La reconquête des cours d’eau dans les métropoles

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ENSAP Bordeaux Séminaire "Repenser la métropolisation. Construire un monde en transition" Husson Camille S7 - Article - Janvier 2022 LA RECONQUETE DES COURS D’EAU DANS LES MÉTROPOLES Depuis l’Antiquité et le Moyen âge, les villes entretiennent des liens forts avec les cours d’eau. L’installation urbaine se faisait alors à la rencontre d’un fleuve et d’une route, d’un pont au dessus d’un fleuve, qui étaient des espaces stratégiques pour le développement commercial. Le fleuve était déjà un élément fort, perçu comme connecteur, une force dans la ville et pour la ville. Puis, les villes ont commencé à s’en méfier. Les fleuves, sont alors perçus de différentes manières. À la fois frontière, barrière, mais aussi comme des liens ou des connecteurs. La méfiance face à l’eau et aux risques d’inondations ont souvent conduit à laisser de coté les fleuves dans les projets urbains et d’aménagement des villes. Aujourd’hui la réintégration des fleuves et des cours d’eau dans les villes participe à un urbanisme écologique (Maytraud, 2018). Les fleuves sont quelque chose qui « vont de soi » dans les villes à tel point qu’on ne les remarques plus mais ils apparaissent comme une « brèche ouverte dans le tissu urbain », posant le problème de la séparation entre les deux rives (Lassus, 2014). Les projets de paysage et de reconquête étaient d’ordre plutôt esthétique et symbolique et non d’ordre écologique. L’importance était de sublimer l’existant sans pour autant s’en préoccuper. Il est souvent évoqué une reconquête des fleuves mais il s’agit principalement d’une réappropriation des berges. Cette reconquête aujourd’hui part des métropoles, influant ainsi sur le territoire, mais cette reconquête s’inscrit aussi dans les enjeux climatiques actuels et futurs. Nous verrons dans un premier temps, quels sont les acteurs, ainsi que les moyens mis en place au sein des métropoles pour reconquérir ces cours d’eau en ville. Dans un second temps, nous verrons l’aspect écologique et l’importance dans la lutte contre le réchauffement climatique de cette reconquête. Enfin dans un troisième temps, nous nous intéresserons à la reconquête des zones portuaires en ville en prenant l’exemple de Rotterdam, ville qui allie la connexion entre fleuve et port et qui vie au coeur des aléas climatiques. I / La reconquête du fleuve au coeur d’un territoire métropolitain Les métropoles ont tout d’abord développé ce rapport au fleuve dans un but commercial. Même si cette domestication fut lente, cet usage du fleuve a accompagné l’urbanisation. Désormais, de nouvelles politiques de restauration sont mises en place afin de redonner une place autre que commercial aux fleuves dans nos villes avec ses dimensions de paysage, de tourisme, de transports et qui permettent cette reconnexion entre la ville et son fleuve. Nous pouvons entre autre parler de Bordeaux et son travail autour de la Garonne, de Perpignan, et de sa réintégration du fleuve la Têt, de l’agglomération Lyonnaise et de son nouveau rapport au Rhône ainsi qu’a la Drôme, au delà des frontières, on retrouve également Québec, avec sa réintégration naturel du fleuve Saint Charles en ville. Cette reconquête fluviale est quelque peu inédite mais les engagements et les projets d’aménagement foisonnent, on assiste à une réinterprétation, à des « efforts pour rendre à nouveau vivant » (Beauchêne, 2007). Nombreuses villes renouent avec le fleuve en le convoquant comme espace naturel mais également


