Les fermes verticales

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Les fermes verticales L’agriculture urbaine du XXIème siècle? Etat des lieux des recherches en cours sur cette nouvelle architecture

©2009 The New York Times Company

Mots clés agriculture urbaine et verticale - mode de vie - développement durable - paradigme sociétal - Nord/Sud - architecture urbanisme

Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon_2010



Sommaire 1_L'agriculture urbaine au XXème siècle 1.1_Contexte • Le Développement Durable.............................................................................p:5 • Définition: L’agriculture urbaine et péri-urbaine..............................................p:11 • Panorama mondial de l’agriculture urbaine et péri-urbaine...........................p:14

1.2_ Comparaison des modes de productions agricoles: • L’agriculture intensive......................................................................................p:17 • L’agriculture biologique...................................................................................p:17 • L’agriculture raisonnée....................................................................................p:18

2_Les circuits courts en millieu urbain 2.1_Les circuits courts •Les AMAP........................................................................................................p:19 •Les jardins partagés........................................................................................p:20 •Les circuits courts domestiques......................................................................p:21

2.2_L’agriculture verticale • Théorisation de l’Agriculture Verticale...............................................................p:22 •Avantages et inconvénients de l’agriculture verticale......................................p:22 • L’agri-tecture verticale: les fermes verticales................................................p:23

3_Paysage architectural du XXIème siècle: les fermes verticales 3.1_Programme mixte • a_Harvest Green Project................................................................................p:27 • b_Agro-Housing .............................................................................................p:30 • c_Tour Vivante.................................................................................................p:33 • d_Blake Kurasek.............................................................................................p:36 • e_ Jung Min Nam..............................................................................................p:39

3.2_Programme mono-fonctionnel • f_ Plantagon Greenhouse..............................................................................p:43 • g_ Experimental Vertical Farm...........................................................................p:45

4_Conclusion.............................................................................................p:48

5_Bibliographie...................................................................................p:52

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Introduction

Lorsque l’on parcourt la presse spécialisée, ou au détour de concours1, on entrevoit des projets d’un genre nouveau. Mêlant écologie, nature, développement durable, ces projets ont en commun une prise en compte de la nature différente des projets “simplement” végétalisés2. Plus qu’une nature ornementale, ces projets montrent comment il est possible d’introduire la production agricole dans les problématiques architecturale et urbaine. A l’intérieur de cette notion très large d’agriculture urbaine, il apparaît ainsi qu’un nouveau type de constructions est en train d’éclore dans nos cités, apportant un regard neuf sur la relation qu’entretiennent la ville et la campagne, l’architecture et l’agriculture.

Aujourd’hui, en marge de ces projets dit d’agriculture verticale, la question est de savoir s’il ne s’agit que d’un décor, une nouvelle ornementation en quelque sorte, ou au contraire, d’un véritable mode de vie qui, en puisant dans l’idéal humaniste post-romantique de la nature en ville, contribue à améliorer le quotidien des gens, peut constituer un allié contre la crise alimentaire mondiale3, et aider à lutter contre une “mauvaise” artificialisation des sols, ou au contraire, y participer. Dans un premier temps, nous nous replacerons dans le contexte actuel du développement durable pour ensuite bien comprendre quels sont les enjeux de l’agriculture urbaine et péri-urbaine. N’est-ce qu’un artifice esthétique dissimulant l’expansion de nos villes ou une composante nécessaire de la chaîne agricole rurale? Pierre Donadieu (ingénieur horticole et géographe) et André Fleury (ingénieur agronome) sont à l’origine d’un texte “manifeste” sur ces questions, et nous l’aborderont pour y voir plus clair. Dans la lignée de la réflexion sur l’artificialisation du sol agricole engagée dans le mémoire “La maison individuelle, casse tête de la planification urbaine”4, je cherche dans un premier temps par ce travail à mieux comprendre la notion d’agriculture urbaine, oxymore des temps nouveaux et paradigme sociétal. Contradiction contemporaine, car en effet, nous avions tendance jusqu’aujourd’hui à opposer l’urbain au rural, alors que l’Histoire nous rappelle comment les premières cités furent bâties par nos ancêtres lorsque, se sédentarisant pour cultiver et élever, il leur fallu organiser la vie collective et tirer un profit de leur labeur. Et de même, paradigme sociétal tant aujourd’hui, nous voyons bien que les choix politiques vis-à-vis de la gestion des espaces naturels urbains et périurbains ne sont pas affirmés, mais plutôt équivoques. Cette gestion des espaces urbains et péri-urbains est difficile. Préserver l’agriculture et développer le cadre de vie des habitants de ces territoires révèle une complexité qui bien souvent, ne laisse que peu de place aux considérations paysagères novatrices.

1- Cf par exemple le concours Skyscraper EVOLO, 2-Cf les travaux de François Roche, notamment I’mlostinParis 3- Rapport de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations) préconisant l’agriculture urbaine et les boucles courtes pour faire face aux besoins de sécurité alimentaire, aux défis de l’urbanisation et de la périurbanisation, notamment dans les villes des pays dits pauvres. 4-“La maison individuelle, casse tête de la planification urbaine”, mémoire de licence, ENSAL 2008: Les Français, comme de nombreux occidentaux, veulent accéder à la propriété, et dans un pourcentage très élevé, il s’agit d’une maison individuelle, d’un pavillon. Dans ces programmes, on constate que les maîtres d’ouvrages se tournent vers des constructeurs à défauts d’envisager le recours à un architecte, et que les élus des zones rurales ou périurbaines ne sont pas assez engagés face aux conséquences néfastes de cette prolifération. Cette étude s’attache donc à questionner ce modèle en expansion, pour comprendre quelles seraient les pistes pour rééquilibrer la consommation de territoires artificialisés.”

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L’extension des villes occidentales depuis la révolution industrielle de la seconde moitié du XIXème siècle s’est cependant toujours accompagnée de cette réflexion sur les espaces agricoles péri-urbains. C’est ainsi que, comme le rapporte le sénateur Gérard LARCHER, dans son rapport sur la gestion des espaces péri-urbains, les signataires du projet de loi portant cession du Bois de Boulogne à la ville de Paris en 1852 notaient : “Chaque jour la campagne recule, envahie par des constructions nouvelles. Tâchons de ménager aux quartiers, qui ne tarderont pas à s’ajouter à la ville actuelle, un peu de cet air et de cet espace que l’imprévoyance de nos pères nous force à racheter aujourd’hui à si grands frais dans l’enceinte de nos vieilles cités”. Il apparaît depuis longtemps de nombreuses propositions mettant en oeuvre un process complet permettant de recréer la “boucle courte”, autrement dit, un réseau de distribution raccourci5 qui valorise l’usage de terres agricoles à proximité des zones urbaines. Mais ce n’est pas les jardins ouvriers instaurés au début du siècle dernier6 que nous étudieront, et tels que Dominique Louise Pélegrin nous les dépeint dans son ouvrage “Stratégies de la framboise” 7, ni non plus ces nouveaux espaces partagés à la mode que sont les jardins communautaires8 et autres community gardens au Etats-Unis. Si nous nous attacherons à mieux comprendre les bases historiques de ces mouvements, ce sera pour mieux faire le parallèle avec l’enjeu social de l’agriculture verticale. Car si au cours du XXème siècle se répandirent toutes ces formes d’agriculture urbaine et péri-urbaine dans nos villes occidentales, nous assistons aujourd’hui à un basculement des modes de pensée, avec la conquête d’un entre deux, d’une “agri-architecture”, une agri-tecture. Nouvelle problématique théorisée mais pas réalisée, il me paraissait donc judicieux de m’intéresser à cette composante à part entière de ce que nous appelons agriculture urbaine, les “fermes verticales”. En marge de l’utilisation de toitures existantes9, l’émergence de ces projets d’architectures spécifiques est une conséquence observable de ce nouveau champs doctrinal dans de nombreux pays de l’hémisphère Nord10, tandis qu’au Sud, l’agriculture urbaine et péri-urbaine ne se manifeste toujours pas en dehors de la surface horizontale de référence, le sol naturel.11 En effet, dans les pays du Sud, l’agriculture est toujours restée très liée au développement urbain en conservant un rôle central,mais nous verrons cependant que l’agriculture verticale s’y développe aussi, porté par des ONG, sans tomber

5-“Eco-solutions aux problèmes de la crise économique et immobilière”, Pierre-Gilles Bellin chez Eyrolles, 2009 6-“Cent ans d’histoire des jardins ouvriers” Sous la direction de Béatrice Cabedoce et Philippe Pierson. Editions CREAPHIS 1996. et “es jardiniers, hors la ville, dans la cité ?” Ruth et Guy Ballangé. Editions du Linteau 1999 7-“Stratégies de la framboise”, Dominique Louise Pélegrin, éditions Autrement 8- “L’Îlot d’Amaranthes”, Emmanuel Louis Grand, Editions Roger Tator 9-A Montréal, la forte demande et l’espace limité dont disposent les jardins urbains ont incité une organisation montréalaise de développement à faire l’essai d’un système de « culture hydroponique simplifiée », une forme d’agriculture en terrasse qui vient directement du monde en développement. “Pour le moment, notre objectif consiste à mettre au point une technologie écologique et qui, parce qu’elle fait appel à peu de moyens de production, permet de cultiver à peu de frais des potagers dans les villes”, explique Karen Templeton, chercheuse auprès d’Alternatives, réseau d’action et de communication pour le développement international. “À la prochaine étape, il nous faudra trouver autant d’applications que nous le pourrons” 10-La plupart des projet,non réalisés, sont implantés (fictivement) en majorité dans les pays du NORD. 11-”AGRICULTURE IN THE CITY, A Key to Sustainability in Havana, Cuba”, de María Caridad Cruz et Roberto Sánchez Medina

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dans l’approche très technologique des projets occidentaux. En occident, et les jardins partagés ou communautaires en sont des exemples, notre rapport à l’agriculture vitale s’est dissout dans l’allongement des réseaux de distributions, pour ne garder que la perception esthétique de la nature, un engouement pour la beauté de la naissance d’un fruit12, d’un légume, d’une fleur comme autant de madeleines de proust post soixante-huitardes ; Si les jardins ouvriers se développèrent pour permettre aux classes sociales défavorisées d’avoir une certaine sécurité alimentaire, les formes d’agriculture citées plus haut jouent ainsi plus sur le registre du plaisir que de la nécessité.Il en va de même avec le développement des formes organiques “gratuites” en architecture13. Seule l’application presque analogue des structures naturelles avec le travail de Freï OTTO14, ou les recherches récentes dans le domaine du bio-mimétisme15 permettent aujourd’hui d’aller au delà de l’esthétique, pour mettre en perspective de nouveaux langages formels certes, mais une structuration environnementale de notre monde bâti pérenne et optimale. A sa manière, quelqu’un comme Luc Schuiten s’avère être l’un des tenant de la “doctrine verte”, dont la relation intime que jouent l’urbanisme et l’architecture avec la nature témoignent déjà de l’approche globale qui pourrait devenir une posture commune à la société16. Cela nous aménera à réfléchir au sens que l’on veut donner, sous prétexte écologique, à la mise en place d’une “structure végétale” de grande ampleur, seul rempart au fatalisme destructeur de nos dirigeants, et seul espoir de vie. L’agriculture urbaine et son intégration aux systèmes bâtis semble ainsi contenir plus de sens que les projets végétalisés traditionnels et nous nous attacherons donc à mieux comprendre la genèse de cette démarche, en mettant en perspective les recherches en cours. En effet, un peu plus d’une décennie après les premières intentions développées sous la direction du professeur Dikson DESPOMMIER, de la Columbia University, l’état d’avancement des recherches nous permettra de voir comment l’urbanisme et l’architecture, en terme de programme comme dans toutes leurs composantes sociologiques, structurelles et économiques sont associées à la question d’une agriculture de proximité, une agriculture quotidienne. Peut-être parviendronsnous alors à touver une réponse aux questions qui suivent: L’agriculture urbaine dans son intégration aux systèmes bâtis peut-elle qualifier la ville du futur en devenant un système complémentaire de l’agriculture urbaine traditionnelle? L’agriculture verticale peut-elle en plus d’être un témoin buccolique du pittoresque d’antan, devenir un catalyseur d’usages et de réflexes nécessaires au maintien d’un équilibre sinon social, tout au moins écologique?

12-NAOUFEL, Day. Vers une représentation symbolique de l’arbre fruitier en milieu péri-urbain, le cas de Chambourcy et de ses environs. Mémoire de DEA de l’école d’architecture de Paris-la-Villette et de l’EHESS, 1995. 13-Santiago Calatrava, James Wines, Marc Mimram, Zaha Hadid, Jacques Ferrier, Jean Nouvel, Patrick Berger, Edouard François.....Tous, même si certain ne se revendiqueront pas comme tels usent de l’esthétique organique pour diffuser un dogme esthético-romantique de la forme naturelle appliquée à l’objet architectural. 14- “[Frei OTTO] tient régulièrement des séminaires où des biologistes dissertent sur leurs recherches sur les structures végétales ou animales. En dehors d’adaptations aussi évidente que la “colonne vertébrale”, ses méthodes ont tendance à produire des formes.Par exemples les structures “en arbre” ou les treillis ont un caractère éminemment organique. Frei Otto ne nie absolument pas la qualité esthétique de son oeuvre mais il soutient que les formes ne sont rien d’autres que la manifestation physique des lois qui gouvernent la nature des matériaux et qu’elles restent hors de la portée de quiconque tenterait de les produire d’une manière exclusivement subjective”.. (d’après Ludwig Glaeser) 15- “Biomimicry : Innovation Inspired by Nature” by Janine M. Benyus, 1997, HarperCollinsPublishers 16-” Vegetal City” et “Archiborescence”, Luc Schuiten, Ed Mardaga

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L'agriculture urbaine

au XXème siècle

1.1 Contexte • Le développement durable Comment est née la notion du développement durable ? Il y a maintenant plus de quarante ans, en 1968, le Club de Rome était constitué. Ce groupe de travail, formé de plusieurs personnalités importantes dans leurs pays, souhaitait alors apporter un regard scientifique sur l’évolution du monde et cerner les limites de croissance économique.Quatre ans plus tard, en 1972, les membres de l’équipe de chercheurs du MIT mandatés pour l’étude publièrent ce qui s’annonçait comme une preuve tangible qu’une croissance économique démesurée risquait d’entraîner un déséquilibre socio-économique mondial: “The limits to growth”.

1968

Création du Club de Rome regroupant quelques personnalités occupant des postes relativement importants dans leurs pays respectifs et souhaitant que la recherche s'empare du problème de l'évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance économique

1972

1979

Le Club de Rome publie le rapport “The limits to growth” , rédigé à sa demande par une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology. Ce premier rapport donne les résultats de simulations informatiques sur l’évolution de la population humaine en fonction de l’exploitation des ressources naturelles, avec des projections jusqu’en 2100. Il en ressort que la poursuite de la croissance économique entraînera au cours du XXIe siècle une chute brutale des populations à cause de la pollution, de l’appauvrissement des sols cultivables et de la raréfaction des énergies fossiles. La mise à jour en 2004 met fin au rumeurs en apportant la preuve que les prédictions étaient vraisemblables. Une conférence des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm expose notamment l’écodéveloppement, les interactions entre écologie et économie, le développement des pays du Sud et du Nord. Il sera rétrospectivement qualifié de premier Sommet de la Terre. C’est un échec relatif, avec aucun compromis clair[7], mais la problématique semble dès lors posée : l’environnement apparaît comme un patrimoine mondial essentiel à transmettre aux générations futures

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Le philosophe Hans Jonas exprime cette préoccupation dans son livre Le Principe responsabilité.

