phasis estratto

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Š 2012

ISSN: 2279-7734 COVER: Bracha Lichtenberg Ettinger, Woman-Other-Thing n.11, 1990-1993, oil and mixed media on paper mounted on canvas, 29.3x39.8 cm Pp. 20, 45, 49, 60, Bracha Lichtenberg Ettinger, Hands (project Archive), 2010, C. Print.


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Comité d’honneur/Comitato d’onore Jean-François Courtine, Agnes Heller, Aldo Masullo, Jean-Luc Nancy Direction/Direzione Danielle Cohen-Levinas (Université Paris IV - Sorbonne), Elio Matassi (Università di Roma III). Coordinateurs du Comité Scientifique/ Coordinatori del Comitato Scientifico Jérôme Lèbre (Saint-Quentin), Carmelo Meazza (Università di Sassari) Comité Scientifique International/Comitato Scientifico Internazionale Massimo Barale (Università di Pisa), Antonia Birnbaum (Université Paris VIII - Vincennes - Saint-Denis), Remo Bodei (University of California - Los Angeles), Giuseppe Cantillo (Università di Napoli Federico II), Danielle Cohen-Levinas (Université Paris IV - Sorbonne), Gianfranco Dalmasso (Università di Bergamo), Françoise Dastur (Archives Husserl de Paris, ENS), Massimo Donà (Università Vita-Salute San Raffaele di Milano), Denis Kambouchner (Université Paris I, — Panthéon-Sorbonne), Jérôme Lèbre (Saint-Quentin), Eugenio Mazzarella (Università di Napoli, Federico II), Carmelo Meazza (Università di Sassari), Mathieu Potte-Bonneville (lycée Jean Jaurès de Montreuil, Collège International de Philosophie), Henrik Reeh (Københavns Universitet), Caterina Resta (Università di Messina), Anne Sejten (Roskilde Universitet).


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© 2012, Edizioni Inschibboleth società cooperativa sociale, Roma. © 2012, Edition de Inschibboleth società cooperativa sociale, Roma.

Périodicité semestrielle – 0, Février 2012. Periodico semestrale - Febbraio 2012, Anno 0, N. 0. Tous les droits sont réservés pour tous les pays / Tutti i diritti sono riservati. ISSN: 2279-7734 Rédaction / Redazione: C/o Inschibboleth società cooperativa sociale, Via Alfredo Fusco 21, 00136, Roma - Italia, e-mail: phasis.journal@gmail.com, http://www.phasis-journal.org. Rédacteurs en chef / Responsabili di redazione: Giusepper Mascia e Giuseppe Pintus. Directeur de la publication / Direttore responsabile: Aldo Maria Morace (Università di Sassari). Éditeur / Editore, Proprietario della pubblicazione: Inschibboleth società cooperativa sociale. Dépôt / Registrazione presso il Tribunale di Roma: in attesa di registrazione. Mise en page / Impaginazione: Inschibboleth società cooperativa sociale. Imprimé en Italie / Stampato in Italia. Un numéro / Un numero: € 20,00, numéros précédents au même prix / arretrati stesso prezzo; Abonnement annuel / Abbonamento annuale: € 40,00. Pour s’abonner ou demander un numéro s’adresser à / Per abbonarsi o richiedere singoli numeri rivolgersi a: Inschibboleth società cooperativa sociale, e-mail edizioni.inschibboleth@gmail.com, web: http://www.phasis-journal.org

Les propositions d’articles sont à adresser à la rédaction par voie électronique. Les auteurs doivent certifier dans leur courrier que leur texte n’a jamais été publié, ni simultanément soumis ou déjà accepté pour publication chez un autre éditeur. Après une première lecture, le secrétariat de rédaction adresse l’article proposé pour un examen critique à des lecteurs référents anonymes. Les avis des lecteurs et la décision de la rédaction (acceptation, refus, propositions de modifications) sont transmis ensuite à l’auteur. La proposta di articoli per la pubblicazione dev’essere inviata alla redazione in formato elettronico. Gli autori devono certificare, con lettera firmata in originale ed inviata per posta, che il loro testo non è mai stato pubblicato, ne simultaneamente sottoposto o già accettato per altre pubblicazioni. Dopo una prima lettura la segreteria di redazione invia la proposta di articolo per un esame critico a due lettori anonimi (peer review) per la valutazione dei contributi proposti per la pubblicazione. Gli esiti della valutazione (accettato, rifiutato, proposta di modifica) vengono comunicati in seguito all’autore.


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Sommaire

Editorial Danielle Cohen-Levinas - Jérôme Lèbre

p. 11

Jean-Luc Nancy Vif traité d’exposition

p. 15

Danielle Cohen-Levinas Comme une peau s’expose à ce qui la blesse. Levinas lecteur de Proust

Gianfranco Dalmasso

p. 21

p. 35

Il dono in-debito

Massimo Donà In trasparenza. Il vetro: ovvero l’enigma di un’aporetica “esposizione”

Bracha L. Ettinger

No Title Yet Eurydice

p. 47

p. 61

Jérôme Lèbre

Sous Presse

p. 83

Elio Matassi

…esposti al suono: dal suono cosmologico a quello subiettivo – comunitario p. 95

Carmelo Meazza

p. 111

Le retrait exposé

Henrik Reeh Exposer l’architecture vide: Le Musée Juif de Berlin par Daniel Libeskind

p. 127

Caterina Resta Un’esposizione vulnerabile

p. 141

Anne Elisabeth Sejten Proust Valéry Exposition

p. 163


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Présentation de la revue

Phasis est une revue philosophique d’initiative franco-italienne à vocation européenne. Les numéros seront thématiques, axés sur la pensée contemporaine, écrits dans différentes langues et distribués dans différents pays. La parution sera semestrielle. L’objectif de la revue est de favoriser les échanges d’idées philosophiques à l’intérieur de l’Europe et d’entraîner un travail collectif, impliquant également de jeunes chercheurs, sur des interrogations importantes et actuelles. Ce premier numéro, consacré à «l’exposition», est rédigé presque exclusivement par les membres de la revue (comité d’honneur, directeurs, comité scientifique). Les auteurs sont de quatre nationalités; ils ont écrit en trois langues, anglais, français et italien. Le prochain numéro portera sur «l’élection» et accueillera majoritairement des textes d’auteurs sollicités.


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Editorial Danielle Cohen-Levinas - Jérôme Lèbre

L’exposition est aussi bien l’autre nom de la parution, et donc un thème possible pour un premier numéro de revue. Nous l’avons pris dans son sens le plus large, le plus multiple, en considérant que l’exposition signifiait déjà aussi un mode du multiple, ou de la différence: elle implique un mouvement vers le dehors qui fait que ce qui s’expose, ou se trouve exposé, ne demeure pas seul. Bien sûr, au moins dans la langue française, le terme évoque avant tout une exposition d’œuvres, et on le rangerait facilement dans la catégorie «esthétique». En ce sens il a déjà son histoire, inscrite dans celle de l’art. Le succès actuel des grandes expositions, tout comme les recherches muséologiques, impliquent une interrogation sur le statut des œuvres qui apparaissent ensemble au public, dans une position à la fois fixe et amovible : leur accrochage semble inessentiel du point de vue de la création, mais il est tout de même comme une destination, un arrêt momentané ou non dans un espace précisément configuré pour la vision et pour l’approche. Rappelons alors, qu’aussi bien, on peut se demander si tout s’expose, l’exposition ayant largement contribué à faire osciller, sinon vaciller, l’idée même de création, la différence entre les arts de l’espace et les arts du temps ainsi que les frontières de l’art. Les musées, qui peuvent eux-mêmes s’exposer parmi d’autres œuvres architecturales, ne se limitent nullement à exposer des œuvres, et leur geste institutionnel est peut-être moins de souligner, voire de donner, une valeur esthétique à des objets que de se risquer (plus ou moins) à tracer le grand, l’impossible cercle de ce qui doit être montré. L’exposition s’ouvre au public qui s’ouvre à ce qu’elle montre, et dans ce jeu disparaît la simple opposition de l’espace du musée et du monde réel. Il s’avère que l’exposition n’est autre que le temps d’ouverture pendant lequel un fragment du monde s’imprime, un mode d’être se dévoile. Un


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paysage s’expose, un animal, nous nous exposons. Notre spécificité « humaine » consiste alors peut-être simplement à n’être qu’exposés. De cette manière nous pouvons nous acheminer vers ce qui de la pensée ne peut plus se penser en termes d’appropriation. La vérité n’est pas le vrai, mais l’exposé. On se souvient de la phrase provocante de Bataille : «Je pense comme une fille enlève sa robe». L’exposition est ici appréhendée comme idiome impossible d’un dénuement extrême de la parole qui parle, une présence en excès qui n’a d’autre ostension que d’exposer sa nudité propre, autrement dit, sa propre exposition – une existence infiniment ouverte. Il en découle que les rapports entre les existences, et tout autant leur proximité dialogale sont déjà des paradigmes de l’exposition. L’exposition à l’autre donné, au pour-l’autre, comme le premier qui aurait entendu l’appel et qui, sans cet ordre d’idée, pourrait être le dernier à s’ouvrir à lui, à l’écouter, à répondre, tiendrait d’une élection primordiale dont le surgissement a lieu avant même d’affirmer le «pour-soi». C’est cette non-interchangeabilité de l’exposition qui fait que s’exposer revient à exprimer une subjectivation originelle. Or, et c’est bien là le point de convergence entre des pratiques artistiques, la littérature et la philosophie, l’exposition n’est pas nécessairement une modalité de la monstration. Elle ne s’établit pas uniquement dans la simultanéité des données du savoir, ni dans la réciprocité des échanges. Elle touche à l’irréversibilité du temps, à la non-indifférence à autrui. D’où son rapport insécable à une vocation éthique dont nous aimerions montrer qu’elle est aussi une vocation artistique et politique. Le sens de l’exposition, on l’aura compris, est sans doute celui qui résiste le mieux à la violence accompagnant tout sens imposé. Ce ou celui qui s’expose résiste en raison même de sa vulnérabilité, et au-delà des dispositifs de garde ou d’alarme qui le maintiennent à distance, comme des fléchages qui entendent mener directement à lui. Cette introduction et la disposition des textes qui suivent veulent éviter un tel fléchage; elles souhaitent participer, comme la différence entre les langues, ou entre le texte et l’image, à l’aménagement d’un espace qui permette au lecteur de circuler selon l’itinéraire de son choix, sans que l’on ait ici à distinguer entre les cimaises et ce qu’elles soutiennent. De fait, la notion même d’exposition peut sembler contradictoire, tant elle est concomitante d’un événement qui rompt la totalité et déchire la continuité de tout fléchage. Il s’ensuit ce que nous pourrions appeler une sorte d’émerveillement devant ce qui s’expose, comme si derrière l’exposition faisait irruption une adresse, une gratitude, l’épreuve d’un événement qui n’est justement pas une chose simplement exposée, mais l’agir de l’exposé, le faire sens.


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Jean-Luc Nancy

Vif traité d’exposition

1 «Exposé» n’est pas un prédicat qu’on peut ajouter ou soustraire à l’être. «Etre» n’est qu’exposé, «être» veut dire «être exposé». C’est en ce sens que «l’être» n’est pas un substantif recevable car il supposerait sa propre position antérieure et sous-jacente à toute autre détermination, une antécédence absolue sur soi qui le fonderait ou qui plutôt identifierait son «être» (sa nature, sa substance, sa réalité) à sa propre fondation toujours déjà donnée à elle-même et par elle-même. Cet «être»-là s’est appelé «être suprême». La position de l’être suprême n’est pas autre chose que la position de l’être en tant que substance, fond, supposition absolue. Si l’«être» n’est pas substantiel, c’est parce que sa pré-supposition se montre d’elle-même comme infinie: elle est toujours plus ancienne que toute position. Mas ainsi l’«être» n’est jamais posé, et s’il est sup-posé c’est qu’il est antérieur et extérieur à toute position. Ou bien il est dans la position le «poser» en tant que celui-ci par définition ne peut pas être posé. C’est ainsi que l’être n’est pas substantif ni substance, mais verbe. Mais de ce verbe, ou bien on ne retient que la fonction d’attribution ou de prédication: «être» rapporte un prédicat à un sujet, comme dans «la terre est ronde»; mais ce rapport est ou bien extrinsèque, sans nécessité (la terre pourrait être cubique), ou bien tautologique (la terre ne peut qu’être ronde). La copule du verbe «être» ne dit rien de ce que l’attribution engage. Elle est «privée d’esprit» dit Hegel. Ou bien on entend le verbe «être» non pas comme prédicatif mais comme transitif, c’est-à-dire opératoire et efficient: «la terre est ronde» voudrait dire que la terre effectue sa rotondité, qu’elle engage sa nature de terre


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dans la sphéricité et en quelque sorte l’y investit tout entière. «Etre» c’est alors faire, se faire, se produire, se mettre au monde. Cette transitivité est alors à son comble dans la simple phrase «il est»: non pas «il», quelque chose ou quelqu’un, peut se voir prédiqué de l’être (puisque ce prédicat n’ajoute rien à «il»), mais «il» se fait, se porte à «être», il s’«est» plutôt qu’il n’«est». Voilà pourquoi «l’être» n’est pas. Voilà pourquoi, aussi bien, ça se joue toujours au delà de l’être. Ou en deçà. Au delà ou en deçà, il s’agit de la même chose, à savoir de la position. Ce qui est est posé (donné, présent). Or la position de ce qui est posé ou bien est sa propre infinie supposition: par exemple, j’ai toujours déjà été celui que je suis (ce qui peut se dire tout en ajoutant que je ne cesse de devenir celui que je suis) – ou bien doit renoncer à cette infinie présupposition et se comprendre comme ex-position. L’infinie présupposition reconduit à l’être suprême: pas seulement à un être suprême situé au principe de tous les êtres, mais plus radicalement au caractère suprême de l’être en soi et donc de tout être. Tout de qui est est suprêmement. Mais il restera encore à penser ce «suprêmement»: en tant qu’il se porte aux limites de la présupposition, il exige que l’être soit avant d’être. Que «être» se précède. Et donc s’excède. Telle est l’exposition: il n’y a pas un ensemble des choses posées sans qu’il y ait leur position au sens de leur venue, de leur surgissement hors de rien – puisqu’antérieurement à quelque chose il ne peut y avoir rien. 2 Il suffit de revoir la scène, elle nous est familière : quelqu’un vient, quelqu’un arrive, quelqu’un est là. Aucune décomposition des séries de causes et d’états antérieurs de cette présence ne peut abolir la différence absolue entre «il arrive» et «il est là». Dans «il est là» ne figure aucune présupposition. La venue qui a précédé pouvait toujours être suspendue, déjouée, empêchée. «Il est là» n’est pas une proposition calme et constative; c’est une phrase vibrante, tendue, animée du surgissement de cet «être là» qui n’est pas substance mais acte. Cet acte est l’ex-position: il se pose hors du néant de son absence. Il naît, il paraît, il «arrive» cette fois non au sens du processus d’un acheminement mais au sens du jaillissement de la présence dans laquelle il y a toujours plus et autre chose que la conclusion, l’aboutissement du processus. Toujours plus qu’un être-présent. Il est venu. Elle est venue. Il, elle a fait le voyage, est partie de quelque


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part pour arriver ici. Mais «ici» n’est pas un espace donné dans lequel il s’agirait simplement de constater qu’il/elle est «là». Car cet être «là» bouleverse l’«ici». Dès qu’il/elle est là, là est un autre là, ici un autre ici, et il/ elle un autre que il/elle ailleurs qu’ici. La chose n’est posée que si elle est posée au sens le plus actif – et donc exposée. C’est aussi simple que de dire: le vase posé sur cette console non seulement y a été posé un jour mais garde dans sa position (à cet endroit, selon tel angle, etc.) l’acte en somme toujours réactivé de cet «avoir été posé». C’est-à-dire mis en vue, montré, présenté, exposé. Non pas donc son «avoir été»: son être en création continuée. C’est aussi simple, oui. Il n’y a pas un «être» qui ne soit exposé, ou bien : être expose. La transitivité d’être expose tout ce qui est, tous les étants. Rien qui ne soit exposé, mais «exposé», il faut le redire, n’est pas un prédicat. Rien qui ne s’expose, mais «s’exposer» n’est pas une action seconde qui viendrait après «être posé». Il n’y a de position qu’en exposition. Rien qui ne s’expose, depuis la pierre dure, grenue, rêche ou polie jusqu’à la fleur éclose, épanouie, et à l’œil qui s’ouvre, au poil qui se hérisse, aux paroles qui se cherchent. Il ne faut pas s’imaginer quelque retraite intime où l’exposition cesserait, puisque le for interne, comme le dit son nom de forum, est encore une place publique où je ne comparais pas devant moimême sans être un autre, voire beaucoup d’autres qui m’inspectent ou qui m’interpellent. Il n’y a pas d’intérieur à partir duquel l’exposition se tournerait vers l’extérieur. L’interne, l’intime même sont tournés vers un dehors qui répond à celui qu’on dit être «le monde extérieur»: l’abîme où meurt la musique, celui où s’exhale le jouir, le pressentiment de l’infini. C’est pourquoi le visage de l’autre, ce visage invisible qui me dévisage en se dérobant à la prise est d’abord le mien : mon visage ne cesse de me précéder, me tournant le dos, et de me dérober ma propre identification. De même, l’événement par lequel je viens le plus proprement en présence – une voix, un baiser, une écriture, un serment – est aussi chaque fois celui qui m’échappe et me désapproprie ou me dédie à l’autre. 3 Rien n’est plus propre à un étant quel qu’il soit que son exposition, exactement comme rien n’est plus propre à un tableau que d’être exposé, à une musique d’être exécutée, à un poème d’être exhalé, à un corps d’être exhibé, à un affect d’être exprimé. Rien n’est plus propre à un étant quel qu’il soit que de s’offrir comme tel,



