ENSAP Bordeaux - Séminaire "Repenser la métropolisation. Construire un monde en transition", Saulnier Théo -S7 - Article - Janvier 2022
Modèles urbains contemporains au Japon
Depuis 2007, plus d’un habitant de la planète sur deux est urbain1, c’est autant de destins impactés par la qualité de planification des villes. Profondément influencée par l’école moderne2, la morphologie urbaine monofonctionnelle semble de moins en moins compatible avec les nouveaux enjeux écologiques. Les villes contemporaines ne peuvent plus se limiter à la vision anthropocentrée défendue par Le Corbusier dans la charte d’Athènes(1957) où la présence d’espaces verts est uniquement destinée à l’usage de l’homme et non au fonctionnement de la biodiversité3. Une verdure d’apparat, un lieu pensé par l’Homme notamment selon les théories d’Ebenezer Howard (1898) préconisant une faible densité pour une meilleure qualité de vie. Ces moyens d’expansion des aires urbaines ont mené les villes dans une dynamique qui s’avère non seulement motrice de clivages sociaux, mais également d’inégalités spatiales (Webber, 1968). Ce qui va à l’encontre des principes mêmes évoqués dans les fondamentaux du modernisme 4. D’autre part, on observe depuis les années 1980 un déclin important des villes moyennes et industrielles tel que Roubaix5. Les grandes villes déjà suffocantes drainent leur population entraînant une perte de dynamisme et une désarticulation des liens entre le rural et l’urbain (Choay, 1994).
I - Formes urbaines contemporaines
Dès les premières critiques du plan urbain moderniste, cristallisées par le texte de Janes Jacobs « Déclin et survie des grandes villes américaines » (1961), des solutions sont proposées. Par opposition nette à l’étalement urbain, le concept de « Ville compacte » voit le jour. Fidèle aux enjeux sociospatiaux modernes, il est énoncé par George B. Dantzig et Thomas Lorie Saaty en 1973 comme favorable à la densité résidentielle et à la proximité des services indispensables à la vie quotidienne. Dans les faits, le modèle
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La part de personnes résidentes en ville est désormais plus importante que celle de personne vivant en dehors de ces dernières. Source : United Nations, World Urbanization Prospects, 2014
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Mouvement du début du XXe siècle qui accompagna l’apogée de l’automobile, donnant lieu à des entités urbaines sectorisées et
des distances plus importantes entre les différents pôles fonctionnels (logement, industrie, commerce). 3
« Des rues sombres et le manque total de ces espaces verts, créateur d’oxygène » LE CORBUSIER – La charte
d’Athènes, p.35, 1957 4 5
Le cœur du projet moderne prône le confort de vie pour tous. cf : LE CORBUSIER — la charte d’Athènes, 1957.
INSEE 2021
compact laisse de vastes espaces verts en périphérie des aires urbaines, sans pour autant négliger les espaces de respiration intra-urbains. Son efficacité repose sur des réseaux de transports multimodaux, où chaque vitesse est adaptée au lieu traversé. Une ville capable d’accueillir plus de population dans une limite spatiale définie au préalable, limitant les coûts d’entretien, de construction et surtout de déplacement. Les déplacements représentant jusqu’à 32 % des émissions de CO2 françaises en 20206. Cela permet de réserver les territoires sauvegardés à l’agriculture et l’élevage voire même à la mise en route de projets de réintroduction de la biodiversité, au travers de forêts primaires tel que le propose Francis Hallé 7 par exemple pour retrouver un équilibre environnemental. Pour pallier l’augmentation de la population des villes tout en maintenant la compacité urbaine, la densification peut être utilisée comme outil de développement. Le modèle unipolaire compact devient alors polycentrique (Halle 2021), un montage urbain de plusieurs entités autonomes. Ces quartiers interdépendants peuvent pallier à eux seuls la plupart des besoins de leurs occupants, mais sont perméables aux échanges grâce à la cohabitation de plusieurs mobilités, suivant la distance à traverser. Une diversification des sous-centres est même envisageable pour garantir l’autonomie de la ville. Chaque ville disposerait d’énergie, de nourriture et de matériaux produits localement. Ce modèle présuppose un fort interventionnisme dans la morphologie urbaine, mais plusieurs études corroborent son efficacité à plusieurs échelles. Les travaux de Newman et Kenworthy notamment, démontrent en 1997 la corrélation entre la densité urbaine et la consommation annuelle d’énergie par habitant. Densifier une agglomération revient donc à limiter l’impact carbone de chacun de ses habitants, tant dans la consommation domestique d’énergie que dans celle liée aux transports. Pour autant, la densité résidentielle nécessaire à ces économies d’énergie n’est pas indissociable d’une morphologie urbaine aérée et agréable, en usant de verticalité par exemple. Il faut bien comprendre que l’efficacité du modèle repose sur la mixité de la ville, la mise à disposition des commerces et services nécessaires à proximité et surtout l’équilibre entre le nombre d’habitants et la quantité d’offres d’emplois proposées. La possibilité de vivre proche de son lieu de travail limite drastiquement les déplacements pendulaires et donc l’énergie déployée chaque jour par les habitants. Toutes ces réflexions poussent à se demander si la qualité d’une ville repose exclusivement sur son efficacité énergétique et sa complémentarité aux usages de chacun. Quoiqu’en disent les études successives, la qualité intrinsèque d’un espace urbain dépend massivement de sa capacité à être bien vécu par ses habitants (Moles, Rohmer, 1998). Les comportements et les usages étant particulièrement changeants au travers du temps, la ville doit évoluer tout en maintenant une qualité de vie importante (Bochet, Racine, 2002). La durabilité urbaine intervient alors, impliquant de proposer un modèle non seulement écologiquement tolérable, mais aussi, suffisamment plastique pour suivre les évolutions futures des usages. De nombreuses formes urbaines peuvent être appelées à être durables, et à perdurer dans leur qualité de vie. Néanmoins, le contexte prime sur un modèle utopique unique, la réponse dépend tant de l’implantation que du choix de planification déjà entamé. Le challenge repose donc sur la reconception des centres urbains et non pas sur leur création.
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INSEE 2013 cf : HALLE Francis — Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest, 2021.
II - Des limites dans l'exemple urbain
Si ces possibilités urbaines sont déjà sujettes à débats, leur mise en place repose sur l’adaptation à un territoire déjà pourvu d’une géographie et d’un patrimoine propre. L’instauration de ces stratégies ex nihilo devient donc le sujet d’une seconde strate de réflexions dépendantes du pouvoir local. Plusieurs villes ont déjà mis en place la compacité et la densité urbaine comme politique urbaine. Confronté au réel, on peut alors constater les avantages limités de ces propositions. Au nord de l’Allemagne se trouve un nœud ferroviaire et routier matérialisé par la ville d’Hanovre. À partir des années 1960, une stratégie de limitation de l’étalement urbain y a été mise en place, elle représente l’un des centres d’une communauté de communes autonomes (Mönninghoff, Koegler, 2008). Grâce à des partenariats entre la municipalité et les entreprises locales, de l’énergie à l’agriculture, la ville a pu gagner une réelle indépendance énergétique et multiplier par trois les offres d’emploi dans le tertiaire. De plus, la présence de réelles structures éducatives de la crèche à l’enseignement supérieur permet d’éviter une fuite des jeunes générations vers de plus grandes villes. Hanovre reste l’une des seules villes moyennes allemandes à la population croissante. Ces politiques de durabilité rencontrent un succès important notamment parce qu’elles sont issues de longues consultations citoyennes, un pari important qui contribue à la réussite du modèle. Néanmoins, la taille moyenne de la ville et les financements d’État exceptionnels dont elle a bénéficié rendent le modèle d’Hanovre difficilement reproductible. À l’inverse, dans certaines communes françaises comme Vitry-le-François, on applique une politique de rétrécissement planifié (Miot, Rousseau, 2017). Avec sa population de 13 000 habitants en constante chute, la ville a décidé de réagir en se redensifiant. Faute de budgets exceptionnels, la municipalité cherche simplement à stabiliser la population et leur apporter un cadre de vie plus sain, moins étalé. Une démarche de reconstruction dense a été mise en place, accompagnée d’une requalification des transports urbains. La taille de la commune est ici aussi un avantage, le parc immobilier appartenant à un minimum d’acteurs, les décisions se font plus rapides. Dans une logique d’économie de moyens, la stratégie municipale vise à questionner les logements fordistes de l’ancienne cité ouvrière pour les rapprocher d’une conception contemporaine et flexible. Tout en créant de vrais poumons verts parmi les espaces détruits. La décroissance de la ville permet donc de redensifier et de gagner en confort de vie, allouant le même budget à un espace plus restreint. Si le modèle compact semble fonctionner à petite échelle, la modification durable de la morphologie urbaine d’une grande ville est un tout autre défi (VAN GENT, 2013). Dans les Pays-Bas par exemple, l’une des zones les plus densément peuplées d’Europe, l’habitat est lui aussi concentré en zone urbaine. Des dispositions nationales encouragent depuis plusieurs années la rénovation face à la construction pour contrer l’étalement urbain. L’évolution du carcan législatif a permis une mise en œuvre plus rapide de cette politique avec de nouvelles lois plus libertaires, le pays compte sur la conscience collective plus que sur la restriction. Dans la région de Randstad, un centre vert réservé à l’agriculture a été mis en place, devenant une zone inconstructible, limite physique de l’étalement urbain d’Amsterdam au nord. Cette politique a évité à la capitale de fusionner avec les aires urbaines voisines. Si l’étalement urbain a été limité, le fonctionnement des aires urbaines qui en sont nées a montré ses limites. Construites en constellations en manque de densité, les villes mitoyennes sans réel dynamisme propre sont devenues des cités dortoirs. De plus, les
changements de gouvernance locaux, même après les aides administratives d'État, ont ralenti les processus d’évolutions urbaines.
III - Le Japon comme porte-étendard d'une politique nouvelle
Depuis le début des années 2000, on observe une baisse considérable de la population japonaise. Le taux de fécondité qui est passé sous la barre des 2 enfants par femme dans les années 1980 (IBRD, 2020) ne cesse de baisser. Cette décroissance durable s’explique par une multitude de facteurs socioculturels comme l’isolement et le prix grandissant des études supérieures dans un pays à l’économie pourtant stable (Dumont, 2017). Ce phénomène, couplé au vieillissement de la population de l’archipel, entraîne une dé-densification urbaine hétérogène. Les grandes villes semblent peu impactées par ce déclin, quand les villes moyennes et les territoires ruraux voient leur population se raréfier. La population japonaise pourrait passer de 127 millions à moins de 100 millions d’habitants d’ici 2050 (Buhnik, 2017). On compte aujourd’hui plus de 30 % de personnes âgées dans les villes en déclin, ce qui contribue à limiter la croissance de ces agglomérations. La diminution des populations jeunes qui bénéficient d’un emploi entraîne une chute du pouvoir d’achat et la raréfaction des commerces. Ce manque d’attractivité engage les entreprises et industries à se fixer sur d’autres territoires, plus proches des futurs employés. Les politiques en place affirment donc la nécessité de densifier des zones choisies (Shūchū) et notamment les espaces urbains construits pendant la politique productiviste d’après-guerre. Le projet de « compact city » japonais repose donc sur la revitalisation du centre-ville et globalement la densification urbaine pour pallier à l’isolement de sa population dans les agglomérations de taille moyenne. Quand le projet complémentaire de « networks » prône la valorisation de nouvelles formes de transports plus efficaces et étendus (Rousseau, 2018). La promotion privée y joue un rôle majeur, les constructions et les quartiers denses se trouvant près des lignes de chemin de fer privées. La forme urbaine est surnommée « Yakitori et Dango », en référence aux brochettes japonaises, formant des boules urbaines reliées entre elles par un réseau de transport dynamique. Cette disposition permet de densifier et de relier les centres urbains, pour contrôler l’exode et garder un confort de vie important dans les villes décroissantes. Limiter la fuite des habitants permet aussi de voir les grandes villes décroître et devenir de nouveaux lieux de densification. La ville de Toyama, l’une des agglomérations tests de ce nouveau système, se veut particulièrement transparente envers ses usagers. La mairie en place a en effet mené plus de 200 concertations publiques les trois dernières années. L’une des premières décisions a été de mettre en place une limite spatiale des nouveaux permis de construire. Une ligne fictive qui reprend le concept des murailles médiévales bien réelles, limitant l’étalement urbain. Le coût du projet est évalué à plus de 160 milliards de yens (soit 1,25 milliard d’euros), financé à moitié par les impôts locaux. Un travail sur l’attractivité est aussi effectué avec la gratuité des transports et la complexification de l’offre culturelle en tant qu’arguments principaux. Comme pour les exemples précédents, il est important pour la ville de bénéficier d’une autonomie durable. La municipalité a donc intégré des stations géothermiques et microhydrauliques pour chauffer les installations agricoles et valorise les déchets en les transformant en énergie. Ce qui a pour effet de multiplier les emplois
disponibles et mettre en avant une production locale et respectueuse de l’environnement. Attirer les industries en dehors des grandes villes vers les lieux à densifier limite aussi l’usage des transports individuels et permet le déploiement d’un réseau de transports en commun lié au programme de logement et de fait, plus efficace (Buhnik, 2017).
Concernant la poursuite du mémoire, la mise en place de la politique de ville compacte et les récentes reformes de ville « network » me semble être un sujet porteur. Ces modèles sont particulièrement documentés théoriquement et leur application à des systèmes spatiaux et culturels inédits amène nécessairement des modifications qu’il est possible d’étudier. De plus, si la mise en place du modèle de densification des villes moyennes porte ses fruits, il va influencer l’évolution de villes plus importantes dont la population se retrouvera à la baisse. Un nouveau programme devrait voir le jour, rapprochant la forme urbaine des réseaux de villes moyennes de celle d’une grande ville à plusieurs centres. Par ailleurs je trouve particulièrement intéressant la manière de densifier, dans un tissu déjà saturé, la création de nouveaux logements et équipements ne devra pas se faire au détriment d’espaces intra urbains confortables et pourquoi pas réversibles. Des villes plus denses c’est aussi le premier pas vers l’édification d’un nouveau dialogue entre urbain et rural. Pour compléter, il me semble pertinent d’utiliser à la fois les outils sociologiques et les outils d’analyse architecturale pour critiquer l’application du modèle théorique dans un ou plusieurs projets (dont l’échelle sera à définir) au sein des agglomérations tests.
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