1980

L’Union internationale pour la conservation de la nature publie un rapport intitulé La stratégie mondiale pour la conservation[8] où apparaît pour la première fois la notion de « développement durable », traduite de l’anglais « sustainable development »

1987

Une définition du développement durable est proposée par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (Rapport Brundtland). Le protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone est signé le 16 septembre, signe qu’un engagement collectif est possible.

1991

Le Premier ministre français Édith Cresson, qui vient de créer un Ministère de l’Environnement (attribué à Brice Lalonde) évoque le terme de développement durable dans son discours de politique générale


Lorsqu’en 1969, les Américains posèrent leurs pieds sur la Lune, nous étions déjà sûr d’une chose: la “Finitude” de notre planète.Et avec ce rapport, c’est une nouvelle philosophie économique qui est en jeu, sans quoi nous courrons à la catastrophe. Si le mot décroissance n’est pas prononcé à l’époque1, la question de savoir si le développement économique est compatible avec la protection de la planète est posée. De la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain à Stockholm, en 1972, résultera donc le concept du développement durable, alors nommé Eco-développement pour désigner cette prise de conscience. On insiste sur la nécessité d’intégrer l’équité sociale et la prudence écologique dans les modèles de développement économique du Nord et du Sud. Il en découlera la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) ainsi que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

1- un article d’André Amar publié en 1973 est vraisemblablement le premier texte où figure le mot décroissance employé dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui. Cet article a été publié il y à 37 ans dans un numéro de la revue La Nef (n°52, revue disparue, mais le nom est toujours employé par d’autres éditeurs) intitulé “les objecteurs de croissance”aux côtés de ceux d’autres personnalités comme Jacques Attali, Jean-Pierre Chevènement, René Dumont, Michel Rocard…

1992

Deuxième sommet de la Terre, à Rio de Janeiro. Consécration du terme “développement durable”, le concept commence à être largement médiatisé devant le grand public. Adoption de la convention de Rio et naissance de l’Agenda 21. La définition Brundtland, axée prioritairement sur la préservation de l’environnement et la consommation prudente des ressources naturelles non renouvelables, sera modifiée par la définition des « trois piliers » qui doivent être conciliés dans une perspective de développement durable : le progrès économique, la justice sociale, et la préservation de l’environnement.

1994

1997

Publication de la charte d’Aalborg sur les villes durables, au niveau européen.

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3e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, à Kyōto, au cours duquel sera établi le protocole de même nom

2002

Sommet de Johannesburg : En septembre, plus de cent chefs d’État, plusieurs dizaines de milliers de représentants gouvernementaux et d’ONG ratifient un traité prenant position sur la conservation des ressources naturelles et de la biodiversité. Quelques grandes entreprises françaises sont présentes

2005

Entrée en vigueur du protocole de Kyōto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne. Adoption, en France, d’une charte de l’environnement, insistant sur le principe de précaution.

2007

Le Grenelle Environnement (souvent appelé Grenelle de l’environnement) Ensemble de rencontres politiques organisées en France en octobre 2007, visant à prendre des décisions à long terme en matière d’environnement et de développement durable, en particulier pour restaurer la biodiversité par la mise en place d’une trame verte et bleue, et de Schémas régionaux de cohérence écologique, tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre et en améliorant l’efficience énergétique.

2009

Conférence de Copenhague sur le climat. Le traité qui en résulte affirme la nécessité de limiter le réchauffement planétaire à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle mais aucun accords contraignants les EU et la Chine à réduire leurs émissions de GES n’a été signé (Les deux pays les plus pollueurs).


Le rapport de Gro Harlem Brundtland, “Our Common Future”, “Notre Avenir à tous”, publié en 1987 présente le terme Sustainable Development, pour Développement Soutenable. À l’époque Premier ministre en Norvège et présidente de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, madame Brundland s’attacha à définir ce concept de Sustainable Development. Et depuis cette date, le concept de développement durable a été adopté dans le monde entier, bien que la traduction anglaise soit plus juste aux yeux de certains. Le Sustainable Development est ainsi “un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs” dans sa version la plus courte. Deux concepts sont inhérents à cette notion : “le concept de “besoins“, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir” , selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dans le Rapport Brundtland2 Cette définition pointe du doigt l’aspect équitable du développement durable. Ainsi, la question que l’on se posera dans cette étude et de comprendre en quoi 2- Du nom de Gro Harlem Brundtland, ministre norvégienne de l’environnement présidant la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, ce rapport intitulé “Notre avenir à tous” est soumis à l’Assemblée nationale des Nations unies en 1986.

Ci-dessus: couverture de La Nef n°52, “Les objecteurs de croissance”1 A doite: Couverture de “The limits to growth”2 1-Consultable auprès de l’Institut d’Etudes Economiques et Sociales pour la Décroissance Soutenable et à cette adresse: http://www.decroissance.org/?chemin=textes/amar 2-En savoir plus: http://www.manicore.com/documentation/club_rome.html

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l’agriculture verticale peut-elle aider à équilibrer l’augmentation prévisible de la population et son accès équitable à la nutrition, en s’intégrant dans le système de l’agriculture urbaine tel que définit de nos jours et l’agriculture en général, sachant que cette augmentation démographique se produira dans le périmètre de grandes zones urbanisées. La question de la surpopulation Le rapport du Club de Rome montrait notamment dans ses analyses les relations entre les quantités de ressources disponibles, les pollutions et le développement industriel, la nourriture et la démographie (cf illustration 1). De plus, si l’on regarde un graphique à l’échelle de quelques millénaires, il apparaît clairement que l’augmentation exponentielle de la population est survenue avec la révolution industrielle (cf illustration 2).

illustration 1

World population, billions

6 5 4 3 2 1 0 10,000 BC

8000

6000

4000

2000

AD 1

1000

2000

illustration 2 Le seuil (en nombre d’habitants par hectares) au-delà duquel on parle de surpopulation varie fortement selon le type de territoire considéré, le comportement des habitants, et des ressources qu’il offre. Un naturaliste nous dirait que dans les populations animales ou végétales, la surpopulation n’existe que relativement aux ressources vitales disponibles (ressources en eau, en nourriture ou nutriments et en espaces). En revanche, appliquée à l’humanité, la notion de surpopulation est différente. Thomas R. Malthus, ou Karl Marx ont notamment réfléchis à cette question. 8


Selon eux, ce seuil dépendrait de la consommation individuelle et collective de ressources qui ne sont pas, peu, difficilement, lentement ou coûteusement renouvelables. Il dépendrait aussi de l’accès (plus ou moins équitablement partagé) à ces ressources. Ces mêmes auteurs définissent les ressources comme étant : •parfois ou dans une certaine mesure substituables (le charbon a remplacé le bois, le pétrole a remplacé le charbon, etc.) ; • plus ou moins gaspillées (Cf. efficience énergétique par exemple) ; • pour partie dépensées pour des besoins non vitaux. Les travaux de Malthus ont donné lieu à une doctrine protectionniste et antisociale (car faisant des classes pauvres la source du mal), le Malthusianisme3. Selon cette doctrine, une croissance démographique plus rapide que celle de la production alimentaire mettrait la civilisation en danger. Pour contrer cela, Malthus souhaiterait promouvoir le contrôle de la natalité entre autre. Plus contemporaine, la doctrine Néo-Malthusienne prône notamment une limitation des naissances par un accès à l’avortement et aux moyens de contraception généralisé, tout en restant une des plus impopulaire doctrine qui soit. Ce qui est certain, c’est qu’il existe de nos jours très peu de territoires occupés par l’Homme qui soient en autarcie alimentaire et énergétique. Avec le développement des transports, les biens communs et les ressources énergétiques, minérales ou agricoles, produites sur des territoires donnés, ont été diffusés sur l’ensemble de la planète.De plus, les progrès techniques permettant un meilleur usage des ressources augmentent l’offre des produits consommateurs de ces ressources4. Cependant, si le mirage des énergies fossiles nous a permis d’outre-passer la capacité bioproductive de notre environnement, il a aussi permis à l’Homme de réaliser des avancées majeures dans la compréhension du monde qui l’entoure. C’est notamment ce qui explique qu’aujourd’hui, il reste difficile de changer de cap sans y voir une certaine régression. Le développement durable apparaît dès lors dans toute sa complexité, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer de nombreux enjeux pour les décennies à venir. Les enjeux du Développement Durable Aujourd’hui, pour résumer, voici les pistes à suivre que l’on peut relever dans les débats pour retrouver un équilibre permettant aux différents peuples de se développer sans mettre en péril les capacités à se développer des générations futures: • Rééquilibrer les pouvoirs entre les priorités économiques et les impératifs sociaux et écologiques en: _intégrant des obligations de respect de l’environnement et des normes sociales dans le mécanisme des marchés financiers. _substituant aux spéculations boursières rapides des projets économiques viables et équitables à long terme. • Instaurer une nouvelle pratique des décisions gouvernementales. Les décisions politiques sont encore trop souvent calculées à court terme, pour répondre à des intérêts économiques particuliers sans tenir compte de l’impact à long terme pour l’ensemble de la population. • Impliquer tous les groupes socio-économiques: les entreprises privées, publiques, les associations, les ONG, les syndicats et les citoyens. • Rééquilibrer les forces économiques entre les pays du Sud et du Nord: 3-”Essai sur le principe de population”, Thomas Robert Malthus, Ed. Gonthier, 1964 4-Phénomène théorisé par M. JEVON, plus connu sous le nom de “Paradoxe de JEVON”

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_Les pays en voie de développement sont trop endettés et freinés dans leurs échanges commerciaux pour consacrer l’énergie et les moyens suffisants à l’éducation, la santé et la protection de l’environnement. _Appliquer une taxe de type Tobin5 en affectant les recettes à des projets de développement durable figure parmi les hypothèses, et enfin une réforme des politiques d’ajustement structurel6. • Pour mettre en œuvre toutes les conventions et les accords multilatéraux sur l’environnement, la création d’une Institution Internationale chargée de faire respecter les obligations souscrites par les Etats serait une piste, que la France défend. Une Organisation Mondiale de l’Environnement pourrait aider à gérer les problèmes écologiques de façon transversale.7

5-James Tobin, prix Nobel d’économie ( 1981 ) et ancien conseiller du Président John Kennedy, a imaginé en 1972 une taxe universelle sur les mouvements de capitaux. A cette époque, après l’abandon par les EtatsUnis du système des changes fixes, le système monétaire international est en crise. Tobin propose alors la création d’un prélèvement sur les mouvements de capitaux à court terme qui était sensé limiter la spéculation à court terme et créer des ressources propres à destinations des institutions internationales. 6-Un programme d’ajustement structurel est un programme de réformes économiques que le Fond Monétaire International (FMI) ou la Banque mondiale mettent en place pour permettre aux pays touchés par de grandes difficultées économiques de sortir de leur crise économique. Il s’agit d’un ensemble de dispositions dont certaines agissent sur la conjoncture et d’autres sur les structures et qui résultent d’une négociation entre un pays endetté et le FMI pour améliorer le fonctionnement économique du pays (le FMI conditionnant son aide à la mise en place de réformes pérennes). Le problème vient notamment des conditions d’engagements des emprunteurs, telles que “la suppression des entraves au développement économique” qui peut être source de développement non durable si d’autres mesures n’encadrent pas ce développement. 7-Texte du Sénat, “Rééquilibrer la gouvernance mondiale en faveur de l’environnement”. D’autres textes sur http://www.senat.fr/themes/tr7.html

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• Définition: l’agriculture urbaine et périurbaine Aujourdhui, parler d’agriculture urbaine (AU), c’est se confronter à un problème territorial qui met en jeu notre capacité à se développer en tenant compte des territoires agricoles aux frontières de la ville, autant que les délaissés urbains à l’intérieur des zones urbanisées. En effet, nous savons d’ores et déjà que l’augmentation de population est à l’origine d’une urbanisation de nos territoires, qui à l’échelle de l’humanité, est autant exponentielle que celle de la population. Aussi, nous consommons toujours plus de territoires agricoles, augmentant le poids de notre empreinte écologique. En France, on estime que l’extension des surfaces artificialisées représentait un total de 6900Km² entre 1992 et 2003, soit une augmentation de 20% alors que la population n’avait augmenté que de 6%. Chaque jour, 80% des 160Ha artificialisés le sont au détriment de l’agriculture, n’intégrant pas les réseaux de circuits courts comme structure de leur développement.1 Pierre Donadieu et André Fleury ont créé le programme de recherche Agriculture urbaine à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles où ils sont professeurs, pour tenter de trouver des réponses à ces questions contemporaines. Leur texte ”De l’agriculture péri-urbaine à l’agriculture urbaine“ 2 définissant l’agriculture urbaine et péri-urbaine, est devenu une sorte de “manifeste” permettant d’acquérir une connaissance exhaustive du sujet. Pierre D. et André F. nous rappellent en premier lieu que l’agriculture péri-urbaine, c’est “celle qui se trouve en périphérie de la ville, quelle que soit la nature de ses systèmes de production”. Définissant deux rapports d’intéraction entre ces éléments, mitoyenneté ou fonctionnalité réciproques , les auteurs nous précisent que dans le dernier cas, nous pouvons parler d’agriculture péri-urbaine. L’agriculture péri-urbaine correspond alors à un ensemble d’espaces cultivés qui, associés aux espaces bâtis, forment un territoire urbain et participent au processus de développement de la ville. De l’étalement urbain dans son mode de développement classique résulte alors une perte d’”usage antérieur” du territoire “absorbé”, dont les limites résultent d’une “inconstructibilité manifeste ou d’une opposition à l’urbanisation d’un autre pouvoir régulateur”. La préservation de lieux non-construits résulte autant d’une prise de conscience de la société que de la capacité des instances supérieures à intervenir au nom de grands principes, tel que celui de la sécurité alimentaire en Suisse, avec le plan Walhen de 19403. La prise de conscience récente que certains lieux non construits sont des biens rares pour la société (terroirs spécifiques, biotopes d’intérêt écologique) amène aujourd’hui à reconsidérer ces espaces vacants. La capacité des instances supérieures, en particulier l’État, à intervenir au nom de principes tels ceux de la sécurité alimentaire ou de la valeur patrimoniale et paysagère constitue une avancée majeure dans l’appréhension de nouveaux modes de développement urbain. L’urbanisation générale de nos territoires ruraux, avec le développement des transports, d’abord collectifs puis individuels, a pris une dimension telle qu’elle a provoqué “l’apparition de malaises sociaux inédits, qui font revendiquer l’amélioration de la qualité de vie” selon Pierre D. et André F avant d’ajouter que

1-source: SSP, enquêtes Teruti 1992 et 2003 2-”De l’agriculture péri-urbaine à l’agriculture urbaine “ in Le courrier de l’environnement n°37, Aout 1997 3-En savoir plus:”Plan Wahlen”, par Albert Tanner, in Dictonniaire Historique de la Suisse, 2010, Berne