comme espace public et récréatif. Alain Anziani, président de Bordeaux métropole, évoquait lors d’un conseil qui s’est tenu en Décembre 2021 et qui regroupe les 12 communes jouxtant la Garonne et la Dordogne le fait que « le fleuve, qui possède un potentiel considérable, doit redevenir le lien entre les territoires. » Il est, le lien physique et paysagé entre les territoires, les collectivités. Il existe différentes réappropriations des fleuves par les villes, on y trouve des opérations écologiques, mais aussi des opérations liées aux activités humaines pour les nouveaux usages, des nouvelles dynamiques socioéconomiques, mais qui ne s’arrête pas aux fleuves et prennent en compte leurs espaces connexes à savoir les berges, les rives, les talus, les zones humides… Les rivières et fleuves sont désormais placés au coeur des politiques d’urbanisme de la ville (Brun, 2011; Rode, 2017). L’eau « fait lien » dans les villes et particulièrement de manière végétale dans les nouveaux plans d’urbanisme. (Brun, 2011). C’est un espace sauvage et naturel, qui participe pleinement à la qualité de vie des villes.1 Le rapport à l ‘eau sur un territoire est très important peu importe la culture, que cela soit en Europe et particulièrement les pays du Nord (Norvège, Finlande, Pays-Bas) ou en Asie avec l’exemple du Gange en Inde, qui est un fleuve sacré et vénéré pour son rôle purificateur. La présence de l’eau et notre cohabitation est inéluctable. De plus la génération d’aujourd’hui s’investit pour des villes plus vertes et pour une plus grande place pour l’eau et sa présence. Cette volonté de redonner une importance aux fleuves est autant une initiative citoyenne qu’un enjeu métropolitain. Les acteurs s’entrecroisent dans cet engagement avec une forte réactivité des collectivités territoriales. Nous parlions de « fleuves sacrifiés » et nous sommes aujourd’hui dans « la réhabilitation contemporaine des fleuves » (Labasse, Beauchêne, 2007) Qu’importe la situation géographique on tend à redonner un aspect naturel aux berges en y réintégrant par exemple des ripisylves et y revaloriser son développement. De plus, cette renaturation en externe n’empêche pas l’accessibilité au cours d’eau pour les citadins ni les espaces de récréativité. (Brun, 2011, Beaulieu, 2006 ; Pronovost, 2009). L’aménagement des berges favorise la cohésion de territoires sur plusieurs kilomètres, permettant ainsi une réappropriation du cours d’eau depuis la ville métropolitaine jusque dans les plus petites villes. Les voies douces et notamment cyclables sont privilégiées en abord car elles ne contaminent pas l’eau directement et permettent de nouveaux parcours, une nouvelle approche et apprivoisement du fleuve. Un fleuve qui est mieux géré en ville (pollution, franchissement, logements) est bénéfique pour le territoire.

II / L’impact des changements climatiques Les fleuves sont porteurs de risques plutôt élevés quant aux changements climatiques en cours. L’anticipation de ces changements permet de rendre un fleuve « sûr », afin de ne plus le percevoir comme une menace et de le délaisser de nos territoires. Ainsi on apprend à vivre avec son fleuve et ce qui l’entoure. La « renaturation » déjà évoquée, est un des principes de gestion écologique des fleuves. Une « renaturation » ne vise pas pour autant un retour de la rivière à son état « naturel » ( Brun, 2011). En effet l’eau en ville doit tout de même être gérée et controlée. Elle permet en soit, de redonner une place aux écosystèmes qui ont pu déserter les fleuves du fait de la sururbanisation des abords de fleuves. Si l’on prend exemple du fleuve Saint Charles à Quebec, le bétonnage intensif des berges est 1

Propos d’Anziani lors du conseil des communes.


