NUMERO 1/ AVRIL/ MAI/ JUIN 2010
SORBONNE
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SORBONNE
ART/editorial
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P. 8/9 P.A
P. 6/7 FO.
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uel enseignant n’aura pas déploré le fossé entre son enseignement, dont il ignore les retombées, et la vie, au moins intellectuelle, de ses étudiants ? C’est donc pour moi à la fois un plaisir, et un honneur, que de participer grâce à ces quelques lignes à l’aventure éditoriale de Sorbonne Art. La recherche de la connaissance théorique et abstraite de l’Université s’y poursuit tout naturellement dans une autre forme de connaissance, celle de ce « qui ne se voit pas encore », mais bouillonne à travers toutes les formes de l’art, qu’il s’agisse des arts visuels, auxquels ce premier numéro est consacré, mais aussi de la musique, et de la poésie, qui les synthétise. Que les jeunes journalistes et critiques de ces pages soient aussi nos étudiants nous permet d’espérer qu’ils ont trouvé dans les amphithéâtres cette « raison ardente », que célébrait Apollinaire dans La Jolie rousse, et dont j’ose croire que nous ne sommes pas tout à fait dépourvus. Et que nous devenions à notre tour des étudiants avides de leur savoir est un juste retour des choses dont il faut leur savoir gré. Joëlle Gardes-Tamine
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ED
ITO RIAL
orbonne Art est une revue trimestrielle dont le propos est d’informer les étudiants de la Sorbonne de l’activité culturelle parisienne. La ligne éditoriale est souple et peu directive : chaque rédacteur a le choix de son sujet. L’identité de la revue repose sur la signature graphique et la composition qui resteront les mêmes d’un numéro à l’autre. Six rubriques donnent un angle d’attaque pour aborder l’art à travers ses disciplines, ses médiums et ses époques. Sous la forme d’entretiens, d’articles de fond, de comptes rendus d’expositions ou d’analyses d’œuvres, nous essayons de décrypter ce que l’on nous donne à voir dans cette ville de musées à l’offre culturelle multiple et alléchante, étouffante et consensuelle. Nous voulons investir les expositions et les lieux d’arts parisiens pour motiver une certaine conquête de notre patrimoine culturel et artistique. Nous voudrions également prendre part, au sein même du monde estudiantin, à l’ émulation des esprits multiformes, source de créativité et de singularité. Ainsi, l’ambition de cette revue est d’exercer un regard critique avec une fraîcheur sans naïveté, espérons-le. Un site internet prolonge le journal, ainsi qu’une adresse e-mail où vous pourrez nous faire part de vos réactions. Mathilde de Croix et Julien Ranson
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ART/portrait
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PORTRAIT D’UN ACTEUR DE L’ART C O N T E M P O R A I N
:
Comment écrire sur ce qui ne se voit pas encore ? Comment entrer dans un propos dont les finitions restent à envisager ? Discustons avec Guillaume Désanges, commissaire de l’exposition Prisonniers du soleil / Erudition concrète 2. J.T : La planète des signes / Erudition concrète 1 avait pour fil rouge la notion de signe. Avec Prisonniers du soleil ce sera l’architecture. Pourquoi ce titre et pourquoi cet axe ? Quels liens établis-tu avec la thématique de la connaissance ? G.D : L’idée de l’architecture vient de Corey McCorkle et de son intérêt pour le Désert de Retz. Si mes deux expositions s’intéressent aux relations entre art et connaissance, il ne faut pas oublier que le programme Erudition concrète se focalise aussi sur cette façon qu’ont les artistes contemporains de travailler à la manière d’érudits, à partir d’une somme de recherches infusées d’abord puis transformées ensuite. Chez Corey McCorkle, que je tenais à exposer de nouveau (1) , disons que l’architecture fait signe et que cela a fini par aiguiller l’axe de ce deuxième épisode. Mais le sujet de l’exposition reste du côté d’une relecture assez vaste de l’histoire de la modernité, pour redire combien cette dernière eut de faces « sombres », éloignées des seules attentes formulées par les Lumières, prisonnière d’une voie sans doute trop exclusive car hostile aux apports de personnalités à la fois essentielles et taboues (je pense ici à l’exclusion d’un Sade ou au retrait de François de Monville au Désert de Retz). Lors de ta précédente exposition, tu as surinvesti l’espace du Pla-
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teau (2) .Cette fois-ci le cœur même du propos se retrouve excentré à Chambourcy dans les Yvelines : comment comptes-tu récupérer à Belleville ce qui sera formulé au Désert de Retz? Il n’y aura rien in situ à Chambourcy. Corey McCorkle réalise un projet intégrant films et sculptures qui sera présenté au Plateau et auquel sera adjoint un lounge (Antichambre) conçu par mes soins de manière à la fois intuitive, ludique et intellectuelle. Un dépliage d’enjeux relatifs à ces questions d’architecture, de modernisme, de décadence, d’ornementation, de rêve et d’utopie... Il y aura également une salle de jeux avec des pièces logiques comme le L-game, et une salle de cinéma où sera projetée une œuvre de Jean Painlevé. Tu es, à l’exemple de certains artistes, invité à développer tes propositions de commissaire par le centre d'art du Plateau. Considères-tu tes expositions comme des œuvres à part entière ? Quel regard portes-tu sur ce statut de « curateur indépendant » ? L’exposition reste essentiellement à mes yeux le lieu où l’on montre des œuvres. Mes expositions peuvent être vues comme le moyen de partager l’intérêt et l'amour que j’ai pour l’art contemporain mais je ne les considère pas comme des œuvres. Même
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s'il m’arrive d’exposer des objets non artistiques ou encore, à l’exemple d’Antichambre, de réfléchir sans déléguer une scénographie à l’endroit même où les œuvres se tiendront. L’œuvre d’art reste insoumise, autonome à tout objectif prédéfini. En revanche, l’exposition est le lieu où bien souvent, par le biais d’œuvres, on tend à l’un de ces objectifs, qu'il soit sensible, cognitif, ou historique. Je dis souvent que pour être commissaire d’exposition il faut puiser dans un catalogue de formes pour éclairer des idées et puiser dans un catalogue d’idées pour éclairer des formes. A nouveau tu accordes une place privilégiée au Journal de l’exposition, qui est l’occasion de faire intervenir une fois de plus l’équipe du FRAC. Curieux objet, à la fois catalogue et extension. Pourrais-tu revenir sur l’évidence de sa mise en place, de sa gratuité ? Plus encore peut être que la connaissance c’est la façon dont elle vient à moi qui m’intéresse. Pour chaque exposition il y a ce que j'appelle l'écume de la pratique curatoriale (des lectures, des anecdotes rapportées, des récits, des découvertes), qui nourrissent la réflexion sans avoir de forme dans l'exposition. La mise en place d’un journal, c’est-à-dire d’un objet qui ne soit pas stricto sensu un catalogue, c’est l’opportunité de capter un peu de ce bouillonnement. Le rendre
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DESANGES par Jack Tone
gratuit et à la disposition de chaque visiteur n’est que la suite logique de la démarche. Quelle formation as-tu reçu ? Tu as donné des conférences, tu es critique, commissaire, tu es « indépendant ». Comment l’être ? Je suis autodidacte en art mais j'ai repris par correspondance des études en philosophie. Je suis malgré moi arrivé du côté de l’art en dehors du sérail et il y a que je n’ai jamais désiré être passif face à lui. Il est particulièrement bon de se confronter à l’énergie et aux mécanismes que les artistes mettent dans leur travail y compris au moment où il s’agit de monter soi-même un projet. J’ai toujours voulu emprunter l’économie et l’éthique de certains artistes en termes d'engagement, de risque. Mais quelle que soit la forme de l’exposition (la plus novatrice, originale, expérimentale), ce n’est jamais suffisant. Il faut lutter contre cette tendance qui vise à déconnecter la pratique curatoriale de ce qui est montré. Même l’expérimental doit être sous tendu par une nécessité d’ordre théorique et sensible. Il faut créer de la pensée et de l’émotion, rester transitif, dans l'adresse ; l’exposition ne doit pas être, en soi et pour soi, l’enjeu principal. Quant à l'indépendance, elle a été déterminée par mon parcours, mais pas subie.
(Guillaume Désanges devant le verso d’Heiligenschein) par Corey McCorkle, © Martin Argyroglo Callias Bey, 2009) (1) Corey McCorkle avait présenté une œuvre intitulée Heiligenschein lors de La planète des signes / Erudition concrète 1. (2) Une partie des œuvres exposées avait été déplacée un soir de sorte à libérer l’espace pour une performance de Grand Magasin et Dominique Petitgand fut invité à l’occasion d’un programme de trois jours baptisé « squatteur » peu de temps avant la fin de La planète des signes / Erudition concrète 1.
http://guillaumedesanges.com/ www.jacktone.fr
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ART/focus
FOCUS LA
FACE
Depuis le 11 mars, PlateauFRAC Ile-de-France poursuit l’exploration du programme Erudition concrète proposé par le critique d’art et curateur indépendant Guillaume Désanges.
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«production de [l’artiste américain] Corey McCorkle autour du Désert de Retz & Antichambre (avec des œuvres de Anna Barham, Louidgi Beltrame, Pablo Bronstein, Isabelle Cornaro,
l’idée même de connaissance. Que peut-on lire un peu plus loin dans le communiqué? Que le fil conducteur de cette suite sera « l’architecture et ses extensions utopiques, sensuelles
(Illustration reprise du communiqué de presse de l’exposition Prisonniers du soleil/ Erudition concrète 2© GD/ Work Method)
Après une exposition intitulée La Planète des signes (dans laquelle le spectateur était invité à l’expérience de la libre association d’idées par le biais d’œuvres d'art et d'objets non artistiques), place désormais à Prisonniers du soleil, qui annonce toujours plus d’interactions. A commencer par la forme de l’exposition elle-même : le communiqué de presse parle d’une AVRIL/MAI/JUIN
Hubert Duprat, Dan Graham & Robin Hurst, Zoe Leonard, Edgardo Navarro, Jean Painlevé, Hubert Robert, Félicien Rops) [plus] Salle de cinéma [et] Salle de jeux». D’ordinaire, on ne s’attend pas à ce qu’un espace d’exposition puisse être présenté en amont à ce point partitionné. Que sait-on? Que le programme Erudition concrète se fixe l’objectif d’en découdre avec les mécanismes relatifs à
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et politiques ». Rappelons-nous qu’il y a quelques mois (3) une véritable carte avait été placée à l’orée de La Planète des signes; un schéma, dans lequel trois cercles s’entrelaçaient de sorte à indiquer que le cheminement vers les secrets du savoir passerait par une lecture égale d’axes généralement dissociés : le politique, le cognitif et le mystique. D’emblée, nous savions qu’il serait nécessaire de s’astreindre à
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FOCUS D E S
T E N E B R E S par Jack Tone
laisser nos méthodes et nos guides tout faits au placard pour une fois envisager que des rapprochements pouvant sembler à la fois hâtifs et terriblement évidents puissent constituer in fine le gros d’une connaissance partagée par tous. Cette fois-ci le point de départ s’appelle Désert de Retz. Il s’agit de la concrétisation sur quarante hectares et dix ans d’une extravagance totale proposée par un homme éclairé du XVIIIe siècle, François Nicolas Henri Racine de Monville. Encore aujourd’hui, non loin de la commune de Chambourcy, il est un lieu où le monde entier paraît avoir voulu rassembler son plus haut sentiment entre divers bâtiments reprenant les schémas les plus célèbres de l’humanité (pyramide, pagode etc.), le tout dans un environnement naturel luxuriant et cependant factice (une grande majorité de variétés de végétaux ayant été acheminée depuis les quatre coins du globe). La perspective d’une déambulation reine dans un espace artificiel, partitionné et pourtant supérieur : il se pourrait que Prisonniers du soleil veuille rendre le PlateauFRAC Ile-de-France le lieu où se réfléchissent les enjeux mêmes de la notion d’exposition… Nous verrons cela. N’oublions pas la thématique de la connaissance. D’autant qu’au « centre » du Désert de Retz est érigée une « Colonne brisée » (ou « Garçonnière de Monville ») qui rappelle immanquablement la Tour de Ba
bel, soit l’épisode douloureux où Dieu punit les hommes pour avoir à l’unisson cherché à ce « [qu’] aucun dessein [ne soit] irréalisable pour eux » (4). Que tente François de Monville à l’époque des Lumières ? Il échappe à la punition biblique, en rassemblant dans les Yvelines l’œuvre des peuples et les créatures dispersées par Dieu. Aux côtés de fabriques flamboyantes qu’il fait construire en l’honneur du rayonnement international, il laisse de surcroît volontairement dépérir une ruine d’église gothique une dizaine d’années avant la Révolution. Depuis sa « Garçonnière » haute de 25m, Monville peut étudier, méditer, jouir pleinement de son utopie et abolir pour un temps la distance entre les peuples. Pour autant, le Désert de Retz n’est ni un musée ni une extension modulable du domaine public à l’exemple du PlateauFRAC Ile-de-France ; en dehors d’une kyrielle de visiteurs tous plus prestigieux les uns que les autres en quête de souplesse protocolaire (de Thomas Jefferson à Marie-Antoinette elle-même !), François de Monville n’autorise qu’une zone de non-droit monarchiste à ceux de l’aristocratie qui entendent discuter tous les sujets selon toutes les hypothèses. Le moteur de son territoire idéal est une libre-pensée qui ne peut négliger une forme certaine de confidentialité sociale. Du « top secret » en quelque sorte, consistant à cloisonner les fameuses AVRIL/MAI/JUIN
Lumières en vue d’un aveuglement significatif certes mais encore à venir. Avec ses quatre espaces où la contemplation ne sera pas étrangère à l’analyse et où le jeu et le cinéma rappelleront combien le divertissement fut essentiel à l’édification de nouvelles valeurs, Prisonniers du soleil promet de libérer les esquisses d’une modernité que nous n’envisageons bien souvent que sagement, froide, linéaire et rangée derrière la multiplicité de ses manifestes. Il y a quelques mois, Mike Kelley, Kazimir Malévitch et des pierreries se faisaient face dans le grand Belleville, chacun à sa façon nous invitant à déterminer ce qui rend une forme noble; d’ici peu, dans une scénographie pensée spécialement par Guillaume Désanges, ce sera le tour des compositions de Félicien Rops (décadent belge du XIXe siècle auteur de la célèbre gravure Pornokratès) non loin des activités démiurges d’Hubert Duprat (que l’on connaît pour ses croisements savants de trichoptères) qui relanceront le débat avec Corey McCorkle et les autres de l’équivalence absolue à la source de cette chimère nommée connaissance, bâtie jour après jour par chacun. Laisseronsnous passer l’occasion d’en savoir un peu plus sur nous-mêmes ? (3)Du 10 septembre au 15 novembre 2009. (4) Genèse, au chapitre 11, versets 1à9
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ART/portrait
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Lorsque nous arrivons chez Michel Marcuzzi, l’artiste n’attend pas nos questions pour commencer l’interview. Tout est déjà préparé. “Ce que je voulais vous dire c’est que l’idéal pour un artiste c’est d’être dans un grand musée. On pourrait montrer ces œuvres sur de belles cimaises, ce serait formidable. A la limite, dans une galerie, c’est encore une idée. Moi qui n’est pas cette chance, je vais montrer des œuvres chez moi. Ce qu’il y a ici, ce sont des œuvres qui me plaisent. On ne peut pas tout montrer en même temps, sinon il n’y a pas de limite. L’artiste peut vous montrer comment il fait les spaghettis bolognaises, comment il se coiffe le matin, comment il fait son brushing. On ne peut voir la personnalité de l’artiste que par ce qu’il vous montre. Sinon on est voyeur…” Nous remarquons que vous avez préparé quelques notes structurées. Votre travail peut-il de même être structuré en différentes périodes, études ou séries? « Mon travail est partagé en trois parties (…). Premièrement, l’artiste a fait beaucoup de tôles .( Nous remarquons que Michel parle de lui à la troisième personne). Ce qui est intéressant dans les tôles c’est de les voir de près. Il y a un détail un peu végétal, un peu minéral. J’ai trouvé ces tôles dans la rue… C’est un travail exclusivement en deux tons : rouge et noir. Je fais une première couche noire, ou assiette, puis je mets du rouge. Je fait apparaître des détails avec de l’acide, ou simplement parfois avec du white spirit. Je me suis lancé dans des expériences, dans un plus gros travail, trop maîtrisé à mon goût. Il arAVRIL/MAI/JUIN
rive un moment où cela devient un peu lassant et où l’on a envie de faire de nouvelles expériences. Voici une tôle sur laquelle l’artiste a fait des variations avec des bandes de papier et de l’acide qui travaille la rouille (cf.1.bande jaune). Quand la tôle atteint une certaine maturité, il faut la stopper avec du vernis. On peut en faire une industrie mais il arrive un moment où on essaye de se créer une autre aventure. » L’artiste nous montre une vague « De ce rouge et noir, j’ai voulu faire des déformations. Ma vague est très stylisée, elle est moins vague, ou plutôt plus vague. Elle me plaît. Je n’ai pas voulu copier une autre vague. Cette vague est en perpétuel changement car on ne peut pas stopper complètement l’attaque de la rouille, et, si elle passe à la postérité, dans 100 ans, peut-être aura-t-elle complètement disparu. Cependant, le regard s’habitue aux tôles. Alors, on laisse tomber les tôles et on va regarder un travail que j’aime beaucoup, c’est ce que j’appelle les littéro-sculptures et les littéro-peintures. Le bateau, on pourrait croire que c’est une maquette mais c’est une œuvre d’art, une œuvre qui a navigué avec le capitaine Haddock à la barre. » Pourquoi littéro-sculptures ou littéro-peintures ? « Parce que toutes les œuvres sont accompagnées d’un texte. Parfois il s’agit d’une simple phrase, parfois de 350 pages. Ici, il s’agit de 30 pages qui expliquent le bateau à travers la pensée de l’artiste.(…) Et voici le chevalet à boule, inspiré par Duchamp et exposé à l’inauguration de la rue Marcel
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DUCHAMP. Il y a des gens qu’on ne peut pas encadrer, enfin on ne va pas faire de politique. Tous les montants se déplacent, et, une fois que l’on a bien encadré l’objet de ses désirs, on peut l’observer. Au dos d’un livre de 350 pages qui accompagne une des littéro-peintures, on peut lire l’appréciation de l’artiste sur lui-même : « Marc Uzzi est né en 1944, il n’a jamais rien foutu dans sa vie sinon peint quelques tableaux et écrit ce texte. Il ne laissera pas grand chose. » Pourquoi cet ajout littéraire à vos œuvres ? « Ce qui m’a intéressé dans la littérosculpture ou peinture, ce sont les titres. On veut donner un titre, on peut donner, par exemple la blonde. On va mettre un point, mais on a envie de continuer un peu : la blonde déshabillée…dans le pré…en Camargue…et puis alors on se retrouve comme François Dufrêne avec des titres invraisemblables. Et tout à coup, cette blonde se retrouve dans un autre univers. Le tableau n’est plus vu sur une cimaise, mais dans un univers. On voit différemment une œuvre quand elle est dans son univers. » Pouvez-vous nous parler des autres œuvres, des «expériences diverses »? « Passons à des choses qui sont plus faites pour amuser Michel, comme cette tour Eiffel qui m’a servi de sapin de Noël, ou cette boîte d’allumettes inspirée par Raymond Hains. Il était le grand spécialiste des allumettes et des boîtes d’allumettes. » On peut voir une certaine harmonie
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MICHEL
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R A I T MARCUZZI
DANS LE TOURBILLON DE LA VIE par Mathilde de Croix et Alexandre d’Orsetti
et cohérence au sein de votre travail. « Il y a un fil rouge dans tout ça. L’hommage à Raymond Hains par exemple. Raymond était aussi un grand amuseur, un grand marrant. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui rendre un hommage. L’artiste se fait plaisir, on sent vraiment qu’il n’est pas chevalier d’un style ou d’une étiquette en disant: il faut absolument que mon œuvre puisse se reconnaître. Mon œuvre n’est pas la signature d’elle même. » Qu’est ce qui vous a amené à créer? N’est ce pas Raymond Hains qui vous a poussé vers la création? « J’ai toujours été à l’aise et c’est ça mon problème. J’ai poussé un peu tout seul comme une plante sauvage. J’avais des copains qui poussaient aussi comme des herbes folles. Ca faisait tout un gazon. A force de fréquenter les bars de Montparnasse, de St Germain, de Pigalle, on rencontre tout un tas de gens…Un jour j’ai adressé la parole à Raymond, je devais avoir 17ans, il m’a fait voir des copains de mon âge. On a continué à se voir pendant des décennies. Il supportait pas qu’on puisse perdre son temps. C’était une sorte d’ Abbé Pierre de la rue. Quand il voyait quelqu’un dont les perspectives d’avenir étaient dramatiques, il ne pouvait pas s’empêcher de le prendre par la main. Il m’a dit qu’il y avait mieux à faire sur cette terre que de boire. Vers les 25 ans, il m’a dit “je vais te faire voir tout mon territoire”. Son territoire était spacieux. J’ai connu d’abord le territoire mais j’ai pas mis la main à la pâte tout de suite. L’art, je connaissais, il me montrait les galeries, c’était une façon de boire un coup. Mais ce n’était pas une voie pour moi.
Jusqu’au jour où, en 1986, j’ai vu Ginette Dufrêne. On s’est retrouvé au restaurant « A la recherche du temps perdu ». Entre le moment où j’ai été initié à la peinture et le moment où j’ai commencé à peindre, il s’est passé 20 ans. J’avais un penchant artistique, c’était inné. C’est chez Ginette que je me suis mis à faire des choses. J’avais des œuvres sous mon nez toute la journée. Les premiers mois, j’avais l’idée de devenir un artiste, j’ai contacté les galeries mais ça n’a jamais bien marché. Au salon des comparaisons, Raymond Hains a voulu que j’expose. Alors je me suis mis à travailler et j’ai exposé un panneau. C’était des tentatives. C’est pour ça que j’ai travaillé un peu, pour me faire plaisir, mais en tant qu’artiste professionnel, je ne vis pas de mon art. J’en tire une grande satisfaction. Il y a quelques années, être artiste c’était faire le déshonneur de sa famille » Vous êtes un artiste, non pas sans œuvre, mais sans carrière. Vous semblez avoir cette magnifique et terrible liberté de ne pas avoir d’enjeux et c’est peutêtre pour ça que votre œuvre est diverse, va à hue et à dia, parce que vous n’êtes pas dans un circuit commercial qui finalement vous aurait condamné à reproduire une œuvre signature. « C’est la tentation. C’est aussi parce que je n’ai pas trouvé un sujet qui mériterait d’être approfondi ou multiplié. » L’aspect expérimental paraît revenir beaucoup dans votre travail. « Cela me cause aussi beaucoup de préjudices car c’est très difficile de ne pas connaître les techniques. Il faut que je m’y reprenne à plusieurs fois et je n’arrive pas toujours à ce que je veux. D’un autre côté, AVRIL/MAI/JUIN
je me demande si ce n’est pas un bien. Parce que par exemple, dans une œuvre où j’ai fait des vagues comme je les ressentais, je vois bien que ce ne sont pas des vagues, je vois bien qu’il y a des tas de vagues qui sont plus abouties. Si je maîtrisais bien cette technique, j’aurais fait une belle vague mais qui n’aurais été qu’une vague de plus. » Nicolas de Staël était content de peindre sans virtuosité par exemple. Il plaignait les gens qui peignaient trop facilement. Je pense que parfois, si on emmagasine dans sa mémoire inconsciemment, avec la main on remet ce qu’on a en mémoire. Cela devient un automatisme et on copie sans le vouloir. » Est ce que cela vous gêne de ne pas être vu? « Cela me gêne, ne serait-ce que pour avoir un financement pour faire de plus grandes œuvres. Ce sujet de la tôle, ça me ferait bien plaisir de pouvoir faire le tour du Luxembourg avec. Ou toute une lignée de tôle au Touquet ou à St Malo, qui roulerait à la mer avec ce rouge qui se désagrégerait peut-être face aux embruns. C’est enrichissant de montrer son travail. Je vis un peu enfermé. Il arrive un moment où on se retrouve avec un grand stock d’oeuvres. Il faut que ça sorte. Paradoxalement je connais beaucoup d’artistes et de collectionneurs. Mais je n’ai jamais réussi à me vendre. Depuis quelques années, je suis à un point de non-retour. Mon œuvre, si elle doit se vendre, ce sera peut-être après ma mort. Quand je travaille, il ne me vient absolument pas à l’idée de montrer mon oeuvre. Enfin voilà ce que je peux dire sur ce Michel Marcuzzi, c‘est qu’il ne vit pas de son œuvre, mais qu’il vit quand même. »
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ART/agenda
des
expositions
AGENDA DES EXPOSITIONS VA N I T E S
Serena Carone, Crâne gauloise, 1991, Technique mixte, 18 x 12 x 12 cm , Collection Serge Bramly, © Adagp, Paris 2010
par Anne-Laure de Varax
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LA MORT NOUS VA SI BIEN... Que ce soit sur les Tee-shirts, les friandises ou les bijoux, crânes et têtes de mort sont devenus objets du quotidien et même accessoires de mode ! Autrefois symboles de l’anarchie, ils sont désormais le reflet d’une culture contemporaine. « C’est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst », exposition présentée au musée Maillol jusqu’au 28 juin 2010, se propose justement d’expliquer le regard porté par les artistes contemporains, modernes et classiques sur le thème de la mort. Un véritable chemin initiatique conduit à remonter le temps jusqu’aux premières vanités de Pompéi.
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Mais qu’on ne s’y trompe pas : la part belle est faite aux artistes contemporains. Plus que l’évolution chronologique d’un topos artistique, l’extraordinaire variété des œuvres (photographies, sculptures, peintures, vidéos et bijoux, provenant en majorité de collections privées) permet de comprendre l’actualité du sujet de la vanité. VIOLENCE, SARCASME, SILENCE ET MEDITATION... Les filets de peinture violette restent suspendus au crâne dégoulinant de Final Nervous Breakdown comme si l’artiste, Marc Quinn, avait voulu habiller de sa peinture, redonner une vie nouvelle à ce
par Gary Délépine
Chacun connaît la hantise engendrée par le désespoir enfiévré du Cri de l’artiste norvégien. Mais cette toile souvent surestimée, a pour valeur sûre d’être des moins représentatives de l’œuvre de son créateur. C’est donc à la découverte de l’artiste et de son travail que la Pinacothèque de Paris nous invite, jusqu’au 18 juillet 2010, au travers de l’exposition Edvard Munch ou l’AntiCri. Divisant la carrière de l’artiste en cinq chapitres, débutant dès 1880 alors qu’il n’a que 17 ans pour finir à sa mort en 1944, le parcours proposé nous fait errer au cœur d’une centaine d’œuvres, qui adjoignent à leurs valeurs qualitatives, le plaisir des variations. Pour le plus grand plaisir du public, l’exposition présente des peintures, gravures, lithographies, et dessins rarement dévoilés car majoritairement issus de collections privées, mais aussi un film tourné par Edvard Munch lui-même en 1909. Les déambulations du visiteur lui permettent ainsi de découvrir un Munch jeune exploitant la qualité mimétique de la peinture et de respirer l’air frais du Jardin avec la maison rouge de 1880, pour plus tard observer un paysage soumis à tous les sentiments d’un artiste pour qui sans la peur et la maladie, la vie serait comme un bateau sans rames, et de vivre en 1899 une Nuit d’été à Studenterlunden. Le commis-
saire d’exposition Dieter Bucchart, autorité reconnue pour l’œuvre de Munch, mue alors le périple du visiteur en véritable exploration des sentiments humains les plus profonds et des expériences les plus fondamentales de la vie par la démonstration d’une œuvre bouleversante, indispensable pour comprendre la vision de la réalité essentielle d’un artiste incomparable qui ressentait l’art comme l’urgence de l’Homme à ouvrir son cœur. Edvard Munch ou l’Anti-Cri dévoile alors le fil de la pensée de l’artiste tout en lui redonnant sa place majeure et légitime dans l’histoire de l’art. Comment ne pas s’étonner des expérimentations auxquelles s’adonne Munch qui supprime les frontières entre les supports et les techniques, attaque à la fin du 19ème siècle l’impressionnisme et le naturalisme, comprend et use de la corporalité des outils picturaux, pour préfigurer en 1902 le fauvisme français et l’expressionnisme allemand avec la toile Vêtements étendus à Agarstand? La Pinacothèque de Paris offre donc un passage obligé pour tous ceux qui souhaitent expérimenter l’œuvre d’Edvard Munch, œuvre qui, si elle varie dans les formes, est liée par l’étude du phénomène le plus mystérieux de tous les temps, l’Homme et ses sentiments.
Edvard Munch, Garçon de Warnemünde, détail, 1907, Huile sur toile, 79,5 x 58,5 cm Collection particulière © The Munch-Museum / The Munch-Ellingsen Group/ ADAGP, Paris 2010
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c a r ava g e
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un moment d’étrange intimité entre un squelette tenant par la taille une jeune femme. Ballade baudelérienne, étrange et silencieuse, au milieu de l’agitation parisienne… Et voici les toiles de Caravage et de Fetti. Leurs Saint François et Marie Madeleine contemplent dans un face à face silencieux des crânes de couleur ocre. A terre, un ouvrage repose et rappelle qu’au XVIIe siècle, le sens de la mort est à chercher dans les Ecritures. La mélancolie face à la fugacité de la vie n’est qu’un moment qui doit amener le chrétien à se rapprocher de l’Eternel et à pratiquer la vertu. « Plus
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D A M I E N encore que la Vie, » chantait Baudelaire dans les Fleurs du Mal, « La Mort nous tient souvent par des liens subtils. » Mais la Beauté nous dit-il « quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire (…) regardera la face de la Mort, Ainsi qu’un nouveau-né, – sans haine et sans remords. » En quelques vers le poète maudit a su saisir l’alliance équivoque unissant la mort et l’Art. Alliance sacrée, éternelle que se propose de présenter l’exposition, même si on peut lui reprocher d’avoir souvent privilégié des œuvres choquantes et violentes au détriment de véritables chefs-d’œuvre.
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crâne, témoin toujours présent d’une vie passée… Au centre d’un disque laqué, des lames de couteaux surgissent d’un crâne blafard, dont les yeux d’oursin, hagards, semblent hurler devant le spectateur : voici La mort de Dieu de Damien Hirst. Les trous béants des nombreux crânes couverts d’or, de diamants ou de mouches laissent retentir l’écho d’un grand éclat de rire. Rire sarcastique, méprisant face à l’inévitable. Au fil des pièces, les atmosphères changent, et… heureusement ! La mort prend un nouveau visage, davantage propice à la réflexion. La photo d’Adel Abdessemed, Mes amies, saisit
expositions
par Mathilde de Croix
LUC I A N
Lucian Freud, grand ami de Francis Bacon, aurait subi les moqueries de ce dernier qui le trouvait trop classique. La rétrospective du Centre George Pompidou, intitulée “l’Atelier”, nous montre qu’il n’en est rien et qu’il est tout aussi singulier que son aîné. L’exposition s’articule, avec simplicité, autour de quatre axes: “Intérieur/ Extérieur”, “Réflexion”, “Reprises”, “Comme la chair”. La scénographie en est très discrète. Les textes peu nombreux, en général de Freud, sont d’une pertinence rare. Ses oeuvres n’ont pas besoin d’être théâtralisées ni d’être commentées pour exister. Ces toiles ont quelque chose qui les apparentent, sans doute malgré lui, à l’existentialisme. Les modèles sont peints et se tiennent dans un espace clos, toujours le même, l’atelier de Holland Park, espace qu’ils courbent et altèrent de par leur seule présence. Freud peint non seulement l’être ou le couple mais aussi leur interaction avec le lieu ou entre eux. Lorsqu’il choisit pour sujet la végétation, c’est toujours pour en montrer la vie, en constante mutation, en devenir. Et lorsque c’est lui qui est le sujet de ses tableaux : le mur couvert de coups de pinceau comme une palette géante, la peinture et le peintre forment un tout fermé. Il nous montre l’empreinte du peintre sur sa propre construction mentale : l’atelier. Freud ne veut pas que l’on dise de ses oeuvres qu’elles ressemblent aux modèles mais que ceux-ci existent dans le tableau. Il ne travaille pas par un système d’équivalence mais cherche à ce que la peinture se fasse chair, à moins que ce ne soit l’inverse. Les corps sont alors cimentés et les visages peints par une accumulation invraisemblable de coups de pinceaux qui rend à la matière une quasi vie. L’extérieur est presque absent de son œuvre, sinon une fenêtre où s’inscrit un paysage urbain banal, toujours le même, le sien. L’intérieur, quant à lui, est plus stable mais subit des déformations de formes, de spatialité, de couleurs selon la présence de chaque être. En avançant dans l’exposition, Freud nous révèle son constat d’échec: “J’ignorais le fait que l’art après tout provient de l’art. Je me rend compte à présent que c’est bien le cas.” Les tableaux ne sont pas des êtres mais restent des toiles selon lui. Le mystère de la transmutation de la chair en peinture n’a pas tout à fait eu lieu…
After Cézanne, 2000 D’après Cézanne, 2000 Huile sur toile, 214 x 215cm (dimensions irrégulières) Canberra, National Gallery of Australia, Canberra, purchased with the assistance of the Members of the NGA Foundation, including David Coe, Harold Mitchell AO, Bevelly Mitchell, John Schaeffer and Kerry Stokes AO, 2001 Photo © National Gallery of Australia, Canberra ©Lucian Freud
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ART/agenda
ELOGE DU
N E G AT I F
Gustave de Beaucorps, Rome, San Pietro in Vincoli © collection privée
L’ exposition Éloge du négatif veut faire comprendre la naissance de l’argentique à l’ère du numérique, pari difficile mais réussi . Les deux grands thèmes de l’exposition : la nouvelle diffusion des images et la pratique de la « photographie de voyage » que permet la technique du négatif papier, alliés à une scénographie très réussie, font de cette exposition un ensemble intéressant et enrichissant. Le public assiste à l’émergence d’une technique qui bouleverse les pratiques artistiques au milieu du XIXe siècle : la photographie sur papier. De son apparition dans les années 1840 jusqu’aux mutations technologiques des années 1860-1880, qui voient l’industrialisation du procédé, la photographie sur papier devient un champ artistique nouveau.
expositions
par Jacques-Antoine Gannat
L’exposition explore ce temps peu connu de l’histoire de la photographie. Les 140 œuvres, négatifs ou tirages d’époque, qui nous sont présentées dévoilent le rôle et les usages du négatif papier en Italie. Ainsi du paysage romantique à l’édition touristique en passant par le recueil pour artistes, le négatif papier permet la professionnalisation des photographes et la naissance de grandes entreprises éditoriales modernes. Des trois procédés majeurs de l’époque que sont le daguerréotype, le calotype et le négatif verre au collodion, l’exposition fait la part belle au second qui permet d’obtenir des teintes variées, un jeu d’ombres et un modelé conduisant à l’affirmation de la photographie comme un art à part entière. L’ensemble nous offre donc la vision d’un laboratoire photographique dont la clé de lecture est donnée par une vidéo sur l’atelier du photographe contemporain Martin Becka. Sur le périmètre de l’espace Jacqueau sont ensuite exposés en vis-à vis les textes et les positifs se référant aux différents «chapitres » du parcours, qui permettent de découvrir l’Italie du XIXe siècle et les regards croisés des photographes de l’époque, véritables témoins de la richesse artistiques du pays et de la création de l’ État italien. Une dernière alcôve clôt la présentation, et présente ce qui remplacera peu à peu le négatif papier : le négatif verre. Les œuvres des photographes italiens (Giacomo Caneva, Vero Veraci, Luigi Sacchi etc), français (Eugène Piot, Frédéric Flachéron, Edouard Delesseretc) et anglais (George Wilson Bridges, Calvert Jones, James Graham) nous sont ici offertes et constituent un ensemble remarquable, malgré les dimensions relativement réduites de cet espace. Cet éloge du négatif possède aujourd’hui une résonance particulière au moment où semble triompher définitivement le numérique, et alors que l’argentique redevient un art, qui crée à nouveau une distance entre la reproduction photographique et la création.
TURNER PRECURSEUR DES IMPRESSIONNISTES, ET POURTANT... Lorsqu’en 1887 à Paris, le célèbre critique d’art Edmond de Goncourt voit le tableau inachevé de Joseph Mallord William Turner (1775-1851), Confluent de la Severn et de la Wye (Paris, musée du Louvre), très belle évocation colorée d’un paysage idéal, il le compare aux toiles impressionnistes de Monet. Et pourtant… Pourtant, dans la lignée de l’enseignement du peintre britannique Reynolds à la très officielle Royal Academy of Arts, Turner cherche à trouver sa place dans le Panthéon artistique occidental par la copie des Maîtres du passé. Cette place, il doit également la gagner parmi ses contemporains britanniques, parfois ses amis, toujours ses rivaux. C’est par un parcours très pédagogique que les commissaires de l’exposition entendent illustrer cet aspect fondamental de l’art de Turner. Le parcours repose sur un principe de comparaison entre Turner et « ses » peintres, par la juxtaposition de leurs œuvres respectives. La finesse de ces rapprochements est bien expliquée par les notices des œuvres. En ce sens, peut-être l’exposition « Turner et ses peintres » réussit-elle là où « Picasso et les Maîtres » avait échoué. Elle parvient ainsi parfaitement à rendre à la fois AVRIL/MAI/JUIN
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le contexte et la complexité des rapports entre Turner et ses Maîtres. Les peintres de Turner ont pour noms Nicolas Poussin, Claude Lorrain, Jacob van Ruysdael, Antoine Watteau, Rembrandt, mais également Richard Wilson, Thomas Girtin, David Wilkie, Philip James de Loutherbourg, George Jones, John Constable et Richard Parkes Bonington. Prenant ce qu’il considère comme le meilleur de chacun, le réinterprétant avec son immense talent de coloriste et avec une touche qui se libère au fil des ans, Turner parvient à travers leur exemple à développer son propre style. L’étape parisienne de l’exposition met l’accent sur les rapports entretenus par Turner avec les peintres classiques français . Elle valorise ainsi des œuvres issues du Louvre, dont Turner fut par deux fois un visiteur passionné, en 1802 et en 1821. Quoique Turner pâtisse parfois de la comparaison avec ses inspirateurs, l’exposition présente des réussites magistrales comme sa toile Le Déluge de 1805, variation inspirée par le Déluge de Nicolas Poussin (Paris, musée du Louvre), alors exposé au Louvre. Par ailleurs, nombre de
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et
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F r E d E r i C
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C h o p i n
Afin de réunir tous ces illustres personnages, le musée a sollicité les collections de musées renommés de notre siècle comme le Louvre pour le célèbre Portrait de Frédéric Chopin de Delacroix ou encore le Portrait d’Hector Berlioz de Courbet emprunté au musée d’Orsay. La scénographie de l’exposition et le fond musical permettent au visiteur de déambuler dans l’ambiance feutrée dans laquelle étaient plongés les auditeurs privilégiés de Chopin, qui lui n’était pas un grand amateur de foule. En revanche, le parcours chrono-thématique necessite d’avantage de reflexion pour le visiteur au qui la découvre l’artiste. Les cartels renseignent de façon concise sur l’exposition mais une visite guidée permet de mieux appréhender les œuvres ainsi que la vie parisienne de Chopin. La note bleue, évoquée par Georges Sand, est présente tout au long de l’exposition.Cette derniére respire ce climat constant d’improvisation et d’association entre l’harmonie du musicien et les reflets colorés du peintre. Dans leur diversité de genre, les œuvres figurent une Ode au romantisme et à ses acteurs.
n o t E b l e u E ”
S E S
expositions
“ L A
C’est au Musée de la vie romantique situé dans le IX ème arrondissement de Paris, que l’on peut découvrir l’exposition intitulée la « Note bleue », célébrant le bicentenaire de la naissance de Frédéric Chopin. (1810- 1849). Le cadre bucolique de l’hôtel et du jardin offre une trêve dans l’agitation parisienne et nous évoque avec charme l’époque révolue du romantisme. A son entrée, le visiteur découvre dans la salle de réception, un panelle de personnalités de l’époque ayant fréquenté de prés ou de loin Chopin. La salle suivante nous présente les élèves du « moulin » du compositeur et professeur. La majorité des œuvres exposées sont des peintures d’artistes renommés; comme Courbet, Lehmann, Scheffer qui est déjà présent dans la collection permanente ainsi que Delacroix fidèle ami du compositeur, Huet, Corot…Corot ou Cuisin, exposés dans les pièces suivantes, permettent d’établir un parallèle métaphorique à l’œuvre de Chopin : association de paysage rural crépusculaire avec les nocturnes ou encore étangs de clarté avec les sinuosités chromatiques.
des
Charles Cuisin, Effet de crépuscule Inv. 894.5.1 © Musée des Beaux-Arts de Troyes / Jean-Marie Protte
par Catherine Hubert
P E I N T R E S ”
ses variations inspirées du peintre français Claude Lorrain sont très frappantes, à l’image de l’aveuglante toile Regulus exposée une première fois à Rome en 1828. C’est dans le paysage historique que Turner parvient le mieux à dépasser « ses » peintres. Turner apparaît en revanche comme un assez piètre peintre de figure. On comprend bien ici que Turner a orchestré son entrée dans l’histoire de l’art et son triomphe parmi ses contemporains, qui lui valent d’être aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands peintres de paysage britannique du XIXème siècle. Soucieux de la mise en scène de son œuvre, il inaugure en 1804 sa propre galerie ouverte au public. L’évocation de cette galerie d’après son état de 1822 est le clou de la scénographie de « Turner et ses peintres ». Turner se mesure également à ses contemporains lors des expositions publiques de la Royal Academy. Il n’hésite pas à reprendre ses toiles sur place, le jour même du vernissage, pour un meilleur effet face aux œuvres exposées par ses rivaux. Enfin, il se mesure aux Maîtres dans le cadre des expositions de la British Institution. Dans son testament, Turner souhaite que deux de ses toiles soient exposées à la National Gallery de Londres en face des toiles de Claude Lorrain. L’exposition « Turner et ses peintres » va au-delà des dernières volontés de Turner et consacre aujourd’hui son entrée dans le Panthéon des Maîtres du passé.