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“Le pouvoir urbain cherche maintenant à y remédier et veut notamment se servir des parties non construites de l’espace péri-urbain, qui sont souvent étendues dans les formes modernes de la croissance urbaine (villes nouvelles ou rurbanisation). Ces espaces se voient ainsi investis de missions nouvelles, surtout engendrées par la demande sociale de nature, et sont de ce fait engagés dans un processus original d’urbanisation lato sensu, sans pour autant être bâtis. Les proches forêts péri-urbaines ont déjà connu un tel changement d’identité quand elles sont devenues parcs urbains forestiers au cours du XIXe siècle : elles ont gardé leur physionomie, mais leur véritable production n’est plus du bois, mais des loisirs. Elles sont devenues urbaines.” L’agriculture péri-urbaine actuelle suit-elle cette même évolution se demande alors Pierre D. et André F? Selon eux, bien que le statut social de ces formations végétales dues à l’homme soit différent, que ce soit dans leurs représentations, dans leur fonctionnement ou leurs objectifs de production, une telle évolution reste possible et a d’ailleurs peut-être déjà commencé (cf plus loin “l’agriculture de loisir”). De plus, ils nous rappellent que l’appartenance à un groupe social original, investi d’une fonction essentiellement nourricière font des agriculteurs des acteurs incontournables de la réflexion sur les territoires péri-urbains. Pour mener à bien l’étude et la réflexion sur l’agriculture urbaine, les auteurs proposent ensuite de se demander d’une part, comment nous sommes venus à considérer que l’agriculture pouvait jouer un rôle dans la ville,et d’autre part, comment peut-elle associer ou substituer à sa fonction agro-alimentaire de nouvelles missions urbaines. Les caractéristiques de l’agriculture péri-urbaine et les systèmes de production de l’espace péri-urbain Dans leur définition de l’espace péri-urbain, Pierre D. et André F exposent l’idée de milieux “très variés, naturels, forestiers ou agricoles” dont l’incorporation à la ville, qui signifie de fait un autre projet de territoire, “ne se fait pas sans conflits, du fait de la multiplicité des points de vue[...]”. Aussi pouvons-nous distinguer plusieurs types d’agriculture urbaine et péri-urbaine:

• L’agriculture péri-urbaine permanente La spécialisation des agriculteurs péri-urbains vers des produits frais et des végétaux aux problèmes de conservation spécifiques s’expliquent en France par “une absence de moyens de transports efficaces et bon marché, jusqu’au tiers du XIXème siècle” apprend-t-on. Cette agriculture était donc “consubstantielle à la ville qu’elle nourrissait et assainissait : elle était profondément urbaine” nous expliquent alors les auteurs, nous rappelant que l’agriculture d’alors recyclait une partie des déchets et des eaux usées. On verra dans le panorama Nord/Sud que les villes des pays en voie de développement ont développé ce type d’agriculture, alors que dans les pays du Nord, l’agriculture urbaine peine à retrouver cet équilibre. Pierre D. et André F résument les caractéristiques de l’agriculture péri-urbaine ainsi: _les agriculteurs péri-urbains se perçoivent le plus souvent comme des citadins dont le métier est l’agriculture. Leur groupe social est assez largement ouvert aux autres groupes de la société urbaine ; _leurs territoires ne sont pas figés ; les agriculteurs savent qu’à terme plus ou moins lointain, l’espace qu’ils cultivent sera urbanisé. _le fermage est le mode de faire-valoir dominant ; les propriétaires sont 12


soit issus de familles d’origine agricole, soit de grandes organisations privées ou publiques ; _enfin, la valeur foncière habituellement estimée est bien plus élevée que celle correspondant au potentiel de production agricole ; aussi, sa réalisation par la mise en vente signifie l’arrêt de l’activité agricole, sauf maintien précaire.

• Les autres systèmes agricoles Les systèmes agricoles précédents sont gérés dans une perspective de long terme. Ce n’est plus le cas des systèmes précaires, qui s’installent lorsque l’urbanisation est clairement prévue. Les terres sont alors recherchées, soit par l’État ou les collectivités qui évitent la spéculation en créant des réserves foncières pour de grands projets d’aménagement, soit par des organisations financières qui poursuivent, au contraire, un but clairement spéculatif. Une autre pratique agricole implique quant à elle plus “un mode de vie qu’un revenu monétaire”; c’est l’agriculture de loisir (Van Oort, 1994). “Elle maintient les terres dans un état agricole, parfois traditionnel, jouant ainsi un rôle de conservation patrimoniale”. Les jardins communautaires et familiaux relèvent d’ailleurs d’une idéologie assez proche, que l’on examinera plus loin. Aux Etats-Unis et au Canada, les community gardens donnent une nouvelle vie aux friches urbaines et autres dents creuses en les transformants en potager urbains. A ce titre, ces derniers caractérisent l’agriculture urbaine, au même titre que l’occupation des toits par de l’agriculture hors-sol. La relation économique de l’agriculture péri-urbaine à la ville Les halles d’autrefois sont la première manifestation de la relation qu’entretient l’agriculture péri-urbaine à l’économie de marché. Alors qu’à cette époque ces lieux constituaient une mise en rapport des producteurs nécessairement périurbains, avec des distributeurs ou des transformateurs, l’approvisionnement des villes s’est organisé différemment de nos jours (grande distribution, mondialisation des apports). A titre d’exemple, au Royaume-Uni, 40 % de la nourriture est importée. Légumes, fruits et blé le sont à 90 %, chaque produit agricole parcourant en moyenne 2000 kilomètres.4 Cet exemple reflète comment fonctionne l’ensemble des pays développés, où la subsistance alimentaire essentielle repose sur la régularité d’une chaîne d’approvisionnement et de plateformes logistiques régionales. Ces centres travaillent en flux tendu, avec peu de stockage. Nous connaisons maintenant le coût de cette rentabilité: l’insécurité alimentaire. En effet, la prédominance d’une source d’approvisionnement engendre un risque systémique, car plus un circuit est long et mono-dépendant plus il est fragile. Aujourd’hui, plus que le produit, c’est donc son déplacement qui devient central. Toute interruption de la chaîne, n’importe où, se répercute immédiatement mettant en péril tous les maillons qui suivent. L’approvisionnement alimentaire de la population étant en bout de chaine, cela peut entraîner de graves pénuries, et autres désordres en tout genre. Pour s’en convaincre, une grève des chauffeurs routier ou un épisode neigeux persistant suffisent. Une ville ne pourra dès lors “tenir” guère plus de quelques jours sans ravitaillement. A ce titre, le panorama Nord/Sud renforcera notre connaissance des modalités selon lesquelles l’agriculture urbaine et péri-urbaine pourrait garantir une certaine stabilité alimentaire.

4-”The mass balance movement: the definitive reference for resource flows within the UK environmental economy” consultable sur http://www.massbalance.org/resource/massbalance

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• Panorama mondial de l’agriculture urbaine et péri-urbaine:

illustration 3. Populations rurale et urbaine des pays du Nord et du Sud, de 1950 à 2030 (projection). Source : ONU (2004)

“On cultive le long des routes en Afrique, sous les lignes à haute tension à Rio, aux frontières des terrains de golf, sur les plates-bandes des hôpitaux, près des usines ou des aéroports comme à Manille. A Moscou, 70% des habitants ont un carré de légumes ; à New York, ils seraient 30% à s’activer dans les community gardens en expansion. Dans un bidonville péruvien en autogestion, à l’aspect inhabituellement verdoyant, les familles qui le souhaitent se voient attribuer gratuitement une parcelle qu’elles cultivent grâce à un système de récupération et d’épuration des eaux usées” 1. Cet exemple reflète bien la réalité de l’agriculture urbaine et péri-urbaine. Chaque espace disponible peut être le support d’un activité agricole. Si l’on peut douter que les zones urbanisées deviennent autosuffisantes par ces seuls moyens de production, l’agriculture urbaine participerait cependant déjà largement à la sécurité alimentaire de nombreuses grandes villes du Sud. Selon le PNUD2, environ 800 millions d’agriculteurs urbains produisaient approximativement 15 % des denrées alimentaires mondiales en 1996 3. Il apparait évident dès lors que cette agriculture permet de réduire l’insécurité alimentaire et constitue une source de production non-négligeable.

1-“Stratégies de la framboise”, Dominique Louise Pélegrin, éditions Autrement 2-PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement 3-”CULTIVER DE MEILLEURES VILLES, Agriculture urbaine et développement durable”, Luc J.A. Mougeot, CRDI 2006

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Le Nord: Protéger et revaloriser les espaces agricoles péri-urbains Les politiques d’aménagement ont longtemps été fondées sur une opposition entre espace urbain et espace rural. Les activités agricoles, avec les grandes surfaces de monocultures, furent ainsi longtemps assimilées au domaine rural. Ce paradigme est remis en question par l’étalement urbain, qui rend la frontière urbain/rural difficile à établir et qui met en péril le maintien des terres agricoles. Des expériences concrètes sont ainsi menées depuis la fin des années 1970 par des élus locaux et des représentants du monde agricole4, et des outils réglementaires se multiplient pour tenter de limiter la perte de ces territoires agricoles5. Les chercheurs André Fleury et Pierre Donadieu apparaissent ainsi comme des précurseurs s’agissant de la réflexion multi-disciplinaire sur ces territoires hybrides, notamment en ayant créé le CERAPT, le Collectif d’Enseignement et de Recherche en Agriurbanisme et Projet de Territoire6. Aujourd’hui convaincus de la nécessité de développer l’agriculture péri-urbaine pour tous les avantages socio-économiques qu’elle procure, les grandes métropoles doivent cependant composer avec une pression foncière encore très importante. Les politiques de renouvellement de la ville, comme en France avec la loi SRU, incitent d’ailleurs les élus à bâtir intra-muros plutôt qu’en périphérie. Aussi, si les zones agricoles péri-urbaines peuvent y voir un avantage à leur propre développement, c’est peut être à terme une partie de ces “poches” vertes intra-muros qui pourrait disparaître. L’agriculture verticale pourrait alors apparaître comme une alternative à la perte de ces surfaces de production agricoles dans un contexte de densification des zones urbanisées. Le Sud: Assurer l’autonomie alimentaire Au Canada, le Centre de Recherche pour le Développement International se penche depuis longtemps sur les problématiques liées au développement des pays du Sud.7 En parcourant leurs travaux, on apprend notamment que c’est au cours de la seconde moitié du XXème siècle que la plupart des pays en développement ont vu leur population urbaine croître jusqu’à deux à trois fois plus rapidement que la population globale du pays. Cette tendance équivaut à ajouter à notre planète une nouvelle ville d’un million d’habitants toutes les semaines8. Dans de nombreuses villes d’Afrique par exemple, certaines familles ne mangent qu’un repas par jour. La malnutrition et les problèmes de santé qui en découlent

4-Voir notamment les travaux de l’Association pour le Développement de l’Agriculture dans l’Y Grenoblois, ADAYG sur http://www.adayg.org/ 5-En France, la création des Zones Agricoles Protégées: La fragilité de certains espaces agricoles face au développement des zones urbaines a suscité la mise en place, dans loi d’orientation agricole de 1999, d’un outil foncier permettant de soustraire ces espaces à la pression urbaine, les ZAP. 6-L’objectif premier du CERAPT est de faire émerger une nouvelle figure professionnelle, que nous avons choisi de nommer “agriurbaniste” et qui doit être capable de répondre à l’ensemble des attentes formulées par les acteurs de territoires agriurbains dans leur projet. L’axe principal du collectif relève donc de l’innovation pédagogique ; son action première consiste à faire se rencontrer des filières pédagogiques aussi éloignées, par exemple, que l’architecture et l’agronomie, en mettant en place des formations complémentaires et des enseignements mutualisés.source: http://agriurbanisme.fr/ 7-CRDI, Centre de Recherche pour le Développement International, http://www.idrc.ca 8-source: FAO

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se généralisent. Il apparaît ainsi que de plus en plus de gens cherchent les moyens de compléter les faibles quantités de nourriture qu’ils peuvent se permettre d’acheter. L’approvisionnement régulier en denrées alimentaires cultivées par des citadins pauvres peut donc faire une différence considérable. Non seulement il peut contribuer à améliorer la santé nutritionnelle, mais il peut aussi procurer un revenu d’appoint ou permettre de dégager une partie du revenu familial qui pourra être consacré à des dépenses non alimentaires, notamment relatives à l’éducation. Tous les experts s’accordent à dire que l’agriculture urbaine ne résoudra pas à elle seule les problèmes écologiques des villes en croissance, mais elle participe très certainement et de diverses façons à la protection de l’environnement, comme nous le rappelait André Fleury et Pierre Donadieu avec la fonction de traitement d’un grand nombre de déchets organiques. L’agriculture urbaine apparaît donc comme une composante essentielle d’une solution globale aux problèmes que posent la croissance exponentielle des villes des pays en développement. Cependant, on apprend que lorsque la conjoncture politique est favorable, le cadre réglementaire est rarement opérationnel. C’est notamment ce qui a poussé des ONG à développer des systèmes d’agriculture hors sol à faible coût: l’agriculture en sacs . Il s’agit de gros sacs tressés d’où sortent des feuilles de choux ou d’épinards parfois quelques tomates ou oignons, par des trous percés sur les côtés des sacs. A Kibera,Mathare ou Kiambu, 11 000 familles peuvent ainsi cultiver des aliments de base grâce à l’initiative lancée début 2008 par l’ONG française Solidarités : “ 70% de la population de Nairobi vit en bidonville dans une pauvreté à peine imaginable, aggravée par la crise des prix agricoles” explique Peggy Pascal, ingénieur agronome et référente en sécurité alimentaire chez Solidarités, “Le chou est l’accompagnement de base des céréales au Kenya, mais il est beaucoup plus cher. Nous estimons que 6 sacs cultivés permettent à une famille de 6 personnes de manger 6 repas par semaine. La vente des surplus leur rapporte 6 euros environ, alors qu’un loyer mensuel moyen s’élève à 8 euros par mois. C’est un apport alimentaire et financier considérable” L’agriculture en sacs multiplierait par 4 ou 5 les surfaces cultivées pour seulement ½ m² d’emprise au sol. Elle économiserait l’eau, emprisonnée dans le sac. L’ONG entame le même programme dans les bidonvilles de Juba, la capitale du sudSoudan. Un projet plus petit est envisagé en Thaïlande. “Il semble que pas mal d’ONG se lancent dans ce type de projet et c’est plutôt bon signe” explique Peggy Pascal. “ Il est important que les bailleurs de fonds prennent la mesure des enjeux énormes de l’agriculture urbaine.” 9

Ci-contre: un exemple de sac cultivé

9-lu dans ”Agriculture urbaine, une réponse à la crise alimentaire” de Karine Grollier sur http://www. lesnouvellesnews.fr

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1.2_Comparaison des modes de productions agricoles: Comprendre les enjeux agricoles de demain, c’est avant tout connaître les processus d’aujourd’hui. A ce titre, et pour ne pas alourdir la lecture de données trop exhaustives à ce sujet, nous différencierons ici trois grands modes de production, comme autant de grands courants de pensée. Pour l’anecdote, si nous cherchons le terme “agriculture” dans nos archives nationales de l’audiovisuel, on y voit l’évolution de ces processus, et ce depuis le début du XXème siècle.On constate ainsi qu’au début du siècle, on cherchait à augmenter les rendements et ce au prix d’une conversion vers ces modes de cultures intensives aujourd’hui décriés. Il faut attendre les années 1960 pour voir apparaître les premières remises en cause de ces modes de cultures au profit d’un retour vers une agriculture plus saine.1

• L’agriculture intensive L’agriculture intensive repose sur une mécanisation poussée et l’usage de produits phytosanitaires afin de maximiser la production. C’est un mode production qui assure un rendement élevé mais qui met en péril la biodiversité. Les eaux polluées par les substances chimiques et organiques utilisées dans l’agriculture intensive s’infiltrent dans le sol, ruissellent, pour atteindre les nappes phréatiques, les cours d’eau souterrains et les rivières avoisinantes. Le traitement des eaux polluées par les nitrates et les produits phytosanitaires notamment est très coûteux, et son efficacité est limitée. Le traitement des eaux ne peut pas anéantir toutes les substances chimiques ou organiques utilisées dans l’agriculture intensive, qui se retrouvent au final dans l’environnement. L’eau , durablement polluée, dégrade voire détruit la biodiversité présente dans les sols et les cours d’eau, et ne peut pas être consommée par l’homme sans être traitée, sous peine de maladies hydriques graves qui peuvent s’avérer mortelles. L’agriculture intensive contribue à la désertification des sols en favorisant le remembrement, faisant disparaitre les haies, les petits bois, les talus, les prairies. C’est oublier que ces éléments du paysage contiennent une riche et essentielle biodiversité. De plus, les besoins de plus en plus importants en surface agricole contribuent à la déforestation dans de nombreux pays. Le recours à l’agriculture intensive apparaît cependant indispensable, notamment afin de contribuer à la stabilité alimentaire mondiale. Cependant, les experts s’accordent à dire que certaines méthodes biologiques permettent d’obtenir des rendements équivalents, voir supérieures.

