10 minute read

K2000

«Tiens, pas loin de chez toi, y’a un type, il s’appelle

Tobias Demantke et il a inventé une voiture solaire

Advertisement

révolutionnaire, tu veux pas aller y jeter un œil ?». Rien que le nom du gars, ça m’a plu. On dirait le nom d’un détective privé dans un polar finlandais. Et puis, un inventeur, c’est chic.

Texte et photos Louisse Vayssié

Si mes calculs sont exacts, lorsque ce petit bolide atteindra 88 miles à l’heure, attends-toi à voir quelque chose qui décoiffe !

« Vous êtes de gauche ? »

Grande ogive noire dégingandée au look entre Mad Max, la Delorean de Retour vers le futur, Blade Runner, et Diabolo et Satanas, le bolide se trouve dans l’arrière-pays mâconnais, à Germolles-sur-Grosne très exactement. À défaut d’être détective, Tobias (sa mère était fan d’Heidi et lui a donné le prénom du père de la petite héroïne suisse) a plutôt un look de zadiste. Catogan et sourire avenant. « Dites, votre journal, il est de gauche ? Et vous, de gauche aussi ? ». Le ton est donné par le quarantenaire souriant. Faut dire, il se définit lui-même comme un « sale geek trotskiste ». En vrai, il est ingénieur mécanicien, dessinateur industriel, charpentier, militant de l’économie d’énergie, légèrement visionnaire et pour des raisons de santé, sans emploi pour le moment... Il a donc du temps, ce qui lui permet d’être aussi inventeur. Il a déjà conçu, entre autres, une maison en paille, une éolienne de 12 mètres en bois, des concentrateurs solaires pour récupération de chaleur… À l’époque, en 2012, il a converti une Citroën AX essence en voiture électrique avant même l’arrivée de la Zoé sur le marché. La rencontre avec une course de vélos solaires en 2014, le Sun Trip, qui relie la France à la Chine, pousse Tobias à fabriquer son propre vélo, mais il fait beaucoup de bruit et une erreur de conception le rend difficilement utilisable. Il vire les pédales et en

fait un véhicule solaire. « Ça faisait trop de bruit encore… trop violent, je ne pouvais pas le faire rouler. Alors je l’ai transformé en source d’énergie solaire », avec laquelle il alimente sa télévision et sa console de jeu. Rien ne se perd, tout se transforme ! Fournissant plus d’énergie qu’il n’en consomme puisqu’il n’a pas besoin d’être rechargé par le réseau électrique, le vélo solaire est devenu un véhicule immobile à énergie positive. On se rapproche de la voiture. Le vrai déclic, c’est quand, en 2018, Il se définit lui il découvre chez des amis l’existence d’un petit scooter électrique d’une même comme puissance de seulement 800 watts, soit la puissance d’un grille-pain un « sale geek de qualité, capable de porter deux trotskiste » personnes avec une accélération, une vitesse et une autonomie tout à fait acceptables. « Deux personnes pour 800 watts, c’est quatre personnes pour 1600, la consommation d’un fer à repasser ». Quatre personnes, une voiture. À partir de là, et en cogitant un peu, avec un moteur de 1600 watts et cinq panneaux solaires de 320 watts chacun posés sur le toit, on aurait un véhicule pouvant rouler toute une journée à 50 km/h. C’est peu mais c’est un début. Ça, c’est la théorie. Il faut maintenant passer à la pratique. Paye ton créneau Il faut commencer par acheter du matériel. Tobias se lance dans un crowdfounding local et demande à une petite trentaine de copains d’investir. 15 personnes répondent à l’appel, certains concernés

Jour de tonnerre.

