ENSAP Bordeaux Séminaire "Repenser la métropolisation. Construire un monde en transition" Clémence Carels S7 - Article - Janvier 2022
Villes, Etats et Union Européenne, quelle échelle d’intervention face à la question migratoire ? La Grèce et sa politique face à la crise migratoire. Depuis les années 2015, l’Europe doit faire face à une crise migratoire importante. Principalement dûe aux tensions politiques en Afrique et au Moyen-Orient, des milliers de personnes se voient contraints de quitter rapidement leur pays d’origine. Posant ainsi la question aux pays voisins de la gestion de ces flux sur leur territoire. Cette situation représente de nombreuses tensions et divisions quant à la posture à adopter dans l’ensemble de l’Union européenne. Pour comprendre la migration, ses enjeux et ses acteurs il est important de bien en comprendre ses termes. Selon l’association La Cimade, un migrant est une personne qui s’installe durablement dans un pays qui n’est pas son pays d’origine. Il décrit simplement le processus du déménagement de la personne, et ne prend en aucun compte du statut juridique, d’éducation, sa richesse, ou la raison de son départ. Se distingue ensuite les migrations choisies; un déménagement volontaire, et les migrations forcées, comme l’exemple d’une recherche de sécurité en quittant un pays en guerre. Un réfugié est une personne à qui est accordée une protection après une demande d’asile, en raison des risques de persécution qu’elle encourt dans son pays d’origine, du fait de son appartenance à un groupe ethnique ou social, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques, et contre lesquels son pays ne peut la protéger, comme défini dans la Convention de Genève de 1951.1 Les deux termes font référence au même cas de figure, une personne qui doit quitter son foyer. Le terme de réfugié correspond à un statut juridique, quand le terme d’exilé décrit la situation, mais n’a pas d’implication juridique. Les « sans-papiers » sont des personnes étrangères en situation irrégulière. Il s’agit d’étrangers ne bénéficiants pas d’un statut leur permettant de séjourner et de s’installer en France sur le long terme, soit parce que leur demande d’asile a été refusée, ou qu’ils sont par exemple arrivés en France de manière régulière en restant sur le territoire à l’issue de leur Visa. La migration en quelques chiffres pour comprendre la situation mondiale:
Au 1er Janvier 2020, L’Union Européenne comptait 447,3 millions d’habitants dont 23 millions (5,1%) étaient des citoyens de pays hors UE. Il est intéressant de constater que sans migration, la population européenne aurait diminué d’un demi-million en 2019, étant donné que 4,2 millions d’enfants sont nés et que 4,7 millions de personnes sont décédées dans l’UE. En 2020, selon des données provisoires, la population de l’UE a diminué d’environ 300 000 personnes (passant de 447,3 millions le 1er janvier 2020 à 447,0 millions le 1er janvier 2021), en raison de la combinaison de trois facteurs: la diminution du nombre de naissances, l'augmentation du nombre de décès et la baisse du solde migratoire. 2 Entre 2019 et 2020, le nombre de premiers titres de séjour ont diminué de plus d’un million. Cela est du à la pandémie du Covid19 qui a une restriction des déplacements afin d’éviter la propagation du virus. On se pose alors la question suivante : Quelle posture adopter face à l’arrivée de populations étrangères sur un territoire? Comment la question des flux migratoires a-t-elle divisé les politiques européennes ou une approche sécuritaire domine, tout en faisant émerger la notion de villes accueillantes ? Quelle est la prise de décisions en Grèce, pays en première ligne face à l’arrivée des migrants ? 1
A. POUCHARD, « Migrants ou réfugiés: quelles différences? », Le Monde, 25 aout 2015.
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« Statistiques sur la migration vers l’Europe », Commission Européenne, 22 septembre 202.