• L’agriculture biologique L’agriculture biologique est un système d’agriculture qui s’inscrit pleinement dans une démarche de développement durable. C’est un système de gestion de la production agricole qui n’utilise aucun produits phytosanitaires. L’agriculture “bio” utilise l’interdépendance des végétaux et des animaux pour être productive. Elle pratique le recyclage des matières organiques, la rotation des cultures, respecte les cycles biologiques de l’environnement, vise la préservation des sols, de l’eau, de l’air et des ressources naturelles, ainsi que l’autonomie des agriculteurs. Les produits issus de l’agriculture biologique sont réputés pour leurs qualités 1-Les Archives Nationales de l’Audiovisuel sont consultables sur internet, http://www.ina.fr

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nutritionnelles et gustatives. Les fruits et légumes bio sont censés ne contenir aucun résidus de pesticide, et les animaux ne reçoivent aucun traitement pour accélérer leur croissance. L’agriculture biologique a de nombreux avantages : _elle contribue à la sécurité alimentaire, _elle ne pollue pas l’eau et permet de diminuer les maladies hydriques _elle protège la biodiversité _elle diminue les impacts environnementaux de l’agriculture et sa contribution au réchauffement climatique _elle incite au développement rural En 2007, 30,6 millions d’hectares de terres agricoles mondiales étaient consacrées à l’agriculture biologique. L’Europe en cultive 20 %, l’Océanie 39 % et l’Amérique du Sud 19 %. En France, 2 % de la surface agricole utile français est cultivée bio : elle arrive en 20ème position au niveau de l’Union Européenne pour le pourcentage de surface agricole biologique sur la surface agricole nationale.

• L’agriculture raisonnée L’agriculture raisonnée renforce les impacts positifs des pratiques agricoles sur l’environnement et en réduit les effets néfastes, tout en assurant la rentabilité économique des exploitants. Elle répond localement aux problématiques des agriculteurs, dans une perspective de développement durable global de l’agriculture. En France, le titre “Agriculture Raisonnée” est délivrée aux producteurs qui respectent le Référentiel National de l’Agriculture Raisonnée. C’est un organisme certificateur qui octroie ce “titre” après avoir effectué un audit sur l’exploitation. Il est valable 5 ans : durant cette période, l’exploitation fera l’objet de surveillance. La démarche d’agriculture raisonnée comporte des coûts en audits, conseils, et mise en conformité par des organismes certifiés. Mais elle détient de nombreux avantages : _L’attractivité pour le consommateur, en garantissant une production respectueuse de l’environnement _La mise en place de la gestion et du pilotage de l’exploitation _La mise en œuvre d’une démarche de progrès continu et de développement _L’obtention d’un meilleur accès aux marchés _L’anticipation des réglementations environnementales à venir La différence fondamentale entre l’agriculture raisonnée et l’agriculture biologique est la possibilité que s’octroie l’agriculture raisonnée d’utiliser des pesticides pour la protection contre les maladies, lorsque les autres systèmes s’avèrent inefficaces. Quoi qu’il en soit, l’agriculture biologique est aujourd’hui portée par un nombre croissant d’agriculteurs, répondant aux nouveaux désirs d’une population très largement inquiéte des procédés conventionnels. Les nouvelles pratiques agricoles telles que nous allons les voir dans les pages qui suivent relaient d’ailleurs cette quête de produits traçables et naturels. Si l’agriculture urbaine connaît un tel engouement ces dernières années, c’est notamment parce qu’elle est porteuse des valeurs associées à l’agriculture biologique.

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2_Les circuits courts en millieu urbain ou la ruralité post moderne 2.1_les circuits courts • Les AMAP La structuration d’un réseau de distribution fait de lui un circuit court ou non. Plus l’on aura réduit les intermédiaires, plus un circuit sera court. Généralement, les distances métriques parcourues par un produit donnent une idée du circuit dans lequel il est inséré. La globalisation des marchés a entrainé dans son sillage un nombre considérable de biens vitaux. En cela, l’agriculture urbaine est potentiellement un élément décisif pour sortir du “marché” et de la spéculation les biens essentiels auquel chaque être humain à droit, telles que l’alimentation ou l’énergie. Les Associations Pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne, les AMAP, aident au développement sinon au maintien de l’agriculture péri-urbaine. La création des AMAP est le symbole du développement de l’agriculture de proximité et participe de ce qui a été longuement vu comme une utopie sociale et urbaine. Une AMAP se construit autour d’un groupe de consommateurs et d’un producteur, qui vont signer un contrat relatif à la durée de leur engagement (saisons). Ensemble, ils définissent la diversité et la quantité de denrées à produire pour la saison. Ces denrées peuvent être aussi bien des fruits, des légumes, des oeufs, du fromage, de la viande... La distribution de ces produits se fait ensuite sous forme de “panier”. Le groupe de consommateurs et l’agriculteur se mettent également d’accord sur les méthodes agronomiques à employer, qui s’inspirent de la charte de l’agriculture paysanne et du cahier des charges de l’agriculture biologique dans la plupart des cas. Les AMAP participent donc au développement sinon au maintien d’une agriculture responsable. Le prix du panier est fixé de manière à permettre au producteur de couvrir ses frais de production et de dégager un revenu décent, tout en étant abordable par le consommateur. Il est en général proche de celui d’un panier composé de la même manière en grande surface, tout en ayant une qualité nutritionnelle et gustative supérieure. Un tel prix est rendu possible par l’absence de gâchis au niveau des produits, de l’absence d’intermédiaires entre le producteur et les consommateurs, et d’un emballage minimum voir absent. Afin de permettre la participation de tous à l’AMAP, et notamment des consommateurs à faible revenu, différentes possibilités de règlement existent, par exemple la mensualisation des encaissements des chèques ou la réduction du prix du panier en échange d’une aide à la distribution. En achetant leur part de production à l’avance, les consommateurs garantissent un revenu au paysan. L’AMAP participe ainsi au maintien d’une agriculture de proximité et à la gestion de la pression foncière. Le lieu de distribution est soit la ferme elle-même si les partenaires de l’AMAP vivent dans un périmètre proche de celle-ci, soit un lieu situé en ville. Un comité de bénévoles est formé parmi les consommateurs partenaires de l’AMAP, tel qu’un coordinateur, un trésorier, un responsable de la communication interne, de façon à ce que le producteur n’ait pas à s’acquitter de cette tâche. De par ce partenariat de proximité entre producteur et consommateurs, les AMAP favorisent donc le lien ville/campagne et l’usage multiple des espaces agricoles. 19


• Les jardins partagés Les jardins partagés se sont développés en Europe sur le modèle des community gardens nord-américains de New York ou Montréal. Consistant en de “petits territoires de nature insérés dans les plis du tissus urbain” 1 , ils fonctionnent en conciliant l’accessibilité d’un espace public à horaire régulier à un espace de culture, véritable lieu d’échange socio-culturel. C’est une artiste américaine, Liz Christy, qui eut l’idée de faire des friches et autres terrains vagues issus de la crise new-yorkaise urbaine et financière des années 70 des espaces végétalisés. Au moyen de petites poches de graines, les “seed bomb”, elle parcoura la ville en disséminant par dessus les grillages ses “bombes” végétales. Trois ans plus tard,avec quelques amis, elle décide de nettoyer une friche dans le quartier du Lower East Side à Manhattan, et créera ainsi le premier jardin communautaire. Très vite conquis par cette nouvelle forme de convivialité, les community gardens se multiplient comme autant de lieux de rencontre entre les générations et les cultures new-yorkaises. En créant l’association Green Guerillas, Liz Christy inscrit donc sa démarche dans le champ lexical de la bataille, pacifique, pour la multiplication de ces lieux à Haute Qualité Sociale et Environnementale. Ainsi, depuis plus de trente ans outre-atlantique et une dizaine d’année en France2, les jardins partagés, ou communautaires, tendent à s’affirmer comme une constituante à part entière de l’agriculture urbaine que l’on connaissait à travers les jardins ouvriers par exemple. Reposant sur des critères d’attributions devenus obsolètes, les jardins familiaux comme on les appellent aussi, doivent s’adapter à de nouvelles réalités sociales. Longtemps associés à une sécurité alimentaire des classes ouvrières, les jardins ouvriers tels que l’Abbé Lemire les avaient promus cherchent aujourd’hui une nouvelle identité. En faisant apparaître de nouveaux enjeux, tels que la solidarité, le lien social ou l’éducation à l’environnement, ces parcelles de terres cultivables, le plus souvent situées en zones péri-urbaines réintègrent peu à peu le coeur des villes tout en conservant leur vocation première de production de légumes pour la consommation domestique. Ces espaces partagés montrent cependant que les enjeux d’aujourd’hui ne sont pas très différents de ceux d’hier, lorsqu’à la fin des années 1890, l’anglais Ebenezer Howard3 inventa le modèle des cités-jardins comme une réponse au manque d’humanité de la ville industrielle, dans laquelle la nature est absente. L’idée d’organiser la société autour de nouveaux modèles d’organisation spatiale est aujourd’hui d’ailleurs au coeur des politiques de la ville4, le végétal pouvant devenir un élément permettant de mieux vivre la densification par exemple.

1-”Jardins partagés” Utopie, écologie, conseils pratiques de Laurence Baudelet, Frédérique Basset et Alice Le Roy aux Ed. Terre Vivante 2-Il fallut attendre la fin des années 90 pour voir se tisser des liens entre la France et des associations québécoises et new-yorkaise qui donnèrent lieux à recueils d’expériences puis la création du premier jardin communautaire, à Lille en 1997. Depuis, un réseau national s’est constitué (Le Jardin dans Tout Ses Etats, JTSE) pour aider les associations à développé les jardins partagés dans leur ville. 3-”Tomorrow: A Peaceful Path to Real Reform”, Ebenezer Howard aux Ed. Routledge 4-Cf les recherches engagées au travers du Plan d’Urbanisme, de Construction et d’Architecture (PUCA) du Ministère de l’Ecologie,de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer, notamment au travers du programme “Habitat Pluriel: Densité,Urbanité, intimité”

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• Les circuits courts “domestiques” Avec les circuits courts, c’est la perspective d’une ville auto-suffisante qui est en jeu. Pierre-Gilles Bellin5 va d’ailleurs assez loin dans son raisonnement quant aux possibilités d’augmenter notre capacité à produire localement. S’il reconnaît l’importance de l’agriculture urbaine sur “les sols nus” telle qu’ont pu la définir André Fleury et Pierre Donadieu, il nous invite à réfléchir au potentiel des surfaces bâties dans la quête de surfaces productives permettant de songer à l’autosuffisance alimentaire. Commençant d’abord par rappeler qu’il n’existe aucunes statistiques des toitures horizontales, ces dernières pouvant être comme à Montréal plantées de légumes et autres fruits, il nous parle ensuite des surfaces verticales des murs, qui pourraient quant à elles accueillir des potagers verticaux. Sa thèse est la suivante: si l’on prend les 30 millions de logements français, cela représenterait 1,5 milliard de m², à raison d’une moyenne de 90m² par logement. Partant du principe qu’il y a quasiment autant de surface de murs que de surface au sol, il nous invite alors à imaginer que seulement 500 millions de m² corresponderait à 2,5 millions de jardins de 200m². Selon lui, il y a donc un potentiel d’espaces attribuables à l’agriculture dans nos mégalopoles qui est sous-exploité. De plus, et cela rejoint les recherches entreprises par les Architectes Lacaton & Vassal sur les immeubles des grands ensembles6, si l’on installait une serre froide sur des façades sud déjà lottis de large baies, on augmenterait les qualités d’isolation passive et convertirait quelques dizaines de m² dédiés à la culture verticale.Si cette opération était réalisée sur seulement 5 millions des 30 millions de logements, on aurait reconverti l’équivalent de 250 000 jardins familiaux de 200m². Sa réflexion sur l’utilisation de toutes les surfaces bâties au titre de la production agricole est en cela très proche des réflexions menées sur l’agriculture verticale. Pierre Gilles Bellin nous explique notamment que cette production de légumes et fruits domestiques donnerait lieu à de nouveaux échanges de proximité, à l’échelle même d’un immeuble de logements comme sa théorie nous l’a démontrée.C’est en cela que l’on peut parler de circuits courts “domestiques”. Le raccourcissement des réseaux de distribution alimentaire pourrait bien devenir un des enjeux majeurs de la planification urbaine des prochaines décennies, et la question de l’agriculture verticale paraît à la fois pertinente dans un contexte foncier difficile, où la présence de surfaces non-bâties paraît fragile, et en cela perverse, car elle pourrait justifiait la disparition de ces “vides” végétal.

5-”les eco-solutions à la crise immobilière et économique”, aux Ed.Eyrolles,2009 Pierre Gilles Bellin a fondé en 2002 Arca Minore, association de conseil et solutions constructives en habitat bio-environemental, 181, avenue Daumesnil 75 012 Paris 6- “PLUS, Les grands ensembles de logements, Territoire d’exception” , Frédéric Druot, Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal, aux Ed. Gustavo Gili

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2.2_L’agriculture verticale • Théorisation de l’agriculture verticale Plus de 800 millions d’hectares (c’est-à-dire presque 38% de la surface de la Terre) sont consacrés à la production de nourriture pour une population en expansion. Dans les 50 prochaines années, on estime que la population humaine dépassera 9 milliards d’individus, pour la majorité urbains comme nous l’avons vu. Nourrir ces nouveaux arrivés recquièrerait 109 hectares de terre cultivée et de pâturages, terre qui n’existent pas. D’autres solutions au problème de l’alimentation doivent êtres trouvées si nous voulons garantir un approvisionnement alimentaire des grands centre urbains de demain. C’est dans ce contexte qu’en 1999, un professeur en santé environnementale et microbiologie de l’Université Columbia de New York, Dikson Despommier, est devenu le chef de file d’un mouvement qui regroupe architectes, urbanistes, agronomes comme biologistes autour de recherches sur le sujet de la Ferme Verticale. L’idée d’une ferme verticale est donc avant tout d’apporter une réponse à la crise alimentaire mondiale qui pourrait se produire dans les décennies à venir. La culture sous serre et hors-sol est déjà une méthode employée par les agriculteurs, mais il s’agit avec ces projets d’apporter dans des territoires urbanisés où la pression foncière est élevée une source alimentaire biologique majeure, permettant à un ensemble donné d’habitants de ne pas subir, le cas échéant, la dépendance à un système d’approvisionnement encore largement globalisé, et à des produits issus de filières intensives. Nous pouvons trouver actuellement des traces de ces recherches en parcourant la presse écrite, mais c’est encore Internet qui permet de suivre quasiment en temps réels l’avancée de ces dernières, notamment au travers du site qui leurs sont consacrées, et sur lequel on trouve les essais du Pr. Despommier1.

