9 minute read

MADMIKE

Next Article
HOROSCOPE

HOROSCOPE

PAR MARTIAL RATEL, AVEC SOPHIE BRIGNOLI, MATHIEU ROUSSOTTE ILLUSTRATION : YAS MUNASINGHE PHOTO : MISTER B

Rencontre avec Mad Mike, leader d’Underground Resistance. Une légende de la techno. Un artiste et patron de label qui mêle depuis une quarantaine d’années recherche musicale et activisme social.

Advertisement

Mad Mike incarne presque à lui seul la techno made in Detroit, villeberceau de cette musique. Une techno froide influencée par les rythmes de la ville autant que par la musique de Kraftwerk. Un son parfois dur qui pourtant fait une place à un groove inspiré du P-Funk. Figure discrète mais influente depuis le début des années 1990, le patron du label Underground Resistance (UR) se fait aussi producteur, apparaissant aux crédits de quelques 300 morceaux. Les disques UR, sélectionnés, bichonnés par Mad Mike participèrent aux premières heures glorieuses des raves et des free parties. Sous le panache d’UR, des Jeff Mills, Robert Hood, Suburban Knight ou Mark Flash sortirent quelques hymnes techno à l’image de DJ Rolando, sous l’alias The Aztec Mystic, et l’imparable, hypnotique, entêtant The Jaguar, en 1999. Au-delà de la musique, c’est la communauté black de Detroit, une communauté de laissés-pour-compte dans une Motor City qui capote toujours, l’industrie automobile ayant perdu depuis 2008 plus de 400.000 emplois, se délestant avant tout des salariés les moins qualifiés - venant rejoindre ceux qui déjà étaient sans emploi-, qu’UR tente de donner une direction, une image positive à travers une musique électro reconnue internationalement. Fait extrêmement rare pour un homme avare de paroles médiatiques, à l’occasion d’un day-off, Mike, qui a des connexions à Dijon, a passé plus d’une heure en notre compagnie pour évoquer sa ville et sa musique, mais aussi son passé musical comme guitariste dans les années 1980 et son apprentissage du travail en studio aux côtés de George Clinton.

Comment ça va Underground Resistance ?

Actuellement, on entraîne encore et toujours de nouveaux gars. Ça me fait plaisir que les gens soient toujours intéressés par ce que l’on fait. C’est d’ailleurs étrange comme la techno est arrivée à Detroit parce que personne ne connaissait ça et pourtant certains ont réalisé quelques-uns des meilleurs disques... Maintenant c’est différent, plein de gens arrivent et veulent être le «meilleur DJ», le DJ jetset qui va tourner dans le monde entier. Avant, le DJ voulait juste enregistrer un disque et le sortir. Aujourd’hui, le but c’est devenir une star et tourner dans le monde entier. C’est assez difficile de trouver des gens vrais, qui ne sont pas influencés par la techno du reste du monde et qui veulent sortir un titre brut, de leur cave. La vraie musique de Detroit, c’est : pas d’influence du reste du monde. C’est ça qu’on cherche. On arrive à en trouver des gars comme ça, même si c’est dur.

Ça fait quoi d’être Mad Mike, cette figure mondiale de la techno ?

Oh, tu sais, ca n’a rien de génial. Ça m’a surtout permis de créer des connexions à droite et à gauche avec des vrais mecs qui aiment comme nous la musique et nous soutiennent vraiment comme Dimitri Hegemann du club berlinois Tresor. Je l’avais aidé il y a 25 ans et lui nous a renvoyé l’ascenseur quand on a eu besoin. Mais il y a une grande ironie à être «Mad Mike». Il y a deux jours, je tuais un rat chez moi et là, je fais une interview. L’avion est un instrument cruel du changement (rires). Il faut faire attention, parce que tu peux vraiment déprimer à cause de ça, j’en connais à qui c’est arrivé. Tu vois tellement de choses bien en Europe (transports en commun, services publics) et... tu rentres à Detroit. C’est un retour en arrière. Donc quand je viens en Europe, je joue et je me dépêche de rentrer. Même si cette ville n’est pas parfaite, j’ai besoin de Detroit pour travailler. Si les morceaux ne sont pas parfaits, d’un point de vue esthétique ou propreté, c’est qu’ils sont à l’image de la ville.

