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PLANNING FAMILIAL

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HOROSCOPE

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Il faut sauver le planning familial

À Chalon-sur-Saône, le mouvement militant est le dernier des mohicans de Bourgogne–Franche–Comté.

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Par Erika Lamy, à Dijon Photos : Thomas Lamy

Des locaux cosy avec musique douce et canapés confortables, une table basse, une bibliothèque. Vous vous croiriez dans un salon de thé tendance avec déco insolite, mais des détails interpellent. Un boa violet accroché à une plante verte, des vagins en crochet, un bac à jouets avec pénis en latex et capotes. Sur les murs, des affiches rétro du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, sur le miroir une galerie de portraits avec Mona Clito, Draclito, Clitopunk et l’incontournable clito freudien. Pas de doute, vous êtes dans un repère de militant.es de l’éducation sexuelle. Des qui s’assument et qui appellent un chat une chatte. Ça sent la conviction et la dérision. Vous voici propulsés dans l’ultime planning familial de Bourgogne-Franche-Comté, le dernier bastion des irréductibles gaulois.es.

Une bite. Une bibliothèque.

Il est complètement art contemporain ce clito.

I

l y a eu la pilule, l’avortement, l’éducation à la sexualité à portée de tous et de toutes. Des acquis durement gagnés par des générations de militants convaincus, dont les fondateurs du planning familial. Seulement voilà, le sexe n’est plus ce qu’il était. Sujet accessible à tous ? Pas tout à fait. Sujet tabou ? Peut-être, encore. Une approche plus médicalisée que militante ? Certainement. Devenue un droit voire une obligation soi-disant intégrée à la scolarité, l’éducation à la sexualité s’est « standardisée ». L’information a remplacé les convictions.

Les plannings familiaux s’accrochent à leur pré carré. Ils se battent pour continuer de vivre. Exemple : le planning familial de Chalonsur-Saône, dernier bastion des plannings de Bourgogne-Franche-Comté. Le dernier de la région. Avant, les structures maillaient le territoire. Mais ça, c’était avant. À la fermeture du planning du Creusot en 1985, l’association de Chalon-surSaône se retrouve seule sur le département, puis seule sur la région. La région élargie n’a pas suffi. De Bourgogne à Bourgogne-Franche-Comté, la situation ne s’est pas améliorée. Les chalonnaises seules sont restées. Le planning familial de Chalon se conjugue au féminin. Deux salariées et un conseil d’administration de 10 personnes, quasi exclusivement des femmes. Leur local, avec ses affiches et ses œuvres d’art clitoresques, annonce d’entrée la couleur. Ici, pas de tabou. Ça se revendique et ça s’affiche, sans pour autant chercher à choquer. Démarche militante il y a, dans le respect de l’autre et de ses convictions. Les gonz’ du planning accueillent, écoutent, guident. Elles sont là pour le public, quel qu’il soit. Elles sont là, mais elles galèrent. Les subventions baissent, les dossiers s’accumulent, les soucis financiers explosent. Elles nous ont interpellés et nous les avons rencontrées. Emilie Stolarek, Claire Leglise, Aurélie Dallerey. Trois militantes – salariées, salariées – militantes, militantes – bénévoles (l’ordre varie selon les intéressées). Nous avons échangé sur leur quotidien pas si simple, leurs actions, leur structure et les origines du mouvement. Des origines indispensables pour comprendre les enjeux actuels. Alors, retour en arrière avec une pointe de pédagogie.

« Il ne s’agit pas seulement de sauver le planning de Chalon mais de poser des questions de fond. Comment aujourd’hui traîter de sexualité de façon militante en Bourgogne-Franche-Comté ? »

