Calcaire : de la matière au matériau

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Vers un retour de la pierre massive en architecture contemporaine en France

Simon REYNAUD - Mémoire de fin d’études - ENSA Paris La Villette - 2021



Vers un retour de la pierre massive en architecture contemporaine en France Simon REYNAUD Mémoire de recherche encadré par Flavie PINATEL & Esteban RESTREPO

Dans le cadre du Séminaire Art Architecture et Cinéma, Au sein de l’Ecole Nationale Supérieur d’Architecture de Paris La Villette

Membres du Jury : Flavie PINATEL, Esteban RESTREPO, Mina Saidi SHAROUZ, Hugues REIP, Valérie JOUVE, Marylène NEGRO

Années 2019/2021- numéro d’étudiant n°17860

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Milles mercis à Monsieur Restrepo pour ses corrections écrites et son accompagnement. Je remercie Madame Pinatel pour sa patience et son conseil équilibré sur mon court-métrage. Je souhaite aussi remercier mes proches qui ont su être honnêtes envers mon travail. Un grand merci à Yves Auzou qui m’a ouvert les portes de son atelier et donné ses contacts avec simplicité. Encore merci à Gary Gouri de l’entreprise Proroch, que je sollicite depuis maintenant plusieurs années, et avec qui j’ai pu échangé longuement sur l’état de la filière pierre. J’admire son travail et son dévouement, pour valoriser la pierre au plus grand nombre. Merci à Pierre Mariotta pour m’avoir ouvert les portes de ses carrières et ses réponses sans filtre. Et je terminerai mes remerciements avec une pensée pour tous ces artisans inconnus qui ont œuvré toute leur vie sur la pierre.

Couverture : blocs de pierre massive en carrière, série de photos prises par le photographe à l’occasion de l’exposition Pierre du Pavillon de l’Arsenal. Photographe : Giaime Meloni.

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AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION .6 PARTIE 1 : DE LA MATIERE AU MATERIAU DE CONSTRUCTION, DE LA ROCHE A LA PIERRE

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Premières pierres

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a. Formation géologique des roches et de la pierre calcaire b. Classification des calcaires en France (Cartes géologiques) c. Les calcaires tendres

PARTIE 2 : REEMPLOYER DES SAVOIRS CONSTRUCTIFS DURABLES EN PIERRE MASSIVE

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Gardiens de la Pierre

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a. Architecture et Pierre : entre Modernisme et Régionalisme Critique b. Le retour des matériaux locaux et de la pierre massive en architecture

PARTIE 3 : UNE ARCHITECTURE CONTEMPORAINE DE PIERRE MASSIVE PLURIELLE

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Deux mondes parallèles de la Pierre

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a. b. c. d.

La pierre massive aujourd’hui Gilles Perraudin : Une radicalité qui fédère une architecture française de la pierre massive Eliet & Lehmann : une vision entrepreneuriale (Bry-Sur-Marne) Barrault & Pressacco : le bon matériau au bon endroit

CONCLUSION

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EPILOGUE

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BIBLIOGRAPHIE

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FILMOGRAPHIE TABLE DES ILLUSTRATIONS ET DES FIGURES

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C’est au cours d’une conférence d’architecture tenue par Gilles PERRAUDIN, alors que j’étais au collège, que mon intérêt pour l’architecture est né. C’est son discours sur l’architecture de pierre qui a su me toucher en premier. Matériau fondamental de nos cœurs de villes, caractéristique des villages de ma Provence natale, il amène calme et fraicheur d’esprit dans les lieux. Lors de cette conférence, l’architecture, que j’appréciais déjà, a pris une dimension engagée et contemporaine. G. PERRAUDIN parle en effet de redévelopper une éthique constructive en dénonçant un système industriel et législatif. Il présente la pierre comme un matériau oublié des chantiers, aux propriétés pourtant pertinentes. Enfin, avec un verbe amoureux de la matière, une esthétique liée au contact de la lumière et au toucher, Gilles PERRAUDIN a réussi à transmettre cette passion et l’intérêt de reconsidérer ce matériau plus que millénaire. Cette expérience m’a permis de regarder nos villes différemment. Ces murs de pierres calcaires au grain fin, qui s’usent au cours des siècles et des pluies, du frottement des passants et qui patinent sa texture rugueuse.

Ma démarche, une fois intégré au cursus de l’ENSAPLV, a été de penser des projets avec des matériaux locaux. Cette sensibilité matérielle a été mise de côté intentionnellement par mes enseignants de projet, conscients que ce n’était pas la priorité de mon début de formation. J’ai néanmoins pu me consacrer patiemment à ce matériau lors de mon stage d’ouvrier dans une entreprise de construction en pierre massive (Proroch, Luberon). J’ai ensuite fait mon stage de première pratique dans une agence d’architecture qui réalise des projets en pierre massive dans le bassin parisien (Eliet & Lehmann, Paris 11). Craignant ensuite de m’enfermer dans le sujet trop spécifique que pourrait être la pierre, je décidais de faire mon rapport de licence sur « La place de l’artisanat traditionnel en Architecture et ses savoir-faire et techniques, de la révolution industrielle jusqu’à nos jours ». Ce travail préliminaire, en amont de ce présent mémoire m’a permis d’élargir mes recherches sur mes connaissances en architecture vernaculaire. J’ai découvert d’anciennes méthodes de construction qui ont nourri l’architecture au cours des derniers siècles. Ce recul m’a permis de confirmer mon intérêt et mon implication pour ce sujet qu’est la pierre. Je ferai part dans le mémoire qui suit, de mes recherches et rencontres autour de cette pierre qui rassemble des 4


esprits alliant tradition et innovation et des petites mains, des mains rugueuses, des mains agiles et toujours … des mains de passionnées. Le choix de traiter ce sujet au sein du Séminaire Art Architecture et Cinéma vient de l’idée d’aborder ce matériau sous d’autres angles que l’architecture pure et dure. Je peux aujourd’hui formuler le fait que j’ai été attiré par cette pierre calcaire très jeune grâce à des choses pas forcément explicables avec des mots. Ces choses que seuls mes sens comprennent. C’est selon quelque chose de plus fort qu’un champ intellectuel ou qu’une conviction idéologique que pourraient représenter la pierre massive. Ces pierres ont une âme, une histoire émouvante qui nous parlent, et dont on est plus ou moins sensible. C’est pour cette aspect métaphysique de la pierre qu’il m’a paru justifié de l’explorer avec notamment le prisme de l’Art, du Cinéma et de rencontres, du sensible donc.

Vous comprendrez donc je l’espère pourquoi ce mémoire s’affranchie quelque part du format formel et scientifique qu’on souvent les mémoires universitaires. Mon but est d’être autant technique que sensible, et c’est à cette jonction que l’Architecture se trouve. Du moins je pense avoir compris cela de mes lectures et de ma petite expérience d’étudiant. Je vous souhaite une bonne lecture, en espérant que cela vous intéresse.

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Figure 1 : Carrières Hugot - Photo : Simon


Construire un bâtiment en pierre massive a longtemps été une pratique classique. Ce matériau était d’ailleurs réservé aux bâtiments publics ou royaux autant du fait de son coût que de sa durabilité dans le temps. Aujourd’hui, ce « matériau naturel » se redéveloppe en architecture contemporaine, comme le bois. Le regain d’intérêt pour ces matériaux dits « naturels » vient d’une prise de conscience environnementale grandissante. Aussi est-il intéressant, avant d’utiliser ce matériau, de se demander quelle est sa place dans l’architecture contemporaine. Au travers d’une approche aussi objective que sensiblement possible comme annoncé dans l’avant-propos, j’aborderai les avantages et contraintes que ce matériau constructif propose pour son développement. Matériau millénaire, l’usage de la pierre massive est pourtant devenu aujourd’hui anecdotique et symbolique, souvent réservée au secteur des monuments historiques. Je m’attacherai à comprendre pourquoi tel est le cas et quelles dispositions ont été prises par ce secteur pour se redévelopper. Alternant successivement mon approche sensible et technique du sujet, je procéderai en 3 étapes distinctes et interdépendantes.

La première tente de parler simplement de la pierre en tant que matière, matière plus que millénaire et aux multiples origines. Il s’agira de se sortir un instant de cette vision anthropocentrée du matériau avant de nous y plonger dans la relation qu’à la pierre avec l’Homme et ses constructions, ses habitats et finalement ses architectures. Il m’a ensuite paru essentiel d’aborder l’abandon qu’a connu la pierre massive pendant le XIX et XXème siècle, afin de faire un état des lieux de ce secteur. J’ai considéré l’analyse historique du matériau en architecture primordiale à la bonne compréhension de sa posture aujourd’hui. Elle n’entend pas être exhaustive mais permet de comprendre partiellement pourquoi nous revenons aujourd’hui à cette pierre, et généralement à ces matériaux naturels, en architecture. Enfin, nous aborderons ce qui m’a initialement intéressé le plus. Ce qu’il se fait aujourd’hui. Car s’il faut savoir être rétrospectif afin d’apprendre du passé et des ancêtres, il s’agit de ne pas ruminer sur ce qui est fait, et d’avancer activement vers une architecture plus durable. J’ai choisi de prendre 3 agences en étude afin de les comparer sur leur relation à l’architecture en pierre massive. Leurs postures vis-à-vis de ce matériau sont autant différentes que 6


bonnes à prendre. L’idée n’est pas de juger ou établir une préférence sur le travail de ces structures mais d’en parler, le plus objectivement possible. Je me permettrai de remettre en question leurs démarche ayant pu voir de l’intérieur certains fonctionnements, afin de tendre vers une meilleure architecture, dans l’idéal. Si cette méthode de recherche est purement chronologique, cela n’est pas l’intention originelle, loin de vouloir être linéaire et formel, cette vision s’est formée au cours de nombreux remaniements, relectures et discussion avec mes correcteurs. Avant de nous aventurer dans ce mémoire, je définirai certains termes afin d’avoir des bases communes. Il est convenu qu’un matériau naturel est un matériau issu de la nature et qui n’a reçu aucune ou très peu de modifications de l’Homme. Nous retrouvons trois types de matériaux naturels : • • •

Les minéraux (pierre, terre, chaux, argile…) Les organiques d’origine végétale (bois, foin, bambou…) Les organiques d’origine animale (cuir, feutre de laine de mouton…)

Ils ne sont pas forcément employés seuls et peuvent être assemblés pour renforcer leurs qualités constructives et 1

Un bassin sédimentaire est une unité géomorphologique en forme de cuvette plus ou moins régulière, caractérisée par une combinaison

thermiques (paille/terre pour le torchis, terre/chaux pour le pisé, pierre/bois pour les voûtains). Les intérêts de ces matériaux sont donc pluriels : un faible coût énergétique pour leur mise en forme, un faible coût économique car ils sont très souvent locaux ainsi qu’une grande durabilité dans le temps. Au vu du choix de nous concentrer sur la « pierre massive », nous définirons ce matériau : il s’agit de blocs de pierre extraits en carrière et mesurant généralement à minima 30 cm d’épaisseur. Le type de pierre varie selon les régions : grès, calcaire, craie… La longueur de la pièce dépend de sa position dans la construction. Sa hauteur aborde généralement 50cm. La pierre massive se différencie de la pierre sèche par exemple, notamment de par sa dimension, son processus d’extraction en carrière et le travail de sa découpe jusqu’à l’acheminement sur le site de construction. On l’appelle aussi fréquemment « pierre de taille », « pierre de construction massive » ou encore « pierre structurelle ». Elle est composée essentiellement de calcaire, pierre que nous étudierons plus précisément. Sur le plan géographique, nous nous concentrerons sur la France avec quelques centralités plus importantes dans ce secteur que sont les bassins géologiques1 français. « Il y a des pierres tendres dans tous les bassins

de formes structurales spécifiques (cuestas, boutonnières), de témoins de surfaces d'aplanissement et de formes d'accumulation

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sédimentaires »2. En effet, en France il y a trois principaux bassins géologiques : le bassin aquitain, le bassin parisien et le bassin du Sud-Est dans la Vallée du Rhône. Nous qualifierons de « contemporaine », l’architecture des trente dernières années. Nous nous permettrons cependant d’aborder d’autres époques de l’architecture à titre d’exemple et de prise de recul. Le présent travail abordera donc le retour de la pierre de construction massive dans le paysage de l’architecture contemporaine avec comme angle d’approche les bassins géologiques français et notamment celui du Luberon. Il sera renseigné par mes recherches lectures et informations obtenues au contact des artisans et professionnels que j’ai pu rencontrer.

Figure 2 : Photo : Simon Reynaud

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Propos recueillis par mes soins lors d’un entretien avec Mr Pierre MARIOTA, exploitant carrier dans le Luberon, voir documents annexes

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Partie 1 : DE LA ROCHE A LA PIERRE

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Premières pierres A l’origine, il était un amas d’atomes. Froid et austère, on l’appelait Terre. A des milliers de kilomètres du Soleil qui commençait à réchauffer sa surface, de l’eau s’en est extraite, nourrie de ses minéraux. Et l’inerte a laissé place à la vie. Des volcans ont poussé, importés du fond des âges, de la lave a coulé, suintant des brèches terrestres. Et plus tard, des roches compressées et fusionnées des îles ont fleuri, la terre a tremblé, formant monts et marées, continents et notamment la Méditerranée. C’est en partie autour de cette mer, que le calcaire est apparu, ce même calcaire que nous avons décidé d’explorer. Calcaire blanc, rose, tendre ou violacé, coquillé ou granulé, il en existe des dizaines de milliers, mêlant dans leur gangue quartz et joyaux ambrés. Un calcaire aux milles aspects, un calcaire picoré, utilisé par les Hommes de Néandertal, employé dans les cathédrales. Cette roche est là. Toute proche, pourtant à des kilomètres de nos existences, de nos 300 000 années d’humanité. Si les roches, granits et minéraux gloussaient, on ne les entendrait quand même pas. Car si l’on parlait de l’âge Hadéen, cela ne nous évoquerait vraiment rien. Première intervalle des temps géochronologique (appelés « éons »), les formations minérales ont l’âge de la planète, soit 4,5 milliards d’années. A en faire frissonner l’humanité toute entière,

d’une peur intrépide, fascinée par la puissance de ces sous-sols inconnus, de cette planète indomptable, et de ses entrailles minérales. Après tout, c’est peutêtre ça un tremblement de terre, comme si la Terre nous rappelait : « Pacha Mama, c’est nos racines qui sont en toi, tout notre amour sera plus fort que notre désarroi, Pacha Mama, ton vase rempli à ras-bord, ils nous ont condamné à mort ! De toutes part s’élèvent nos voix, allez leur dire d’avance, que malgré leur mauvaise foi, Terre Mère n’est pas à vendre ! »3 .

Figure 4 : carte géologique du monde, Atlas ENS Lyon

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Paroles de la chanson Terre Mère n’est pas à vendre, Keny Arkana, 2017

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a. Formation géologique des roches sur Terre Au cours des plus des 4 milliards d’années qui ont formé notre planète, des phénomènes naturels qui dépassent notre imagination, ont comprimé, fondu et altéré atomes et ions. La couche terrestre en est le résultat le plus passionnant pour les géologues. Car si la roche et plus largement nos sous-sols sont considérés comme inertes, ils regorgent pourtant d’une myriade d’informations et de traces de vies passées.

dépôts de matières organiques amenés par l’eau et le vent. Ces roches se trouvent principalement dans les fonds marins et dans les régions lacustres qui sont les lieux

Toutes les roches présentes sur Terre sont classées scientifiquement en trois grandes catégories : les roches magmatiques, les roches sédimentaires et les roches métamorphiques. De manière générale, les roches magmatiques sont issues de l’activité volcanique de la planète : elles se cristallisent une fois le « magma » sorti à la surface donnant alors naissance à la lave ; ou bien restent à l’état liquide sous terre. Un exemple courant de roche magmatique est le granit. Les roches sédimentaires, que nous étudierons un peu plus longuement, sont issues comme leur nom l’indique, du phénomène de sédimentation. Ce phénomène se déroule sur des millions d’années et est le résultat de l’accumulation et de la décomposition de 4

Pression issue de la somme de la pression atmosphérique et de la masse du volume d’eau présent dans un lieu donné. Ainsi, plus la

Figure 5 : carte des carrières calcaire françaises. Source : BRGM

de dépôt courants. Les matières organiques s’y déposent et se solidifient sous leur propre poids et la pression sousmarine4. Les roches métamorphiques sont quant à elles issues de l’une et ou de l’autre des deux catégories précédentes. Elles sont la « métamorphisation » de ces roches sédimentaires/ magmatiques sous l’effet de très hautes pressions et ou de très hautes températures. Le marbre est une profondeur est importante et plus la pression sousmarine sera élevée.

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roche métamorphique très réputée pour sa dureté mais pourtant issu de roches calcaires recristallisées. C’est cette allure cristalline qui fait du marbre un calcaire précieux et atypique. Si les roches sédimentaires ne constituent que 5% du total des roches présentes sur Terre, elles correspondent à 75% des roches à la surface du globe, dont 70% des mêmes 75% sont submergés au fond des océans. L’origine organique de ces roches sédimentaires est plurielle. Elles proviennent autant de végétaux décomposés que de micro-organismes et autres corps organiques présents sur Terre il y a des millions d’années. Ainsi, de par leur formation chaque fois unique et sur un temps très long, les roches sédimentaires se trouvent être d’une très grande diversité.

Figure 6 : coupe schématique représentant différents gisement de roche, extrait du travail de Guillaume Crétin.

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b. En savoir un peu plus sur les roches calcaires

la main d’œuvre et la transformation de la pierre moins pénible et moins coûteuse.

Nous nous concentrerons donc sur certaines de ces roches sédimentaires que sont les calcaires et qui sont sont les plus employés dans l’architecture de pierre massive en France. En effet les calcaires constituent 68% des roches extraites dans les carrières françaises5

Chaque type de roche sédimentaire a un nom spécifique, le calcaire en est un et il connait lui-même des sous classifications. Pour exemple, les calcaires coquilliers du Sud de la France sont issus de la sédimentation d’un fond marin alors présent. Mer qui s’est peu à peu retirée sur les côtes méditerranéennes que l’on connaît aujourd’hui. Cet aspect « coquillé » de certains calcaires du sud de la France est le témoin de ces vies, de ces espèces oubliées, de l’âge incommensurable de notre planète.

La spécificité de ces roches calcaires est leur haute teneur en carbonate de calcium et en carbonate de magnésium. On les appelle aussi roches carbonées, suite à leur composition chimique. Ces roches sont des pierres denses mais peu dure, appelée « pierres tendres ». Ces pierres sont dites « tendres » notamment pour leur faible dureté6 (45/10) et donc leur facilité de taille qui rend

Si les calcaires sont innombrables, certains sont plus connus que d’autres comme c’est le cas en France pour la pierre de Cassis réputées pour ses vasques et

Figure 7 : maçon tailleur de pierre en train de poser et caller les blocs de pierre d’un futur mur, Sénas, Sept. 2020. Photo : Simon Reynaud

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Source : site web du SNROC

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Capacité d'un matériau à résister à l'abrasion et à la rayure. La roche la plus dure avec une dureté de 10 est le diamant, composé de carbone pur.

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éviers dits incassables et d’une teinte allant du beige à l’ocre. La pierre de Saint-Leu est aussi un exemple historique d’un illustre calcaire pour avoir été l’élément principal de la construction du Château de Versailles avec sa patine blond doré. Certains scientifiques ont fait des classifications des roches carbonatées, comme la classification de Folk ou celle de Dunham. Ces classifications entendent trouver des caractéristiques communes aux calcaires en analysant leurs compositions chimiques.

Figure 8 : classification des différentes roches sédimentaires, Guillaume Crétin.

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Partie 2 : REEMPLOYER DES SAVOIRS CONSTRUCTIFS DURABLES

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Gardiens de la Pierre Ebloui tout à la fois par la pureté de la pierre et ses impuretés, par ses aspérités comme sa capacité à être lissée, je n’ai pas tout de suite eu conscience de ce goût prononcé pour ce matériau, car vivant dans le bassin sud-est méditerranéen, j’étais constamment entouré de ce minéral. Quelque endroit que ce soit, où que je me ballade, les villes et villages en étaient tous constitués, comme l’essence même du bâti, comme si « construction » ne pouvait exister sans « pierre » autant que « humain » ne peut vivre sans « oxygène ». Travailler un mois dans l’entreprise Proroch dans le Luberon, à Maubec m’a fait découvrir beaucoup de choses de ce secteur. A la fois dans le bureau d’étude avec les ingénieurs et en atelier avec les tailleurs. Je voyais comment le métier avait évolué, comment la technique et l’informatique avait modifié ce milieu communément idéalisé du fait de ses sublimes créations. Mais la pierre reste la même. J’ai passé des heures avec ces tailleurs de pierre. Je tentais de m’extraire du bureau d’étude dès que je le pouvais, lieu où j’étais cantonné pour mes compétences de dessinateur-projeteur. J’étais ici pour la matière, pour les mains caleuse des artisans poussiéreux, pour les ampoules sur mes paumes, au contact des outils. Et l’univers tout entier de l’artisanat de la pierre s’ouvrait devant moi, vaste et vertigineux. Ces artisans à l’âme chaleureuse, ont la langue gelée, l’humour pinçant et les mains acérées. Loin des

cliquetis des claviers des ingénieurs, les mots sont rares, impulsifs et joyeux. C’est avec ces gens-là que j’ai découvert la matière, cette pierre calcaire du Luberon aux teintes de l’enfance. Ces artisans dégageaient une lourdeur de vivre. Ils avaient la même vision que moi de la pierre, étant pourtant de 20 à 40 ans mes aînés. Ils avaient même pu le vivre, cet âge où la pierre n’était pas « électrisée » pour des questions de rentabilité, où ils avaient tout le temps de travailler leur pièce, équerre, ciseaux et maillet à la main. Ils s’étaient retrouvés là par confort d’être employés, et avaient perdu par la même occasion un peu de leur intimité avec cette pierre calcaire. Mais ils en étaient conscients, et trop fiers, ne se plaignaient pas. C’est dans ce paradoxe entre tradition et modernité que la pierre évolue, se modernise, aux marges de l’architecture. Aujourd’hui, les textes normatifs appellent « maçonnerie traditionnelle » les modes de constructions en parpaings de béton. C’est parfois dans les termes que l’on perçoit certaines réalités et que se révèlent des incohérences. Un maçon est originellement un artisan qui construit « tous les ouvrages où entre en compte de

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la pierre, de la brique, du mortier et de la chaux dans le gros œuvre 7». Etymologiquement, le mot maçon peut soit venir de l'allemand « Metz » qui veut dire « tailleur de pierre » ou bien de « marcus » en latin : « celui qui porte le marteau ».8

FIGURE 11 : Outils traditionnels d’un tailleur de pierre – source : article tailleur de pierre Wikipédia

FIGURE 10 : Outils de l’atelier Auzou et outils traditionnels d’un tailleur de pierre – Photo : Simon REYNAUD

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Définition issue du Dictionnaire de l’Académie Française daté de 2016

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Analyse étymologique du site web littre.org retraçant l’analyse du Philologue Friedrich Christian DIEZ

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a. Architecture et Pierre : entre Modernisme et Régionalisme Critique

En réponse au modernisme et à l’industrialisation de l’architecture, des démarches plus concertées sont apparues avec un intérêt croissant pour le contexte. L’apparition du Régionalisme Critique est une conséquence indirecte du Modernisme et de ses projets assumés ex nihilo. En effet, le Régionalisme Critique dans sa définition s’identifie « comme une approche architecturale qui s’efforce de remédier à l’indifférence de l’architecture moderne à l’égard de l’endroit ou du lieu de construction, en utilisant les éléments culturels locaux pour enrichir les significations de l’architecture »9. Des architectes, notamment suisses et portugais se sont démarqués pour leur sensibilité à l’environnement proche du projet d’architecture. Cette mouvance architecturale s’en est dégagée. Alvaro SIZA est une tête de proue importante de cette approche qui se veut ne pas constituer un mouvement, au risque de développer des principes et règles qui pourraient être problématique. Ce n’est donc pas un mouvement mais un effort de penser différemment, de « s’indépendantiser » de toutes doctrines et de proposer une vision plus objective de l’architecture (analyses sociologique, étude du site, relevés poussés…). La Piscine Leiça da Palmeira aussi dite Piscine des Marées (1966), s’intégrant 9

FRAMPTON Kenneth, Towards a Critical Regionalism : Six Points for an Architecture of

savamment au paysage en est un parfait exemple. La sagesse d’analyse du site et du programme permet à l’architecte de réaliser un projet d’une simplicité caractéristique des chefs d’œuvres. Edifiant une piscine d’eau salée en bord de mer, il s’intègre au paysage de bord de côte portugais, entre roches et sable. Le choix pertinent de l’emplacement entre deux bandes de récifs lui permet de n’avoir à construire que deux murs sur quatre pour contenir le volume d’eau voulu. Ce projet est donc autant construit en béton armé (murs artificiel) qu’en pierre (récifs du site).

Figure 12 : Piscine Leiça da Palmeira, Alvaro Siza, 1966

Et A. SIZA s’intéressera autant à l’intégration de l’architecture dans le tissu urbains/naturel qu’aux matériaux locaux (pierre de schiste…). Jose Antonio CODERCH démontre lui aussi en Espagne une possibilité d’être autant « moderniste » que régionaliste critique. Avec son projet de la maison Ugalde à Barcelone (1953), il prouve que le lieu peut créer l’architecture, que le topos peut Resistance, dans The Anti-Aesthetic. Essays on Postmodern Culture, 1983, Editions Hal Foster.

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formuler l’espace et le projet à venir. En plus de prendre en compte tous les arbres du site et de les contourner, il emploiera des matériaux locaux pour le second œuvre : tomettes de terre cuite, pierre et bois.

Figure 13 : Maison Ugalde de Jose Antonio CODERCH- photo : Salva Garcia

b. Le retour des matériaux locaux et de la pierre massive en architecture

Cette sensibilité et ce rationalisme contextuel permettent un rapprochement avec un mode de conception architectural vernaculaires. L’intérêt de Pierre FREY dans son ouvrage Learning from vernacular : pour une nouvelle architecture 10 vernaculaire en est une preuve. Si Pierre A. FREY est critiqué pour la légèreté de son analyse, il poursuit maladroitement la constitution d’un inventaire et d’une approche constructive alternative entreprise par Bernard RUDOFSKY lors d’une exposition qui a fait école dans les années 60. Il s’agit de l’exposition Architecture Without Architects en 1964 au MoMA de New York. Il réalise alors un diagnostic relativement exhaustif des constructions vernaculaires dans le monde et de ce qu’il serait encore possible de construire avec des matériaux naturels encore omniprésent dans notre environnement. Cet événement vient nourrir autant que remettre en question la mouvance moderniste de l’époque.

Figure 14 : Plan de la Maison Ugalde - Jose Antonio CODERCH

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FREY Pierre, Learning from vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Actes Sud, 2010

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Pierre FREY renouvelle donc cette approche décalée de l’architecture, confessant qu’il « n’exprime peut-être ici que le désarroi et le désir d’un homme vieillissant ne supportant pas le bilan de sa propre génération, alors qu’il se pensait né pour y remédier ». Si l’ouvrage a beaucoup été critiqué de par son manque d’exhaustivité et de nostalgie pessimiste, il permet de perpétuer et de transmettre l’intérêt de ces pratiques constructives pour les générations futures.

Figure 15 : affiche de l’exposition du MoMA organisé par B. RUDOFSKY

Si en effet les architectes modernistes s’inspirent très régulièrement des architectures vernaculaires (analyses et études de la typologie urbaine de la Casbah lors des SIAM), cela reste très souvent des inspirations purement

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Procédés qui consistent en une préfabrication très élaborée intégrant les murs, portes et fenêtres, les canalisations d’eau, les branchements

volumétriques, matérielles.

non

constructives

et

Dans la mémoire collective, il est très peu connu que la pierre ait a été employée jusqu’à l’époque des grands ensembles. Il était même le matériau de construction le plus courant dans certaines régions. Si la plupart des gens pensent que la reconstruction s’est faite directement en béton armé, une partie des projets se faisaient encore en pierre. Il faut attendre le début des années 60 pour que des procédés techniques de préfabrication lourde (procédé Camu, procédé Mopin11) soient inventés et validés par les instances juridiques. Une fois ces étapes passées, le béton l’a en effet rapidement mis de côté ainsi que tous les autres matériaux naturels. La montée en flèche du béton armé dans la construction courante est liée à deux étapes majeures. Premièrement, une grande période de recherches et financements sur l’industrialisation et le génie des procédés tournés vers le nouveau matériau moderne. Secondement une pression juridique a été menée par de puissants lobbies afin d’orienter les premières normes de construction à l’échelle nationale au seul bénéfice du béton. La conséquence directe du mouvement moderne et de ses principes développés par LE CORBUSIER est l’uniformisation de la construction, lié à un besoin urgent de logements. De fait, une décision gouvernementale est prise dans électriques, l’accès gaz… permettant ainsi d’économiser 80% du coût de la main d’œuvre, main d’œuvre non qualifiée.

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les années 60 par le ministre de la Reconstruction de l’Urbanisme, Eugène Claudius PETIT : ne financer que les projets de préfabrication lourde et donc indirectement les opérations construites en béton armé ou en structure métallique (matériaux industriels). En amont, dans les années 20, le mouvement moderne et Le Corbusier formule une volonté de tuer l’artisanat, vu comme un obstacle à la croissance et à la modernisation de la société. C’est à la même époque que Adolf LOOS exprime une idée similaire en condamnant l’ornement et tend vers une uniformisation des volumes.12 Par suite, au du XXème siècle, les carrières de pierres massives vont se vider, les marteaux et burins se rouiller, et les techniques artisanales s’oublier. C’est dans le rouleau de cette vague moderniste internationale que certains penseurs anticipent plusieurs conséquences de cette orientation architecturale : catastrophes climatiques, perte des connaissances, des techniques artisanales et des architectures sorties de leur environnement. Tous les artisans des chantiers sont déqualifiés et mis pour la plupart au rang d’ouvriers de chantier. Cette prise de conscience mobilisera quelques rares architectes, qui vont œuvrer pour ne pas perdre de vue artisans et carrières, scieries et taille de pierre.

Cependant, ces grands ensembles ont rapidement été vus comme des erreurs architecturales et les gouvernements successifs se sont positionnés à leur encontre. Cela commence en 1973 avec Olivier GUICHARD alors ministre de l'Aménagement du Territoire, de l'Equipement, du Logement et des Transports sous le mandat de Georges Pompidou. Ce dernier fait passer une circulaire mettant fin à cette politique des grands ensembles accusés de ségrégation socio-architecturale. Cette prise en compte des matériaux naturels commence à peu près dans ces mêmes années de reconstruction avec une figure importante égyptienne, Hassan FATHY. Durant le mandat du président NASSER en Egypte (1956-1970), cet intellectuel égyptien est démarché par le président égyptien pour construire une ville nouvelle en périphérie du Caire, le nouveau Gourna. Il se démènera pour construire ce programme ambitieux qu’il joindra aux compétences des habitants. Il retournera au fin fond de la Vallée du Nil (Nubie) pour dénicher les derniers maçons détenteurs de la technique des voûtes nubiennes en brique de boue, matériau naturel et local. Cette histoire du chantier est racontée par l’architecte dans son livre Construire avec le peuple. C’est à la fois le signal d’alarme pour ne pas perdre certaines connaissances autant que l’éloge d’une architecture vernaculaire réappropriée par le contemporain. Ce

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LOOS Adolf, Ornement et Crime, éditions PayotRivages, 1931

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projet s’établit dans un contexte de panarabisme13 . La considération autant culturelle qu’éthique est la preuve d’une prise de conscience globale sur la notion de local et de durabilité. Et cela en plein contexte moderniste occidental.

Figure 16 : Nouveau Gourna à l’époque du projet – Photo : Marie GRILLOT

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, des architectes comme André RAVEREAU et Fernand POUILLON se détache de LE CORBUSIER et des modernistes. Ils renouent avec une architecture vernaculaire ou une architecture durable, et construisent avec des matériaux naturels (pierre de taille, brique, adobe, chaux).

Fernand POUILLON était convaincu qu’il fallait avoir une vision économiste du projet en lien étroit avec la vision architecturale. Il cherche alors des matériaux simples d’emploi et peu couteux, pour être compétitif dans les grands concours de la Reconstruction de l’après-guerre. C’est avec cette approche qu’il en viendra à travailler avec la pierre de taille. Celle-ci ne nécessite en effet aucune transformation après la pose sur chantier. Une fois posée, la pierre est laissée telle quelle, nue et noble de ses caractéristiques, autant visuelle que tactile. Il faut ici prendre en compte que cet emploi de matériau est lié à une région donnée. Au même titre que le régionalisme critique, l’utilisation de matériaux naturels doit être locale, sinon cela impliquerait des déplacements trop importants et donc une empreinte carbone élevée. La pierre utilisée par F. POUILLON est une pierre de calcaire tendre, facile à la découpe et relativement légère à la manutention, qui vient du bassin du Luberon. Parmi ses nombreux projets de renom (logements du Vieux Port de Marseille, opération des 200 logements d’Aix en Provence, ensemble de logements de la Tourette à Marseille…), il réalisera aussi de très nombreux logements en Algérie.

Figure 16 : Nouveau Gourna aujourd’hui – Photo : Hannah COLLINS

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Mouvement voulant renouer radicalement avec la culture arabe en opposition affichée avec une

mondialisation occidentale dans un contexte d’après-guerre et d’une politique du soft-power

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une ligne de flottaison basse. Aussi le coût du transport est très faible et le confort de l’architecte préservé, ne devant pas se réadapter à une nouvelle pierre saharienne, aux propriétés différentes. Les réalisations de pierre massive de F. POUILLON seront très longtemps critiquées pour la part d’ombre de l’architecte qui a passé quelques années à la Prison de la Santé à Paris. Aujourd’hui, sa part d’ombre s’est dissoute et son œuvre est enfin reconnue pour sa sagesse constructive et économique, avec la plupart de ses réalisations classées.

Figure 17 : Opération de logements La Tourette, Marseille par F. POUILLON – Photo : Ville de Marseille.

La partie de l’œuvre de F. POUILLON de l’autre côté de la Méditerranée va nous intéresser pour un aspect précis. Il a construit des centaines de logements très loin du Luberon mais pourtant avec la même pierre que sur ses projets français. Nous pouvons voir la prévalence de l’aspect économique qu’a l’architecte au dépend d’une conscience écologique, encore alors très peu répandue. Dans son ouvrage Mémoires d’un architecte14, il justifie ce choix car les blocs de pierre sont les bienvenus afin d’optimiser les retours à vide des porte-containers, qui ont besoin d’un minimum de chargement pour avoir

Figure 18 : Opération des 200 logements de F. POUILLON à Aix en Provence. Photo : Ministère de la culture

Un autre élément important à prendre en compte comme le montre Pouillon, est celui du coût du matériau « pierre » et de son évolution. Le coût de la « pierre massive », a fluctué considérablement entre le 18ème siècle et aujourd’hui. En effet, si la pierre était largement utilisée dans les constructions des époques du Moyen-Âge, de la Renaissance et des Lumières, ses méthodes d’extraction étaient fastidieuses et couteuses. Son coût

14

POUILLON Fernand, Mémoire d’un architecte, Le Seuil, 1968

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élevé la réserve donc aux bâtiments d’exception (châteaux, donjons, palais de justice…).

budget hors norme a été possible grâce à l’optimisation de production de son compagnon carrier Paul MARCEROU.

Figure 19 : détail d’un mur pignon des 200 logements de POUILLON, Aix en Provence. Photo : Simon REYNAUD

Figure 20 : Système d’exploitation des carrières par Paul MARCEROU pour F. POUILLON. – Source Paul MARIOTA.

Bien après la révolution industrielle, la pierre française connaîtra un tournant. Avec l’effort et le travail acharné de Paul MARCEROU (industriel carrier et ingénieur) et à la demande de Fernand POUILLON, les carrières s’industrialiseront avec des scies de découpe et de taille en rang, garantissant une rentabilité et une intensivité sans précédent. Le processus allant de l’extraction à la pose était alors compétitif en temps et en argent par rapport au béton. Paul MACEROU avait optimisé l’extraction et la découpe sur mesure des pierres de façon à pouvoir les transporter directement depuis le banc d’extraction vers chantier.

Aujourd’hui, certaines exigences thermiques de la RT 2012 empêchent de construire aussi rapidement, mais la pose reste relativement courte car il n’y a pas de temps de séchage. Ainsi, une fois le calepinage des murs bien réalisé (dessin de l’assemblage des pierres pour former des parois stables), la découpe en carrière et atelier peut commencer en amont du chantier afin d’avoir de l’avance sur l’approvisionnement du projet.

Ainsi F. POUILLON s’est-il fait remarquer à l’époque pour son chantier des 200 logements à Aix en Provence réalisé en 200 jours et le tout pour 200 millions de francs, soit 1,7M d’euros. Ce

Malgré l’optimisation de production des carrières, le lobby du béton a su amenuiser les ressources de la filière pierre, en rachetant notamment le monopole des carrières pour en faire des carrières de granulats-gravât-sable-chaux. Cette méthode est si critique qu’elle a ruiné la filière pierre en Suisse15 (l’entreprise suisse Holcim est le 2ème producteur mondial de ciment) et est condamnée par

15

Denis Delestrac, « Le sable : enquête sur une disparition », ARTE France, 2011

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grand nombre d’articles16. Cette concurrence a donc fait faire faillite à grand nombre d’artisans de la pierre avec au premier rang les carrières qui ont dû fermer du jour au lendemain. Celles qui ont su se réinventer et rester ouvertes ont dû s’adapter à la demande et vendre principalement du dallage et des modules de blocs fins de façades en parement pierre, bien ironiquement, car l’esthétique de la pierre conserve son authenticité et son image d’intemporalité. Si aujourd’hui le coût de la pierre massive a connu un rebond entre les années 1990 et 2000, les rares carrières encore ouvertes étant habituées à faire du dallage et du parement, commandes nécessitant peu de matière, les carriers ont commencé à rehausser le prix du m3 de la pierre afin de décourager les architectes et maîtres d’ouvrage voulant construire en pierre structurelle. En effet, cette demande est peu intéressante pour les carriers car elle nécessite une grande quantité de matière et donc de changer plus fréquemment de site d’extraction. Aussi ont-ils plus intérêt à privilégier les commandes de dallages et de parement pierre de fine épaisseur. Et c’est donc une fois que l’on a pris en compte cet aspect économique que l’on comprend toute la complexité de ce matériau biosourcé à s’imposer dans l’architecture contemporaine.

Quant aux caractéristiques de ce matériau sur sa mise en place sur chantier, les pièces sont livrées généralement en flux tendu sur site et posé directement avec le seul besoin d’une petite grue, d’un conducteur d’engin et de deux maçons poseur pour ajuster la pose des blocs et leur bon agencement. Ainsi, cette simplicité de mise en œuvre et le travail des artisans en amont du chantier (extraction, taille et nettoyage de la pierre) permettent d’obtenir des chantiers très propres, peu encombrés et relativement rapide en comparaison aux chantiers béton qui nécessite un temps de séchage long et des infrastructures conséquentes (banches, toupie, bétonnière, étais …). Nous avons abordé le travail des architectes et acteurs de l’architecture d’après-guerre afin de percevoir un minimum les étapes et contraintes par lesquelles est passée l’architecture de pierre massive ces dernières décennies. Nous avons choisi de ne pas nous étendre sur le Mouvement Moderne, n’étant pas le sujet principal du présent mémoire. L’idée n’est pas de stigmatiser ce mouvement aux multiples facettes. Les architectes évoqués ont été plus ou moins inspirés par cette mouvance architecturale du XXe siècle. Il s’agit de proposer une exploration de l’architecture contemporaine au travers du prisme spécifique de la pierre massive. Conscient de ces faits, nous comprendrons peut-être mieux pourquoi la construction

16

Marlène Leroux, web-magazine Espazium, « L’aventure de la construction en pierre massive », 2019

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en matériaux naturels réémerge à peine. Ainsi, ces matériaux n’ont pas continué à bénéficier d’optimisation de production et de financements. Ils ont donc pris beaucoup de retard sur le plan des performances économiques et de l’efficacité constructive.

Figure 21 : Manœuvre mécanicien à l’œuvre dans la carrière Hugot - Photo : Simon REYNAUD

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Partie 3 : UNE ARCHITECTURE CONTEMPORAINE DE PIERRE MASSIVE PLURIELLE

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Deux mondes parallèles de la Pierre

Après la lecture du roman Les Pierres Sauvages17, qui raconte le parcours et la vie d’un moine architecte (Guillaume Blaz) à l’époque des abbayes cisterciennes (notamment celle di Thoronet dans le Luberon), je me suis imaginé la réaction de ce personnage si j’avais pu le transporter sur un chantier contemporain en pierre massive. Et à mon avis, le convers aurait eu des sentiments contradictoires sur l’allure de la construction en pierre massive. Car si ce récit est passionnant, c’est grâce à la différence de techniques constructives et la rudesse des vies de ces constructeurs religieux. F. POUILLON propose ainsi un parallèle puissant entre la passion des artisans de la pierre d’antan (1160-1176) et l’efficacité des méthodes de construction sérielle des années 60/70. Guillaume serait aujourd’hui sonné de voir a quel point l’humain a su mécaniser les chantiers et les rendre aussi rapide. Le sien pour l’abbaye du Thoronet a duré 16 ans. Mais je me permets de penser qu’il aurait aussi été choqué de certaines inepties de conception. Le temps long du projet est une notion architecturale a part entière, mais on ne peut que s’imaginer la connaissance d’un site et la finesse conceptuelle qu’un moine architecte doit avoir à passer des mois sur un seul et même projet, à batailler avec les ressources naturelles des environs. Parce qu’a cette époque, les camions n’existent pas,

l’électricité encore moins. Et c’est donc avec la seule force de l’esprit et l’huile de coude de ses frères et convers que le projet se fera. Et aujourd’hui l’abbaye est un chef d’œuvre, inscrite au registre des Monuments Historiques depuis 1840. Le récit de ce moine est bien évidemment romancé et subtilement détourné par l’auteur lui-même constructeur, qui n’aura de cesse de promouvoir sa vision économe et pierreuse de l’architecture, à tous les prix. Mais ceci étant, ce récit est historique, nourri de recherches et de faits réels sans

a. La pierre massive aujourd’hui Aspect économique et contradictions

Le coût de la pierre a aujourd’hui sensiblement augmenté. Pourtant, ce matériau cherche et réussit très lentement à se démocratiser. C’est sur le ton de la confidence qu’un.e responsable commercial.e de la carrière de Vers Pont du Gard me racontait, qu’un effort économique a été fait pour mettre en valeur le message de Gilles Perraudin qui prônait que construire en pierre était aussi voire plus économique et éthique que de construire en béton. Si l’écart du prix peut être aujourd’hui moindre avec la mécanisation des modes d’extraction et de découpe de la pierre, certains carriers refusent d’être

17

POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Le Seuil, 1964

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compétitifs pour plusieurs raisons. Il faut d’abord savoir que les carrières peuvent être détenues par de grands groupes de matériaux de construction (Lafarge, Vicat, Holcim…) qui régulent alors la concurrence par seul souci de rentabilité en mettant tous leurs efforts pour maintenir haut le coté de la Balance promouvant le tout béton. Mais ils ne sont pas les seuls : c’est au cours d’un entretien avec Pierre BIDAUD, ancien compagnon du devoir et actuel tailleur de pierre en Angleterre, que j’ai découvert comme nous l’avons vu dans la précédente partie un autre obstacle à l’épanouissement de la pierre massive en architecture en France. Il m’expliquait avoir compris très tard pourquoi le coût de la pierre massive avait augmenté ces dernières années alors que la demande était croissante. Selon lui, cette incompréhension économique est liée au choix des carriers eux-mêmes. En effet, ces derniers n’ont pas intérêt à produire de la pierre massive structurelle, qui leur demande trop de matière, et qui est donc moins rentable que du dallage de 4 cm d’épaisseur. Dallage qu’ils ont pris l’habitude de fournir aux architectes à l’époque des architectures modernistes et néo-classiques. Ainsi, des entreprises comme ROCAMAT (plus de 30 carrières de pierre calcaire à leur actif) bloquent le marché et en plus exportent une grande partie de leurs produits de dallage. La pierre massive constitue une dépense matérielle trop

importante et viderait selon eux trop rapidement leurs sites d’extraction. La concurrence internationale est aussi un défi que les professionnels de la pierre et les architectes se doivent de relever. Car en effet le coût du transport est si absurde qu’il déforme toute logique constructive et locale. Comme à l’époque de POUILLON, les armateurs de porte-containers sont ravis de recevoir des pierres lourdes dans leurs calles afin d’optimiser les allersretours de marchandises et de baisser la ligne de flottaison du navire. Ainsi, les carriers français subissent autant cette concurrence déloyale (pierre de Turquie, du Portugal avec une main d’œuvre moins chère) qu’ils la nourrissent (le groupe Carrières de Provence pourtant vent debout pour la pierre massive en architecture a ainsi exporté des milliers de tonnes de pierre du Luberon pour des bâtiments de la nouvelle ville Huawei.

Figure 23 : Pont du Gard. Photo : Domaine de Gaujac

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Initiatives de cohésions locales

Heureusement, certains acteurs de la pierre ont une conviction et une éthique qui les conduits progressivement à se fixer un nouveau cap pour rééquilibrer la balance coté « pierre massive ». Ils se mobilisent pour promouvoir cette méthode de construction durable comme pour le cas du Luberon l’entreprise Proroch, proactive sur le plan législatif et technique, toujours enclin à monter sur Paris pour donner et discuter des informations nécessaires au CSTB et autres organismes institutionnels qui peuvent faciliter l’usage de la pierre dans le bâtiment. A côté de cela, les professionnels et passionnés se regroupent en association pour valoriser le matériau local. L’association Pierre du Sud regroupe carriers, tailleurs, sculpteurs, transporteurs etc… et constitue un groupe influent pour promouvoir et faire valoir la pierre face aux autres matériaux internationaux. Cette association a par exemple lancé le projet d’une Appellation Indication Géographique nommée Pierre du Sud, à l’instar des AOP. Cette appellation a pour but d’assurer une traçabilité et un contrôle qualité des pierres de la région en France comme à l’étranger. Cela permet ainsi à la pierre du Luberon de s’imposer comme un matériau local et de faire barrage aux concurrences déloyales de l’étranger (Chine, Portugal, Turquie…) qui sont importées en masse et à faible coût. Ainsi, les maires pourront 18

exiger une qualité de pierre IG Pierre du Sud afin d’être sûr de leur provenance et de leur qualité. Cette appellation prend cependant du retard du fait que ces professionnels sont peu ouverts sur la promotion de leur métier, car ils n’ayant jamais été formés pour le faire. L’effort à réaliser est donc aussi celui de savoir communiquer avec les armes de notre époque, d’employer les réseaux sociaux et les sites influents dans le milieu du bâtiment. Faire des conférences est aussi une démarche qui permet d’accrocher et interpeller les architectes et ingénieurs. Le magazine Pierre Actual est récemment né et promeut les projets architecturaux, artisanaux et les recherches scientifiques employés autour de ce matériau naturel de construction. Parallèlement, un festival18 s’est petit à petit imposé comme un incontournable de l’exposition des projets en pierre. Basé sur Lyon, fief de Perraudin, une édition se déroule tous les ans depuis 2017.

Rocalia, festival annuel basé à Lyon.

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Du côté des promoteurs immobiliers

Du même côté de la balance que celui de ces carriers entrepreneurs, il y a aussi l’important travail de quelques promoteurs engagés pour faire pencher la balance coté pierre massive et valoriser certains savoirs. En effet, deux promoteurs connus à ce jour en France promeuvent les chantiers de construction de pierre : -

Verrechia promotions E&L Promotion (antenne de l’agence d’architecture Eliet&Lehmann)

Ce statut de promoteur leur permet d’avoir le pouvoir de financer les projets qu’ils souhaitent et plus particulièrement les projets en pierre. En tant que promoteur, les lobbys du « tout béton » sont ainsi contrecarrés sur leur champ d’influence car c’est bien de la responsabilité du promoteur de garder la maitrise du choix de l’architecte et du matériau utilisé sur le projet architectural. Parmi les promoteurs, le groupe VERRECHIA est très actif dans le secteur et se définit sur son site web comme étant « Pionnier dans le domaine de la construction d’immeubles en pierre de taille ». Financeur de l’exposition Pierre du Pavillon de l’Arsenal, le groupe s’impose comme le premier investisseur pleinement mobilisé dans l’utilisation de ce matériau naturel de construction. Cet investisseur bien établi, promeut des constructions de tous types, avec parfois même pour seule façade en pierre, celle donnant sur rue. Et

c’est là que l’on distingue toute la difficulté qu’a ce matériau à se faire une place dans le milieu de la construction. Représentante d’une architecture durable, immuable et antique, la pierre est souvent victime de ses clichés pastiches. Et les carrières de pierre n’étant pas toutes redéveloppées aussi, la concurrence est inégale par rapport aux autres matériaux. En région parisienne, comme le montre le promoteur Verrechia proposant des logements « haut-standing », se loger en pierre reste du luxe. En effet, la demande n’étant pas grande, l’offrant reste le principal décideur de l’orientation du marché, sans réelle concurrence.

Figure 24 : capture écran du site Verrechia.fr et son slogan « Guidé par l’exigence » taillé à même la pierre.

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Défis à relever et enjeux contemporains

Lors d’un entretien, Yves AUZOU, tailleur de pierre basé dans le Luberon me racontait : « Il y a 20 ans ici devant la porte (de l’atelier du tailleur NDLR), le matin les gens faisaient la queue. Les gens faisaient leur commande, venaient chercher 4 pierres […] je faisais une cheminée par semaine. Aujourd’hui j'en fais 2 par an. Les gens sont moins passionnés par leur habitat. Quand on dit que c'est une question d'argent, c’est faux. Je suis allé visiter des maisons où quand on voit la voiture devant, on pourrait construire en pierre, c'est un choix de vie. »19 Ce changement brutal de marché de l’après-guerre, malgré le souffle POUILLON n’a pas été suivi par les professionnels concernés. Ils sont restés dans leurs habitudes, sans mettre en avant la pierre, et ont subi des baisses de commandes d’années en années. Pour les cheminées par exemple, qui ont été interdites dans les grandes villes dans les années 2000 du fait de la sur-pollution des cœurs de ville. Pour autant, l’extraction de la pierre se mécanise et s’optimise dans son utilisation globale. Les ordinateurs des bureaux d’étude sont directement reliés aux machines de découpes, elles-mêmes gérées par un manœuvre, qui gère les blocs et surveille les bonnes découpes.

Figure 25 : Yves Auzou lors d’un entretien en Aout 2020 – Photo : Simon REYNAUD

Les carriers peuvent aujourd’hui atteindre une capacité d’extraction de 25 à 50m² selon la dureté de la pierre. Ainsi avec ce débit, le prix de la pierre peut être concurrentiel grâce à cette productivité.

19

Yves AUZOU. Propos recueillis par Simon Reynaud lors de plusieurs entretiens avec le tailleur de pierre.

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Les manières de procéder sont bien plus rapides, la pierre coûte donc moins cher et le temps de main d’œuvre est réduit. "Des qualités intrinsèques s'associant à une évolution des techniques et du prix de la

main d'œuvre militent également pour sa réutilisation comme l'automatisation de l'extraction, la commodité des transports, la mécanisation des chantiers favorisant la construction à sec"20

Figure 26 : documentaire sur l’extraction de blocs de marbre calcaire en Italie – Photo : National Geographic

20

PERRAUDIN Gilles, propos recueillis par Yann Nussaume dans Dijon : les presses du Réel, 2012.

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La question du revêtement est aussi un point positif de ce type de construction. Il n’est pas question d’y réfléchir, la pierre est durable dans le temps. Ainsi, on écarte un corps d’état dans l’élaboration du chantier, et cela est autant économique qu’esthétique. Cette disparition de revêtement est un argument qui plaît aux architectes qui l’emploient comme Nicolas MASSON de l’agence LAND à Marseille : « Le matériau une fois sommairement taillé est brut, près à l’emploi. Son travail est fini après la pose des joints »21. Après la réalisation d’une opération d’un programme mixte sur R+7 dans les quartiers Nord de Marseille (au Plan d’Aou, la structure composite, mi-béton mi-pierre massive), le pari de cet architecte est relevé. En effet, il tente à chaque concours, de construire en pierre depuis des années. Cette volonté lui vient du cœur, « d’il ne sait où » me dit-il, et s’allie avec une conviction environnementale, de construire pour plus longtemps que 30 ans. En effet la pierre a cet avantage de la durabilité dans le temps. Et contrairement à ce qu’il en est dit, elle constitue une économie de coûts sur le temps long du bâtiment : faible entretien des façades et structures sur le long terme. Les ravalements coûteux des bâtiments à revêtement est abandonné pour les façades pierre avec seulement un coup de

jet d’eau sous pression pour désincruster les particules de pollution, et ce tous les 1020 ans. Les couts de maintenance dans le long terme sont peu valorisés mais sont pourtant très importants pour réellement valoriser ce matériau. Cette sous-partie nous aura permis de mieux comprendre pourquoi la pierre n’est pas au même niveau de développement que le bois de construction, par exemple. Nous verrons alors quelques personnages importants de l’architecture contemporaine de pierre massive, comme un état de l’art.

b. Gilles PERRAUDIN : une certaine radicalité qui fédère une architecture française de la pierre massive Après « l’ère Pouillon » qui avait un peu redonné des lettres de noblesses à la pierre dans les années d’après-guerre, Gilles PERRAUDIN reprendra le flambeau de l’architecture de pierre massive en France. En lien avec sa posture fédératrice et initiatrice du redéveloppement de ce secteur en architecture contemporaine, nous nous concentrerons un peu plus longuement sur ce personnage. « J'étais en vacances près du pont du Gard, et en emmenant mes enfants se baigner je voyais chaque jour sur le bord de la route un long mur appareillé avec d'énormes blocs de pierre. C'était l’enceinte

21

Nicolas MASSON Propos recueilli par Simon Reynaud lors d’un entretien téléphonique en Juin 2020.

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d’un ferrailleur qui dissimulait des carcasses automobiles. Immédiatement, je me suis dit qu'on devait pouvoir construire des bâtiments de cette façon. Ce mur tout le monde le voyait depuis bien longtemps, mais personne ne l'avait remarqué. [...] Je suis allé voir le ferrailleur qui m'a renvoyé vers les carrières locales. Les premiers carriers m'ont montré des pierres taillées à la main, du genre de celles que l'on utilise dans les monuments historiques. C'était très cher. Et puis je suis tombé sur un type qui m’a emmené dans sa carrière, et là j'ai découvert d'énormes amas de blocs cyclopéens qu’il extrayait. Ces pierres avaient des défauts et étaient selon lui invendables. Il m'a dit que cela lui servait à reboucher les trous qu’il faisait dans le sol. Je lui ai proposé d'acheter de tels blocs et il m'a donné un prix incroyable. En sortant un billet de 20 euros, j'aurai pu aussitôt repartir avec un caillou de 6 tonnes ».22

comme module pour construire son chai viticole.

Il viendra donc à la pierre dans les carrières de Vers aux abords du Pont du Gard. Obnubilé par les blocs de « rebuts » considérés comme impropres à l’utilisation dans quelques secteurs que ce soit. Ces blocs présentent des imperfections de granulométrie, des colories différentes et sont entreposés dans les carrières avant d’être utilisés comme remblais. Il prend donc ces grands monolithes pouvant aller de 2,2 mètres de long par 1,1 mètre de large et 1,6m de profondeur et les utilise

22

Gilles PERRAUDIN, propos recueillis par Valéry DIDELON.

Figure 27 : chai viticole de Gilles PERRAUDIN – photo : G. PERRAUDIN

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La pierre, Gilles PERRAUDIN s’y est totalement dévoué. Fort d’une longue réflexion architecturale sur les matériaux naturels, cet architecte lyonnais a commencé avec la terre crue (le pisé). Il la considère d’ailleurs et à juste titre comme de la pierre, seulement à un stade antérieur de sédimentation. Après ça, il s’essayera au bois et au métal en superstructure organique comme avec ses stations de métro « libellule ».

potentiel pour son utilisation à une plus grande échelle dans le milieu du bâtiment. Le but n’étant pas non plus de déformer les paysages naturels avec une myriade de carrières, mais de proposer un large horizon de choix de matériaux naturels de construction, selon le lieu et le programme du bâtiment ; -

La pierre détient des propriétés esthétiques, mais surtout de bonnes qualités constructives et liées au confort de vie. L’usage de ce matériau en épaisseur (minimum 30 cm mais il est recommandé de l’utiliser avec 50 cm) lui confère de bonnes propriétés thermiques isolantes. La fonction isolante est liée à un déphasage thermique idéal pour le confort d’été dans les régions chaudes et une bonne isolation en hiver pour un logement principal. Il est en effet long de chauffer l’épaisseur et l’inertie des murs quand on est seulement de passage.

-

Acoustiquement, la pierre a les mêmes qualités pour une épaisseur équivalente que le béton. Or, utilisée avec une plus grande épaisseur, l’isolation phonique d’un mur de pierre est excellente.

Ainsi, autant en recherches de méthodes de construction que de matériaux naturels, il a été naturellement intrigué par ces carrières abandonnées du Rhône. A la recherche d’un matériau optimal et peu coûteux pour son chai de vin, il trouvera les premières pierres d’une longue œuvre en relation étroite avec la pierre massive. Passionné dans son appréhension de l’architecture, il a su se constituer un réel savoir constructif, spécialisé en pierre massive notamment. Lisant de vieux ouvrages de tailleurs de pierre, expérimentant sur des projets ses recherches, bataillant avec les bureaux d’études frileux, afin de faire accepter cet ancien matériau dans le monde du BTP, Gilles PERRAUDIN s’est petit à petit imposé comme l’expert architecte de l’architecture contemporaine française en pierre massive. Cet architecte remettra au goût du jour ce matériau aux qualités plurielles : -

La grande présence de ce matériau sur le sol français constitue un fort 36


Aujourd’hui, construire autrement qu’en béton est une prise de position politique et environnementale. La pierre est ainsi venue donner un sens à la carrière de Gilles PERRAUDIN.

titre parler de « mafia du sable ». Ce « crime constructif » étouffé, est selon G. PERRAUDIN d’autant plus paradoxal que la pierre calcaire est omniprésente dans de nombreuses régions du monde comme nous l’avons vu en Partie 1.

Figure 28 : opération logements sociaux Cornebarrieu par G. PERRAUDIN – Photo : S. DEMAILLY

Alors que Gilles PERRAUDIN réalise en 1998 ses premiers logements sociaux en pierre massive à Cornebarrieu, son projet séduit avec un très faible coût de construction : 1150 € le m² contre généralement 2000€/m² de logements sociaux en région parisienne. Il réussit donc son pari : faire valoir un argument durable et constructif lié aux considérations actuelles de la construction avec la pierre massive (coût, respect des normes …). Et il poursuivra ce défi jusqu’à aujourd’hui. Il dénoncera l’incohérence et le scandale de l’utilisation systématique du béton, créant des ravages écologiques avec notamment la destruction des fonds marins suite à des pompages illégaux de sables, dans l’Océan Indien entre autres. Ceux-ci induisant des destructions d’écosystèmes importants et de manière illégale et non renseignée, on peut à ce

Figure 29 : opération logements sociaux Cornebarrieu par G. PERRAUDIN – Photo : S. DEMAILLY

Ce message durable et éco-responsable de l’œuvre de fin de carrière de Gilles PERRAUDIN a connu une résonnance particulière pour les architectes contemporains. En effet, en plus du scandale lié aux pompages des sables marins, le béton est généralement composé d’adjuvants. Certains de ces 37


produits chimiques présents dans le mélange permettent de garantir certaines caractéristiques techniques ou esthétiques (béton Très Haute Performance, béton désactivé…). Ces adjuvants sont très toxiques et contiennent des phtalates, un ester cancérigène interdit dans les plastiques alimentaires et tétines de bébés depuis 2011 car considéré comme perturbateur endocrinien. Ainsi, la destruction de ces bâtiments provoque et provoqueront des éléments volatiles toxiques.

en France et ailleurs, avec notamment un bâtiment en R+7 en Suisse dans la commune de Plan-Les-Ouates, d’autres agences se sont petit à petit tournées vers ce matériau. c. Eliet

& Lehmann : entrepreneuriale

une

vision

L’étude de l’œuvre de Gilles PERRAUDIN était incontournable pour parler des projets architecturaux et des architectes contemporains qui s’intéressent à la construction en pierre massive. L’études d’autres agences d’architecture a été compliqué pour plusieurs raisons. La première difficulté a été de choisir un exemple qui présente des situations différentes, et donc une approche et un contexte distinct. Ensuite, si l’on met de côté les projets de G. PERRAUDIN et de son élève-associée Elisabeth POLZELLA, dans la continuité de son mentor, il n’y a aujourd’hui pas foule d’agences persistantes dans l’élaboration d’architecture neuve en pierre massive.

Figure 30 : page de garde de l’ouvrage de Gilles PERRAUDIN

Si Gilles PERRAUDIN continue d’égrainer ses chantiers de pierre massive

Cependant, ayant déjà entrepris cette recherche pour mon stage de première pratique, j’ai eu moins de difficulté à trouver les quelques agences à la pointe de la pierre massive française. Mes recherches se sont retrouvées dans les projets de l’agence Eliet & Lehmann, chez qui j’ai pu faire un stage. Malheureusement je n’ai pas pu travailler à l’époque sur leurs projets de pierre massive (résidence à Versailles) mais seulement pour les 38


réhabilitations de logements des années 60 sur lesquels ils ont acquis leur réputation.

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Figure 31 (page précédente) : façade sud de l’opération logements sociaux Bry-Sur-Marne par eliet&lehmann – Photo : E&L

structurelle et esthétique. Son usage est donc moins omniprésent avec seulement les murs de refend et les pignons en pierre de 30 cm d’épaisseur.

Basés en région parisienne, ils ont réalisé des projets contemporains innovants et réussis architecturalement. Leur premier projet construit avec le matériau étudié est situé en banlieue parisienne, à Bry-SurMarne, et date de 2012.

Le projet est réfléchi autour de la pierre massive mais avec une identité matérielle composite. Ainsi la façade sud accueille elle des loggias en mélèze (1,50m de large) qui créent un espace tampon thermiquement parlant, et proposent un espace extérieur à chaque logement, dans une région peu lumineuse et très urbaine. La solution trouvée est donc autant technique (thermique, structure légère préfabriquée) que confortable (luminosité, accès à un espace extérieur).

Il comporte plusieurs différences notables et intéressantes en comparaison aux projets de pierre de l’agence PERRAUDIN Architectes. L’approche architecturale en pierre massive de Eliet & Lehmann diffère premièrement de l’environnement dans lequel ils construisent, la région parisienne donc. Ainsi, le souci du climat chaud méditerranéen disparaît et d’autres spécificités climatiques apparaissent. La construction en pierre se réfléchit différemment en amont du projet, notamment du point de vue de son inertie, qui permet principalement ce fameux déphasage thermique. On peut donc penser la construction plus fine, plus matérielle, moins brute, et en harmonie avec d’autres matériaux. C’est le cas du projet des 16 logements de Bry-Sur-Marne où les architectes ont travaillé avec du mélèze, bois alpin imputrescible Avec ce climat, la pierre ne doit pas retrouver cette inertie avec tant d’épaisseur, ainsi elle devient purement

C’est aussi le cas du chantier de Versailles lancé par le tout récent promoteur immobilier spécialisé en pierre massive issu des mêmes associés que l’agence en question : Eliet & Lehmann Promotion. Ce projet de logements mixtes et d’un pôle santé de 5 600 m² est d’envergure pour un projet en pierre massive. Et cela prouve une certaine ambition pour ces promoteurs-architectes. Cette ambition constructive et matérielle vient sur ce projet trouver une résonnance avec la volonté de la Mairie de Versailles de perpétuer une tradition de pierre, et une image urbaine historique et traditionnelle, élément majeur de l’identité de la ville. On voit donc que l’intérêt pour la pierre est multiple dans son utilisation contemporaine. Si les architectes sont 40


conscients de l’intérêt écologique de ce type de construction, tel n’est pas forcément le cas pour le Maire de Versailles, qui voit la pierre comme ce matériau ancien pour faire du beau pastiche. Cette réflexion est intentionnellement critique afin de comprendre si ce projet d’envergure restera anecdotique dans le paysage architectural ou s’il motivera carriers, politiques et architectes à se remettre activement à la construction d’édifices contemporains en pierre massive. Grâce à mes échanges avec différents acteurs de la pierre, j’ai pu dévoiler un autre enjeu sous-jacent à ce dernier projet. Il cache un aspect perfectible sur le choix du matériau local. En effet, ces logements construits en pierre massive font appels aux pierres de l’entreprise Carrières Provence. Cette entreprise de carrier située loin du lieu de construction a initialement refusé le marché, voulant laisser le marché aux sites d’extraction du bassin parisien afin de ne pas outre-concurrencer les carriers locaux. In fine, le marché a cependant retenu Carrières Provence qui a fourni un devis bien plus bas que les carrières parisiennes, le coût économique de transport des pierres sur 721 km restant infime dans la balance économique du projet. Ce coût dérisoire des transports de marchandises vient camoufler un certain déséquilibre de durabilité dans le choix des matériaux. Cela reste un trajet relativement faible en comparaison aux milliers de kilomètres parcourus par tous les composants d’un béton armé ou d’une

structure métallique, mais il montre un potentiel encore inexploité de rouvrir les carrières d’extraction, du bassin parisien notamment. Par ailleurs, un très récent prix architectural (lancé il y 3 ans) a primé le projet de Bry-Sur-Marne pour son effort durable et constructif ainsi que pour sa proposition de qualité de logement aux futurs locataires sociaux. Ce nouveau prix est la preuve d’un regain d’intérêt pour le matériau et d’une dynamique intéressante pour qu’il réapparaisse dans le monde du bâtiment.

Figure 32 : façade nord de l’opération logements sociaux Bry-Sur-Marne par eliet&lehmann – Photo : E&L

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d. Barrault Pressacco : le bon matériau au bon endroit

La jeune agence Barrault Pressacco s’est faite connaître avec la fameuse exposition23 déjà citée plusieurs fois cidessus au Pavillon de l’Arsenal. Elle est un « rejeton » de la nouvelle génération montante d’architectes parisiens. En plus de son exposition sur la pierre, cette agence a réalisé une opération en pierre massive en plein centre de Paris, qui a fait beaucoup parler d’elle. L’enjeu qui se détache ici des projets précités est la position hyper urbaine du projet. Le défi est de prouver la possibilité de construire avec ce matériau en cœur de ville et donc avec peu de surface pour le chantier. L’approche de l’agence a marqué les esprits pour son approche réflexive sur le matériau pierre massive à Paris. En effet ce matériau a une certaine importance pour l’identité des cœurs des villes françaises comme Paris. Ainsi, dans la même optique que l’association Pierre du Sud et d’autres collectifs provinciaux, Barrault Pressacco entend promouvoir les matériaux locaux et propose d’établir des AOC24 pour les matériaux locaux. Le projet phare de cette agence spécialiste de la pierre massive est une opération de 17 logements dans le quartier d’Oberkampf (Paris 11).

23

Pierre. Révéler la ressource, explorer le matériau. Commissaires d’exposition Thibault Barrault et Cyril Pressacco de l’agence Barrault&Pressacco,

Pour ce projet, son approche constructive est pluri-matérielle. L’agence utilise la pierre comme élément porteur, comme double-peau (qualité hygrothermique) et élément de façade (esthétique). Leur description est la plus efficace pour expliquer leur choix de la structure et des matériaux « Hybride, ce bâtiment est composé de plusieurs matériaux qui jouent chacun un rôle mécanique ou thermique bien particulier. Les façades sont en pierre massive porteuse pour tous les niveaux et reposent sur des portiques en béton armé au rez-de-chaussée. L’épaisseur des façades varie de 30 à 35 cm en fonction de leur position et de leur degré de sollicitation. Afin d’alléger la masse globale du bâtiment, et ainsi diminuer les reports de charge sur les façades, les planchers sont constitués de panneaux de CLT. Ces planchers sont laissés bruts et visibles en sous-face dans les logements. L’isolation du bâtiment est en béton de chanvre. Ce mélange de chènevotte (fibres issues du chanvre), de chaux aérienne et d’eau est projeté depuis l’intérieur sur les façades en pierre, puis taloché et enduit. Ces propriétés de matériau perspirant conviennent particulièrement à une paroi en pierre et permettent une régulation naturelle de l’hygrométrie. Les assemblages profitent de la

Pavillon de l’Arsenal, Paris. Du 23 octobre au 2 décembre 2018 24

Appellation d’Origine Contrôlée

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complémentarité des matériaux organisent leur coexistence. »25

et

Il est possible de compléter ce descriptif en précisant que le rez-dechaussée a été construit avec des portiques de béton armé poncé pour pallier la capillarité de la pierre qui n’est pas optimale en soubassement. Des charpentes métalliques viennent aussi se fixer dans les murs de pierre pour alléger les planchers. La pierre, contrainte aux nouvelles normes comme la RT 2012 et la NF DTU 20.1, doit s’adapter à des exigences thermiques. C’est pour cela que le béton de chanvre vient compléter la pierre à l’intérieur pour une performance optimale de l’isolation, tout en gardant un choix de matériaux naturels. Je me permets de préciser que G. PERRAUDIN avait échoué à ce défi de l’isolation (dans l’opération de Cornebarrieu) avec des parois isolantes en liège, mais qui avaient été refusées par les bureaux d’études.

Figure 33 : façade et chantier de l’opération logements sociaux d’Oberkampf par Barrault Pressacco – Photo : Barrault Pressacco

Ainsi, l’entreprise Barrault Pressacco se prend au jeu d’utiliser les matériaux aux bons endroits du projet, afin de répondre aux normes tout en utilisant le plus possible des matériaux naturels (bois, pierre et béton de chanvre) avec le minimum de matériaux industriels (métal, béton armé). L’utilisation du béton et du métal est réduite ainsi que l’empreinte carbone du bâtiment, grâce à un effort de recherche de matériaux plus locaux (démarchage des carrières de pierre de Brétignac en Charente).

25

Explications écrites du fonctionnement constructif par Thibault Barrault et Cyril Pressacco dans la fiche descriptive du dossier de l’exposition.

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L’exposition Pierre, organisée par l’agence au Pavillon de l’Arsenal, a prouvé scientifiquement que ce matériau était le matériau biosourcé le moins coûteux en énergie grise, avec une faible demande en énergie. Le seul moment le plus demandeur est son extraction avec des grandes scies de découpe. Le reste est anecdotique comparé à la transformation du bois, celle du métal ou celle du béton. Une fois extrait, le bloc de carrière est découpé avec une scie et de l’eau. Stockées sur des palettes, les pièces sont entreposées avant le chantier puis transportées par camion. Cependant, il est important de noter l’aspect économique de ce projet. L’agence d’architecture a eu la chance d’obtenir quasiment carte blanche de la part du promoteur RIVP26 pour réaliser des logements sociaux. Le coût total du m² avoisine alors les 2600€, environ le double du coût du m² des logements sociaux de G. PERRAUDIN. Au travers de ces projets il apparait donc que penser une construction en pierre aujourd’hui implique une vision totalement différente des constructions à ossature ou en maçonnerie classique (béton ou parpaings). La différence principale réside dans la conception des espaces selon des modules de pierre optimaux pour la phase de construction et pour une qualité architectonique. « Si cette

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Régie Immobilière de la Ville de Paris.

réflexion est faite en amont du projet, alors il est possible de mener à bien un projet de qualité, économique, et qui dure dans le temps, pour 100 ans, voire plus27 ». Et c‘est avec un projet comme celui d’Oberkampf que l’on voit un futur élargi et agrandi de l’architecture contemporaine en pierre massive. En effet, si le travail incontournable et majeur de Gilles PERRAUDIN a permis de marquer l’architecture contemporaine et d’initier une dynamique, la radicalité n’est pas bonne partout et il est permis de penser des projets plus composites. En effet, le maître-mot d’une architecture durable et bien pensée, semble aujourd’hui être « le bon matériau au bon endroit » pour sa conception puis son élaboration. Ainsi pouvons-nous penser que les murs de 30 cm en pierre massive qui sont carottés en béton armé tous les 3 mètres sont une forme d’entre-deux. Selon PERRAUDIN, c’est au contraire une surconsommation de matière et de procédé et une énorme erreur de ne pas faire confiance aux propriétés de la pierre qui a supporté nos cathédrales et pyramides depuis des siècles. C’est en tous cas une approche différente de l’usage de ce matériau en architecture contemporaine, le mêlant à d’autres matériaux naturels. 27

Gary Gouri, commerciale chez Proroch. Propos recueillis par Simon Reynaud lors d’un entretien à Maubec en juin 2020.

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En synthèse, le premier enjeu est de savoir réemployer notre pierre et de se replonger un peu dans les ouvrages de stéréotomie 28 et de calepinage29 de nos ancêtres, afin de redécouvrir comment construire en pierre, comment faire tenir un édifice avec ce seul matériau naturel. Et c’est cette démarche qu’ont entrepris de grands architectes français comme Fernand POUILLON et Gilles PERRAUDIN. Ces lectures et intérêts pour la pierre autant que pour l’architecture les ont menés à une pratique bien particulière et honorable de l’architecture. S’ils ont construit avec bien d’autres matériaux, il leur a semblé pertinent de construire en pierre autant sur le plan économique que plus tard sur l’aspect écologique. Ce matériau présente donc des qualités objectives en plus de ses qualités esthétiques et architectoniques : lumière et colories, ambiance, paroi respirante hygroscopique … Cette reprise d’intérêt pour les matériaux naturels est donc un enjeu de taille dans la construction du monde de demain, que certains architectes ont perçu, comme PERRAUDIN avec la pierre, Simon VELEZ avec le bambou … En effet, le milieu de la construction représente une grande 28

Définition, n. f. La stéréotomie est l'art de la découpe et de l'assemblage des pièces en taille de pierre 29 Définition, n. m. Le calepinage est le dessin, sur un plan ou une élévation, de la disposition d'éléments de formes définies pour former un

part de notre consommation, et aussi ce que nous laissons de plus probant sur Terre aux générations futures. Ainsi, si une avancée a été faite sur le champ des matériaux dits « naturels », leur retour n’en est pas moins urgent. Les efforts doivent être accentués afin de rattraper notre retard en la matière. Le présent travail repose sur cet enjeu et vise à montrer que ce matériau n’est plus un mirage de nos cœurs de villes historiques et « un luxe que seuls les riches peuvent se payer ». Le second enjeu non encore résolu qui réside dans cette vision constructive du projet d’architecture utilisant la pierre massive dans le panel des possibles est la conception et méthode de construction des planchers. Trouver une alternative aux planchers tout béton semble aujourd’hui très ardu alors que pendant des siècles on a été capables de faire sans. Il est donc grand temps de repenser nos planchers qui sont encore et toujours qu’en béton, parfois en planchers bois ou en voutains de BTC30. A nous de repenser et remettre au goût du jour les constructions en voûte, comme les voûtes catalanes ou encore les

motif, composer un assemblage, couvrir une surface ou remplir un volume. Le calepinage est par exemple nécessaire lors de la planification de murs de pierre de taille. 30 Briques de terre cuite.

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voûtes nubiennes31. Les planchers en pierre d’appareillage32 sont aujourd’hui faisable techniquement parlant, mais par très peu d’artisans. Le but de ce présent mémoire n’a pas été de donner l’illusion d’un matériau exceptionnel victime des lobbys béton et autres. Il s’agit plutôt selon moi de défaire cette image sacralisée dont la pierre souffre comme un « matériau inaccessible et appartenant au passé », car, notre époque et notre génération sont à ce point pivot et déterminants susceptible de donner une toute autre voie à notre société. La piste de l’agence Barrault Pressacco et de l’association Pierre du Sud est bonne, visionnaire et pleine d’espoir pour la remise en valeur de ce matériau aujourd’hui. L’obtention d’appellation pour les pierres de France permettrait de les libérer d’un écrin de poussière, de les actualiser pour mieux et plus les employer.

entre les blocs, ils sont passionnés mais parfois absents, comme comprimés par une mélancolie qu’il leur faut mettre de côté. Car l’heure n’est pas au lâcher-prise, il est grand temps de se battre, extraire cette douce et tendre pierre, piqueter, tailler, excaver, buriner, poncer, caresser et poser pour l’éternité. Et c’est cette fièvre, de la recherche du beau et de l’essentiel en architecture qui réussira peut-être à relancer la pierre massive en architecture contemporaine.

FIGURE 34 : Manutentionnaire à la carrière Hugot et son engin de levage. Photo ; Simon Reynaud

Enfin, Le court-métrage réalisé conjointement à ce mémoire a pour seul but de remettre en lumière cette pierre oubliée. De la faire voir et exister, de la libérer des cercles peu connus et de montrer les Hommes aussi passionnants que muets qui gravitent autour. Vivant

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Voûtes en brique de terre crue de forme ovoïde constructible avec aucun outil coûteux à part une hache afin de tailler les briques sur mesure et un échafaudage de fortune en bois.

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Définition, appareillage n. m. : En architecture, le mot appareil, ou opus en latin, est un terme qui désigne la façon dont les moellons, les pierres de taille, les dalles, les pavés ou les briques sont assemblés dans la maçonnerie.

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La pierre est dure, use les corps, et les esprits. Elle ne fait pas de vieux os, semble-t-il. Pourtant, on se demande si c’est vraiment le cas en voyant le gaillard nordiste qu’est Mr. AUZOU. La soixantaine bien abordée, et pourtant l’habilité toujours intacte, il garde le regard toujours vif et aiguisé. Vous comprendrez facilement que j’ai passé du temps dans les ateliers et les carrières, sans regarder l’heure, autant à discuter avec ces artisans qu’à les filmer modeler les blocs. C’est en voyant ces acteurs de la pierre, inébranlables, parfois jeunes d’une vingtaine d’années comme moi, que j’ai compris qu’au contraire, la pierre conservait les corps, fossilisait ses gardiens, comme pour les en remercier.

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SENNETT Richard, Ce que sait la main : la culture de l’artisanat, Éditions Albin Michel, 2010 FREY Pierre, Learning from vernacular : pour une nouvelle architecture, Actes Sud, 2010 VIGATO Jean-Claude, L’Architecture régionaliste, France 18901950, Paris : Éditions Norma, 1994. FRAMPTON Kenneth, « Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of Resistance », Bay Press, 1983 FATHY Hassan, Construire avec le peuple, Sindbad Actes Sud, 1969 POUILLON Fernand, Mémoires d’un architecte, Le Seuil, 1968 POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Le Seuil, 1964 RAVEREAU André, Le M’Zab, une leçon d’architecture, Edition Parenthèse, 1981 LOOS Adolf, Ornement et Crime, éditions Payot-Rivages, 1931

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CELESSIA Alessandra, Come Il Bianco, Italie-France, 2020 GUZMAN Patricio, Nostalgia de la Luz, Chili, 2010 SORRENTINO Paolo, La Grande Belleza, Italie, 2013 SERREAU Coline, La Belle Verte, France, 1996 CARBAJAL RODRIGUEZ Gisela , Oro Blanco, Allemagne, 2018 BENSOUSSAN Clara , Les maisons de sable, France, 2020 ARUN Mali, La maison, France 2019 MEUNIER Christian, Fernand Pouillon : le roman d’un Architecte, France, 2002 ANCARANI Yuri, Il Capo, Italie, 2014 NATIONAL GEOGRAPHIC, One Strange Rock Series : TerraForm, 2018 COLLINS Hannah, Escribiré una canción y la cantaré en un teatro rodeada por el aire de la noche, Espagne, 2019

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EXPOSITIONS TAHA Amin (architecte), WEBB Steve (ingénieur), BIDAUD Pierre (tailleur de pierre), The New Stone Age" galerie du "Building Center, Londres, février-septembre 2020 BARRAULT Thibault, PRESSACCO Cyril, Pierre. Révéler la ressource, explorer le matériau, Pavillon de l’Arsenal, Paris, octobre-décembre 2018 ARTICLES FREY Pierre, Je promettrai à ton crésus la lune en pierre, Espazium, 11 juillet 2019 DIDELON Valéry, « Eigensinn des Materials », Hyper Article en Ligne - Sciences de l'Homme et de la Société WAINWRIGHT Olivier, The miracle new sustainable product that's revolutionizing architecture – stone! pour The Guardian JACQUIER Francis, LEROUX Marlène, L'aventure de la construction en pierre massive, pour Espazium Magazine. Propos recueillis par Stéphanie Sonnette, TEYSSOU Simon, La soustraction positive, 2019 dans Pierre d’Angle, magazine de l’ANABF. Magazine ‘A’A 417 Construire en Pierre : « utiliser la pierre est une position morale et éthique ». CONFERENCES PERRAUDIN Gilles, la Pierre selon Gilles Perraudin, conférence sur YouTube, 2009 TEYSSOU Simon, Les Entretiens de Chaillot : Pratique réflexive en territoire ordinaire, 2018

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Figure 1 : Carrières Hugot - Photo : Simon Reynaud Figure 2 : Photo : Simon Reynaud Figure 3 : image extraite du film ANCARANI Yuri, Il Capo, Italie, 2014 Figure 4 : carte géologique du monde, Atlas ENS Lyon Figure 5 : carte des carrières calcaire françaises. Source : BRG Figure 6 : coupe schématique représentant différents gisement de roche, extrait du travail de Guillaume Crétin. Figure 7 : maçon tailleur de pierre en train de poser et caller les blocs de pierre d’un futur mur, Sénas, Sept. 2020. S. Reynaud Figure 8 : classification des différentes roches sédimentaires, Guillaume Crétin. Figure 9 : pose de blocs de pierre, chantier école Sénas, S. REYNAUD Figure 10 : Outils de l’atelier Auzou et outils traditionnels d’un tailleur de pierre – Photo : Simon REYNAUD Figure 11 : Outils traditionnels d’un tailleur de pierre – source : article tailleur de pierre Wikipédia Figure 12 : Piscine Leiça da Palmeira, Alvaro Siza, 1966 Figure 13 : Maison Ugalde de Jose Antonio CODERCH- photo : S. Garcia Figure 14 : affiche de l’exposition du MoMA organisé par B. RUDOFSKY Figure 15 : Nouveau Gourna à l’époque du projet – Photo : M. GRILLOT Figure 16 : Nouveau Gourna aujourd’hui – Photo : Hannah COLLINS Figure 17 : Opération de La Tourette, Marseille par F. POUILLON Figure 18 : Opération des 200 logements de F. POUILLON à Aix en Provence. Photo : Ministère de la culture Figure 19 : détail d’un mur pignon des 200 logements de POUILLON, Aix en Provence. Photo : Simon REYNAUD Figure 20 : Système d’exploitation des carrières par Paul MARCEROU pour F. POUILLON. – Source Paul MARIOTA. Figure 21 : Manœuvre mécanicien à l’œuvre 6 Simon REYNAUD Figure 22 : Parc des matériaux de l’atelier AUZOU – Simon REYNAUD Figure 23 : Pont du Gard. Photo : Domaine de Gaujac Figure 24 : capture écran du site Verrechia.fr et son slogan « Guidé par l’exigence » taillé à même la pierre. Figure 25 : Yves Auzou lors d’un entretien en Aout 2020 – S. REYNAUD Figure 26 : documentaire sur l’extraction de blocs de marbre calcaire en Italie – Photo : National Geographic Figure 27 : chai viticole de Gilles PERRAUDIN – photo : G. PERRAUDIN Figure 28 : opération logements sociaux Cornebarrieu par G. PERRAUDIN S. DEMAILLY Figure 29 : opération logements sociaux Cornebarrieu par G. PERRAUDIN – Photo : S. DEMAILLY Figure 30 : page de garde de l’ouvrage de Gilles PERRAUDIN Figure 31 : façade sud de l’opération logements sociaux Bry-Sur-Marne par eliet&lehmann – Photo : E&L Figure 32 : façade nord de l’opération logements sociaux Bry-Sur-Marne par E&L– Photo : E&L Figure 33 : façade et chantier de l’opération logements sociaux d’Oberkampf par Barrault Pressacco – Photo : Barrault Pressacco Figure 34 : Manutentionnaire à la carrière Hugot - Simon Reynaud Figure 35 : caravane dans la carrière Hugot – photo : Simon REYNAUD 4ème de couverture : photo de Giaime MELONI

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Vers un retour de la pierre massive en Architecture Contemporaine en France Simon REYNAUD - Mémoire de fin d’études - ENSA Paris La Villette - 2021

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