venu perturber les écosystèmes, ce qui a mené à l’amenuisement de la vie du fleuve. Les politiques aujourd’hui envisage également en plus du principe de renaturation, de mettre en place des abords de berges aux mobilités douces, comme à Perpignan, ou Bordeaux, avec ce travail sur des quais piétons, cyclables et végétalisés. Le plan Garonne est un bon exemple concernant la réintégration du fleuve au coeur des problématiques d’aménagement. Il permet de travailler au coeur de la ville de Bordeaux, de la métropole, mais d’étendre aussi les enjeux sur le territoire français. Le bétonnage des abords de fleuve des années 1960, avait pour but de protéger contre les différents dégâts et les marées en y intégrant des barrages anti marées. En plus de venir perturber les écosystèmes aquatiques, ce bétonnage intensif cause des accidents, c’est pourquoi aujourd’hui, on tend à retourner vers des berges plus naturelles, car du fait de l’étanchéité des sols en ville, les fleuves débordent, les eaux de pluies participent aussi au remplissage de ces fleuves. Pour palier aux éventuelles problèmes de débordements, il se met en place diverses structures afin de préserver les villes et laisser le fleuve le plus intact possible, on parle de dispositifs anti-inondation. Un aménagement des digues comme il en a été discuté pour la ville de Lormont permet de freiner l’empreinte du fleuve sur la ville. L’installation de bassins de rétention d’eaux pluviales permettent de réduire considérablement la montée des eaux dans les fleuves et rivières. Comme l’a théorisé F, Scherrer (2004), il est important de limiter les pressions anthropiques sur un milieu naturel reconstitué et de considérer la qualité globale de la rivière comme facteur d’aménités urbaines, ce qui conduit à une valorisation des parcelles aux abords des rivières urbaines. La revégétalisation des abords de fleuves, permet une renaturation artificielle mais également naturelle. L’écosystème aquatique fut depuis ces quelques dernières décennies plutôt délaissé provoquant une crise majeure, ayant mené à la disparition de certaines espèces et la mise en danger d’autres espèces vivantes. Il est important de considérer aujourd’hui, que ce n’est pas « la lutte contre l’eau » mais plutôt « la cohabitation avec l’eau » (Warner, Van Buuren, 2011 )

III/ Rotterdam, sa gestion de l’eau en ville jusque sur le port Au delà des fleuves en ville, un autre espace en rapport avec l’eau attire notre attention. Un port est une force productive dans une métropole. Il allie la ville au reste du monde. Le port de Rotterdam est la plus importante façade maritime d’Europe, il est le centre de la mégalopole européenne. Le Rhin, fleuve qui traverse le port et la ville est un réel connecteur car il est aujourd’hui le fleuve qui transporte le plus de marchandises en Europe. On peut dire ici, que son intégration est exemplaire et qu’il n’est pas du tout rejeté, il participe au fonctionnement même de la ville. La ville elle, a toujours eu une attitude de vouloir rendre ce port accessible. La littoralisation des activités et sa croissance le rende puissant. Dans les années 1970, les décisions politiques s’appuyaient sur la coalition entre le port, les milieux commerciaux, et la collectivité locale (Kreukels,1992). Le port de Rotterdam joue un rôle moteur dans le développement de la ville, et serait donc majeur dans les décisions concernant l’urbanisation. Depuis les années 1990 dans la gestion du port, on s’affranchit du climat et des enjeux climatiques et des enjeux commerciaux. L’expansion du port, engendre un accroissement au sein de la ville tant au niveau du nombres d’habitants, que au niveau de l’emploi mais cette expansion requiert plus de place qui est parfois non disponible. La ville en dépend, c’est pourquoi, les projets urbains s’étendent sur certains secteurs et localisations en particulier. Les politiques de reconstruction des zones portuaires