par Laetitia Aureau
Joseph Mallord William Turner, détail de Tempête de neige, 1842, Huile sur toile, 91,4×121,9 cm Londres, Tate Britain ©Tate Photography
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ART/
Horizon/ Land Sea, série KS1,2007 tPhotographie Rob Versluys, Amsterdam. @ ADGP, 2010 Jan Dibbets Horizons
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paysage contemporain a été maintes fois abordé, il est notamment très présent dans le travail de l’artiste Ger Dekkers dont l’œuvre n’est pas sans parenté avec celle de Dibbets. REPRESENTER L’HORIZON OU CONTRUITE LE PLAT PAYSAGE : DECONSTRUCTION/RECONSTRUCTION Cette exposition en rapprochant des œuvres anciennes et récentes montre la cohérence du photographe dans sa pratique artistique, mais aussi le développement d’une démarche qui s’enracine initialement dans une photographie de type conceptuelle et documentaire et évolue de plus en plus vers la plasticité. En effet, les œuvres des années soixante-dix explorent le paysage d’une manière analytique et séquentielle en juxtaposant les variations de photographie d’un même paysage Horizon up and down [Land], (1971) . Mais la pratique du collage chez Dibbets est diverse. Il peut associer des plans successifs d’une variation de paysage ou juxtaposer des photographies, d’un même paysage, composées de manière à provoquer une distorsion de la réalité ou une pure composition formelle. L’attitude de Dibbets à l’égard de cette ligne est schizophrénique, tantôt il en fait une sainte icône immuable qui délimite le monde terrestre de la voûte céleste (Sectio Aurea, 1972) et tantôt il la transgresse, la bascule en rompant son imperturbable horizontalité (Sea Horizon 0°-135°, 1972-2007). Dès lors le motif devient abstrait, géométrique et ornemental. Aux Pays-Bas, cette thématique a une véritable histoire picturale. Dibbets puise à la fois dans la peinture de paysage hollandais du dix-septième siècle et dans le développement de la peinture abstraite. L’œuvre de cet artiste est un véritable système qui compose le paysage à la manière d’un peintre par le biais du médium photographique. VOGUER VERS L’HORIZON L’une des belles surprises de l’exposition réside dans les films peu connus de l’artiste néerlandais. Après la fixité du plan photographique vient celle du plan cinématographique perturbé par le mouvement des vagues. Charge à vous de scruter la percée vers le paysage de Jan Dibbets…
“ l ’ HOR I Z ON ”
TROPISME Le basculement des photographies de l’artiste néerlandais Jan Dibbets met en évidence l’horizon de la mer et de la terre. Présentées au Musée d’art moderne de la ville de Paris, les photographies consacrées à ce motif apparaissent dans son œuvre entre 1969 et 1975 et plus récemment dans une série entamée à partir de 2005. L’œuvre de Dibbets a la particularité de montrer la filiation entre photographie et peinture dans la construction de l’espace. L’horizon de Dibbets est à la fois abstrait, il structure le monde, iconique, il devient un signe comme la ligne idiomatique du langage pictural de Mondrian, et plastique, situé quelque part entre l’horizon artificiel de Gerhard Richter et le zip, horizon vertical de Barnett Newman. Ce motif récurrent et symptomatique dans l’approche du
par Diana Madeleine
LA FUITE D’ORISMOS
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JAN DIBBETS
Sainte Russie, L’art russe des origines
Oklad de la Trinité d'André Roublev, détail, Serguiev-Possad, Musée d'Etat d'art et d'histoire © Musée d'Etat d'art et d'histoire, Serguiev-Possad
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par Anne-Laure de Varax
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a Pierre le Grand
Vierges aux visages sévères, personnages figés, fonds dorés… Voilà sans doute les premières images qui viennent à l’esprit lorsqu’on évoque l’art russe ancien. L’art austère d’un pays au climat aride, habité par des figures légendaires tel Ivan le Terrible… Mais la réalité que permet de découvrir l’exposition est tout autre ! Présentée au Louvre jusqu’au 24 mai 2010, dans le cadre de l’année France – Russie, l’exposition met en scène quantité de pièces d’orfèvreries, bijoux, tissus précieux et icônes provenant presque exclusivement de collections russes. Elle prend pour point de départ la conversion du prince Vladimir et de tout le peuple « Rous », en 988. Cet événement, en effet, amène les « Rous » à se tourner vers la fascinante Constantinople. Les peintres se réapproprient alors l’art des icônes et les coupoles fleurissent dans les églises.... Les artistes, pour développer pleinement leur art, puisent également dans la civilisation occidentale qu’ils connaissent grâce aux échanges commerciaux. Et c’est justement lorsque la Russie se tourne pleinement vers l’Occident, à l’époque de l’ère moderne, que s’achève notre parcours. On reproche parfois aux expositions leur manque d’explications, leur absence de contenu. Or ici la scénographie est une invitation à un voyage tant historique, esthétique, que spirituel. De nombreuses précisions sont apportées sur le sens des œuvres, la place qu’elles occupent dans la liturgie, les événements auxquelles elles font références. Très vite, cependant, le regard, est attiré par la richesse exceptionnelle des objets présentés. Comment, en effet, ne pas être saisi par l’immense porte de la cathédrale de Souzdal, dont le cuivre doré fait resplendir des scènes du Nouveau Testament ; par l’éclat des oklad, véritables reliquaires dans lesquels on insérait les icônes sacrées? L’œil petit à petit se familiarise avec ces visages auparavant jugés raides et sans expression. Et voici que naît le dialogue mystérieux et intime entre l’œuvre et le spectateur. Nul besoin d’être initié pour comprendre cette culture, pour goûter à ces formes d’art qui à priori nous paraissent étrangères. Laissons nous toucher !
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ART/
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L’ARCHITECTURE a la FRANcAISE? Photos n°16 /. Planches des Leçons de perspective positive (1576), gravure. Paris, collection Firmin Didot © CAPA/MMF (section 3)
JACQUES ANDROUET DU CERCEAU, l’INVENTEUR DE
par Geoffrey Ripert
Du 10 février au 9 mai 2010 la Cité de l’Architecture et du Patrimoine nous propose une exposition rétrospective sur Jacques Androuet du Cerceau, celui qui fut peut-être le plus grand théoricien de l’architecture « à la française » de son temps. Dès le début de l’exposition, le spectateur est plongé dans l’univers de la Renaissance, cette époque charnière où architectes, peintres et dessinateurs concoururent à faire revivre l’Antiquité. Un mur sombre scandé de dessins, formes géométriques complexes, de perspectives savantes projetées dans l’espace, nous amène vers tl’entrée. L’exposition continue en traçant, dans les grandes lignes, la destinée hors du commun de celui qui fut à l’origine modeste fils de marchand de vin parisien. Ceci est fait en insérant savamment l’histoire de ses débuts à l’intérieur d’une façade « à l’antique », à l’image des nombreux dessins qu’il produira au cours de sa vie. Les admirables reliures comme celle de Sebastiano Serlio, son maître, réunies ici en un seul lieu permettent de comprendre ses multiples sources d’influence. Les salles suivantes surprendront peut-être dans la mesure où elles nous
révèlent un Du Cerceau jusque là peu connu – copieur de monuments antiques, certes, mais également inventeur de monuments imaginés, fruits d’une créativité sans cesse renouvelée. Androuet du Cerceau fait preuve d’une remarquable imagination. C’est justement en puisant dans cette dernière qu’il invente la « vue d’optique », gravure de forme circulaire, comme pour reproduire l’effet de l’œil humain. Ses gravures aux perspectives vues « à vol d’oiseau » sont une autre invention, révolutionnaire pour l’époque. Plus frappant encore, l’extraordinaire modernité de ses traités de perspective, comme par exemple sa leçon XXXV extraite de son recueil des Leçons de perspective positive, dédié à Catherine de Médicis en 1576. Ceux qui connaissaient Du Cerceau concepteur de demeures élégantes découvriront également l’autre facette du personnage – l’ornemaniste. Car loin de s’en tenir qu’au cadre trop restrictif de l’architecture, Du Cerceau innove également dans le champ des arts décoratifs, s’appropriant le répertoire ornemental de l’Antiquité tout en le renouvelant. Ses architectures utopiques, protogratte-ciels ou demeures construites autour d’une cour triangulaire ou circulaire offrent encore de quoi satisfaire nos rêveries les plus improbables. La plus grande part de l’exposition est évidemment réservée à son chef-d’œuvre Les plus excellents bâtiments de France, première anthologie d’architecture française. Le décryptage de ce recueil nous fait prendre conscience de l’importance de ses modèles d’habitation prêts à l’emploi, qui auront un impact considérable sur l’architecture résidentielle des siècles suivants. Ainsi la scénographie didactique et engageante de Frédéric Beauclair, ponctué de textes pertinents réussissent à nous offrir un regard neuf et dépoussiéré du personnage et de sa vision avant-gardiste de l’architecture. Mais au-delà, l’originalité de l’exposition réside aussi dans la diversité des médias employés tout au long du parcours. Œuvres inédites, moulures en trois dimensions, écrans interactifs et maquettes font le bonheur du visiteur au fur et à mesure qu’il progresse dans l‘espace d’exposition, donnant une plus grande lisibilité à l’ensemble. Arrivant au terme de la visite, le spectateur se voit offrir une dernière étape plus sombre sur la postérité de Du Cerceau. Dénaturations, vandalisme du XIXe, incendie des Tuileries – tout en adoptant un ton neutre, l’exposition se termine sur une note malgré tout mélancolique, nous invitant à réfléchir sur le sort tragique réservé à une part trop grande du patrimoine architectural conçu par Du Cerceau et ses descendants. L’injustice de l’histoire en quelque sorte. La rappeler, c’est un hommage rendu au génie de l’homme et à son imagination sans limites, qui contribuèrent à établir un canon architectural français qui perdurera plusieurs siècles après sa mort.
PRO C H A I N E M E N T SALON DU DESSIN CONTEMPORAIN: du 25 au 28 mars 2010 Carrousel du Louvre SALON DU DESSIN: du 24 au 29 mars 2010 Palais de la Bourse
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P O R T R A I T D’UNE OEUVRE
Ce rhyton en forme de tête d'âne, découvert en Italie du Sud, a été exécuté au début du Vème siècle, dans l'atelier du potier de Sotadès, à Athènes. Sa forme et son iconographie sont caractéristiques de la vaisselle de banquets : le fonctionnement de ce vase et les images qu'il porte permettent de mieux comprendre le « symposion » (banquet), qui est un rituel central dans la culture athénienne, rituel à la fois social et religieux. Ce rhyton n'est pas une œuvre isolée dans les créations de l'atelier de Sotadès. De fait, le Petit Palais conserve plusieurs vases comparables attribués à ce potier. Cette production reste néanmoins singulière . Les rhytons ont en effet une forme tout à fait particulière. Ce vase à boire en forme de corne, dont la conception dérive des exemplaires orientaux en métal, est constitué d’une vasque cylindrique munie d’une anse et d’une extrémité en forme de tête animale ou de groupes, par exemple le Perse conduisant un chameau ou l'Amazone à cheval. Ils apparaissent à Athènes au début du Ve siècle, au moment du conflit qui l'oppose aux Perses. Ces vases, que l'on voit dans les mains des dieux et des héros sur de nombreuses images, mais qui sont aussi, effectivement, utilisés lors des banquets athéniens, ont été retrouvés dans de nombreuses tombes, en Italie, devenus offrandes aux morts. Lors des rituels du banquet, on y versait du vin consacré aux dieux. Un trou à l'extrémité du vase laissait écouler un léger filet du liquide qui représentait Dionysos lui-même, offert en libation aux dieux. Une phiale recevait, finalement, le vin pour les libations qui étaient réservées à une élite athénienne initiée à ces frairies religieuses. Le corps du vase de Sotadès, qui fait partie des premières productions de ce type, évoque la tête d'un âne pour laquelle le peintre a peint le licol. En ce qui concerne son décor extérieur à figures rouges sur la vasque, il fait lui aussi
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ART/portrait
LE DE
d’une
oeuvre
RYTHON EN FORME TETE D’ANE BRIDE
attribué à de Sotadès
l’atelier
par Nolwenn Gouault
référence aux banquets. En effet, entre les oreilles de l'âne, deux personnages se font face. Le premier, à gauche, semble le plus âgé par sa chevelure et sa barbe blanches. Il tient dans sa main droite un bâton et au creux de son bras une besace. Le second, aux cheveux noirs tient une amphore et une corne à boire. Ces récipients font directement référence au repas. Nus, un simple himation sur les bras, ils semblent tous deux exécuter quelques pas de danse comme sous l'emprise de l'ivresse. Le plus âgé est rajeuni par le vin. Cette iconographie que l'on nomme le comos est le moment où les convives se rendent au "symposion" ou le quittent. Ce tableau présente une atmosphère virevoltée liée à l'univers des fêtes de Dionysos, ce que dénote, également, la forme du vase. L'auteur du décor, dont le nom véritable ne nous est connu, doit sa dénomination à une œuvre conservée au Musée Schongauer, à Colmar. Ce rhyton du Petit Palais est le seul que l'on peut lui attribuer car son exercice n'est, par ailleurs, attesté que sur des coupes. Enfin, la vitrine du musée se veut assez riche dans la mesure où elle offre au visiteur un corpus d'œuvres attribuées à l'atelier de Sotadès. Son activité marque une prédilection pour l'iconographie à figures rouges en rapport avec le rituel du banquet. On peut y remarquer que sa production privilégie les têtes de béliers, animaux de sacrifice par excellence dans le monde grec. L'âne est, quant à lui, la monture de Dionysos lors de ses cortèges, accompagné des ménades et des satyres. Le motif récurrent de l'éthiopien attaqué par un crocodile dont un exemplaire est présenté dans la collection, est un sujet qui semble plus complexe. En effet, les valeurs de l'élite athénienne, à laquelle cette céramique est destinée, apparaissent très éloignées de cette démonstration de la souffrance. Cependant, tourner en dérision son opposé est une manière typique-
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ment grecque de réaffirmer un ordre social idéal. C'est ainsi que le potier ne représentait jamais le citoyen grec. L'iconographie renvoyait toujours à une image en négatif du convive. On explique alors les effigies de Perses ou d'Ethiopiens considérés comme des Barbares. L'ironie de ces images font qu'elles eurent beaucoup de succès dans les populations étrangères qui, eux, y voyaient une image en positif d'eux-même. Une tête de chien et celle d'une génisse font aussi parties des collections permanentes. Tout un bestiaire dont le seul but semble rappeler les victimes offertes lors des fêtes de Dionysos. Quant au vin, il est l'équivalent du sang versé lors de ces cérémonies. Toute cette iconographie semble fonctionner comme un miroir, ces objets sont, déjà, "interactifs". Par ailleurs, la carte des trouvailles des vases de Sotadès prouve la notoriété de cet atelier dans tout le bassin méditerranéen et même au-delà, en Italie du sud, Etrurie, Crimée, Égypte, Soudan et Mésopotamie. Il fut très recherché de son vivant et on continua à exporter sa production après sa mort. Ce phénomène témoigne de l'ampleur de sa réputation et de son succès. Ce rhyton en forme de tête d'âne renvoie donc doublement au rituel dionysiaque, par la forme du vase et par l'iconographie qui l'accompagne. La première renvoie directement à Dionysos et la seconde fonctionne tel le reflet en négatif du convive qui l'utilisait. Ce thème du banquet est une constante dans l'œuvre de l'atelier de Sotadès et rend compte de l'extrême importance de ce dieu et du rituel de sociabilité auquel il préside dans la société athénienne. Le succès de ce type de vase est tel qu'au milieu du IVe s. av .J.-C., les ateliers apuliens, dans la région des Pouilles actuelles, ont produit un grand nombre de rhytons très largement inspirés de ceux du Céramique d'Athènes. Le musée du Petit Palais consacre également une vitrine à ces vases italiotes.
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ART/portrait
PETIT PALAIS, MUSEE DES BEAUX-ARTS
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DE
PARIS
© Philippe Ladet / Petit Palais / Roger-Viollet Rhyton en forme de tête d’âne bridé du peintre de Colmar, Grèce antique, Vème siècle avant Jésus-Christ. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais
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KITANO
A LA FONDATION CARTIER ET AU CENTRE POMPIDOU
par Juliette Gazet
Takeshi Kitano compte sans conteste parmi les artistes les plus singuliers et prolifiques du cinéma contemporain. S’il doit avant tout sa renommée internationale à son oeuvre cinématographique, sa carrière au Japon s’étend à différents domaines: à la fois réalisateur, acteur, animateur de télévision, peintre, poète, chanteur, comique, designer de jeux vidéo, son parcours apparaît comme particulièrement atypique. A l’image d’une telle hétérogénéité professionnelle, son cinéma, très intuitif, parfois presque expérimental, n’a de cesse de faire l’experience des contraires. De films de gangsters épurés que sont SONATIME et HANA-BI, à la romance adolescente qu’est A SCENE AT THE SEA,ou encore au conte mélodramatique, DOLLS,à la comédie auto-parodique,TAKESHI’S, au film de sabre, ZATOICHI, Kitano semble s’essayer à varier tous les genres, trouvant néanmoins, semble t-il, une cohérence autour d’un certain nihilisme non dénué d’humour. Parallèlement à l’exposition “-, que l’artiste a conçu pour la fondation Cartier,qui exposera une partie de son travail de peintre, le centre Pompidou propose une rétrospective de son travail d’acteur et de cinéaste. Celle-ci s’est ouvert le 11 mars, avec une rencontre semi-publique avec l’artiste, menée par le cinéaste Jean-Pierre Limosinau centre Pompidou. la quasi-totalité des films de Kitano sera à parir de cette date programmée jusqu’au 21 juin dans le cadre de cette rétrospective.
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ART/et
aussi
VOYAGE OCEANOGRAPHIQUE
AU GRE DES THEATRES PARISIENS par Julien Ranson
Cette page du Sorbonne Art qui se veut une ouverture sur le autres arts propose un parcours théâtral et cinématographique choisi. Un parcours fléché, si l’on veut, qui mène aux scènes contemporaines qui portent, d’une certaine manière, un regard original sur le monde et qui nous donne des perspectives sur notre époque, qui nous la rend plus visible, plus lisible. Notre voyage aura pour première escale la Cartoucherie de Vincennes, inaugurée en 1964 par Ariane Mnouchkine. C’est dans cette ancienne fabrique d’armements que se sont implantés des théâtres qui s’imposent aujourd’hui comme des références de la création dramatique contemporaine française. Ainsi le Théâtre du Soleil propose son nouveau spectacle : Les naufragés du Fol Espoir, adapté d’un roman inachevé de Jules Verne, de février à juin 2010. Le théâtre de l’Aquarium quant à lui nous offre un Partage de midi de Paul Claudel mis en scène par Antoine Caubet, artiste associé du théâtre de l’Aquarium, du 10 au 20 mars et du 7 au 25 avril. Enfin, Roberto Zucco – texte majeur ! - de Bernard-Marie Koltès et mis en scène par Pauline Bureau se jouera du 6 mai au 6 juin au théâtre de la Tempête. Nous reprendrons donc la mer et mettrons le cap au Nord, vers le théâtre des Bouffes du Nord. C’est une scène mythique et sans âge inventée par Peter Brook telle qu’elle est aujourd’hui; archipel de trésors et de rêves nouveaux qui avait accueilli en début de saison (Septembre -Octobre 09) Simplement compliqué, de Thomas Bernhard, mis en scène et sublimement interprété par Georges Wilson que le théâtre endeuillé par sa disparition récente ne peut que saluer. Hommage à cet artiste qui avait su découvrir l’essence même de l’acte dramatique et de qui regard ou geste transportaient les montagnes. C’est dans cette salle de maîtres que se jouera La Fausse Suivante de Marivaux mis en scène par Lambert Wilson – le fils -, du 6 avril au 15 mai, puis Warum Warum texte de Peter Brook et de Marie-Hélène Estienne, autour des écrits d’Artaud, Meyerhold, Shakespeare, « qui fait entendre la voix des pionniers [du théâtre] à travers les questions que se pose une actrice d’aujourd’hui ». Du 22 juin au 3 juillet. La nef rentre ses voiles en voyant ses deux grands ports d’attache: la Comédie française dans la brume, l’Odéon dans le vent. Alain Françon, ancien directeur du Théâtre National de la Colline, met en scène pour la Comédie française, Les Trois Sœurs d’A. Tchekhov, pièce sombre où les destins de trois femmes cèdent devant la solitude et la désillusion d’un temps sans échappée (du 22 mai à juillet). L’Odéon-Théâtre de l’Europe, quant à lui, reprend du 18 mai au 11 juin, un spectacle d’Olivier Py, comédien, dramaturge et actuel directeur de l’Odéon, La Vraie Fiancée, travail autour du conte, inspiré des frères Grimm : « spectacle pour tous à partir de 7 ans » ! Et voilà donc enfin la goélette au port. Mais le voyage au fond ne s’arrête jamais.
2010/www.sorbonne.art.fr
LE PLATEAU du 11 mars au 9 mai 2010 ENTREE GRATUITE Angle de la rue des alouettes et de la rue carducci 75019 Paris Tel : 01 53 19 84 10 Web : www.fracidf-leplateau.com Metro : Jourdain (11) ou Buttes-Chaumont (7bis) Bus : ligne 26 - arrêt Jourdain Ouvert du mercredi au vendredi de 14h à 19h et les samedis et dimanches de 12h à 20h Entrée libre - 4 euros pour les évènements
Association Sorbonne Art, Loi 1901
FOCUS
AGENDA DES EXPOS EXPOSITION “LES VANITES DE CARAVAGE A DAMIEN HIRST” Musée Maillol du 3 février au 28 juin 2010 61, rue de Grenelle, 75007 PARIS Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h30 à 19h Nocturne le vendredi jsuqu’à 21h30 EXPOSITION MUNCH OU “L’ANTI-CRI” Pinacothèque de Paris du 19 février 2010 au 18 juillet 2010 28, place de la Madeleine, 75008 Paris Ouvert tous les jours de 10h30 à 18h Nocturne tous les mercredis jusqu’à 21h EXPOSITION LUCIAN FREUD,”L’ATELIER” Musée National d’Art Moderne - Centre Geroges Pompidou du 10 mars au 19 juillet 2010 75191 Paris cedex 04 Ouvert tous les jours, sauf le mardi EXPOSITION “L’ELOGE DU NEGATIF” Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris. Petit Palais du 18 février au 2 mai 2010 Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h EXPOSITION FREDERIC CHOPIN “LA NOTE BLEUE” Musée de la Vie romantique du 2 mars au 11 juillet 2010 Hôtel Scheffer-Renan 16, rue Chaptal, 75009 Paris Ouvert tous les jours, de 10h à 18h sauf les lundis et jours fériés EXPOSITION “TURNER ET SES PEINTRES” Galeries Nationales du Grand Palais, Du 24 février au 24 mai 2010 Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris Ouvert du vendredi au lundi de 9 h 00 à 22 h 00, le mardi de 9 h 00 à 14 h 00, le mercredi de 10 h 00 à 22 h 00, le jeudi de 10 h 00 à 20 h 00 EXPOSITION JAN DIBBETS “L’HORIZON” Musée d’ Art Moderne de la Ville de Paris du 19 février au 9 mai 2010 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris Ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 h Nocture le jeudi jusqu’à 22h EXPOSITION JACQUES ANDROUET DU CERCEAU, L’INVENTEUR DE L’ARCHITECTURE FRANCAISE? Cité de l’architecture et du patrimoine du 10 février 2010 au 9 mai 2010 1 place du Trocadéro, 75016 Paris Ouverture tous les jours de 14h à 18h sauf mardi EXPOSITION “ LA SAINTE RUSSIE” Musée du Louvre du 5 mars 2010 au 24 mai 2010 Ouverture tous les jours, sauf le mardi. de 9 h à 18 h et jusqu’à 20 h le samedi. Nocturnes jusqu’à 22 h les mercredi et vendredi
CONTACT: sorbonne.art@gmail.com La revue recrute des rédacteurs, pour plus d’informations, veuillez nous contacter PRESIDENTE Mathilde de Croix
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REDACTEUR Mathilde de Croix
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REDACTEUR Julien Ranson
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REDACTEURS: Leatitia Aureau, Mathilde de Croix, Jacques-Antoine Gannat, Juliette Gazet, Nolwenn Gouault, Catherine Hubert, Diana Madeleine, Alexandre d’Orsetti, Julien Ranson, Goeffrey Ripert, Jack Tone, Anne-Laure de Varax RESPONSABLE DE L’ADMINISTRATION, DE LA TRESORERIE, DES SPONSORS ET VICE-PRESIDENT: Morgan Guerin RESPONSABLE DES RELATIONS LIQUES ET VICE-PRESIDENT: Julien Ranson REPONSABLE DE LA VICE-PRESIDENTE: Catherine Hubert RESPONSABLE VISUELLE ET Mathilde de Croix
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COMMUNICATION
ET
DE L’IDENTITE MAQUETTISTE:
CONCEPTION DU NUMERO 0: Julien Ranson, Alexandre d’Orsetti, Mathilde de Croix REMERCIEMENTS: Nous remercions tout particulièrement le FSDIE, l’UFR d’Histoire de l’Art et Archéologie et l’UFR de Lettres Modernes de Paris IV grâce auxquels la revue a pu exister. M. Alexandre Farnoux, M. Didier Alexandre, M.George Molinié, M. Yann Migoubert, Mme Emanuelle Fourrnier, Mme Karima Chelbi, Mme Joëlle GardesTamine, Mme Marie-Anne Desbals , Mme Françoise Ducros, M. Maxime Lonlas, Mlle Jihane Ferrah, M. Maxime Gilbert, M. Frédéric Elkaïm, Mme Sylvie Bouette COUVERTURE: Philippe de Croix, Studio Life n°7, détail ( On l’avait sous la main.) PARTENARIAT:
IMPRIMEUR:
GRAPHIC CENTER 11-13, rue de l’Epée de bois 01 43 36 79 19 METRO: L. 7 Place Monge ou Censier Daubenton BUS: 47 Les étudiants qui iront à Graphic Center, muni de cet exemplaire, auront une remise de 10%.