Avant de devenir Mad Mike et de fonder UR, tu étais musicien dans un groupe

qui tournait avec Parliament ? Oui, le groupe s’appelait Cherry Boom et on a aussi tourné avec Funkadelic. Des fois, aux concerts, les mecs de Funkadelic ne venaient pas alors on devait les remplacer (rires) J’ai beaucoup travaillé en studio avec George Clinton, il me donnait des conseils sur le son. Il ne faut pas croire que George Clinton est un juste un type fantasque sous ses airs de rigolo, c’est un vrai Monsieur avec qui j’ai appris énormément de choses dans la maîtrise du son, du studio, il m’a donné mes premières leçons. C’est un monstre en studio. Il sait exactement ce qu’il veut faire. Lui et son ingé son sont responsables des boucles avec des bandes magnétiques ! Ces boucles, ça a révolutionné l’industrie du hip-hop et toute la musique actuelle. Tous les producteurs savent de quoi je parle. Quand tu fais une boucle, tu utilises une invention de Detroit ! George a créé beaucoup de hits grâce à cette technique. Ça permettait de donner une profondeur, un son énorme! Il dupliquait la section rythmique de 2 à 20 pistes ! Il nous disait aussi comment il voyait l’industrie de la musique : fais ton propre truc et si tu dois intégrer l’industrie, dépenses un max d’argent en studio, comme ça ils seront obligés de transformer ton morceau en hit !

Undergroud Resistance, vous avez souvent associé musique et politique. Sur le disque UR 88, Dookie Machine/ Dangerous, vous évoquez une crise de l’eau. De 2014 à 2016, il y a eu une énorme contamination au plomb à Flint, une ville à côté de Detroit.

Sur la pochette, on donne une solution pour le traitement de l’eau. Une dépollution pour un coût réduit mais cette solution n’a jamais été acceptée par les autorités. L’eau ressemble tout simplement à du caca, de la rouille. Ce disque a été produit par Marc Taylor. Ensemble on a décidé que ce serait le sujet de ce projet et grâce à ce disque on aimerait porter ce problème au niveau international.

Sur le disque précédent, UR 87, il y a un titre Moment In Marseille. Il s’est

passé quoi à Marseille ? Ho ! C’était il y a longtemps, une des premières dates de Timeline hors de Detroit était à Marseille. On avait fait une interview radio. En tant que producteur, j’écoute plein de choses, comme du hip-hop, je rencontre des gars et il m’arrive de dire « combien de temps tu vas encore jouer des trucs comme John Coltrane ? Ça a 50 ans, c’est pas ça l’avenir. » Par contre soyons clair : j’ai toujours été un gros fan de Stanley Clarke, Chick Corea ou Jean-Luc Ponty, tous ces mecs qui expérimentaient et qui avaient un vrai

« Underground Resistance est le label d’un mouvement. Un mouvement qui veut le changement par la révolution sonore. Nous vous exhortons à rejoindre la Résistance et à nous aider à combattre la médiocrité des programmations sonores et visuelles destinées aux habitants de la Terre. Ces programmations entretiennent la stagnation des esprits, édifient un mur entre les races et s’opposent à la paix mondiale. C’est ce mur que nous allons détruire »

« La techno a permis à des personnes de toutes nationalités de partager du plaisir ensemble sous un même toit simplement par le son »

- extrait du manifeste d’UR

Dédicace signée par Mike dans les bureaux de Radio Dijon Campus.

sens du jeu. Ils poussaient les barrières du jazz ! Ils n’étaient pas considérés dans le milieu mais nous, qu’est-ce qu’ils nous ont influencés ! Là, ces gars à la radio ont compris, écouté... Ils ont compris que la musique électronique allait devenir le nouveau jazz ! J’ai su à ce moment à Marseille, dans la discussion, que nous aussi on allait complètement laisser tomber le côté jazz traditionnel qui restait dans notre musique pour vraiment développer notre techno. C’était une vraie épiphanie.

