande diversité de problématiques locales (insertion sociale, par exemple) et globales (lutte contre la pollution, par exemple), de façon à régénérer un territoire de près de 800 km2 de façon durable17. Plus d’une vingtaine d’années plus tard, l’IBA Emscher Park est un projet résilient qui fonctionne toujours et qui ne subit pas l’obsolescence. Cette démarche va à l’encontre de celle des solutions individualisées, linéaires, qui agissent au nom d’un unique principe et qui ne répondent qu’à une unique question, celle des grandes planifications mises en place dans les aires métropolitaines, qui ne prennent pas véritablement en compte les problématiques territoriales. À ce titre, le concept de « ville sur la ville », qui part originellement d’une intention louable de « continuer à sédimenter la ville »18, a été une réponse tout autre à la désindustrialisation.

fig. 66 : parc paysager de l’Emscher Park, au nord de Duisburg, 1999 © IBA Emscher Park Les programmes institutionnels Les programmes comme Action Cœur de Ville et Revitalisons nos centres-bourgs, accompagnés de programmes mis en œuvre par les régions, comme l’appel à projets Bourgs-Centres en Occitanie, sont des tremplins, grâce à des cahiers des charges techniques et des moyens financiers, pour donner aux communes l’occasion de développer leur territoire dans le respect de plusieurs critères (patrimonial, touristique, économique…) tout en préservant leurs environnements construits et naturels, urbanisés ou non.

Agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise. L’IBA Emscher Park. Une démarche innovante de réhabilitation industrielle et urbaine. 2008 17

18

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MASBOUNGI Arielle. « Recycler le territoire ». Revue Projet Urbain, n°15. Décembre 1998. p. 3


CAS PRATIQUE État des lieux de l’existant : quelles ressources dans le centre ancien de Draguignan ? Sur ces hypothèses, il semble intéressant de faire un état des lieux des ressources et des qualités dont dispose le centre ancien de Draguignan, qui sont à valoriser pour accompagner un projet territorial basé sur l’existant. Qualités d’ambiances et paysagères Ancienne cité comtale au cœur de la Provence, la ville défend encore aujourd’hui sa culture provençale qui relève d’ambiances particulières, où les ruelles étroites et circulaires protègent du soleil en été, où les platanes structurent l’espace aux côtés de quelques vieux oliviers, où le moulin à huile est toujours en fonction, où les bars et restaurants comptent sur leurs terrasses à l’année, où le marché est un lieu de rencontres et d’échanges hebdomadaires… Les couleurs ocres, parfois bleu ciel ou vert d’eau, des façades enduites à la chaux sont préservées par la Charte architecturale et chromatique et tentent de masquer le mauvais état des murs anciens. Parfois assises devant la porte ou accoudées à leurs fenêtres, les personnes âgées regardent les passants. Il est alors plus facile de s’approprier l’espace dans un contexte où le vécu de la ville est encore détectable et dans lequel le côté sensible est en éveil. Depuis la tour de l’Horloge, les zones alentours boisées sont largement visibles, mais le centre-ville très minéral possède peu d’espaces verts et ses qualités paysagères sont difficilement perceptibles. Il est courant de tomber sur une placette au détour d’une rue. Elles tentent de faire respirer le tissu urbain dense.

fig. 67 : fresque de reconstitution de la cité comtale de Draguignan au XVIIIe siècle © Jules Guignard

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03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Qualités patrimoniales Le centre ancien, malgré ses conditions d’habitabilité parfois difficiles (risque d’insalubrité, secteur paupérisé, mixité sociale faible, secteur nord déserté par les commerces et autres activités…) est un centre riche en patrimoines architectural, urbain et historique et participe au développement touristique de la ville. Sans pour autant être une ZPPAUP*, le secteur bénéficie de différentes protections : - 6 Monuments Historiques inscrits - un site classé (Tour de l’horloge et abords) - 4 zones de prescriptions archéologiques Les projets réalisés dans le centre ancien et ses abords immédiats sont donc soumis à l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France. Une AVAP* est en cours d’élaboration et, selon le diagnostic mené par l’agence d’architectureurbanisme Skala19, les enjeux de cette AVAP seraient : « la mise en place d’un outil dédié à la gestion du patrimoine sur la commune, la possibilité de se reconnecter au territoire et à son histoire pour aborder son développement futur, […] le partage des connaissances sur le centre ancien et une meilleure mise à disposition des données en matière patrimoniale ». Les journées du patrimoine sont une occasion saisie par la municipalité pour mettre en place diverses initiatives de sensibilisation au patrimoine dracénois, à travers des visites et balades explicatives, adaptées à tout public. La Fabrique, association locale culturelle et d’éducation populaire, organise également des activités et balades commentées tout public pour promouvoir le patrimoine local (dernière visite en date : « histoire de l’habitat du centre ancien et de ses monuments)

Atelier Skala. AVAP, phase 1. Diagnostic architectural, patrimonial et environnemental. 2016

112


03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire 113

fig. 68 : aperçus du centre ancien © crédit personnel


2.

LES OBJECTIFS, EN THÉORIE

Revitaliser les centres anciens « Revitaliser, au sens premier du terme, c’est régénérer un tissu organique ; au sens figuré, cela consiste à faire revivre, à donner un nouveau souffle. Si la ville est un corps vivant, la revitalisation d’un quartier ancien combine bien les deux dimensions. »20

La revitalisation des centres anciens de nos villes et de nos bourgs est « La France des quartiers aujourd’hui une mission nationale, et un des enjeux de la régénération historiques et anciens va mal. », de l’habitat délaissé est d’y participer activement. Lors de l’ouverture du Nancy BOUCHÉ congrès Sites et Cités en mai 2019, Nancy Bouché, spécialiste du patrimoine et de l’habitat insalubre, soutient que « la France des quartiers historiques et anciens va mal »21. Selon elle, « ces centres anciens se sont dévitalisés en se vidant de leurs habitants et de leurs commerces ; cependant, le délabrement de l’habitat privé est moins visible, mais encore plus préoccupant »22. En ce sens, si les projets urbains et politiques locales de revitalisation s’accompagnent de rénovation d’espaces publics et de commerces de proximité, ils ne peuvent cependant se faire sans redonner une place centrale à l’habitat.

Pour Christian MOLEY, l’aménagement urbain est inhérent aux interventions architecturales de requalification de l’habitat : c’est une « globalité indissociable de l’architecture de l’habitat et de l’urbanisme de quartier »23. Elle se traduit d’ailleurs –et de façon plutôt évidente– dans les politiques publiques, par l’OPAH (Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat), qui s’accompagne parfois même de projets de Renouvellement Urbain. En ce sens, il est essentiel que les aménagements et l’amélioration de l’habitat donnent une dimension « poétique », unique et spécifique aux centres anciens et entretiennent leur aspect sensible. Selon Jean-Louis COUTAREL : « une relation artistique s’établit avec le lieu-patrimoine dans une transmission d’un habiter poétique du lieu »24.

20

MESTRES Jean-Michel. « Revitaliser ». La Revue Urbanisme, H.S. n°69. Septembre 2019. p. 7

21

Propos disponibles à l’adresse : http://www.sites-cites.fr/wp-content/uploads/2019/05/OUVERTURE-BOUCHE.pdf

22

MESTRES Jean-Michel. op. cit.

23

MOLEY Christian. op. cit. p. 21

24

COUTAREL Jean-Louis. op. cit.

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Dans un environnement tel que celui des centres anciens, riches « Les patrimoines ont fait la ville, il d’histoires et de cultures locales, ces enjeux vont aussi de pair doivent permettre de la revitaliser, avec la mise en valeur des patrimoines. Il s’agit de s’en servir pour voire de la réparer. », « réparer la ville » et donner un cadre de vie qualitatif aux habiJean-Michel MESTRES tants et aux usagers de la ville. De plus, le patrimoine de ces villes et bourgs est tel que sa revalorisation est un atout certain pour leur développement touristique, comme autre axe de revitalisation. C’est dans cette voie que se développent les nouveaux dispositifs cités en amont, comme le programme Action Cœur de Ville ou Revitalisons nos centres-bourgs, et que l’association Sites et Cités souhaite une mise en réseau des initiatives locales.

114


03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Critères d’amélioration de l’habitabilité des centres anciens

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- Mixité sociale Nous avons vu que le logement social en France est en difficulté, notamment dans les zones attractives proches des littoraux, qui sont celles nous intéressent. Le Réseau National des Collectivités mobilisées contre le Logement Vacant appelle à « l’ouverture du parc privé à des ménages modestes en conventionnant les logements »25 avec la mise en place de stratégies de remobilisation massive des logements vides comme alternative à l’effort de construction de logements des organismes HLM. À terme, l’objectif est de promouvoir une mixité sociale par ce processus et de profiter d’un potentiel intéressant de conventionnement des logements du parc privé. Le maintien des personnes âgées et handicapées à leur domicile, en adaptant leurs logements participe aussi à garantir une mixité sociale. - Qualité spatiale sur l’espace public L’usager, et plus particulièrement le piéton, entretient un rapport sensible avec l’espace public. Si les volets sont fermés, les façades défraîchies, les fenêtres cassées, l’image dégradée qu’il ou elle va se faire d’un lieu va participer à sa déprise d’attractivité et à sa dévitalisation. L’entretien de l’espace public est alors un élément clé de la qualité de vie lors des opérations d’amélioration de l’habitat. Pour Christian MOLEY, ce travail à l’échelle visuelle, hors du logement, « peut se faire en lien avec la requalification des espaces extérieurs à l’échelle du piéton »26. La requalification d’un immeuble peut s’accompagner de divers « aménagements micro-urbains », comme des plantations et le traitement du sol. - Rez-de-chaussée animé Dans le même sens, requalifier la partie basse de l’immeuble, c’est aussi un travail de rapport à l’espace public. Par-delà de l’aspect purement économique et commercial, l’attractivité d’une rue, par exemple, va passer par l’image de ce qui s’y passe et de ce qu’elle renvoie. Si la rue est commerçante ou vivante par d’autres activités, elle sera par définition attractive. Lorsque l’installation de commerces est difficile, nous pouvons imaginer installer des locaux communs (local vélo, salle commune, etc.) pour à la fois éviter la

cellule vacante et participer au confort des habitant·e·s de l’immeuble ou de la rue. - Qualité spatiale et gain énergétique L’amélioration spatiale d’un logement est un critère élémentaire développé en partie 02, dans laquelle nous avons vu qu’un espace de vivre qualitatif est le meilleur outil de prévention de la vacance. La partie 02.3. nous a permis d’approfondir les possibilités et les difficultés à rendre les logements existants et/ou anciens plus vertueux et le parc bâti peu consommateur en énergie. - Intérêt pour le propriétaire et résorption des dérives locatives La réquisition de logements privés par les pouvoirs publics étant possible, mais très complexe pour une diversité de raisons, le propriétaire d’un logement sous-utilisé et/ou vacant, s’il ne le fait pas par conscience, doit trouver un intérêt, souvent financier, à mener des opérations d’amélioration. En parallèle, l’encadrement des pratiques locatives doit permettre, à la fois, d’éviter la vacance de longue durée et participer à la lutte contre les dérives locatives comme celles des marchands de sommeil présents dans les centres. - Réglementations En accord avec des critères patrimoniaux, les réglementations d’urbanisme sont parfois contraignantes, à raison, pour l’amélioration de l’habitat et l’intervention sur l’existant. Par exemple, les panneaux solaires sont souvent interdits dans les centres anciens pour préserver les toitures historiques, les contraintes pour la réhabilitation sont nombreuses dans les PLU, l’isolation thermique est souvent difficile, voire impossible si elle l’est par l’extérieur, les gabarits de façades et des ouvertures sont réglementés… Ces contraintes, bien qu’indispensables pour préserver une cohérence d’ensemble sur les secteurs concernés, sont une difficulté supplémentaire pour les artisans et concepteur·trice·s et un frein supplémentaire pour les propriétaires. De même, les stratégies foncières locales sont parfois en contradiction avec les objectifs d’une stratégie de revitalisation. Nous pouvons nous demander si les réglementations ne sont pas à ré-interroger au prisme des enjeux actuels.

25

Réseau National des Collectivités Mobilisées contre le Logement Vacant. op. cit.

26

MOLEY Christian. op. cit. p. 249


CAS PRATIQUE Revitaliser le centre ancien de Draguignan, objectifs théoriques Comme défini en première partie, le Projet Urbain Global est un projet réparti sur 10 ans avec, pour objectif premier, la revitalisation du centre-ville, acté sur 7 thématiques (aménagement urbain, patrimoine/culture/tourisme, commerces, habitat, mobilité, pôle universitaire et sécurité). L’ambition du PUG, même s’il ne s’étend qu’à l’échelle du centre-ville, est que chacune de ces thématiques puisse avoir des conséquences palpables sur l’ensemble du territoire. Plus précisément, la qualité de vie du centre ancien est tenue d’être améliorée à travers la requalification, la revalorisation et/ou la mutation de 6 secteurs stratégiques qui rentrent dans le cadre de l’OPAH-RU. - secteur A : secteur nord du boulevard des Remparts/rue des Jardins - secteur B : secteur Vieille Route de Grasse - secteur C : secteur Courtiou/Observance - secteur D : secteur rue Grande/îlot Tête de Bœuf /Ancien Théâtre - secteur E : place du Marché - secteur F : secteur rue de Trans/rue des Jardins

A B

D

E F

fig. 69 : localisation des 6 secteurs stratégiques du PUG © production personnelle

secteur stratégique

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

C

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CAS PRATIQUE Critères théoriques d’amélioration de l’habitabilité du centre ancien de Draguignan

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

- Mixité sociale Le conventionnement des logements anciennement vacants et/ou réhabilités par les propriétaires est encouragé dans le cadre de l’OPAHRU. À une échelle plus large, le PIG-Habiter mieux en Dracénie s’engage à financer des travaux d’adaptation des logements de personnes âgées et à mobilité réduite. Toutefois, l’OPAHRU ne semble pas prévoir ce type d’opération. Souvent exigus, les logements du centre ancien ne sont pourtant pas adaptés. De même, le PUG comme l’OPAH-RU ne semblent pas non plus prévoir des opérations pouvant garantir une mixité sociale entre les générations et les classes sociales.

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- Qualité spatiale sur l’espace public L’amélioration des logements prévue dans le cadre de l’OPAH-RU dépasse l’échelle des immeubles, car le dispositif prévoit le ravalement des linéaires de façades le long de trois axes stratégiques (boulevard Clémenceau au sud, rue de Trans au sud-est et rue de l’Observance au centre) ainsi qu’autour de la place du Marché et de la place aux Herbes. L’entretien et le ravalement des façades dégradées participent ainsi à améliorer l’image du centre ancien et à retrouver son attractivité. façades en projet de ravalement

fig. 70 : projet de ravalement © production personnelle

La qualité résidentielle est également pénalisée par le manque d’entretien des cœurs d’îlots, façades et parties à l’arrière des immeubles. Certains axes sont dévalorisés, mais dans ces secteurs, seules des opérations ambitieuses peuvent répondre à ces problématiques. Le PUG reprend en partie ces secteurs (notamment le secteur C sur le plan ci-contre) et prévoit ainsi leur requalification. - Rez-de-chaussée animé Le PUG prévoit diverses opérations de revitalisation dans son volet commercial, comme relancer le commerce de proximité et l’artisanat dans les rues stratégiques du centre ancien. L’objectif étant de faire vivre les rez-de-chaussée vacants, la municipalité s’est engagée à racheter puis louer les cellules vides à prix avantageux à des commerçants souhaitant s’y installer. Ces actions sont réalisées en partenariat avec la SAIEM sur selon un CRAC (Contrat de Revitalisation Commerciale et Artisanale, prévu par la loi ACTPE de 2014). Draguignan a été la première commune à se doter d’un CRAC. - Qualité spatiale des logements et gain énergétique L’objectif même de l’OPAH-RU étant d’améliorer la qualité des logements, c’est donc un critère évident pris en considération dans les opérations et les financements. Il n’y a cependant pas d’objectifs précis à atteindre en termes de surfaces, d’ensoleillement, de surfaces de baies, d’accès à un espace extérieur privatif, etc. Le dispositif prévoit également l’amélioration des espaces communs au sein des immeubles. Ensuite, pour obtenir les financements de l’Anah permis par le l’OPAH-RU, chaque projet doit obligatoirement atteindre un gain énergétique de 35% pour les propriétaires bailleurs et de 25% pour les propriétaires occupants.


CAS PRATIQUE - Intérêt pour le propriétaire et résorption des dérives locatives Les dispositifs incitatifs financiers et les programmes de conventionnements sont prévus dans le cadre de l’OPAH-RU. Dans les cas où les blocages persistent et que les propriétaires ne montrent pas d’intérêt à remettre un bien sur le marché et/ou le réhabiliter, il est possible de sortir du dispositif de l’OPAH-RU en place, prévoir des mesures lourdes et coercitives, comme du recyclage foncier. Le parc, majoritairement locatif, doit être encadré pour éviter la division des logements, les marchands de sommeil, etc., mais les programmes en cours ne prévoient cependant pas de mise en place d’observatoires à cet effet.

- Réglementations Grâce à la présence de Monuments Historiques inscrits et classés, le secteur est soumis à l’avis de l’ABF pour toute opération. Néanmoins, une lecture du PLU a permis de relever qu’aucune protection dans le centre n’existe à l’égard des ensembles patrimoniaux et/ou bâtiment ancien. Les objectifs thermiques sont difficiles à atteindre, car la structure des façades privilégie une isolation par l’intérieur et il impossible d’avoir un parc producteur d’énergie, le solaire et l’éolien étant proscrits pour des questions patrimoniales. Le secteur est pourtant soumis à une forte dépendance énergétique.

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire 118


3.

LES RÉSULTATS, EN PRATIQUE

Une fois l’étape de la stratégie dépassée et la mise en application des objectifs théoriques effectuée, ces derniers peuvent ne pas donner les résultats souhaités. Cette sous-partie consiste à reprendre les objectifs et critères cités ci-avant et étudier leur mise en pratique.

CAS PRATIQUE Revitaliser le centre ancien de Draguignan, résultats

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

À mi-parcours du PUG, la démarche de revitalisation, largement engagée, se ressent sur ses 7 thématiques. Même si certaines sont plus avancées que d’autres –les plus importantes opérations d’aménagement urbain sont terminées, tandis que les opérations privées de l’OPAH-RU sont en cours et que peu de choses ont changé sur le volet universitaire–, la prise en compte simultanée des 7 thématiques témoigne d’une véritable démarche globale. Les indicateurs démographiques traduisent un regain d’attractivité : +0,2% entre 2006 et 2011 et +1,3% entre 2011 et 2016.

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Sur la première année (du 20 septembre 2018 eu 19 septembre 2019), les résultats de l’OPAH-RU ont été particulièrement encourageants. 195 propriétaires ont pris contact le bureau d’études Citémétrie ou la mairie, dont 106 propriétaires bailleurs, 26 propriétaires occupants et 63 co/mono-propriétés (dont 28 qui avait été pré-identifiées lors du diagnostic). Après la prise de contact, 90 logements et immeubles répondant au cahier des charges de l’OPAH-RU ont été sélectionnés et diagnostiqués. Néanmoins, les chiffres sont à nuancer au regard de notre problématique. Si le bien est vacant, car le propriétaire est désintéressé (ce qui semble être majoritairement le cas ici), alors le dispositif prévu est insuffisant, puisque la prise de contact par le propriétaire ne sera pas envisageable et le bureau d’études ne pourra donc pas effectuer de diagnostic. Effectivement, sur les 195 cas, 48% portent sur la rénovation énergétique, 34% pour l’amélioration des logements dégradés et seuls 14% pour les travaux lourds. Les opérations nécessaires, mais difficiles pour des raisons de désintérêt sont difficiles, en pratique, à cause du manque d’investisseurs. Lors de notre entretien, Sylvie FRANCIN explique que « lorsque vous parlez à des investisseurs ou des promoteurs, le cœur de ville ne les intéresse pas. Ou alors il faut qu’ils aient des îlots pour 300/400 appartements. Ce ne sont pas des gens qui font du bénévolat, qu’on soit bien clair. »

Résultats de l’amélioration de l’habitabilité du centre ancien de Draguignan - Mixité sociale Les logements sociaux à Draguignan sont, en quasi-totalité, situés dans les quartiers péri-centraux, et ne couvrent pas les besoins du centre grandement paupérisé. En ce sens, le conventionnement encouragé par l’OPAH-RU est une alternative adoptée par les propriétaires bailleurs, comme l’ont fait les propriétaires du 11bis, rue des Endronnes et du 10ter, rue de Trans (voir page 92). C’est aussi une opportunité que la SAIEM de construction de Draguignan, en tant qu’acteur majeur de l’OPAH-RU du centre-ville, a engagé des projets de logements sociaux, sur les secteurs stratégiques. La société a, par exemple, profité du champ libre laissé par les effondrements de la rue de l’Observance pour inclure des logements sociaux dans le projet (fig. 27). Par ailleurs, elle a engagé depuis plusieurs années des objectifs de mixité générationnelle, avec la mise en place d'un certain nombre d’opérations regroupées au cœur du centre ancien, au sein de l’îlot de l’Horloge :


CAS PRATIQUE - des résidences pour personnes âgées : 71 logements à la résidence de l’Horloge (fig. 71) - des résidences pour étudiants : 63 logements étudiants à la Villa des Moulins (fig. 72) Toutefois, le centre reste un secteur particulièrement paupérisé. Les opérations en cours ne semblent pas suffire pour favoriser la mixité en attirant les classes plus aisées. Ce sont les imaginaires sociaux qu’il faut déconstruire et renverser, pour proposer un nouveau récit sur « l’habiter en centre-ville ».

fig. 71 : Villa des Moulins © Google Maps

fig. 72 : résidence de l’Horloge © crédit personnel

- Qualité spatiale sur l’espace public et rez-de-chaussée animé

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

Lors de séances de repérage, trois types de rez-de-chaussée ont été identifiés : à vocation résidentielle (occupé ou vacant), à vocation de circulation ou de garage dans un immeuble résidentiel et à vocation d’activité (occupé ou vacant). Certaines rues cumulent, encore aujourd’hui, de nombreux rezde-chaussée résidentiels et d’activité vacants. Nous avons pu relever que certains immeubles, diagnostiqués vacants en 2015, sont aujourd’hui habités et occupés en rez-de-chaussée, comme le 10ter, rue de Trans où se trouve, en rez-de-chaussée, la permanence du PUG tenue par le groupement SAIEM/Citémétrie (voir page 92). Néanmoins, on trouve, dans cette même rue de Trans, au numéro 50, un second immeuble, également diagnostiqué vacant et en état de dégradation moyenne, en 2015. Aujourd’hui, l’immeuble est toujours dans un état préoccupant et le local en rez-de-chaussée (ancien commerce de bouche) est toujours vacant (fig. 72) ; il en est de même pour de nombreux rezde-chaussée de la rue de l’Observance (fig. 73). En revanche, hors de ces secteurs difficiles, les opérations se multiplient petit à petit (fig. 74). Nous pouvons néanmoins questionner la portée globale de certaines de ces opérations. La collectivité ayant misé sur la thématique commerciale en priorité, au début du PUG (avant l’OPAH-RU et les opérations sur le logement), certains rez-de-chaussée sont aujourd’hui occupés, mais la volonté n’a pas monté les étages : les logements ne sont toujours pas habités et la vacance résidentielle n’est pas résorbée (fig. 74). Cela pose problème, car nous avons démontré, en première partie, que la simultanéité des opérations est essentielle pour la viabilité d’un projet global.

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CAS PRATIQUE

03. réhabiter le patrimoine pour réhabiter le territoire

fig. 72 : 50, rue de Trans © crédit perso.

121

fig. 73 : 46, rue de l’Obs. © crédit perso.

fig. 74 : 21, boul. Kennedy © crédit perso.

Au-delà des opérations d’aménagement urbain, des efforts ont été menés en relation avec l’espace public et les immeubles d’habitation. Par exemple, une fresque a été réalisée par Vincent FICHAUX, artiste dracénois, sur une façade de l’îlot de l’Horloge, à l’arrière des oliviers et au premier plan d’une vue sur la Tour de l’Horloge. Ce type d’opération participe à raconter un nouveau récit aux usagers. Cela entretient l’aspect symbolique et sensible, défini précédemment comme ressource pour la qualité paysagère et d’ambiance. Pour reprendre les mots de Jean-Louis COUTAREL, cela traduit d’une façon artistique le « lieu-patrimoine ». fig. 75 :

fresque symbolique d’un dragon sur une façade de l’îlot de l’Horloge © crédit personnel

- Intérêt pour le propriétaire et résorption des dérives locatives Les moyens importants débloqués par l’OPAH-RU ont permis d’obtenir un regain d’intérêt des propriétaires pour leurs biens : d’après Sylvie FRANCIN, 260 logements ont déjà été réhabilités dans le centre ancien depuis 2016. L’opération au 11bis, rue des Endronnes a, par exemple, été financée à 70%. Les propriétaires bailleurs ont été les plus intéressés par l’OPAH-RU. C’est un point intéressant, car le centre ancien a besoin de logements en location qui propose une meilleure qualité de vie. L’amélioration de l’habitat diminue les risques d’insalubrité dans le secteur, et d’autres dérives locatives. - Réglementations Depuis quelques années, la réglementation évolue dans le sens de la patrimonialisation, avec le projet de mise en place d’une AVAP, par exemple. De plus, pour ne pas figer la ville suite à ces mesures, la commune fait également évoluer sa stratégie foncière en faisant intervenir les acteurs locaux. D’après Sylvie FRANCIN, « d’autres acteurs institutionnels comme l’EPF PACA vont porter le foncier, vont l’acheter, vont avoir des projections dessus et après, vont nous le restituer. ».



conclusion

conclusion

CONCLUSION

122


RÉ-INVESTIR LES RESSOURCES EXISTANTES : UN BOULEVERSEMENT DANS LES PRATIQUES Pour reprendre le constat introductif, la sobriété énergétique est aujourd’hui relativement bien intégrée aux projets de construction, à travers des normes et des techniques constructives qui vont en ce sens. Néanmoins, à l’image des principes fondamentaux d’une ville ou d’un territoire frugal1, la sobriété, si elle se veut efficace, ne se trouve pas essentiellement dans la technologie, mais dans les pratiques et les cultures de fond. Si le souhait est de répondre efficacement aux enjeux environnementaux (consommation des ressources, émission de gaz à effet de serre, etc.), le principe de sobriété ne devrait-il pas s’élargir hors de la simple sphère énergétique ? Ne devrions-nous pas parler de « sobriété de la construction » ? S’il faut construire moins pour consommer moins et émettre moins, ce mémoire s’est attaché à démontrer que, sur le territoire français, la remobilisation de logements vacants s’avère être une alternative possible et une solution durable, sous bien des aspects. En quantité considérable et croissante, ils constituent un stock d’espaces habitables à valoriser et en nombre tel qu’ils semblent suffire à répondre aux besoins en logements de notre société. Il s’agit donc ici d’une proposition pour aller vers de nouveaux modes de production de logements, qui remettent en cause les pratiques traditionnelles consistant à construire toujours plus de logements neufs. Pour cela, les pratiques professionnelles, pédagogiques et habitantes constituent des leviers d’action essentiels. Pratiques professionnelles. Souvent considérée, à tort, comme une pratique architecturale de second rang (parfois même défini comme de l’architecture d’intérieur…), l’intervention sur l’habitat existant, sur les architectures domestiques ou ordinaires, est une pratique « plutôt négligée par les architectes, car elle ne correspond pas, pour la majorité d’entre eux, à leur représentation du champ idéal de la maîtrise d’œuvre, qui privilégie la création en construction neuve. Il faut encore développer de véritables plaidoyers pour convaincre que la réhabilitation est une discipline à part entière. »2. Il s’agit pourtant d’un secteur attractif et stimulant pour les concepteurs et les conceptrices, et les agences qui vont en ce sens sont de plus en plus nombreuses depuis une vingtaine d’années. Certaines s’engagent et refusent désormais les propositions lorsqu’il s’agit de concevoir un « Toutes ces spécialisations en essor projet neuf : considérer le patrimoine construit comme une resconfirment un intérêt croissant des source capable de répondre à une diversité de problématiques est architectes pour les interventions sur aujourd’hui une de leurs lignes directrices. C’est moins le cas pour l’habitat existant. », Christian MOLEY les entreprises de construction, pour qui la réhabilitation reste une dans (Ré)concilier architecture et activité de niche. En revanche, que l’on soit concepteur·trice ou réhabilitation de l’habitat constructeur·trice, la question des savoir-faire est un réel obstacle qui complique les projets autant que ce qu’il augmente les coûts. Néanmoins, nous avons montré que de nombreux outils et partenaires sont disponibles pour les professionnel·le·s du bâtiment, pour accompagner au mieux ces opérations, de la conception à la réalisation. Toutefois, si ces agences d’architecture engagées fleurissent dans les métropoles, ces initiatives se font beaucoup plus rares dans les territoires et villes à rayonnement local où les agences se spécialisent peu, sont peu sollicitées pour ce type de projet, et où l’ingénierie territoriale est déjà insuffisamment présente. À l’échelle des territoires, certaines communes s’engagent également, prennent conscience de leurs patrimoines et orientent leurs opérations vers l’amélioration de l’habitat, favorisant la remise sur le marché de logements existants. Cependant, les outils opérationnels en place permettent difficilement de remobiliser les logements vacants, pour lesquels aucun usage d’habitation n’est affecté.

1

HAËNTJENS Jean. op. cit.

2

MOLEY Christian. op. cit. p. 16

conclusion

Pratiques pédagogiques. Les formations actuelles ne proposent pas ou peu d’enseignements sur l’apprentissage des différentes interventions sur l’existant. À la sortie des études, le bagage pédagogique sur ces questions est relativement léger. Françoise CHOAY, critique à l’égard des formations, souhaitait déjà voir « réformer l'enseignement donné dans les écoles d’architecture en élaborant des stratégies de retrouvailles

123


avec le réel »3. L’auteure proposait alors une nouvelle vision de l’enseignement, dans laquelle il est essentiel d’y apprendre à « continuer les œuvres du passé […] de façon inédite »4 pour gagner en modestie et se réapproprier les différentes échelles d’aménagement, en faveur d’une vision contemporaine et durable des patrimoines ordinaires. Néanmoins, d’après nos échanges avec les architectes de l’agence Ré-architecture, ce sont des pratiques qui semblent s’apprendre principalement de façon empirique, lors des chantiers et après l’entrée dans le monde professionnel. Elles nécessitent un réel travail d’équipe avec les artisans. Des réponses adaptées, aussi bien à des critères environnementaux que spatiaux ou territoriaux, existent déjà et il semble aujourd’hui indispensable d’élargir le champ pédagogique au champ professionnel avec des outils de mise en réseau, de partage d’expériences et de projets. Pratiques habitantes. Parfois ré-appropriée par les habitant·e·s à travers l’auto-réhabilitation et grâce des techniques d’apprentissage, d’entraide et de conseils, la pratique s’essaye différemment pour tenter de se généraliser. Néanmoins, dans ces cas, l’intégration des critères patrimoniaux, énergétiques et de compréhension spatiale est souvent insuffisante. Ré-investir des espaces laissés vacants, sans affectation, c’est aussi se ré-approprier ces espaces. C’est finalement un geste fort qui va à l’encontre des pratiques de production de logements actuelles, pour lesquelles le logement, devenu un produit, est de plus en plus « désincarné » de sa raison d’être. Alors que l’architecte a parfois une place limitée, un juste équilibre est à trouver entre la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’usage, qui souhaite participer au projet dans cette logique d’appropriation. L’approche coopérative propose une solution à cela. C’est une innovation en termes de ré-appropriation de l’espace et une piste pour rendre possibles certains projets collectifs d’habitat dans l’existant. Toutefois, c’est encore un système de niche en essor au cœur des métropoles dynamiques et innovantes, mais qui peine à prendre dans les centres anciens des villes moyennes. En outre, la latence d’une ressource cache un fort potentiel à dévoiler. Un logement vacant – qui, par définition, est une ressource au regard des besoins actuels de notre société (besoins en logements, besoins en alternatives soutenables, besoins en revitalisation territoriale…) – nécessite une certaine quantité d’énergie de la part des acteur·trice·s pour que son potentiel latent devienne manifeste. Mais ces formes de conscientisation au sein des pratiques professionnelles, pédagogiques et habitantes sont déjà une première étape.

RÉ-INVESTIR LES RESSOURCES EXISTANTES : MISE EN PRATIQUE À DRAGUIGNAN

conclusion

À Draguignan – victime elle aussi de l’évolution croissante du nombre de logements vacants en coeur de ville –, la municipalité a mis en place une approche globale prévoyant de répondre, en transversal, à la problématique de la vacance. Sept thématiques traitées, théoriquement, en simultané, ambitionnent de revitaliser le centre ancien de la ville, sur 10 ans, à travers le PUG (Projet Urbain Global). Le volet « habitat » du PUG se traduit par une OPAH-RU qui, depuis 2018, accompagne les propriétaires dans leurs opérations de réhabilitation et d’amélioration de leurs logements. S’il s’agit de projets sur le temps long, certaines opérations sont toutefois déjà visibles. Elles améliorent l’image, devenue problématique, du centre ancien et ont permis de remettre sur le marché un certain nombre de logements et d’immeubles, vacants depuis plusieurs années. Toutefois, le tout semble insuffisant pour plusieurs raisons : - les imaginaires sociaux associés au centre ancien ont la peau dure et freinent son attractivité

124

- les programmes en place sont davantage utilisés pour de « simples » rénovations énergétiques que pour des réhabilitations lourdes permettant de repenser l’espace et proposer un habitat qualitatif - ces logements ne répondent pas aux promesses d’un mode de vie associé au tout-voiture et au centre commercial de périphérie (il est toutefois en passe de devenir obsolète) 3

CHOAY Françoise, LOYER François et MOUTON Benjamin. op. cit. p. 17

4

CHOAY Françoise. « Enseignement et patrimoine : un enjeu de société» (publié en 1995). Dans op. cit. pp. 307-317


RETOUR CRITIQUE · HYPOTHÈSES ET PROBLÉMATIQUES Les hypothèses formulées au début de l’étude se sont vues à la fois confirmées et nuancées : Ressources et énergie. Les données ont montré qu’en France, les logements subissant une vacance structurelle constituent un véritable stock de ressources à exploiter. Nos recherches ont permis d’affirmer que leur remobilisation serait une réponse tout à fait possible et plus soutenable face aux trop fortes dépenses énergétiques du secteur de la construction. Néanmoins, même s’il existe une diversité d’outils qui accompagnent cette transition, cette conception fait face à de nombreux freins pour être considérée comme un véritable modèle aujourd’hui. Cela nécessite une véritable volonté de la part de tous les acteurs, privés et publics, pour changer de paradigme.

Qualités spatiales et architecturales. La remobilisation de ces biens, en tant qu’espaces à vivre et à habiter, plutôt que simples produits du marché immobilier, revient à leur redonner de la valeur et à prendre soin de ces éléments constitutifs des patrimoines locaux, qui jouissent d’une valeur immatérielle forte. Quelques-unes de nos pratiques cherchent à évoluer en ce sens, pour tenter d’associer des formes de ré-appropriation et d’amélioration spatiale à la réhabilitation de l’habitat vacant. Néanmoins, nos études de cas ont montré que les projets qui répondent à ces enjeux, hors des territoires métropolisés, sont peu relativement peu nombreux et ambitieux pour constituer un corpus suffisant.

Territoires. De telles ambitions répondent pourtant à une diversité de questions que se posent les villes dites "moyennes", comme la revitalisation de leurs centres anciens, la limitation de l’étalement urbain, l’attractivité de l’offre de logements, etc. L’habitat privé inhabité en centre ancien constitue alors une véritable ressource à l’échelle de ces territoires en déprise. Certaines de ces villes s’engagent et mettent en place des opérations pour tenter de répondre à un panel de problématiques à travers l’habitat et ainsi construire une nouvelle façon d’habiter ces territoires. Mais peinent à y répondre, car elles manquent de moyens humains, techniques et financiers.

Une critique de ces conclusions consisterait à évaluer précisément l’impact de la généralisation de telles opérations de remobilisation et de réhabilitation de logements existants, sur le gonflement des prix du marché, sur l’inflation et sur la gentrification, car ces coeurs de ville sont aujourd’hui fragiles, paupérisés et le parc est principalement détenu par des propriétaires privés. La valorisation spatiale de ces biens ne va pas sans valorisation économique, et cette dernière s’accompagne souvent du phénomène de gentrification. Pour l’éviter, l’Anah et les communes mettent en place des dispositifs de conventionnement des logements privés, qui tentent de garantir une mixité sociale dans ces secteurs. De plus, l’habitat ancien est bien souvent synonyme de passoire thermique. La réhabilitation est une pratique vertueuse sur le plan environnemental, à la seule condition qu’elle soit accompagnée d’un projet de rénovation énergétique suffisamment efficace et ambitieux. C’est le cas lorsque le projet est mené avec des acteur·trice·s professionnel·le·s engagé·e·s et des politiques publiques, qui fixent des objectifs pour obtenir les subventions, mais ce n’est pas systématique. Pour avoir une réflexion globale sur ces questions, les communes doivent-elles (re)prendre la main sur les besoins réels des habitant·e·s et sur la production architecturale privée, comme elles le font dans l’espace public ? Comment les architectes peuvent-ils·elles jouer un rôle, favoriser la conscientisation des capacités de ces ressources et faciliter leur diagnostic ? Comment l’étroite collaboration entre les municipalités, les propriétaires privés et les professionnel·le·s locaux peut devenir une solution ?

conclusion 125


RETOUR CRITIQUE · MÉTHODOLOGIE Méthodologie d’étude. La réflexion a commencé par une méthode empirique : des « prises de notes » assez furtives, au fil de l’apparition des questionnements. Il s’agissait alors de « noter » chacune des réflexions au moment où elles se présentaient, pour conserver ce flux d’hypothèses et d’interrogations. Avec le recul, ce processus de réflexion, nourri d’expériences du quotidien et de lectures aussi diverses que variées, me semble quelque peu décousu. Il ne permettait pas de constituer, en amont, un corpus d’étude cohérent. Cela habilite cependant à retrouver des notions abordées en début de raisonnement. Certaines sont aujourd'hui obsolètes, mais me permettent de schématiser chronologiquement les étapes et de conserver une trace des toutes les réflexions, qui serviront potentiellement dans d'autres productions à venir. Méthodologie de travail. Cette méthode empirique était en réalité une phase d’observation qui a nécessité un certain temps avec de pouvoir être clarifiée et définie. Les délais qui m’étaient impartis étant plus longs que les délais conventionnels, j'ai choisi de laisser le temps qu'il fallait à cette phase pour faire mûrir « naturellement » les réflexions, sans forcer le parcours de recherche en prenant telle ou telle autre direction, et poser telle ou telle autre hypothèse, par contrainte temporelle. Néanmoins, cette période de travail –qui n’était pas destinée à la production, mais plutôt au ciblage des questions auxquelles je souhaitais répondre– a retardé le début des lectures les plus consistantes, notamment celles qui sortaient du cadre purement théorique et entraient dans l’analyse de cas pratiques et d’exemples concrets, comme celle de l’ouvrage de Christian MOLEY qui est venue tardivement compléter ma bibliographie. Le Projet de Fin d’Études du Master 2 sera une opportunité pour traiter ces questions en pratique et articuler la recherche par le projet. De plus, le fil des réflexions et de la rédaction a été perturbé par la crise sanitaire du Covid-19. Le lieu de confinement sur lequel je me trouvais ne me permettait pas de mettre ce temps au profit de la rédaction. L’accès aux textes s’est compliqué. Si certains étaient disponibles en ligne, les ouvrages en bibliothèque n’étaient pas accessibles, même si l’entraide a été le maître mot sur cette période. Je tiens par ailleurs à remercier Luna D’EMILIO pour m’avoir partagé certains d’entre eux pendant cette période..

LIMITES DE L’ÉTAT DE L’ART À l’échelle du centre ancien de Draguignan, le manque de données s’est révélé être un frein majeur pour l’élaboration de l’état des lieux, tel qu’il était prévu. Les données obtenues étaient insuffisantes au regard des ambitions portées au début de l’étude. De même, le caractère privé des projets a restreint l’accès physique aux logements et, de fait, l’analyse des projets à l’extérieur des bâtiments. Cette analyse semble aujourd’hui insuffisante compte tenu des questionnements sur l’aspect qualitatif des espaces. Les affirmations portées tout au long de l’étude manquent de spatialisation.

conclusion

La multitude d’études et de rapports officiels sur la question des dépenses énergétiques du secteur de la construction fait écho d’une forte volonté à réduire les émissions, notamment à travers la SNBC. Ces stratégies se restreignent souvent au cadre des consommations énergétiques d’un bâtiment. Au-delà de ces données techniques et des rapports chiffrés des organismes gouvernementaux, peu d’écrits questionnent frontalement les dépenses énergétiques liées au fait même de construire. Il y a ainsi un certain nombre d’articles de presse relayant les chiffres et alertant sur la quantité de logements vacants, mais peu de recherches sur ces questions de fond. L’effondrement des pratiques actuelles du secteur de la construction apparaît comme une faille absente des scénarios stratégiques : un nombre de logements qui explose face à une démographie stagnante et un nombre de logements vacants dont on ne sait plus quoi faire.

126

Comment peut-on concevoir une neutralité carbone sans même remettre en question les pratiques telles qu’elles le sont aujourd’hui ? Peut-on parler de sobriété à l’échelle d’une société et demander à ses populations d’être responsables face aux enjeux environnementaux, sans même questionner cette industrie au rythme déraisonné et si polluant ? Ces questions trouvent difficilement des réponses dans les productions écrites existantes, probablement pour des questions d’enjeux collatéraux (économiques, sociaux et culturels). À son échelle, notre recherche a ainsi essayé de proposer une alternative à cette impasse.


PROJET DE RECHERCHE La volonté ici est d’articuler ce travail d’initiation à la recherche avec d’autres travaux à venir. Le mémoire associé à la mention de master VEU est prévu comme une continuité de la partie 3 de ce mémoire. Le PFE, quant à lui, est prévu comme un exercice de recherche par le projet qui viendra répondre aux hypothèses portées sur questions spatiales, les qualités architecturales et les possibilités d’articulation entre l’ancien et le contemporain, sans mettre ces deux architectures en tension. À plus grande échelle, il s’agira de traduire spatialement les besoins du projet territorial contemporain – et son articulation avec le projet architectural et le projet urbain –, que je souhaiterais développer sur le territoire dracénois. Le cadre de la mention Recherche se présente comme une opportunité pour explorer ces différents aspects de la problématique, selon les contraintes des différents contextes d’étude. Pour finir, nos échanges avec Jean-Louis COUTAREL ont permis d’imaginer une suite professionnelle à ces questionnements. Le programme 1000 doctorants pour les territoires ouvrent les possibilités quant à la mise en place d’un projet de thèse, au sein d’une structure publique ou d’une collectivité qui souhaite répondre aux questions que nous avons en commun. De nouvelles manières d’exploiter nos compétences émergent et diversifient les pratiques professionnelles au profit de l’intérêt à la fois collectif, public et local.

aspect transversal

contexte de "crises" Question permanente

Il est urgent d’éclairer sur la question des ressources face aux limites de celles que nous connaissons. Quelles peuvent-elles ces ressources existantes ?

Thématique

valoriser/régénérer/réhabiliter les ressources latentes

Question permanente

La valorisation de l’existant et des logements inhabités peut-il constituer une réponse suffisante et soutenable ?

Cadre d’étude

MEM ARCHI

MEM VEU

PFE

Échelle d’étude

centre ancien de ville "moyenne"

cadre territorial de ville "moyenne"

habitat ancien en coeur de ville "moyenne"

recherche théorique

recherche théorique

expérimentations

étude de cas

études comparatives

recherche par le projet

Méthodologie

Tableau schématique du projet de recherche

conclusion 127


GLOSSAIRE

glossaire

GLOSSAIRE

128


Ce travail fait appel à un certain nombre de termes et notions qu’il a fallu interpréter ou définir pour en faire usage avec le plus de précision possible. Il semble essentiel d’exposer quelques définitions clés retenues en cohérence avec l’objet de la recherche. Les mots marqués d’un * dans le texte font référence à ce glossaire.

Vocabulaire généraliste Ressource La question de la ressource est, à la fois, extrêmement vaste et au centre de toutes les attentions maintenant que nous sommes pleinement conscients de ses limites. Il s’agit aujourd’hui d’ouvrir le champ des possibles pour réévaluer ce que nous considérons comme « ressources », et ce qui ne l'est pas ou pas encore. La notion de ressource relationnelle montre qu’il s’agit de situer un élément par rapport à tel ou tel autre enjeu, pour qu'il soit développé en tant que ressource. Autrement dit, la ressource n’est pas ressource avant d’être développée comme telle, dans un contexte spécifique.1 La ressource matérielle est tirée directement de la matière palpable, qui est encore majoritairement une matière première au profit d’un usage productif (comme le pétrole pour l’énergie ou encore le sable pour la construction en béton). Les questions qu’elle pose à l’ère post-carbone annoncent la notion de ressource immatérielle qui se développe dans un contexte de projet. À grande échelle, elle peut devenir une ressource territoriale et alimenter les territoires pour les rendre plus attractifs.

Ressource latente et latence « Si le latent se définit comme une entité dissimulée, comme une propriété pour l’heure invisible, en attente de valorisation ou d’éclosion, le mot exprime aussi une situation intermédiaire entre une cause et son effet, ou entre l’aboutissement d’un processus et le démarrage d’un autre, suivant, possible, à venir. »2 En d’autres termes, une ressource en latence est une ressource en attente de valorisation qui attend les conditions idéales et/ou une interaction externe pour se manifester. Le latent d’oppose d’ailleurs au manifeste.

Sobriété et frugalité Au sens épicurien du terme, la notion de frugalité définit un « art de concilier la satisfaction de plaisirs naturels et nécessaires avec une relative économie de moyens ». Au sens urbain du terme, selon Jean HAENTJENS, c’est « vivre mieux en consommant moins de ressources »3. Pour ce dernier : « parmi les visions possibles de la cité de demain, il en est une qui fait son chemin : c’est celle de la ville frugale, qui se fixerait comme priorité d’offrir plus de satisfactions à ses habitants en consommant moins de ressources. Cette approche, développée par plusieurs villes européennes, voit dans les contraintes énergétiques et économiques qui se resserrent, non pas une menace, mais l’occasion d’inventer un nouvel art de vivre (ou de ville), plus joyeux, plus en phase avec les identités locales, moins dominé par les stéréotypes de la consommation mondialisée. » Cette notion n'est pas sans rappeler celle de la sobriété, qui fait état de la modération dans un domaine quelconque. Aujourd’hui, la sobriété, notamment énergétique, se présente pour certains comme l’unique stratégie viable sur le long terme pour répondre à la crise environnementale. De façon plus radicale, elle peut se définir comme « une forme de résistance, une posture pour protester contre la société de surconsommation », ainsi qu’« une forme de contribution à l’équité, une posture pour protester contre un monde où surabondance et misère cohabitent »4.

D’EMILIO

Luna. La ressource comme relation. [cours magistral] 16 octobre 2020. ENSA de Lyon

2

D’ARIENZA

3

HAËNTJENS Jean. La ville frugale. Paris : FYP Éditions. 2011

4

RABHI Pierre. Vers la sobriété heureuse. Collection Babel. Arles : Actes Sud. 2010. p. 65

Roberto, LAPENNA Annarita, YOUNÈS Chris, et al. Ressources urbaines latentes. Genève : MétisPresses. 2016.

glossaire

1

129


Vocabulaire de l’architecture, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire Acupuncture urbaine · page 83 et 110 L’acupuncture urbaine est une formule conceptuelle traduisant une stratégie urbaine qui porte son attention sur des petites zones en difficulté et à revitaliser, plutôt que sur de larges secteurs qui laisseraient place à des projets urbains prévus par les planifications d’urbanisme. Elle permet d’agir à petite échelle, à court terme et à des coûts moindres pour répondre à des problématiques locales. Souvent assimilée à l’urbanisme tactique, l’acupuncture urbaine considère la ville comme un organisme qu’il faut soigner par points. La formule s’est généralisée grâce à Jamie Lerner, architecture, urbaniste et ex-maire de Curitiba, au Brésil.

Consolidation urbaine · page 110 C’est un « mode d’urbanisation qui mise sur les opportunités de développement ou de re-développement à l’intérieur même des milieux urbanisés »5. Il s’agit optimiser l’utilisation du territoire en retenant ou attirant de nouvelles activités et en assurant sa rentabilité. L’objectif est de tirer profit des qualités d’un milieu de vie déjà habité (commerces, transport en commun, arbres, etc.) et revitaliser ces milieux. Les projets de recyclage architectural, de densification et d'amélioration de l’espace public sont des outils de consolidation. Il permet également de limiter l’étalement urbain, l’utilisation l'énergie liée au transport de personnes et la délocalisation des biens et services.

Logement vacant Selon l'Insee, un logement vacant est un logement inoccupé qui peut l'être pour plusieurs raisons : il est gardé vacant et sans affectation précise par le propriétaire, il est en attente de règlement de succession, il est conservé par un employeur pour un usage futur au profit d'un de ses employés, il est proposé à la vente ou à la location et en attente d’occupation. Il se diffère de la résidence secondaire qui est un logement utilisé pour les week-ends, les loisirs ou les vacances ou un logement meublé à louer pour des séjours touristiques, et qui intègre également les logements occasionnels, souvent difficiles à distinguer. Une vacance conjoncturelle est souvent de courte durée. Une vacance structurelle est plus problématique, car elle est de longue durée et sa mutation est plus difficile.

Patrimoine

glossaire

« Selon l’approche traditionnelle, aujourd’hui encore dominante, le patrimoine bâti s’identifie aux « monuments remarquables » (châteaux, églises, places, jardins...), à l’architecture vernaculaire ou même industrielle, jusqu’à comprendre le « petit patrimoine populaire » : un répertoire d’objets singuliers et autonomes auxquels s’appliquent les outils de protection, d’entretien, de conservation et de restauration. »6 Dans sa définition populaire, la notion de « patrimoine » reflète donc cette division qui existe entre les édifices qui font l'objet d'une quelconque protection et ceux qui ne le font pas. Cette distinction masque l’intérêt porté à cette dernière catégorie, qui fait l'objet de notre étude : l’habitat sous la forme d’architectures du quotidien. En ce sens, pour reprendre les termes de Françoise CHOAY7, c’est l’expression « patrimoine ordinaire » qui la désignera et la distinguera du patrimoine extraordinaire relevant de l’architecture singulière, exceptionnelle, historique, protégée…

Collectif VIVRE EN VILLE. « Consolidation et requalification urbaines » Collectivités viables. [Consulté le 22 décembre 2019]. En ligne : http://collectivitesviables.org/articles/consolidation-et-requalification-urbaines.aspx 5

6

Conférence Permanente du Développement Territorial de Wallonie

CHOAY Françoise. « De la démolition » (publié en 1996). Dans Pour une anthropologie de l'espace. Collection La couleur des idées. Paris : Seuil. 2006. p. 295 7

130


Patrimoine bâti/stock bâti Le stock bâti désigne donc l’entièreté du patrimoine construit, de ce qui est édifié et existant aujourd’hui, vacant ou occupé.

Recyclage foncier Lorsqu’une collectivité récupère un foncier afin de le maîtriser, elle le transmet ensuite à un opérateur qui y propose un programme, nouveau ou équivalent, et réalise les travaux. C’est ce qui s’appelle du recyclage foncier. Le plus souvent, un foncier est recyclé lorsque le bâti est insalubre ou dégradé. Toutefois, le recyclage foncier est souvent synonyme de démolition/construction, à cause des coûts relatifs à la nécessité d’une réhabilitation lourde.

Renouvellement Urbain · page 45 Utilisé comme dispositif associé à une OPAH, le RU (Renouvellement Urbain) favorise la portée globale de l’opération et laisse la possibilité de dépasser du cadre du logement ou de l’immeuble, à l’échelle d’un îlot, avec des dispositifs de recyclage foncier, etc.

Séchoir · page 96 Ancien dispositif de terrasse couverte, sous la toiture, typique du sud de la France et originellement utilisé pour sécher le linge ou les denrées alimentaires, parfois confondu avec la terrasse tropézienne

Villes moyennes Selon les organismes institutionnels, une ville moyenne est généralement désignée comme une ville qui concentre entre 20 000 et 100 000 habitants8. L’Insee définit également ces territoires comme des aires urbaines centrées autour de villes de 20 000 à 100 000 habitants. Il y aurait ainsi 400 villes moyennes sur le territoire français, sur un panel de profils relativement diversifié. Certaines se rapprochent des grandes aires, d'autres se caractérisent par leur caractère plus « administratif » ou plus « industriel ». Ce sont elles qui maillent le territoire, aux côtés des grandes agglomérations. Pour le programme Action Cœur de ville, il s'agit d'une partie du territoire français représentée par 23% de la population (soit 15 500 000 français·e·s) et 26% de l’emploi, mais également plus de chômage, de pauvreté, de vacance de logements9. Elles se regroupent au sein de la Fédération des villes moyennes (FVM) devenue, le 19 juin 2014, la Fédération des villes de France. Elle a pour objectif de faire valoir les spécificités des villes (hors territoires métropolisés) et de leurs intercommunalités, en se préoccupant de l’avenir des ces villes et intercommunalités nonmétropolitaines. Par ailleurs, la Fédération des villes de France a choisi de prendre la fenêtre la plus large de toutes les définitions proposées entre définissant les villes moyennes comme des villes qui accueillent entre 15 000 et 100 000 habitants. Néanmoins, certaines études10 reprochent à ces définitions statistiques d’occulter une certaine réalité et d’effacer les nuances entre les territoires. Il est difficile de dresser un portrait précis de la ville moyenne, car elles ne constituent pas un ensemble homogène.

Selon l’association des maires de France

9

ANCV (sous l’ex-CGET). Consultation nationale du Programme Action Coeur de Ville. 29 août 2019.

glossaire

8

SANTAMARIA Frédéric. « La notion de "ville moyenne" en France, en Espagne et au Royaume-Uni ». Annales de géographie, n°109. Armand Colin. 2000. pp.227-239 10

131


Vocabulaire de l’économie et de la sociologie Choc d’offre · page 14 De manière générale, le choc d'offre est un phénomène économique qui vise à produire plus (s’il est positif) ou produire moins (s’il est négatif) à la suite d’un événement, d’une prise de décision, d’un changement sociétal… Un choc d’offre positif fait donc augmenter l’offre d’un produit dans un secteur spécifique et baisser son prix. Exemple : l'exploitation du pétrole de schiste par les États-Unis a fait baisser le prix de la matière première. Dans le secteur de la construction, le logement est aujourd’hui considéré comme un simple produit (au-delà même du droit) intégrant un système économique fluctuant. En ce sens, le gouvernement a mis en place des dispositifs participants à créer un choc d’offre dans la production de logements : un des objectifs de la loi ELAN (2018) est de « construire plus, mieux et moins cher »11 Cela consiste donc à construire plus pour faire baisser les prix des logements et participe fortement à la hausse du taux de production de logements en France.

Externalités positives et négatives · page 21 et 58 Ce terme, d’abord issu du lexique économique, désigne l’impact positif ou négatif d’une activité sur les coûts. Transposée au domaine du développement durable, une externalité positive ou négative désigne l’impact environnemental. La pollution au lithium qui est une externalité négative des panneaux solaires, tout comme les émissions de CO2 qui sont une externalité liée aux transports du bois dans la construction.

Gentrification · page 21 et 90 La gentrification est un phénomène d’embourgeoisement d’un quartier populaire suite à des opérations de rénovations urbaines qui favorisent l’attractivité, la hausse de prix et, par définition, le renouvellement des populations, en dépit des classes populaires qui se voient délocalisées.

Paupérisation · page 26 et 113 La paupérisation désigne l’appauvrissement d’une classe sociale ou d’une population. Un quartier paupérisé est souvent un quartier où le taux de chômage est élevé, le bâti dégradé et où les populations exclues sont concentrées.

Tendances lourdes et signaux faibles

glossaire

· page 37 « Les tendances lourdes sont des phénomènes inévitables, qui structurent nos sociétés »12 sous la forme d’une orientation de longue durée qui va agir sur l’ensemble d’un groupe social pouvant être à l’échelle d’un pays. Exemple : l’essor des technologies numériques, la métropolisation du territoire ou la périurbanisation · page 16 « Les signaux faibles sont des phénomènes émergents, qui peuvent se généraliser et/ou introduire des changements profonds dans nos sociétés »13. Exemple : les énergies renouvelables, l’exode urbain, la construction en terre ou la réhabilitation de l’habitat ancien Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales. Loi ELAN. En ligne : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/loi-portant-evolution-du-logement-de-lamenagement-et-du-numerique-elan 11

TABET Alexeï. « Tendances lourdes et signaux faibles » Tribune Fonda, n°231. Septembre 2016. En ligne : https://fonda.asso.fr/ressources/tendances-lourdes-et-signaux-faibles 12

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Ibid.


acronymes et Termes issus de l’administration ABF : Architectes des Bâtiments de France ADEME : Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, aujourd’hui Agence de la Transition Écologique

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ANCT : Agence Nationale de la Cohésion des Territoires - ex-CGET (Commissariat général à l'Égalité des territoires)

ANRU : Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine AVAP : Aire de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine BBC : Bâtiment Bas Carbone Loi ALUR : Loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové - votée le 24 mars 2014

Loi ELAN : Loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - votée le 23 novembre 2018

Loi MOP : Loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée - votée le 12 juillet 1985

Loi NOTRE : Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République - votée le 7 août 2015

OPAH-RU : Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat et Renouvellement Urbain - programme de réhabilitation du parc privé sur un périmètre précis, au sein d’une commune ou d’un EPCI, mis en place en 1977

RNCLV : Réseau National des Collectivités mobilisées contre le Logement Vacant SNBC : Stratégie Nationale Bas Carbone ZAC : Zone d’Aménagement Concerté ZPPAUP : Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager glossaire 133


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bibliographie

BIBLIOGRAPHI E

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Site internet du PIG Habiter Mieux en Dracénie : https://habiter-mieux-en-dracenie.fr

bibliographie

Page internet de l’OPAH-RU de Draguignan : https://www.ville-draguignan.fr/actu/91-opah-ruameliorer-et-transformer-l-habitat

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Annexes

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ANNEXES

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Entretiens Les entretiens réalisés étant relativement longs, les joindre dans leur intégralité aurait représenté une quantité de texte trop importante. Les extraits présentés ci-après ont été sélectionnés sur la base de ce qui a servi à faire avancer directement le travail de recherche.

12 mars 2020 - entretien avec Sylvie FRANCIN, adjointe à l’urbanisme à la mairie de Draguignan (titre au moment de l’entretien) – J’ai cherché des données en open data sur le site de la mairie, mais je n’ai rien trouvé. Je me demandais si ces données sont accessibles. Je me pose la question parce-que, ayant passé une année au Brésil, j’étais surprise de voir que les données concernant tous les locaux vides (statut du local + propriétaire) sont accessibles au grand public. Il me faudrait 2 types de données : - les données quantitatives : nombre de logements vacants, indice de la durée de vacance conjoncturelle (entre 1 à 4 ans en moyenne, suivant les villes). - les données qualitatives : raisons de la vacance (offre inadaptée, vétusté, attractivité du centre-ville, etc.) – Nous avons fait de la concertation publique tout le temps, avec les gens. Ces documents étaient destinés à leur compréhension.

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– La collectivité a mis en place certaines stratégies pour résorber la vacance des logements, notamment l’OPAH-RU. Quels sont ces dispositifs ? Est-ce que vous pouvez me décrire ces stratégies urbaines et leur processus ? – Il y a l’OPAH, le RU et le RHI. L’OPAH, c’est un dispositif qui va permettre aux gens qui en bénéficient, au travers des subventions de l’État, de pouvoir recevoir jusqu’à 80% de subventions qui vont leur permettre de réhabiliter intégralement leur bâti, leur cage d'escalier, leur habitat. Donc on est sur des actions relativement fortes qui vont permettre de réhabiliter le cœur de ville au fil du temps, de façon ponctuelle. Le RHI c’est pour permettre de réhabiliter l’habitat insalubre ou indigne. On est sur plusieurs dispositifs en même temps, qui vont même permettre d’être coercitifs en fonction de certaines situations et pouvoir en quelque sorte obliger les propriétaires. Aujourd’hui, on se dit qu’on a commencé un processus qui agira sur le long terme. On ne peut plus dire que le constat est tellement lourd qu’on ne peut rien faire. Même si c’est que 260 au lieu de 1000. Plus on est dans l’exemple, plus les gens se disent « mais t’as vu ce qu’ils ont fait ? On aurait dû rentrer dedans ? ». Si on voit que ça fonctionne, on peut toujours relancer les dispositifs à l’avenir. C’est incitatif et ça fonctionne. C’est notre devoir d’élus de sortir les gens de ces situations. Pour le PUG, le Projet Urbain Global, il y a 4 thématiques. Nous avons travaillé sur la thématique du commerce, le parcours commercial. C’était lui à l’évidence qu’il fallait re-densifier immédiatement pour faire revenir les gens en cœur de ville. Nous avons travaillé ensuite sur le tourisme et le culturel. Nous avons aussi l’habitat qui est indéniablement un élément majeur de ce PUG, puis l’aménagement urbain, qui décline des autres. Nous avons compris que nous avions besoin de travailler sur tous les axes de la ville à la fois. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons refait la place du marché, c’était de l’attractivité dont il s’agissait. Puis le boulevard Clémenceau pour redonner une dynamique de venue et redonner un parcours de visite. À partir du moment où vous retravaillez et vous déqualifiez un boulevard, vous avez la possibilité de travailler sur ces trottoirs, et donc de donner la profondeur et le champ nécessaire pour qu’il y ait une circulation des habitants, mais qu’il y ai aussi un axe sur lequel les gens peuvent s’installer, comme les commerces de bouche, les cafés, les restaurants… Pour qu’ils puissent s’installer, mais aussi vivre le boulevard. C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé le mobilier urbain. Donc toutes ces thématiques-là ont été prises en considération par un bureau d’étude que nous avons commandité, que nous avons choisi, qui s’appelle Citémétrie, avec la capacité de travailler sur tous les axes en même temps puisqu’ils avaient des spécialisations et tout se déclinait de façon à ce qu’ils puissent nous

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rendre une étude globale. Ce qu’on ne voulait pas, c’était d’avoir quelqu’un pour l’habitat et quelqu’un pour le commerce. Puisque c’est un projet urbain global, il fallait travailler avec toutes les thématiques de manière transversale. Et partant de ça, l’habitat n’était donc pas le moindre des sujets à traiter. C’était une volonté forte du maire : on ne peut pas traverser une ville, un cœur de ville et voir son dynamisme commercial, touristique et culturel et ne pas percevoir à côté que l’habitat est totalement dégradé au fil des années. C’était quand même le cœur historique et celui qui, au 15e et 16e siècle, s’est construit et bâti au fur et à mesure de l’histoire de Draguignan. On est sur un bâtiment très ancien et souvent dégradé, et sur lequel, évidemment, des marchands de sommeil s’installent, font l’argent sur l’indignité et les gens qui sont en situation sociale complexe. Nous sommes effectivement sur une ville sur laquelle nous avons une population qui est à 60% éligible aux logements sociaux et aux aides sociales. C’est une population qui vient en partie de l’étranger ou de familles déstructurées ou dévalorisées socialement, et les loyers sont trop importants pour un habitat classiquement correct. Les marchands de sommeil vont se servir de ça pour profiter des personnes en difficultés sociales et qui vont accepter un toit dans des conditions déplorables. Il y avait donc plusieurs enjeux. Il y avait l’habitat, mais le principal c’était l’enjeu humain.

__ – Lorsque vous dites coercitif, c’est avec quels outils ? des taxes ? – Ah non, non. Carrément on les oblige à être en déclaration d’utilité publique pour travaux. On va les obliger, on va prendre une ORI. On va prendre une décision forte et on va leur dire « voilà, maintenant vous avez une DUP de travaux. Vous allez devoir mettre en place les travaux pour pouvoir réaliser ça. », donc on peut être coercitif grâce à ces outils. Quand on a des propriétaires qui ne font rien, on peut leur soumettre la possibilité ou l’obligation de faire les choses, de façon coercitive. Donc on a plusieurs dispositifs qui se mettent en place et la volonté c’est que progressivement, l’intérieur et l’extérieur, on réhabilite les choses et qu’on fasse revenir un certain type de population, qui ne sera pas forcément comme elle l’est à l’heure actuelle, mais qui aura envie de revenir en cœur de ville. Donc il faut redonner les outils importants à l’habitat. Il y a d’ailleurs un nouveau dispositif préfectoral, le PLHI, pour lutter comme l’habitat indigne. Il existe depuis 2017. Nous sommes en lien avec les agences régionales de santé, les UTS, le préfet, les polices municipales et nationales. Il y a un vrai dispositif qui permet de mailler le territoire et d’avoir tous, au même moment, l’information comme quoi il y a un logement indigne quelque part et tous vont l’interdire. Tous ces dispositifs là font qu’aujourd’hui on ne peut pas passer à côté de l’habitat insalubre. On a aussi le PIG, le Projet d’Intérêt Général, porté par l’agglomération, qui traite du reste de la ville. On ne pouvait pas avoir deux dispositifs pour le même objet, on a le PIG pour toute la ville en cohérence avec les stratégies menées à l’échelle du territoire et non du cœur de ville uniquement. Ça sert à obtenir des subventions pour des réhabilitations en périmètre extérieur au PIG. Avec ce dispositif, on travaille avec le conventionnement. C’est-à-dire que le propriétaire qui réhabilite est obligé de confier le logement à du locatif social pendant 9 ans. La ville est maillée en fonction de ces dispositifs.

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– D’où viennent les subventions ? – De la mairie pour toutes les façades, les toitures de façon à pouvoir permettre de travailler sur la façade et le visuel. Il y a de magnifiques appartements à vivre en cœur de ville, mais malgré tout, certaines façades sont délaissées. Donc on a mis un dispositif pour aider les gens à réhabiliter leur façade. En fonction de la difficulté de réhabilitation et de rénovation, il y a des façades qui vont nécessiter certaines techniques qui font que nous ne sommes pas sur le même degré de financement, parce-qu’il y a des opérations qui coûtent plus cher que d’autres. On peut juste repasser à la chaux ou donner un coup de peinture. Mais parfois il faut re-consolider le bâtiment. On travaille aussi très souvent sur l’énergie. Le reste des subventions viennent du département et de la DPVA, qui est délégataire des aides de l’ANAH. L’ANAH est un volet fort, elle nous accompagne énormément sur ce dispositif.

__ – Comment sont réalisées les études ? C’est du travail de terrain ? – C’est énormément de travail de terrain, mais c’est leur profession (à Citémétrie). Ils connaissent ces sujetslà et sont d’une efficacité redoutable. La première année, on a eu plus de retours qu’on n’en attendait. On a

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– Quels ont été les difficultés, les freins dans la mise en place de ces plans d’action ?

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décidé d’une enveloppe globale de réhabilitation, mais on a dépassé le nombre de retours. On a eu plus de retours que ce qu’on espérait. On espère le maximum, mais on se dit aussi, là on a vraiment du succès. La mayonnaise prend, les gens sont intéressés. Imaginez que vous avez un appartement en cœur de ville et le projet de réhabilitation est à 200 000€. On vous en donne 160 000€, qu’est ce que vous faites ? __ – Le nombre de logements vacants ne cesse de croître. Suite aux premières mises en application des dispositifs, connaissez-vous le nombre de logements vacants remis sur le marché ? – Sur ce constat-là, on devait vraiment faire des actions qui soient majeures, qui soient sur le long terme. Donc le retour est très clair : non seulement nous voulons faire une OPAH, mais en renouvellement urbain. C’est-à-dire qu’on s’attaque vraiment du haut. Le diagnostic a récupéré un certain nombre d’actions à mettre en place, mais en tout et pour tout, on a travaillé sur l’équivalent de 200 à 300 logements. Certains étaient habités par des propriétaires occupants, d’autres par des locataires, d’autres vides. On s’intéresse aussi aux co-propriétés dégradées, pour leur donner la capacité de se structurer et de prendre des décisions, parce-que c’est ça aussi quand vous avez des copropriétés où il n’y a pas de syndic, où on ne s’est pas constitué en syndic bénévole, où personne n’agit, interagit et ne décide de faire des travaux, vous êtes en roue libre totalement. Il faut accompagner ça. C’est aussi un axe fort : identifier les copropriétés dégradées sans syndic et commencer à leur constituer une capacité à répondre à leurs volontés, de mobiliser leurs actions sur leurs propres bâtiments. __ – Lorsqu’un local commercial est racheté par les mairies, est-il possible d’envisager le rachat des logements vacants dans le même immeuble pour proposer un projet plus global à l’échelle du bâtiment entier ? Pouvez-vous réquisitionner les logements ? – On peut faire de la préemption. Mais le principe, c’est de ne pas faire de la préemption, si on peut avoir des accords avant. Il y a plusieurs dispositifs de rachat. On peut se contenter aussi de ne pas racheter. Mais si on voit qu’un ilot ou un bâtiment nous intéresse parce-qu’il fait partie de la trame que l’on veut réhabiliter et qu’il est en vente, on peut le préempter. Alors on passe par une évaluation des domaines qui nous dit combien vaut cet ensemble ou ce logement par rapport au marché et on peut le préempter comme ça. Donc on a un droit de préemption, mais on l’évite. D’autres acteurs institutionnels comme l’EPF PACA vont porter le foncier, vous l’acheter, vous avoir des projections dessus et après, vont nous le restituer. C’est une commune importante de 40 000 habitants, mais c’est une commune dite encore rurale, malgré tout, donc on perd des financements de l’état chaque année. Ce genre d’acteurs qui portent le projet sont importants. Ils nous accompagnent financièrement pour 3/4 ans et après, projetant sur l’achat, sur la réhabilitation, le redonner à des bailleurs sociaux par exemple, comme la SAIEM, de façon à ce qu’ils terminent le travail. Et puis parfois, la commune n’est pas obligée de se mettre au milieu. Il y a les bailleurs sociaux. La SAEIM de construction est le bras armé en termes de bailleurs de la ville. D’ailleurs, le maire est président actuellement. La ville n’est pas forcément dans l’obligation d’être un acteur immédiat. C’est aussi un acteur qui peut avoir une vision, encourager un autre organisme et récupérer ça au travers des bailleurs sociaux locaux. Ça se produit souvent comme ça. __ – Que pensez-vous des dispositifs de réquisition pour conventionner les logements en logement sociaux, et encouragés par le Ministère dans le cadre du dernier plan de re-mobilisation des logements vacants ? – Pour ce genre d’outils, lorsqu’une commune rentre dedans, elle se rend souvent vite compte qu’il y a un grand nombre d’éléments qui dérangent un peu la marche à suivre, qui font qu’on n’obtient pas ce que l’on voulait dès le départ et qui ne sont souvent pas prévus dans ces plans. Tous ces dispositifs comme ça de réquisition, c’est gentil, mais il faut savoir ce qu’on en fait derrière. Nous avons choisi de travailler plus structurellement, avec les outils qui ont été décidés par les acteurs qui nous accompagnent. Et maintenant nous sommes dans la faisabilité. Nous préférons ce genre de procédé. __

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– Il y a d’abord le manque d’investisseurs. Lorsque vous parlez à des investisseurs ou des promoteurs, le cœur de ville ne les intéresse pas. Ou alors il faut qu’ils aient des îlots pour 300/400 appartements. Ce ne sont pas des gens qui font du bénévolat, qu’on soit bien clair… donc l’intérêt n’y est pas pour eux de travailler sur des petites surfaces en centre-ville dans ces conditions. Nous sommes malheureusement sur des enjeux forts de société, et eux malheureusement n’investissent pas sur les cœurs de ville, ou alors il faut vraiment que ce soit la « grosse Bertha » et qu’on leur donne les 3/4 du cœur, mais c’est totalement impossible. Déjà il y a des gens qui sont propriétaires de leur appartement et qui, eux, essayent de se constituer en syndicat de propriétés, qui essayent de faire vivre leur bâtiment et qui s’en sortent difficilement. Pour toutes ces personnes qui sont propriétaires occupants, il faut aussi prendre en compte la capacité qu’ils ont à vivre en cœur de ville et les difficultés qu’ils ont à rencontrer ces dégradations sur lesquelles ils ne peuvent pas agir, car c’est trop important. __ – Dans ces cas-là, c’est souvent un logement en particulier ou plutôt l’ensemble qui se dégrade ? – Ah non, non, c’est bien l’ensemble du bâti. Il suffit de se promener et de rentrer dans les cages d’escalier pour se rendre compte de l’indignité des choses. Il était absolument impossible de continuer comme ça. Par exemple, 5 jours après notre arrivée à la mairie, nous avons eu un premier péril qui a été traité imminent, rue de Trans. Quelques jours après, nous avons carrément eu 3 bâtiments rue de l’observance qui se sont éboulés, qui n’ont laissé que la façade. C’était connu préalablement, mais personne n’avait travaillé dessus depuis 10 ans. Ce sont des électrochocs qui nous font comprendre que si on ne travaille pas sur l’habitat, on met les gens en danger. On a énormément eu de chance que rien de grave ne se soit arrivé. Des opérations programmées (ce qu’on appelle l’OPAH) avaient été mises en place, il y a une vingtaine d’années, mais sur des îlots spécifiques. Et quand on regarde la capacité de la ville, on se rend compte que cet habitat est important en nombre. Ensuite, plus on avance dans le temps, plus les propriétaires ont coupé les cellules. Donc on se retrouve avec des petits appartements, parfois mêmes borgnes pour essayer d’avoir un maximum de revenus immobiliers. Donc je dirais que la dégradation n’est pas uniquement liée à la dégradation naturelle au fil des années, mais aussi à l’incapacité des gens à absorber les dépenses nécessaires, et souvent énormes.

__ – D’après vous, pourquoi cet habitat s’est dégradé au fil du temps ? – Déjà parce que c’est un habitat ancien. Sur le constat de Citémétrie, on s’est aussi rendu compte que les propriétaires étaient des SCI, donc des gens qui s’étaient constitués, parfois de la même famille, de nombreuses personnes, parfois de 99 personnes. Elles ne se mettent jamais d’accord et ça complique les choses. C’est très difficile de mobiliser tout le monde en même temps. On s’est retrouvé avec 60 propriétés dont on ne sait même pas à qui elles appartiennent. Il n’y a plus rien et on ne peut pas remonter. Puis quand l’habitat s’est dégradé, que c’est allé trop loin dans la dégradation, que les années ont passé et que personne n’a jamais rien fait dessus et que les personnes n’ont pas les moyens de rénover. Nous nous trouvons en face de situations si complexes que parfois on n’a plus de personnes à contacter, on ne sait même plus qui est propriétaire, donc ça se dégrade. Ensuite, vous avez souvent les personnes qui sont dans l’incapacité d’avoir les ressources nécessaires pour rénover ou conforter un bâtiment qui est parfois dans un état extrêmement dégradé. Et nous ne sommes pas sur de la maison individuelle, mais sur des 3, 4, voire 5 étages.

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– Comment savez-vous que tel ou tel logement est vacant ? Comment vous relevez les logements qui sont vacants, ceux qui sont vides ?

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– Par le diagnostic de Citémétrie. Mais avant ça, on avait quand même des données via la communauté d’agglo qui avait déjà identifié un cœur de ville assez paupérisé et assez vacant, avec à peu près 40% de logements vacants. Le cœur de ville faisait déjà partie des études menées par la DPVA sur le territoire. — – Quelle approche avez-vous avec les bailleurs sociaux ? Les logements rénovés sont-ils conventionnés et destinés au parc social ?


– La loi ALUR nous oblige à produire du logement locatif social et récemment la loi ELAN. Pour autant, ce n’est pas simple, parce que ça fait beaucoup de logements sociaux. Donc je reçois les bailleurs et donc les investisseurs qui s’installent, car ils ont trouvé une brèche.

__ – Draguignan fait partie des 222 villes moyennes inscrites au programme Action Coeur de Ville. Le programme est-il un soutien pour la collectivité ? Vous aide-t-il à lutter contre la vacance ? Qu’apporte-t-il pour le renouvellement urbain ? Puisque Draguignan fait partie des 222 communes du programme Action Coeur de Ville, est-ce que le programme propose son soutien ? – Oui, c’est le PUG. Ça fait partie de l’action cœur de ville, qui nous accompagne dans les financements. Quand le programme est sorti en 2016, il fallait avoir fait un certain nombre de diagnostics pour être éligible. Nous les avons faits depuis 2014, donc nous étions totalement prêts, donc nous sommes rentrés immédiatement dans l’éligibilité du programme. On a ensuite décliné ça sous d’autres actions. Nous sommes les deux seules dans le Var avec Brignoles. À la différence de nous, ils sont à 52% de déficit commercial en cœur de ville, nous ne sommes plus qu’à 7%. Parce-qu’on n’a pas pris le train en marche, on a décidé d’être locomotive. __ – Faites-vous appel à des architectes pour la revalorisation spatiale des logements ? Le centre ancien se situe en secteur ABF, c’est la raison pour laquelle nous travaillons avec les Architectes des Bâtiments de France qui ont un regard très fort. – Nous sommes en Aire de Valorisation de l’Architecture et du patrimoine, c’est en cours. Nous sommes obligés de travailler avec eux. À partir du moment où vous avez du MH à 500m, vous avez ce périmètre de covisibilité et l’ABF donne son avis conforme ou pas. Si son avis est conforme, vous êtes obligés de le suivre. Mais si c’est un avis simple, on peut tenir compte de son avis, mais on n’est pas obligé de s’y conformer. Mais étant donné que nous voulons du qualitatif, nous suivons l’avis de l’ABF. Par contre, quand ce sera définitivement l’AVAP, ce sera un avis conforme systématiquement. C’est donc une contrainte très forte (l’ABF), car c’est lui qui va bloquer la situation en fonction de ce qu’il nous demandera et rendre difficile notre action. Par contre, ça va la rendre immensément qualitative. Ça va valoriser le patrimoine pour que nous puissions travailler autour avec des matériaux, des outils qui seront qualitatifs et qui donneront une trame urbaine qui sera excessivement valorisée. On ne peut pas passer au travers de l’ABF. Nous travaillons de façon régulière avec lui.

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– Lorsque des rénovations s’engagent, immeuble par immeuble, logement par logement, faites-vous appel à des architectes ? – Pour le moment, nous ne travaillons pas là-dessus. Nous sommes en train d’aller rechercher les personnes qui vont être éligibles. Citémétrie nous a fait le diagnostic d’origine et travaille avec nous sur l’OPAH-RU. Ils tiennent une permanence rue de Trans. Ils sont allés chercher les personnes, sont allés voir les bâtiments et les copropriétés et ont travaillé sur le diagnostic. Ils ont travaillé sur la commune, à sensibiliser les gens au dispositif. Nous avons fait des réunions communes et publiques pour interpeller la population du cœur de ville. Pour les avertir qu’ils ont des dispositifs de leur côté, pour rénover leur habitat. "Venez chercher ces dispositifs, inscrivez-vous à la démarche ». Après on voit s’ils sont éligibles ou pas, mais il faut aller chercher les gens, il faut leur donner la connaissance de l’information et la connaissance du dispositif. __ – Le Réseau National des Collectivités mobilisé contre le Logement Vacant a mis en place un guide à destination des collectivités pour lutter contre la vacance. La première étape est d’établir un état des lieux du territoire. J’ai quelques rapides questions à ce sujet, sur 3 enjeux principaux (démographiques, d’aménagement et techniques). Avez-vous entendu parler du RNCMLV ? Non, c’est une démarche lancée par la ville. Nous ne sommes pas rentrés dans un dispositif comme ça, mais c’est intéressant et j’irai me renseigner. – Nous avons quand même contacté plusieurs acteurs. Notamment avec Action Social qui a énormément de moyens. C’était le 1% patronal. Ils font énormément d’actions pour les cœurs de ville. Ils critérisent les emplois, mais nous avons des travailleurs, donc c’est une cible évidente à atteindre. Ils ont énormément de

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moyens, et quand on les a reçus on s’est rendu compte de la capacité qu’ils avaient à être un complément à tout ce qu’on mettait en place. Ils ont déjà regardé un certain nombre d’îlots, quand je dis îlots, c’est une maison de ville, sur 3 étages. Ils ont contacté les employeurs pour pouvoir contacter les employés, car ils se sont rendu compte que parfois certains rentraient dans des habitations indignes. Action Social, c’est un regard extérieur qui peut les accompagner. Ils viennent complémenter notre action à nous. Ils ont d’autres cibles, mais cela dit, c’est le même objectif, c’est-à-dire réhabiliter. Ils ont une enveloppe qu’ils doivent distribuer. Et Draguignan est un terrain idéal pour eux. Nous avons aussi demandé un diagnostic à un organisme qui s’appelle la SET qui elle, va commencer à travailler sur la recherche des promoteurs et investisseurs, qui veulent avoir une part dans l’action. Ils savent qu’ils peuvent s’y retrouver après et partent avec nous. Ces gens-là vont aller chercher les investisseurs pour l’image de Draguignan, qui était autrefois cette ville qui manque de dynamisme et qui ne les attirait pas. C’est ainsi qu’on lance l’engrenage et qu’on relance la ville. Ils ont perçu le dynamisme et reviennent à Draguignan.

__ – Comment vous traitez l’enjeu national de la rénovation énergétique ? – C’est déjà un enjeu national, mais aussi une nécessité pour les individus, parce-que si vous avez beau repeindre la façade, si vous ne la protégez pas, au niveau de la porosité, etc. vous avez des gens qui vivent mal à l’intérieur, et ça ne sert à rien. Donc on peut avoir des plaquages intérieurs ou extérieurs en fonction de la difficulté à travailler sur le bâti. Et on a un volume énergétique dans le cœur de ville qui est particulièrement important. On ne peut pas fonctionner autrement. On accompagne les gens dans l’obtention d’un confort énergétique. C’est un projet global.

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__ Suite à l’entretien, au cours d’un échange par mail, Sylvie FRANCIN explique les difficultés qu’il y a détenir des données à jour : « Un diagnostic a été réalisé en 2016 pour le PUG. Cependant, il est onéreux et ne peut être ajusté annuellement. Il pose cependant les bases des problématiques et lance la réflexion pour nos bases d'actions. Le schéma et les axes d'orientation qui vont en découler, nous ont permis d'avoir une OPAH-RU sur une temporalité de 5 ans et la mise en place sur les secteurs les plus dégradés d'une RHI. Nous aurons sûrement d'autres actions à porter, car nous sommes en lien avec plusieurs acteurs qui au travers de dispositifs pluriels nous offrent des possibles différenciés. Il n'est pas simple comme vous l'indiquez Madame SARTINI, de constituer un fichier qui nous permette en temps T d'avoir des données aussi fines et précises que celles que vous demandez. Sauf à recevoir les indications à chaque changement de statut d'un appartement. Où se trouverait alors la liberté du bailleur et de son locataire en terme juridique. Effectivement, ce constat qui n'est pas et vous l'aurez compris un constat d'incomplétude, mais plutôt une nécessité juridique à la liberté individuelle, ce constat donc est plutôt rassurant. Il permet aussi de comprendre que nous sommes dans une société de droits et que tout n'est pas sous contrôle et sous surveillance. »

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26 mars 2020 - entretien avec Claire MEUNIER et Pauline SUHR, architectes et fondatrices de l’agence Ré-architecture – Réaliser un projet dans un espace qui a déjà vécu est toujours plein de surprises. Quelles difficultés subsistent dans la pratique ? Sur le chantier ? – Il y a toujours beaucoup de surprises, parfois bonnes, souvent mauvaises. C’est un challenge, car la gestion de l’humain et de l’entreprise sur le chantier revient au centre. Alors que tout roule pour un projet dans le neuf, il s’agit souvent de discuter, de trouver des compromis avec tous les acteurs du chantier, pour chacune de ces surprises. De façon plus pratique, il n’y a… jamais rien de droit. Les plafonds ne sont pas droits, les murs ne sont pas droits, les sols ne sont pas droits… Le passage des réseaux est également un défi à chaque fois. L’évacuation des eaux, par exemple, se fait souvent en façade, dans les gouttières, dans le bâti ancien. Il faut alors trouver des astuces pour tout faire passer à l’intérieur des planchers. Lorsque l’on démolit une partie du bâti, on trouve souvent des aisseliers dans les cloisons, ce qui les rend parfois porteuses. Il faut toujours faire vérifier par un ingénieur. Faire appel à un huissier est également indispensable pour toute action dans tout bâtiment existant, car une modification peut entraîner des fissures chez les voisins. __ – Pensez-vous que nous manquons de savoir-faire ? Les études d’architecture ne nous forment pas à la réarchitecture. Avez-vous un avis sur la formation à cet égard ? – L’avantage en école d’architecture, c’est qu’on ne nous met aucune norme pour « développer notre créativité », mais c’est aussi l’inconvénient, car les vrais problèmes, on les apprend sur le chantier. Tout ce qu’on sait aujourd’hui, sur la technique, on l’a apprit sur le tas, avec les artisans. Le but de l’architecte, c’est d’avoir des notions de tout, mais l’artisan reste le spécialiste. C’est lui qui a la technique. On ne sait pas trouver la solution à tous les problèmes qu’on vient de citer sans lui. C’est un vrai travail d’équipe qui se fait avec les artisans, pour pouvoir avancer avec eux et faire évoluer autant le projet que notre savoir-faire. On peut dire que oui, on manque de savoir-faire. Mais c’est peut-être aussi parce-qu’on n’est pas formé pour ça et que les équipes sont là pour qu’on apprenne à gérer les difficultés sur les chantiers. Le chantier est un vrai cours de structure, de technique. C’est le réel qui apprend à dessiner, qui apprend à comprendre le bâtiment et les spécificités d’un bâtiment ancien. __ – Cela concerne peut-être aussi les entreprises. Existe-t-il également un manque de savoir-faire au sein des entreprises du bâtiment, qui complique le chantier et augmente les budgets ? – C’est un peu vrai, mais les artisans sont de mieux en mieux formés. Il y a plus de formations spécialisées qu’avant. Il y a par contre un manque de savoir-faire bien plus important dans le ré-emploi et la ré-utilisation.

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__ – La question financière étant un sujet toujours central dans les projets, j’imagine que c’est un frein majeur pour ce genre de pratiques. "Réhabiliter/rénover coûte toujours plus cher que de construire du neuf". C’est ce que j’entends souvent sans n’avoir jamais eu la chance de pouvoir le confirmer. Si les prix sont effectivement plus élevés et que cela reste un luxe, cela ne réglerait pas le problème des logements insalubres pour les propriétaires les moins aisés. Cependant, certains affirment le contraire. Qu’en est-il en réalité ? – C’est effectivement plus cher. Tout simplement parce-que les artisans y passent beaucoup plus de temps. Les matériaux que l’on utilise sont aussi plus responsables et sont, de fait, également plus chers. C’est le rôle

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de l’architecte de sensibiliser les artisans et les clients pour faire comprendre que ce sont de meilleures pratiques, malgré les enjeux financiers. Nous avons par exemple rénové un bâtiment de bureaux il y a trois ans. L’entreprise s’est bien agrandie, à tel point qu’elle était un peu à l’étroit et pensait à déménager. Nous les avons convaincus de rester en leur proposant un nouveau projet en surélévation pour accueillir l’extension de l’entreprise sur un nouvel étage. C’est une surélévation légère avec des matériaux et techniques hyper responsables. Ça a bien marché. C’est là qu’on doit jouer notre rôle de conseiller. __ – Enfin, je pars de l’hypothèse que la réhabilitation est un acte de création très fertile pour le projet, pour nous en tant que concepteur·trice·s. On a souvent entendu, à tort, que concevoir dans un espace existant est contraignant et restreint la créativité. Ne serait-ce pas là un faux-argument donné en faveur de l’industrie du logement neuf ? – Pour moi, le meilleur moment d’un chantier, c’est le curage. On découvre au fur et à mesure tout ce qui s’est passé avant. C’est quand même plus sympa que de voir des blocs de béton se monter les uns après les autres, sans histoire à raconter. Pour ce qui est de la créativité, je ne suis pas du tout d’accord avec cet argument qui dit que « ça restreint la créativité ». Pour être honnête, il y a quelques années, je travaillais dans du logement neuf. Lorsqu’on avait un T2, un T3 ou autre, on prenait un classeur, on allait à la page correspondante et on faisait un copier-coller. Autrement dit : zéro créativité. Puis j’ai aussi peur de la page blanche, je ne sais pas avoir un terrain libre en partant de rien. Alors que dans la rénovation, je m’éclate à fond. Plus je fais marcher mon cerveau, plus je m’éclate. On est en permanence obligé de chercher des solutions et ça nous stimule. Plus il y de contraintes, plus je sors de ma zone de confort, plus j’invente des super trucs et plus ça développe ma créativité !

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__ – Sur ce postulat, quelles qualités spatiales (pour le projet et pour l’habitant) peut apporter cette pratique ? Et quel rôle tient vraiment l’architecte dans la revalorisation des espaces (logements, dans mon cas) vacants ? Existe-t-il un frein sociologique pour les habitants qui préfèrent investir dans des logements neufs, qui ont, pour eux, plus de valeur ? – Les particuliers sont capables de mettre un peu plus d’argent, car ils sont plus sensibles au charme, à l’historique de leur logement. C’est différent pour les matériaux : ils sont moins sensibles à l’énergétique et à l’environnement. En revanche, les entreprises et les professionnels sont plus sensibles à l’environnement, car ça peut redorer leur image. Les particuliers se fichent un peu de redorer leur image. Nous avons plus de leviers avec une entreprise, car l’éco-responsabilité rentre en jeu et est incontournable aujourd’hui, pour des raisons évidentes. __ – Vous avez choisi « ré-architecture » pour le nom de votre agence. Pensez-vous qu’il puisse s’agir d’une nouvelle pratique de l’architecture ? Est-ce l’architecture qui se réinvente ou simplement une branche de l’architecture qui a toujours existé, mais qui tend à prendre de l’ampleur avec les nouveaux enjeux contemporains ? – Je ne pense pas. C’est très politique tout ça. Par exemple, dans les programmes de logements sociaux, il y a toujours plus de jeunes architectes, mais malheureusement ce sont les règles du marché qui l’emportent et les bonnes intentions s’envolent très vite. On a choisi cette voie-là, mais c’est très clairement la voie la moins rentable du métier. On est sûrement les architectes les moins bien payés de Lyon (rires). On travaille très souvent sur des petites échelles. Par exemple, le projet le plus grand qu’on ait fait ne dépasse pas les 1000 m². On va passer le même temps que pour un chantier neuf de 5000 m² alors que le budget est bien plus faible. Le projet prend 3 fois plus de temps, car il y a 3 fois plus de réflexions derrière. Comme on dit, « on ne peut pas pousser les murs ». Aujourd’hui, c’est une voie qui n’est pas rentable. On se remet d’ailleurs en question tous les ans, car il faut bien qu’on mange, donc ça ne deviendra pas la norme et encore moins une voie facile ou de confort.

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De plus, le patrimoine a toujours été un sujet tabou qui divise énormément pour plein de raisons. Ce n’est pas facile de faire consensus sur ces questions. __ – J’ai remarqué que les définitions autour des pratiques en ré- ne s’accordent pas toujours. Quelles définitions donneriez-vous à : ré-architecture, réhabilitation, reconversion, revalorisation,, recyclage, rénovation… – Pour nous, la ré-architecture c’est simplement faire de l’architecture avec quelque chose qui existe déjà. Ça regroupe toutes les pratiques en fait. On parle aussi bien de matériaux de récupération que de rénovation énergétique ou de gestion de tri des déchets. Ce sont des projets complets autour de l’existant sous toutes ses formes. On travaille par exemple avec Minéka. On essaye de convaincre les artisans et les clients de travailler avec eux. Même si le ré-emploi est en train de faire son nid sur le marché, ce n’est pas toujours évident. Pour les artisans, il est plus difficile de travailler avec des matériaux qui ont eu une vie antérieure qu’avec des matériaux neufs et standardisés. Ça demande plus de temps, de réflexion, de technique. Comme tout le reste, c’est plus contraignant donc ça peine à séduire.

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10 juillet 2020 - entretien avec Jean-Louis COUTAREL, chargé de mission architecture-urbanisme de l’ANCT pour le GIP du Massif Central (collaboration sur les programmes Action Coeur de Ville, Revitalisation des centres-bourgs et Petites villes de demain), architecte-enseignant et chercheur à l’ENSACF, spécialisé en écoconstruction, filières produits-matériaux, rénovation énergétique bâti et quartiers anciens (recherches sur le comportement réel des bâtiments anciens en termes énergétique)

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– Je pars du principe que le bâti est évidemment plus un atout qu’une contrainte. Et pour ça, j’essaye de comprendre le processus culturel qui nous a menés à le considérer comme une contrainte, et j’essaye surtout de le déconstruire. Pour résumer, j’essaye de démonter que la re-mobilisation des logements vacants peut apporter une réponse véritablement durable à différents enjeux. Donc j’ai choisi 3 axes d’étude : le volet environnemental et énergétique qui consiste à faire un état des lieux du secteur de la construction et à montrer à quel point il est polluant. Puis à montrer qu’au-delà des éco-constructions, aussi vertueuses et labellisées soient-elles, il y a déjà des cellules vides à reconquérir pour répondre au besoin primaire qu’est celui de se loger. Ensuite, on a le volet architectural, qui consiste à montrer que la réhabilitation peut être un véritable acte de création, et que, bien au-delà des difficultés qu’on nous vend comme des contraintes, ça peut être un véritable catalyseur de projet et surtout vecteur de qualités spatiales. Puis on a le volet territorial, qui consiste à démontrer que, à l’échelle des villes moyennes, les logements vacants sont un enjeu non pas secondaire, mais carrément central, et que leur re-mobilisation peut participer activement à l’attractivité des centres anciens, à leur revitalisation et prendre part, au même titre que le commerce, au projet global jusqu’à devenir un véritable projet de territoire. – Alors sur la question énergétique, il y a réellement la question du gros œuvre dans le construction qui représente la plus grosse proportion de l’énergie. Construire neuf, c’est s’éloigner des ambitions énergétiques. Malgré la performance des nouvelles techniques de construction, la quantité de gaz à effet de serre émise dans l’immédiat est énorme. Les bâtiments neufs et hyper performants sont finalement contre-productifs par rapport à nos enjeux. L’Icomos a réagi au moment du Grenelle de l’environnement. Ils ont clairement expliqué que le bâti existant est énergiquement déjà durable, et bien plus que les maisons passives à 50km d’une ville centre, qui sont une cause perdue. Je vous conseille de regarder leurs deux colloques, pour l’empreinte énergétique. Sur la question territoriale, la DATAR avait travaillé sur « Territoires 2040 », avec notamment des chercheurs comme Martin Vanier et d’autres. C’était un travail de qualité sur l’idée que les territoires sont devant un certain nombre de choix politiques et ceux-ci auront des conséquences. Il y a par exemple la question des territoires non-métropolisés, qui sont en relation forte avec les territoires métropolisés, car ils sont des ressources essentielles qui leur fournissent le nécessaire, comme l’eau, la nourriture, l’industrie, les matériaux comme le bois et la pierre. D’ailleurs, la seule ressource renouvelable qu’on a dans les villes, ce sont les déchets… Le reste ne repose que sur des circuits distants, de l’ordre de plus de 100km. Mais au-delà de cet usage opportuniste, les territoires non-métropolisés sont des territoires vivants, ils sont habités. Ils s’incarnent dans leur centre et leur centralité. Démolir les centres anciens, c’est une aberration écologique, mais aussi, et surtout une aberration sociale. Pour avoir des chiffres, on peut aller voir du côté d’Olivier BOUGA-OLGA. Sinon, Philippe MADEC a écrit un article important en 2015 : « Le territoire français ne se réduit pas à quatorze métropoles. » Ça pose aussi la question troisième ceinture d'une ville. Est-elle urbaine ou est-elle rurale ? C’est un sujet intéressant, car au-delà du bruit de fond qui consiste à dire que les métropoles prennent toute la place sans rien laisser aux petites villes, il y a le bruit vrai qui montre que si demain les ruraux prennent Rungis en siège, il n’y a plus de métropole qui tienne.


Sinon, il y aussi deux axes d’évolution pour les petites villes. La densification, d’abord. Parce-que la densification, c’est bien. Ce serait le moment d’y penser. Et la multiplicité des fonctions aussi. Le fonctionnalisme a été un échec. Il faut maintenant penser autrement, surtout dans les territoires fragilisés. __ – Une des conclusions que j’ai tirées c’est que notre rapport au patrimoine est vraiment culturel. Et qu’en France, c’est un sujet qui pose véritablement question. – En Angleterre, par exemple, la prise en compte du bâti est complètement différente. Il y a deux outils importants qui sont en place là-bas pour le patrimoine existant. Le premier, c’est le Guidance Wheel, c’est un outil de rénovation du bâti ancien. Il a été adapté en France, c’est le CREBA en France. Ils mènent un gros travail de coordination. Le second, c’est le National Trust. C’est un outil de rénovation de bâti qui permet de l’inscrire dans une fonction nouvelle. Ces positions politiques se traduisent par des outils de préservation ou de réinvestissement du bâti patrimonial, et ça s’incarne sur les territoires habités dans leur globalité. Par exemple, des petites villes d’Irlande sont très dynamiques malgré leur taille. Et surtout on n’y trouve pas de ruines, à la différence de villes similaires en France. Ce sont des attitudes sociales qui ont induit une politique d’entretien et de préservation de ce qui est là. On en est fier et on lui trouve des qualités. À l’inverse, en France, le bâti ancien est un peu considéré comme un « vieux truc ». L’équilibre difficile, entre les ABF qui sentent que leur position n’est pas toujours bien comprise et les architectes libéraux qui interviennent dans des tissus anciens compliqués… Ça peut être intéressant de comparer avec l’Angleterre et l’Italie ou même l’Espagne et l’Allemagne. __ – Aujourd’hui, quels enjeux tiennent les logements vacants dans des projets de revitalisation des centres anciens ? Au fil de mes recherches, j’ai pu tirer que malgré toutes les bonnes initiatives, le volet « logements vacants » est souvent mis de côté dans les programmes de revitalisation. Par exemple, dans le programme Action Cœur de Ville, j’ai été assez surprise de voir qu’un des seuls moments où les documentations publiques parlaient de logements vacants, c’était pour dire que le programme promettait des subventions pour une démolition-reconstruction suite à une situation figée liée à la vacance. – La façon d’intervenir, de la part de l’état, est assez maladroite, mais pleine de bonnes volontés. En tant qu’agents de l’État, nous croyons beaucoup à l’ANAH. Je ne suis pas complètement convaincu, mais j’y crois beaucoup. Inciter financièrement les propriétaires privés à rénover leur habitat, c’est une part très importante d’Action Coeur de Ville, un peu maladroite, mais qui reste substantielle. L’ANAH amène l’argent nécessaire aux projets d’ensemble. Elle porte l’aide aux chefs de projets locaux ACV, cette personne est payée par l’état. Il y a beaucoup d’argent mis en place, mais ce n’est pas très valorisé politiquement. Les outils comme l’OPAH, c’est quelque chose de présent depuis longtemps, qui existe et finalement, on ne fait que renforcer les outils, plus que ce qu’on faisait avant. Ce qui a rajouté, c’est que l’ANAH a accepté, dans le cadre de ACV, de participer au financement d’espaces partagés entre les habitats d’un immeuble ou les riverains. Il s’agit, par exemple, de rez-de-chaussée, de parties communes, de cours… L’idée d’étendre les financements de l’état à des éléments partagés entre les habitants est bonne, mais ça reste maladroit, car on a du mal à coordonner l’ensemble des habitants, sur un projet économique. Si on mutualise plusieurs immeubles avec une maîtrise d’œuvre (composée d’architectes et de bureaux d’études), c’est pour mieux distribuer le déplacement des personnes et des fluides et assurer une meilleure gestion énergétique. Mais on a aussi une absence d’outil d’assemblage des budgets pour obtenir une masse critique qui permettrait d’optimiser l’espace et réintroduire la place de l’architecte au cœur des projets. Quand le projet c’est un changement de chaudière, l’architecte n’est pas sollicité et n’a pas réellement besoin d’être sollicité. Quand il est question de restructurer un immeuble pour valoriser ses qualités, la lumière, l’espace extérieur privatif, l’architecte à réellement sa place.

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__ – Sur quoi vous portez de l’attention dans un projet de revitalisation ?

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– Pour moi, il y a une question très importante à se poser : qu’est ce qu’il faudrait à un bâtiment pour donner envie aux plus favorisés d’habiter en centre ancien ? Qu’est-ce qui rendrait enviable un habitat en centre ancien ? J’ai surtout trois points à évoquer. L’espace extérieur privatif. Avant, quand on habitait en centre ancien, il était fréquent d’avoir un jardin à l’extérieur de la ville, comme des jardins partagés, par exemple. Aujourd’hui, ces jardins sont remplacés par des zones d’activités et des zones pavillonnaires. Ces zones, souvent commerciales, ont mangé ces jardins et ceux qui habitent en centre ancien n’en ont plus. C’est une piste à étudier pour donner envie de revenir vivre en centre ancien. C’est le cas de mon voisin, par exemple. Mais c’est un sujet qui n’est pas très observé ou étudié. L’espace extérieur privatif est un point important, mais il pose aussi question par rapport au patrimoine. C’est un cas désespéré de fonctionnalité d’habitat. Ça crée des tensions folles avec les ABF, qui ne savent pas gérer ça. On a aussi l’image de la terrasse sur le toit. L’espace extérieur privatif à l’arrière de la façade patrimoniale est une alternative qui peut convenir, suivant les dispositions. Le rez-de-chaussée. La culture française très réservée sur ça. C’est une vraie question, car on ne peut pas imaginer une rue avec des rez-de-chaussée fermés et en même temps, les commerces en rez-de-chaussée sont désertés. Sur ça, il y a la question des usages à se poser. Les nouveaux usages liés à votre génération peuvent être une piste. On peut imaginer des tiers-lieux, des ateliers de fabrication. On peut même imaginer des ateliers d’architecture. C’est quelque chose qui trouve sa place. Par exemple, l’atelier d’architecture de Philippe Berges, à Figeac, est en rez-de-chaussée et ça marche très bien. Pour avoir une ville vivante, il faut des rez-de-chaussée vivants. La place de la voiture. C’est inadmissible qu’on ait laissé les voitures manger les espaces publics. Pour prendre un exemple proche de chez vous à Draguignan, il y a la place Masséna à Nice. Ça ne se voit plus aujourd’hui, mais la place Masséna, avant, elle servait de stationnement. Elle était encombrée de voitures. Aujourd’hui, on a inversé le schéma et heureusement. Mais ça reste fragile. Aujourd’hui encore, on saute sur l’occasion des immeubles qui s’effondrent pour mettre en place des places de parking. Il y vraiment un enjeu de gestion de la mobilité et de délocalisation des voitures en centre-ville.

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__ – Sur le sujet de la place de la voiture, je suis entièrement d’accord avec vous sur le fond, mais quelles alternatives on trouve ? Pour donner un exemple, j’ai une amie qui retourne vivre à Draguignan. Elle a trouvé un appartement dans un immeuble de logements entièrement neuf, à 2 kilomètres du centre ancien. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle souhaitait vivre hors du centre, une partie de la réponse consistait à dire que, pour des raisons pratiques, il ne lui était pas possible d’imaginer vivre en centre-ville. Elle dispose d’une voiture dont elle a besoin pour se rendre au travail et garer sa voiture en centre-ville reste trop compliqué. Alors quelles alternatives on propose aux habitant·e·s des centres pour limiter l’emprise de la voiture ? – C’est là tout l’enjeu de la gestion de la mobilité… J’ai deux solutions à apporter. La première, c’est de réorganiser cet espace dédié à la voiture. Pourquoi faire rentrer toutes les voitures là où elles n’ont pas leur place au lieu de les organiser dans des immeubles dédiés ? On sait faire de l’architecture de qualité pour n’importe quoi, alors j’ai confiance en ça. Ensuite, la seconde a été mise en lumière par la crise sanitaire. On a exploré, de façon brutale, mais poussée, le lien entre mobilité virtuelle et mobilité physique. Aujourd’hui en France, 70% de la population travaille dans le secteur tertiaire, dont une majorité dans un bureau devant un ordinateur. Quel est l’intérêt de faire déplacer autant de monde pour rester devant un écran ? Il y a un nouveau lien à établir, qui consisterait à diviser le temps de travail avec une partie à la maison. Si le déplacement ne se fait pas tous les jours, on est plus apte à marcher plus longtemps pour atteindre son véhicule. L’enjeu de la distance est un vrai sujet. On a travaillé avec les étudiants là-dessus. Dans une ville comme Clermont-Ferrand, la circonférence du centre c’est 2 km. À Draguignan, j’imagine qu’on est de l’ordre de quelques centaines de mètres. À titre de comparaison, la taille d’une grande surface, c’est 100 voire 200m. __ – Effectivement, quand il s’agit de traverser la grande surface pour aller chercher une bouteille de Coca, ça ne pose pas problème…


– Voilà, donc on peut imaginer que c’est tout à fait faisable de déplacer les voitures à 100/200m d’un centreville. Aussi, les habitudes mutent. Pour reprendre l’exemple de la place Masséna, vous demandiez aux usagers à l’époque, ça paraissait impossible de déplacer les voitures. Aujourd’hui elles n’ont pas disparu, elles existent toujours, mais elles sont stockées ailleurs d’une autre façon. Pendant la crise, on a tellement apprécié de voir nos villes sans voitures et sans bruit. Il faut continuer sur cette voie. Voilà, le manque d’espace extérieur privatif, le rez-de-chaussée et la voiture sont trois situations dramatiques des centres anciens. Je considère que l’habitabilité des espaces, comme retrouver un grand salon, une salle à manger, une cuisine attenante, sera gérable. Alors que ces trois points sont vraiment problématiques et je pense qu’il n’y que des architectes pour y répondre. La question de la distribution verticale est aussi un problème, mais c’est un point entre les deux, d’un autre ordre. __ – Pour rebondir sur la place de l’architecte, ce que j’ai pu tiré comme hypothèse, c’est aussi que les architectes sont les grands absent·e·s de ces programmes. Pourquoi ? Ne sont-ils pas sollicités ? Sont-ils désintéressés ? Quelles sont les raisons de cette désertion ? – Je ne comprends pas non plus. Ce que je peux dire, c’est que l’architecte à tendance à créer plus de liens avec sa production architecturale qu’avec sa capacité à inscrire son œuvre dans l’existant. Par exemple, les revues d’architecture montrent des formes architecturales singulières, qui se distinguent. Il est difficile pour un « artiste » de se tenir en retrait et avoir une expression retenue. Je peux vous donner quelques références d’architectes qui sont allés dans ce sens. Vous avez Carlos Scarpa, Philippe Madec à Plourin-les-Morlaix. Et plus surprenant, vous avez aussi Alvaro Siza. Je viens d’écrire un article pour la revue Pierre d’Angle que je peux vous partager. C’est pas une œuvre de lui dont on entend parler. Dans les années 90, suite à un incendie traumatisant dans un quartier central de Lisbonne au Portugal, le Chiado, Siza a été appelé. C’est un quartier qui concentrait beaucoup de hangars industriels. L’incendie a traumatisé la ville et le Portugal. Siza a essayé de coller à l’esprit du lieu, le genius loci. Ce n’était pas un quartier très ancien, il devait dater du 18/19e siècle. Néanmoins, il y avait des marques historiques très fortes, notamment avec une forte présence d’azulejos. Pour un architecte qui n’utilise que du blanc, c’était un défi. Il s’est mis en retrait de son œuvre et a travaillé avec les azulejos colorés. Il y a Pingusson aussi, qui a participé à la rénovation du centre ancien de Grillon, dans le Vaucluse.

Mais je confirme qu’il n’y a que quelques architectes aujourd’hui sur cette piste, et il ne défraient pas forcément la chronique. Ça montre aussi que l’architecte est identifié comme un créateur un peu incontrôlable,

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__ – Je pars de l’hypothèse que l’existant est un véritable catalyseur de projet, vecteur de qualités spatiales. C’est une hypothèse que j’ai du mal à prouver, parce-que le peu de projets d’architectes qui vont dans ce sens ne sont pas très médiatisés. Puis la question du patrimoine est une vraie question, qui pose aujourd’hui encore la question de liberté de création. Qu’en pensez-vous ? – Dans les projets qu’on a pu mené au sein des communes, j’ai pu comprendre qu’au-delà du patrimoine bâti, il y a un patrimoine encore plus essentiel. Je parle de ce qui était là avant la ville. Les villes se sont installées, car les éléments y étaient propices, comme le passage d’une rivière, une bonne exposition climatique, des voies qui se croisent. Ce sont des cultures qu’il faut développer dans un territoire. À la suite des projets, ce dont je me suis aperçu, c’est que les habitants redécouvraient leurs territoires. Comme la rivière par exemple. Quand on y vit, on ne fait plus trop attention au paysage, c’est pourtant un patrimoine constitutif d’une ville. C’est ce que j’ai appelé le « lieu patrimoine ». Redécouvrir ça, par effet rebond, ça renvoie à une reconstruction de toute l’histoire. On a forcément un patrimoine de bâtiments agricoles, de production (moulins, par exemple). Pour prendre l’exemple de Clermont-Ferrand, l’entreprise Michelin a suivi toute l’implantation de la rivière pour ses usines. On retrouve ça dans toutes les villes nouvelles : les traces du passé. La dimension patrimoniale fait socle et propulse vers l’évolution que l’on doit faire. IMPORTANT Un autre exemple, la petite ville de Saint-Flour. Elle fait aujourd’hui tous ses éléments de communication sur sa rivière, alors qu’il y a quelques décennies, c’était sur des éléments bâtis, très ponctuels. Pour résumer, la production architecturale doit suivre l’histoire du lieu.

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alors il n’est pas forcément sollicité. Mais heureusement, aujourd’hui de plus en plus d’architectes contemporains se positionnent comme producteur de patrimoine du futur. Pour reprendre l’adage rendu célèbre par Malraux : « il faut transmettre la flamme, pas les cendres ». C’est bien ce sujet-là sur lequel nous sommes. Il faut réinvestir avec nos ambitions contemporaines. Il y a une entrée qui peut vous intéresser, c’est celle de la place de l’enfant. L’enfant dans la rue d’un centre ancien, c’est un peu symbolique. De ce point de vue, est-ce que la place de l’enfant dans la ville, ce sont les aires de jeux aménagées et normalisées ? Ou bien c’est l’émerveillement devant à l’ombre des platanes de Draguignan ? La génération future, c’est les enfants. Et quelle place lui donne-t-on dans le contexte de nos villes ? Comment se forme-t-il à la ville ? Son rapport à son habitat ne pourrait-il pas être une entrée pour la ville de demain ? –– – Pour finir, vu votre parcours et votre investissement dans le programme « Revitaliser les centres-bourgs », vous pourrez peut-être m’éclairer sur la définition de quelques termes qui qualifient les territoires. Il y a un élément qui me pose beaucoup question : je n’arrive pas à définir ce qu’est un centre-bourg vis-à-vis du centre-ville d’une ville moyenne. Et quelle est la différence entre bourg et ville moyenne ? – Il n’y pas foncièrement de différence. Le vocabulaire est une tentative de se positionner sur le réel. Les définitions sont un peu artificielles et se basent en réalité sur des données. Lorsqu’on parle d’un centre-bourg, le territoire dans lequel ça s’inscrit est une agglomération de moins de 10 000 habitants. Les villes moyennes, c’est entre 20 000 et 100 000 habitants. Le sujet sur lequel on travaille en moment parle des « petites villes de demain », lancé par l’ANCT. Le plafond est fixé à 20 000 habitants sur la commune, mais il n’y a pas de plancher, contrairement aux villes moyennes. La ministre [Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales] a fait sauter le plancher sur l’impulsion des élus locaux. Pour nous, les « petites villes de demain » sont définies sur trois critères : la fonction de centralités, la présence de service (comme une sous-préfecture, par exemple) et des signes de fragilité. Elles sont à peu près 1000 communes à faire partie du programme. Dans tous les cas, le fait générateur est l’absence de marché privé de l’immobilier en centre-ville. Il n’y a pas de promoteurs qui investissent et rénovent massivement pour créer des quartiers gentrifiés comme ça a été le cas il y a quelques décennies à Saint Jean, à Lyon. Le contre-exemple de ces villes dont on parle, c’est Cahors qui a gagné sa première manche en retrouvant des promoteurs dans son centre-ville. C’est 15 000 habitants en ville et 50 000 habitants dans la communauté de communes avec des villes beaucoup plus petites. Aujourd’hui, dans les villes similaires à proximité de Lyon, il y a des promoteurs.

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Pour finir, ce que vous évoquez est important. Pour la suite de votre travail, vous pouvez aboutir à une mention recherche en vous concentrant sur une seule de ces thématiques. Dans ce cadre, ce serait intéressant de poursuivre avec des orientations à prendre pour le PFE. Je tiens aussi à insister sur un programme de recherche, 1000 doctorants pour les territoires, qui mise sur les CIFRE. Ce sont des contrats où les scientifiques sont salariés d’une structure. Le financement de la thèse est associé à une commune ou à une intercommunalité. Il faut avoir une structure, un professeur HDR et une collectivité d’accueil. La collectivité est aidée à 50% dans le financement. C’est en général une collectivité qui se pose des questions, et ça a l’air d’être le cas de la ville de Draguignan.

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16 juillet 2020 - entretien avec Nina LESTRADE, référente territoriale pour Citémétrie, responsable de l’antenne sur Draguignan – Pour commencer, je vous propose de vous présenter pour mieux comprendre les missions de Citémétrie et le rôle que vous tenez dans la structure par rapport aux opérations réalisées. – Je suis référente territoriale pour Citémétrie, responsable des antennes sur le Var et les Alpes Maritimes. Il y a 5 équipes et différents programmes à animer, sur Draguignan, Nice et Toulon. Je pilote l’OPAH à Draguignan et les équipes de terrain qui sont sur place, depuis l’année dernière, avec la SAIEM. La SAIEM, c’est un aménageur avec un parc de logements important, qui travaille en étroite collaboration avec la mairie et c’est notre partenaire sur l’OPAH-RU. J’ai pris ce poste il y a 1 an, donc un an après le début de l’OPAH. Je m’occupe des relations avec les EPCI et les maîtres d’ouvrage. __ – Pour réaliser mon étude, je m’appuie sur le cas de Draguignan et sur la façon dont les acteurs et les actrices du territoire (de la DPVA jusqu’au propriétaire) traitent la question du logement vacant, notamment en cœur de ville. Pour mener l’analyse, la mairie m’a confié provisoirement des documents que vous avez réalisés (diagnostic intermédiaire de 2015, synthèse du programme d’actions de l’OPAH-RU de 2017, synthèse du copil PIG de 2018, etc.). Les données que j’ai ne sont donc pas toutes à jour (notamment sur les données quantitatives et le diagnostic). J’aurais donc des questions d’ordre quantitatif, et d’autres d’ordre plus qualitatif sur : - les parts de vacance structurelle et de vacance conjoncturelle dans le centre ancien - la quantité de logements vacants avant les premières études - la quantité de logements vacants aujourd’hui - la part de logements vacants habitables en l’état (c’est-à-dire sans besoins de réhabilitation lourde) Aussi, la carte que j’avais à ma disposition (diagnostic intermédiaire) relevait notamment les immeubles entièrement vacants. Auriez-vous un document de ce type recensant plus précisément les logements vacants, et non pas seulement les immeubles ? – En réalité, je n’ai pas accès à ces données quantitatives. Je suis arrivée il y a un an, lorsque nous sommes passés à l’OPAH, donc à l’étape opérationnelle. Je n’étais pas là lors de l’étude pré-opérationnelle. Autrement dit, l’OPAH-RU, c’est un dispositif porté par une collectivité, qui permet de mettre à disposition des subventions avec des partenaires. Les partenaires sont l’Anah, la DPVA (en tant que délégataires des aides à la pierre), la région, le département et la commune. Pour ce qui est des travaux possibles dans le cadre de l’OPAH-RU, il y a différentes clés d’entrée. Par exemple, des travaux de sortie de péril ou d’insalubrité, de l’adaptation des logements aux PMR... L’OPAH-RU est différente d’un PIG, qui travaille directement avec les propriétaires privés, dans leur logement. L’OPAH-RU, c’est plutôt une réflexion à l’échelle de l’immeuble ou de l’ilot, pour rénover des poches entières dans les centres anciens. Ce sont des opérations plus lourdes, avec curetage, démolition potentielle… Ça, c’est l’objectif. Après, dans la pratique, c’est surtout un travail d’animation, de relationnel avec les propriétaires à qui il faut donner des explications, pour les dossiers de subventions, les diagnostics nécessaires, etc. La mairie n’a pas ces compétences, donc elle fait appel à des bureaux d’études externes pour ce suivianimation et l’accompagnement des copropriétaires et propriétaires privés dans les travaux et dans l’amélioration de leur habitat

__ – Un des grands points soutenus par le Réseau National des Collectivités mobilisées dans la lutte contre le logement vacant est la mise en réseau des communes, pour qu’elles puissent partager leurs opérations,

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Aujourd’hui, on en est à une phase très opérationnelle, sur des logements et immeubles repérés lors de l’étude pré-opérationnelle, réalisée hors de l’OPAH.

