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T’AS PRIS TA PILULE ?

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HOROSCOPE

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NE PAS AVALER

Comment la pilule, symbole de la libération des femmes dans les années 70 et moyen de contraception vedette pendant de nombreuses décennies est-elle devenue aujourd’hui un objet de défiance pour certaines femmes ? Éléments de réponse à travers les témoignages d’utilisatrices et de professionnelles de santé de la région.

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« La pilule je l’ai prise pendant 16 ans sans interruption et sans me poser de question. Et puis un jour, parce que j’étais fumeuse et célibataire, j’ai décidé d’arrêter pour voir... Le changement a été brutal mais salvateur, et malgré le retour de l’acné, des cheveux plus gras et des cycles déréglés à 30 ans passés, cette décision m’a permis de reconnecter mon corps et ma tête, de les faire dialoguer à nouveau. Comme si j’étais enfermée depuis tout ce temps dans une sorte de prison hormonale. Comme lorsqu’on arrête la cigarette. On retrouve une certaine forme de lucidité, de simplicité aussi. » A 33 ans, Diane*, installée à Dijon, semble avoir retrouvé une certaine sérénité en mettant un terme à des années de contraception hormonale. Selon une étude de l’agence nationale de santé publique publiée en 2017, elles seraient un million et demi de françaises à avoir arrêté la pilule au profit d’autres méthodes ces six dernières années.

Cinquante ans plus tôt, le 19 décembre 1967, la loi Lucien Neuwirth autorisait la fabrication et l’importation de contraceptifs en France. Utilisée par 5% des femmes dès 1968, la pilule hormonale s’est imposée comme le premier moyen de contraception des françaises grimpant jusqu’à 57% en 2000. Pourtant, elle connaît, depuis 15 ans, une certaine désaffection qui s’est accélérée depuis le scandale des pilule de 3ème et 4ème génération en 2012. Sur les blogs féminins, en guise de statut sur les réseaux sociaux et dans les cabinets de leurs médecins, certaines femmes remettent en cause ce moyen de contraception au point de le délaisser au profit d’autres méthodes alternatives. Jugée à la fois trop contraignante, trop dosée en hormones, mais aussi, bien souvent, loin de leurs parcours de vie et de leurs préoccupations, la pilule ne fait plus l’unanimité.

Selon une étude de l’agence nationale de santé publique publiée en 2017, elles seraient un million et demi de françaises à avoir arrêté la pilule au profit d’autres méthodes ces six dernières années.

Le rapport bénéfice/risque. À la tête de la PMI d’Auxerre depuis 11 ans, le docteur Eva Saute-Guillaume est aussi directrice de la Protection Maternelle Infantile de l’Yonne, regroupant 8 centres sur le département. Au contact quotidien d’adolescentes en pleine découverte de leur sexualité, la prescription de la pilule est, pour elle, une évidence : « La contraception orale est efficace, le rapport bénéfice- risque est bon et les contre-indications chez les jeunes sont très rares. C’est aussi beaucoup plus facile que la pose d’un implant ou d’un stérilet ». Longtemps réservé aux femmes ayant déjà eu des enfants, le recours au dispositif intra-utérin (DIU) est depuis 2004 pourtant recommandé par la Haute autorité de santé aussi chez les nullipares, les femmes n’ayant pas encore eu d’enfant. Reste que son utilisation, qui augmente doucement depuis 10 ans, est encore très limitée. Virginie, jeune généraliste trentenaire travaillant en campagne dans le 71, l’explique ainsi : «les pratiques évoluent doucement et les généralistes se réapproprient petit à petit cet acte de poser un DIU. Dans le milieu rural il y a une vraie demande pour d’autres contraceptifs, souvent motivée par une remise en cause des hormones en tout cas sur nos générations et les plus jeunes, assez peu chez les femmes plus âgées. » Mais alors comment, dans la formation des futurs médecin est abordé le chapitre contraception ? « J’ai eu un stage de gynéco-pédiatrie de 6 mois, entre consultation en pédiatrie et planification mais je n’ai reçu aucune formation aux gestes techniques. J’ai posé deux DIU dans ma vie et j’ai dû regarder sur internet comment faire. Pareil pour les implants, je me suis formée sur le tas ». Peu familiers des techniques de pose de ces moyens de contraception alternatifs (stérilet cuivre non hormonal) ou nouveaux (implant), la plupart des médecins restent très frileuse quant à leur pose : « ça implique moins la responsabilité du médecin de donner la pilule que de poser un stérilet, s’il y a un problème au niveau du geste technique. Ensuite, notre formation reste très théorique, on est encore formé par les vieilles générations qui restent très ‘pilule-centrée’, mais aussi très centrées sur la sexualité masculine ».