• Avantages et inconvénients de l’agriculture verticale De nombreux avantages peuvent être associés à l’agriculture verticale selon M. Despommier. Outre une production continue car à l’abri de contraintes météorologiques, une surface de 1 hectare permettrait de produire l’équivalent de 4 à 6 fois plus qu’ en plein air et jusqu’à 30 fois plus pour certaines variétés, comme les fraises. De plus, si la culture représenterait une part importante, l’élevage de volaille, poissons ou crustacés pourrait eux aussi être conditionnés dans ces édifices selon Dikson D. et augmenter les possibilités d’un fonctionnement autonome. Voici quelques uns des nombreux autres avantages que le professeur de Columbia et ses étudiants cherchent à promouvoir à travers l’Agriculture Verticale (AV): L’ AV permettrait de produire de l’électricité en tirant profit de la biomasse des déchets organiques, L’ AV pourrait permettre de ne pas augmenter la consommation d’énergie fossile voir de la diminuer considérablement (moins de transport, pas de matériel agricole conventionnel....) L’AV offrirait aux espaces urbains occupés une plus value sur leur capacité de production alimentaire, énergétique et de gestion des déchets, L’ AV permettrait de réduire l’empreinte écologique des grands territoires urbanisés, 1-http://www.verticalfarm.com

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L’AV augmenterait le niveau de vie des populations des pays en voie de développement, L’AV permettrait au pays développés ou émergents d’établir une transition vers une stratégie d’agriculture urbaine forte, L’AV pourrait réduire les conflits armés dus aux inégalités d’accès aux ressources naturelles, telles que l’eau et les surfaces cultivables. L’AV pourrait servir au développement des plantes médicinales Selon Dikson Despommier, envisager d’aller sur la Lune ou Mars nécessite que l’on bénéficie d’un retour d’expérience significatif de ce type d’agriculture contrôlée. Le Professeur Despommier a établit qu’une ferme verticale d’une emprise au sol similaire à un pâté de maison New Yorkais, d’une hauteur de 30 étages (approximativement 280000m²) pourrait fournir assez de calories (2.000 cal/ jour/personne) pour subvenir aux besoins alimentaires de 50.000 personnes, et principalement en employant les technologies actuelles. Créer la ferme verticale idéale requièrera selon lui des recherches dans beaucoup de champs, comme l’hydrobiologie, l’ingénierie structurelle et mécanique, la microbiologie industrielle, l’architecture et le design, la gestion des déchets, l’aménagement urbain, pour n’en citer que quelques-uns. Les critiques à l’encontre des travaux menés par le Professeur Despommier sont liés plus à la technologie employée qu’au concept d’agriculture verticale. La principale technologie employée dans ces fermes verticales est la culture hydroponique.Technique permettant de cultiver en intérieur en remplaçant le sol par une solution liquide contenant des minéraux naturels,celle-ci permet d’obtenir plusieurs récoltes par an indépendemment de conditions climatiques parfois défavorables. Ce qui est attaqué notamment, c’est la quantité significative de matière plastique que nécessite la mise en place de cette technologie. De plus, bien que le Professeur Despommier parle d’agriculture biologique, certains détracteurs estiment que ces cultures ne sont pas viables sans l’ajout d’intrants phytosanitaires, et que l’augmentation de la productivité passerait par la culture d’Organismes Génétiquement Modifiés. Il faut donc rester prudent et chercher à développer ce concept dans le respect d’une agriculture biologique,ce que semble pourtant assurer le chercheur de la Columbia University. En ce qui concerne les matières plastiques nécessaires à la mise en place des cultures, une des voies de développement sera sans doute la production de Bio-polymères, à base d’amidon de maïs par exemple.2

• L’”agri- tecture” verticale: les fermes verticales Pus de 10 ans après le texte fondateur du Pr. Despommier, nous analyserons quelques uns des projets les plus représentatifs.Le site internet qui leur est dédié voit arriver de nouveaux projets de façon régulière, et nous nous baserons sur les documents disponibles pour chacun d’eux en essayant de mettre en évidence la capacité d’une telle structure à dépasser ou non son rôle initial. Presque tous les projets, à l’image du Harvest Green Project ou de l’Experimental Vertical Farm affirment leur position urbaine par un travail fin quant à l’implantation, et seul le Plantagon Greenhouse, en se concentrant sur la technologie mise en oeuvre à l’intérieur, ne dégage pas de considérations urbaines.

2-En savoir plus: http://www.biofondations.gc.ca/francais/View.asp?x=790#bib

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S’il ne s’agit pas de dresser un portrait esthétique de tels édifices, nous verrons que chacun développe un langage particulier, et que la mixité d’usage tel que l’introduisent SOA,Knafo Klimor ou Jung Min Nam nous renvoie bel et bien à un geste architectural étudié, mêlant à une réflexion typologique une profonde analyse de la structure et de l’enveloppe. L’agriculture verticale apparaît alors comme la possibilité de créer de nouveaux types d’espaces partagés solidaires de l’édifice. L’agriculture devient aussi une activité que l’on ne voit plus seulement réservée aux seuls agriculteurs. Le projet de Blake Kurasek met d’ailleurs en avant dans ses images l’intéraction directe entre le consommateur et son produit, en présentant la culture hydoponique à la manière d’un rayon de supermarché. Peu de projets portent sur des fermes mono-fonctionnelles, exprimant l’idée de la ferme verticale comme étant avant tout un ensemble de systèmes de haute technologie au service d’une rationalisation de la production agricole.Avec une emprise au sol minimum dans des milieux urbanisés denses, de plus en plus de projets intègrent une mixité d’usage, telle que des bureaux et des logements, et mettent en avant la synergie qui s’opère entre les différentes fonctions. La question de la matérialité de ces structures se pose alors dans chacun des projets, et nous observerons que le travail sur l’enveloppe s’affirme autant dans des prouesses esthétiques que technologiques. Nous verrons également que la plupart des bâtiments seraient autonomes en énergie grâce à des panneaux photovoltaïques, des éoliennes, et une optimisation de la consommation energétique des technologies nécessaires au fonctionnement de la ferme. Ils incorporeraient des systèmes de recyclage d’eaux usées et de déchets organiques liquides comme solides (biomasse) permettant ainsi de fonctionner quasiment en circuits autonomes. Enfin, en raccourcissant la distance du réseau entre le lieu de production et de distribution des denrées alimentaires, les fermes verticales pourraient jouer un rôle social que l’on reconnaît déjà essentiel au vu de ce qui se passe dans les community gardens et autres jardins communautaires exposés précédemment. On s’attardera donc à analyser les modalités de relations à l’agriculture que mettent en place dans leurs projets les différents protagonistes. Et vis-à-vis de ces enjeux urbains, architecturaux autant que socio-économiques et technologiques, nous verrons pourquoi porter un regard pluridisciplinaire quant à la conception de tels édifices est devenu une évidence. Petite visite donc dans le monde de l’agric-tecture, ou comment concilier une augmentation de la population et ses ressources alimentaires de base sur une aire urbanisée déterminée:

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3_Paysage architectural du XXIème siècle: les fermes verticales Cet état des lieux ne se veut pas exhaustif mais doit permettre de comprendre les grands enjeux de ce type de projets. Nous présenterons donc les plus représentatifs en dissociant les programmes mixtes (logements, bureaux et agriculture) des programmes mono-fonctionnels (agriculture uniquement).

3.1_Programme mixte • a_Harvest Green Project • b_Knafo Klimor Architects • c_Tour vivante • d_Blake Kurasek • e_Jung Min Nam 3.2_Programme mono-fonctionnel • f_Plantagon Greenhouse • g_Experimental Vertical Farm La méthode pour rendre compte de ces projets consiste en la réalisation de “fiches” qui donnent les informations principales obtenues pour chacun des édifices présentés.Une fiche comporte en générale 3 pages. Les projets seront expliqués et commentés par le biais d’un texte synthétique sur la droite de chaque page. Les illustrations seront données à titre indicatif pour illustrer le propos.

indice du projet

a_

Nom du Projet

illustrations

légende

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Rum sendius,Ore feuguerosto od tio dolobore facil ullamet, quis acing eum quametum

Ivenatra tracta vidiiss inicatium ina, consit vitilla tis essin tus, consimuro, tastes C. Satum que consci consulere cii publibe moenatqDit, ca nihili postu quo es intienatus int? Hem nost num publin Itam igin det vidiesse commovestil horum ta retorte et; ne tebunteatium nostres die ia volintera? Palin serfincul uratus lare pat, tratuss imius, qua ma, scivid catilicaet patus hore inguler optium, que condicasdam. Ahacciis hostilius esciori et, confentem obus. Aberion sultusquit Catque niac re, cas inihil vir atui in vitrion Itam obuspionst? Quam perei caet, nos ommo etoriamquam cauc verum esse me duciorei sulto et vili intis. Labulus Catius vest grae fur are per atimihi, ego Catribut patis bonsimus at vitemus, que noticid iemquitia mium sit. Nondum inemum tem adWisim il ulputem at ut la feuipisit velit irilit lorem dolore ea faccummy nonsenisl estrud deliqui blan henisci bla facillu tpatie dipsusto conulla ate tem volum ver sustrud magna feugait laorper cipsums andiat adipit augiam, quat. Ut lutet laore tat. Ostis er si elit inci esendia mcommy non henismolore faccum vulput la augait ip enim iriure diat prat am, sit

commentaires


3.2.1_Programme mixte

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a

_

b

_

c

d

_

e

_

_

Harvest Green Project

Agro-Housing

Tour Vivante

Blake Kurasek

Jung Min Nam


a

_Harvest Green Project L’agence ROMSES architectes, basée à Vancouver, est à l’origine de ce projet. L’implantation du bâtiment dans la métropole canadienne est le fruit d’une réflexion sur la place que doivent occuper la production d’énergie et d’alimentation dans des zones urbanisées. Considérant qu’il faut placer ces deux éléments au premier plan dans des endroits stratégiques et visibles, le bâtiment est implanté le long d’une grande artère et inclut un pôle multimodal dans son programme. Ce projet de ferme verticale devient ainsi un point de repère dans le paysage de Vancouver. La notion d’agriculture verticale est exprimée à travers la culture de légumes, de plantes arômatiques, ainsi que l’élevage de poissons, de poules et de chèvres sur la toiture du plateau inférieur, incluant une laiterie. La production d’énergie de l’ensemble du bâtiment se fait au moyen d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques et d’un réseau géothermique. La biomasse des déchets organiques de la ferme pourrait compléter le dispositif énergétique selon les architectes. La récupération des eaux pluviales se fait par l’intermédiaire des trois réservoirs disposés en toiture. Le projet Harvest Green est une réponse programmatique à une volonté politique. En effet, la collectivité de Vancouver veut inciter au développement de l’agriculture urbaine, sous toute ses formes1. Le fait de se faire côtoyer la production d’alimentation avec des logements n’est cependant pas suffisant pour obtenir une synergie globale. Le projet propose ainsi un marché, un supermarché, des bureaux , un laboratoire pour la recherche en Agronomie, des services éducatifs et un restaurant. Chaque partie du programme devient interdépendant du reste. Pour les architectes, la réussite du projet passe les nouvelles pratiques qu’ils souhaitent instaurer vis-à-vis de la consommation de produits alimentaires. Ils mettent ainsi en avant qu’en plaçant le projet sur un noeud d’infrastructure important, ils pourront nourrir une population importante en diminuant considérablement les pollutions des systèmes d’approvisionnement conventionnels.

Ci-dessus:vue d’ensemble de la ferme verticale Ci-dessous: axonométrie éclatée du projet montrant les différents composants.

1-Voir l’article sur Globe-Net, “Urban Agriculture Vancouver Case Study”, du 22.07.2008

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a

_Harvest Green Project Lorsque l’on regarde de plus près comment seraient produits les aliments tels que les légumes et certains fruits, il apparaît que la technologie employée serait la culture hydroponique. On a vu que le professeur Despommier recommande ce type d’installation et les architectes se sont visiblement appuyés sur ces recommandations. L’ensemble des surfaces de productions se retrouvent alors enfermé dans des sortes de containers, dont la paroi semble relativement opaque. Il apparaît ainsi que l’emplacement des cultures ne se fait pas selon les besoins en lumière naturelle de chaque plante, et laisse penser que la lumière artificielle est la seule source lumineuse autorisant le développement des plantes cultivées. L’avantage de cette solution est visiblement d’augmenter la production, mais l’inconvénient est évidemment que cela génère une consommation d’énergie supplémentaire. Cette même énergie est produite comme on l’a vu par un ensemble de systèmes, dont des éoliennes, qu’on voit ici placées entre chaque modules. Cependant, certains observateurs font remarquer que le vent ne semble pas être aussi fréquent que cela à Vancouver, du moins pas assez pour assurer la production continue en énergie. Aussi pourrions-nous émettre des réserves quant à la fiabilité de ce système de production d’énergie, d’autant que comme on le verra avec d’autres projets, il est possible d’organiser la production en fonction du besoin en irradiation solaire de chaque plante, toutes n’ayant pas les même exigences d’ensoleillement. Ce projet montre en tout cas que la question de l’énergie risque de devenir une des problématique majeure de ce type de construction. Leur projet de ferme verticale ne s’arrête cependant pas au bâtiment en lui-même. En effet, la ville de Vancouver a développé ce qu’ils nomment une City’s Eco-Density Charte2, qui consiste à trouver des leviers pour densifier les zones pavillonaires de la métropole. Aussi, en tirant profit des recommandations de la charte, les architectes ont développé une

Ci-dessus:détail des modules dans lesquels serait produit les aliments. Ci-contre: détail d’un module hydroponique tel qu’envisagé dans le projet Harvest Green.

2-Voir la consultation en ligne de la Vancouver Eco Density Planning Initiative sur http://www.vancouver-ecodensity.ca

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a

_Harvest Green Project

2 2

Ci-contre:Schémas tirés de la City’s Eco-Density Charte de Vancouver Ci-dessous: illustrations de Romses Architects expliquant leur démarche

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stratégie qu’ils développent en lien avec leur ferme verticale. Les “Laneway” des zones pavillonaires, sorte de voies de services, sont ici exploitées pour redensifier un tissu pavillonaire lâche, et en faire des zones de productions d’énergie et d’agriculture urbaine, cela intégré aux nouvelles constructions envisagées dans ces espaces sous-exploités jusqu’alors. Cette stratégie agit comme une armature complémentaire de la ferme verticale tant en terme de production d’énergie, qu’en terme de production agricole d’après les architectes. A titre d’exemple, ces derniers envisagent de végétaliser ces zones avec des arbres fruitiers, ce qui augmenterait la diversité de la production et permettrait de passer d’un paysage de “pelouses ornementales” à des surfaces à “potentiel comestible”. Toujours selon les architectes, les excédants de productions d’énergie, rendus possibles par une construction très performante, la production photovoltaïque et la présence d’éoliennes, pourraient dégager un bénéfice permettant d’amortir le coût des technologies employées. Il ne reste que, si sur le papier toutes ces technologies de production d’énergie semblent suffisantes, il aurait fallu avoir les preuves par des simulations que cela est bien le cas. Et ces informations ne sont pour le moment pas disponibles.


b

_Agro-Housing

Water collection from the roof

Roof solar collectors

Summer shad

Gutter g Recreation roof garden

Wind Shutters

Communal spsce

Intensive green roof

Roof

flr 11

flr 10 Intensiv

flr 09 Ventilated atrium

flr 08

flr 07

flr 06 Vertical greenhouse

flr 05

flr 04

flr 03

flr 02

flr 01

Interior garden

Kindergarten

Axonometric scheme

Malgré le fait que ce bâtiment soit avant tout un immeuble de logement, le dynamisme écologique et économique dont il serait le vecteur favoriserait l’émergence d’une nouvelle urbanité. Ainsi, l’idéal pavillonnaire,

Ci-dessus: axonométrie éclatée montrant l’organisation du bâtiment Ci-contre: Vue d’ensemble du bâtiment Ci-dessous: schémas expliquant le concept

Agriculture

L’agence Knafo Klimor Architects a conçu ce projet comme une réponse directe aux problèmes d’urbanisation auxquels est confrontée la ville de Wuhan, en Chine. Se voulant comme un modèle social et urbain, le bâtiment mise donc sur la mixité d’un programme qui regroupe crèche, logements et agriculture verticale. L’agriculture verticale est offerte aux habitants sous forme d’espaces appropriables, où ils peuvent eux-même cultiver en fonctions de leurs aptitudes et de leur goût. Les architectes sous-tendent l’idée que les habitants doivent pouvoir être indépendants des réseaux de distribution habituels, et pour certains d’entre eux, en tirer un revenu. A travers ce projet, il s’agit aussi de limiter les pollutions indirectes dues aux transports de denrées alimentaires. Les concepteurs ne manquent pas d’arguments pour valoriser leur production. Selon eux, en plus de la réduction du trafic routier dédié à l’acheminement des denrées alimentaires, les villes pourraient créer des emplois dans des quartiers touchés par le chômage. La sensibilisation des habitants aux questions environnementales serait rendue plus facile, étant donné qu’ils seraient directement impliqués dans une gestion durable de leur production alimentaire. La récupération des eaux pluviales, des eaux grises et de l’évapo-transpiration des plantes ainsi que la production d’énergie grâce à la biomasse font également partie des arguments en faveur de leur bâtiment. Il en résulte une indépendance manifeste à l’énergie et à l’eau potable venant de l’extérieur.

Layered agriculture

Urban dwelling

Agro

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Housing

Rural dwelling


b

_Agro-Housing aussi en vogue dans ces régions pourrait être mis à mal par l’émergence de ce nouveau mode de vie. Le détail des aliments produits n’est pas donné par les architectes, mais on peut supposer qu’il s’agira de légumes et de fruits. L’élevage ne semble pas avoir été prévu. La répartition des fonctions se fait comme suit: une serre verticale placée au sud de l’édifice offre de larges plateaux de culture hydroponique ventilés et éclairés naturellement tandis que les logements s’organisent autour de cette colonne vertébrale. La façade nord est perçée par des trous pouvant accueillir des arbres fruitiers et faire office de terrasses. On ne peut s’empêcher de remarquer un conflit d’usage dans l’appropriation de la façade sud, dédiée à l’agriculture au dépend des logements. La toiture est elle aussi dédiée à la culture, offrant en plus un espace commun pour se retrouver à plusieurs et profiter de la vue. Les coupes ci-dessous montrent que le fonctionnement du bâtiment a été pensé pour

HototAAir

ot AirA

Natura

Dwelling

r

Growing

Dir

ec

tR ad

Ci-dessus: Facade nord, Vue sur la serre centrale, et schémas montrant la relation entre la serre et les logements Ci-contre: schémas montrant l’emplacement de la serre

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a


b

_Agro-Housing optimiser les apports solaires et la ventilation naturelle. En été, cette dernière est possible grâce à l’effet cheminée que produit l’atrium central, et qui permet d’évacuer la chaleur produite dans la serre. Les trous de la façade Nord permettent au vent du nord de participer à la ventilation du bâtiment, associés avec l’ouverture manuelle des parois côté serre. En hiver, l’effet de serre chauffe l’air frais de l’atrium qui est ensuite distribué dans les appartements. Cette gestion des apports solaires et de la ventilation devient donc interdépendant de la serre qui joue dès lors un rôle prépondérant dans le fonctionnement bioclimatique de l’édifice. Le chauffage est assuré par une installation géothermique et l’Eau Chaude Sanitaire (ECS) est fournie en partie par des panneaux solaires thermiques en toiture. Les eaux pluviales sont récupérées et traitées sur place pour l’usage domestique et l’irrigation. Une partie des eaux usées (eaux grises) peuvent être directement traitées et renvoyées dans le circuit pour servir à l’irrigation également. En plus de cette technologie visant à rendre le bâtiment au maximum autonome, la démarche “durable” se retrouve dans la flexibilité des appartements et la compacité du bâtiment, permettant d’optimiser son efficience énergétique. Ce dernier regroupe ainsi un ensemble d’éléments justement assemblés au service d’un nouveau mode d’habitat.

Ci-dessus: coupe montrant le réseauxd’ECS et le réseau de chauffage par géothermie Ci-contre: coupe montrant le fonctionnement du circuit d’eau potable et des eaux usées. Ci-dessous: vue de l’atrium central

(o p tional)

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c

_Tour Vivante

Ci-dessus: Vue générale de la tour Ci-contre: schéma expliquant le rôle des éoliennes.

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Le projet de Tour Vivante mené par l’agence SOA architectes, à Paris, est un concept de ferme urbaine verticale associée à un programme mixte d’activités et de logements. Cette étude s’adresse aux centres urbains amenés à se densifier. Les architectes mettent en avant que le concept de la Tour Vivante vise à regrouper la production agricole,l’habitat et les activités dans un système unique et vertical. La superposition encore inhabituelle de ces programmes permet d’envisager de nouvelles relations fonctionnelles et énergétiques entre culture agricole, espaces tertiaires, logement et commerce induisant de très fortes économies d’énergies. La production agricole envisagée se limiterait aux tomates, salades et fraises sur une surface de serre de 7000m². La production estimée serait de 63T/an pour les tomates, 9T/an pour les fraises et de 37333 pieds de salades/an. Cette tour à energie positive se veut écologique pour plusieurs raisons. Deux grandes éoliennes situées en haut de la tour pourraient produire de 200 à 600KWh/an et serviraient également de station de pompage afin d’assurer la circulation et le recyclage des eaux de pluie. 4.500m² de cellules photovoltaïques intégrées aux façades et en toiture produiraient de 700 000 à 1 million de KW/h par an. Complétées par la production électrique des éoliennes, ces systèmes font de la Tour Vivante un bâtiment autonome en énergie. Un système de puits-canadiens est prévu et s’ajoute à l’effet cheminée généré par le linéaire de serres. Après filtration, les eaux de pluie sont réutilisées pour les équipements sanitaires des bureaux et logements et l’arrosage des cultures hydroponiques. Les eaux de pluie de l’aménagement urbain, des façades et toitures de la tour sont quant à elles collectées et pompées par les éoliennes puis stockées dans des citernes au sommet de la tour. Les eaux grises produites par la tour sont recyclées et épurées afin d’alimenter et de fertiliser la production agricole des serres. Des panneaux thermiques permettent quant à eux de produire l’ECS. Les matériaux de la tour privilégient l’usage de produits écologiques, recyclés ou facilement recyclables. Les façades habitées en paroi double peau ont une isolation thermique renforcée.


c

_Tour Vivante Les serres agricoles agissent comme un poumon vert au coeur de la tour. Elles favorisent le contrôle des apports solaires et la régulation thermique entre nord et sud. En hiver, la chaleur est stockée dans les éléments massifs du noyau de béton. En été, les volumes intérieurs sont régulés hygrométriquement par l’évaporation de l’eau contenue dans les végétaux. La tour comprend 30 étages pour une hauteur totale de 112m. Son emprise au sol est de 25x48m. Le programme de la tour contient 130 appartements du T2 au T5 sur un total de 11045m² sur les 15 premiers étages, tandis que les bureaux se répartissent sur 8675m² de plateaux sur les 15 derniers étages.Les 700m² de serres sont répartis entre les 30 étages. A cela s’ajoute un centre commercial et un hypermarché sur 6750m², une médiathèque et une crèche sur 650m² et un parking de 475 places en sous-sol, soit 12400m². Le système constructif de la tour est pensé pour éviter les porteurs périphériques et s’articule donc autour d’un noyau de 8mX30m. Des voiles périphériques ceinturent ce noyau et contreventent la tour en même temps qu’ils reprennent les descentes de charges par l’intermédiaire des consoles qui y sont raccrochées. Ces voiles dépassent de part et d’autre du noyau de 2m, ce qui permet de placer l’ensemble des locaux humides et techniques de la tour. Les consoles qui soutiennent les planchers reprennent également la charge des panneaux de façade préfabriqués en matériaux légers: il s’agit de panneaux composés en béton matricé (type céramen) pour les bureaux et les logements, et de panneaux légers et transparents type horticoles pour les serres. Les architectes listent les avantages de leur projet en s’inspirant des travaux du Pr. Despommier: _Une agriculture continue, indépendante des saisons et des aléas climatiques (sécheresses, inondations, intempéries) qui offre une production 5 à 6 fois supérieure à la culture en plein champs. Ci-dessus: Coupe et plans des bureaux et des logements Ci-contre: schéma montrant la répartition des fonctions autour du noyau central

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c

_SOA Vertical Farming _La culture hors-sol urbaine permet d’éviter l’emploi de pesticides, d’herbicides et de fertilisants. _Une nourriture “bio” : la récupération des déchets alimentaires des habitants ou restaurants collectifs de quartier permet d’obtenir après compostage ou lombricompostage sur place un engrais liquide puissant et écologique servant d’apport nutritif aux fruits et légumes. _La Tour Vivante permet de profiter sur place des produits frais, mûrs et sans conservateurs. _Une réduction considérable de l’utilisation des énergies non renouvelables par l’abandon des machines agricoles _La Tour Vivante permet de produire sur place et élimine les transports nécessaires à l’approvisionnement alimentaire de la ville et par conséquent des processus de conservation de la nourriture très énergivores. _La production agricole purifie l’air du quartier par l’apport d’oxygène des plantes. _Une utilisation efficace de l’eau de pluie récupérée sur l’ensemble du site qui est transformée en eau potable par l’évaporespiration de la végétation. _La Tour Vivante génère une grande quantité de biogaz ou d’électricité par la fermentation des déchets alimentaires, végétaux et matières fécales. _La Tour Vivante permet de réduire l’impact agricole sur le territoire naturel et de redonner place à la biodiversité et à l’équilibre de l’écosystème. _Élimination du ruissellement entraînant l’érosion et l’appauvrissement des sols. _La Tour Vivante offre donc une perspective de développement urbain Durable. Le coût initial estimé de la tour est de 98 millions d’Euros HT pour une surface de 50470m² SHON, soit 1943Euros/m². Le coût global n’est pas quantifié mais si la tour est à energie positive, on peut imaginer qu’il soit relativement faible.

Ci-dessus: détail constructif des plateaux et de l’enveloppe Ci-contre:vue intérieure et extérieure de la tour

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d

_Blake Kurasek Le projet de Blake Kurasek est intéressant du point de vue de la mixité des usages et de la diversité de cultures qu’il propose. Partant du principe que les gratte-ciel devraient pouvoir subvenir aux besoins des habitants qui vivent dedans, Blake K. propose lui aussi une ferme verticale autosuffisante. Dans les documents disponibles, il n’explique pas le choix de l’emplacement et cela paraît surprenant de l’avoir placée en dehors des grandes artères de Chicago,ville où est implanté le bâtiment. Ce qui pourrait être considéré comme un handicap n’enlève cependant pas l’intérêt qu’on peut porter à l’édifice du point de vue des usages et des fonctions qu’il instaure. De plus, quand on analyse les documents disponibles, on se rend compte que ce choix d’implantation tire profit de la présence du lac pour y puiser de l’eau. Une grande partie de l’édifice est occupée par des logements tandis qu’une autre est réservée à la production de produits alimentaires de base, tels que des fruits et des légumes. Le rez-de-chaussée de la tour est occupé par un marché dans lequel pourrait être vendus les produits cultivés dans la tour, aux habitants de cette dernière ou à une population plus large.

Ci-contre: vue générale de la tour. Ci-dessous: exemple de répartition des aliments

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d

_Blake Kurasek Le concepteur précise que la répartition des cultures entre l’intérieur de la tour et l’extérieur dépendra de la saison, et que cette méthode permettrait de faire tourner les cultures en fonction de leurs spécificités. Le plan ci-contre montre comment sont organisés les plateaux de la tour. Là aussi, un noyau regroupe les fonctions principales, telles que les ascenceurs et les cages d’escaliers et les monte-charge pour la gestion de la ferme. La structure ne s’articule cependant pas qu’autour de ce noyau; on distingue en effet des colonnes périphériques qui reprennent les charges des plateaux. Ces colonnes sont qualifiées de “méga colonnes” par le concepteur, mais il ne donne pas d’information quant au choix d’une telle dimension. On peut cependant estimer que la hauteur de la tour telle que représentée précédemment justifie une telle structure. Les appartements sont quant à eux disposés autour du noyaux et sont rendus flexibles par l’absence de porteurs. La coupe montre comment fonctionne le système d’irrigation de la ferme. L’eau serait prélevée dans le lac Michigan pour être ensuite redistribuée pour l’irrigation des cultures. L’évapotranspiration des plantes est également utilisée pour produire de l’eau potable pour le réseau domestique. L’énergie est vraisemblablement produite par

Ci-dessus: plan et coupe de la tour Ci-contre: détail des éoliennes en partie supérieure de la tour

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d

_Blake Kurasek des éoliennes en partie supérieure de la tour. Nous n’avons cependant pas d’autres informations sur les autres méthodes prévues pour la production d’énergie. Sans doute la biomasse fait elle partie de celles-ci. En plus des surfaces dédiées à la culture dans les étages de la tour, chaque appartement bénéficie d’un accès à un jardin suspendu dans la façade double peau comme nous le montre l’image ci-contre. Les tubes hydroponiques qui accueillent les plantes jouent ainsi le rôle de protections solaire, tandis que les plantes permettent de rafraîchir l’air. Cette intégration des cultures en façade double peau participant au confort thermiques des logements n’avait pas été jusqu’ici abordée. Elle montre bien comment l’agriculture verticale peut être source de réflexions au niveau architectural, bien que ce type de façade paraisse être utopique au prix auquel elle serait réalisable actuellement. La démarche de Blake Kurasek porte cependant plus sur les usages possibles de tels édifices que leur viabilité économique. A titre d’exemple, les espaces partagés seraient selon ses illustrations des lieux où pourraient s’épanouir les enfants, tandis que les adultes verraient de nombreux avantages à acheter leur salade ou autre légumes directement là où ils sont produits. C’est en cela que ce projets est porteur d’un certain optimisme, qu’il conviendrait de pousser plus loin.

