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Introduction
from Mémoire HMONP : Le temps long en architecture, ou la recherche d'une architecture durable dans le te
« Il n’y a pas de temps pour échanger, nous devons avancer les travaux ». Lors de ma première réunion de chantier de ma Mise en Situation Professionnelle, la maîtrise d’ouvrage donne le ton en même temps que mon sujet de mémoire. Très surpris, je n’arrivai pas voir dans cette fuite du temps une fin en soi du projet.
L’humain a toujours eu tendance à quantifier cette notion de « temps qui passe », que ce soit avec le passage du soleil sur un cadran, en créant les journées de 24h, les mois de 30 ou 31 jours, et les années de 365 ou 366 jours. Standardiser le temps, le modeler, une manière à nous de tenter de se l’approprier et qu’il nous apprivoise. Parce que : « C’est pas le temps qui passe mais nous »1
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Temps et durabilité
Pour autant, si “nous passons” ce qui exprime l’idée d’une durée limitée, nous connaissons aussi le temps long comme ce facteur de la Drôme du 19ème siècle, érudit, architecte-artiste-philosophe autodidacte. Animé et inspiré tout au long du temps de ses tournées de 30 km quotidiennes, pourrions-nous dire qu’il avait le temps de penser ? Il a en tout état de cause eu sur un temps long le temps de créer son « rocher », pendant 33 années de sa vie, œuvre aujourd’hui connue sous le nom du Palais du Facteur Cheval classée aux monuments historiques.
Avec l’idée de la durée, cette œuvre et cette histoire singulières lient aussi au temps long une autre notion qui fait naître l’idée de ce mémoire : le rapport entre le temps long du chantier et la durabilité du bâti dans le temps.
Aussi la recherche de ce présent mémoire vise à explorer le rapport, proportionnel ou non, entre un projet maturé avec le temps de réflexion-production et un édifice idéal bien pensé dans son contexte, qui vivra des siècles et qui fera architecture. La citation d’Auguste Perret peut nous venir alors à l’esprit :
« L'architecture, c'est ce qui fait les belles ruines »
Cette citation est celle d’un architecte qui a étudié les antiques à l’école des Beaux-arts de Paris et construit les premières architectures en béton armé en France. Il avait une certaine notion de l’épaisseur et du choix et de la vie des matériaux. Sa citation nous amène à réfléchir sur le potentiel des ruines. Évocatrices d’imaginaire, marqueurs du temps passé et témoin de l’histoire d’un lieu, ces ruines peuvent aussi amener à faire peau neuve, à refaire projet, à construire autour quand elles sont belles ou à reconstruire dessus, avec toute la subjectivité que cela implique. Cette vision-là évoque aussi l’aspect régénératif de l’architecture dans sa vie globale. Des notions que nous verrons donc dans ce mémoire comme des pistes de réflexion et de transition vers une architecture durable.
Ce mémoire prend place à une époque où nos habitudes et façons de faire sont sans cesse questionnées. Durabilité, empreinte carbone, seconde vie des objets ou encore reconversion des bâtiments tant d’approche qui invitent l’acte de faire architecture dans une remise en question globale. Marqueur de son époque, cet art au croisement de centaines de métier est en passe d'une énième mutation, et où la pratique et la « fast-architecture » sont remises en question pour une approche plus éthique et durable.
1 Le facteur cheval
Temps et matériaux
Jeunes architectes de la génération Z, avec comme lettre la dernière de l’alphabet, à une époque où collapsologie et crises climatiques se mêlent au rythme des rapport du GIEC, notre posture est forcément questionnée à ce que produit notre profession en matière de bâtiments. Ce secteur est consommateur de 43% des énergies nationales et générateurs de 23% des émissions de gaz à effet de serre. Il constitue donc un enjeu de taille pour son action sur le climat avec des bilans lourds en consommation d’énergie ou de matériaux : 70%2 des déchets des aires urbaines sont en effet produits par ce secteur.
Dans notre société occidentale, nous n'avons eu de cesse de concevoir des objets avec une utilité définie et une dégradation inévitable. Ces objets ont donc une résonance de produit en commerce, qui a une vie finie mais qui n’est pas pensée dans son entièreté : recyclage, seconde vie, réemploi ou décomposition amenant à une régénération. “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, disait Lavoisier. Il est aujourd’hui primordial de penser un objet dans sa totalité, dans une logique de durabilité et d’économie circulaire. C’est de cet effort de conception que le “durable” peut s’inscrire en architecture et se traduire au travers de deux notions transverses : la durabilité dans le temps d’un artefact, des matériaux qui le composent, mais aussi leur inscription dans l’environnement, au sens écologique du terme.
S’ils sont indispensables à la réalisation de nos projets, le choix et l’utilisation des matériaux deviennent donc un enjeu de taille et impliquent une refonte dans la façon de concevoir l’architecture.
Le temps des artisans
En pleine réflexion sur l’implication de mon futur métier dans ces enjeux contemporains, je n’ai eu de cesse de me questionner au cours de mes contrats et en particulier lors de mon année de HMONP auprès de l’agence LA/BA. C’est en effet une structure multidisciplinaire où l’espace public et l’aménagement urbain sont les protagonistes au service de la mobilité douce, réel enjeu pour un mieux vivre dans nos cités. Pressé de faire du terrain après nos longues études théoriques, collaborer avec les entreprises m’a permis de me confronter, au temps du projet, à sa mise en œuvre et donc parfois à la confrontation dans la gestion des délais entre le maître d'œuvre et les artisans.
Accompagné par une OPC peut expérimentée et projeté sur un chantier compliqué, en site occupé, avec une maîtrise d’œuvre désordonnée, j’ai beaucoup appris et découvert le temps du chantier et de ses aléas. Sur le fond, il ne faut jamais perdre de vue que les entreprises, maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre ont le même but commun, finir correctement le projet « dans les temps ».
Ces expériences m’ont confirmé l’intérêt pour le temps du projet et en particulier de mieux comprendre l’insatiable urgence qui anime aujourd’hui les chantiers. Venu à l’architecture avec à l’esprit les projets « révolutionnaires » de Gilles Perraudin et son utilisation contemporaine de la pierre massive, j’ai toujours eu un intérêt pour tout ce qui se rattachait à l’architecture vernaculaire ; cellesci se rapprochant d’ailleurs souvent des constructions en matériaux naturels. Nourris par des récits comme Les Pierres Sauvages de Fernand Pouillon, où l’architecture naît du site, contrainte par les éléments et par les ressources locales, l’écart avec les méthodes, matériaux et outils qui caractérisent le chantier contemporain m’a particulièrement marqué.
2 Données du Ministère de l’écologie
Au travers de ces multiples découvertes et apprentissages il m’est apparu que le temps est l’un des “matériaux” que l’architecte doit savoir maîtriser pour mener à bien son projet. Mais, qu’est-ce que le temps en architecture, en particulier le temps long ?
Temps et projet : une première approche
Etymologiquement, le temps vient du grec ancien τεμνεῖν (temnein), qui signifie « couper », et fait référence à une division du flot du temps en éléments finis. Si scientifiquement la notion de temps n’est pas aussi facilement quantifiable, son origine renvoie aux besoins de l’Homme de pouvoir le gérer et le définir.
Coupé en 3 parties distinctes en histoire, le temps prend la forme de passé-présent-futur avec un principe de causalité où le temps est considéré comme des strates qui impactent celles qui les suivent. Ainsi une certaine hiérarchie du temps existe. Par exemple, un relevé de géomètre mal exécuté aura une conséquence directe et inévitable sur les précisions d’un projet architectural.
Selon Aristote, le temps est étroitement relié au mouvement : ”le temps est le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur”.3
Une première approche du temps long en architecture est de convenir qu’il ne s’agit pas d’une question de lenteur et de passivité dans l’exercice du projet. Au contraire, c’est cette tension entre prendre le temps de réfléchir le projet dans une dynamique en mouvement que le projet prend forme.
L'antinomie du temps en grec est l’ATOMOS, l’atome qui est pour eux à l’époque une unité indivisible au cœur des électrons en mouvement. Cette tension entre atome-cœur immobile et indivisible- et électrons - élément chargé négativement en mouvement aléatoire - est intéressante pour imager le rapport entre le temps fini du projet qui prends souvent une forme linéaire et peut se traduire en graphe de Gantt et la dynamique de conception souvent non linéaire.
3 Aristote, Physique IV.
De façon plus générale, il est communément admis que le temps peut être approché sous au moins deux caractéristiques :
· Un temps cyclique : caractérisé par le cycle des minutes, des jours, des saisons, des années, de la vie…
. Un temps linéaire : caractérisé par l’évolution d’une graine en plante, une transformation irréversible, le passage de la naissance à la mort…
La caractéristique linéaire a servi à mesurer le temps, par exemple par le transvasement d’un liquide d’une amphore dans une autre ou encore par la combustion complète d'une bougie.
De son côté, la régularité du retour de certains événements donne une mesure plus précise. Les phénomènes périodiques naturels ont permis d’établir très tôt une durée, de définir un calendrier et donc de quantifier le temps, c'est-à-dire lui associer un nombre et une unité, en effectuer une mesure.
Le temps long en architecture fait plutôt référence au temps linéaire entre le début et la fin du projet de réalisation d’un artefact. Mais si l’on intègre dans le projet la destruction de l’artefact et le recyclage des matériaux, le caractère cyclique du temps peut être associé au projet.
Par le terme “projet” utilisé dans l’intitulé du mémoire, il est important de préciser que ce terme englobe la totalité de ce qui fait architecture. En effet les deux expressions faire projet et faire architecture se mêleront dans mon mémoire comme synonymes. Le projet en architecture constitue dans le métier les phases de diagnostics, de conception et de construction que nous étendrons, dans le but précis du mémoire, à la vie du projet.
Des notions de temps et de projet architectural cité ci-dessus découle la trame réflexive de ce mémoire professionnel. Je tenterai donc d’explorer l’évolution du temps nécessaire pour faire une architecture durable et intemporelle, au travers des trois thématiques que sont : le temps des matériaux, le temps des artisans et le temps de l’architecture en elle-même.
Ces trois composantes de ma réflexion ne sont bien évidemment pas exhaustives. Nous tenterons cependant d’explorer ces trois thématiques, dans un effort de spécifications et de tentative de trouver certaines réponses à la question du temps long en architecture.