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BELFORT ET LES ALLEMANDS

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BELFORT LION COMME UN

Le Territoire de Belfort fête ses 100 ans. Pourquoi une ville de 40 000 habitants a-t-elle droit à son propre département ?

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Quand on s’approche de l’Allemagne, on passe par Belfort et, comment vous dire qu’elle sort du lot cette ville ? Ses maisons colorées, ses pierres roses qui la caractérisent, ainsi que son lion construit après le siège de 1871 lors de la guerre contre la Prusse. Belfort c’est pas que les Eurockéennes et Jean-Pierre Chevènement. Cette ville a sauvé l’honneur de la France en ne se rendant pas et en continuant de combattre l’ennemi. Et c’est en grande partie pour ça qu’elle a droit à son propre département. C’te chance !

Par Maïa Mignotte et Zoé Charrier

BELFORT À SES DÉBUTS

Belfort était dès ses débuts une ville avec une certaine importance. On y retrouve des vestiges romains la traversant, car c’était une ville de passage très empruntée à l’époque gauloise. C’est également un point par lequel les Français allaient en Prusse et inversement. Elle a donc toujours eu une utilité par son emplacement. Mais la première mention officielle de la ville de Belfort n’a eu lieu qu’au XIIIe siècle, lorsque son nom apparaît dans le traité de Grandvilliers. C’est une ville stratégique puisqu’elle est située à la frontière avec l’Allemagne et la Suisse, et donc défend le royaume de France de l’arrivée des envahisseurs.

En 1307, la ville passe sous domination autrichienne via un mariage entre aristos. Oui, Belfort, c’était autrichien durant un temps. La France récupère la ville avec le traité de Westphalie en 1636, à la fin de la guerre de 30 ans. Le destin de Belfort est lié à la guerre depuis, inlassablement.

BELFORT BASTON

En 1678, Belfort devient une place de guerre, la surface de la ville est doublée. Elle s’entoure d’enceintes bastionnées et se dote de casernes, comme ça elle est prête si jamais une nouvelle attaque arrive. Et elle fait bien, puisque la guerre éclate entre la France dirigée par Napoléon III et la Prusse dirigée par Otto von Bismarck en 1870. Comme d’habitude, la France se fait vite défoncer par le voisin teuton, qui arrive aux portes de la ville en novembre 1870. Le siège qui a rendu la ville célèbre va durer 103 jours. Encerclée par les Prussiens, la situation devient vite délicate, Belfort étant le dernier passage avant une invasion du centre de la France.

La ville gouvernée par Denfert-Rochereau ne compte que 15 000 hommes d’armes et est assiégée par 40 000 soldats prussiens. Mais malgré l’infériorité numérique, ils se battent avec force pour défendre leur ville et ne baissent pas les bras. Tous les hommes de la ville sont réquisitionnés et se battent alors que certains n’ont même jamais tenu d’arme dans leurs mains. Les soldats et les habitants s’entraident pour la nourriture et pour soigner les blessés. C’est d’ailleurs à cette époque que des ambulances, des soignants et des médecins commencent à être présents sur les champs de bataille. Pendant ce siège, en revanche, pas de pénurie d’alcool. Les Prussiens et les Belfortains s’échangent de l’alcool et de la bouffe avec des accords tacites. Les cantiniers Prussiens vendront même du schnapps aus Français. Denfert-Rochereau refuse de signer une reddition. L’armée française qui vient libérer la ville se fait cartonner... Ça sent pas bon...

En février 1871, La France demande à Belfort de baisser les armes. C’est perdu... Mais Belfort sauve l’honneur de la France, car elle capitule invaincue et évite l’humiliation d’une défaite. La Prusse récupère l’Alsace et la Moselle. Mais pas Belfort. Qui le mérite bien. L’Empire allemand est créé suite à cette victoire. « Venez, on a cabossé les Français, on n’a qu’à créer un grand pays pour fêter ça tant qu’on y est ! »

LE ROI DES ANIMAUX

Après cette gloire (gloire dans la défaite, c’est très français ça), la ville va être honorée d’un présent de 11m de haut et 22m de large : le Lion de Belfort, devenu emblème de la ville. Ce chef d’œuvre colossal a été créé par Auguste Bartholdi (oui, le mec qui a fait la Statue de la Liberté) pour remercier la ville de sa loyauté envers la patrie et cette résistance qui a permis à Belfort de rester une ville française. Pour l’anecdote, il n’a pas été officiellement inauguré lorsque Bartholdi était vivant, mais lors de son centenaire en 1981. Oups on avait oublié... Peu importe si vous êtes Belfortain ou juste un touriste, le Lion élu monument préféré des Français en 2020 ne laisse personne indifférent (c’est le classement de Stéphane Bern hein, ça vaut ce que ça vaut).

Comme d’habitude, la France se fait vite défoncer par le voisin teuton, qui arrive aux portes de la ville en novembre 1870.

SEUL TOUT

Avec sa position stratégique, le Territoire de Belfort devient un impressionnant camp retranché face à l’Allemagne voisine. Belfort se retrouve dans une position assez inédite. Autrefois rattachée au Haut-Rhin, elle est la seule ville d’Alsace à ne pas avoir été donnée aux Allemands. Avec les 105 petites communes qui l’entourent, la ville se retrouve sans aucun rattachement officiel. C’est sous la demande du conseil municipal de l’époque que l’idée d’en faire un département à lui tout seul est apparue. Pas question, pour le gouvernement français. En effet, la France espère récupérer l’Alsace-Moselle et réintégrer Belfort dans le giron du Haut-Rhin. Accepter de faire de Belfort un département à part entière serait avouer à demi-mot qu’on abandonne définitivement l’Alsace aux Allemands...

BELFORT (RE) ASSIÉGÉE

Tout est dans le flou et dans l’hésitation après ça, parce qu’à Belfort, bah, ils ne veulent pas trop trop se rattacher à leur ancien département, question d’estime. Comtois ou alsacien, c’est la question à 10 000 francs. En 1914, c’est la grande guerre... La France blinde la ville. 70 000 hommes de troupe rejoignent Belfort. 20 000 bouches inutiles sont virées, dont tous les étrangers d’ailleurs... En 1915, le bombardement aérien devient une arme redoutable avec la modernisation. La cité de Belfort devient la cible des bombardements allemands (environ 600 alertes de survol d’avions et bombardements aériens, sachant que les bombes faisaient bien 100 kg). Les Allemands installent carrément un canon de marine de 380 mm de calibre à Zillisheim, à 34 km de Belfort qui canarde la ville. C’est la fameuse « Grosse Bertha », ainsi que l’ont nommé les habitants. À la fin de la guerre, comme d’hab’, la ville n’est pas tombée. Trop fort Belfort ! La France récupère l’Alsace, mais décide de ne pas y rattacher Belfort. Alors on en fait quoi ? Parce qu’être solo depuis 1871, bah ça leur plaisait bien aux Belfortains.

9-0 MA GUEULE !

En 1921, l’Assemblée Nationale décide d’organiser un débat afin de déterminer si oui ou non Belfort et ses alentours doivent devenir un département. De nombreux arguments sont présentés, notamment le fait que la cité soit passée de 10 000 habitants en 1870 à 40 000 habitants en 1918 (avec un bel afflux d’Alsaciens qui ne voulaient pas devenir Allemands - la culture alsacienne va s’imprégner sur le territoire : architecture, gastronomie, dialecte. C’est comme ça qu’en 1938 se tient carrément le Congrès National des choucroutiers à Belfort, et ouais. Ce qui fait aussi dire aux gens de Montbéliard depuis que la première ville alsacienne, c’est Belfort...). Autres arguments : l’activité économique bouillonnante dans le coin grâce aux industries (entreprises Japy, Alstom…), la construction des chemins de fer, ça les rend bien plus indépendants. Mais c’est bien évidemment l’argument patriotique qui joue le rôle le plus important, parce que ouais, le Territoire mérite bien cette reconnaissance par la Nation, il n’a jamais été mis KO par les Allemands. Alors cette proposition se voit tout simplement adoptée par le Parlement. « Merci à toi Belfort, c’est cadeau ! ». C’est le 11 mars 1922 que le « Territoire de Belfort » devient le 90ème département de France (et se rattachera à la région Franche-Comté à la création des régions en 1956). Les Terrifortains en sont les habitants. Ils ont failli s’appeler les Savoureux (du nom de la rivière qui traverse la ville), les coquins… C’est donc pour ça que le numéro du département est le 90. Il ne suit pas l’ordre alphabétique car il n’a pas été créé en même temps que les autres (qui datent de la Révolution, je le rappelle).

Belfort sauve l’honneur de la France, car elle capitule invaincue et évite l’humiliation d’une défaite.

Merci à Jean-Christophe Tamborini, directeur adjoint des archives départementales du Territoire de Belfort. Pour toutes les festivités du centenaire jusqu’à la fin de l’année 2022 : centenaire90.fr

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