Emilie, du planning familial de Chalon-sur-Saône

Au commencement étaient… les mouvements de lutte des années 50 décidés à faire changer la loi interdisant l’avortement et l’utilisation de toute contraception. L’un de ces mouvements devient en 1960 le mouvement français pour le planning familial (MFPF), dit planning familial. Un mouvement féministe d’éducation populaire, œuvrant contre les inégalités sociales et pour l’égalité hommes – femmes. En 1967, la contraception est légalisée, en 1975 l’avortement autorisé. L’association ne s’arrête pas à cette victoire et ouvre des lieux d’information sur la planification. En parallèle, l’État met en place des centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) que l’on confond aujourd’hui très souvent avec le planning familial. Les deux structures offrent des fonctions proches mais le premier apparaît médicalisé et institutionnalisé tandis que le second se veut associatif et… militant. Schématiquement, dans l’un vous irez récupérer une ordonnance de pilule, dans l’autre vous pourrez parler de votre sexualité. « On ne se fait pas de concurrence sur les services », précise Emilie, la militante-salariée. Coordinatrice et conseillère conjugale, elle exerce au planning familial depuis plus de 10 ans. «Nous, on souhaite que notre démarche soit partagée par le plus de structures possibles. La différence, c’est que l’on a une structure mise en place par l’État et une autre militante, ça change beaucoup de choses. Si on accueille un trans en pleine réflexion, il faut pouvoir l’écouter sans le juger. Il n’y a pas que du médical là-dedans, il y a de l’écoute et de l’humain ». Le planning familial n’est pas seulement là pour informer. Les « conseillères » n’en sont justement pas. Elles ne se posent pas en sachantes, mais livrent des clés pour accompagner l’autre dans sa réflexion personnelle, afin qu’il fasse ses propres choix, sans influence. « La personne doit pouvoir décider par elle-même, sans se situer par rapport aux autres, que ce soit sa famille, son entourage ou même les professionnels de santé. On accompagne l’autre dans son chemin. Nous sommes des miroirs », dit Emilie. Il faut donc des organismes complémentaires, comme le sont les centres de planification et les planning familiaux. Ils ne répondent pas au même besoin. Créer des centres de planification c’est bien, soutenir également les planning familiaux, c’est mieux. Quelles sont d’ailleurs concrètement les actions du planning familial ? D’abord l’écoute, le conseil et l’éducation à la sexualité. Comme nous l’explique Aurélie, militante bénévole et membre du conseil d’administration : « C’est sans rendez-vous. Nous sommes là, disponibles, à l’écoute des demandes. Nous pouvons aiguiller, conseiller ou simplement écouter. Nous avons toutes sortes de demandes: des questions sur la contraception, des avortements trop tardifs, des problèmes de religion ou juste des mecs qui ont besoin de parler ». Les raisons de pousser la porte du planning sont bien plus nombreuses qu’on pourrait l’imaginer : une aide dans le choix de sa contraception, un accompagnement « technique» et moral dans une interruption volontaire de grossesse (IVG), mais aussi une écoute sur sa sexualité, des conflits familiaux pour des raisons culturelles ou religieuses, un questionnement sur son orientation sexuelle ou même son genre. Le planning ne reçoit pas seulement des jeunes filles d’une vingtaine d’années mais des femmes, des hommes, des couples, des publics très variés. Tous bénéficient de la même attention. « Nous ne recevons pas derrière un bureau, on s’assoit sur des canapés, face à face, d’égal à égal », précise Emilie. Hors des permanences, l’association a mis en place un numéro vert avec des structures partenaires. Au bout du fil, une vraie personne avec une vraie voix. Pas besoin de taper 1 ou 2 pour revenir, dépité, au menu principal. Vous parlez avec un humain, de surcroît qualifié. L’équipe intervient aussi dans les écoles, d’où les gadgets façon sextoys exposés sur la table basse. L’éducation à la sexualité fait partie du programme scolaire et les écoles peuvent choisir leurs intervenants : l’infirmière scolaire, un enseignant ou un organisme extérieur comme le planning dont les interventions sont payantes. Faute de moyens, les établissements font souvent appel à du personnel en interne. Le planning intervient essentiellement sur Chalon auprès d’adolescents. Parler sexualité avec des ados, de quoi leur tirer le chapeau. On imagine déjà les rires étouffés et les blagues graveleuses, mais au fond est-ce si gênant? Dans l’équipe, c’est Claire qui est en charge de la partie administrative et des interventions extérieures. Notons au passage qu’elle se définit comme salariée – militante et non militante – salariée.

