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LE TEMPS DE L’ARCHITECTURE
from Mémoire HMONP : Le temps long en architecture, ou la recherche d'une architecture durable dans le te
Pour combien de temps construisons-nous ? Pour qui, avec quels moyens et entretiens arrivons-nous à répondre à ces questions ? Si ces questions méritent d’être posées aux prémices d’un projet, elles sont pourtant souvent écartées par manque d’intérêt pour l’architecture à venir ou “faute de temps”. Le temps de vie d’un projet est alors une notion qui vient interpeller et naît naturellement des deux premières parties, dans ce document de recherche qui traite du temps long en architecture.
De la même manière que les méthodes et matériaux de construction sont souvent choisies par automatisme et manque de recul, la destination d’un bâtiment et son temps de vie sont aujourd’hui calqués sur des considérations financières et d’assurance. La conséquence caricaturale en est que l’architecte construit ainsi pour 10 ans avec en 1978 la naissance de la garantie décennale8. L’architecte assure ainsi la durabilité de son projet au client. Ce dernier lui construit tout au plus pour 50 ans, le temps d’amortir le coût de son bâtiment (dépendamment du type de prêt). Nous pourrions même rétrécir le temps d’usage du commanditaire à quelques années si l’on suit la vision immobilière du directeur immobilier du promoteur Ardian. Bertrand Julien-Laferrière explique dans une contribution pour le laboratoire de recherche PCA-Stream l’accélération des montages de projets avec l’assimilation de ce secteur à celui des montages financiers. Objets sources de fortes capitalisations, l’immobilier n’est non pas seulement fait pour subvenir à un usage qui restera le sujet sur des décennies mais là pour investir, capitaliser et revendre. Le maître d’ouvrage aux nombreuses casquettes immobilières (Ardian, Société Foncière Lyonnaise…) expose l’idée que là où un bâtiment recevait maximum deux usages en 50 ans, il voit aujourd’hui sa fonction changer 6 fois en moyenne en 10 ans. Pourtant, le mot d’ordre est de nos jours la rénovation. Promu par l’Ordre Des Architectes même dans son Manifeste pour une architecture responsable dans les métropoles et les territoires9, le principe de rénovation reste un enjeu de taille dans nos modes de faire et concevoir l’architecture. Pour ce qui est de mon expérience personnelle lors de la rénovation d’une ancienne ferme les Hautes Alpes pour un client, il a été extrêmement difficile de réussir à trouver la motivation et l’envie chez les artisans de toucher à l‘ancien. Les artisans disaient perdre du temps à retaper des murs et que ça serait plus vite allé si on les avait détruit et reconstruit ou encore à garder une charpente qui ne connaissait pas la ligne droite et qui nécessitait des cales pour poser les chevrons et l’isolation. La difficulté qu’ils avaient était de voir le potentiel et l’intérêt autant matériel que mémoriel dans le projet même de rénovation, et encore moins d'intérêt écoresponsable. C’était pourtant les intentions partagées par le client et moi-même qui nous motivaient à nous dépasser et mener à bien ce projet. Avec un budget serré et une maîtrise d’ouvrage aussi exigeante que touche-à-tout, le projet a mis selon le client
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“Entre 4 et 5 ans pour aboutir à ce que je voulais. Mais le temps est-il vraiment significatif quand on a à cœur de réaliser un beau projet qui vivra de nouveau 150 ans certainement ?”
8 Loi Spinetta pour assurer la solidité de la structure d'une construction et donc qu’il soit utilisable pour sa fonction première 9 Site de l’Ordre des Architectes, 2015
C’est avec cette volonté commune que nous sommes arrivés à bout du travail de rénovation de cette ferme. Aujourd’hui, ce projet a lancé une nouvelle posture chez les riverains de la région : décrépir et investir l’ancien. L’ambiance du village en est d’ailleurs impactée, comme s’il revivait une nouvelle jeunesse, fidèle à ses pierres et ses charpentes.
Si j’ai pu découvrir cette tendance de la rénovation au travers de ce projet individuel, de plus grandes instances s’y attellent. Au-delà de la rénovation structurelle et architecturale d’un édifice, nous entendons de plus en plus souvent parler de rénovation énergétique pour un souci d'économie d’énergie notamment. De nombreuses agences ne font plus que ça aujourd’hui, ravalement et Isolation Thermique par l’Extérieur (ITE). Favorisées par les aides de l'État, ces commandes poussent donc à réinvestir le bâti ancien et de ne pas faire table rase, à coups de chantiers de démolition massive qui produisent des tonnes de déchets que nous ne savons pas aujourd’hui recycler ou réemployer. Dans cette optique, l’Europe avait défini dans la Directive déchet l’objectif de valoriser 70% des déchets du BTP à l’horizon 2020. Cet objectif figure également dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015. Avec 50% de valorisation des matériaux en 2022 (principalement utilisés comme sous couches routières), la France n’atteint pas encore les objectifs donnés. Il a été lancé des programmes comme le projet DEMOCLES qui réfléchit sur la notion de démolition durable.
En parallèle de cette réflexion sur la rénovation et le réemploi des matériaux issus du parc immobilier existant, les instances nationales et européennes se mobilisent sur les constructions neuves. Le coût global dans les marchés de maîtrise d’œuvre et de travaux publics est l’une des nouvelles directives imposant une pensée sur le long terme. La norme AFNOR XP X50-155 définit la notion de coût global comme “la somme des dépenses sur l’ensemble de la vie d’un produit pour un usage donné”. Elle revient donc à penser le coût d’une construction dans son temps long. En effet, si nous pensons directement aux coûts de construction, c’est pourtant penser à moitié la vie d’un bâtiment. La maintenance et son entretien constituent proportionnellement le double du prix de construction d’un édifice (cf figure ci-dessous).
Cet outil de commande de l’architecture dû à la maîtrise d’ouvrage publique met en relief le choix de matériaux de qualité ou court-termiste, dans un souci de remise en question de nos modes d’habiter circulaire et durable. Si cette vision n’est pas évidente sur le plan économique, elle apparaît purement logique dans l’approche fonctionnelle d’un bâtiment. Cela met donc en évidence la prépondérance contemporaine de nos circuits de penser tournés vers le financier, et qui peuvent être
souvent trompeurs. Pour le cas de l’entretien et la reconversion d’une structure béton comme celle du CND à Pantin, la maîtrise d’ouvrage a besoin de 15,6 millions10 d’euros seulement 50 ans après pour remettre le bâtiment à flot. Le parallèle avec l’entretien d’un bâtiment en pierre massive est dérisoire. La seule nécessité est de passer un coup de jet d’eau tous les 20/30 ans avec un prix de 50€ /m². La réflexion des maîtres d’ouvrage du secteur public va plus loin en développant le coût global étendu, aussi appelé économie globale, qui prend en compte les revenus, externalités et coûts hors construction (image du maître d’ouvrage, qualité d’usage, les impacts sur l’activité de l’organisation…). Pourtant, si ces outils et réflexions sont inspirants et signe d’une véritable remise en question sur nos pratiques court-termistes, le principe de table-rase et de consumérisme constructif est encore présent dans de grands projets.
Qualifié de rénovation urbaine, le projet d’Euroméditerranée de l’établissement public d’aménagement marseillais semble ignorer ces principes. Qualifiés d’ “urbanistes du rouleau compresseur11”, l’EPA Euroméditerranée qui a entamé sa deuxième phase depuis 5 ans maintenant fait table rase sur 480 hectares de la cité phocéenne “au service de l’hygiène et de la sécurité”. Dans une course aux labels12 afin de redorer l’image de Marseille, l’intention est de reconstruire à zéro dans la plus vieille ville de France. Abstraction donc des sites archéologiques, des marchés centenaires, des écosystèmes communautaires, les promoteurs et marchés publics arrivent “avec leurs gros sabots dans un quartier finement agencé”13 .
Et si démonter les structures pouvait permettre d’en recomposer d’autres ? Là où la démontabilité des constructions faites en matériaux naturels est facilement exécutable, les structures en béton deviennent des tas de tout-venant que l’on cache sous le tapis de nos autoroutes. Pourtant le réemploi a toujours insufflé créativité et spécificité dans le passé, comme pour le cas des immeubles dits “marseillais” tramé sur la dimension des mâts de bateau déclassés ou les pierres récupérées des ruines voisines. Aujourd’hui, composée avec des matières transformées et aux structures complexes, l'architecture peine à faire renaître cette notion de réemploi bien qu’elle soit d’actualité et de nécessité.
10 LE MONITEUR, La reconversion pas à pas du Centre de la danse à Pantin, Milena Chessa, 2013 11 Magazine CQFD n°93, Euromed dévore Marseille, Saskia Mori 2011 12 Le pérenne et le temporaire dans la fabrique urbaine, Iona Iosa, édition L'Harmattan, 2022 13 PRIMITIVI, Fin de la concertation Euromed, 2014