se développent et s’interrogent sur des secteurs adossés au port, des secteurs stratégiques, des secteurs en connexion avec le fleuve ou la rivière, la New Maas par exemple. La ville de Rotterdam et son port sont des acteurs de la dynamique européenne, ils constituent un modèle de résilience. Un quart des Pays bas se situe sous le niveau de la mer, Rotterdam est de ce fait un site particulièrement vulnérable aux crues, cette ville néerlandaise doit explorer des solutions pour palier à l’inévitable montée des eaux. Comme au Bangladesh, ou aux Etats Unis, les villes côtières comme Rotterdam sont menacées par la montée des eaux. On retrouve à quelques kilomètres de Rotterdam, un robot appelé Maeslantkering, qui lors de gros orages ou de fortes houles, ferme les barrières et permettent au port et à la ville de ne pas être submergés. Situé à l’entrée du port de Rotterdam, c’est un acteur robotisé qui participe au fonctionnement du port contre les aléas climatiques. La dernière grande inondation de 1953 a particulièrement marqué le pays. Rotterdam est une ville côtière mais elle regorge de points d’eau et 2 principaux fleuves : Le Rhin et la Meuse. C’est une ville qui vit avec l’eau plutôt que de la combattre. Pour gérer l’afflux d’eau, qui comprend les eaux de pluies, les lits de fleuves sont creusés, les fleuves eux mêmes sont élargis, et des bras qui forment des rivières sont crées. Ainsi la gestion de l’eau dans la ville est mieux controlée et répandue. À Rotterdam on retrouve également les « Water Plaza », qui sont des places publiques creuses servant à recueillir l’eau lors d’intempéries fortes. En période sèche, elles sont des terrains de jeu dans la ville jusqu’à devenir des lacs artificiels, véritables réservoirs d’eaux de pluie. Cette mise en scène de l’eau montre comment Rotterdam peut gérer l’eau dans sa ville, comment le port est organisé de sorte à gérer les dangers dues aux changements climatiques, comment on peut modifier les sols pour constituer une « ville éponge ». Cette adaptation aux changements climatiques est d’autant plus importante quand il s’agit d’une ville côtière. La vulnérabilité face aux éléments, principale contrainte des villes côtières pourrait devenir un véritable atout. Nous pourrions par exemple nous intéresser par la suite au cas de Athènes, ville côtière d’Europe, et du Port de Pirée, atout de la ville pour le tourisme le commerce. Mais surtout, elle est aussi vulnérable face aux changements climatiques, nous pourrions interroger les systèmes mis en place pour réintégrer au mieux le port dans la ville et répondre aux urgences du futur.


Bibliographie RODE Sylvain, Reconquérir les cours d’eau pour aménager la ville, CyberGeo , 2017. https://journals.openedition.org/cybergeo/27933#authors KREUKELS Anton M.J , Rotterdam, le port englobe la ville : Une stratégie d’expansion , dans ouvrage Grandes villes et ports de mer, Les annales de la recherche urbaine, années 1992. https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1992_num_55_1_1670 WARNER Jeroen, VAN BUUREN Arwin, La mise en œuvre de « Plus d'espace pour le fleuve » : les discours positifs et négatifs à Kampen, aux Pays-Bas, Revue Internationale des Sciences Administratives 2011/4 (Vol. 77), pages 813 à 836 https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2011-4-page-813.htm? contenu=article BEAUCHENE Stéphanie, Les fleuves dans le processus de métropolisation de l’agglomération lyonnaise, Ministère Culture et Communication Direction de l’architecture et du patrimoine Mission à l’ethnologie, 2007. Ethno_Beauchene_2007_483.pdf SCHERRER Franck, L’eau urbaine ou le pouvoir de renaturer, Séminaire de recherche du GDR RésEau-Ville (CNRS 2524) "L'eau à la rencontre des territoires », 2004. https://journals.openedition.org/cybergeo/1496 BRUN Alexandre, Politique de l’eau et aménagement urbain La « Renaturation » de la rivière SaintCharles à Québec, 2011. https://journals.openedition.org/norois/3603 MAYTRAUD Thierry, La reconquête des cours d’eau en ville : Une opportunité pour la mise en place d’une politique urbaine, moderne, écologique et patrimoniale, 2018. http://www.crescautlys.be/wp-content/uploads/2016/12/P4-Riviere-urbaine-Thierry-MaytraudATM.pdf


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