Ci-dessus: détail de la paroi double peau Ci-contre: vue d’un espace partagé Ci-dessous: vue des installations hydroponiques dans les plateaux

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e

_Urban Farm,Urban Epicenter Le projet de Jung Min Nam intitulé Urban Farm, Urban Epicenter fait partie de ceux qui développent une approche globale concernant la question de l’agriculture verticale. Jung Min Nam souhaite à travers ce projet mettre en place une “infrastructure sociale et culturelle” dont la production agricole et le traitement des eaux usées seraient les liants. Situé dans le MeatPacking District de New York, ce projet s’implante en tirant profit de la situation urbaine relativement dense qui le cerne. Pour son concepteur, il s’agit de faire de ce lieu non seulement un lieu où l’on produit des aliments essentiels, mais surtout d’en faire un outil pour un changement social radical.

Ci-dessus: vue générale de la ferme et de l’organisation des plateaux inférieurs Ci-dessous: schémas expliquant le parti pris formel de l’édifice

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Valorisant une alimentation durable (culture insitu, réseau de distibution raccourci, création d’emplois), c’est pour l’architecte l’occasion de montrer que les espaces publics doivent témoigner d’un changement des modes de vie en étant étroitement liés à des projets pluriels, qui valorisent les démarches locales. Cela n’est pas sans rappeler la posture de Romses Architectes d’ailleurs. En relation directe avec la zone piétonne et la place créée à ses abords, le bâtiment se développe ainsi autour d’un programme mixte regroupant des bureaux, des logements, un marché, une station d’épuration intégrée et des surfaces de production. Le bâtiment prend sa forme vrillée en tenant compte des contraintes d’ensoleillement des surfaces de production d’une part, et pour garantir aux parties “habitables” une vue sur l’Hudson River d’autre part. La mixité d’usage ne se résume pas aux différentes fonctions d’habitat et de bureaux que Jung Min Nam met en place. La notion d’agriculture est ici abordée à toutes les échelles.


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_Urban Farm,Urban Epicenter Ainsi, les parties inférieures du bâtiment accueillent des surfaces de production hydroponique relativement importante, réparties entres des surfaces expérimentales et des surfaces “industrielles”, dont la production est ensuite directement revendue dans le marché situé au rez de chaussée. Des espaces semi-publics, à la manière de jardins partagés occupent ensuite la partie supérieure du bloc de bureaux. Au dessus de celui-ci, le bloc de logements se termine en partie supérieure par une vaste prairie qui récupère les eaux de pluie. Le traitement de l’eau se fait suivant qu’elle soit destinée aux programme non-végétal ou pas. Ainsi, dans le premier cas, l’eau vient en majorité de la récupération des eaux de pluies et de l’évapotranspiration des plantes, est filtrée puis réinjectée dans le réseau “domestique”. Les eaux grises sont ensuite retraités en interne et injectées dans le circuit hydroponique pour satisfaire les besoins des cultures. La méthode hydroponique est celle utilisant la technologie Nutriments Film Technique. Cette technique consiste en un flux continue de nutriments très oxygénés, permettant un développement très rapide des plantes et figure parmi les méthodes les plus simples de mise en oeuvre L’ensoleillement est quant à lui optimisé en fonction de l’irradiation solaire en été et en hiver des plateaux. Le détail sur les nez de dalles montre comment il optimise l’apport de lumière naturelle en

Ci-dessus: axonométrie éclatée montrant la répartition des blocs et leur fonction. Ci-contre: étude d’ensoleillement des plateaux

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_Urban Farm,Urban Epicenter

Ci-dessus: coupe sur l’édifice et vue d’un plateau hydroponique (droite): schémas représentant l’impact du rayonnement solaire sur les conditons de développement des plantes (gauche): schémas représentant le fonctionnement de l’aération. Ci-dessous: vue depuis un plateau

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décalant les étages, de 4,5m de haut, les uns par rapport aux autres. De plus, il tient compte de la puissance du rayonnement en précisant les recommandations à suivre pour que les plantes soient placées en fonction de leur résistance à la chaleur autant que de leur besoin en lumière. Enfin,l’édifice s’organise autour d’un grand atrium central, qui participe à la ventilation de l’ensemble en été comme en hiver. L’architecte ne précise pas quelle serait la structure du bâtiment, ni comment il envisage la constitution des façades, ce qui rend un peu abstrait le système de ventilation par ailleurs. Cependant, il développe beaucoup de points essentiels comme on vient de le voir, allant de la gestion de l’eau à la lumière naturelle, en passant par la synergie d’un ensemble programmatique complet et la richesse du projet réside donc plus dans sa capacité à avoir spatialisé de façon cohérente toutes ces données.


3.2.2_Programme mono-fonctionnel

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Plantagon Greenhouse

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Experimental Vertical Farm


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_Plantagon Greenhouse Ce projet est en fait la vitrine d’une entreprise Suédoise, Plantagon1, qui veut faire du profit “autrement” en axant sa stratégie sur les besoins futurs des pays en voie de développement ou des grandes métropoles en terme de ressources alimentaires durables. Cette entreprise basée à Stockholm a donc développé un concept plus qu’un édifice implanté à un endroit donné. En partenariat avec l’entreprise de conseil en ingénierie durable Sweco2, Plantagon veut changer radicalement notre façon de produire des denrées alimentaires, et si possible de façon écologique et fonctionnelle. Les concepteurs de cette serre à étages mono-fonctionnelle mettent en avant que la performance de leur installation pourrait permettre de rentabiliser cette dernière uniquement par la vente des produits qui en serait issus, et ce sur une décennie à peine (nous reviendrons plus loin sur le coût de cette dernière). Leur projet s’apparente en fait à une serre sphérique gigantesque, et c’est justement ce qu’ils mettent en avant: “L’innovation assez simple est d’utiliser la totalité du volume de la serre”, Considérant que les “humains” n’ont rien à faire à l’intérieur d’un tel édifice, leur projet mise sur une construction, une forme et des technologies dédiées à la production hydroponique de plantes diverses, dont ils ne donnent pas le détail. Les cultures se font de bas en haut et semblent être placées sur un système mobile qui les acheminent tout en haut de la sphère, où la récolte s’effectue. La lumière naturelle et l’effet de serre seraient deux éléments fondamentaux de la réussite de leur projet, qui culmine à environ 100m de hauteur. Un tel édifice aurait été imaginé il y a une vingtaine d’année par un certain Äke Olsson, un ancien agriculteur suédois, qui travaille avec Plantagon en tant qu’expert. D’après l’entreprise,elle serait la première au monde à proposer ce système d’agriculture urbaine, et 15 villes seraient en pourparler avec eux pour installer ces gros ballons transparents... Le PDG de Plantagon ne souhaite pas en dire plus mais précise que ces villes seraient réparties sur les 4 continents, et que l’Inde

1-http://plantagonblog.com 2-http://www.swecogroup.com/en/Sweco-group/

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_Plantagon Greenhouse

Ci-dessus: vue générale de l’installation telle qu’elle semble être conçue, et vues intérieures montrant l’alignement des cultures, visiblement automatisé. Ces images sont tirées d’une vidéo disponible sur le site de Plantagon.La vue générale est très différente de l’image qui circule le plus concernant le projet Plantagon, et reflète encore plus un certain dénie de tout contexte urbain.

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serait très intéressée. Plantagon estime à environ 70 millions d’euros le coût de cette serre sphérique. Reconnaissant le coût exhorbitant de ce projet, l’entreprise argue cependant que les coûts induits par le changement climatique, combinés à l’augmentation de population et la diminution terres arables peuvent justifier un tel investissement, qui serait amorti en 3 ans selon elle. Pour Plantagon, il est donc clair que les villes doivent prendre des mesures tout de suite pour ne pas subir de plein fouet un accès difficile aux ressources alimentaires dans les prochaines décennies et que ces investissements sont à leur portée. Le PDG de Plantagon met en garde contre les politiques agricoles qui mettront du temps à s’adapter et ne régleront pas tous les problèmes selon lui. Pour finir, il ne fait pas état des recherches engagées par le professeur Despommier et cela paraît très surprenant. En revanche, le PDG cite un projet de ferme verticale du belge Vincent Callebaut, DragonFly3. Ce projet, de 600 mètres de haut, reprend la forme d’une libellule et s’implante dans la baie new-yorkaise. Il ne fait d’ailleurs pas partie du corpus étudié ici mais aurait pu être intégré aux programmes mixtes. Son côté utopique, hors d’échelle et très centré sur la performance graphique ne faisait pas de lui un travail représentatif des réflexions actuellement menées autour du travail du Pr. Despommier. Mais c’est que l’entreprise risquerait de perdre son potentiel marché s’il parlait de ces recherches pluridisciplinaires. En effet, Plantagon essaie de vendre son concept en argumentant sur sa faisabilité immédiate, en prenant le projet de Vincent Callebaut comme représentatif des visions architecturales des fermes verticales, qui dès lors, paraissent bien utopiques. Lorsque l’on voit ce projet de Plantagon, on peut s’inquiéter de la prolifération de tels édifices qui malgré le fait qu’ils résolvent le problème de la sécurité alimentaire, ne peuvent pas apparaître comme des projets viables du point de vue de leur intégration dans un tissu urbain, quelqu’il soit. Gageons que la puissance marketing de cette entreprise n’écrase pas les tentatives audiacieuses vu précédemment et que le projet suivant confirmera.

3-http://vincent.callebaut.org


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_Experimental Vertical Farm L’ Experimental Vertical Farm de Claudio Palavecino Llanos est situé à Santiago du Chili. Ce projet se veut autant territorial qu’architectural, en s’appuyant sur deux éléments structurants: _Une action urbaine, en utilisant les zones urbaines délaissées que sont les noeuds autoroutiers pour leur redonner une utilité en en faisant des interfaces entre les infrastructures et la ville constituée. On voit d’ailleurs sur l’image de gauche que des fermes pourraient encercler la ville de Santiago du Chili et mailler ainsi efficacement le territoire/ _Une ferme verticale comme prototype d’un nouveau type de bâtiment, qui récrée un éco-système auto-suffisant et producteur de produits alimentaires en visant surtout une efficience énergétique. Le bâtiment est pensé dès lors comme un “être vivant” qui est sensible aux changements physiques de son environnement et qui tire parti de chaque composant de la ferme verticale. Cette dernière organise toute la chaîne de production alimentaire, de la production à la vente. En cela, elle n’est pas totalement monofonctionnelle, mais reste cependant dédiée à une tâche de production agricole sans y mêler de bureaux, de logements ou de crèche. Pour parvenir à faire fonctionner la ferme en utilisant au maximum l’énergie de la tour, cette dernière est conçue pour optimiser les facteurs physiques nécessaires au développement des plantes, telle que la lumière naturelle, la ventilation, l’hygrométrie ou la chaleur. Ce projet s’inscrit dans une démarche prototypale comme dit précédemment, pour tester le type de structure agro-alimentaire et politique dont le Chili pourrait avoir besoin dans les 20 à 30 années à venir, dues notamment à la croissance démographique du pays et l’instabilité du marché. Une ferme cumule une surface de 7725m² pour une emprise au sol de 697m², soit 11 fois moins, pour une production sinon égale au moins supérieure à la même surface en plein champs. L’édifice se décompose en 5 éléments fondamentaux: Ci-dessus: Schéma expliquant le concept de l’Expérimental Vertical Farm et maillage du territoire de Santigo du Chili avec des fermes verticales Ci-contre: Vue générale d’un ensemble de ferme intégrées dans les zones délaissées des infrastructures.

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_Experimental Vertical Farm La partie supérieure accueille des panneaux photovoltaïques pour la production d’électricité. Puis vient la partie de production à proprement parler, qui occupe quasiment tous les étages de la tour. Dans cet espace sont gérés la plantation, la maintenance et la récolte des plantes produites. Les produits sont ensuite nettoyés pour être emballés et stockés dans un espace dédié. Ils sont ensuite vendus dans la partie en rez-de-chaussée qui héberge le marché. En concentrant le programme uniquement autour de la production agricole, ce projet développe donc un mode constructif spécifique, dont l’enveloppe constitue l’enjeu principal. Dans un premier temps, la géométrie légèrement ovoïde de l’édifice à été conçue pour s’adapter au mieux à la courbe du soleil au fil des saisons. Cette gestion de l’ensoleillement n’est pas représentée comme dans le projet de Jung Min Nam sous forme de graphique représentant l’irradiation relative, mais la répartition des plantes en fonction de leurs besoins est donnée ci-dessous à titre indicatif. Ainsi, nous pouvons voir que 4 types de plantes seraient répartis comme suit: les salades et les tomates proches ou non des façades, les choux fleurs uniquement vers ces dernières, avec des plantes ornementales (fleurs) juste derrière. Des champignons sont envisagés proche du noyau là où la lumière serait la plus faible. La conception de la façade, dont la structure hexagonale porte une peau de verre, semble avoir été pensée en s’inspirant du réseau qui structure une feuille. Cette structure est interprétée ici en décomposant chaque Ci-dessus: Schéma comparaant la surface de production de la tur à celle en plein champs Ci-contre: Détail des différentes fonctions de la tour Ci-dessous: Maquette d’un niveau montrant la répartition des produits cultivés.

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_Experimental Vertical Farm hexagone en une multitude de formes géométriques qui peuvent s’ouvrir ou se fermer pour contrôler la ventilation et l’effet de serre. La forme en spirale des plateaux permet à l’eau récupérée par évapotranspiration et pompée au sommet de redescendre sans utiliser d’énergie. La consommation d’énergie ne concerne donc à priori que le fonctionnement de la pompe et la lumière articielle certainement présente dans le sombre noyau. Pour conclure, ce projet démontre que l’on peut envisager un édifice mono-fonctionnel et en faire un objet auto-suffisant. L’approche territoriale s’ajoute aux multiples qualités de ce projet qui, en étant implanté au Chili, ouvre le débat des fermes verticales dans des zones géographiques qui ne font pas parties des plus riches. En insistant sur le fait que les crises démographiques et alimentaires peuvent trouver des réponses urbaines cohérentes, ce projet me paraît des plus exemplaires

Ci-contre: schéma du système de ventilation et détail des différents éléments qui composent l’édifice: noyau, plateau et doule peau Ci-dessus: vue générale de la ferme et des variations géométriques des modules de l’enveloppe.

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4_Conclusion “Que nous restait-il à faire? À répudier toutes les formes perverties, à démasquer tous les non-sens, toutes les aberrations, et à retrouver les formes essentielles de la maison, de la table, de la chaise, du lit et de tous ces objets indispensables à notre vie journalière” aurait dit Henry Van de Velde1, lorsque mettant en garde contre les pièges de l’ornementation gratuite dans laquelle risquait de sombrer l’Art nouveau, il revendiquait l’unité du Beau et de l’Utile. Les initiés sauront s’abstenir d’y voir les prémices du fonctionnalisme “orthodoxe” des CIAM2, mais d’un fonctionnalisme tout court. Mais ce n’est pas l’objet du débat que de remettre sur le tapis ces divergences modernistes quant au fameux forms follow function (quoi que...). Une chose paraît cependant certaine d’après Léon Ploegaerts et Pierre Puttemans, qui ont étudiés l’oeuvre de Van de Velde: sa tentative de faire “une synthèse du rationnel et du formel s’est opéré en dehors de la relation forme-fonction” . Et ces derniers de préciser que “la fonction n’engendre pas la forme, mais constitue avec elle ce que l’on pourrait appeler un faisceau dialectique”. Parlant de la succession de maquettes de l’Université de Gand3, ils diront qu’elle “détruit l’idée d’un rapport biunivoque entre forme et fonction, en même temps qu’elle fonde le dialogue de la forme architecturale et de la forme urbaine.Or, l’une et l’autre s’établissent dans une mouvance qui est la condition même de leur existence.” Vaste programme. Et à en croire les deux auteurs, Henry Van de Velde aurait laissé un héritage qui ne serait pas accessible à tous, tant son désir de rationalisation était le fruit d’une intellectualisation poussée. Aujourd’hui, il m’importe de comprendre son oeuvre, car “l’unité du beau et de l’utile” me paraît fondamentale dans l’appréhension des enjeux des fermes verticales que nous venons d’étudier, et plus largement, de ma posture. Le retour aux origines des raisons qui m’ont conduit à être architecte s’impose alors avec une évidence que je n’ai cependant jamais niée. Le Bauhaus a nourrit mes convictions (réactualisables...), l’architecture ne cesse de combler mon ignorance, et ce travail de mémoire m’ouvre des perspectives nouvelles.. Je ne me revendique pas fonctionnaliste, et ne maîtrise en tout état de cause pas assez les subtilités de ce mouvement pour prétendre l’être. D’ailleurs, ceux4 qui savent me mettraient en garde en me rappelant que si ce mouvement de pensée s’est disloqué, c’est parce qu’il était condamné dès sa naissance, en partie à cause des incohérences manifestes qu’il portait en lui. Mais Van de Velde n’ayant d’ailleurs jamais ni écrit ni prononcé le terme de fonctionnalisme et de rationnalité, me voilà rassuré: la question du beau et de l’utile n’est pas nécessairement une question de fonctionnalisme ou de rationalité. Les CIAM se seront quant à eux emparés de ces termes pour y développer une approche relative à la rationalisation des procédés de fabrication5 (de la ville, de la maison, du lotissement) et non pas à la forme “plastique et généreuse” et son adaptation au besoin telle que Van de Velde s’attachera à le faire, cherchant autre chose que “le fonctionnalisme qui abolit l’ornement au profit du squelette”.

1-”Comprendre le Bauhaus”, de Lionel Richard, aux Ed. Infolio collection Archigraphy, 2009 2-”L’œuvre architecturale de Henry van de Velde” par Léon Ploegaerts,Pierre Puttemans, Les presses de l’université de Laval 3-Université de Gand, Henry Van de Velde 4-Les érudits, les intellectuels, les théoriciens.... 5-Radicalisation portée à son apogée avec la charte d’athène

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Ce préambule ne pouvait pas donner meilleure entrée pour parvenir à mettre en perspective les travaux de cette étude.Tous ayant comme point de départ un questionnement sur notre capacité à anticiper des crises socio-économiques, menaces que l’on sait réelles parce que basées sur des observations purement mathématiques, donc rationnelles: Comment nourrir 9 milliards de personnes, alors que les surfaces arables seront moins étendues en 2050 qu’en 2010, et que le changement climatique aura des conséquences dont aujourd’hui, on ne connaît que les hypothèses? Et la question de la forme, chère à cet art total qu’était l’art nouveau, intervient dès lors qu’il s’agit de réfléchir aux formes de nos villes, de nos campagnes, de notre économie....à ceci près que le monde d’aujourd’hui complexifie les modalités selon lesquelles une quelquonque remise en question serait possible. Les projets analysés dans cette étude, et les problématiques qui leur sont attachées nous rassurent cependant, nous architectes, urbanistes, paysagistes sur notre rôle dans le débat qui s’annonce. Et m’amène de nouveaux à vouloir donner du sens à cette “structure végétale de grande ampleur” dont je parlais en introduction de ce travail. Alors que la végétalisation de la ville est devenue un argument de bien-être s’appuyant notamment sur des considérations esthétiques, de la rue à l’immeuble, ne pas se contenter de l’ornemental et le compléter par le cultivable ne rendrait la cause environnementale que plus profonde, et la définition de cette nécessité écologique plus évidente (la végétalisation). Ne pourrions-nous pas penser dès lors que la nature est belle parce qu’utile? Estce dans la résolution de cette équation que nous serions à même d’entrevoir un soupçon de stratégie durable parmi d’autre? Ce qui est beau, émeut. Je ne cesse d’être ému par ma “douce et tendre”, et sa beauté n’y est pas étrangère. De même, je serai ému de voir un jour son ventre gonflé, car finalement, il n’y a rien de plus beau que de donner la vie, à la manière du bourgeon qui devient fruit. Ah oui, mais ça tombe mal, parce la solution la plus rationnelle pour faire face à l’augmentation de population qui nous menace, c’est bel et bien de proscrire cette envie de surpeupler un peu plus le monde dans lequel nous vivons. Le beau pourrait bien ne pas être utile vu sous cet angle. Tout comme essayer de valoriser l’agriculture, sous toute ses formes, par des considérations esthétiques paraît vaine tentative au regard des enjeux qu’elle porte en elle. Valoriser l’agriculture partout, pour tous, à tous les étages, pour nourrir toujours plus de personnes est une conception de l’avenir qui peut se développer en dehors de considérations esthétiques, mais ces dernières ne peuvent qu’aider à l’aboutissement d’un tel but. Mais si Malthus avait raison? Non, Malthus à tort, du moins je vivrais en pensant que si mon enfant et ceux des autres ne peuvent plus vivre sur cette planète, c’est que l’on pourra aller sur une autre. Et, ma foi, la vie ne vaut-elle pas d’être vécue, ici où ailleurs? Evidemment que oui. D’ailleurs cela tombe bien, parce que les fermes verticales que l’on aura érigées sur terre, et qui n’auront finalement pas empêché la bêtise humaine de se développer et de nous mener à notre perte autrement que par une asphixie de surpopulation, nous serviront bien comme modèles pour la réalisation de notre rêve extra terrestre. Ainsi puis-je tenter de répondre à la question de départ: L’agriculture urbaine dans son intégration aux systèmes bâtis peut-elle qualifier la ville du futur en devenant un système complémentaire de l’agriculture urbaine traditionnelle? Sans aucun doute, à ceci près qu’elle ne garantit pas à elle seule le maintien des terres agricoles urbaines et péri-urbaines sur la planète bleue.L’enjeu consisterait à affirmer le rôle primordial de ces zones dans le maintien d’une bio-diversité source de vie et d’y cesser toute prolifération de constructions, ainsi que toute culture intensive, ceci étant valable dans les zones rurales évidemment. D’où la 49


réponse à l’autre question qui était: L’agriculture verticale peut-elle en plus d’être un témoin buccolique du pittoresque d’antan, devenir un catalyseur d’usages et de réflexes nécessaires au maintien d’un équilibre sinon social, tout au moins écologique? L’agriculture verticale pourrait très certainement catalyser de nouveaux usages: ce serait ceux des circuits courts par exemple, en offrant la possibilité à toute la population d’une métropole de profiter d’un réseau alimentaire local, garant en grande partie d’un équilibre écologique et social(possibilité que n’offre pas à elle seule l’agriculture urbaine traditionnelle mais qu’il convient de garder pour son rapport “authentique” à la terre, symboliquement très fort dans une perspective de croissance verticale des villes). Et comme il serait socialement très intéressant de responsabiliser la population à ces questions, la vulgarisation de l’agriculture verticale pourrait passer par une démystification de sa technologie en mettant en avant l’avantage des cultures domestiques, dans ces fameux “espaces sous-exploités” dont parlait Pierre-Gilles Belin, et au moyen, par exemple, des sacs cultivés tels qu’on les développent dans les pays du Sud. L’agriculture verticale n’est finalement, conceptuellement parlant, pas très différente vue sous cet angle. Ce qui caractérise physiquement la ferme verticale est cependant plus complexe que la simple mise en culture sur un espace au sol réduit qui se développe verticalement. L’interdépendance des phénomènes physiques en interaction avec le bâtiment constitue un élément décisif en faveur de ce type de bâtiment. Le projet Experimental Vertical Farm du chilien Claudio Palavecino Llanos, ou celui de Jung Min Nam par exemple, montre clairement le rôle que jouent les plantations dans la quête de l’autosuffisance: l’évapotranspiration est à ce titre un des phénomènes qui mérite toute notre attention, tout comme la gestion des apports solaires, de la ventilation ou de la production d’énergie au service d’un édifice très éfficient. La quête de ces nouveaux usages qui tendent à rapprocher l’Homme de la Nature et tels que tous ces projets l’imaginent est porteuse de sens. Certes, des projets comme celui de la Plantagon Greenhouse peuvent laisser sceptique. Mais il reflète une situation qui ne nous échappera pas: présenté comme un bâtiment décontextualisé, et caractérisé uniquement par sa performance économique et sa faisabilité immédiate, (sur le dos de projets faussement représentatifs des recherches menées actuellement par des architectes, des étudiants et toutes les catégories impliquées) il est clair que ce projet ne peut pas être pris comme modèle mais bien comme contre-modèle. Parce qu’un des véritables enjeux des fermes verticales est avant tout social, il paraît de notre ressort, en tant qu’architectes, d’en faire des lieux à Haute Valeur Sociale et Environnementale, en faisant du contexte social autant que morphologique le véritable déclencheur d’un programme humain qui nous réconcilie avec notre environnement autant qu’avec nous-même. Les fermes verticales nous le prouvent, à nous Homo Urbis: le périmètre dans lequel nous évoluons peut suffir à nous maintenir en vie, en nous donnant l’essentiel. Reste cependant que le régime alimentaire proposé dans la plupart de projets de notre étude serait en majorité végétarien, malgré la possibilité d’élevage qu’offre le concept de ferme verticale. Cela nous amène à reparler de l’interdisciplinarité des intervenants dans de tels édifices, allant donc de l’architecte à l’agronome et au nutritionniste, avec lesquels il devient possible de formuler des propositions de régimes alimentaires possibles en fonction des caractéristiques que l’on donnera au bâtiment. Une chose paraît certaine, et le projet de Jung Min Nam l’expose très clairement, c’est que la quête de l’autosuffisance alimentaire passera par une remise en question de nos modèles sociaux, et indubitablement, de nos régimes alimentaires occidentaux, responsables en grande partie d’une agriculture intensive polluante. Mais quand bien même nous serions autosuffisants sur le plan alimentaire, cela changerait-il la face du monde?... 50


....rien n’est moins sûr.

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5_Bibliographie Articles BRYN NELSON, Could vertical farming be the future? Farm able to feed 50,000 people could ‘fit comfortably within a city block’, msnbc.com, 2007 DIKSON DESPOMMIER, The vertical farm essay, Department of Environmental Health Sciences Mailman School of Public Health Columbia University

Livres BEATRICE CABEDOCE et PHILIPPE PIERSON Cent ans d’histoire des jardins ouvriers. Sous la direction de. Editions CREAPHIS 1996. RUTH et GUY BALLENGER Des jardiniers, hors la ville, dans la cité ? Editions du Linteau 1999 NAOUFEL, Day. Vers une représentation symbolique de l’arbre fruitier en milieu péri-urbain, le cas de Chambourcy et de ses environs. Mémoire de DEA de l’école d’architecture de Paris-la-Villette et de l’EHESS, 1995. EMMANUEL LOUIS GRAND L’Îlot d’Amaranthes, Editions Roger Tator BERNARDON, E., CHABAUD, J., GUIOMAR, X. L’agriculture dans les secteurs d’Orgeval et d’Aubergenville, propositions pour les espaces à fonction de coupure verte et de maitrise des fronts urbains. Sous la direction de A. Fleury, Conseil général des Yvelines, ENSP Versailles, 1996 BOISOT, Hélène. Les représentations de l’agriculture péri-urbaine : Périgny sur Yerres ou l’utopie d’un lieu de rencontre entre le monde rural et le monde citadin. Mémoire de DEA de l’école d’architecture de Paris-la-Villette et de l’EHESS, 1995. PIERRE-GILLES BELIN, Eco-solutions aux problèmes de la crise économique et immobilière, chez Eyrolles, 2009 MARIA CARIDAD CRUZ et ROBERTO SANCHEZ MEDINA Agriculture in the City, A Key to Sustainability in Havana, Cuba , International Development Research Center (IRDC) LUC J.A MOUGEOT Cultiver de meilleures Villes, agriculture urbaine et développement durable, 2006 International Development Research Center (IRDC) LUC J.A MOUGEOT Agropolis, The Social, Political and Environmental Dimensions of Urban Agriculture, 2005, International Development Research Center (IRDC) DOMINIQUE LOUISE PELEGRIN Stratégies de la framboise, chez les éditions Autrement, 2003 CORINNE GENDRON Ethique et développement économique: le discours des dirigeants sur l’environnement, thèse de doctorat, Université de Montréal, 2001 52


ANDRE FLEURY et PIERRE DONADIEU De l’agriculture péri-urbaine à l’agriculture urbaine ,publication Inra PIERRE DONADIEU Campagnes Urbaines, Actes Sud / École nationale supérieure du paysage de Versailles, 1998 GERARD LARCHER, La gestion des espaces périurbains, Sénateur,Rapport d’information 415 - 1997 / 1998 - Commission des Affaires économiques et du Plan MARK REDWOOD, Agriculture in Urban Planning, Generating Livelihoods and Food Security (IRDC) ALAIN FAREL et ali, Batir éthique et responsable, Editions du moniteur, ouvrage collectif LOIC FEL, L’esthétique verte, de la représentation à la présentation de la nature, aux éditions Champ Vallon COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES ,The role of European agriculture in climate change mitigation, , Brussels, 23.7.2009

Sites internet: http://www.verticalfarm.com http://www.biomimicry.net/ http://www.fao.org http://www.idrc.ca http://www.inra.fr/dpenv/aurbaine1.htm

Revues 1-C3 Publishing n°298

Remerciements: GD, Sébastien Lamy et sa bande de beatnik, Alexandre Marion, Franck Bertucat, Michel Rellier, Cyprien & Michel Segalov, et tous les autres 53


L’agriculture urbaine dans son intégration aux systèmes bâtis peut-elle qualifier la ville du futur en devenant un système complémentaire de l’agriculture urbaine traditionnelle? L’agriculture verticale peut-elle en plus d’être un témoin buccolique du pittoresque d’antan, devenir un catalyseur d’usages et de réflexes nécessaires au maintien d’un équilibre sinon social, tout au moins écologique? Pour tenter de répondre à ces questions, cette étude explore les recherches actuellement menées par le Professeur en micro-biologie Dikson Despommier de la Columbia University au travers des projets de fermes verticales imaginées suivant ses recommandations. Parce qu’en 2050, nous serions 3 milliards d’êtres humains en plus sur la planète bleue, l’agriculture verticale peut apparaître comme une solution à la crise alimentaire que cette augmentation de population peut engendrer, en même temps qu’elle questionne nos modes de vie. Petite visite donc dans le monde de l’agric-tecture, ou comment concilier une augmentation de la population et ses ressources alimentaires de base sur une aire urbanisée déterminée....

Memoire de recherche en architecture Antoine Segalov Master SDDE_AADD_2010 Sous la direction de Gilles Desevedavy


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