On compare souvent UR à Public Enemy. Qu’est-ce que tu as pensé du retour sur le devant de la scène de Chuck D, le leader de Public Enemy, dans le projet musical anti-Trump, Prophets Of Rage ?

J’adore tout ce que fait ce gars ! Les gens se demandent si ça vaut encore le coup de se battre, de résister, Fight The Power, comme le chantait Chuck D... Tout ce que je dis, c’est qu’à Detroit, une ville ravagée par le crime et la drogue, les radios, au lieu de choisir des programmes adaptés, poussent en Top 1.

le titre I’m In Love With The Coco. Estce que c’est le message que l’on veut véhiculer, après 40 ans de lutte ? Il n’y a pas de Carl Craig, pas de Flying Lotus pas de Prophets Of Rage sur les grosses radios ! C’est un enjeu d’éducation ! Ça crée des stéréotypes et ça détruit des potentiels. Les radios indés et les Prophets luttent contre ces radios qui stigmatisent les musiques : ça c’est pour les blacks, ça pour les latinos, etc. On ne peut pas se battre contre les grosses radios mais ne t’inquiète pas, la technologie va nous permettre de gagner contre ces dinosaures. Les communautés pourront écouter ce qui est bien pour elles. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour nous dans les années 1980 grâce aux DJ-radio Alan Oldham ou Electrifying Mojo, ils envoyaient un vrai message positif, de l’espoir pour la communauté. Ils nous apportaient des artistes comme B-52’s, Prince ou David Bowie. La musique, la radio était libre. Le marché était pourri. Personne ne s’intéressait à Detroit. Personne n’avait d’argent pour acheter quoi que ce soit, alors les DJ passaient ce qu’ils voulaient, ce qu’ils pensaient être bien pour la communauté, c’était très bien. Clairement, c’est la radio qui a créé la techno à Detroit. C’est aussi puissant que ça. Il n’y avait pas de génies parmi nous, il y avait juste des mecs extrêmement talentueux comme Jeff Mills ou Carl Craig ou Robert Hood. L’éducation culturelle, c’est ça. Pas besoin d’aller au lycée, c’est ce qui t’arrive dans les oreilles. Il faut toujours imaginer quelque chose de différent et de meilleur. Penser le futur, c’est penser ce qui est porteur d’espoir.

Avec quel artiste du label, ça a été le plus

difficile de travailler ? Bonne question. (silence) Jeff (Mills) et Rob (Hood), certainement, à cause de l’intensité, DJ Skurge aussi. Rob et Skurge au même niveau. Ils sont tellement critiques par rapport à eux-même. Ils veulent la perfection. Tout le temps. C’est difficile de travailler avec eux. Des fois, c’est sur l’artwork que c’est compliqué. Mais c’est aussi difficile de travailler avec moi. UR, c’est un camp d’entraînement. Le boss ici, c’est moi, je suis parfois obligé de dire : « Si tu mets trop de temps à finir ton morceau, hop, je le passe à la poubelle ! Quelle décision tu prends ? » (rires) Ça peut faire partir les artistes que je leur parle comme à des enfants. Mais ce n’est pas grave, ils grandissent dans UR et ils volent de leurs propres ailes ailleurs. Tout ce qu’on demande, c’est qu’ils ramènent quelque chose à UR après. Et je peux dire que Robert Hood et Jeff Mills ont ramené beaucoup pour UR. Quand il n’y a plus d’argent dans les caisses, quand on va te couper le courant... Ces potes sont là, sans oublier Carl Craig ou Kenny Dixon. // M.R.

This article is from: