PTD 68: Célestin Kabundi Kabengele. Comment dire Dieu à un enfant de rue de Kinshasa ?

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Dirigee par Fran�ois-Xavier

Comment dire Dieu a un enfant de rue de Kinshasa ?

PrefacedeFranc;ois-XavierAmherdt

68
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THEOLOGIEPRATIQUEENDIALOGUE -PRAKTISCHETHEOLOGIEIMDIALOG
Celestin Kabundi Kabengele

Théologie Pratique en Dialogue

Praktische Theologie im Dialog

Collection fondée par Leo Karrer

Dirigée par François-Xavier Amherdt

Volume 68

Célestin Kabundi Kabengele

COMMENT DIRE DIEU À UN ENFANT DE RUE DE KINSHASA ?

Préface de François-Xavier Amherdt

Schwabe Verlag

Thèse soumise à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg (Suisse) pour obtenir le grade de docteur, sous la direction de Prof. ord. Dr. Dr. habil. François-Xavier Amherdt.

L’étape de la prépresse de cette publication a été soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.

Open Access : Sauf indication contraire, cette publication est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International (CC BY-NC-ND 4.0)

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© 2024 Célestin Kabundi Kabengele, publié par Schwabe Verlag, Schwabe Verlagsgruppe AG, Basel, Schweiz

Conception de la couverture : icona basel gmbh, Basel

Couverture : Kathrin Strohschnieder, STROH Design, Oldenburg

Composition : Dörlemann Satz, Lemförde

Impression : Hubert & Co., Göttingen

Printed in Germany

ISBN Livre imprimé 978-3-7965-5107-9

ISBN eBook (PDF) 978-3-7965-5108-6

DOI 10.24894/978-3-7965-5108-6

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PRÉFACE

L’œuvre de toute une vie

Cet ouvrage est véritablement l’œuvre de toute une vie personnelle, théologique et pastorale pour l’Auteur (A.). Il a payé de sa personne pour l’achever. Il prêche lui-même par l’exemple, puisqu’il termine sa recherche par une description de l’Association Kakasu (la houe) qu’il a lui-même fondée et qu’il continue de diriger pour la réinsertion des enfants de rue de la capitale de la République démocratique du Congo (RDC) accusés de sorcellerie.

Une vaste approche empirique

La valeur de l’ouvrage, en plus des approches systématique (définition des concepts enfant, sorcellerie, Église, champ social), historique, anthropologique et sociologique, puis théologique, ecclésiale et pastorale, tient tout particulièrement aux démarches empiriques qu’il a menées scientifiquement de main de maître, à l’aide du professeur congolais Georges Boongo, démographe, assistant de recherche au Département de sciences de la population (démographie), à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université de Kinshasa, par des enquêtes de terrain et des interviews dont il analyse et interprète avec soin les résultats. Le corpus pris en considération est important, avec 200 enfants et 60 hommes de Dieu ou pasteurs des Églises de réveil, dont l’investigation a montré qu’ils étaient la plupart du temps la cause des ruptures familiales en accusant les enfants d’être des sorciers provoquant le mal survenu dans le cadre de la famille.

Une recherche inculturée

Le 2ème censeur, comme c’est toujours le cas pour de telles thèses dont la problématique se situe dans un autre contexte, était un théologien pratique de l’Université de Kinshasa, le professeur Fidèle Mabundu. Il arrive aux mêmes conclusions, et par son expertise, il apporte une caution décisive à la pertinence de l’inculturation de l’étude.

Une problématique claire

La problématique est bien délimitée à Kinshasa et aux enfants vivant dans la rue en rupture avec leurs familles les accusant d’être sorciers, sur la base des affirmations

d’hommes de Dieu. Par rapport à l’état de la question, l’A. ajoute aussi une approche plus théologique, du fait du rôle de ces Églises et de la question de la nomination de Dieu et de la foi des jeunes, aux courants sociologiques et législatifs présents dans la littérature, attribuant le phénomène aux dynamiques sociales et à la non-observation des législations de protection des enfants.

Des hypothèses de travail

Les hypothèses émises par CK au début de sa recherche sont toutes vérifiées par les résultats des enquêtes, à savoir que c’est : – dans des familles désunies, aux parents divorcés ou dont l’un des deux est décédé que la plupart des enfants sont accusés d’incarner les forces du mal, notamment par les marâtres et les parâtres, et sont chassés dans la rue la plupart du temps ; – puis que ce sont des responsables des Églises de réveil qui exploitent la pauvreté des familles, manipulant la psychologie des parents et, contre monnaie sonnante et trébuchante, offrent une « cure d’âme », lancent des prophéties à l’adresse des enfants chargés de malheurs qui accablent la famille et pratiquent sur eux des rituels de délivrance ; – enfin, que l’image de Dieu est ambivalente chez les enfants sorciers, soit qu’ils se posent des questions profondes à propos du Seigneur, puisque leurs représentants pasteurs sont sources de leur malheur, soit qu’ils conservent malgré tout une foi profonde, en reconnaissant en Dieu leur créateur, protecteur et sauveur, soit qu’ils attendent de lui qu’il les aide à se venger de leurs bourreaux.

Une construction cohérente et des pistes concrètes

La construction du livre se tient avec : – un 1er chapitre théorisant les notions de base de la thèse, selon une méthodologie conceptuelle fondamentale : enfants, sorcellerie, Église ; – un 2ème chapitre rapportant, selon une méthode historique descriptive, l’évolution du déploiement de l’Église catholique au Congo, puis l’apparition d’autres Églises, dont les pentecôtistes, au sein desquelles l’A. a situé le problème de l’accusation des enfants sorciers dans la rue ; – un 3ème chapitre montrant les implications de l’Église catholique, qui reste majoritaire, dans la vie et la société de la RDC face aux autorités traditionnelles et étatiques, selon une approche sociologique, afin de situer le pouvoir d’action ecclésiale en faveur des familles dans le cadre congolais actuel ;

VI Préface

– le chapitre 4 relève les résultats des enquêtes et des réponses aux questions des enfants et des hommes de Dieu, analysés selon les approches univariée et bivariée et la méthode statistique « khi-carré » ;

– puis le chapitre 5 pratique la méthodologie socio-théologique des récits de vie, inspirée du jésuite Étienne Grieu, pour relire les narrations des enfants interviewés.

– De là, l’A. parvient au sommet de son investigation et désigne les lieux d’engendrement de la violence subie par les enfants, la famille, les Églises évangéliques et la rue, en mettant en corrélation herméneutique et critique leurs récits de vie et de foi avec des textes bibliques par tissage et résonance mutuels. Ce sont les visages du Seigneur miséricordieux et juste que l’A. retient de l’enseignement scripturaire et magistériel pour répondre à sa question initiale : « Comment parler de Dieu à un enfant de rue ? »

– Il en arrive alors à proposer un vaste projet pastoral intitulé : « Une famille, lieu d’espérance et de vie », avec une multitude de suggestions pour (re)donner sa place à la famille dans la société et l’Église congolaises et s’attaquer aux causes de la maltraitance, avec les champs d’action suivants : la pastorale familiale de préparation au mariage et d’accompagnement des couples ; la catéchèse intergénérationnelle ; la pastorale de solidarité et la pastorale œcuménique.

Association et interpellations

Après l’explicitation des étapes de fondation de son Association Kakasu (chapitre 7), l’A. ajoute dans sa conclusion une multitude d’interpellations envers l’État, la politique, la justice et les médias congolais, de manière à ce qu’ils prennent à bras le corps cette problématique des enfants de la rue, qu’ils appliquent les législations existantes et qu’ils osent intervenir envers les Églises menant abusivement des pratiques de délivrance au détriment de la population.

Il s’agit donc d’une authentique recherche qui apporte du neuf dans une problématique commune à beaucoup de pays africains, qui assoit sa réflexion sur un corpus empirique valable, et formule des propositions de pastorale familiale pour révéler aux enfants de la rue le visage d’un Dieu que les aime et qui les sauve. Et il montre par l’exemple de Kakasu que ce n’est pas une utopie irréalisable.

Abbé François-Xavier Amherdt

Professeur émérite de théologie à l’Université de Fribourg

VII Préface

SOMMAIRE

Chapitre premier : Explication des concepts de base .........................

Chapitre deuxième : Genèse et évolution de l’Église catholique en République démocratique du Congo

Chapitre troisième : Église catholique et société congolaise 156

Chapitre quatrième : Analyse, interprétation et explication des résultats des enquêtes de terrain .............................................. 196

Chapitre cinquième : Analyse des résultats des enquêtes selon la méthode d’Étienne Grieu : quelques entretiens avec des enfants accusés de sorcellerie 245

Chapitre sixième : Relecture de quelques textes bibliques et réflexions théologiques ...................................................... 300

Chapitre septième : Présentation de l’association Kakasu et du centre d’accueil « Maison de vie Saint Joseph Kakasu » dans l’encadrement des enfants

1
Introduction générale ...................................................
39
99
abandonnés
379 Conclusion générale .................................................... 400 Bibliographie 419 Annexes 433
.................................................

DÉDICACE

Je dédie ce travail à Patricia, cet enfant parti très tôt de cette terre à cause de la méchanceté des hommes et à tous les enfants de la rue qui sont morts sans amour.

Je dédie ce travail à Luciana et à Carlo ARGAN, à Carmela Barletta et Pierino QUARANTA et famille Quaranta, à Anne-Marie KOLLY avec qui nous avons fait le premier pas. Je le dédie également à mes parents, Muambuyi Astrid Bukumba et particulièrement à notre cher papa, d’heureuse mémoire, Sébastien Kabundi Shambuyi qui nous a quitté le 3 décembre 2020, pour l’amour qu’ils m’ont donné et pour leur rôle de grands-parents qu’ils ont toujours joué dans l’encadrement des enfants soutenus par Kakasu.

Un fait mérite d’être souligné : je me souviens d’avoir reçu un matin l’appel de Kinshasa d’une personne que je ne connaissais pas, insistant pour que j’appelle urgemment un enfant qui était tombé très malade en prison et qui avait été transporté à l’hôpital. Je me suis vite exécuté et ai demandé à mes parents d’aller rendre visite à l’enfant en question dont j’ignorais l’existence mais qui était malade et en prison.

Ils se sont rendus à l’hôpital Sanatorium de Selembao où il était hospitalisé. Il s’agissait en réalité d’un des enfants de Kakasu qui avait quitté la maison de vie avec un certificat de mécanique en poche. Malheureusement, une fois parti, il s’est retrouvé de nouveau dans la rue où il a été arrêté par la police ; il a fini par passer plusieurs années à la prison centrale de Makala. Ils m’ont raconté combien ils ont été mal accueillis par les policiers placés auprès des prisonniers malades, qui se sont adressés à eux en ces termes : « Vous êtes de grands-parents irresponsables, vous vous contentez de consommer l’argent de votre enfant qui est en Europe et vous oubliez votre petit-fils. Vous avez de la chance, sinon nous allions vous frapper et vous faire du mal ».

Oui, mes parents resteront ces grands-parents de tous les enfants accueillis dans l’association Kakasu.

À vous chers parents, je dédie ce travail.

Je dédie également ce travail à Mgr Gérard MULUMBA KALEMBA, évêque émérite du diocèse de Mweka, d’heureuse mémoire, qui fut pour moi un père, pour sa confiance et son amour.

À vous mes sœurs,

Marie Antoinette Mbujibungi KABUNDI, Béatrice Muanza KABUNDI, Madeleine Mbuyi KABUNDI, parties très tôt de ce monde, je dédie ce travail.

AVANT-PROPOS

Ce travail est l’aboutissement de notre réflexion autour d’une souffrance qui nous accompagne depuis plusieurs années. Avec Monsieur Martin Hofmann et Maître Joseph Bovin, membres de l’ancienne chambre du commerce Suisse-RDC, nous nous sommes vus refuser l’accès à une terrasse dans la commune de Bandalungwa, tout simplement parce que nous étions accompagnés des « enfants de la rue », « les shégués ». Cette situation s’est renouvelée encore quelques années après, toujours dans la même commune, cette fois-ci avec un autre groupe d’amis de Kakasu. Comment peut-on réduire un être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, à la rue ? Comment des femmes et des hommes peuvent-ils définir le rapport à l’autre par un espace qui n’appartient à personne ? C’est de là qu’est parti mon souci d’en savoir plus sur ces enfants, qui malheureusement occupent, encore aujourd’hui, les grandes artères de la capitale congolaise. Notre question fondamentale est la suivante : Comment puis-je dire Dieu à un enfant vivant dans le contexte de la rue ou en rupture familiale ?

Nous sommes aujourd’hui heureux d’être parvenu à terminer cette dissertation après tant d’années. Je dis bien « heureux », car ce projet date depuis longtemps, et combien d’obstacles n’ai-je pas dû traverser avant que ce projet ne prenne corps ! Ma conviction, après toutes ces années, est celle-ci : le temps de Dieu n’est pas le temps des hommes. Dieu est grand et il sait ce qu’il attend de nous. Il a ses projets sur chaque personne.

C’est la raison pour laquelle je commence par Lui rendre grâce en Le remerciant pour tout son amour dont je suis bénéficiaire. C’est Lui qui m’a donné ce cœur pour aimer et me sentir sensible face aux souffrances infligées aux enfants, c’est Lui qui m’a appelé à Le servir à travers mes frères et sœurs, c’est Lui qui continue à me montrer le chemin à suivre comme témoin de son amour.

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mon directeur de thèse, le professeur François-Xavier Amherdt, pour m’avoir accordé sa confiance et pour avoir accepté de m’accompagner dans cette dissertation doctorale. Je le remercie pour son implication, sa rigueur, son soutien et surtout pour ses encouragements tout au long de l’élaboration de ce travail. Grâce à lui, j’ai pu tenir jusqu’au bout. Mes remerciements vont également à l’Université de Fribourg, au doyen, en particulier à la faculté de théologie et aux membres du jury qui m’ont fait l’honneur d’accepter d’évaluer ce travail.

Je remercie le centre CERDAS, en particulier, le professeur Bienvenu Muchukiwa Ngusu et toute son équipe de l’université de Kinshasa pour l’aide apportée sur le plan

pratique et la qualité de leurs conseils. Leur engagement dans ce domaine m’a été très utile. C’est pour moi aussi l’occasion de remercier le professeur et abbé Fidèle Mabundu de l’université catholique de Kinshasa, d’avoir accepté d’être le deuxième censeur. Sa longue expérience dans le domaine de la théologie pratique, comme enseignant et pasteur, est un atout majeur. Je le remercie pour ses sages conseils. Ce choix n’aurait pu se faire sans l’aide de mon ami et frère de tout temps, le professeur Toussaint Tshingombe, professeur à l’université catholique de Kinshasa et à l’université nationale de Kinshasa (UNIKIN), que je remercie pour ses encouragements, signe d’amitié et de fraternité sacerdotale.

Permettez-moi de remercier sincèrement mes chers parents, ma maman Astrid Bukumba Muambuyi et mon papa Sébastien Kabundi Shambuyi, que les enfants de Kakasu appelaient affectueusement « Koko Shambuyi », le baobab, et koko Muambuyi (grand-papa Shambuyi et grand-maman Muambuyi), pour leur témoignage d’amour. Mon papa était très attaché aux enfants, à tel point qu’il ne supportait pas de les voir souffrir ou de manquer de quelque chose. Même quand il ne pouvait plus marcher normalement à cause du poids de l’âge et de la maladie, sa grande souffrance était de ne plus pouvoir arriver à la maison de vie pour voir ses petits-enfants avec lesquels il avait une complicité que j’ai toujours admirée. Merci papa, merci le grand baobab.

Je remercie également mes frères et sœurs : Patrick Mulamba, Astrid Bilonda, Sébastien Kabengele, Alain Kanku Kabundi, Mamie Ngenyibungi Kabundi, Victor Muyaya et Solange Bukumba Kabundi, mes neveux et nièces. Je serais ingrat si je ne remerciais pas mes amies et amis de tous les jours, mes confrères prêtres qui d’une manière ou d’une autre, par leurs témoignages et encouragements, m’ont aidé à poursuivre mes recherches. À mes frères et sœurs de cœur Cosimo, Maria, Antonio, Giosue, Valerio, Raffaelo, je vous dis merci.

J’adresse tout particulièrement mes remerciements à l’ensemble des membres de l’Association Kakasu qui ont contribué, de près ou de loin, à la réalisation du présent travail. Je remercie celles et ceux qui m’ont accompagné en missions humanitaires au Congo, celles et ceux qui n’ont pas pu y aller, mais qui sont très attachés aux valeurs que nous défendons. Permettez-moi de citer Anne-Marie Kolly, Christine Andrey-Müller, René Chammartin, Dénis Poffet, Stephane Tendon, Rachel Perritaz, docteur Bengasi, Gertrude Profili et Paolo Segato, Elena Santini, Marco, Solange Bukumba, Espérance Tshibwabwa, Benoît Nkunda, Polydore Kabengele, Apollidora Masukisa, Crispin Kua Nzambi, Sandra, Sylvain Tembwe… Grâce à vous, depuis des années, sans aide de l’État, notre œuvre commune continue de se porter à merveille. Je sais que je peux compter sur vous à chaque instant. Je remercie vivement aussi les amis de l’association ARNIES, Maria-Chiara de Corchiano en Italie, pour leur soutien ô combien important. Je remercie également les membres de Kakasu Congo et particulièrement maître Solange, la coordinatrice, pour

XIV
Avant-propos

Avant-propos

XV

son esprit de sacrifice et son sérieux dans la gestion des activités de Kakasu Congo. Que tout le personnel de Kakasu, les médecins, les infirmiers, le directeur de la maison de vie, les gardiens et les cuisinières, les mécaniciens… trouvent ici toute ma gratitude. Je remercie la révérende sœur Laetitia-Catherine Carron et la communauté des sœurs du Monastère de Montorge pour leurs prières, leur précieuse aide et leur soutien infaillible. Merci également à la communauté des sœurs Marcellines de Lausanne.

Que les évêques, les confrères prêtres, les religieuses et religieux et les agents pastoraux laïcs des diocèses de LGF et de Mweka soient remerciés pour leur amour et leur aide tant matérielle que spirituelle et morale. Je suis très reconnaissant envers les paroissiennes et paroissiens des unités pastorales de Saint Protais à Fribourg et de Lausanne Nord dans le canton de Vaud. Je pense également aux amis de la paroisse Saint Martin en Valais et aux membres de l’hospitalité de Lourdes de la Suisse romande. Soyez toutes et tous bénis et que Dieu vous donne le centuple.

Il y a des amies et amis que je ne peux pas oublier de remercier : don Cosimo, les abbés Marc Donzé, Rémy Berchier, Nicolas Maillat, Bruno Kazadi, Laurent Ndambi, Nicolas et Anne-Laurence Baron, Blandine, Eusebio Domingos et famille, Giaccomo Gamba, Christophe Rivière et famille, Georgette et Lukas Nissile, Isa, John, Pauline, Annie, Monica, Angèle, Michel Troyon, Alphonse, Marion, Dénis, Carla, Anne-Marie, Ralph Bielsen, Pierrette, Alphonse, Didier et l’équipe des entrepreneurs chrétiens à Lausanne, l’équipe Notre-Dame, Gladys et Éric Toriel, Maria et Robert Schoenberg et famille, maître Mutumbo Bakafwa Nsenda… Ensemble avec vous, la raison et l’amour ont construit indéfectiblement notre amitié, une arme efficace sans laquelle je ne serais jamais arrivé au bout de cette aventure.

À toutes celles et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à la réalisation de ce travail doctoral, qu’ils trouvent ici mes remerciements les plus sincères. Sachez que vous avez tous participé, chacun à sa façon, à cet édifice doctoral. À toutes celles et ceux qui ont pu faire évoluer ce travail de quelque manière que ce soit, qu’ils trouvent ici mes remerciements chaleureux.

Je ne puis terminer sans penser à mes princes de Kakasu. Il s’agit de tous les enfants, filles et garçons, accueillis ou parrainés, rencontrés sur notre chemin depuis des années. Vous faites désormais partie de ma vie et de mes pensées quotidiennes. Merci pour la confiance que vous m’accordez et pour votre amitié. C’est grâce à vous et pour vous que ce travail a du sens. Merci.

À toutes et tous, je vous dis sincèrement merci.

Mille mercis.

LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES

AAS : Actae Apostolicae Sedis

AFIC : Alliance des Forces Islamiques pour le Changement

AJAK : Association des Jeunes Adeptes Kimbanguistes

AOTA : Association Œcuménique des Théologiens Africains

ASBL : Association Sans But Lucratif

BICE : Bureau International Catholique pour l’Enfance.

BNCE-RDC : Bureau National Catholique de l’Enfance en RDC (BNCE-RDC)

BMS : Baptist Mission Society

B.O.P.R. : Bureau d’Organisation des Programmes Ruraux

CBZO : Communauté Baptiste Zaïre Ouest

CEB : Communauté Ecclésiale de Base

CEDI : Centre protestant d’Edition et de Diffusion

CDE : Convention Relative aux Droits de l’Enfant

CEDREF : Centre d’Enseignement, de Documentation et de Recherche pour les Études Féministes

C.E.P. : Centre d’Études Pastorales (Facultés Catholiques de Kinshasa)

CENCO : Conférence Épiscopale Nationale du Congo

CER : Centre d’Études et de Réflexion

CERA : Centre Études des Religions Africaines

CEVB : Communauté Ecclésiale de Vivante de Base

C.E.Z. : Conférence Épiscopale du Zaïre

CMUSC : Communauté Méthodiste Unie du Sud Congo

CNDH : Commission Nationale des Droits de l’Homme

C.O.E. : Conseil Œcuménique des Églises

CPC : Conseil Protestant du Congo

CPZ : Conseil Protestant du Zaïre

CT : Chef des Travaux

CRA : Cahier des Religions Africaines

DA : Dialogue et Annonce

DC : Documentation Catholique

DM : Dialogue et Mission

DSP : Division Spéciale Présidentielle

E.A. : Ecclesia in Africa

ECC : Église du Christ au Congo

ECZ : Église du Christ au Zaïre

EDR : Enfants Dits de la Rue

EIC : État Indépendant du Congo

EJCSK : Église de Jésus Christ par le prophète Simon Kimbangu

FARDC : Forces Armées de la RDC

FIUC : Fédération Internationale des Universités Catholiques

FSSAP : Faculté des Sciences Sociales, Administratives et Politiques, Université de Kinshasa

GS : Gaudium et Spes

INPP : Institut National de Préparation Professionnelle

XVIII Liste des abréviations, sigles et acronymes

LG : Lumen Gentium

LIM : Livingstone Irland Mission

LPE : Loi portant Protection de l’Enfant

MINAS : Ministère des Affaires Sociales, Action Humanitaire et Solidarité Nationale

MNC : Mouvement National Congolais

MPR : Mouvement Populaire de la Révolution

NA : Nostra Aetate

NRT : Nouvelle Revue Théologique

OCDE : Organisation de Coopération et Développement Économique

OIT : Organisation Internationale du Travail

OMS : Organisation Mondiale de la Santé

ONU : Organisation des Nations Unies

PDSC : Parti Démocratique Social-Chrétien

PLC : Parti Libéral Chrétien

P.U.A. : Publications Universitaires Africaines

P.U.F. : Presses Universitaires de France

RAT : Religions Africaines Traditionnelles

RCA : Revue du Clergé Africain

RDC : République démocratique du Congo

RH : Redemptor Hominis

RM : Redemptoris Missio

RPI : Rassemblement Politique Islamique

SCEAM : Symposium de Conférences Épiscopales d’Afrique et Madagascar

SMF : Society Mission Foreign

UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’enfance

UNIKIN : Université Nationale de Kinshasa

UPN : Université Pédagogique Nationale

ABRÉVIATIONS UTILISÉES POUR LES

LIVRES BIBLIQUES

Ancien testament

1 Ch I Chroniques

2 Ch II Chroniques

1 M Maccabées

2 M Maccabées

1 R I Rois

2 R II Rois

1 S I Samuel

2 S II Samuel

Ab Abdias

Ag Aggée

Am Amos

Ba Baruch

Ct Cantique des cantiques

Dn Daniel

Dt Deutéronome

Esd Esdras

Est Esther

Ex Exode

Ez Ézéchiel

Gn Genèse

Ha Habakuk

Is Isaïe

Jb Job

Jdt Judith

Jg Juges

Jl Joël

Jon Jonas

Jos Josué

Jr Jérémie

Lm Lamentations

Lv Lévitique

Mi Michée

Ml Malachie

Na Nahoum

Nb Nombres

Ne Néhémie

Os Osée

Pr Proverbes

Ps Psaumes

Qo Écclésiaste (Qohélet)

XX Abréviations utilisées pour les livres bibliques

Rt Ruth

Sg Sagesse

Si Ecclésiastique (Siracide)

So Sophonie

Tb Tobie

Za Zacharie

Nouveau testament

1 Co I Corinthiens

2 Co II Corinthiens

1 Jn I Jean

2 Jn II Jean

3 Jn III Jean

1 P I Pierre

2 P II Pierre

1 Th I Thessaloniciens

2 Th II Thessaloniciens

1 Tm I Timothée

2 Tm II Timothée

Ac Actes des apôtres

Ap Apocalypse

Col Colossiens

Eph Éphésiens

Ga Galates

He Hébreux

Jc Jacques

Jd Jude

Jn Évangile selon saint Jean

Lc Évangile selon saint Luc

Mc Évangile selon saint Marc

Mt Évangile selon saint Matthieu

Ph Philippiens

Phm Philémon

Rm Romains

Tt Tite

INTRODUCTION GÉNÉRALE

1.Problématique

Il y a presque 20 ans que nous travaillons avec les enfants qu’on nomme « enfants de la rue », dans une association dénommée Kakasu1. Durant ce laps de temps, nous avons vu défiler bien des jeunes, et nous avons pu en aider certains, tant bien que mal. Il est grand temps pour nous de rendre compte de ce que nous avons découvert à travers ces enfants, qui nous appellent le plus souvent « papa monsieur l’abbé ».

Devant cette problématique des enfants de la rue accusés d’être sorciers qui se répand de plus en plus au Congo-Kinshasa, si, comme chrétiens, nous sommes appelés à proclamer ouvertement notre espérance en Jésus-Christ, le Fils du Père venu dans le monde pour nous sauver, nous libérer de la puissance du mal (1 P 1, 3 ; 1 Tm 1, 1) et que cette espérance n’est pas une utopie, mais plutôt une réalité lumineuse, certaine, tout entière attachée au Seigneur Jésus, à son œuvre du salut et à sa résurrection d’entre les morts, car en lui s’accomplissent toutes les promesses de Dieu (2 Co 1, 20 ; R m 15, 8), notre mission consiste à témoigner de notre foi et de notre espérance et à décourager tous ceux qui tirent profit de la souffrance infligée aux enfants, considérant que le baptême en Jésus-Christ apporte par lui-même salut, guérison et délivrance.

Cette étude soulève une véritable angoisse existentielle quant à la survie des enfants notamment : le regard des autres vis-à-vis des enfants, la peur du démon ou du mal, la difficile problématique de la réinsertion familiale, la question de l’accueil ou de l’acceptation dans le monde de la rue (le bizutage entre les anciens et les nouveaux venus), le problème de la drogue ou des drogues et la détermination des bénéficiaires de l’aide.

Le regard des autres sur les enfants de rue2 traduit la violence et l’exclusion de la société. La simple évocation du mot « shégué »3 ou enfant de la rue provoque dans la société sans distinction une réaction de méfiance, une attitude de peur, une angoisse qui

1 Basée à Rossens dans le canton de Fribourg, l’association est formée d’amis répartis dans plusieurs pays. À Kinshasa, « La maison de vie » accueille une vingtaine de garçons. Pour les filles, nous avons développé un système de soutien nommé « adoption à distance » et un atelier de couture. Nous allons donner davantage de détails plus loin. Cf. : https://www.kakasu-ong.org.

2 À Kinshasa, où s’entassent, dans des conditions souvent rudes, près de 12 millions d’habitants, le nombre de shégués serait supérieur à 20'000, avec presque autant de filles (46%) que de garçons (54%).

3 Les jeunes entre eux ne s’appellent pas par l’expression « shégué », dont l’origine est incertaine. Il existe plusieurs hypothèses. Certains disent que ce serait une abréviation de Che Guevara, en hommage au révolutionnaire cubain. D’autres, plus nombreux, affirment que le mot viendrait du

ne se justifie pas. Puis, quand on associe à ce mot « shégué » l’attribut de « sorcier », la situation devient encore plus compliquée, pas seulement dans la propre famille du jeune, mais aussi pour les voisins et toute la société. Car si l’expression « enfant de la rue » provoque de la violence de la part de ceux qui la prononcent ou l’entendent, désigner un enfant comme sorcier soulève encore plus de défiance, parce qu’il se voit considéré comme une personne hors normes. Le regard change et la méfiance s’installe même sans le vouloir. Il s’agit d’une victimisation exclusive par la société, qui est pourtant censée protéger les enfants de la rue.

Le regard de la société sur les enfants de la rue est un regard très négatif fait de rancœur, de jugement, de condamnation. Un regard qui chosifie, comme l’a très bien dit Jean-Paul Sartre : « Le regard d’autrui me dépossède de ma totale liberté, en faisant de moi un objet. Il fige ma liberté, parce qu’il me juge. Le sens de mon être n’est plus seulement en moi-même, mais dans la conscience d’autrui. Il parle en effet de moi comme d’une chose, en disant : Il est ceci, il est comme cela, alors que je ne suis rien. Mais c’est aussi cela qui permet la connaissance de soi. En effet, sans le regard d’autrui sur moi, je n’aurais pas l’occasion de me prendre moi-même pour objet, en essayant de me voir comme me voit autrui. Je serais un être sans réflexion sur lui-même, une pure spontanéité »4. Sartre a raison dans la seconde partie de cette citation quand il souligne que le regard d’autrui peut être l’occasion pour soi-même de se sentir pris pour un objet5. Dans le cas des jeunes ou enfants de la rue, le regard de la société appelle à la violence et forge, malheureusement, leur caractère.

Les enfants de la rue suscitent la peur car, selon la conscience collective imposée par les prophéties des hommes de Dieu, ils sont une véritable incarnation du démon. Comme on les accuse d’être des sorciers, la famille et la société deviennent méfiantes vis-à-vis d’eux. La peur du démon hante beaucoup de personnes et souvent elles se mettent à la recherche de celui qui peut enlever ce mal dans la personne de l’enfant. Or, avant que cela ne se réalise, très peu nombreuses sont les familles qui acceptent la présence d’un enfant dit sorcier dans la maison et tolèrent de vivre avec lui sous le même toit. Ces enfants sont

haoussa, une langue souvent parlée par les commerçants venus d’Afrique de l’Ouest et qu’il signifierait « bâtard ». Dans tous les cas, c’est péjoratif d’être appelé shégué. 4 Philosophe, écrivain et dramaturge, Jean-Paul Sartre (1905–1980) s’est imposé dans les années 1950 comme le maître de l’existentialisme. Pour lui, l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il fait de sa vie, comme il l’exprime dans ses essais L’Être et le néant (1943), L’existentialisme est un humanisme (1946), mais aussi dans ses pièces de théâtre : Les mouches (1943), Huis clos (1944), Les mains sales (1948) – et ses romans : La Nausée (1938), Les chemins de la liberté (1945–1949). Il s’est ensuite engagé dans l’action politique aux côtés du parti communiste, puis des mouvements gauchistes à partir des années 1970.

5 Cf. Jean-Paul SARTRE, L’être et le néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 311.

Introduction
2
générale

chassés et envoyés dans les Églises pour y être exorcisés, ce qui fait l’affaire des pasteurs ou hommes de Dieu des Églises de réveil.

La plupart des enfants qui sont dans la rue demandent de rentrer un jour ou l’autre dans leur famille. Ils sont très conscients de l’importance de la famille, cette cellule de base, cette Église domestique. Comme l’a si bien souligné le pape François lors de l’audience générale du nous : « Nous pouvons dire que la famille est depuis toujours l’hôpital le plus proche. Aujourd’hui encore, dans de nombreuses parties du monde, l’hôpital est un privilège réservé à de rares personnes et souvent, il est éloigné. Ce sont la maman, le papa, les frères, les sœurs, les grands-mères qui assurent les soins et qui aident à guérir »6 Nous avons nous-même essayé ou tenté de telles réconciliations plusieurs fois. Ce n’est pas du tout facile.

La famille considère l’enfant qui a quitté la maison comme un mort, un inconnu. Son départ de la maison est vu comme un soulagement et son retour, comme une menace qui vient de nouveau mettre à mal la quiétude soi-disant obtenue. La seule solution est de laisser cet enfant vivre au loin. Ce n’est pas qu’on souhaite sa mort, mais il doit exister à l’écart, loin du regard de sa famille. À titre d’exemple, nous pouvons citer le cas d’Arnold. En 2007, la première promotion des enfants encadrés par l’association sans but lucratif Kakasu venait de terminer sa formation (mécanique, menuiserie, charpentier, maçonnerie…). Dans la joie de démontrer à sa famille qu’il était un enfant comme les autres, Arnold a demandé à ses amis et frères de Kakasu de l’accompagner auprès des siens afin de leur montrer son attestation de fin de formation. Il était tellement heureux et joyeux de s’y rendre qu’il ne s’imaginait pas du tout ce qu’il allait expérimenter dans la cellule familiale. Une fois arrivé à l’entrée de la parcelle, les personnes à l’intérieur lancèrent un grand cri : « Bokeba na ba ciombo na bino », ce qui veut dire : « Faites attention avec vos téléphones portables », sous-entendu : « Les voleurs sont là, prenez garde à vos téléphones ». Quelle honte et quelle déception pour Arnold qui avait prié avec insistance ses amis de l’accompagner chez sa famille ! Essayons de réfléchir un instant aux conséquences. Chaque personne humaine tient à être respectée et estimée et souhaite que les autres l’apprécient, mais lorsque la famille vous considère comme un voleur, un vaurien, la réconciliation devient problématique et demande un processus plus ou moins long : cela dépend des moyens humains, psychologiques, spirituels, et aussi matériels à mettre en jeu7

6 Pape François, Audience Générale, Place Saint-Pierre, Mercredi 10 juin 2015 (www.vatican.va, audiences, 2015, documents). Il s’agit d’une expression chère au pape François qu’il a répétée dans son homélie rendant hommage à la famille lors d’une messe en plein air sous une chaleur écrasante au « Parque de Los Samanes » de Guayaquil (6 juillet 2015), en Équateur, première étape de son voyage en Amérique latine (www.radiovaticana.va 6 juillet 2015), consulté le 10 octobre 2021.

7 Nous pouvons également évoquer un autre témoignage, celui du jeune Grâce. Grâce fait partie des premiers enfants de la rue que nous avons accueillis dans l’association Kakasu à Kinshasa en 2002.

1.Problématique 3

Même dans la rue, l’accueil des enfants qui quittent leur famille n’est pas facile. Ils sont victimes de maltraitance ou du phénomène du bizutage de la part des anciens8. Les rencontres avec les jeunes nous ont aidé à comprendre comment un enfant quittant son domicile familial arrive à intégrer la rue. Souvent nous nous faisons une idée très fausse du monde de la rue et les enfants fugueurs aussi. La rue n’est pas un espace de vie et de gain faciles. La rue a ses codes et pour y accéder, il faut suivre et respecter scrupuleusement les différentes règles de conduite. C’est ainsi que chaque enfant qui pénètre dans le monde de la rue passe nécessairement par une certaine initiation, par certains rites de passage. Malheureusement, plusieurs échouent et en gardent des traumatismes durant toute leur vie. Il s’agit du bizutage, phénomène qui se produit dans beaucoup de domaines. Nous pouvons citer par exemple le milieu universitaire dans le monde entier. De telles pratiques ne sont pas admises, mais continuent malheureusement.

Dans la rue, en effet, les enfants fugueurs doivent prouver leur endurance physique et morale face aux sévices corporels infligés dès leur arrivée par les anciens occupants de l’espace rue. Pour les enfants de rue, l’accès passe par des rites initiatiques. Ces rites ont un double objectif : évaluer l’endurance physique du néophyte et adapter l’initié aux rudes conditions qu’il aura à affronter une fois dans la rue9 . Comme nous venons de le dire, ces rites de passage ont pour but de prouver l’endurance physique et psychique de ces enfants à affronter les difficultés de la vie dans la rue. Car la rue ne fait pas de cadeau, il y a de la violence et il faut être fort pour résister, et surtout pour y vivre. Mais celui ou celle qui est confronté à la violence devient, d’une

Bengasi BATTISTI, maire de la commune de Corchiano et médecin à Viterbo, s’était occupé de la plaie de cet enfant. Il avait fini par nous raconter son histoire, et souhaitait que nous l’aidions à retourner parmi les siens. Demande que nous avons acceptée bien sûr, sans imaginer ce qui allait se passer. Il nous conduisit un matin dans un quartier de la commune de Bandalungwa. À notre arrivée, nous avons salué les personnes présentes dans la maison. Avant même que nous ayons terminé ce protocole d’usage, la simple apparition de Grâce a fait l’effet d’un tsunami. Nous avons été accueillis comme des pestiférés. Moi, j’étais encore toléré, mais pas le jeune Grâce. Il ne devait pas poser le pied dans la maison, car en tant que « sorcier », selon leurs dires, il portait malheur, et son retour était un grand risque pour les habitants. La situation était tellement difficile et dangereuse que nous nous sommes résolus à repartir sans autre forme de procès. L’unique solution était de rentrer avec lui, tout en priant les personnes présentes de transmettre à son papa notre souhait de le rencontrer. Le lendemain, en effet, il était là, reconnaissant que c’était bien son fils. Mais il ne pouvait pas prendre le risque de le ramener de nouveau à la maison pour le moment. Son seul souhait : qu’il fût loin de lui et de sa famille (il avait une deuxième femme). Ce fut pour nous un premier baptême du feu très violent, de voir ainsi un enfant chassé de sa propre famille pour la seule raison qu’il était « sorcier », en avançant toute sorte de raisons afin de justifier cette décision.

8 Nous aurons l’occasion de raconter comment se passe l’accueil des nouveaux enfants dans la rue par les plus anciens. Il existe des rites initiatiques à respecter scrupuleusement pour les filles et également pour les garçons. Voir les cas de Xavier et Gisèle au chapitre 4.

9 Voir les témoignages de Xavier et Gisèle au chapitre V, section 1, sur la maltraitance.

Introduction générale 4

manière ou autre, violente ou violent à son tour. C’est la continuité de la spirale de la violence dans une société qui est plutôt appelée à créer des conditions de paix et de bonheur pour son peuple. Ce qui explique la présence du phénomène « kuluna » dans beaucoup de provinces10 .

Il en ressort clairement que les relations des enfants de la rue avec autrui se présentent comme essentiellement conflictuelles. Pour emprunter encore le langage de Jean-Paul Sartre dans la relation avec autrui : « Soit autrui est l’objet, et moi le sujet ; soit il est le sujet et moi l’objet. À la dépossession de ma liberté par le regard d’autrui, la riposte est simple : je vais retourner mon regard contre lui, et réduire sa liberté au rang d’objet »11 C’est cela que vivent les enfants de la rue, confrontés chaque jour à la lutte contre les intempéries et contre toute la société pour survivre. Ils doivent affronter la dureté de ce milieu, se faire une place et se forger une identité, qui malheureusement est mal perçue par la société, étant en lien avec la rue.

Il s’agit aussi de déterminer dans notre réflexion les bénéficiaires potentiels de l’aide à envisager. À première vue, nous pourrions penser qu’il n’y a que les enfants de rue qui ont besoin d’aide. Si nous réfléchissons de la sorte, nous nous trompons complètement, car tout le monde a besoin d’aide. Il y a tout d’abord les enfants de rue, bien sûr, car ce sont eux qui constituent le sujet de notre dissertation. Ils ont vraiment besoin d’un encadrement, d’un accompagnement multiforme ne consistant pas seulement dans la nourriture. Il y a les autres aspects de la vie qui sont très importants, comme un accompagnement psychothérapeutique indispensable pour tous les enfants, surtout pour celles et ceux qui ont connu de terribles atrocités physiques ou morales. Nous pensons aux filles violées par des adultes… mais aussi aux parents, par exemple. Dans le cas du jeune Dieu-Merci12 , sa

10 Les Kulunas sont des bandits souvent armés de machettes. Ces jeunes délinquants, dont l’âge varie entre 13 et 20 ans, sont très violents. Ils peuvent débarquer à l’improviste, le jour mais surtout la nuit et arrachent tout sur leur passage : téléphones portables, sacs et autres articles qui les intéressent. Cette population sème la terreur dans plusieurs quartiers de Kinshasa. Ce qui étonne, c’est parfois le silence et la passivité de la police devant ces jeunes délinquants. On peut ajouter ce qui suit : le kuluna est un phénomène social objet de plusieurs études publiées. Il remplit les bibliothèques de l’Université de Kinshasa (UNIKIN), de l’Institut supérieur pédagogique (ISP) de la Gombe, de l’Université pédagogique nationale (UPN), etc. La crise axiologique causée par un mauvais système de gestion de la chose publique, la res publica, en est la cause principale. Le manque d’une politique socio-économique cohérente a engendré une vie précaire de pauvreté dans nos sociétés. Ainsi, certains parents sont devenus incapables de scolariser leurs enfants, ou de louer une maison décente en fonction du nombre d’enfants. Quand il y des divorces, certains enfants s’éloignent de leurs parents pour soi-disant se débrouiller. De ce fait, nous avons aujourd’hui une société congolaise où se vivent des inégalités criantes : une bourgeoisie qui est montée très rapidement dans la hiérarchie avec un prolétariat difficile à décrypter.

11 Jean-Paul SARTRE, L’être et le néant, p. 311.

12 En juillet 2003, l’association Kakasu avait organisé une colonie des vacances au centre don Bosco de Lingwala (Kinshasa) pour une centaine d’enfants en situation de rue. Une fois rentré en Suisse,

1.Problématique 5

maman avait grandement besoin d’être rassurée par nous : « Monsieur l’abbé, qu’avezvous fait pour sa sorcellerie ?», disait-elle au téléphone. Elle attendait non seulement une assurance mais – sans l’avoir dit explicitement – également un accompagnement d’ordre spirituel, peut-être aussi une aide matérielle.

Les enfants, filles ou garçons de rue, vivent dans la violence physique ou mentale. Leur existence dans la rue est très difficile et parfois, nous nous posons la question de savoir pourquoi ils préfèrent être violentés dans la rue plutôt que dans leur propre famille.

Mais de fait, la réponse à cette question n’est pas du tout simple, car eux-mêmes ne savent pas comment y répondre.

C’est autour de ces lourdes questions partant du regard (négatif) de la famille et de la société sur les enfants de rue, de la violence qu’ils subissent et font subir aussi dans la famille et dans la rue, de l’accueil dans le monde de la rue, de tous ces éléments qui provoquent des angoisses existentielles, que nous voulons voir comment apporter notre contribution tout au long de ce travail.

La famille est la base de tout. Dès sa naissance, en effet, tout être appartient à une famille. Celle-ci a le devoir de lui assurer protection et santé. L’enfant devrait y trouver la satisfaction de ses besoins essentiels, élémentaires : être éduqué, nourri, habillé, et surtout être aimé et protégé. Or, des enfants nous ont confié être partis de la maison car on les prenait pour des « sorciers », responsables des malheurs de leurs parents, qui les avaient chassés. Ils errent alors dans la rue mais souhaiteraient souvent retourner dans leur famille.

Il y a beaucoup à faire pour réconcilier ces jeunes avec leur famille, la société, mais aussi l’Église. Il y a en effet de nombreuses causes qui conduisent un enfant dans la rue, comme la pauvreté, la polygamie, le veuvage et/ou les remariages, les divers malheurs et malchances de la famille,… Mais à travers tout ça, il en est une qui nous intéresse au plus haut point, c’est la cause religieuse.

De quoi s’agit-il ? Lorsque dans une famille surgissent des problèmes, des maladies ou d’autres malheurs inexpliqués, parfois le tort est mis sur des personnes fragiles et qui ne savent pas se défendre, une personne âgée ou un enfant, désigné comme sorcier. Il est

nous nous souvenons de l’appel d’une maman qui nous avait bouleversé après ladite colonie des vacances : « Bonjour monsieur l’abbé Célestin. Moi c’est la maman de Dieu-Merci. Je vous remercie pour son accueil et son encadrement ; mais je voudrais savoir ce que vous avez fait pour sa sorcellerie ? » C’est très grave d’entendre des mots comme cela de la part d’une mère qui a porté pendant plusieurs mois son enfant dans son sein. Notre réponse fut celle-ci : « Madame, je n’ai pas accueilli au centre un sorcier, mais bien un enfant. » Nous avons alors coupé la communication tellement nous étions choqué. Aujourd’hui, nous regrettons de n’avoir pas pu prolonger le dialogue avec cette maman. Nous comprenons que les parents aussi ont besoin d’aide. Ils ont besoin d’un accompagnement.

Introduction générale 6

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