Les rôles des frontières européennes au fil du temps, l’arrivée d’une politique sécuritaire
Si les frontières sont souvent invisibles, elles régissent cependant le droit de se déplacer librement ou une limite physique et morale entre les Etats. Elles ne délimitent plus seulement l’exercice d’une autorité étatique, mais également des « agencements complexes entre le droit, l’économie et la violence, qui donnent lieu a de nouvelles limitations en matière de mobilité, qui créent également de nouveaux territoires » (Bulle, 2013, p.2) Le caractère des frontières, principalement en Europe est alors paradoxale. Tantôt libre de traverser les pays membres, tantôt contraint à une notion de sécurité globale en surveillant les déplacement individuels. Le sociologue Luc Boltanski (2009) utilise une notion intéressante quant à la migration, en parlant de « gouvernement gestionnaire ». Tout n’est alors qu’une question de droit et d’autorisations dans le but de conserver une sécurité globale. Il cherche à stabiliser un ordre dans le monde, en donnant la faculté aux institutions de décider des parcours individuels en autorisant la traversée d’une frontière ou non. « Il ne saurait donc y avoir de clandestins sans grillages et sans camps, de camps sans régime sécuritaire de souveraineté, de souveraineté sans occultation des migrants » (Bulle 2013, p.1) Pour comprendre cela, il est important de s’intéresser à l’histoire de l’Europe face à la gestion de ses frontières depuis ces dernières années. Depuis le traité de Rome, en 1957, jusque dans les années 1980, la politique migratoire de l’Europe repose sur le principe de la liberté de circulation des travailleurs étrangers. Les accords de Schengen dans les années 1980, suite à une crise économique et de chômage, les frontières se resserrent en différenciant les citoyens européens et non communautaires. Les contrôles des frontières intérieures sont supprimés contrairement aux frontières extérieures qui sont renforcés. Le regard sur les populations immigrées accueillies a alors changé, ils ne sont plus considérés seulement comme une force de travail au sein de leur pays d’accueil mais ils deviennent alors habitants de la communauté. Par la suite, avec les accords de Schengen en 1985, l’élaboration d’une politique migratoire commune aux Etats membres de l’Union Européenne est souhaitée. Le traité de Maastricht en 1992 inscrit notamment l’immigration comme une « question d’intérêt commun ». Cependant dans la réalité les décisions intergouvernementales, et la règle de l’unanimité dominent. Une politique de lutte contre l’immigration clandestine voit le jour depuis le début du XXI ème siècle avec l’expulsion des personnes présentes illégalement sur un territoire. Une aide de réadmissions des émigrants entrés illégalement en Europe est mise en place pour inciter les populations étrangères à participer au développement de leur pays d’origine. En 2008, le Pacte Européen pour l’immigration et l’asile voit le jour. Il s’articule autour de différents objectifs : organiser l’immigration légale en tenant compte des priorités, des besoins et des capacités d’accueil déterminés par chaque État membre et favoriser l’intégration; lutter contre l’immigration irrégulière, notamment en assurant le retour dans leur pays d’origine ou vers un pays de transit, des étrangers en situation irrégulière ; renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières ; bâtir une Europe de l’asile ; créer un partenariat global avec les pays d’origine et de transit favorisant les synergies entre les migrations et le développement.3 Pourtant ce pacte non contraignant pour les Etats membres laisse la possibilité à chacun de mettre en place une politique sélective.
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A. DUCLOS-GRISIER, « La politique d’immigration dans le contexte européen », Vie Publique, 20 mais 2019, Paris,
La notion de ville accueillante, un travail à l’échelle locale possible pour l’accueil des migrants
Les flux migratoires convergent principalement vers les zones urbaines. Bien que les villes et les gouvernements locaux manquent de reconnaissance et de compétences en matière de politiques migratoires, ils sont garants de la cohésion sociale et du droit à la ville4 . Les villes sont les actrices majeures pour proposer de nouvelles pistes pour une politique d’accueil à l’échelle locale. Or, la mise en place d’actions et de solutions face à la gestion des flux migratoires répond à des normes intergouvernementales mais également à des règles communes à l’Union européenne. Comment les villes se sont-elles mobilisées à l’échelle locale, nationale, européenne et internationale pour jouer un rôle dans la gouvernance des migrations ? Nombreuses sont elles, en Italie, en Espagne ou en France, à vouloir exprimer leur indignation face aux politiques sécuritaires européennes face à la migration. Bien qu’il soit compliqué de constater une reconnaissance générale de l’importance d’une gestion des flux migratoires par les pouvoirs publics, certains maires réclament une politique accueillante face aux migrants. "villes accueillantes" en France, "villes rebelles" en Italie ou encore "communes hospitalières" en Belgique 5; de plus en plus de termes émergent pour décrire l’éclosion de villes qui dénoncent les politiques de fermeture des frontières et se positionnent en faveur de l’accueil des personnes exilées. Elles font le choix politique de mettre en place différentes actions permettant leur intégration dans la métropole. C’est le cas par exemple de la ville de Nantes en France qui fait le choix de mettre la question de la migration comme enjeu central dans la politique de la ville. 6 Ou bien à Milan, en Italie, où un projet architectural et urbain a vu le jour dans le but de favoriser l’accueil de mineurs étrangers. Le projet propose alors d’initier ces immigrés à un projet de rénovation de logements sociaux dégradés dans le but de les y installer jusqu’à leur majorité. Le projet a une vocation d’intégration dans la ville mais également d’apprentissage.7 Nous pouvons tout de même reconnaitre la mise en place de programmes et d’accords visant à proposer aux villes différents champs d’actions sur la migration. En 2016, les Nations-Unis élabore le Nouveau Programme. Il s’agit de repenser la manière dont nous habitons et organisons les villes d’aujourd’hui tout en proposant un nouveau cadre en matière de développement urbain pour demain. Il représente une avancée en proposant un cadre et des valeurs communes pour définir les politiques migratoires nationales. Il existe également différents moyens de communication entre les villes accueillantes et les villes souhaitant le devenir. Des lieux d’échanges sur les stratégies ou les plans d’actions sont mit en place dans le but de former par la suite un pacte mondial sur la migration au niveau local. Le transfert de connaissances et de pratiques entre les villes est pour le moment le meilleur moment de trouver des solutions adéquates pour des intervention locales. Cependant, cette approche se base sur la participation de tous les gouvernements nationaux et locaux dans la gouvernance de la migration. Il est important de comprendre que cela rends, en réalité, la prise de décision arbitraire et compliquée. La gestion de « la crise migratoire », comme aime l’appeler les médias, démontre une interdépendance entre les différentes échelles Européenne, nationale et locale.
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J. RIGAULT, « Ces Villes accueillantes qui font le choix de l’ouverture », ccfd, 01 janvier 2021
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Ibid.
A. FLAMMANT, « Nantes, villes accueillante pour les populations exilés, de l’urgence humanitaire à la mise à l’abri inconditionnelle», Migration Société n°185, p.49-63, 2021 6
N. PEZZONI, « Entre politiques d’accueil et régénération urbaine. Le projet « Maisons au-delà-du-seuil » à Milan », 19 décembre 2019, Métropolitiques, 7
La Grèce au coeur de la crise migratoire, le choix d’une politique d’expulsion des migrants La compréhension et l’analyse des politiques de migrations sont complexes et relèvent non seulement de la législation étatique mais également des nombreux textes internationaux, accords et conventions. Les flux migratoires n’ont fait que s’accélérer depuis ces dernières années et les politiques ont dû alors renforcer le contrôle des frontières extérieures, principalement en Méditerranée. Le territoire grec est alors un espace clef quand à la compression et l’analyse des politiques misent en place pour lutter contre l’afflux d’immigrés et sa gestion sur le territoire. La Grèce a connu une crise migratoire importante dans les années 2015 et 2016 où plus d’un million de personnes seraient arrivées sur le continent européen en passant par la Grèce. Mais le pays ne souhaitant pas devenir la porte d’entrée de l’Europe fait le choix de durcir sa politique migratoire depuis quelques années. Pour répondre à cette situation, les rejets de demandes d’asiles et le nombre de camps de plus en plus fermés n’a cessé d’augmenter. Par exemple sur les iles de Kos et de Leros, le pays a mis en place différents camps hautement sécurisés pour faire face à l’arrivée massive de ces populations étrangères venant principalement de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan. Ses occupants sont autorisés à sortir la journée mais les portes se ferment le soir et l’autorisation d’accès ne se fait que sous présentation de badges électroniques et de détection des empreintes digitales. Ces camps sont délimités de barbelés et équipés de caméras de surveillance dans le but d’y instaurer une certaine sécurité.8 C’est grâce aux financements de l’ONU et de UE que ces camps ont vu le jour. Cependant ces camps dit « prometteurs » pour les politiques grecques sont vivement critiqués par des ONG, dénonçant l’isolement, et la non liberté des mouvements de leurs occupants. Ces camps sont souvent comparés à des prisons par les médias mais ont pourtant vocation à se propager sur différentes iles, selon les politiques grecques. Il est cependant important de comprendre que ces camps d’accueil ne peuvent être la seule et unique solution de l’état grec pour répondre à la question migratoire. Face à cette situation, la Grèce fait le choix d’endurcir sa politique migratoire tout comme ses pays voisins. « Le club des cinq » (Heliot, 2021, p.1), représentant les cinq pays les plus touchés par la crise migratoire (Chypre, Espagne, Grèce, Italie et Malte) souhaitent mettre en place un nouveau pacte migratoire européen, avec la mise en place de propositions communes ainsi qu’un mécanisme de renvoi des migrants qui se sont vu refuser le droit d’asile. Lors de ces réunions la position de la Grèce est claire et radicale. Elle insiste sur « l’importance de l’élaboration d’un mécanisme européen fort et efficace de renvoi obligatoire des migrants », comme le signale le ministre de la migration grec Kyriakos Mitsotakis. (Heliot, 2021, p.1) L’expulsion de personnes migrantes en Grèce n’est pas sans répercussions. Ces personnes sont déplacées mais le problème reste le même. En effet, le premier pays impacté par l’expulsion des migrants grecs est la Turquie, qui refuse d’accueillir les rejetés grecs. Des milliers de personnes se retrouvent alors refusées et coincées entre deux frontières, forcées d’habiter dans des campements de fortune sur des iles grecques. De plus il est important de constater que selon les autorités « la situation s’est stabilisée » depuis ces dernières années, l’Etat Grec reprend alors la main sur la situation et un grand nombre de financements mondiaux et européens ont été retirés. Les ONG voient donc leurs budgets diminuer, tout comme leurs nombres d’employés et donc leurs actions. Face à la mise en place d’une politique restrictive, les migrants et les passeurs cherchent alors de nouveaux moyens d’entrer en Europe. Ce cas de figure est alors visible par le nombre d’accidents récemment rapportés sur la mer Méditerranée, ces dernières années. 9
A. KONSTANTINIDIS, « Athènes ouvre de nouveaux camps pour migrants sous les critiques des ONG », RT France, 28 novembre 2021, Athènes 8
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J. BRONNER, « Face au durcissement de la politique migratoire grecque, les ONG se disent en difficulté », 22 décembre 2021, Paris
La question de la migration en Europe reste un sujet sensible d’un point de vue politique. Les décisions sont lourdes, sensibles et compliquer à prendre. Elles représentent le choix de vie futur des personnes immigrées, en acceptant ou non leur présence légale sur un territoire. On peut tout de même constater que les acteurs politiques à différentes échelles ont tendance à dédouaner leurs responsabilités face à la question de la migration. En effet, sur le papier, les prises de décisions sont communes quant aux modes d’action pour répondre à la problématique de la migration, or dans la réalité la mise en place de solutions reste arbitraire. Dans la recherche d’une solution, il serait important de redonner une stratégie d’intégration aux institutions locales, premières concernées qui ne peuvent pas toujours agir librement, dépendant d’une politique nationale dite « sécuritaire ». Beaucoup de pays continuent de durcir leurs politiques migratoires, comme c’est le cas de la Grèce. Sa capitale, Athènes, représente un foyer important dans l’accueil des migrants sur le sol grec. Pourtant les représentants politiques et les institutions de la ville font le choix de fermer les yeux sur la situation actuelle. Les ONG et les associations sont les uniques acteurs pour l’accueil des migrants dans la métropole. Il serait interessant d’analyser l’accueil des populations migrantes à une échelle locale. Pour cela, je souhaiterais travailler auprès d’une ou plusieurs associations ou ONG qui interviennent directement dans des camps de réfugiés légaux ou non, afin de comprendre l’organisation spatiale, sociale et politique d’un camp de réfugiés à Athènes.
Bibliographie : • Bulle S. (2013). Le destin des migrants. Métropolitiques http://www.metropolitiques.eu/Le-destin-des-migrants.html. • Flammant, A. (2021). Nantes, villes accueillante pour les populations exilés, de l’urgence humanitaire à la mise à l’abri inconditionnelle. Migration Société, vol. 185, p.49-63. https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2021-3-page-49.htm • Pezzoni N. (2019). Entre politiques d’accueil et régénération urbaine. Le projet « Maisons au-delà-du-seuil » à Milan. Métropolitiques. https://metropolitiques.eu/Entre-politiques-d-accueil-et-regeneration-urbaine-Le-projet-Maisons-au-dela-du.html