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Danielle Cohen-Levinas

Comme une peau s’expose à ce qui la blesse L’instant littéraire et la signification corporelle du temps

Levinas lecteur de Proust

Nous savons combien la relation à l’autre est originairement première. Cette intersubjectivité n’est en rien synonyme de communication, mais «suprême passivité de l’exposition à Autrui» dit Levinas dans Autrement qu’être1. Ce mouvement d’exposition qui peut aller jusqu’à la substitution, jusqu’à la fissure du sujet, jusqu’à son anéantissement, «comme une peau s’expose à ce qui la blesse, comme une joue offerte à celui qui frappe»2 est vécue comme traumatisme, comme «dire à l’autre» incommensurable par rapport à un énoncé qui se contente de dire quelque chose. Le «dire à l’autre», constitutif de la subjectivité, atteste un retournement de la structure de signification du dit. En sollicitant le motif de «l’exposition» comme ce qui toujours excède l’ordre logique de ce qui se montre, Emmanuel Levinas aura ausculé la manière dont le sujet dévoile sa sensibilité définie comme vulnérabilité et comment cette exposition qui nous mène à la transcendance d’autrui transforme en profondeur les présupposés phénoménologiques. L’exposition d’un sujet n’est pas seulement exposition du sujet assigné à l’autre et pour l’autre. Il s’agit également d’une exposition qui déborde l’idée même d’intentionnalité et de téléologie. Cette mise en défection de la phénoménologie qui peut-être encore interprété comme un geste requis par la phénoménologie est ce qui fonde chez Levinas le passage du besoin au désir et du désir à l’exposition d’autrui, laquelle est particulièrement éloquente dans l’œuvre de Proust que Levinas aura lue dès les années de captivité. Il y a une omniprésence de la littérature dans l’œuvre philosophique d’Emmanuel Levinas, mais cette omniprésence ne se laisse pas circonscrire à d’uniques idiomes narratifs ou à des références ponctuelles. C’est un des 1. Ed. Nijhoff, La Haye, 1974 ; Le livre de poche, 1978. 2. Ibidem, p. 83.


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traits caractéristiques de la modernité du XXème siècle que de susciter une proximité d’écriture et de pensée entre philosophie et littérature, et à ce titre, Proust représente à lui tout seul ce que Roland Barthes appelait en 1974, «un système complet de lecture du monde. (…) Il n’y a pas, dans notre vie quotidienne, d’incident, de rencontre, de trait, de situation, qui n’ait sa référence dans Proust»3. Si Emmanuel Levinas n’a pas dérogé à cette tradition, très ancienne en ce qui concerne la France, il faut d’emblée ajouter qu’il fut attentif, comme peu de philosophes le furent, à la littérature et à la poésie, et que la grande originalité de Levinas, je dirai même, la radicalité de son geste, fut de poser comme hypothèse, ou du moins, de laisser entrevoir, dans son essai de 1948 paru dans «Les temps modernes», La réalité et son ombre4, que la littérature n’est pas entendu comme «art», que la parole narrative ne se contente pas de parler ou de s’immerger dans la passion du verbalisme et du contentement psychologique, mais qu’elle est une parole qui s’apporte elle-même dans le mouvement du récit, dans l’acte d’écriture. Qu’en ce sens, elle est déjà en soi un appel à autrui – ce que Levinas entend comme la modalité la plus essentielle du «se-méfier-de-soi», qui est, comme nous le savons, le propre de la philosophie et de la critique. La littérature moderne, concomitante des préoccupations et priorités philosophiques, manifesterait à certains égards, plus que la philosophie, ou tout autant, ce que Levinas appelle «une conscience de plus en plus nette de cette insuffisance foncière de l’idolâtrie artistique»5. Le procès exprimé de manière très incisive par Levinas n’est pas celui de la littérature, mais de l’art, en tant qu’il n’est pas langage. Par conséquent, celui-ci n’est pas à la hauteur de la question de la vérité et du bien que la philosophie, depuis Platon, tente d’articuler. La tentation esthétique rigoureusement condamnée par Levinas dans le contexte de l’immédiate après-guerre, et déjà dans De l’existence à l’existant6 commencé en captivité, au motif qu’elle constitue l’événement même de l’obscurcissement de l’être et qu’elle le conduit vers son assombrissement, n’est pas comparable à la tentation littéraire exprimée par Levinas dans Les carnets de captivité – tentation qu’il faut prendre je crois très au sérieux et ausculter très attentivement. Levinas, lecteur de Proust, certes, mais de tant d’autres écrivains pendant cette période qu’il 3. Entretien de Roland Barthes avec Claude Jannoud, Le Figaro, 27 juillet 1974, in Œuvres complètes, volume 3, Editions du Seuil, Paris, 2002, p. 569. 4. Texte repris dans Les Imprévus de l’histoire, ed. Fata Morgana, Montpellier, 1994, p. 123148. 5. Ibidem, p. 148. ère 6. Librairie philosophique Vrin, Paris, 1 édition 1947, réédition 1981.


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interrogeait tragiquement par cette formule inscrite dans les carnets, «Que dira l’histoire?»7, détecte dans la littérature la possibilité de réintroduire, au cœur de la rigueur du concept, une intelligibilité du monde où la notion «d’expérience» occupe une place centrale. Avec le récit, devenu forme de la relation à autrui, Levinas aborde le statut du sujet, de la subjectivité qui doit faire l’épreuve de l’altération, voire de la fissure et de la dévastation. En définitive, les récits et les écrivains qui retiennent son attention sont tous taraudés par ce que l’on pourrait appeler l’extradition du sujet, qui serait en définitive le véritable motif des récits autour duquel se nouerait une dramaturgie, une intrigue selon l’expression de Levinas, ou encore, comme il l’écrit dans le sixième Carnet de captivité: «La peur d’être ‘dupe’ – est-ce que telle règle pratique qui me paraît absolue n’est-elle pas purement et simplement de la ‘littérature’ – Cette sphère de la littérature s’élargit infiniment. La vertu est-elle?»8. Levinas a donc vécu la captivité, la condition d’otage comme il le dit luimême – rappelant à plusieurs reprises que le mot «otage», il le connaît «depuis la persécution nazie»9 – dans «la passivité totale de l’abandon, dans le détachement à l’égard de tous les liens»10, et en même temps, comme un moment où se sont révélées «les vraies expériences»11. Le récit de Levinas est d’une force inouïe: «Souffrances, désespoirs, deuils – certes. Mais par-dessus tout cela, un rythme nouveau de vie. Nos avions mis pied sur une autre planète, respirant une atmosphère d’un mélange inconnu et manipulant une matière qui ne pesait plus»12. La force singulière du mot «otage», qui entre d’emblée en résonance avec celui de «captivité», tient sans doute à la manière dont Levinas le déplace sur le registre conceptuel en y décelant l’éminence d’un Dire qui se narre tout en étant chargé d’une force éthique irrécusable. Effort tendu vers ce que Levinas appelle dans Autrement qu’être une «thématisation, pensée, histoire et écriture»13, qui en vient nécessairement à être blessé par, non seulement la trace de la signifiance, du «faire signe» et de la proximité, mais par l’expérience vécue et par sa temporalisation dans le processus d’écriture et l’exercice de la pensée. Levinas a donc vécu la captivité, il 7. Carnets de captivité et autres inédits, volume publié sous la responsabilité de Rodolphe Calin et de Catherine Chalier, œuvre 1, ed. Grasset/Imec, Paris, 2009, p. 79. 8. Ibidem, p. 161. 9. In Entretiens avec Emmanuel Levinas (1992-1994), réalisés par Michael de Saint-Chéron, Le livre de poche, Paris, 2006, p. 31. 10. In Carnets de captivité et autres écrits, p. 213. 11. Ibidem, p. 203. 12. Ibid. 13.Ed. Nijhoff, La Haye, 1974, p. 20.


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fut, comme on dit, prisonnier de guerre, balloté entre 1942 dans différents Frontstalag, à Rennes, à Laval et à Vesoul, et dès 1942 et jusqu’à la fin de la captivité en 1945, il fut prisonnier au Stalag XI B de Fallingbostel en Allemagne, séparé des autres prisonniers français et dans l’obligation de travailler dans un kommando spécial réservé aux Juifs qui partait en forêt chaque jour dès 4h du matin. C’est dans ces conditions inhumaines qu’il confia, chaque jour, au retour de la forêt où il exerçait le métier de bûcheron sous les hurlements et les insultes des soldats allemands, des notes, aphorismes et pensées, à une série de petits carnets qu’aujourd’hui nous feuilletons en essayant de reconstituer, après coup, la genèse de son œuvre, depuis l’accumulation de ces fragments où s’entremêlent des réflexions philosophiques, des références à la tradition biblique et talmudique, des extraits de textes romanesques que Levinas recopiait rigoureusement, des ébauches de trois romans dont deux laissés inachevés, Eros et La dame de chez Wepler. Car la condition d’otage avait ceci de paradoxal, qu’elle autorisait les prisonniers qui avaient subi les pires maltraitances dans la journée à se rendre en bibliothèque en fin d’après midi. Lecture, écriture et copie représentèrent pour Levinas des espaces de survie face à «l’affreuse réalité qui se recoud»14. Plus tard, lors d’un entretien, Levinas reviendra sur cette expérience qu’il assimilait dans les Carnets de captivité à une «vie monacale ou morale», évoquant les lectures qu’ils n’auraient jamais faites sans la captivité. «En faisant de vous un otage, on vous punissait pour quelqu’un d’autre. Pour moi, ce terme n’a pas d’autre signification, sauf s’il reçoit dans le contexte une signification qui peut être glorieuse. Cette misère de l’otage a une certaine gloire, dans la mesure où celui qui est otage sait qu’il court le risque d’être tué pour un autre. Cependant, dans cette condition d’otage, que j’appelle ‘l’incondition d’otage’, n’y-a-t-il pas, au-delà du destin dramatique, une dignité suprême»15. Condition et incondition Est-il possible d’exposer et de thématiser la figure de l’otage quand on fut soi-même otage? Est-il possible de passer de l’expérience vécue de la condition d’otage à l’expérience philosophique de l’incondition d’otage, sans faire retomber cette question, qui fut prise dans le traumatisme du temps historique, dans l’ordre de ce que Levinas cherche à excéder? Qu’en 14. In Carnets de captivité et autres écrits, p. 72. 15. In Entretiens avec Emmanuel Levinas… Ibid.


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est-il du passage du Dit de la captivité au Dire de l’otage, l’un peut-il traduire l’autre sans le trahir? Ce serait par un se dédire jamais achevé, toujours recommencé, que Levinas parviendrait à interpréter la signification du Dit de l’otage de l’expérience vécue, en la soumettant à l’irréductibilité du Dire de l’incondition d’otage – le lieu où s’élabore une pensée philosophique qui serait ouverture à ce que Levinas appelle, dans les Carnets de captivité, «la signification corporelle du temps»16. Cette signification corporelle du temps, Levinas la met en œuvre depuis les incessantes lectures de Proust qu’il fait lorsqu’il est prisonnier de guerre. Chez Proust, la réalité humaine ne se déduit pas de la seule dialectique de la totalité historique et de la rupture eschatologique. Elle est toujours en tension constitutive avec la pure signifiance d’autrui, excluant ainsi le dévoilement objectif et se soustrayant à un ordre politico-historique: «Toute l’histoire d’Albertine prisonnière – est l’histoire de la relation avec autrui» note Levinas dans les Carnets de captivité17. De même, chez Proust, l’approche amoureuse et érotique n’est pas redevable de la droiture du visage et de la parole. Elle transite par le silence équivoque et signifiant qui, chez Levinas, deviendra dans Totalité et Infini l’intentionnalité de la caresse comme moment sensible qui «transcende le sensible» et qui, en le transcendant, permet d’accéder à la dualité qui est le propre du mystère incommensurable d’autrui. Ce mystère est pour Levinas, dès les Carnets de captivité, «le fond même de l’amour»18. Le motif de la sexualité, très présent dans les Carnets, est dès lors abordé comme constitutif de l’égoïté. En 1942, entre une réflexion sur Joseph de Maîstre et Alfred de Vigny, et une allusion à la fête de Simha Torah (4 octobre 1942), Levinas recopie ce bref passage d’Albertine disparue: «Je n’avais pas cessé de m’aimer parce que mes liens quotidiens avec moi-même n’avaient pas été rompus comme l’avaient été ceux d’Albertine. Mais si ceux avec mon corps, avec moi-même, l’étaient aussi? Certes il en serait de même. Notre amour de la vie n’est qu’une vieille liaison dont nous ne savons pas nous débarrasser. Sa force est dans sa permanence. Mais la mort qui la rompt nous guérira du désir de l’immortalité»19. On pourrait faire un relevé très précis des thèmes qui, dans la Recherche, fonde la subjectivité proustienne, et nous pourrions, de manière systématique, les mettre en relation avec les idiomes lévinassiens: amour, érotisme, sexualité, socialité, signifiance et signification, exposition, structure éthi16. In Carnets de captivité et autres écrits, p. 186. 17. Ibidem, p. 72. 18. Ibidem, p. 114. 19. Ibid., p. 77.


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Gianfranco Dalmasso

Il dono in-debito

Le riflessioni di Jean-luc Nancy sulla nozione di esposizione e le recenti riprese del tema da parte di Carmelo Meazza1 mettono a fuoco una questione poco facilmente affrontabile e al tempo stesso decisiva per un dibattito sulla soggettività. Esposizione è una parola che, già nelle sue ipotesi etimologiche, rivela un giro di elementi consustanziali all’origine di un soggetto. Esposizione deriva dal latino expositio, nome d’azione del verbo ex-ponere. Il termine, incrociato con l’italiano esporre, ponere da posnere, composto di po- e sinere ‘lasciare’, indica l’azione già conclusa. Mentre sinere non si preoccupa della sorte della cosa lasciata, ponere la considera collocata definitivamente in un “posto”2. Es-porsi sembra perciò accennare al rapporto fra l’atto e il suo luogo e perciò circoscrivere, in qualche modo, la zona di origine di un soggetto. Si può essere lasciati e lasciare, essere collocati e collocare riguardo a: - un discorso - un gesto, cioè un corpo - un comportamento (scelta, adesione, aggressione ecc.) In questo formidabile problema vorrei cogliere una sorta di nascosto, non nel senso di un profondo rispetto ad una superficie, ma nel senso derridiano di un’opera di de-costruzione, che permetta di trovare un nascosto attivo, una causa generativa. Rapporto fra un atto e un luogo…: Nel luogo, in un luogo si è visti, anche, in un certo senso, identificati. D’altra parte l’atto, il porre, una volta compiuto, genera a sua volta un luogo Scelgo due autori, Levinas e Derrida, come guide per lavorare sulla que1. C. Meazza, La comunità s-velata. Questioni per Jean-Luc Nancy, Napoli, Guida, 2010. 2. Cfr., G. Devoto, Avviamento alla etimologia italiana, Firenze, LeMonnier, 1968, p.324.


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stione. I loro testi sono in grado di mettere a fuoco metodi e linguaggi in modo, mi sembra, complementare. I due si sono vicendevolmente esposti. 1. Luogo del proprio Questo modo di prospettare il rapporto fra l’atto e il luogo evoca, secondo Levinas, “un’origine più antica che la violenza”. È in questione un rapporto fra l’io e il suo atto, fra l’io e il suo discorso, fra l’io e ciò che dice, che spiazza, che genera domande, o meglio che è in grado di ridefinire le proprie domande. Si tratta di una modalità operativa, gestuale, che avviene, originariamente attraverso e nonostante ciò che si dice. Questa modalità è originaria, nel senso che occupa quel luogo problematico del voler dire che per i greci costituiva il problema del tode ti. Questa determinatezza, questo fatto che uno dice qualche cosa, alcunché, riguarda il rapporto fra chi dice e l’origine del suo discorso:che qualche cosa che si dice abbia un senso – significhi una cosa falsa, una cosa vera, una cosa illusoria, una cosa possibile non importa – che voglia dire qualche cosa, una determinatezza, un tode ti, ciò scatta, avviene, si costituisce in base al rapporto tra chi dice e l’origine di ciò che dice, l’origine del suo discorso. Ciò che è in questione è dunque il movimento di produzione del significato. Il movimento di produzione del significato in Levinas sfugge al modo con cui normalmente siamo abituati a pensarlo – ammesso che tale problema sia oggi adeguatamente leggibile e pensabile nell’assetto del nostro linguaggio. Questo problema è stato in gran parte la posta in gioco nel marxismo e nel freudismo: questi stili di pensiero oggi sono appannati, come in sordina, e la terminologia stessa dell’espressione “produzione del significato” è come inattuale e difficilmente inquadrabile come problema metodologico e teorico. Si tratta di un questione che – se vogliamo oggettivarla dal punto di vista della sua zona di origine, nella testualità del pensiero filosofico di questi decenni – potrebbe essere nominata come il problema della genesi del significato nella fenomenologia dinamica di Husserl in riferimento soprattutto ad opere come Analysen zur Passiven Syntesis. La questione del conferimento di senso alla Husserl o secondo un quadro ed uno stile fenomenologico di pensiero, riguarda proprio il rapporto fra il soggetto ed il significato che il soggetto conferisce, volente o nolente, consapevole o a sua insaputa: comunque parte di un movimento più ampio in cui egli come soggetto è compreso insieme al significato. Questione per altro che in En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger è messa precocemente e


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acutamente a fuoco. Questione circolante nel linguaggio teorico, ma leggibile a fatica (a questo proposito sarebbe del massimo interesse un dibattito in cui poter confrontare questi giudizi, queste preoccupazioni o questi stili di analisi e di ricerca). In Levinas si tratta, in ogni caso, della costituzione dell’io: costituzione dell’io vuol dire una capacità di attraversare il problema, per così dire, del proprio, del proprio in rapporto al linguaggio. Quando parlo, che cosa dico? Quello che dico, come e in che senso è pensabile come mio? C’è, anche qui, un problema di spiazzamento del soggetto e di produzione del significato. Si tratta di un problema di luogo, del luogo dell’io rispetto al discorso, al proprio (?) discorso (che cosa vuol dire che il proprio discorso sia proprio?). Per Levinas la proprietà é pensabile come collocazione. Dell’io si parla, in Levinas rispetto a un luogo, rispetto a un dove: è come se la domanda: “dove sono?” fosse più originaria della domanda:”chi sono?”. Il rapporto fra il logos ed ethos si radica qui, io credo, perchè se ethos anche nel suo etimo significa “luogo, dimora, soggiorno”, l’originarietà dell’ethos come luogo, come dimora, si costituisce in questo modo di domandare, in questo modo di originarsi del pensare stesso. Tale luogo, d’altra parte, non accenna soltanto ad una impredibile e problematica trascendenza, ma anche e radicalmente alla questione della verità. I temi sopra delineati si intrecciano, strutturalmente, ad una concezione vivente e drammatica della verità. Ricordo il passo in cui Levinas evoca la dizione agostiniana di una veritas redarguens e non solo di una veritas lucens3: una verità che rimprovera piuttosto che una verità che splende. Una verità che rimprovera. Certamente condizionati dal linguaggio teorico odierno, siamo lontani mille miglia dal pensare la verità come una realtà attiva. Per Levinas la verità è come una “X”, non sappiamo che cosa sia, ma sappiamo che ci rimprovera. Una verità: non la legge morale, non la colpa, non l’etica kantiana: una verità. Ne siamo lontani le mille miglia perché comunque la verità anche se indebolita, incredibile, nichilista è e continua ad essere, nel nostro ordine teorico, oggetto del discorso. La verità, se ve ne è una, pensata come dialettica, processuale, problematica, dicibile, indicibile, è comunque oggetto del discorso. Una verità che rimprovera non è oggetto del discorso, è ciò che è fuori dal discorso,, “fuori” nel senso che spiazza, mette alla prova il discorso, lo rimprovera. Come se dicesse: “Disgraziato, che cosa fai?”, tuttavia questo discorso (“Disgraziato, che cosa fai?”) non è un discorso 3. Di Dio che viene all’idea, a cura di Silvano Petrosino, Milano, Jaca Book, 1983. Cfr. Confessiones, l. X.


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morale che si collocherebbe accanto alla verità, non è un discorso che ha le sue ragioni che non sarebbero le ragioni della verità. No. Per Levinas “Tu sei un disgraziato…” è un discorso veritativo, riguarda la natura e il funzionamento della verità. Si tratta ancora del problema del luogo: luogo, di un colpo solo, dell’io e della verità. Questione della causa dell’io, laddove l’io non è concepibile come trasparenza assoluta, come orizzonte assoluto, padronanza cosciente. Questione di un io che è prodotto, causato: dall’inconscio, da un oscuro potere, dal logos degli stoici, da un Dio trascendente, poco importa: comunque l’io ha una causa, pensabile in un struttura di causazione. D’altra parte anche il sapere ha una causa, perché se il sapere non è mero dominio, se il sapere è una struttura in cui il soggetto spiazza il sapere stesso e ne è spiazzato, anche qui funziona un problema di causa del sapere come causa di ciò che il soggetto dice. Tiro incrociato tra causa dell’io e causa del sapere. Il sapere stesso, compreso il sapere su tale causa, e quindi sulla causa di sé, sembra funzionare in una originaria struttura di generazione, compresa la generazione di se stesso. La questione di fondo che ne emerge è la connessione dell’idea di verità con l’idea di generazione. Mi sembra opportuno ricordare qui le considerazioni che Jacques Derrida ha fatto sul rapporto fra lo stile greco e lo stile ebreo nel pensare e sulla filosofia come sapere che si colloca nel punto di giuntura fra i due4. Entrambe queste tradizioni hanno nel loro interno la consapevolezza dello slittamento, della problematicità di origine e di destinazione della stessa costituzione-sforzo del logos come procedura e come gesto. Questo problema del rapporto fra l’io e il sapere desidero dettagliarlo in alcune citazioni da un testo prezioso, Notes sur le sens, che è compreso in De Dieu qui vient à l’idée . Immemorabile e infinito che non si fanno immanenza in cui l’alterità si consegnerebbe ancora alla rap-presentazione, anche quando questa si limita ad una nostalgia dell’assenza o a un simbolismo senza immagine. Io posso fare certo esperienza dell’altro ed “osservare” il suo volto e l’espresssione dei suoi gesti come un insieme di segni che mi informerebbero sugli stati d’animo dell’altro uomo analoghi a quello che io provo. Conoscenza per ”rappresentazione” e per “intropatia”(durch Einfühlung), per attenersi alla terminologia di Husserl, fedele, nella sua filosofia dell’altro, all’idea che ogni senso comincia nel sapere5.

Il volto dell’altro uomo, secondo un senso in deriva e abissale del concetto 4. Cfr., Violenza e metafisica in La scrittura e la differenza, tr.it.di V. Pozzi, Milano, Einaudi, 1972, pp.102-104. 5. Di Dio che viene all’idea, cit,. pp.187-188.


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neo-platonico di interiorità, riguarda – dice Levinas – d’un colpo solo, la volontà di uccidere e il “non ucciderai”6. Non è questione di una minaccia da parte del negativo, minaccia del negativo come ciò che metterebbe in crisi il positivo come “tutto pieno”, ma il senso stesso della presenza. Il senso stesso della presenza in rapporto all’“interno”, all’interiore, appropriabile da una coscienza secondo un grafico che nessuna fenomenologia della presenza può contenere. Le idee di presenza e di coscienza della presenza, e di un sapere legato alla coscienza della presenza, si legano nel punto generativo della coscienza. Non afferrabile, non appropriabile nella forma della rappresentazione e nemmeno del doppio; piuttosto attraverso un altro lessico, nella forma della soddisfazione, della mancanza, dell’esclusione, della sostituzione. Per Levinas il problema è parlare delle cose in una forma più antica della violenza. Si tratta della responsabilità della morte d’altri prima e al di là dell’essere-per-la-morte, e dell’impossibilità della sua appropriazione secondo Heidegger. La morte comincia nella socialità: La morte comincia nell’inter-umano. La morte significa originariamente nella prossimità stessa dell’altro uomo o nella socialità […] L’invisibile della morte o il suo mistero: alternativa mai risolta tra l’essere e il non essere; ma ancora di più: alternativa tra questa alternativa e un altro “termine”, un terzo escluso e impensabile, ciò per cui precisamente l’ignoto della morte si ignora diversamente dall’ignoto dell’esperienza, sottraendosi all’ordine in cui si giocano sapere e non sapere, sottraendosi all’ontologia. Nascita latente della problematicità stessa della questione a partire dalla domanda che proviene dal volto d’altri, né semplice insufficienza di sapere, né modalità qualsiasi della certezza della tesi della fede.

Il problema dell’io si configura perciò come il problema della violenza di un’appropriazione. Scuotimento e inversione per cui io trafiggo l’identità dell’ente e posso ormai parlare del mio scuotimento, del mio conatus, della mia persistenza nell’essere, della mia messa in questione, così come parlo della mia messa al mondo; ingresso nell’inquietudine-per-lamorte-dell’altro-uomo: risveglio nell’ente di una “prima persona”. Problematicità alla sua origine a guisa del mio risveglio alla responsabilità per altri, a guisa di un disinganno del mio proprio esistere.

L’io e/o la “persona” non si troverebbero perciò in nessuna sorta di coscienza di sé, di auto-coscienza, ma occuperebbe un luogo originariamente spiazzato rispetto ad una padronanza cosciente. “Questione che richiama alla responsabilità, la quale non è un ripiego pra6. Cfr., Ibid.,p.189.


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tico che consolerebbe un sapere che si arena nel suo adeguamento all’essere; responsabilità che non è la privazione del sapere, della comprensione, dell’intendere e del capire, ma prossimità etica nella sua irriducibilità al sapere, nella sua socialità”. Il soggetto è responsabile di ciò che sa e di ciò che non sa, di ciò che ha fatto e di ciò che non ha fatto. Ogni immagine esclusivamente morale dell’umano è battuta in breccia ed è spiazzata. “Votato all’altro prima di essere votato a me stesso”: questo “altro” attraversa l’ “io”, il “me”, prima e al di là di un saperne, di una dialettica, di un riconoscimento. 2. Il dono e il debito Le nozioni di dono e di debito si costituiscono in rapporto a un’idea di razionalità come razionalità del legame: dono e debito implicano chi è attore del legame, chi dona e chi è donato, in quanto appartenenti al funzionamento stesso della razionalità. Abbiamo visto che per Levinas la questione del dono investe non un rapporto speculare, ingenuo, fra due supposti donatori, ma piuttosto l’esser generati e l’esser donati dei donatori stessi. I temi del sì e della responsabilità intervengono allora a definire la dinamica e la nozione stessa di dono. Il problema non sembra consistere nella possibilità, da parte di un io, di donare o di accogliere un dono. Piuttosto sembra sospeso al fatto che un donatore susciti e sia al tempo stesso suscitato da un altro donatore. Il dono è preso in questo movimento che costituisce un’alterità costitutiva del legame. Dal di dentro dell’origine dell’io – e della coscienza che tale io ha di sé – sembra dunque essere in gioco un’alterità costitutiva e generativa. La coscienza non decade a cosa in forza di tale alterità. Così messa a fuoco, essa costituisce una sorta di limite interno come per esempio avviene nel rapporto con l’animale perché l’animale – come afferma Derrida _ rende evidente l’alterità. In L’animal que donc je suis7 Derrida imposta il problema dell’origine dell’uomo , sulla scia di Rousseau, a partire da quel raddoppiamento, benefico e funesto insieme8, variamente nominato nella tradizione teorica: immaginazione, simbolo, universale, significante. Origine 7. L’animal que donc je suis, Edition établie par Marie-Luise Mallet; L’animale che dunque sono, tr.it. di M. Zannini, Milano, Jaca Book, 2006. 8. Cfr., J. J. Rousseau, Discorso sull’origine e i fondamenti della disuguaglianza fra gli uomini, tr. it. di Maria Garin, Bari, 1971, p.139-146.



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Massimo Donà

In trasparenza Il vetro: ovvero l’enigma di un’aporetica “esposizione”

Sembra sia stato scoperto circa 4000 anni fa dai Fenici e dagli Egizi. Si tratta di una sostanza minerale artificiale, amorfa, largamente usata nei campi più diversi per la sua modellabilità allo stato fuso. Tenacità, durezza, resistenza alla corrosione e trasparenza sono alcune delle sue caratteristiche. La sua è poi una costituzione polimerica; essendo formato da catene (ramificate e intrecciate tra loro) di atomi di non-metalli, legati gli uni agli altri attraverso atomi di ossigeno, ad alcuni dei quali si uniscono, tramite legami ionici, atomi di certi metalli. Il vetro si ottiene fondendo, a temperatura fra 1300 e 1500 °C, in forni a crogiuolo o continui, la cosiddetta “carica”; formata, come costituente principale, da silice di determinata granulometria e purezza, cui vengono aggiunti, sotto forma di carbonati, metalli alcalini che agiscono come fondenti, alcalino-terrosi che agiscono come stabilizzanti e – a seconda delle caratteristiche che si vogliono impartire al prodotto finale – altri metalli: come anidride borica o fosforica, sostanze ossidanti, coloranti, decoloranti, e una certa quantità di rottami di vetro, che accelerano il processo di fusione. Alla fusione seguono l’affinaggio (necessario all’eliminazione, dalla massa fusa, delle bollicine che possono dar luogo a difetti) e l’omogeneizzazione – che mira a ottenere in tutti i punti della massa la stessa composizione chimica. La massa fusa viene poi gradualmente raffreddata fino ad una temperatura compresa nell’intervallo di lavorabilità, sì che il vetro assuma una viscosità tale da poter essere ancora agevolmente trasformato e conservare senza alterazione la forma impartita. Una volta formato, il vetro viene dunque sottoposto a un trattamento termico (ricottura) – ossia viene fatto riscaldare sino ad eliminare eventuali tensioni interne dovute alle operazioni di formatura. Seguono quindi un


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lento raffreddamento fino alla temperatura ambiente e, a seconda degli scopi, vere e proprie lavorazioni di finitura. Con riferimento a vetri ottenuti da sostanze particolarmente pure e con speciali metodi di lavorazione, e quindi dotati di particolari proprietà di leggerezza, trasparenza ed elasticità, si usa comunemente il termine cristallo (da attribuirsi a un vetro contenente anche ossido di piombo). È un procedimento davvero complesso, dunque, quello da cui viene resa possibile la produzione di oggetti vitrei; ossia, del vetro così come lo conosciamo secondo le più comuni determinazioni dell’esperienza quotidiana. Un procedimento reso possibile dalla stessa natura della sostanza in questione – ossia dal suo costituirsi come strutturalmente ‘a-morfa’, e quindi facilmente manipolabile, anche se solo allo stato fuso; al termine del processo di lavorazione, infatti, il vetro assume caratteristiche decisamente diverse: e risulta resistente alla corrosione, tenace e duro. Una delle sue proprietà più evidenti è comunque quella della trasparenza. Caratteristica che viene alla luce solo dopo un processo di progressivo riscaldamento della materia amorfa da cui il vetro è originariamente costituito, e un successivo processo di raffreddamento. Perché una piena manipolabilità si ottiene solo spingendosi a temperature molto elevate. È infatti per un processo di progressiva liquefazione che il materiale vetroso diventa sempre più facilmente lavorabile, sino ad assumere senza resistenza alcuna la sua forma “propria” – e quindi una solidità che impedirà qualsiasi ulteriore intervento (a meno che non si intenda ripristinare l’intero processo). È tutto questo complesso percorso lavorativo a fare del vetro un materiale prezioso e difficile; al quale non ci si può rapportare se non si conoscono alla perfezione i suoi segreti, e quindi le ineludibili vie d’accesso alla sua natura. Eppure il vetro è trasparente – perciò il risultato cui conduce o vuole essere condotto, è della massima ‘semplicità’. Non è un caso che la sua consistenza si conformi sempre e comunque al grado dell’effettiva attraversabilità visiva. D’altro canto, colori e forme non ostacolano in esso l’atto del vedere; stante che vi si fanno percepire – al modo di esistenze forti, stabili e resistenti – senza impedirci di vedere oltre, ossia di attraversare la sua superficie indipendentemente da qualsivoglia troppo semplicistica distinzione tra primo piano e sfondo, testo e contesto. Insomma, la sua presenza non nasconde; piuttosto, lascia apparire anche ciò che esso non è – anche il suo oltre. Lo espone. Anche quello che normalmente il corpo solido finirebbe per nascondere.



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Il vetro non si sostituisce ad alcunché; e riesce ad avere consistenza, ossia a disegnarsi nella propria perfetta individualità, senza mai costringerci alla rinuncia. Perché è proprio il suo esistere a consentire sempre ulteriori esistenze; anche quelle che la sua figura e il suo spessore avrebbero dovuto nascondere. Insomma, mai il suo esserci finisce per negare l’esistenza altrui – se non altro dal punto di vista visivo. Perciò esso si configura come metaforica messa in scacco della forma filosofica per eccellenza; l’eidein. Un ‘vedere’ su cui Platone avrebbe addirittura fondato il paradigma del ‘vero’ conoscere; che è un vedere con gli occhi della mente. L’unico in grado di consentire uno sguardo articolato e veritativo sulla gerarchia del veramente essente, l’eidetico – ‘de-terminando’ sempre e comunque per un atto rigorosamente escludente. Questo, il vedere intellettuale che proprio nella riflessione aristotelica avrebbe trovato la sua formulazione più radicale – secondo il cosiddetto “principio di non contraddizione”. Secondo il quale ogni esistenza è tale solo nella misura in cui riesce ad “escludere” l’altro da sé, ossia tutto ciò che per l’appunto essa stessa non è. Ed è proprio vero: ad eccezione del vetro, ogni altro materiale fisico – e non solo ‘fisico’, potremmo aggiungere –, per il semplice fatto di esistere e di apparire come tale, esclude dal proprio spazio di visibilità tutto quello che esso stesso non è (e dunque non lo espone). Ma soprattutto ciò davanti a cui esso si trova situato – e che, dunque, non solo va da esso determinatamente ‘distinto’ (e quindi ‘escluso’ dal suo spazio esistenziale), ma viene addirittura nascosto dal suo semplice offrirsi alla presenza. Solo il vetro, insomma, non nasconde, facendo piuttosto apparire anche ciò che esso non è; perciò esso dà corpo ad un’esistenza davvero sui generis – in quanto costitutivamente ‘trasparente’, per l’appunto. Attraverso cui tutto viene liberamente ‘esposto’. Un’esistenza che, proprio per questo sembra poter essere più di ogni altra abitata da Eros; quello del visibile, evidentemente (secondo le caratteristiche attribuite a quest’ultimo da Agatone in uno dei più bei dialoghi platonici: il Simposio). Il fatto è che, se davvero potesse avere la stessa natura del visibile, Eros passerebbe ed abiterebbe leggiadro solo per e nella trasparenza accogliente del vetro. D’altro canto, come potremmo seriamente negare l’esistenza di un Eros della visibilità? Come potremmo negarla, di fronte alla potenza ed irruenza passionale di ciò che accade ogni volta nell’ambito di quella che siamo soliti definire “esperienza estetica”… e quindi delle sue straordinarie nuances? Non è un caso che nel mondo dell’arte siano davvero molti quelli che si



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Bracha L. Ettinger

No Title Yet Eurydice

This woman with the shaven head — does she remind you of someone? A woman disgraced. Graceful. To see the humiliation and to see the beauty of the world without humiliating, in re-spect. She could be your mother or your daughter, or mine, she could be you or me or your sister. Is she beautiful? She might sit in the same position as the Mona Lisa, but looking closely you feel this curve, the turning of her head downwards, her face distorted — by what? Is this the horror of shame? Is she ashamed for someone else or just surviving? If you judge her, you know nothing of her. If you pity her, you know nothing about her. You see-know something only if you give yourself to it-her, reaching transcendence of the objectal in the image. Such is the work of painting. How can critique be carried without judgment of the kind that falsifies all critique? What kind of critique can awe and compassion allow? You can withdraw even from your self, can’t you? Resistance is first of all to your self as the unique, and to the endless self-fluidity. Anxiety combined with awe and compassion allows a different kind of critique — different from the reactive criticality that follows anxiety alone. She is seemingly crazy — but is she? Or is the world chaotic or simply overwhelming for her, she who is expecting death, watching horror, accepting death, being rejected, between two deaths, betrayed or betraying, intensive and helpless. She doesn’t want to look at us. She looks at us. She looks away. When she turns her back she refuses objectality. When she looks down she refuses subjectality. Some forms of turning one’s back, some forms of looking down, of withdrawing, indeed offer life. And that’s what happens when she resists your objectalizing of her, and in this precise same move, but only if you self-fragilize yourself to the extent of letting her vulnerability touch you. She doesn’t ask anything from you, she doesn’t ask you anything, yet she calls you


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to meet her where both she and you transcend her objectality, and where you lose your own boundaries. Such is the call emanating from painting, from drawing, when the process reaches primary affects and works from those combined time-space-body-anima moments to bring you to the proto-ethical zone of the aesthetic field. To understand betrayal and to connect the beauty of the world without betraying; to understand shame and to connect to the beauty of the world without shaming; to hallow in re-spect. When she looks at us, she sees without returning our gaze. She is gazing at us and at eternity, and we are seized by an instant of eternity, be it loss, languishing or wandering. Wondering and worry-caring still. Wondering and worry-caring again. Now it is us who are looked at and called upon — but what for? But why? And how can you approach this particular eternity with a critique and still join with-in it? * To paint is to wonder. To connect the beauty and to contact the cruelty of the world without cruelty, in re-spect. A last time-place-duration of wondering. To paint is to dare wondering. Softness of light-darkness of halo. Resonance returns into life by the musicality of things. This woman, sometimes mother figure, in all its apparitions, has always haunted me. She has haunted me from before my memory starts — and so I have recognized her. She daunts me from and in this time-space where fascination, awe, anxiety and compassion arise together — before guilt, before shame, before action, before reaction, before cognition, and even before abjection and disgust. She haunts me though her traces have functioned from with-in me from before I even knew that such is also anybody’s virtuality, anybody’s possibility, mine or not mine. I keep knowing her as long as I access the Other and the Cosmos through those affects. And I keep losing her when splitting mechanisms gets stronger and these affects get diverted into fear, shame and blame intermingled with submission that give birth to a freezing fascinum. I always knew that I could be her. And I have always thought: I would not have survived, that’s for sure. Yet, there is no identification here only initiation and inspiration. That’s where the halo re-enters art that has seemingly come after it. The halo returns to the oil paint. * The figures of Sarah, and of Hagar come to my mind. The figure of Nevers, this name for the woman from Duras’s Hiroshima mon amour. “Don’t put your hands on the child” (says God to Abraham). “Are you not ashamed for them, my love?” (says the Japanese man, Hiroshima, to the French woman


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Nevers (Duras)). We all have our share in the denial of our human potentiality to become an Abraham who might abandon and kill — that’s why the figure of Abraham doesn’t stop to shock us — we project the figure of Abraham on an outside Him, always on an Other, and we split Abraham from Izaak — that impossible split — and from our own selves — this impossible split — and from Hagar and from Ishmael and from Sarah. To feel abandonment and degradation and to feel beauty without lowering, without abandoning. But now, back to the woman. Was she abandoned? Did she abandon? Who is she? The horror she sees is between the terrible and us; it is the terrible and it is us, human beings after innocence in a forever post-traumatic present. Post- — in the sense of trans- — that is, beings saturated with dispersed traces of catastrophe. The wonder we feel is in her and in us too. There is this awe mixed with amazement — an early manifestation of the sublime. There is this compassion mixed with fascinance — an early manifestation of beauty. Eros is there, but she is always-too-soon torn away from us in a move that turns us, and herself into the horrible. Yet when our gaze is still mixed with primary affects, a possibility of love awakes, as long as you remain amazed, wondering while touched by those sheer manifestations of Eros. Critique as a formation in love is not comparable to reactive criticality of what you judge, which unfortunately came to be identified as the only worthy and intelligent kind. That is: there is a critique in all that, but of another kind, in fascinance, in and by the process of painting, artworking. To paint is to dare this autistic innocence. “You didn’t see anything in Hiroshima,” or did you? You didn’t see anything, there is nothing to see, or is there? The musicality of non-seeing touches in the seen. Requiem. Autistwork. Eurydice’s love. Autistworking of color-light. Autistworking the lines. Touched by this string, this silver cord, weaving life’s veil. You are free now, woman bird, I said. * A child is being abandoned. Somebody brings a dream. Somebody tells a phantasy. Your habits might lead you to take this for a trace of his earlier traumatic reality. But wait. Wait. A Child is Being Abandoned — but this child is perhaps not the dreamer, not the phantasizing individual itself. If you are opened to the matrixial horizon you know that an individual might be unconsciously metramorphosing traces of the trauma of someone else, who belongs to the same matrixial web. You might suddenly realise that the child that had been abandoned is another child, perhaps even one that is unknown to you, another child of your own father — Other, for example, from an earlier marriage, or a child from an earlier marriage of your (m)Other, an unknown half-brother, someone else who had been abandoned by a parent, sent to some kind of desert, like the Biblical son of Hagar. Perhaps even, a


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mother is being abandoned — this mother is not your own one, but still, she is someone who belongs to the fabric of your matrixial webs, she could be the ex-wife of your father, and she reveals for you the capacity of the other to abandon, and your own capacity to abandon too. Now, the abandoned person treated by your own phantasmatic mechanism could be the trace within your own Psyche of a half-brother you have never met, or of his mother. We carry traces of the trauma and of the the joy of others who belong to our past and present webs. When you realise this possibility — another dimension for dream interpretations opens. If you are Abraham’s child, sometimes you are the son of Sara, sometimes you are the son of Hagar. * Humanism in the feminine-maternal matrixial, both after, and alongside, and before coexistence, different, then, from the humanism that implies and is implied by what for Levinas is the “an-archic” and is always only the before, always only in the past and evade coexistence. For Levinas, “exposition” of “innocence”, “sincerity”, “authenticity”, “jeuness”, “vulnerability” in “passivity” evades coexistence, and the archaic passivity is without Eros. For me, there is another Eros that makes this same passivity work, which I have named the matrixial Eros. Human exposition is, for me, about the workingthrough of this Eros which is, via the maternal, not only in the always-past, as it doesn’t remain in the always presubjective alone. Moreover, presubjectivity is transjective. The archaic mode of originary transjectivity and transsubjectivity - co-emergence in prenatality, coexistence with the pregnant (m) Other, - keeps re-attuning us with one another in the now, in a matrixial dimension of coexistence beyond inter-subjectivity which is not to be confound with inter-subjectivity. Passivity labours to borderlink in-by a matrixial Eros. The affective accesses in-by compassion and awe, exposed in-by a selffragilized subject en-visaging the vulnerable other before, after, besides and beyond the identified subject, expose borderlinking connectivity and open a matrixial dimension between individuals that are otherwise, and alongside it, already fortified in-by self identity and can therefore, on another dimension, recognize each other as different and separate entities. Traces are carried from the archaic transjectivity and trans-subjectivity into the now. Borderlinking is not global and collective. It concerns each time one-by-one nets of several entities. The acknowledging of this dimension by the subject in self-identity is necessary for the passage from proto-ethicality to ethicality, the passage from being a wit(h)ness to being a witness, the passage from response-ability to a responsibility for whatever me or you (as subjects) have never caused. The matrixial-maternal-feminine Eros announces its Ethics.


Bracha L. Ettinger 'LSMGI JSV ZMVXYEP )\LMFMXMSR -4EMRXMRKW (VE[MRKW ERH 2SXIFSSOW


















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Bracha L. Ettinger, Choice for a Virtual Exhibition II. Paintings, drawings, notebooks 1988-2011

P. 59. Notebook, 2008, 15.2x11x1.7 cm. Notebook, 2004/2010, 19.5x13. P. 60 Eurydice, n.6, 1992-94, Oil and mixed media, paper on canvas, 39.3X26.8 cm. P. 61. Eurydice, n.20, 1994-96, Oil and mixed media, paper on canvas, 38.5X27 cm. P. 62. No Title Yet, n.2 (Saint Anne), 2003-2009 (detail), oil on canvas, 30x54 cm. p. 63.No title yet, n.3 (Eurydice, Saint Anne), 2003-2010 (detail), Oil on canvas, 30x54 cm. P. 64. Eurydice, n.47, 2001-2006 (detail), oil on paper mounted on canvas, 23.3x27.7 cm. P. 65. Ophelia and Eurydice, n.2, 2002-2009, oil on paper mounted on canvas, 27.6x18 cm. P. 66. No Title - Sketch,19881989 (detail), mixed media on paper, 22.3x24.9 cm. P. 67.Eurydice, n.5,1992-1994 (detail), mixed media on paper mounted on canvas, 47x27 cm. P. 68, Mamalangue n.5, 2001 (detail), mixed media on paper mounted on canvas, 27x23.8. P. 69. Eurydice n.2, 1992-1994 (detail), oil and mixed media on paper mounted on canvas, 38.3x23.1 P. 70. Notebook, 2003 , 6x9 cm, Notebook, 2005, 9x6.5 cm. P. 71. Notebook, 2005, 9x6.5 cm. P. 72, Notebook, 2005-2006, 9x6.5 cm, Notebook, 2006- 2007, 12.8x10 cm, Notebook, 2006- 2007, 12.8x10 cm. P. 73. Notebook, 2010, 10x7 cm. P. 74. Notebook, 2010-2011, 19.5x13. P. 75. Notebook, 2010-2011, 19.5x13.


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Jérôme Lèbre

Sous Presse

L’exposition, c’est le sens, mais cela parce qu’elle fait sens au moins de trois manières qu’il faut toujours parvenir à tenir ensemble. Tout d’abord, nous sommes exposés parce que nous existons, les uns en dehors des autres, les uns pour les autres, en nous espaçant nous-mêmes: nous sommes l’extériorité, l’extra d’une juxtaposition partes extra partes. Ensuite, nous sommes exposés au sens où tout ce qui est de l’ordre de l’intime est aussi, immédiatement (sans extraction et sans trahison) de l’ordre du sensible et du révélable, le révélable étant lui-même toujours déjà révélé: l’âme s’espace ainsi toujours dans un corps, la sensibilité dans la diversité de nos cinq sens, les pensées dans l’écriture; le retranchement même de soi hors du monde est encore un mode d’être au monde, en lequel tout devient sensible, ou même, tout devient intime: la lumière du jour nous expose, mais tout aussi bien la nuit, et encore plus quand nous dormons. Enfin, nous sommes exposés parce que vulnérables: les autres, le monde des autres, accèdent sans obstacle à notre corps, à nous-mêmes, ou plutôt, nous sommes à nous-mêmes aussi bien des obstacles que nous pouvons tenter de détruire plus que de franchir. Ainsi, l’exposition est à la fois l’existence plurielle, la somme indéfinie des révélations singulières et le danger commun. Pour cette raison, si elle est un fait, elle est en même temps une exigence risquée: si l’on peut être bien ou mal disposé, on peut être, par delà toute disposition, par delà toute différence normative du bien et du mal (et, d’une manière plus fine, par delà toute vocation destinale) exposé d’une manière plus ou moins juste. Il suffit d’un rien pour que ce qui fait sens ne fasse plus qu’obstacle. C’est une autre manière de dire que notre existence est finie, ou que nous vivons dans une configuration de l’espace qui n’a rien de définitif, qui n’est pas simplement construite, ni déconstruite, mais répond à ce que Jean-Luc Nancy tend maintenant à nommer «struction»: la struction, c’est à la fois


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la réalité et le risque de l’exposition, ou pourrait-on dire, la disposition de l’exposition elle-même, qui nous implique dans un monde de corps dont la densité est, par définition, à la limite du possible. Encontre, contrariété, densité Avoir un corps est déjà une expérience ambiguë, un équilibre fragile à tenir. Tout d’abord, et comme le dit Descartes dans une lettre à Elisabeth que l’œuvre de Nancy commente toujours, le corps est l’extension de l’âme, que celle-ci emplit tout entière dans la mesure même où elle n’appartient pas en tant que telle à l’étendue. L’âme n’est alors que le lien ténu jusqu’à l’inexistence qui fait tenir le corps, le rien qui laisse tous les organes, tous les traits, toutes les postures à leur diversité, tout en les ramenant au moi, ou au mien. Mais cela veut aussi dire que l’âme ne peut se délier ou s’articuler dans un corps qu’en «serrant sur lui le lacet de soi»1: dans la mesure où une déliaison, une décomposition trop entière du corps serait la mort même, l’âme est le soi en tant qu’il contrarie sa propre liberté matérielle telle qu’elle s’exprime à l’infini dans la diversité des traits et des aspects corporels. Le lien de l’âme et du corps est ainsi de l’ordre de ce que Derrida nommait «striction»: ce nœud qui se resserre dès qu’on le desserre et se desserre quand on le serre. Quand l’âme se resserre, elle se retranche «en un point, celui de sa propre contrariété»2: mais dans le même mouvement, elle s’objecte au corps qui s’objecte à l’âme, dans une matérialité sans âme: «l’esprit est un os» dit Hegel cité par Nancy, ou bien «mon crâne est comme un caillou au milieu de ma pensée» dirait Novarina. La striction de l’âme et du corps montre ainsi que le corps propre n’est jamais qu’une reconstruction, car le corps est irréductible à l’âme, ou le soi au soi. Le corps est toujours autre, même quand il est mien. Ce qui vient d’être dit de «mon» corps est vrai de tous les autres corps. L’altérité de l’un est déjà celle des autres, l’extension de l’âme dans un corps qui lui reste impropre est déjà l’extension d’un monde des corps en lequel chacun vaut par sa singularité, elle-même toujours plurielle, multiple, disloquée en traits distinctifs. Ainsi nous comparaissons partes extra partes, aussi différents en nous-mêmes que nous le sommes les uns des autres, notre unique lien étant celui de notre commun espacement dans un monde fait de différences. Entre nous, il n’y a rien, sinon l’espacement 1. Jean-Luc Nancy, Corpus, Métaillé, Paris, 2000, p. 27. 2. Ibid., p. 28.


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même du sens, et s’il y a lien, celui-ci n’est «ni lié, ni délié, en-deçà des deux, ou bien, c’est ce qui est au cœur du lien, l’entrecroisement des brins dont les extrémités restent séparées jusque dans leur nouage»3. Les brins (toutes nos singularités) se touchent, se mêlent ou s’entremêlent, d’une manière qui n’est ni serrée ni desserrée, ou qui est aussi bien l’un que l’autre. Si un tel nœud, une telle striction, ne laisse rien entre nous, ce rien est à la fois écart irréductible et proximité maximale: ouverture à l’autre de corps pourtant impénétrables, encontre et contrariété, communication et obstacle. Le toucher est l’implication de cette sensibilité ouverte et de cette résistance compacte. L’exposition est donc indissociable d’une certaine presse des corps, d’une proximité limite, d’une promiscuité qui est la plus incontournable et la plus dure exigence de la vie en commun. Parce qu’elle est plurielle, l’exposition articule une liberté matérielle indéfinie et une contrainte tout aussi matérielle, quantitative, de densité: «ce monde – le nôtre déjà – est le monde des corps parce qu’il a, parce qu’il est la densité même de l’espacement, ou la densité, l’intensité du lieu»4. Nous nous espaçons vraiment dans la mesure même où nous sommes trop serrés, les uns sur les autres, manquant d’air et de possible dans un étrangement ou un engorgement à la limite de l’étouffement: «Monde du corps pressé, fébrile, fibrillé, engorgé, s’engorgeant de sa propre proximité, tous les corps dans une promiscuité touffue de microbes, de pollutions, de sérums déficients…. en vérité l’ouvert n’est pas une béance, mais bien la masse, le massif de nos corps. Aussi n’est-il ouvert qu’à être recreusé, fouillé dans l’ouverture jusqu’à l’engorgement»5. Pour cette raison l’exposition défait non seulement la construction du corps propre, mais son prolongement éthique et politique: l’idée construite d’un toucher sans contagion, d’une proximité sans promiscuité. Pensée de la striction, du nouage des corps, l’exposition est bien aussi celle de leur struction (structio, en latin, c’est le tas), de leur entassement. La mêlée plus que le mélange L’exposition court un danger extrême, celui de son rejet mythique: nous venons de le voir, rien n’est pire que la construction d’une communauté sans promiscuité, que l’idée d’un contact sans presse, de corps propres 3. Id., Etre singulier pluriel, Galilée, Paris, 1996, p. 23. 4. Id., Corpus, éd. cit., p. 38. 5. Ibid., p. 91.


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dans une société pure. Au fond de ce danger, s’en trouve un autre, plus réel, parce qu’il n’est pas de l’ordre de la construction mais de la struction. Cet autre danger naît de ce moment où les corps des autres ne se présentent plus que comme des obstacles, dans un espace qui a perdu son illimitation, son espacement issu du sens même. «Lorsque les corps ne sont pas dans l’espace, mais l’espace dans les corps, alors il est espacement, tension du lieu»6. dit Nancy; l’ouverture et l’espacement des corps laisse ainsi entrevoir la possibilité d’une clôture, d’un espace clos et déterminé dans lequel ils se trouvent. C’est pourquoi, au moment où on lui demande de faire à Sarajevo un éloge du mélange, Nancy avoue qu’il lui préfère la mêlée7. Tout d’abord, le mélange ethnique préserve encore en lui la supposition d’ethnies distinctes, voire de sangs purs qui sont comme ses substances préalables ou ses composantes; ensuite, même si l’on reconnaît l’impropriété ou si l’on veut, l’impureté essentielle de ces substances, on croit encore pouvoir remplacer cette non-substantialité du contenu «par une supposée consistance du contenant»: ainsi (c’est l’exemple que prend Nancy) l’idéologie du melting pot implique encore ce pot, un milieu prédéterminé qui aurait la vertu d’assurer la composition de la mixture. A l’opposé la mêlée est action plutôt que substance, donc espacement plutôt qu’espace; elle ne tient que par le rien du rapport entre les êtres singuliers, et par la multiplicité incontrôlable de ce rapport même. Si le sang se mélange, parvenant au mieux à rendre indifférente les différences de sang, la mêlée multiplie tout, jusqu’à ces différences, et ainsi, ouvre jusqu’au sang («tensions, pressions, débits caillots, thromboses…»8) tout ce qui en même temps ne peut vraiment se perdre, parce qu’il n’existe déjà que son altération, son rapport à l’autre, ou son ouverture: les corps, les langues, les cultures. Le mélange vise l’uniformité et risque encore de transformer toute différence en obstacle; la mêlée donne aux différences, aux existences plurielles, leur juste densité. D’un côté, mélange des étudiants du campus de Winesburg lors de l’office protestant obligatoire, compatible à leur répartition ordonnée en «fraternités» culturelles et religieuses; de l’autre, mêlée des étudiants de Winesburg envahissant au milieu d’une tempête de neige la résidence des filles pour jeter par les fenêtres le contenu de leurs tiroirs: «avec leurs vêtements, leurs mains, leurs cheveux en brosse, leurs figures barbouillées du bleu-noir de l’encre et de la pourpre du sang, dégoulinant de bière et de neige fondue»9. L’immonde entier


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Elio Matassi

…esposti al suono: dal suono cosmologico a quello subiettivo – comunitario

Vi è un’interpretazione del suono come ‘cifra astrale’ e, specularmente, della musica quale semplice eco dell’armonia delle sfere, che ritrova il suo fondamento elettivo nella teoria musicale pitagorica al cui centro vi è l’esperimento del canone monocordo. Un’interpretazione che può essere schematizzata nei punti seguenti: a) l’armonia delle sfere è chiaramente un pensiero di contenuto simbolico schiettamente teologico, precisato e concretizzato in due sensi: b) i pitagorici sembrano aver veramente creduto che il cosmo fosse ordinato secondo i semplici rapporti numerici del mondo acustico, dato che le sfere planetarie corrispondevano nelle loro distanze reciproche agli intervalli musicali; c) per lo meno nella versione popolare, la loro dottrina riteneva che delle vere e proprie note in rapporti precisi l’una con l’altra si sprigionassero dal moto dei corpi celesti, in funzione della velocità e dell’ampiezza di giro (i valori numerici delle vibrazioni corrispondendo alla lunghezza delle corde). Questa visione ‘mondialistica’, universalistica, cosmologica del suono e della musica viene portata a compiuta dissoluzione in quella ‘riabilitazione dell’ascolto’ che è la cifra dominante della filosofia contemporanea. A tal fine propongo uno schema di riferimento così ordinato: 1) analizzo il forte legame fra il ‘canone’ ed il concetto di armonia nella visione pitagorica; 2) questa teoria astronomica della musica presume una prospettiva cosmico-oggettuale che riduce il ruolo del soggetto a quello di una semplice marionetta, compromettendo in maniera irreparabile ogni possibilità e volontà di ascolto. Possibilità e volontà di ascolto che s’impongono nella filosofia contemporanea, mettendo per sempre in crisi la visione puramente ‘mondialistica’ del suono e della musica. Il punto più elevato della riabilitazione dell’ascolto viene raggiunto nel capitolo musicologico di Spirito dell’utopia di E. Bloch ed in All’ascolto di J. L. Nancy.


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Al centro dell’attenzione, nella teoria musicale pitagorica, vi è l’esperimento del canone monocordo. Inteso come strumento empirico di verifica degli intervalli, esso ha dato un decisivo contributo al perfezionamento degli strumenti a corda, sia per quanto riguarda la tecnica dell’accordatura, divenuta così scienza, sia per tutto ciò che concerne la costruzione stessa dello strumento; infatti, possedendo un parametro matematico sicuro, si rese possibile l’ampliamento della gamma complessiva delle corde del telaio, potendo in tal modo inserire intervalli sempre più piccoli. Il canone assunse anche il ruolo di forma stessa del bello e dell’ordinato; la semplicità e l’ordine dei rapporti dette luogo, in campo estetico, sia per la musica che per tutte le altre arti, all’idea ‘forte’ che la bellezza risieda nella proporzionalità delle parti. L’innegabile carattere matematico delle indagini pitagoriche investì in maniera massiccia l’intero universo dei suoni, i quali, essendo oltre tutto identificabili con i numeri, resero possibile la creazione di una vera e propria scienza armonica. Tutto ciò risulta evidente attraverso l’indagine del concetto di armonia e dell’uso musicale di tale termine in campo musicale. Armonia nella musica antica e, più in generale, nella cultura filosofica greca, ha il significato di unire, collegare, connettere e deriva dal verbo armozo che vuol dire, appunto, mettere insieme, collegare, con il senso tattile dell’adattare le parti tipico del falegname o del fabbro. Per estensione è l’idea filosofica dell’unire gli elementi contrari propria del pitagorismo che si caratterizza come unione di elementi opposti a partire dai primi due (pari e dispari) ed, in senso musicale, come una certa maniera di articolarsi di suoni ed intervalli. Il forte legame tra il canone e il concetto di armonia si esplicita, nella musica greca, se si fa riferimento ad un uso più vasto della stessa nozione di armonia, estendendone in tal modo la portata anche al suo valore filosofico. Come il canone era espressione di ordine, di consonanza, di connessione di elementi contrari, non solo per l’orecchio del musicista, ma anche per la mente del filosofo e del matematico, così l’armonia regnava nel cosmo e nell’intero universo. Sul piano matematico come in quello musicale, l’utopia pitagorica della coincidenza tra essere e numero si scontrò contro l’evidenza dei propri stessi calcoli, portando, da una parte, agli irrazionali ed agli incommensurabili, dall’altra, ad una lettura forzata del mondo dei suoni. A questo fallimento si accompagna sul piano estetico-filosofico l’accostamento tra l’idea di proporzione e l’idea di bellezza. La definizione del bello, in termini molto generali, viene a coincidere con l’idea di cosmo, cioè con qualcosa che ha a che fare con ordine ed armonico. Il cosmo è ciò che è bello e ciò che rende bello (kosmetikòs, da cui i moderni cosmetici).


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L’idea di un mondo costruito matematicamente, o, meglio ancora, il principio che le leggi della natura fossero le stesse leggi della matematica era nei primi pitagorici assolutamente certa e poteva assurgere a suprema rivelazione religiosa e filosofica. L’armonia, dunque, genericamente intesa come unione dei contrari, era considerata una proprietà oggettiva delle cose ed un principio su cui si fondava l’intero universo. Il mondo non poteva che essere un ordinato coesistere delle cose; i rapporti proporzionati e le relazioni matematiche esprimevano l’essenza dei fenomeni, così come il ‘canone’ era la regola, la norma che permetteva la conoscenza e, di conseguenza, la riproduzione delle cose stesse. Questa interpretazione ‘mondialistica’, ‘cosmologica’ del suono e della musica depotenziano la capacità subiettiva dell’ascolto; due celebri incipit della filosofia novecentesca, “noi ascoltiamo solo noi” (il capitolo musicologico di Spirito dell’utopia di E. Bloch) e “.....si potrebbe domandare: l’ascolto è un affare che rientra nelle capacità della filosofia?...Il filosofo non sarebbe colui che sempre intende (ed intende tutto), ma non riesce ad ascoltare, o più precisamente, colui che neutralizza in se stesso l’ascolto e lo fa proprio per filosofare” (J. L. Nancy, All’ascolto), vanno nella direzione opposta a quella mondialistica del suono e della musica. Il suono quale ‘aura dell’ascoltatore che sta ritrovando se stesso’ (E. Bloch) ed il suono come accadimento di uno spazio-tempo, “la spaziatura stessa della propria risonanza” (J. L. Nancy) formulano un’ipotesi teorica ‘amondialistica’ ed ‘acosmogonica’. Questa dimensione contestualizzante del suono e relazionale dell’ascolto, sintonizzabile con la parte più spregiudicata della filosofia della musica novecentesca, finisce col presumere un rilievo ontologico nell’individuazione di un’altra dimensione del con-essere, della comunità, quella degli uomini in quanto ascoltanti ed ascoltatori, prospettiva comunitaria cui approdano, sia pure con strategie argomentative diverse, E. Bloch e J. L. Nancy. Vi sono almeno tre percorsi che possono contestualizzare il problema dell’ascolto; il primo, attraversando tre secoli, stringe nello stesso plesso argomentativo Marin Marsenne1 ed il Traité des objets musicaux di Pierre Schaeffer2. Una prestigiosa esemplificazione letteraria di tale atteggiamento si può ritrovare in quel delirio dell’ascolto promosso dal protagonista,

1. Su Marin Marsenne si può consultare ultimamente il recente volume di Cecilia Campa, Il musicista filosofo e le passioni. Linguaggio e retorica dei suoni nel Seicento europeo, Napoli, Liguori, 2001. 2. Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux. Essai interdisciplines, Nouvelle édition, Parigi, Editions du Seuil, 1966.


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Konrad, del romanzo di Thomas Bernhard, Das Kalkwerk3. Se la riabilitazione dell’udito, «il più filosofico di tutti gli organi di senso» costituisce il progetto di fondo, la sua riabilitazione nell’esercizio di una volontà di dominio che sembra ancora contraddistinguere l’attività compositiva, dovrà essere perseguita mediante un processo di razionalizzazione estrema, di classificazione-catalogazione dei suoni rumori. Una seconda prospettiva, aperta da Martin Heidegger, in particolare nel celebre paragrafo 34 di Essere e tempo4 e nell’altrettanto celebre incipit della lezione nona de Il principio di ragione, dove viene discussa una lettera di Mozart5, restituisce il problema dell’ascolto ad una visione filosofica liberata dalla soggezione a qualsiasi forma di “tecnica”, come avviene sostanzialmente nel tentativo di Pierre Schaeffer, A la Recherche d’une musique concrète6. Non è casuale se Günther Anders-Stern7 H. Besseler8 e M. Eldred9, eleggendo la filosofia di M. Heidegger a discrimine decisivo, arrivino a proporre nuove soluzioni per l’ascolto. Termini estremi di tale interpretazione sono J. Cage, in cui l’ascolto diventa una vera e propria forma mentis, un modo d’esserealternativo di vivere e di curarsi di sé e del mondo ed il Murray R. Schafer de Il paesaggio sonoro10, in cui ascoltare equivale a recuperare un rapporto di autenticità con il tutto, una modalità elettiva per reintrodurre quella integrità cosmologica, violata e messa in discussione da un inquinamento sempre più massiccio. Solo comunque nel terzo percorso, i cui interlocutori sono E. Kurth11, W. Benjamin, E. Bloch e J. L. Nancy, si può arrivare a postulare una compiuta filosofia estetica dell’ascolto, di cui la declinazione musicale, nella sua eccezionalità, rappresenta il vertice. Una linea di tendenza con documentate ascendenze romantiche in cui visione ed ascolto,

3. Thomas Bernhard, La fornace, trad. it. di Magda Olivetti, Torino, Einaudi, 1991 (2° ed.). 4. M. Heidegger, Essere e tempo, tr. it. a cura di P. Chiodi, Torino, UTET, 1969, § 34, L’esserci e il discorso. Il linguaggio, in particolare pp. 118-19. 5. Id., Il principio di ragione, a cura di Franco Volpi, trad. it. a cura di Giovanni Gurisatti e Franco Volpi, Milano, Adelphi, 1991, in particolare pp. 118-19. 6. Pierre Schaeffer, A la Recherche d’une Musique concrète, Parigi, Editions du Seuil, 1952 7. Si tratta del saggio tradotto da Micaela Latini nella presente silloge. 8. Heinrich Besseler, D’ascolto musicale nell’età moderna, trad. it. a cura di Maurizio Giani, con Introduzione di Antonio Serravezza, Bologna, Il Mulino, 1993. 9. M. Eldred, Heidegger, Höderlin e J. Cage, trad. it. a cura di Agostino Di Scipio con Postfazione dello stesso, Roma, Semar, 2000. 10. R. Murray Schafer, Il paesaggio sonoro, trad. it. a cura di Nemesio Ala, Lucca, Lim Ricordi, 1985 11. E. Kurth, Grundlagen des linearen Kontrapunkts. Bachs melodische Polyphonie. Zweite Auflage, Berlin, Max Messes Verlag, 1922.


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facendo emergere alla fine un ascolto come autoascolto, si compenetrano strettamente. Thomas Bernhard nel suo romanzo La fornace, descrive in maniera mirabile un delirio interamente fondato sull’ascolto, un delirio di onnipotenza sistematica che inquadra compiutamente un certo modo di impostare il problema; per comodità espositiva definirò questo schema MersenneSchaeffer. Il dramma di Konrad sta nel fatto che, tentando di svelare il segreto dell’universo sonoro, si preclude nel contempo la possibilità di appagare il suo desiderio di scrivere un saggio completo, come non era mai accaduto, sull’udito. Ogni volta un fatto nuovo, un evento imprevedibile ed accidentale gli impedisce di realizzare il progetto scritto: «Benché avesse il saggio tutto pronto nella testa, pensava, continuava però a sperimentarlo, per renderlo ancora più completo, più perfetto, tanto più che avrebbe potuto mettere per iscritto il saggio in qualsiasi momento senza timore di non averlo completamente nella testa, quando si presentasse, improvvisa, la l’occasione di metterlo per iscritto. E sino a quel momento, in cui credeva fermamente e con animo fiducioso, impiegava il suo tempo facendo esperimenti»12. La preoccupazione costante di Konrad è quella di sottoporre il progetto a sempre nuove verifiche: «Per un intero anno non si era occupato d’altro che degli effetti prodotto sull’udito dai suoni graffianti, si era occupato di suoni graffianti, si era occupato di suoni martellanti, di suoni perforanti, di sgocciolii, di scrosci, di fruscii, di ronzii…Di Soffi». Aveva condotto inoltre centinaia di migliaia di prove sulla ricettività […] per la musica dodecafonica»13. Aveva anche esplorato i mille impercettibili suoni della natura: «Fro racconta che lui Konrad apriva la finestra e udiva i rami degli abeti, apriva la finestra che dà sull’acqua. Che non spirasse un alito di vento non significava però che lui non potesse udire i rami degli abeti, che non potesse udire l’acqua, l’occhio non coglieva alcun movimento tra gli alberi, alcun movimento nell’acqua, tuttavia lui udiva gli abeti e l’acqua. Udiva il moto incessante dell’aria. Benché l’occhio non cogliesse il minimo movimento della superficie dell’acqua, lui riusciva a udire il movimento delle acque in superficie. Oppure: il movimento delle acque in profondità, suoni di acque profonde in movimento. Lassù udiva il movimento giungere al massimo punto di profondità…»14. Molto probabilmente ciò che ascoltava era il frutto delle sue allucinazioni, e più in generale rifletteva una peculiare forma mentis, un ascolto concepito come 12. Thomas Bernhard, La fornace cit., p. 90. 13. op. cit., p. 89. 14. op. cit., pp. 67-68.


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Autocritique d’une exposition

Si la « photographie de vue d’exposition », comme le prétend le jeune historien d’art Rémi Parcollet, est un sous-genre de la photographie documentaire, forte déjà de toute une histoire, alors cette série d’images prises pendant le vernissage de “Perpetual Battles” par l’un de ses commissaires pourrait bien apparaître, en même temps qu’un document, comme l’autocritique d’une exposition. Ces photos ont été prises par le critique d’art et commissaire d’exposition Jean-Max Colard pendant le vernissage de l’exposition “Perpetual Battles”, au Baibakov Art Projects de Moscou en mai 2010. Co-curatée avec Maria Baibakova et Kate Sutton, et empruntant son titre à l’expression “batailles perpétuelles” de Michel Foucault, cette exposition largement consacrée à la scène française montrait une gamme variée de relations entre esthétique et politique. À quelle distance les artistes se tiennent-ils pour entendre “le grondement lointain de la bataille” comme l’écrit Foucault à la fin de Surveiller et Punir ? L’exposition répondait à cette interrogation par une gamme variée de positionnements esthétiques. Si certains artistes semblent avoir l’oreille collée contre le grondement du monde (Thomas Hirschhorn, Adel Abdessemed), d’autres entretiennent une relation moins littérale, plus poétique (Latifa Echakhch) voire plus désœuvrée (Raphael Zarka) au politique. Et c’est ce feuilletage de positions, ces relations diverses au politique, du proche au lointain, qui constituaient le fil de l’exposition. Un parcours dans lequel la présence de body-guards le soir du vernissage introduisit une nouvelle donnée politique : le retour du réel et de la société russe actuelle. On ne devrait pourtant pas s’étonner de la présence de body-guards pendant le vernissage : c’est à vrai dire chose courante dans les lieux d’art


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privés de la Russie contemporaine, par exemple au Garage dirigé par Daria Zhukova, épouse du milliardaire Roman Abramovitch, comme au Baibakov Art Projects, dirigé par Maria Baibakova, fille d’un riche industriel russe. Ailleurs qu’en Russie, et même un peu partout dans le milieu de l’art international et jet-set, à Miami comme à Venise, à Abu Dhabi comme à Paris, c’est même un phénomène de plus en plus fréquent : on vit ainsi l’an dernier à la galerie Gagosian à Paris plusieurs gardes du corps accueillir les visiteurs de l’exposition Rauschenberg. Sans qu’on sache très bien s’ils étaient là pour surveiller les œuvres ou, plus probablement, pour protéger la jet-set internationale d’une éventuelle agression. A cet égard, cette série d’images a valeur de document sociologique sur le monde de l’art actuel. Mais il reste qu’aux yeux du commissaire et co-curateur de l’exposition « Perpetual Battles », la présence systématique, dans chaque salle, de gardes du corps influa nettement sur la réception esthétique de sa propre exposition. Avec leur posture fixe et vigilante, les body-guards du Baibakov Art Projects introduisirent une tension, une violence imprévue ; ils donnèrent aux « batailles perpétuelles » évoquées par les artistes une actualité, une frontalité, voire une brutalité plaçant les œuvres à l’arrière-plan du réel. Realpolitik de l’exposition.


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Carmelo Meazza

Le retrait exposé

1. Comment penser jusqu’au bout le retrait de l’es gibt? Ce retrait de la donation dont nous héritons encore de Heidegger? Et, surtout, comment penser un retrait qui ne se cache pas derrière sa propre trace et donc ne dissimule pas son retrait même? Et comment penser un retrait qui se retire de son (propre) retrait? Si l’on saisit la phénoménalité du phénomène dans son paraître à partir du retrait de l’es gibt, comment témoigner de la convertibilité d’un plein paraître et d’un retrait? D’un retrait qui soit pleinement convertible en un paraître ? Donc d’un phénomène dans lequel phénoménalité et retrait soient à la fin le même événement? 2. Si on pense le retrait de l’es gibt chez Heidegger au point de soustraire la différence à tout différer, on est appelé à développer de manière cohérente la tâche indiquée selon les étapes très précises de ce développement. D’un côté, on doit soustraire l’être à sa simple identité d’avec l’étant ; on doit s’arrêter au fait que l’être n’est pas un étant; qu’il diffère de l’étant, qu’il en est retiré, qu’il est retrait de l’étant. De l’autre côté, on doit admettre que toute différence entre être et étant (si elle est relevée en tant que telle, c’est-à-dire si l’on peut montrer quelque différence entre l’être et l’étant) ne peut que nous porter sur le bord d’un thème: l’être de l’étant. On ne comprend pas la tentative de penser jusqu’au bout la différence ontologique, tentative que l’on trouve chez Heidegger avant de la trouver chez Derrida, si l’on n’admet pas préalablement des formules comme: l’être diffère de l’étant, mais de telle façon qu’il n’est qu’étant, qu’il n’est rien d’autre qu’étant, retiré jusqu’au point où il n’est rien d’autre. Seulement dans des formules comme celles-ci, prises dans toute leur ambiguïté, on cherche à réduire la singularité d’un certain regard oblique par lequel la philosophie se donne la tâche de correspondre au retrait.


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Si l’être est le nom de l’ouverture, et si cette ouverture est hors de toute anticipation, si elle doit donc différer sans différence, et si en réalité elle est étant, mais aussi néant, s’il ne peut y avoir rien de différent entre être et étant, le nom même de différence risque de cacher et de recouvrir un autre nom possible pour dire être-étant. Il faut donc soustraire la phénoménalité de l’es gibt à la présence temporelle, mais aussi la préserver de tout ce qui évoque une non-présence, une différence, un différer, un arrière-plan d’un premier plan. Heidegger, avant Derrida, dirait que la différence ontologique doit se dérober à la présence aussi bien qu’à une certaine absence; c’est cependant à partir de Derrida que l’on comprend mieux la coexistence d’une tension irrésolue dans le phénomène de l’es gibt de Heidegger. Il peut en effet prendre différentes figures de la manière suivante : il peut appeler à fléchir le regard dans l’écoute d’un retrait. Il peut donc assumer sa vocation à correspondre originairement à un retrait que la philosophie aurait le privilège d’écouter. Ou bien il peut évoquer une pratique philosophique qui s’efforce de n’avoir aucun privilège sur le retrait, aucune vocation particulière concernant le retrait lui-même. Il s’agirait là d’une pratique renvoyée à elle-même par son non- savoir de ce retrait et donc ouvrirait non pas à une pensée qui écoute le retrait, qui de sa simple présence se penche obliquement vers son différer, mais qui ne sait – par un savoir dont il ne faudrait pas cesser d’interroger le statut, en raison de son énorme ambiguïté – rien du retrait lui-même. En cette pensée, le nom même de retrait évoquerait un certain savoir du rien. Dans le premier cas, si l’on traçait une diagonale sur les figures qu’elle propose, on y verrait le néant se révéler dans son retrait même. Ainsi, son «venir en avant» n’en appellerait pas à pas un regard direct, qui couvrirait par sa même animation l’événement dans le moment où il arrive, mais à une inclinaison particulière du regard qui se dispose, ou qui devient lui-même la limite oblique entre «venir en avant» et se retirer. C’est dans cette disposition, rendue possible par la réduction non subjective, que la vue s’avérerait oblique. Dans la familiarité de l’oblique, du néant dans lequel l’être s’anéantit, on ferait l’expérience de ce qui la rend possible. Et c’est au cœur de cette étrange obliquité que la philosophie serait la plus compétente, la plus exposée et la plus disposée, touchée par la limite, jusque dans la limite de son regard oblique. Et ainsi, pour ce regard, ce qui se montrerait dans le phénomène, comme phénoménalité du phénomène, serait déclaré et attesté dans en son retrait. Dans le deuxième cas, elle devrait justement savoir renoncer à l’obliquité du regard, à la puissance spectrale de l’oblique. Mais dans ce cas la philosophie elle-même tomberait hors d’elle-même.


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Dans l’intervalle instantané entre un être qui n’est pas ceci et qui cependant n’est pas simplement différent, la différence se retire dans un événement dont l’horizon ne laisse pas de trace de son retrait. Un événement dans lequel l’exposition et le retrait doivent converger, un événement dans lequel ou pour lequel le témoignage de cette convertibilité ne peut être donné que par une exposition à quelqu’un qui ne diffère pas d’une simple différence de la scène exposée. Quelqu’un qui puisse exposer cette exposition sans différer, comme le ferait une main qui, en indiquant la ligne de l’horizon, en serait fatalement différente. 3. On ne devrait pas cesser d’insister, dans l’héritage de Derrida, sur cette question: un événement où la phénoménalité retrouve son propre impératif fondamental, et donc où le retrait d’une ouverture s’expose en tant que tel, ouvrant ainsi à un mouvement de convergence par lequel le retrait et l’exposition convergent, ne peut que faire appel à une scène elle-même exposée. En d’autres termes : la main qui indique un horizon exposé dans son retrait doit à son tour s’exposer dans son retrait. En l’absence de cette convertibilité, une théologie négative sera toujours aux aguets là où un certain secret ne pourrait qu’animer la scène. En l’absence d’une telle convertibilité, la main indiquant l’horizon sera elle-même un horizon non retiré, elle donnera témoignage d’un hors-cadre dévoilé dont le voile sera précisément la condition d’exhaustivité depuis laquelle la philosophie peut déployer sa mise en œuvre. On doit donc penser la main mettant en œuvre la scène d’un texte comme la métonymie parfaite d’un horizon d’exposition. Si la philosophie voulait devenir la scène d’un événement où le retrait et l’exposition convergent, la main de la mise en œuvre ne pourra s’exposer à son tour que dans un retrait. La main devra s’exposer dans un retrait sans trace et à ce stade l’exposition sera l’actualité d’un certain retrait. Pour l’œuvre scénique de la philosophie, le regard oblique doit être considéré comme complice et co-responsable d’un certain rôle de la main – image de la voix par laquelle la philosophie s’est depuis toujours mise en scène. Par cette main, elle indique l’horizon d’un événement même lorsqu’elle évoque l’événement d’exception, c’est-à-dire lorsqu’elle évoque un retrait exposé ou un recul exposé dans l’exception du retrait de ce qu’elle rend possible. Il faudra garder un point décisif duquel faire descendre tout ce qui est possible : on n’aura pas la possibilité d’indiquer un retrait exposé sans exposer aussi un retrait. Pour la main des philosophes ceci ne signifiera rien d’autre qu’exposer dans une œuvre l’exposition d’un retrait, et cela en faisant de leur œuvre un événement d’exception.


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Mais c’est justement là que la philosophie se confronte à une tension particulière: exposer dans son retrait la main, que l’on considère comme la métonymie de son propre horizon d’événement, signifie mettre en scène l’exposition même de son œuvre, et donc exposer son œuvre jusqu’à faire converger le «retrait-retiré» d’un événement d’exception avec la figure même de son exposition. La main de la mise en scène ne devrait se trouver ni au premier plan ni à l’arrière-plan, l’exposition de son retrait devrait être le seul témoignage d’un événement qui indique la différence ontologique comme rien d’autre que rien. La main qui indique l’horizon exposé dans son retrait devrait s’exposer en tant que telle, dans la «crucialité» d’une performativité: celle de son retrait. 4. Dans l’exposition de ce retrait la philosophie retrouve le rôle de la reine dans le célèbre conte de Poe repris par Lacan dans le Séminaire sur «La lettre volée»1 (et commenté à son tour par Derrida). Une certaine main soustraite au regard de l’œuvre de la philosophie correspond parfaitement à la lettre soustraite au regard du Ministre de la reine. Dans les deux cas, il y a une soustraction qui révèle un retrait non retiré. Au fond la déconstruction, l’auto-déconstruction par laquelle la philosophie peut se viser soi-même, par laquelle elle donne lieu à la déconstruction, s’oriente toujours vers un certain voile par lequel elle cache (très souvent idéologiquement à soi-même) le retrait non retiré de sa main dans la scène de l’exposition. Elle la vise de la même façon que le Ministre qui, dans le conte de Poe, inaugure le mouvement d’un soupçon ou d’une question. La lettre, ou la main, est devenue visible exactement dans l’acte qui la cache; elle s’est présentée, elle est là, dans ce retrait manqué qui inaugure toute une économie de dévoilement ou de vérité. La philosophie, tout comme la reine, ouvrirait sa scène dans l’intervalle de trois moments: une lettre ou une main en trop, gênante, pourvu qu’elle soit prête à révéler un retrait non retiré, la nécessité de voiler cet excès non retiré, la trace d’un voile qui expose à la déconstruction ou à l’auto-déconstruction. Le voile nous dirait quelque chose sur la figure des concepts si l’on savait le mettre en valeur correctement. Il nous dirait quelque chose sur une façon de dé-voiler par lequel sa main traverse la ligne d’horizon. Les concepts auraient la force de dévoilement propre à la main de la reine de Poe, celle qui retourne la lettre gênante en cherchant à la soustraire à la vue: à soustraire au regard ce qui est en vue, en le dévoilant dans l’excès de son non être absent. Ainsi, si cette célèbre lettre devenait l’image du signifiant et de son exigence 1. J. Lacan, Ecrits, I, Seuil, 1966/1970, p. 11-61.


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Henrik Reeh

Exposer l’architecture vide: Le Musée Juif de Berlin par Daniel Libeskind

I. Architecture et exposition Les liens entre architecture moderne et exposition sont des plus intimes. Il suffit de se reporter aux expositions universelles de Londres (dès 1851) ou de Paris (à partir de 1855) pour le constater. L’espace bâti donne un cadre aux objets exposés ainsi qu’aux spectateurs venus du monde entier pour les contempler et pour se distraire1. La Tour Eiffel de 1889 est cependant là pour nous rappeler qu’il arrive à l’architecture des expositions universelles d’offrir aussi de véritables monuments, capables de mobiliser les regards et d’attirer les corps. Elle défie toujours les sensations d’équilibre et de bien-être des visiteurs, qu’ils montent par des escaliers flottant dans l’air ou par des ascenseurs suivant la ligne oblique des piliers. Ce n’est guère un hasard si, dans la première moitié du XXe siècle, Sigfried Giedion, théoricien de l’architecture moderne et personnage clef du dispositif CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne), affirme que les expositions universelles en général et la Tour Eiffel en particulier indiquent des principes spatio-temporaux qu’il s’agirait de traduire au sein de l’architecture habitée2. L’importance des expositions d’architec1. Cf. son livre fondateur Construire en France, construire en fer, construire en béton de 1929. Sur l’architecture des expositions universelles, cf. id., Space, Time and Architecture: the Growth of a New Tradition, Cambridge, Mass.: The Harvard University Press, 1946 [1941], p. 178-211, et Leonardo Benevolo, History of modern architecture, vol. 1, Cambridge, Mass.: The MIT Press, 1977 [1960], p. 96-124. 2. Cf. son livre fondateur Construire en France, construire en fer, construire en béton de 1929. Sur l’architecture des expositions universelles, cf. id., Space, Time and Architecture: the Growth of a New Tradition, Cambridge, Mass.: The Harvard University Press, 1946 [1941], p. 178-211, et Leonardo Benevolo, History of modern architecture, vol. 1, Cambridge, Mass.: The MIT Press, 1977 [1960], p. 96-124.


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ture proprement dites était déjà manifeste à l’époque de Giedion, comme en attestent l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs à Paris en 19253, la Weissenhofsiedlung [la colonie à Weissenhof] à Stuttgart en 19274 ou bien l’exposition « Modern Architecture: International Exhibition » au Museum of Modern Art, à New York, en 19325. Que ce soit en grandeur nature et à l’air libre, ou par des représentations à échelle réduite dans un musée d’art, l’architecture exposée articule désormais des enjeux culturels et artistiques de premier ordre. Après avoir été progressivement reconnue à l’intérieur même du musée d’art, l’architecture vient aussi à s’en affranchir, comme en témoigne l’existence, à partir de 1980, d’une véritable biennale d’architecture à Venise. L’architecture utilise le cadre de cette Biennale tout comme elle s’appuie sur les modes d’exposition et de perception répandus dans le monde des arts plastiques. Ainsi les architectes exposant à la Biennale peuvent se tenir à l’écart du principe socio-économique de réalité dont dépend en majeure partie leur métier. Avec l’expansion des nouvelles technologies de design et de construction à partir des années 1990, l’architecture expérimentale que l’on croyait limitée aux projets utopiques présentés dans les expositions aboutit parfois à des bâtiments bien réels. Certaines de ces architectures se prêtent, à leur manière, à l’exposition, tout comme elles deviennent des signes (sinon des icônes) intégrés dans les stratégies de communication propres aux institutions et aux entreprises. Parallèlement, les lieux où l’on expose l’architecture se multiplient et rencontrent une attention massive auprès d’un public qui excède de loin le cercle des professionnels. L’architecture exposée permet au public d’expérimenter de nouvelles pratiques corporelles et de réfléchir sur le monde contemporain par l’intermédiaire de l’organisation de l’espace.

3. Arthur Ruegg, «Le pavillon de l’Esprit nouveau en tant que musée imaginaire» dans Stanislaus von Moos (sous la direction de), L’Esprit nouveau: Le Corbusier et l’industrie 1920-1925, Berlin, Ernst & Sohn Verlag, 1987, p. 134-151. 4. Mark Wigley, White Walls, Designer Dresses, Cambridge, Mass.: The MIT Press, 1995, p. 302-334. 5. The Museum of Modern Art, The History and the Collection, New York: Harry N. Abrams & The Museum of Modern Art, p. 15-17.


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II. Exposer l’Architecture Vide Le cas de Daniel Libeskind, architecte de nationalité américaine mais né en Pologne de parents juifs en 1946, illustre bien l’importance de l’exposition pour l’architecture récente. Bien qu’il soit devenu un starchitecte, Libeskind n’a pas toujours été un bâtisseur. Pendant les décennies 1970 et 1980, il appartenait au groupe d’architectes expérimentaux qui faisaient de l’exposition un destinataire essentiel de leurs travaux. Telle était sa situation lors de la Biennale d’architecture de Venise en 1985, où il avait exposé trois grandes constructions ou ’machines’ qui servaient, respectivement, à lire, à écrire, et à se souvenir de l’espace architectural6. À la même période, Libeskind participait à divers concours qui lui donnaient l’occasion de faire connaître ses travaux dans la sphère publique. Le sommet fut atteint en 2004, lorsqu’il gagna le concours pour la réédification de «Ground Zero». Si, entretemps, Libeskind avait changé de statut, c’était notamment grâce à son premier prix au concours de 1989 (juste avant la chute du Mur) pour l’extension du Musée de Berlin visant à doter celui-ci d’un département juif. Son projet Entre les lignes [Between the Lines]7 se concrétisa en un chantier spectaculaire au cours des années 19908. Celui-ci était suivi avec curiosité par des architectes du monde entier dont certains se méfiaient de sa constructibilité, en raison justement de sa position ’déconstructiviste’ (label devenu célèbre après une exposition en 1988 au MoMA à New York)9. Le Musée Juif de Berlin a ouvert ses portes au public en 2001. Avec une exposition permanente qui remplit le cadre architectural de Libeskind au point de rendre invisibles des éléments importants de son espace intérieur,

6. Daniel Libeskind, « Three Lessons in Architecture: The Machines », dans Daniel Libeskind, The Space of Encounter, London: Thames & Hudson, 2001, p. 180-194, illustrations p. 211-214. 7. Voir Daniel Libeskind, « Between the Lines – Erweiterung des Berlin Museums mit Abteilung Jüdisches Museum » (1989) dans Daniel Libeskind, Radix – Matrix, Munich, Prestel Verlag, 1994, p. 100-102. 8. Voir les photographies du chantier dans Hélène Binet, A Passage through Silence and Light: Daniel Libeskind’s Jewish Museum Berlin, London, Black Dog Publishing, 1997. 9. Michael Sorkin, « Decon Job » dans Michael Sorkin, Exquisite Corpse: Writings on Buildings, New York & London: Verso, 1991, p. 301-306. L’un des commissaires de l’exposition « Deconstructivism » au MoMA en 1988 était l’architecte Philip Johnson qui avait été en charge de l’exposition fondatrice « Modern Architecture: International Exhibition » en 1932 déjà.


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il attire actuellement 750.000 visiteurs par an10, dont une bonne partie continue à venir avant tout pour contempler le bâtiment. Ce dernier a été achevé au début de 1999, soit deux ans et demi avant l’inauguration. Durant cet intervalle l’architecture d’exposition a elle-même été exposée. Certes depuis longtemps, il arrive à des œuvres bâties de figurer en tant qu’architecture purifiée. Souvent cette dernière ne témoigne que partiellement des fonctions qu’elle a remplies depuis sa construction. Cela vaut pour la villa La Roche, qui, entre 1925 et 1965 avait été le domicile d’un banquier et collectionneur d’art dont elle porte le nom. De nos jours, cette villa parisienne, œuvre maîtresse de Le Corbusier, est exposée à l’état presque vide – vidée de sa vie vécue, et mise en scène comme monument11. Mais le bâtiment de Libeskind à Berlin se distingue nettement d’une œuvre ruinée par l’usage. Il a été exposé vide au tout début de son existence. A peine achevée, l’œuvre berlinoise de Libeskind était mentionnée dans Le Monde12, ce qui m’a suffi pour inscrire cette destination au programme d’un séjour d’études à Berlin en avril 1999. La visite qui s’en suivit pourrait se présenter en résumé comme une série de défis lancés aux attentes qui, implicitement, s’associent à une exposition d’architecture. En même temps, ces défis servaient à mettre en relief cette œuvre importante du 20e siècle finissant. 1. Dans l’attente d’une exposition à base de représentations Vu de la rue, le bâtiment ne s’impose guère aux visiteurs. Le recouvrement en zinc gris et la forme en zigzag de l’ensemble, troué de fenêtres irrégulières, s’oppose à l’idée même de façade. On cherche en vain une porte d’entrée. Ainsi le nouveau département semble-t-il s’effacer au profit de l’unité mère du musée: un grand édifice jaune du début du 18e siècle qui lui fait vraiment face à la rue.

10. Renseignement fourni par 10 Jahre Jüdisches Museum Berlin, supplément de Der Tagesspiegel, publié le 19 octobre 2011 à l’occasion des dix ans du Musée Juif de Berlin, p. 6. 11. Dans l’immeuble de la rue Nungesser-et-Coli (Paris 16e), l’appartement privé qui a servi de domicile et d’atelier à Le Corbusier peintre contient toujours quelques meubles personnels, mais la plupart des traces de sa vie (bibelots, objets utilitaires, œuvres d’art etc.) se sont réfugiées dans quelques photos qui sont accrochées aux murs. Le contraste est frappant entre, d’un côté, l’espace nu de l’appartement actuel, et, de l’autre, les photographies prises quand l’appartement était occupé par Le Corbusier. 12. Article par Frédéric Édelmann dans Le Monde, daté du 2 octobre 1998, p. 31. Édelmann n’avait guère imaginé l’affluence qu’allait provoquer cette œuvre architecturale avant même l’ouverture du Musée Juif de Berlin: «Le public n’est pas tendre pour un bâtiment qui ne l’est pas. Et l’agacement d’une partie de la communauté juive est manifeste».


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Devant l’entrée principale du Musée de Berlin, avril 1999. Photo: Henrik Reeh

Un doute s’installe lorsqu’on arrive pour la première fois. Peut-être ne va-t-on pas accéder à l’œuvre de Libeskind, mais plutôt à une exposition qui en présenterait les principes par un ensemble de représentations? Cela n’aurait rien d’étonnant; pour faire voir et comprendre l’espace architectural, les expositions se servent surtout de signes représentatifs (des images de toutes sortes). Représentée comme dans une exposition d’art (où c’est pourtant en temps normal l’œuvre d’art elle-même qui apparaît), la véritable architecture échappe nécessairement à la perception des visiteurs. Mais dans le cas actuel, le doute s’avère infondé; c’est une véritable rencontre avec l’espace construit qui attend les visiteurs. Au cours d’une visite guidée, cet espace leur offrira une expérience sensorielle et réfléchissante13. 2. L’espace enveloppant Alors que l’extérieur restera invisible jusqu’à la fin du parcours, tout est concentré dans l’espace intérieur du bâtiment. Ce rôle primordial de l’intérieur est dû à l’importance accordée aux sens. Si d’une manière générale 13. Voir plan sur le site web du musée ou, par exemple, dans Daniel Libeskind, Jewish Museum Berlin, Berlin. Photographic essay by Jan Bitter, Barcelon, Polígrafa, 2011, p. 22-27.


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Caterina Resta

Un’esposizione vulnerabile

In principio, sempre, l’Uno si fa violenza e si guarda dall’altro. J. Derrida, Politiche dell’amicizia.

1. Il rigetto dell’altro In quelle Meditazioni sulla metafisica con le quali si conclude Dialettica negativa, Adorno aveva colto in un lampo il senso dello Sterminio: «annientamento del non-identico»1. L’Ebreo è quell’Estraneo inassimilabile, quell’altro che un pensiero e una politica dell’identità pura da ogni contaminazione si sentono costretti a eliminare, a “rigettare” nel senso che questo termine assume in ambito immunologico. Che la tragedia di Auschwitz riveli il carattere catastrofico della pretesa di un’identità assoluta, integrale, depurata da ogni possibile alterità, è quanto emerge anche dalle parole di Philippe Lacoue-Labarthe: gli ebrei «erano una minaccia – una volta decretati ebrei, cioè elemento eterogeneo – solo per una nazione in difetto di un’identità propria o di propria esistenza»2. Per superare l’incertezza riguardo al proprio sé ed evitare il rischio di un’esposizione ad un’alterità minacciosa in quanto tale, è stato dunque 1. T.W. Adorno, Negative Dialektik, Suhrkamp, Frankfurt a.M. 1966; tr. it. di C.A. Donolo, Dialettica negativa, Einaudi, Torino19712, p. 327. 2. P. Lacoue-Labarthe, La fiction du politique, Christian Bourgois, Paris 1987; tr. it. di G. Scibilia, La finzione del politico, il melangolo, Genova 1991, p. 54.


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necessario proiettare fuori di sé la minaccia, inventando un’estraneità che, una volta riconosciuta come tale, va espulsa e annientata. L’Ebreo diviene allora quel corpo estraneo che bisogna eliminare per difendere la salute del corpo proprio, diviene il totalmente altro, il nemico e l’estraneo assoluto da sterminare. In quanto espressione stessa di ciò che nell’uomo è non umano, egli minaccia alla radice la ricerca di un’identità pura, altrettanto assoluta, come quella che il popolo tedesco sta cercando di attingere. Il razzismo antisemita, nutrito dall’invenzione del mito ariano come mezzo di identificazione comunitaria, mostra allora in maniera esemplare quale sia stata la posta in gioco che ha condotto allo Sterminio: «La figura tedesca del totalitarismo è il razzismo in quanto il problema tedesco è fondamentalmente un problema di identità»3. Se dunque la ricerca iperbolica dell’identità, perseguita attraverso il rifiuto del non-identico, ossia dell’altro, mette in moto la macchina di morte di Auschwitz, essa non fa che rendere effettiva, praticamente effettuale, una verità inconfessabile: se «l’Occidente aveva sempre odiato qualcosa di sé»4, Auschwitz è il “compimento” dell’Occidente, la sua apocalisse, non solo perché lì si tocca l’eschaton, il punto estremo e finale della parabola del pensiero occidentale, ma anche perché se ne rivela il tratto essenziale: «nell’apocalisse di Auschwitz si è rivelato né più né meno che l’Occidente nella sua essenza – ed esso non cessa, da allora, di rivelarsi»5. Questa essenza – la negazione dell’altro e l’impossibilità a riconoscerlo come parte di sé – non cessa di rivelarsi, benché celata dietro infinite maschere; non cessa di rivelarsi, benché si tenti in tutti i modi di occultarla. Anche dopo Auschwitz, essa resta una verità intollerabile per un pensiero che ancora non ha saputo o voluto esporsi ad essa. In quanto rigetto dell’altro, la risposta immunitaria difende dal contagio e dalla contaminazione un corpo sano esposto a ciò che, dall’esterno, potrebbe “infettarlo”, minacciandone la salute e l’integrità. Obbedendo al principio dell’integrità della razza, declinazione biopolitica del principio di identità, la logica dello Sterminio più che un’aberrazione, mostra l’estremizzazione parossistica di un principio fisiologico che, proprio a causa del suo eccesso, si capovolge nel suo contrario, cioè in distruzione di sé, secondo un implacabile rovesciamento auto-immunitario. Perseguendo ad oltranza la logica dell’identità – la logica stessa, si potrebbe dire, dal momen3. P. Lacoue-Labarthe - J.-L. Nancy, Le mythe nazi, Edition de l’Aube, Paris 1991; tr. it. e cura di C. Angelino, Il mito nazi, il melangolo, Genova 1992, p. 33. 4. P. Lacoue-Labarthe, La finzione del politico, cit., p. 66. 5. Ivi, p. 53. E ancora: «quest’evento, lo Sterminio, è per l’Occidente la terribile rivelazione della sua essenza» (ivi, p. 56).


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to che essa si regge sul principio di non contraddizione – essa si perverte nel suo opposto: l’annientamento dell’altro-da-sé si “compie” nell’annientamento di sé, in un fatale auto-annientamento. Portato all’estremo, questo principio, che ha da sempre governato la stessa possibilità della tenuta del concetto, come del suo rigore definitorio, si trasforma in un delirio auto-persecutorio che trascina con sé, mandandola in rovina e facendola letteralmente impazzire, tutta l’impalcatura filosofica dell’Occidente. Se la Germania hitleriana ha pensato la propria identità a partire dal rifiuto di esporsi all’altro e dalla violenta negazione – fino allo sterminio – dell’Ebreo, quale incarnazione di un’alterità e di una estraneità inassimilabili, fonte di un contagio letale per l’integrità del Tedesco, non ha fatto che radicalizzare e portare alle estreme conseguenze quella che Levinas – il pensatore che più di ogni altro ha saputo diagnosticare e combattere il male oscuro di Auschwitz – ha riconosciuto come la logica interna di tutto il pensiero occidentale: «La filosofia occidentale coincide con questo disvelamento dell’Altro in cui l’Altro, manifestandosi come essere, perde la propria alterità. Sin dalla sua infanzia, la filosofia è affetta da un orrore verso l’Altro che rimane Altro, da un’inguaribile allergia. […] La filosofia di Hegel rappresenta il compimento logico di questa allergia fondamentale della filosofia»6.

Tutto il pensiero occidentale, in quanto pensiero dell’Identico, soffrirebbe dunque di un’allergia incurabile nei confronti dell’altro; con diverse strategie, esso non avrebbe fatto altro che negare, sopprimere, eliminare, espellere, quell’alterità che sentiva minacciosa; la filosofia sarebbe, in fondo, il sintomo di una crisi di rigetto, la risposta ad un’esposizione potenzialmente letale, che trova il suo consapevole compimento proprio nella dialettica hegeliana, la quale perviene a negare l’altro secondo una strategia particolarmente efficace, operante attraverso una doppia negazione: si tratterà di introiettare l’altro per meglio assimilarlo a sé; se si riconosce la potenza del negativo e dell’alterità, è solo al fine di meglio neutralizzarli, mettendoli al 6. E. Lévinas, La trace de l’autre, in En découvrant l’esistence avec Husserl et Heidegger, Vrin, Paris 1949 e 1967; tr. it. di F. Sossi, La traccia dell’altro, in Scoprire l’esistenza con Husserl e Heidegger, Cortina, Milano 1998, pp. 216-217. Tale assunto, che costituisce lo snodo fondamentale del pensiero levinasiano, viene anche altrove più volte ribadito; si veda, ad esempio, Id., Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, Nijhoff, La Haye 1961; tr. it. di A. Dell’Asta, Totalità e infinito. Saggio sull’esteriorità, Jaca Book, Milano 1980, p. 41: «La filosofia occidentale è stata per lo più un’ontologia: una riduzione dell’Altro al Medesimo, in forza dell’interposizione di un termine medio e neutro che garantisce l’intelligenza dell’essere». Proprio per contrastare questo presupposto “l’altrimenti che essere” di Lévinas sarà un pensiero dell’esposizione all’altro senza riserve, fino alla figura “ospitale” dell’altro nel medesimo.


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servizio, facendoli “lavorare” per l’identico. Come giustamente è stato osservato, «Auschwitz obbliga a porre fine ad un modo di pensare. È il risultato e l’impossibilità del pensiero dell’identità»7. Pensiero della totalità che è già totalitarismo e sistema dell’immanenza assoluta, spazio senza esteriorità e senza fuori, che già prefigura, nel pensiero, la chiusura del “campo”. Evadere sarà possibile solo per un’altra via, solo percorrendo un’altra strada, aprendosi sentieri non ancora battuti, alla ricerca di un altro pensiero dell’altro, di un pensiero non allergico, ma capace di accogliere e ospitare l’altro nella sua radicale alterità, un pensiero disarmato e disarmante. Un pensiero dell’esposizione all’altro e dell’altro senza riserve. 2. Esposizione e mondializzazione Eppure, dopo lo Sterminio degli Ebrei, dopo l’annientamento di quell’Altro che il Tedesco avvertiva come il pericolo e la minaccia supremi per il conseguimento della propria integrale identità, dopo il massacro dettato dal sentirsi esposti a un’alterità intollerabile, il pensiero dell’identità, dell’«annientamento del non-identico», secondo la formula impiegata da Adorno, non è morto, anzi, ha continuato indisturbato a dettare legge e oggi, nell’epoca della globalizzazione, sembra più vivo che mai. Dopo Auschwitz, la negazione dell’Altro ha conosciuto nuove, diverse, ma in fondo, sempre uguali, forme di rifiuto, di rigetto, di annientamento. Il pensiero, in particolare il pensiero politico, ancora non è riuscito a fare davvero i conti con Auschwitz. Senza nulla togliere all’unicità di quell’evento che in un tempo ed in un luogo assolutamente singolari realmente è accaduto, lo spettro di Auschwitz è riapparso molte altre volte nella nostra storia recente, ogni qual volta abbiamo sentito parlare di genocidio, di pulizia etnica, di fosse comuni, di “campo”8, di nemico assoluto, di asse del male, di espulsioni dettate esclusivamente da un nuovo tipo di reato, il reato di clandestinità, il cui confine con il reato di estraneità in quanto tale appare molto incerto. Forse perché l’inconfessabile colpa di cui lì ci si è macchiati cova dentro ciascuno di noi, in ogni “io”, nella sua invincibile – e peraltro inestirpabile – pulsione identitaria, che spinge a costruire fittizi ripari, fortezze apparentemente inespugnabili, al fine di impedire l’esporsi dell’uno 7. S. Benso, Pensare dopo Auschwitz. Etica filosofica e teodicea ebraica, ESI, Napoli 1992, p. 21. 8. Per lo sviluppo di questi temi cfr. G. Agamben, Quel che resta di Auschwitz. L’archivio e il testimone, Bollati Boringhieri, Torino 1998 e Id., Homo sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Einaudi, Torino 1995.


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all’altro, quella esposizione che ciascuno di noi è9. Barricato entro la propria chiusura identitaria, l’io diviene paranoico e persecutorio quanto più avverte il proprio sé minacciato, incrinato, timoroso di accogliere, di ospitare in sé, prima ancora che fuori di sé, l’altro da cui è costituito. Il tempo della globalizzazione è certamente il tempo più propizio per il ritorno di questo spettro, poiché è il tempo in cui, come è stato da più parti segnalato, i processi di unificazione mondiale creano maggiori insicurezze, maggiori incertezze, in primo luogo sul piano identitario. Come ha scritto Bauman, uno dei più attenti analisti dei fenomeni e delle dinamiche sociali legati al processo di globalizzazione: «oggi […] l’“identità” è la questione all’ordine del giorno»10. L’altro, lo Straniero, assume la forma inquietante, già acutamente segnalata da Simmel11 agli inizi del secolo scorso, dello «straniero interno», solo che adesso risulta sempre più difficile trovare un altrove spaziale e territoriale esterno in cui espellerlo, dal momento che l’unificazione dello spazio tende a identificarsi con l’intera superficie del globo. Non ci è possibile affrontare in questa sede il complesso e variegato fenomeno della globalizzazione e le diverse interpretazioni cui sta dando luogo. Vorremmo piuttosto soffermarci su di un aspetto, certo non secondario, che riguarda la crisi della forma stato, in quanto sovranità territorialmente definita, e le reazioni che essa scatena, proprio perché esso investe direttamente la questione dell’identità e dell’esposizione all’altro. Se, infatti, per tutta la Modernità, la forma giuridica della statualità assicurava, mediante le frontiere, l’unificazione territoriale, politico-giuridica, culturale, religiosa, insomma l’identità di un popolo e di una nazione, riuscendo così a determinare il senso di appartenenza della comunità, con l’affermarsi dei processi di mondializzazione, che si impongono soprattutto sul piano economico e su quello delle teletecnologie, si annuncia un vero e proprio sisma che fa vacillare quella che Derrida ha chiamato la “topolitica” moderna: «il politico non ha più luogo, se posso dire, non ha più topos stabile o essenziale. È senza 9. Una filosofia dell’esposizione e dell’essere-con che, a partire dal Mit-Sein heideggeriano, ha profondamente segnato, seppure in modo diverso, il pensiero contemporaneo dell’alterità, in particolare quello di Emmanuel Lévinas, di Jean-Luc Nancy e di Jacques Derrida. Per ulteriori approfondimenti mi permetto di rinviare a C. Resta, Il segreto della comunità, in L’Estraneo. Ostilità e ospitalità nel pensiero del Novecento, il melangolo, Genova 2008. 10. Z. Bauman, Intervista sull’identità, a cura di B. Vecchi, Laterza, Roma-Bari 2008, p. 15. 11. Cfr. G. Simmel, Soziologie. Untersuchung über die Formen der Vergesellschaftung, Duncker & Humblot, Berlin 1983; tr. it. di G. Giordano, Sociologia, Comunità, Milano 1998.


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Anne Elisabeth Sejten

Proust Valéry Exposition

En 1953 Adorno publie l’essai Proust Valéry Musée, inséré deux ans plus tard dans les Prismes, ce qui représente une filiation plutôt naturelle; en faisant se croiser Proust et Valéry, dont le désaccord au sujet du musée est flagrant, il affirme, conformément à l’optique qui lui est propre, une pensée esthétique qui intègre les positions opposées et les dépasse. Il est vrai que chacun des deux écrivains français est saisi dans une posture caricaturale: Valéry sous le choc de la cacophonie dont résulte le voisinage, inouï et inadmissible, des œuvres d’art; Proust, en revanche, ravi des surprises et enchantements que lui offre l’étalage hétéroclite des collections. Là où le connaisseur de l’art s’était attendu à trouver un abri pour savourer les délices de l’art, il est privé dés l’entrée de sa canne et cigarette, ensuite accablé par une atmosphère aussi agressive qu’en dehors des murs du musée, alors que l’esthète n’éprouve aucun scrupule pour se laisser enthousiasmer de façon éclectique par les tableaux qui sauront parler de lui. Mais il est vrai aussi, le lecteur assidu d’Adorno s’y attendait, que celui-ci établit en réalité une relation dialectique entre les deux positions, celle élitiste et conservatrice du connaisseur de l’art, et celle hédoniste de l’amateur d’art, si bien qu’au lieu de s’exclure elles finissent par se corriger l’une l’autre. Le musée, par son caractère institutionnel et ses offres de divertissement culturel, représente une menace pour les œuvres d’art, converties tantôt en documents savants, tantôt en biens de consommation. Il n’empêche que par leur simple présence au musée, les œuvres pourraient se mettre à parler d’une voix à la fois lointaine et proche, comme si elles émanaient de la bouche du spectateur. L’héritage hégélien ne se laisse pas démentir, d’autant plus qu’il passe par son renversement marxiste: le conflit dans lequel Adorno place Proust et Valéry relèverait de deux vérités dont chacune trouve son déploiement


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dans l’autre: l’objectivité incorruptible des œuvres ne peut se réaliser qu’à travers l’acte de la spontanéité subjective. La loyauté de Valéry vis-à-vis des forces objectives des œuvres d’art lui ferait renoncer à la culture accumulatrice et consommatrice qui tue la vraie Culture, alors que cette «mort» des œuvres au musée permet à Proust non seulement d’y rester, mais de ranimer les œuvres, de les faire revivre. Là, l’acte réfléchi ferait fuir le musée pour rester fidèle à l’art, musée renvoyant aux rapports aliénants de la société et non à l’art lui-même, ici l’acte spontané permettrait de franchir la machine muséale pour retrouver dans les œuvres la spontanéité qu’elles incarnent. Les œuvres mortellement atteintes par l’institution muséale feraient que Valéry prendrait congé du musée au nom de l’Art; Proust accorderait de son côté aux œuvres présentes dans le musée une post-vie (Nachleben) les animant dans leur matière vitale subjective qui se trouve investie par le travail de la mémoire involontaire. La médiation s’est habilement mise en place: «La fétichisation de l’objet et l’engouement du sujet pour lui-même se corrigent réciproquement»1. Cette correction mutuelle de l’objectivité pure et de la subjectivité la plus spontanée ne semble pourtant pas être moins présente chez Proust et Valéry quand on les considère séparément ou comme tendant l’un vers l’autre, que quand on les met en contradiction. Adorno écrit son essai dans la postérité immédiate de Valéry, mort en 1945, et l’assimile un peu trop automatiquement à l’esthétique mallarméenne quand il dresse le portrait de l’esthète pur, insensible par son formalisme même2. Ce serait en tout cas la limite de Valéry: souscrire à la sacralisation de l’œuvre d’art, à la parole de l’art pour l’art, si bien que le Musée finit en réalité par lui montrer cette mortification des œuvres qui, du même coup, figurerait la limite extrême de l’art mallarméen. Peut-être la symbolique de la mort, apparente dans l’épistémologie muséale (Adorno n’oublie pas de le signaler), invite-t-elle également à figer des positions respectives de Proust et de Valéry de façon diamétralement opposée? Or, au lieu de relever les deux thèses dans l’axe vertical d’une synthèse, on pourrait tenter de les séparer et de les articuler sur le plan horizontal que favoriserait l’exposition. Passons donc du musée à l’exposition, comme le fait Valéry lui-même lorsqu’il passe du Problème des musées (ce texte, daté de 1923, qui a suscité le commentaire d’Adorno) à «un problème d’exposition» en réfléchissant, 1. Theodor W. Adorno, Proust Valéry Musée (1953), in Prismes. Critique de la culture et société (tr. de l’allemand par Geneviève et Rainer Rochlitz) [1955], Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2010, p. 231. 2. Adorno fait le rapprochement explicitement: ”Il ne fait guère de doute que Valéry pensait comme son maître, Mallarmé”. Ibid.


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en 1937, sur les possibilités de montrer à l’exposition internationale du Palais de la Découverte les œuvres de la littérature. Proust, en revanche, on n’aurait pas tort de se le présenter là où Adorno le décrit si justement sous les traits de l’extrême sensibilité du spectateur, puisque c’est certainement chez lui un thème transversal que celui de l’exposition d’un moi submergé dans et par les éclairs de la mémoire involontaire. On s’en rendra compte dans un petit texte sur l’exposition Gustave Moreau écrit à l’occasion de la transformation de la maison du peintre en musée, texte appartenant donc à cette réflexion sur l’art que Proust menait dans les marges des tomes de la Recherche du temps perdu. En introduction à ce déplacement du musée vers l’exposition, qui lui est consubstantielle, force nous est d’évoquer d’abord la «secrète société»3 qui relierait les deux hommes au sein de leurs différences. Proust, Valéry: si loin, si près l’un de l’autre Cela ne fait aucun doute que Valéry et Proust représentent des sources inépuisables pour le développement de la pensée adornienne. L’essai sur le musée en est la meilleure preuve, tout en témoignant de l’extrême richesse des réflexions dont Proust et Valéry dédoublaient leurs propres expériences d’écrivain. Par la suite, d’autres textes d’Adorno s’ajouteront à celui consacré au musée pour approfondir et modifier les images quelque peu figées des deux protagonistes en qui, déjà ici, il salue les «meilleurs connaisseurs qui aient écrit sur l’art dans l’époque récente»4. Bizarrement, les chemins des deux écrivains, nés la même année, en 1871, ne se sont jamais croisés, sauf trop tard, en 1923, année où Valéry publie un «Hommage» à l’occasion de la mort de Marcel Proust – dans lequel d’ailleurs il avoue ne connaître que fort peu sa grande œuvre romanesque5. Aussi reconnaît-on dans les portraits opposés saisis si pertinemment par 3. L’expression est celle de Valéry à l’occasion de son texte de commémoration sur Proust. Paul Valéry, Hommage à Marcel Proust (1923), Œuvres (éd. Jean Hytier), vol. I, Gallimard (coll. de la Pléiade), Paris, 1957, p. 769. 4. Adorno, op. cit., p. 231. Parmi les essais recueillis dans Notes sur la Littérature, il faudra mentionner deux textes magistraux sur Valéry, La Fonction vicariante du funambule (1953) et Les Ecarts de Valéry (1960), ainsi que sur Proust les Petits commentaires de Proust. 5. Ainsi Valéry ouvre-t-il son Hommage par une proposition concessive – « Quoique je connaisse à peine un seul tome de la grande œuvre […] », mais aussitôt pour mesurer, « par ce peu de la Recherche du Temps perdu que [il a] eu le loisir de lire », la « perte exceptionnelle » que la mort de Proust représente au sein de la communauté des Lettres ». Ibid.


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