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mettre en commun leurs stratégies, etc., dans l’intérêt d’"inspirer" et partager les "bonnes idées". Draguignan fait-elle partie d’un tel réseau ? – Non, pas que je sache… Mais je vous conseille de vous rapprocher de la commune pour ça. — – J’ai aussi pu comprendre que tous les acteur·trice·s de l’OPAH-RU ont accès à une plateforme de suivi et de partage d’informations (Doki). Serait-il possible d’envisager un tel outil à disposition du public local et des autres collectivités ? – La plateforme Doki, c’est le croisement des données des acteurs et le suivi en interne pour les personnes qui pilotent pour qu’elles puissent être au courant de l’avancée des opérations privées. Ce sont des données sensibles privées, qui ne peuvent être rendues publiques par définition. En revanche, on essaye vraiment que notre travail d’animation soit public. On a créé des liens avec les comités de quartier, on a fait des interventions à la Fabrique, des réunions publiques, on a partagé des affiches, plaquettes, flyers… Il y a une vraie animation publique. On pourrait faire des choses encore plus transversales, comme des « balades de rénovation » ouvertes au public, en montrant les opérations sur place aux intéressés, mais aujourd’hui, ce n’est pas prévu. __ – D’après le diagnostic, j’ai pu en conclure que, contrairement à mes a priori, peu d’immeubles insalubres étaient finalement vacants (beaucoup étaient habités) et donc que l’insalubrité n’est, en fin de compte, pas le facteur principal de la vacance. Confirmez-vous cette hypothèse ? – Déjà, il faut savoir que l’insalubrité, c’est un mot juridique applicable seulement quand le logement est habité. Donc certains logements ne peuvent pas être qualifiés comme insalubres dans les diagnostics, puisqu’ils ne sont pas habités. Au-delà de ça, certains logements vacants ne vont pas jusqu’au stade de l’insalubrité, certains sont dans un en état correct et d’autres en très mauvais état avec une grosse rénovation à faire. D’autres sont devenus vacants, car les gens sont partis et sans entretien, ça ne peut que se dégrader. Moi oui, je vous confirme que ce n’est pas le facteur principal.

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–– – Si oui, quel est le principal facteur ? Logements inadaptés, car trop petits ? Trop obsolètes en termes d’aménagement ? Peu d’intérêt de la part des propriétaires ? Pas d’intérêt pour les locataires à habiter en centre ancien ? – À Draguignan, je dirais que la vacance est principalement liée à deux facteurs : le facteur du logement en lui-même, représenté par un petit logement étriqué dans un immeuble qui n’est déjà pas de très grande qualité, et des parties communes du même ordre le facteur de la ville, qui a une image ternie par un centre-ville super paupérisé, des nuisances, des commerces qui survivent difficilement, même si la ville fait d’énormes efforts là-dessus. C’est une ville en déclin, avec un centre ancien qui se paupérise et des gens qui partent. D’ailleurs elle fait partie des 222 villes du programme Action Coeur de Ville. __ – Si je ne me trompe pas, l’immeuble où se trouve la permanence (10, rue de Trans) était diagnostiqué comme vacant et en état de dégradation importante dans le diagnostic de 2015. Aujourd’hui, il semble entièrement réhabilité, habité en étages et occupé par la permanence en RDC. Comment se passe une telle transformation ? La mairie fait-elle une préemption sur l’immeuble pour pouvoir lancer les travaux ? Achètet-elle seulement le local en RDC et entreprend des travaux avec les autres co-propriétaires ? – En fait, l’immeuble était vacant, mais appartenait à la SAIEM, donc elle a simplement fait une rénovation et on est venu occuper le rez-de-chaussée. __

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– Au-delà de la dimension territoriale, mon mémoire est aussi (et essentiellement) axé sur les qualités spatiales qui peuvent se dégager de telles opérations. Il est important que je puisse illustrer mes hypothèses. Auriez-vous des photos avant/après extérieur/intérieur (surtout intérieur) à me partager ? Les photos seront évidemment sourcées avec le nom de l’auteur. – Les photos ne sont pas vraiment diffusables, car c’est essentiellement des logements privés. Je peux demander à la mairie s’ils sont d’accord pour que je vous envoie des photos d’immeubles, mais ça ne pourra pas être des logements… Vous pouvez aussi peut-être vous rapprocher de la SAIEM, pour ça. __ – J’essaye de rentrer en contact avec Mr. Garabedian, propriétaire du 11bis, rue des Endronnes. La réhabilitation est en cours. C’est typiquement un projet qui attire mon attention, par son ambition. – La SCI PORIC, ils font vraiment une grosse opération ambitieuse. C’était le bâtiment R+3 avec 4 logements vacants en état de dégradation très avancée. Après l’opération, ça va être quatre T3 qui vont de 73 à 132 m². Le propriétaire fait tout rénover, du sol au plafond, la cage d’escalier, la plomberie, l’électricité… Les subventions supportent 70% des travaux, ça représente 300 000 € de subventions. En l’échange des subventions, le propriétaire s’engage à conventionner sur 9 ans, avec des loyers de 470 à 900€. __ – Est-ce que les propriétaires ou maîtres d’œuvre cherchent vraiment à faire de la qualité ? – Je vais surtout vous dire pour la SAIEM. Quand ils font une rénovation, ce sont des grosses rénovations. Ils réaménagent entièrement, pour en sortir des plateaux et proposer des logements plus grands. De manière générale, on essaye d’amener les bailleurs vers des programmes ambitieux, mais les coûts sont parfois exorbitants et les bailleurs ne suivent pas. Un bailleur, malgré tout, cherche souvent à faire de l’investissement avant tout, donc nos préconisations et nos volontés ne sont pas toujours suivies. __ – Travaillez-vous avec des architectes ? – On a des architectes dans nos équipes à Citémétrie, parce-que dans notre mission, quand on a affaire à des copropriétés en difficulté, il nous faut des diagnostics techniques, très précis. L’architecte va venir nous aider dans la qualification d’un immeuble, avec les problématiques qu’il va constater sur le bâtiment et le chiffrage prévisionnel des travaux de remise en état, pour avoir un ordre d’idée de ce qu’on peut faire dans une opération. Mais ça reste uniquement un travail de constat. Il n’est pas missionné pour ses compétences d’architecte-concepteur-maitre d’œuvre, mais comme spécialiste du bâti pour affiner un diagnostic. Il n’engage pas sa responsabilité et on ne transmet pas notre diagnostic aux propriétaires. C’est principalement pour chiffrer, en amont. Hors de notre structure, ce qu’on demande à des propriétaires, c’est de faire appel à un maître d’œuvre pour produire et écrire des choses qui ont une valeur et qui engagent une vraie responsabilité. Pour prendre l’exemple d’une personne ici, un propriétaire, pour son projet, a fait appel à un bailleur. Ils ont demandé à une architecte, qui a d’ailleurs déjà fait un projet à Lorgues, d’être leur maître d’œuvre. On essaye vraiment d’imposer un architecte aux propriétaires, en leur disant que c’est de leur responsabilité. C’est notre rôle en tant qu’accompagnateur de leur rappeler ce qu’ils sont obligés de faire. Ici, en fonction des coûts de travaux et de la surface, on leur rappelle qu’ils sont obligés de faire appel à quelqu’un qui a ces compétences, donc un architecte. Il y a aussi des gens qui font, d’eux-mêmes appel à des architectes quand ils connaissent les difficultés de l’immeuble, de leur façade, de leur structure… Le souci, c’est plutôt quand on est sur des petites copropriétés, les gens ne pensent même pas à faire leur demande en mairie. Mais au-delà de la demande, ce qui est vraiment, c’est qu’ils y a peu d’architectes intéressés par ce type d’opération…

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__ – Comment est portée la dimension patrimoniale dans l’OPAH-RU ? dans le PUG ? – Nous on l’impose dans les opérations, car c’est réglementaire. Ça reste en rapport avec le PLU et le secteur sauvegardé. Notre mission ne va pas jusqu’à l’aspect sensible du patrimoine, on connaît les grandes règles du centre ancien, protégé par les bâtiments de France et suivi par une ABF. On sait que certaines

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choses vont poser souci, comme les matériaux, les couleurs. On prévient les gens des préconisations à faire, mais ça reste réglementaire. On se charge surtout des demandes de subventions. On s’assure que les propriétaires ont les préconisations de travaux et le bon devis. On vérifie que le dossier respecte bien ce qu’à préconisé la ville et l’ABF. __ – Les habitants ont-ils conscience de ce patrimoine ? Honnêtement, de manière générale, les gens et les propriétaires s’en moquent, car c’est une véritable contrainte pour eux. Il faut déposer les demandes, engager des délais supplémentaires, payer plus cher pour répondre aux contraintes de matériaux, de couleurs. Les gens s’y plient parce-que sinon ils n’ont pas de subventions et ils sont en infraction. Mais ça s’arrête là. __ – J’ai suis tombée sur le diagnostic de l’AVAP sur internet. Est-elle en cours ? S’agit-il d’un« Site patrimonial remarquable » ? – C’est à confirmer par la mairie, mais il me semble que oui. On avait même rencontré la personne de la mairie qui est en charge de ça.

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__ – J’aurais maintenant deux petites questions de vocabulaire. Sur le diagnostic, il y a deux secteurs de renouvellement urbain : place du Marché et îlot Courtiou/Observance. Ça veut dire quoi concrètement, renouvellement urbain ? Il s’agit d’un projet de démolition/reconstruction ? – En général, c’est renouvellement urbain, c’est souvent de la démolition-reconstruction. Mais il me semble que ce n’est pas obligatoirement une démolition complète, mais que ça peut être une démolition partielle, qui reviendrait à casser tout l’intérieur et garder la façade pour des raisons souvent patrimoniales. Le renouvellement urbain, c’est terme générique dans lequel on va repenser l’espace à l’échelle de l’îlot, par la démolition, par l’aménagement de l’espace public, par la restructuration… Tout dépend du tissu urbain sur lequel on travaille et de ses besoins. Ça permet d’engager des fonds publics, supplémentaires à ceux de l’OPAH. Ça peut être une rénovation très lourde, par exemple, qui ne rentre pas dans les conditions de l’OPAH, car elle peut être assimilée, par l’Anah, à de la reconstruction. Dans le centre ancien, on a le 9-11, rue de la Roque. Cet îlot de la Roque qui va faire l’objet d’une RHI. La mairie voulait savoir ce qu’on pouvait faire, si on allait sur de la RHI. Il y a deux bureaux d’études qui travaillent dessus. Ce sont les agences d’architecture-urbanisme Skala et Le Creuset Méditerranée. Ils intègrent le paysage, le stationnement. Le projet c’est une démolition complète, pour créer deux maisonnettes et recréer le talus, avec des jardins, avec des parkings et un escalier qui traverse. Les bureaux d’études travaillent aussi sur l’îlot Courtiou/Observance. Il ne peuvent pas tout démolir, car l’ABF n’acceptera pas. Il y a un linéaire à respecter. Alors ils voient ce qu’ils peuvent faire à l’intérieur. Mais l’idée du renouvellement urbain, c’est de maîtriser, plus que de travailler avec les copropriétés, qui représentent un frein dans les moyens, dans le temps, dans les ambitions, etc.

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__ – Et recyclage foncier ? – Le recyclage foncier, c’est un terme qu’on utilise pour dire que la commune a récupéré un foncier et qu’elle va le recycler. Je ne sais pas si c’est nécessairement de la démolition, mais c’est un terme qui arrive en fin de course. Pour moi, c’est le fait de maîtriser un foncier, le mettre à plat et le redonner à un opérateur qui va notamment proposer du social. Pour moi, c’est au moins une rénovation très lourde, suite à la récupération de la commune. Ça fait suite à de l’insalubrité irrémédiable et ça s’accompagne par les subventions de l’Anah. Mais je ne vois pas l’obligation de démolir, car il y a la possibilité que l’insalubrité soit remédiable. Il y a une distinction en fonction de la gravité de la situation. Néanmoins, ça dépend des coûts des travaux, et le plus souvent, la réhabilitation lourde est trop chère, alors on démolit et on reconstruit.



Résumé Il est aujourd’hui délicat de rester indifférent·e face à l’impact environnemental des bâtiments que nous, les architectes, concevons. Il est devenu essentiel de « décarboner » le bâtiment, le plus souvent à coup de normes et de techniques. N’est-il pas toutefois illusoire d’imaginer une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, sans même remettre en question l’acte de construire ? Alors que certaines industries – aussi rares soient-elles – en sont à l'heure du « moins, mais mieux », le secteur de la construction prône un « plus et mieux ». La France est d’ailleurs connue pour être le pays européen qui construit le plus et elle s’en félicite. Il est remarquable d’être désormais capable de construire éco-responsable, performant ou encore passif, mais il existe un autre adage qui dit que « le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas ». Mais il faut bien se loger et le droit au logement est un droit fondamental, me dira-t-on. Je répondrai que c’est incontestablement vrai. Je répondrai aussi qu’il y a 4 millions de français·e·s mal-logé·e·s et que c’est un problème, mais qu’il y a 3 millions de logements vacants et que c’est peut-être une solution. Cependant, la complexité de la réalité mène à questionner les tenants et les aboutissants de ces choix. Si l’on considère ces espaces inhabités comme des ressources en latence, sont-ils délibérément inexploités ou simplement inexploitables ? Peuvent-ils réellement composer une réponse suffisante à tous les enjeux contemporains ? Comment les rendre habitables, désirables, qualitatifs ? Il s’agira, dans ce mémoire, de recadrer la question à l’échelle, longtemps oubliée, des villes moyennes, qui forment un terrain d’action privilégié et propice à la démarche prospective. Il s’agira alors de se projeter dans un avenir où la « ré-architecture » mènerait, à terme, à un bouleversement radical de nos pratiques d’habiter et de construire.

Mots-clés ressource latente - intervention sur l’existant - vacance des logements - villes moyennes

Abstract The environmental impact of construction catches the attention. To face the climate changes, we need to start "decarbonizing" the building sector. However, it remains arduous to talk about a drastic reduction of greenhouse gases emissions without calling into question the building action itself. The new housing energy efficiency is better than ever because of the energy standards, but the quantity of greenhouse gases emitted during the construction stays nevertheless highly significant. Despite this, we keep building as much as we were building few decades ago, and France keeps her top podium position in Europe. At the same time, the quantity of long-term empty homes is also increasing, and even more every year. We often hear that "France is running out of homes". If we simplify the facts, the situation may be surprising. More buildings, but fewer homes? Actually, the reality leads to question the whys and wherefore of those choices. Assuming that long-term empty homes represent a dormant resource, should we consider them as an untapped resource or an inoperable resource? Are they constituting a real answer to the contemporary issues? The research is focused on the medium-sized towns scale, which is a fertile area of study regarding of the topic. Moreover, it is a suitable scale for a forward-looking approach and prospective models where « rearchitecture » would lead to a paradigm shift of the construction conventions.

Keywords latent resource - rehabilitation - long-term empty homes - medium-sized towns


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