« Moi, c’est arrivé dans l’autre sens. Quand j’ai été recrutée, j’étais convaincue, mais pas militante. C’est après que je le suis devenue ». Concernant les interventions, elle précise : « Nous ne sommes ni des enseignants ni des médecins scolaires. Ce que l’on veut, c’est partir des questions des jeunes. Il faut libérer la parole. Pas de censure. Les gamins peuvent parler de bite, couilles, même d’enculés si ça fait avancer. On s’adapte à ce qui se dit. On a notre boîte d’accessoires avec Popol le pénis et Rosine le vagin et on les sort ou pas. Ça dépend des remarques des gamins. La séance se construit dans l’instant ». Pas de cours, d’interro, juste un dialogue. Audelà d’éducation et de prévention, il s’agit aussi d’amener les jeunes vers une sexualité épanouie, leur sexualité. Un sujet fondamental mais délicat qu’il faut savoir manier. « On part du corps, pas d’expérience personnelle », dit Emilie. « Il faut avoir la posture juste et être formée, ça ne s’improvise pas ».

Le contact avec le terrain, que ce soit lors des permanences ou en intervention, fait naturellement du planning familial. Un excellent relai d’information. « Ce que l’on entend dans la salle, on le fait remonter. Ça nous permet d’alerter les autorités compétentes». Exemple, l’avortement. « Aujourd’hui, il y a de plus en plus de contraintes matérielles pour se faire avorter. La santé prend cher et la santé sexuelle encore plus. C’est encore considéré comme du confort, c’est pas vital », assure Emilie. Fermeture des lits, clause de conscience exercée par les médecins, obligent les femmes à se déplacer de plus en plus loin, ce qui fragilise les femmes en situation de précarité. En alertant sur ces sujets, le planning joue un véritable rôle politique et fait bouger les lignes. « Seulement, à Chalon, on manque de visibilité. Nous sommes trop isolés. Quand tu es nombreux, tu es présent et on a du mal à te faire taire. Quand tu es seul à Chalon, c’est plus difficile ». Nous arrivons là à l’enjeu majeur de notre planning chalonnais. La petite structure voudrait essaimer dans la région, tisser des liens. Ne plus être seule pour avoir une plus grande force de frappe. «On aimerait retrouver un maillage des Plannings Familiaux dans toute la région et investir des villes étudiantes comme Dijon ou Besançon», précise Aurélie. « Seulement, localement on bataille juste pour exister ». Les actions sur le terrain demandent du temps. Le temps, c’est de l’argent et l’argent ne coule plus. Les subventions s’étiolent. Il faut faire de nouvelles demandes de subvention, ce qui prend du temps et le temps c’est de l’argent... Sans caricaturer, l’équipe a parfois l’impression de passer plus de temps sur les recherches de financements que sur les projets eux-mêmes. Elle cherche donc des alliés. Bénévoles, institutions et associations partenaires, élus, appuis politiques et financiers. « Il ne s’agit pas seulement de sauver le planning de Chalon mais de poser des questions de fond. Comment aujourd’hui traîter de sexualité de façon militante en BourgogneFranche- Comté? », questionne Emilie. Si le planning familial de Chalon met la clé sous la porte, les jeunes trouveront toujours un conseil en contraception ou une ordonnance de pilule, mais où seront-ils écoutés, sans rendez-vous et sans jugement ? Où pourrons-nous parler sexualité et épanouissement? Si le planning de Chalon disparaît, c’est un lieu indépendant et laïc d’écoute et de tolérance qui disparaît. S’il se renforce, il ramènera sur le devant de la scène des valeurs fondamentales que notre époque aurait tendance à oublier. Les acquis ne le sont pas forcément définitivement. Il convient de rester vigilant. Les Chalonnaises poursuivent leurs actions, avec leurs valeurs comme moteur. Le local cosy, la boîte à accessoires, Popol et Rosine en guest star. Elles avancent, garantes de libertés acquises et à venir. // E.L.

Numéro vert : 0800 08 11 11, du lundi au samedi de 9h à 20h. Service et appel anonymes et gratuits.

« Aujourd’hui, il y a de plus en plus de contraintes matérielles pour se faire avorter. La santé prend cher et la santé sexuelle encore plus. C’est encore

considéré comme du confort. » Emilie, du planning

familial de Chalon-sur-Saône

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