Derrière l’administration de la pilule, l’épouvantail

IVG. La médecin le reconnaît d’ailleurs aussi volontiers. Difficile de parler de tout – de surcroît de contraception – quand une patiente vient consulter pour une angine... Lorsqu’on évoque avec elle les effets potentiellement indésirables de la pilule (saute d’humeur, prise de poids, migraine, la pollution...), elle rappelle que : « pour chaque médicament, la liste des effets secondaires potentiels est longue comme le bras, on ne peut pas tout aborder. Nous

nous intéressons d’abord au caractère pathologique ; la pilule vient prévenir avant tout un élément indésirable qu’est la grossesse non désirée. » Ce lien entre IVG et contraception a été soulevé par toutes les praticiennes que nous avons rencontrées pour ce sujet. Pour Myriam Borel, sociologue et autre trentenaire, actuellement en pleine rédaction d’une thèse sur un sujet voisin : « l’IVG est toujours pensé comme un échec de la contraception par les professionnels de santé, alors que d’une part, le nombre d’interruptions est stable depuis des décennies en France et que d’autre part, les moyens de contraceptions se développent ». La corrélation entre les deux ne serait donc pas si évidente, bien que la contraception reste envisagée par la plupart des médecins comme le moyen le plus efficace pour éviter d’avoir recours à cette procédure, expliquant en partie, l’administration quasi-automatique de la pilule.

Prends la pilule et tais-toi. « À 16 ans, ma mère m’a envoyée en consultation. Je n’allais d’ailleurs pas chercher un moyen de contraception, j’allais chercher directement la pilule. On m’en a donné une de 3ème génération, sans me proposer autre chose, on ne m’a rien dit » explique Virginie. Même chose du côté de Barbora, interne de 27 ans d’origine tchèque et installée en France depuis 2013 : « on se posait pas trop la question non plus, la pilule c’était le plus sûr, le plus facile et tout le monde le faisait. Et puis c’était un peu la solution à tout : les règles douloureuses, l’acné, l’endométriose... » Sous pilule dès l’âge de 17 ans, Barbora décide de l’arrêter à 21 ans suite à sa séparation avec son copain de l’époque, elle ne l’a jamais reprise depuis. « L’arrêt de la pilule m’a bouleversé, je me souviens d’avoir retrouvé l’énergie que j’avais eu à 15/16 ans, comme si je m’étais réveillée, physiquement et psychiquement. Sous pilule, j’étais tout le temps pareille, comme aplatie émotionnellement. » En quête de bien-être et recherchant des méthodes plus naturelles, les témoignages de femmes ayant arrêté la pilule au profit d’autres méthodes abondent sur la toile. Hausse de la libido, reconnexion avec leur cycle et de façon plus globale leur féminité, pour certaines femmes cet arrêt est vécu comme une libération, une véritable prise de conscience aussi. Ce phénomène naissant dont les femmes parlent en consultation à leur médecin mais aussi sur le net met en lumière de nouvelles pratiques, autrefois défendues au sein des plannings familiaux. « En Bourgogne, il ne reste plus qu’un seul Planning Familial à Chalon-sur-Saône alors que d’autres antennes de cette association féministe militante sont très actives et mieux soutenues par les politiques en France. Par opposition, on trouve de nombreux centres de planification (PMI) dans notre région, qui, eux, de fait, sont institutionnalisés et portent un discours plus volontiers médical, et donc raccord avec la vision qu’ont les professionnels de santé de la contraception et de l’IVG. Leurs équipes sont constituées en partie de médecins, ce qui n’est pas le cas au Planning où l’on trouve une conseillère conjugale et familiale et des bénévoles. Il y a une vraie polarité entre les deux structures notamment au niveau

«À 16 ans, ma mère m’a envoyée en consultation. Je n’allais pas chercher un moyen de contraception, j’allais chercher directement la pilule.»

Virginie, médecin

de l’indépendance statutaire, la liberté de pouvoir parler féminisme et la posture éducation populaire qui prône une autre approche dans les interventions auprès des jeunes favorisant l’expression libre » précise Myriam. Les femmes se font donc directement le relai de ces alternatives, se réappropriant par la même occasion cette question cruciale du choix de leur contraception et plus largement de leur sexualité.

De nouveaux professionnels de santé font bouger

les lignes. Les nouvelles générations de médecins qui s’installent sont aussi plus à l’écoute des besoins et des aspirations de leurs patientes. « Avec le déficit de gynécologue-obstétricien en campagne, nous sommes amenés à pratiquer de plus en plus d’actes gynécologiques. Cela s’explique aussi par le fait que nous sommes plus accessibles financièrement mais aussi au niveau du délai de prise en charge. Ces nouvelles demandes nous force à actualiser nos connaissances en matière d’évolution des moyens de contraception » s’enthousiasme Virginie. Quant à Barbora, la future généraliste, elle compte bien proposer à ses patientes différents moyens de contraception et pas uniquement la pilule : « Les gens veulent être heureux et c’est aussi vrai pour les femmes qui souhaitent désormais vivre pleinement leur féminité. Si une jeune fille me demande un jour la pilule, je respecterai son choix mais je prendrai également soin de lui proposer des alternatives ». L’existence de cercles de discussion de femmes notamment à Dijon va également en ce sens. Le partage d’information entre elles étant la première étape vers une meilleure connaissance des moyens de contraception disponibles, leur permettant ensuite de faire un choix en toute conscience. Car l’hégémonie de la pilule vient aussi du tabou que représente la sexualité féminine dans son ensemble. Il a fallu attendre la rentrée des classes de septembre 2017, pour que les collégiens découvrent pour la première fois dans les manuels de biologie la représentation réelle du clitoris, qui n’est plus juste un point sans nom, mais, bel et bien, un organe entourant le vagin et dédié au plaisir.

Bien évidemment, cette question de la contraception féminine reste toujours éminemment politique, 50 ans après sa légalisation. On pourrait aussi s’interroger sur le nonremboursement du préservatif, 2ème moyen de contraception derrière la pilule chez les 15-17 ans, permettant de se prémunir des maladies sexuellement transmissibles et du risque de grossesse non-désirée. Ou aussi se demander pourquoi, les moyens de contraceptions masculins sont si peu développés en France, alors que dans d’autres pays comme le Mexique et la Chine la vasectomie est pratiquée sur respectivement 49 % et 34 % des hommes. Elle concerne 15 à 20 % des hommes au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Autorisée en France depuis 2001, la stérilisation contraceptive ne peut intervenir qu’après un délai de réflexion de quatre mois. Alors que la procédure de stérilisation en elle-même dure environ 15 minutes, et nécessite seulement une anesthésie locale. En France, ils sont près d’un millier à avoir fait ce choix ! C’est dire le poids des vestiges d’une longue politique nataliste française. // S.B.

L’hégémonie de la pilule vient aussi du tabou que représente encore la sexualité féminine. Il a fallu attendre 2017, pour que les collégiens découvrent pour la première fois dans les manuels de biologie la représentation réelle du clitoris, qui n’est plus juste un point sans nom.

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