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LA FÊTE À LA MAISON

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ÉDITO

ÉDITO

LA FÊTE EST FINIE LA FÊTE EST FINIE (?)

On n’y croyait plus, les clubs et autres boîtes de nuit ont rouvert le 18 février dernier ! La bamboche is back ! Mais après deux années de liberté conditionnelle et conditionnée aux doses de vaccins, avons-nous perdu

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l’envie de faire la fête ?

Texte et photos : Édouard Roussel

Saturday night… Uber. Deux ans que ce putain de Covid nous gâche la vie. Ce désagréable épisode nous a transformés en misanthropes modérés à la sociabilité facultative. Trois confinements nous ont assignés à résidence (1h-1km, lol), on a découvert les dimanches sobres, les balades en forêt, le jardinage, le running et même les joies du bricolage. Bien sûr, on a fait quelques petites soirées à domicile, entre connaissances, pas plus d’une dizaine genre « on ne sait jamais ». C’est plus sécure, plus maîtrisable et finalement moins fatigant. On a même entendu un pote sortir fièrement : « Je ne vais pas trop picoler ce soir, demain je vais courir ». Avant, on postait sur les réseaux sociaux nos prouesses festives où des schlags, plus magnifiques que Gatsby, se déchainaient sur le dance-floor. Maintenant, les stories qui défilent le week-end ce sont des autotests positifs, des captures d’écran de Strava, des chemins de randonnée bien balisés et un casse-croûte tofu-quinoa. Les temps changent.

Notre envie de faire la fête se serait-elle abîmée dans les confinements et les mesures sanitaires ? « C’est bien une réflexion de quadra ça », ironise Konik. Nicolas, de son prénom, est DJ et l’un des organisateurs des fameuses soirées Risk et du festival électro Le Sirk. La nuit, il en connaît tous les recoins. La fête c’est son jardin. Lui va au Berghain, comme toi à Leroy Merlin. « C’est vrai que quand on sort on ne sait plus trop si on va passer la soirée assis ou debout, masqué ou pas. C’est normal qu’on se lasse de tous ces protocoles et qu’on finisse par rester chez soi. Puis il y a eu tellement d’événements pour lesquels on a pris un billet qui ont été annulés, reportés et re-annulés. Du coup, on se dit qu’on va attendre le dernier moment pour voir si ça a vraiment lieu ». Voilà un symptôme qu’on pourrait ajouter à ceux d’un Covid trop long : une bonne grosse flemmasse bien plombante.

Le Kafka Anxiété Sociale Club

D’autres ont vu ressurgir un syndrome d’anxiété sociale qu’ils avaient déjà surmonté. « C’est un trouble anxieux handicapant qui se manifeste sous diverses formes » explique Émilie, psychologue clinicienne à Paris. « C’est l’appréhension envahissante de se confronter à un groupe, la peur irrationnelle de parler à quelqu’un, l’angoisse d’être jugé. La crise est souvent accompagnée de symptômes physiques tels que la sudation, la tachycardie, la difficulté à respirer. Les confinements avaient été plutôt bien vécus par les patients qui présentaient de

LES CONFINEMENTS AVAIENT ÉTÉ PLUTÔT BIEN VÉCUS PAR LES PATIENTS QUI PRÉSENTAIENT DE L’ANXIÉTÉ SOCIALE, DE L’INSÉCURITÉ AFFECTIVE, OU DES TRAITS MÉLANCOLIQUES.

l’anxiété sociale, de l’insécurité affective, ou des traits mélancoliques. Ils avaient l’excuse parfaite pour ne pas se confronter à l’objet anxiogène et rester dans leur zone de confort ». Pour eux, ce sont les déconfinements qui furent le plus difficile à vivre. « Ceux qui avaient fait des progrès ont régressé en éprouvant de grandes difficultés à ressortir, poursuit Émilie. Au-delà de l’anxiété sociale, de nouveaux patients sont venus pour des attaques de panique jamais vécues auparavant, corrélées à la Covid-19 et au télétravail. Ces bouffées d’angoisse peuvent entraîner une perte de confiance, un repli sur soi et rendre les patients moins enclins à la fête. Et de manière plus générale, j’ai remarqué que mes patients retournaient très timidement à une vie sociale, comme s’il y avait une perte d’envie, une forme d’apathie ». On ne s’étonnera pas que la consommation d’antidépresseurs, d’antipsychotiques, d’anxiolytiques et d’hypnotiques ait augmenté de 7 % en 2020 et de 10 % en 2021 (source : Epi-Phare). Certains médecins généralistes estiment même que 70 % de leurs consultations concernent des troubles liés à l’anxiété. « On soigne l’anxiété sociale très progressivement car le temps psychique est un temps long. L’idée c’est d’identifier l’objet le plus anxiogène pour eux : le regard de l’autre, la foule, le lâcher prise ; à partir de là, avec entre autres des techniques de thérapies comportementales, on réussit à faire des

progrès ». Les psys ont aussi remarqué une forte demande de rendez-vous depuis septembre dernier et tout particulièrement de la part des étudiants. « On a beaucoup de jeunes qui viennent consulter pour la première fois de leur vie, remarque Émilie. Après deux années à rester chez eux, à suivre des cours en distanciel, certains développent une forme d’angoisse, un ressenti hostile de l’extérieur : les amphis, les transports en commun. En revanche, la fête est très peu évoquée en consultation, que ce soit en termes d’angoisses ou de manque ». Drôle d’époque pour la jeunesse, à l’âge où l’on devrait avoir envie de fête, de fun et de rencontres, le gouvernement paye l’happy hour en lâchant des « chèques d’accompagnement psychologique » : trois consultations de 45 minutes offertes pour tous les étudiants.

La Bamboche contre-attaque

Heureusement, il y a les irréductibles, ceux pour qui la fête est un besoin essentiel, une absolue nécessité : les vrais teufeurs. Même la pandémie ne les a pas empêchés de danser dans la clandestinité. Ceux-là se foutent éperdument des autorisations pour aller se coller aux enceintes, sans masque FFP2 ni bouchons d’oreilles. « Le premier confinement a été très respecté, explique Lez’Art, un habitué de la free party depuis 2004, comme public mais aussi comme organisateur. Mais à partir de mai 2020, il y a eu pas mal de petites soirées, moins de 300 personnes, même si on a vu une augmentation crescendo de la répression : plus de blocages, plus d’amendes (pour tapage voire agression sonore) et plus de saisies de matériel. Les soirées étaient extrêmement fliquées et une grosse partie a été annulée ou écourtée. Ça nous a menés à une vraie problématique : l’objectif pour une free qui veut durer plus de 24h ça va être de rassembler assez de monde pour contrer une répression policière ». En juin 2021, une grosse free party de Redon a même dégénéré en affrontement et conduit à une excessive intervention du Raid pour mettre fin au rassemblement. N’en déplaise à la préfecture, la répression des petites soirées aura été totalement contre-productive. L’insouciance festive s’est transformée en délit d’inconscience. Les booze parties de Boris Johnson dans les jardins du 10 Downing Street ont déclenché une colère générale. En France, la fête de la musique 2021 à l’Elysée a été boycottée par une partie de la scène électro. La polémique aurait été elle aussi véhémente contre Jean-Mi Blanquer si le ministre avait inventé ces insane protocoles sanitaires pour l’école à Maubeuge au lieu d’Ibiza. « On a besoin de faire la fête, continue Lez’Art. C’est une catharsis. Dans une société de plus en plus individualiste, c’est un des rares moments où l’on peut se débarrasser des normes, de nos codes sociaux. C’est l’un des derniers espaces où il y a autant de solidarité, de respect et de tolérance ».

L’enjaillement en full HD

Bloqués derrière nos écrans, on a vu la fête muter sur les réseaux. Fantastique, grâce à Twitch on peut maintenant streamer sa soirée d’anniversaire, on peut danser sur TikTok, draguer sur Tinder et papoter sur Discord avec de parfaits inconnus. Pour la musique c’est carrément vertigineux, le nombre de livestream a complètement explosé. Les musiciens ont fait moult concerts « à la maison », des DJ sets « au fond du jardin », dans des aéroports dépeuplés ou même au sommet de l’aiguille du midi. C’est presque devenu banal, alors il a fallu upgrader, virtualiser encore un peu plus. 27,7 millions d’avatars en survey skins ont assisté aux concerts virtuels du rappeur Travis Scott dans le jeu Fortnite, en avril 2020. Quelques mois plus tard, c’est Lil Nas X qui se faisait pixéliser pour son show flashy Far West sur Roblox. « En décembre 2021, David Guetta a même fait le premier concert dans le metaverse, ajoute Konik, un brin perplexe. Je crois que c’est malheureusement le futur, enfin disons plutôt que c’est ce sur quoi on veut nous emmener. Peut-être que le virtuel, c’est plus cool ; j’en sais rien, je n’ai jamais baigné là-dedans. Moi, j’ai encore envie de fêtes en présentiel, qu’on danse ensemble, qu’on se touche et qu’on transpire ensemble ». N’en déplaise à Mark Meta Zuckerberg, il reste encore quelques optimistes radicaux pour qui la fête à l’ancienne n’est pas encore tout à fait obsolète.

Retour à l’anormal

Depuis le 18 février, les boites de nuit ont rouvert dans un festin de décibels et de paillettes. « Le premier week-end on s’est fait éclater, se souvient Antonin, le taulier de l’Antonnoir, bar de nuit et salle de concert à Besançon. Les gens étaient vraiment dans les starting-block ; les affamés, les acharnés, les assoiffés sont là, certains sur les quatre premiers jours de réouverture sont même venus trois fois ! » Néanmoins, le taulier s’inquiète : « Je me demande combien de temps cette euphorie va durer, nos clients n’ont peut-être pas les moyens de sortir faire la fête trois fois par semaine. On a besoin des autres, et ceux-là ont peut-être pris des habitudes plus casanières, et peut-être même que certains ont encore peur du virus. Je pense qu’on a perdu plein de nos clients avec ces deux années de pandémie, et pas que des jeunes, mais aussi toute la tranche des trente-quarantenaires qui se sont plus que jamais recentrés dans leurs cocons. Et ceux-là, on va avoir du mal à les récupérer. Tout est compliqué : reprendre le rythme, retrouver des équipes, et aussi reprendre la com’ car on n’a rien communiqué depuis des mois. On a un peu l’impression de repartir de zéro ». La fête est encore bien fragile, nous n’en sommes qu’au « before » du retour à la normale. « Pour nous organisateurs, ce n’est toujours pas un environnement serein dans lequel travailler, confirme Konik. C’est d’ailleurs pour ça qu’en 2022 on a décidé de faire Le Sirk en trois temps. Tout miser sur le mois d’avril nous semblait un peu trop périlleux. Sans oublier qu’aujourd’hui on ne sait toujours pas les conditions qui vont nous être imposées ; faudra-t-il qu’on prévoit des zones délimitées pour le bar ou la restauration ? Quand t’organises un événement, ne pas pouvoir te projeter sur l’accueil du public c’est quand même très compliqué » .

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