par l’intérêt du projet, d’autres sans savoir. Confiance. Il récupère ainsi 5000 euros, et c’est tout ce que coûtera la fabrication de son prototype qui commence en avril 2021. « Hormis les sièges (deux à l’avant seulement, oublie la balade en famille avec les gamins, ndlr) que j’ai achetés d’occase, et quelques éléments de récup’, tout est neuf », précise notre inventeur. Un peu de bric et de broc, un peu spartiate et carrément rustique, le prototype voit le jour. Cadre en acier, structure en bois, parois en bâche noire et vitres en plexiglas. Comme un décor de théâtre. Sièges relativement fatigués d’AX, fourches et roues de scooter à l’avant, roues motrices de moto à l’arrière. Et du gaffer, beaucoup de gaffer... Et puis bien sûr, deux moteurs, des batteries, des fils, des boitiers, des interrupteurs, encore des fils et tout un tas de petit matériel électrique dont j’ignore à quoi il peut servir. Allo, Jamy ? On rajoute les cinq panneaux solaires, perchés à une quarantaine de centimètres au-dessus du toit et le tour est joué. Faute de trouver des moteurs de 1600 watts sur le marché, Tobias se rabattra sur des moteurs plus puissants, augmentant de fait la puissance du véhicule. Lors des essais en août 2021, que Tobias et quelques potes font en toute illégalité sur une portion d’autoroute en travaux, « le prototype roule à 70/80 km/h sur 100 km. Avec des batteries presque vides au début, c’est la seule énergie des panneaux solaires qui fait le job » annonce-t-il fièrement. Le prototype fini mesure cinq mètres de long sur quasi deux mètres de large pour 1m30 en hauteur, hors panneaux solaires et pèse environ 500kg. Plutôt léger. On est loin des dimensions d’une voiture lambda, certes. Paye ton créneau en ville ! Mais de toute manière, en ville il y a trop d’immeubles, trop d’ombre donc, pour que ça fonctionne... Parce que forcément il y a des inconvénients à cette voiture. Ou plutôt des contraintes. Le confort, par exemple. Pour ce prix là, on penche plus du coté du kart que de la berline. L’habitacle est brut de décoffrage, pas de garniture, pas d’airbag, pas d’allume-

cigare, pas de chauffage. Sur une voiture « normale », le chauffage, c’est la récupération de produit perdu. Le moteur perd 75% de son énergie en chaleur, donc on en profite. Sur la voiture solaire il faut fabriquer le chauffage en sus, ce qui pomperait beaucoup trop d’énergie au détriment de la puissance. Il y a la sécurité aussi. Les matériaux utilisés ne sont pas prévus pour une résistance aux chocs. Le prototype tient la route malgré la bonne prise au vent qu’offrent les panneaux solaires mais en cas de tempête, soyons honnêtes, ça peut être fatal. « C’est pas pour les Bretons ! » La vitesse. Peut-être le plus gros frein de cette invention. 80 km/h, c’est peu. Avec un modèle mieux conçu, on pourrait monter à Le véhicule ne 100. Mais au-delà... consomme plus, Une petite révolution il produit. Et il Malgré tout ça, l’invention pourrait partage. Il est là mener à une petite révolution dans la course à l’économie d’énergie, aussi l’interêt et par les temps qui courent, ça ne serait pas du luxe.du projet ! Parce que le but de Tobias, ce n’est pas tant de rouler avec ce véhicule que de faire comprendre aux autres que c’est possible de changer la donne. Pé-da-go-gie ! Dans ce cas précis et dans nos régions, les panneaux solaires peuvent produire un peu plus de 1000 heures par an. 1000 heures à 50 km/h, c’est 50000 km par an. Allez, 40000 en allant un peu plus vite. Et si on ne fait que 20000 km par an, on renvoie les 20000 restants dans le réseau électrique. Reliée au réseau, l’intelligence de bord ne charge pas les batteries avec la prise mais continue de les charger avec les panneaux solaires. Une fois les batteries pleines, l’intelligence de bord dérive l’énergie sur le réseau électrique, à la maison, mais aussi pourquoi pas au supermarché ou à la station essence. Tu t’arrêtes de rouler et tu te branches où que tu sois. Le véhicule ne consomme plus, il produit. Et il partage. Et il est là aussi l’interêt du projet. Les amis de Tobias chez qui le prototype est entreposé en sont d’ailleurs ravis, puisque, posé dans le jardin, il produit environ les deux tiers de leurs besoins

en électricité. Alors voilà, on y est. Il existe le véhicule à énergie positive, le VEP. Pour 5000 euros et le travail d’une seule personne. Une personne qui n’a d’ailleurs pas déposé le brevet de son invention. Il l’a plutôt rendue publique dans un salon, ce qui rend le modèle non brevetable. D’abord, Tobias le dit lui même : « Ce n’est pas vraiment une invention puisque tout le matériel utilisé existe déjà, il suffit de l’assembler dans le bon ordre ». Sans brevet, il peut être repris par n’importe qui, riche idée. Ça ne lui serait pas profitable financièrement que ce véhicule soit produit à grande échelle mais ce serait profitable à tous grâce à ses effets positifs sur l’environnement. Encore une fois, il n’est pas là pour faire de gros sous, mais bien pour prouver par A+B aux esprits sceptiques que si on veut, on peut. Alors imaginons que Peugeot s’y colle, à la fabrication en nombre d’une telle voiture. En restant sur un modèle sans fioritures, en contrant la course à l’ultra confort, en brimant les envies de standing, dans des proportions plus adaptées. Avec une brigade d’ingénieurs compétents, des matériaux appropriés, des normes de sécurité et toute la facilité que peut apporter une production en série. D’après Tobias, pour 3000 euros elle sort de l’usine flambant neuve. Et il ajoute qu’avec la batterie d’une Zoé de chez Renault, voiture référence au royaume des voitures électriques, on pourrait fabriquer les batteries de 10 VEP. Et la Zoé, elle, elle produit que dalle quand elle ne roule pas. Elle n’est pas dans le partage. « Le cheval, il bouffait de l’avoine, la locomotive, elle bouffait du charbon, la voiture à essence, elle bouffe de l’essence et la Zoé, elle pompe du nucléaire. Eh bien on peut changer tout ça ! » Mais personne ne semble prêt à investir dans la chaîne qui sortira le VEP version « pour tout le monde ». Pas assez rentable peut-être. Et puis c’est vrai, au-delà de la technique, c’est tout un fonctionnement qu’il faut remettre en cause. Celui d’une société empesée dans une course à la consommation, au tout-ultra-vite, à la performance. Changer les mentalités du tout au tout. Renverser la vapeur et réduire certaines ambitions. Rouler moins vite, moins longtemps et partager, pourquoi pas ? « En 30 ans, on est passé de véhicules qui roulaient à 90km/h à des bolides qui vont au delà des 300. On est passé de voitures de 900 kilos à des voitures de 1,8t. Là, il faudrait aller en sens inverse et beaucoup plus rapidement. » dénonce Tobias. Malheureusement, aujourd’hui, les personnes d’influence, les décisionnaires, en gros ceux qui ont le fric et le pouvoir, sont rarement des philanthropes, ni des écolos, ni des partageurs. Et c’est pas Carlos Ghosn qui va dire le contraire. « Votre appareil ne nous intéresse pas ! » répondent-ils à Tobias comme le faisait le Capitaine Haddock... Et ça, c’est sans compter les lobbies pétroliers, mais là on s’attaque à du lourd. « Il faudrait tout simplement que ce soit les lobbies de la voiture et du pétrole qui s’emparent de cette production. » Pas con. Eh ouais, « il y a une vraie révolution énergétique à mettre en place conclut-il, et c’est pas en investissant dans du nucléaire qui ne fonctionne pas qu’on va y arriver. » À bon entendeur... Alors, en attendant que le VEP devienne une partie de notre futur, Tobias a d’autres projets en tête et c’est tant mieux. Il a réfléchi à la construction de logements écolos dans sa région, il attend qu’on veuille bien lui donner le permis de construire. Et puis il veut s’investir dans les collectivités afin d’y amener les gens à réfléchir aux nouvelles manières de faire, parce qu’on a vraiment tous à y gagner. Et il est bien possible qu’il ait raison.

La soucoupe et le perroquet.

This article is from: