Les Sept Sages

Page 1

Les Sept Sages Textes de Souryami – illustrations de Luminelya


Essai d 'anticiption fantastique

– quelque part, dans un avenir prche ou lointain où l'homme serait plus sage et aurait retouvé d'anciens compagnons merveilleux... –

ISBN 978-2-918449-01-0 – dépôt légal avril 2009 –

http://souryami.blanchelicorne.fr


« Toute seule ! » Le cri avait fusé, confus, porteur de toute sa joyeuse chaîne d'angoisse et de maternement. « Mais maman... — Mais tu as... — 14 ans, je sais maman, merci. » La jeune fille se raccrocha rapidement à son cours de philosophie cosmique, justement révisé en prévision de cette confrontation. Elle prit son air le plus sérieux possible, et ajouta de sa petite voix flûtée : « Tu sais très bien que la crainte et le chagrin ne devraient pas te troubler... — Eh bien... — ...Puisque que c'est ton jugement personnel qui leur donne toute leur force ! — Peut-être, mais... — En vérité, tout ce qui nous touche est lié à l'Univers lui-même. — J'ai moi aussi étudié cela à ton âge, pourtant... — Nos vies sont toujours tissées des coïncidences universelles qui conduisent au mieux de toute façon... — Je... — ...En conséquence, rien ne peut m'arriver que je ne sois capable de surmonter ! » Elle sourit, triomphante. Cependant, sa mère ne semblait toujours pas se considérer vaincue. « Naya ! Ce que tu apprends à l'école ne sert pas le but de contredire ta propre mère ! » Elle répondit immédiatement sur le même ton. « Maman ! Ce que nous apprenons à l'école sert justement à nous élever au delà des craintes stupides de nos ancêtres qui croyaient encore au mot hasard ! » Sa mère s'essuya le front, lasse. « Je n'ose imaginer ce que tu me donneras quand tu seras grande, tu sais... — Mais je suis grande, maman ! — Enfin, je veux dire... Ah ! Tu comprendras quand tu auras toi-même des enfants. Je me vengerai alors à regarder mes petits-fils... — C'est promis, maman ! Et alors, en attendant, j'y vais ! » Un soupir de mère brimée retentit dans la salle, tandis qu'elle s'asseyait pour se remettre de la discussion. Après tout, peut-être pouvait-elle plutôt se réjouir du projet de sa fille, digne de fierté. Quelle affaire...


Naya avait toujours été curieuse en tout, et spécialement de ce qui expliquait le tout, harcelant ses professeurs dans les matières qui lui tenaient le plus à cœur. À quatorze ans, elle avait jugé qu'ils ne suffisaient plus et qu'elle devait partir en quête. Partir seule et sans itinéraire, afin de marcher à la rencontre de ce que pouvait lui enseigner son chemin. Elle s'était interrogée longtemps, puis avait fermement décidé de son départ dans le même temps qu'elle en établissait l'objectif : ne pas rentrer avant d'avoir écouté sept sages. Elle quitta le domicile familial d'un pas sûr et léger, fermement décidée à prouver concrètement son assurance. Elle avait, déjà, une première idée de sa direction : le bois sauvage des monts de l'ouest, si profond qu'il devait forcément cacher quelque chose. Lorsqu'elle y parvint, elle s'y engouffra sans réfléchir. Loin de tout regard, elle décida de prendre un petit pas tranquille, n'ayant plus personne à impressionner par sa motivation. Toutefois, même tranquillement, les distances s'allongèrent vite et Naya, troublée malgré elle, réalisa qu'elle s'enfonçait de plus en plus profondément en perdant complètement de vue la direction de son retour. Elle réprima son incertitude, irritée de penser au retour alors qu'elle ne faisait que débuter son aventure. Le retour pouvait attendre. Malgré tout, les ombres de la forêt semblèrent grandir encore, intensifiant le souffle de sa solitude qui commençait presque à la faire frissonner. Naya était fatiguée désormais, elle s'approchait probablement des rivages d'un épuisement qui lui dicterait un repos essentiel. Depuis combien de temps marchait-elle ? Elle en avait perdu le compte – de toute façon, elle accordait d'habitude excessivement peu d'importance au temps. La jeune fille s'assit finalement sur un tronc vermoulu bien sec qui s'avéra aussi confortable qu'un gros coussin. Elle ne s'amusa pourtant pas de la comparaison. La tristesse la gagnait autant que son doute. Qu'avait-elle donc fait ? Elle était seule, perdue, épuisée. Les arbres lui semblaient s'étirer à


l'infini dans toutes les directions, comme s'ils avaient recouvert le monde autour d'elle. Peut-être bien que plus personne ne pouvait désormais la rejoindre pour chasser au loin le voile de sa solitude, telle une céleste punition pour sa quête insensée. Une larme chatouilla sa joue, se frayant un passage jusqu'à son menton, puis ses mains car elle y avait enfoui son visage. À cet instant précis, chaleur et lumière semblèrent se dégager de l'un de ses côtés. « Une jeune fille pour une telle quête est une beauté qui ne peut s'accommoder de ces larmes... » murmura une voix merveilleusement belle, douce et rassurante. Naya sursauta et regarda vers la lueur, surprise. « Par quel miracle...? — Es-tu donc à ce point certaine de ta solitude ? Nombreux sont ceux à te guider et te surveiller, quand bien même tu ne t'en serais pas encore rendue compte. — Mais qui es-tu, toi ? »


La lueur diffuse s'estompa, laissant la place à une tendre et gracieuse licorne. « Que tu es belle ! — Cela ne doit pas éclipser la splendeur qui est tienne. — Oui, mais je ne rayonne pas autant ! — Ne doute pas que tu rayonneras un jour aussi bien. — C'est vrai ? — C'est ton but... » Pensive, la jeune fille admira plus encore la radieuse beauté de blancheur revêtue, puis se décida. « Je voudrais... Si cela est possible... » commença-t-elle, hésitante. La licorne ne dit pas un mot, se contentant d'un doux regard qui reflétait manifestement le savoir de beaucoup de choses et de sa question en particulier. « Aurais-tu un message à me donner ? » finit-elle par dire. « Bien sûr... Que voudrais-tu savoir ? » répondit la licorne. La répartie décontenança Naya sur l'instant mais elle se reprit, proposant : « Ta vision de la sagesse ? — Le sage est celui qui se voit dans le regard de l'autre. Le sage est celui qui peut regarder toute chose sans se croire inférieur ou supérieur, certain que son évolution est liée au moindre comme au plus gigantesque, et inversement. Le sage est celui qui tend une main sans jugement et sans attente, et qui saisit de l'autre la main qui le soutient lui même. Le sage est celui qui sait qu'il possède tout en lui-même. Le sage est celui qui trouve le bonheur à pousser les moins conscients que lui vers les mêmes splendeurs qu'il recherche. Le sage est celui qui sait devoir utiliser ses dons et ses potentialités pour la joie évolutive de tous, considérant que ses talents sont à la mesure de ce qu'il doit donner. — Je te remercie infiniment... » La licorne et la jeune fille se regardèrent en silence, Naya contemplant la vérité de ces paroles autant qu'elle les vivait par la seule présence de l'être merveilleux. Enfin, elle lui demanda avec timidité : « Saurais-tu où je puis trouver... Quelqu'un d'autre ? — Je sais et je t'y emmènerai si tu le souhaites. — Est-ce loin ? — Ce ne l'est plus davantage. » Naya, qui s'était rapprochée d'elle, essaya de comprendre lorsqu'elle se rendit compte que le paysage les entourant avait changé.


« Mais comment as-tu fait ? — Je suis une licorne ! — Alors, je suis toute proche d'une seconde rencontre, maintenant ? — En effet. Il te suffira de suivre la direction que te montre cet arc-en-ciel. — Oh ! C'est de toi ? — Je suis une licorne ! » affirma joyeusement la licorne, comme dans un gracieux rire. Naya ouvrit les bras en signe d'au-revoir tandis qu'elle la voyait disparaître de sa vision matérielle, bien qu'elle ressentît toujours non moins l'étreinte de sa bénédiction. L'arc-en-ciel la fit rapidement gravir un mont rocailleux qui s'élevait au dessus de la végétation environnante, à la manière d'une singulière île. Cet endroit n'était pas ordinaire et soudain, inquiète, Naya entendit le bruit d'une respiration gigantesque qui faisait résonner les lieux. Pire encore, la respiration se teinta d'un ronflement à terroriser le lion le plus vocalisateur. Finalement, un bref souffle de tempête qui ressemblait à un soupir prit la relève de tout ceci, suivi d'un crissement de roches et d'un rugissement tonitruant : « Cet arc-en-ciel inattendu, c'est de qui ? » Naya en était muette et statufiée. Surgissant alors de derrière un rocher, une énorme tête parut sincèrement désolée en la découvrant toute effrayée, et se hâta d'ajouter d'une voix relativement plus douce : « Oh, je suis confus ! Je ne m'attendais pas... Viens, petite beauté, n'aie pas peur. » Un dragon. Naya faillit éclater de rire en décompressant de sa frayeur, sachant comme chacun que les dragons étaient immanquablement affables et courtois. Elle sauta les derniers mètres en sautillant et regarda ce qui lui apparut soudainement en contrebas. Une plate-forme rocheuse orientée plein sud semblait faire le délice du dragon qui s'y étalait de tout son long. Lorsque celui-ci la vit apparaître, il se releva à nouveau, bailla et s'étira, ce qui produisit un nouveau crissement qui obligea Naya à se boucher les oreilles. « Par mes flammes, je me ferai constamment surprendre par ces rochers agressant mes griffes dès que je m'étire... » Naya le regardait avec admiration et osa une timide salutation. « Bonjour... — Bonjour !! Sois la bienvenue. Que puis-je pour ton service ? — En fait, je suis... À la recherche de la sagesse de mes rencontres. — Tu recherches la sagesse d'un dragon ? — Eh bien... Oui, si c'est possible !


— Voilà fort longtemps qu'une telle demande ne m'a pas été faite, de la part d'une toute jeune fille qui plus est... D'ailleurs, à vrai dire, je ne me souviens même plus de la dernière fois qu'une jeune fille s'est occupée de moi. Sans doute suis-je un peu solitaire sur le bout des ailes, de toute façon... — Tu voudrais bien ? — Mais bien sûr, voyons ! »


Le dragon se releva promptement, redressa la tête avec une fierté naturelle et réfléchit quelques instants, puis se remit à parler. « Ne pas se fier aux apparences, pourrais-je déjà affirmer. Regarde-nous. Ce n'est pas parce que tu es si petite que tu en aurais moins dans le cœur, n'est-ce pas ? Et ce n'est pas par la taille de mes crocs et de mes griffes que tu devrais me craindre ! Bien pire que ces attributs visibles se révèle le cœur emmuré. En effet, bien souvent, l'apparence ne fait que suggérer un parfait contraire. Moimême pourrais-je sembler un terrible carnivore alors que cela n'est pas du tout le cas. Il faut savoir aller au delà. Descend par le regard jusqu'au cœur, afin de juger par l'intérieur, toujours. Le regard est une porte grande ouverte sur ce qui ne sait pas mentir. Et puis enfin, ne va pas te prendre trop au sérieux, une sieste au soleil vaut souvent mieux que bien de futiles préoccupations. — Merci beaucoup... — Mais ce fut avec plaisir. Désirerais-tu autre chose ? — Je ne voudrais pas te... — Mais si, tu le voudrais ! Allez, parle sans crainte. — ...Tu pourrais me guider jusqu'à une troisième rencontre ? — Par mes ailes, que je le pourrais ! Qui était la première ? — Une licorne... — Ah ! Bien sûr : l'arc-en-ciel. J'aurais pu m'en douter. Commencer par la sagesse d'une licorne, voilà commencer fort ! Excellent début. Excellente suite avec moi. En route pour un troisième. Grimpe ! » Naya ne se le fit pas dire deux fois, escalada l'immense corps avec joie, puis s'installa confortablement sur son dos. « Accroche-toi ! » Le dragon s'élança avec majesté, plana en rase-motte sur une petite distance puis grimpa vivement vers de plus hauts sommets. Le soir était bien avancé et le crépuscule finit par assombrir les paysages ; Naya, fatiguée, dodelina de la tête et s'endormit rapidement à la musique du puissant rythme de vol. Enfin, le dragon atterrit avec douceur sur une plaine et se dirigea droit vers une silhouette se découpant dans la pénombre. « Toi, là, j'ai une mission pour toi », chuchota le dragon. « Une mission de dragon ? Je suis à ton écoute, dragon ! — Voilà le protocole : cueillir délicatement la jeune personne qui dort sur mon dos, lui trouver une couche confortable, répondre à ses questions lorsqu'elle se réveillera et la conduire ensuite où elle voudra. — Eh bien ! Bon, tu me revaudras ça un jour, hein ? — Surtout, je t'accorde ma confiance... Douceur, grâce et délicatesse, pas moins. — Comme si nous étions des brutes ! Mais oui, ne t'en fais pas... » sifflota l'autre.


Le dragon se coucha sur le côté, faisant glisser Naya dans des bras solides et forts. Elle ouvrit les yeux et bredouilla mais se fit immédiatement suggérer de se rendormir, ce qu'elle fit sans protester. Son nouveau porteur la conduisit ensuite plus loin, râlant un peu : « Une couche confortable, c'est vite dit ça, je ne vois pas dans le noir, moi, je ne suis pas un dragon, moi... » Heureusement, ses pas le menèrent vers un providentiel tapis de mousse sur lequel il étendit Naya. Il s'assit ensuite à ses côtés afin de veiller sur son sommeil. Dès le lever du jour, un petit attroupement était formé, dont les bavardages réveillèrent la jeune fille. Elle se leva et les regarda avec un grand sourire. « Oh, des centaures ! Bonjour ! »


Un chœur de salutations énergiques lui fit écho, puis le centaure qui semblait veiller sur elle reprit une discussion avec quelques collègues. « Elle est à ma charge par parole de dragon ! Arrêtez de lui faire de l'ombre, bande de rustres ! — Rustre toi-même ! Je suis sûr qu'elle serait ravie de jouer à la mêlée-balle avec nous. Elle ferait une balle admirable ! On en prendrait soin, allons, tu nous connais. — Ça oui ! Et je n'ai pas envie de me faire roussir la croupe au feu-dedragon parce qu'elle en aurait récolté un bleu ou une bosse ! — Baaah... Faut s'endurcir, quoi, de toute façon. — Pas elle. Ouste ! » À ces mots, il empoigna Naya et la conduisit plus loin par un petit galop, laissant là ses camarades déçus. « Il ne faut pas leur en vouloir, nous n'avons pas des visites tous les jours, ici. Comment tu t'appelles ? — Naya. Tu galopes bien ! » Le centaure sembla très flatté et répondit d'un air modeste : « N'est-ce pas... Un autre pour nous réchauffer, peut être ? — Oh oui ! » Il ne se fit pas prier et, la posant sur son dos, galopa à grande vitesse, ce qui ravit la jeune fille, qui en aurait regretté la fin sans la protestation de ses fesses endolories. « J'aurais pu te montrer le parcours de centaure-cross, mais j'en connais un qui m'en voudrait probablement si tu t'y faisais mal. C'est très sportif », ajoutat-il en insistant sur ce dernier mot comme s'il était d'une particulière importance. « Je ne le suis pas trop... — Je m'en doute ! Tu es adorable mais frêle comme un roseau. Si tu faisais davantage de sport, tu pourrais embellir, tu sais ? — Ah, heu, oui, sans doute. — Mais alors, tu devais me poser une question, je crois ? — C'est vrai... Qu'est-ce que la sagesse, pour un centaure ? » Il se gratta la tête d'un air pensif et sembla réfléchir, puis répondit : « Ce n'est pas une question qui nous est très souvent posée, en fait, mais je peux essayer d'y répondre... Nous, les centaures, nous ne sommes pas des théoriciens ou des penseurs à n'en plus finir : on agit. L'action, elle, produit un résultat immédiat et concret. Alors, je te le dis : sois active et dynamique, sinon tu n'arriveras à rien ! Et puis, l'action entretient et affermit l'esprit, lui interdisant de se ramollir. Un esprit vif dans un corps vigoureux, voilà un beau programme. Je te le conseille. — Merci beaucoup...


— De rien, voyons, parole d'ami. Tiens, je dirais aussi : croire la parole des autres et être soi-même d'une parfaite sincérité. La franchise conduit à tout, la dissimulation et l'hypocrisie nulle part, si ce n'est dans un mur. — J'ai pu le remarquer... — Alors, tu veux aller quelque part, maintenant ? — Tu saurais me conduire à une autre rencontre ? — Pourquoi pas ! Hop – au galop jeune fille. » Les paysages défilèrent à nouveau sous le galop ou le trot énergique du centaure, qui paraissait infatigable et ne s'essoufflait presque jamais dans le fil de leurs discussions. Enfin, ils arrivèrent à une source bondissante qui faisait jaillir un ruisseau clair et joyeux. Le centaure reprit la parole : « Je crois que tu vas bien t'entendre avec elle ! — Ah ? — D'ailleurs, elle te ressemble un peu. » Naya, intriguée, regarda le centaure inspecter les lieux et finalement prendre son inspiration pour crier un appel. « Allons, ne fais pas ta timide ! Je t'amène de la visite. » Un bruissement cristallin se dirigea alors vers eux. Le centaure tapa affectueusement sur l'épaule de Naya puis s'apprêta à reprendre son galop. « Je vais te laisser, sinon elle va encore me faire des remarques, du genre que j'abîme la berge avec mes gros sabots ou que je crie trop fort. À bientôt peut-être, Naya ! — À bientôt j'espère, centaure ! » Elle accorda ensuite toute son attention à ce qui semblait avancer vers elle, apparaissant bientôt comme une gracieuse forme féminine.


« Pourquoi rechercher une naïade ? — Que ton regard est clair et beau... — Comme une source pure et chantante... C'est normal, n'est-ce pas ? » Naya admira la perfection de son corps et la douce fraîcheur qui émanait d'elle, tout autant que l'innocence touchante de son regard. Elle se reprit enfin, répondant : « Je suis en quête de sagesse, et je voudrais bien connaître ton ressenti à ce sujet, si tu le veux bien. — C'est une noble quête et ce sera un honneur pour moi d'y apporter ma contribution... » La naïade lui sourit, puis reprit : « Je crois qu'il est très important de cultiver et de faire croître la pureté de son être, car nul n'est sage s'il n'est pas également pur... Nous, les Naïades, et nos sœurs les Nymphes comme beaucoup d'autres esprits de l'eau, payâmes jadis un très lourd tribut aux propriétés de purification de notre élément, parce que vous, les hommes, vous recouvriez de boue et avilissiez toutes les rivières pour vous débarrasser d'une partie de vos souillures... En vérité, la beauté et la clarté des sources et des rivières et de toutes les eaux courantes est le reflet de votre propre progrès. Un progrès en direction de votre pureté qui doit vous revenir et, donc, de votre sagesse. Qui est sage s'est épuré, et parce qu'il s'est purifié il peut guider d'autres frères vers la pureté et la sagesse. La sagesse est belle et pure, sinon elle ne peut pas être appelée ainsi... — Merci beaucoup... — J'en ai été ravie. — Une naïade purifie naturellement les eaux courantes qu'elle bénit de sa présence, je crois ? — C'est la vérité, mais... Pris dans le sens contraire, une trop grande souillure entraîne notre exil. Voilà pourquoi je disais que nous avons jadis payé un lourd tribut à votre espèce immature, ayant brutalisé l'élément


liquide au delà de l'imaginable... — Il est bon de se savoir maintenant plus sages, plus purs. — Une aurore de pureté et de sagesse vous étreignit enfin, en soulagement tant espéré pour vous et pour tant d'autres. » Naya hocha la tête, heureuse de ne connaître les égarements passés que par l'intermédiaire de ses livres d'histoires. « Dis-moi... Saurais-tu me guider vers une nouvelle rencontre ? — Je le peux très facilement, puisque mes eaux rejoignent une plage où vient s'abreuver quelqu'un que tu n'as sans doute pas encore rencontré. — C'est formidable. J'espère que je te reverrai, comme tous ceux que j'ai rencontré jusqu'alors ! Vous êtes de si précieuse compagnie... — Toi aussi ! Nous nous reverrons avec plaisir. Sois douce avec l'eau en pensant à moi ! — C'est promis ! » Naya sautilla joyeusement le long de la rivière, heureuse d'y savoir sa nouvelle amie en compagne de marche. Enfin, quelques gentilles éclaboussures et un gracieux rire cristallin d'adieu la tirèrent de ses contemplations. Elle se rendit compte qu'elle était arrivée sur une sorte de petite plage portant d'étonnantes empreintes, disposées comme pour un animal à quatre pattes mais ne ressemblant à aucune patte des quadrupèdes qu'elle croyait connaître. À ses pieds, une magnifique plume de grande taille attira son attention ; elle s'empressa de la ramasser et la plaça dans sa chevelure emmêlée qui portait encore le souvenir de la mousse du lit de centaure. Puis elle s'assit en tailleur sur le sable, attendant la suite des événements.


La soif finit par la saisir et elle se dirigea vers l'eau claire et chantante qui lui faisait face. Un souffle d'air la surprit alors dans le dos, suivi d'une exclamation : « Par mes plumes : une autre emplumée ! » Un griffon la regardait avec curiosité. « Oh ! Elle est à toi ? — Elle était à moi, mais je ne fais pas la collection des plumes hors d'usage et je suis ravi de voir celle-là entre de jolies mains. — C'est gentil ! — C'est normal. — L'eau est bonne, ici... — Eh ! Pourquoi crois-tu que je fasse le détour pour m'abreuver ? Mais dis-moi, tu attendais quelqu'un, ici ? — Pour être sincère... Je t'attendais, oui. — Oh oh ! Trahi par ses habitudes de boire ! — Je ne te dérange pas, au moins ? — Mais non, qui pourrait être dérangé par une aimable petite fille au regard pétillant et à la crinière dorée ! Que me veux-tu donc ? — Je suis à la recherche de la sagesse de mes rencontres... — Sagesse de Griffon est plume au vent qui vole. — C'est-à-dire ? — Nous, les griffons, nous regardons de haut et ne nous intéressons pas aux sagesses trop fixées ou rigides. Tout est en mouvement, à l'instar d'un griffon en gymnastique aérienne. La sagesse, comme beaucoup d'autres choses – sinon tout – est en évolution et en mouvement constant. Elle dépend de la maturité du sage autant que de la réalité qui l'environne. Alors, pas de conclusions hâtives ! La sagesse d'un jour ne sera pas forcément celle du lendemain. Il faut apprendre à vivre au présent et savoir constamment remettre en question tout ce que nous avions appris ; ceci seulement est une sagesse raisonnable. — Merci beaucoup... — Je suis moi-même honoré par ton intérêt, ma petite.


— Dis-moi... Qui me conseillerais-tu, après toi ? — La mer ! — C'est une excellente idée, mais qui pourrais-je rencontrer là-bas ? — Sois confiante et rejette tes craintes, puisque je te le suggère. — Pourrais-tu m'aider à trouver ce que tu me proposes ? — Je l'ai sous-entendu ! Tu me sembles bien légère, ce ne sera pas un fardeau pour moi de te porter. — C'est vrai ? — Puisque je te le dis ! Mais attention, pas avant mes gorgées de rivière, je venais pour ceci, à l'origine. — Bien sûr ! » Le griffon s'avança souplement vers l'eau courante pour en boire tout son content. Enfin, il se releva et rejoignit Naya. « Tu n'auras pas peur, au moins ? — Pas du tout ! » confirma-t-elle tout excitée. Elle répondit à l'invite du griffon qui se courbait pour lui permettre de le chevaucher, puis celui-ci reprit : « Serre-moi bien fort, vu ta constitution tu ne sauras guère m'étouffer ! Je préfère nettement. Tu me tiendras chaud, déjà, et ensuite tu ne t'accrocheras pas à mes plumes ni à mes poils. J'ai horreur qu'on me tire les poils, et plus encore les plumes, pour être franc. — Promis ! » assura Naya en l'étreignant sur-le-champ. « Attention... » Le griffon banda ses muscles et s'élança, battant des ailes avec force. Naya sentait la contraction de ses muscles et la chaleur de son effort, tentant candidement de se faire plus légère lors de l'ascension. Contrairement au vol inébranlable du dragon, la jeune fille sentit son ventre se nouer presque aussi facilement que si elle était en train de chuter d'une falaise. Elle ferma les yeux et étreignit le griffon de toute sa force, très heureuse de l'avoir entendu le lui demander. Enfin, passé une certaine altitude, le vol se fit plus droit et plus sûr, planant par moment. Le griffon lui adressa de nouveau la parole. « Oh oh ! Je crois que tu préférerais ne pas avoir de démonstration de voltige, me tromperais-je ? — Honnêtement, je trouve ceci tout à fait suffisant ! — N'aie crainte, même si tu tombais j'irais te rattraper ! » Naya, qui s'était détendue, resserra finalement son étreinte à cette seule idée. « En tous cas, c'est une expérience fabuleuse », lui assura-t-elle pour penser à autre chose. « Je suis content que ça te plaise », répondit le griffon.


Le vol se poursuivit sur un rythme tranquille à la grande satisfaction de la jeune fille ; tout à coup le griffon se laissa pourtant chuter, ce qui arracha un cri d'effroi à Naya. « N'aie pas peur ! Nous arrivons, il faut bien redescendre ! Si tu te crispes ainsi pendant toute la descente, tu vas finir par attraper des crampes ! — Oui... » répondit Naya d'une toute petite voix. Le griffon s'amusa à tomber quelques fois supplémentaires mais, ayant pitié de la jeune fille, finit en une ample et gracieuse spirale qui sembla beaucoup plus la ravir. « Nous sommes arrivés, tu peux descendre, tu sais ! — Excuse-moi, le réflexe de ne pas te lâcher... — Il n'y a pas de quoi. Je t'aime bien, petite fille ! Je vais rester dans les parages, au cas où tu aurais besoin d'un vol de retour. — Ce serait formidable... — Ça l'est. Allez, file ! Je l'entends chanter. — Tu entends quelque chose ? — Pas toi ? Ah là là, décidément, votre ouïe ne vaut guère mieux que la portée de votre regard... C'est par là. » Naya gambada dans la direction indiquée, heureuse de se dégourdir les jambes sur un sol bien ferme. Elle dut bientôt descendre une pente assez abrupte et commença en effet à entendre quelque chose. L'odeur de la mer, auparavant discrète, se fit plus intense, précédant une plage aussi charmante que tranquille. Au loin, sur un rocher couvert de longues algues multicolores était assise une personne qui chantait. Sa voix féminine enchanteresse semblait portée par le vent sans se faire couvrir, comme si les bruyants souffles marins refusaient d'assourdir une telle beauté. Naya se dirigea vers elle sans pouvoir faire autrement, l'esprit vierge comme si ses pensées s'étaient faites silence pour écouter. Enfin, arrivée toute proche, elle la vit véritablement. C'était une sirène, qui la regardait maintenant aussi attentivement qu'ellemême la contemplait. Naya ne pouvait parler ; ce fut donc la sirène qui lui adressa la parole. « Enfin... » se contenta-t-elle de dire. « Enfin ? » osa répondre Naya, toujours captivée par la présence de la sirène. « Il y avait tellement de temps que nous attendions de vous retrouver... Maintenant que la possibilité a fleuri, nous ne nous lassons pas de nos rencontres. — Veux-tu parler de cette si longue époque où notre espèce niait l'existence de toute merveille et de tout être merveilleux, tels les licornes, les dragons, les centaures, les naïades ou les griffons ?


— J'en fais la remarque précisément... Oublier la sirène était cependant pire encore. Pour vous, nous ne sommes pas de simples êtres merveilleux. Nous sommes... Votre miroir marin. — Le double de notre espèce en ce qui concerne les océans ? — Bien sûr. Il y a plus encore de mers que de terres, comment aurait-il été possible de faire autrement ? En notre Univers, il n'y a pas d'oubli, jamais. Nous, nous avions les océans, dont la matrice nous préserva. Vous, vous aviez à émerger et à surmonter de grandes ténèbres. Parce que, sortant de l'eau, vous étiez destinés à vous ouvrir aux étoiles...


— Tu veux dire que la totalité de nos égarements passés ne faisaient que nous préparer à une ouverture particulièrement importante ? — Très exactement. En douterais-tu ? — Il est toujours difficile de reconnaître son importance... — Il le faut pourtant. L'Univers compte sur vous. Votre cheminement jusqu'ici fut très difficile parce que votre mission était très importante. En quelque sorte, la difficulté fut à la hauteur de l'accomplissement. — Mais nous ne sommes pas encore accomplis, si ? — Le chemin sera certes encore long ! Ce qui est spécialement intéressant, maintenant, c'est que vous savez et accompagnez le cours de votre destinée, au lieu de vous faire traîner par elle et de devenir les jouets de toutes sortes d'énergies peu recommandables pour votre nature. Bien que rien ne soit en vain. Ces forces ténébreuses qui semblèrent vous traîner jadis dans la boue avaient besoin de vous pour évoluer vers une plus parfaite lumière, comme vous aviez besoin d'elles pour vous forger la force et la connaissance qui vous sont destinées, et qui vous seront indispensables. L'avenir humain est une clef de l'évolution universelle. » Naya médita sur ces mots quelques instants, puis : « J'étais venue pour te demander de sages paroles, et tu me les as accordées sans question de ma part... — Mais nous parlions, tout simplement ! Voudrais-tu que je réponde plus précisément à ta demande ? — Oh oui ! — La sagesse... Elle est à ce point multiple que je ne saurais en dévoiler davantage que l'infime... Cependant, voici une sagesse qui me parlerait : savoir accomplir l'action juste. C'est-à-dire, ne pas agir sous la domination de ses sentiments, dans un sens comme dans l'autre, mais savoir trouver sans hésitation la voie à prendre et à illuminer. Le sentiment superficiel est traître, dans un sens il peut faire croire à une importance faussée, tandis que dans l'autre il peut cultiver le doute de son importance véritable. Il est simple, pourtant, d'y voir clair. S'il est possible de ressentir sa grandeur et son importance dans le même temps que comprendre celles des autres, s'il est possible de se sentir superbe et rayonnant en considérant le plus fruste animal comme son égal devant Celui Qui Est, alors nous pouvons considérer que nous sommes sur le bon chemin. Il y a un sentiment vrai à accomplir. En particulier, un sentiment d'Amour qui ne connaît ni limitations, ni fausseté. L'Amour parfaitement pur est la révélation de la divinité qui s'incarne en tout, sans exception puisqu'elle est la seule matière des mondes. — Merci beaucoup... — Ce fut une joie ! »


Naya rajouta alors, pensive : « Je ne sais pas pourquoi, mais... Je voulais partir à la rencontre de sept sages. Tu es ma sixième rencontre, et... Je voudrais bien en rester là avec toi, finalement. À moins que, peut-être, tu ne puisses me conseiller une nouvelle rencontre ? — Sept est un nombre sage et je suis d'accord avec lui. Oui, il y a quelqu'un que tu as oublié... — Ah bon ? — Quelqu'un de très important. Il sera parfait de terminer avec lui, et non avec moi. — Pourtant... » Naya ne sut exprimer son ressenti mais la sirène comprit qu'elle appréciait leur échange au point de douter qu'une autre fin puisse être meilleure. La sirène la regarda profondément. « Celle-là qui sera septième saura faire la synthèse de ce qu'elle a appris, puis y ajoutera sa propre lumière. Car elle rayonne et rayonnera, et elle ne devrait pas en douter. » La révélation frappa Naya comme un coup de tonnerre. Elle-même... « Je me souviendrai », murmura-t-elle. La sirène et la jeune fille se sourirent longuement puis Naya s'apprêta à s'en retourner. Plus haut, plus loin, elle trouverait à nouveau son ami ailé pour la conduire chez elle. Du travail l'attendait. Dont le plus important : faire surgir de son voyage de sagesse le plus merveilleux soleil qu'elle pouvait dessiner...



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.