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MOI, PHILIPPE, DRUIDE

POUILLY-FUISSIX

MOI, PHILIPPE, DRUIDE.

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Pas besoin de partir en Bretagne pour rencontrer un druide. Il y a 30 ans, Philippe Greffet, viticulteur à Fuissé dans le Mâconnais, est tombé dans le druidisme, cette voie spirituelle issue de la civilisation celte. Au menu : des gens torse-nu, une harmonie avec la nature et de la magie. Il raconte tout.

Par Florentine Colliat, Julian Marras, Édouard Roussel et Emma Lahalle Photos : Édourard Roussel et Christophe Charles

Comment êtes-vous arrivé dans le druidisme ?

Au Carrefour de Crêches-sur-Saône. En fait, je cherchais une tradition depuis un moment. Alors au tout début, comme je faisais des arts martiaux, je m’étais tourné vers le bouddhisme. Et je trouvais ça super bien sauf que ce n’était pas à mon goût. Au moment où je me suis dit que je ne croirais plus en rien, paf, je tombe sur un livre. Je passe devant la bibliothèque de Carrefour et je ne sais pas pourquoi une petite voix me dit de tourner la tête, je vois ce livre, La Force des Celtes. Je le prends, je le tourne, je lis le résumé et là je me dis que j’ai enfin trouvé ma voie. Je suis directement allé à la caisse, j’ai lu le bouquin en une nuit. À la fin du livre, il y avait une petite adresse donc j’ai écrit avec un anglais approximatif en disant « voilà, j’ai lu votre bouquin, ça m’intéresse... ». Ni une ni deux, huit jours après j’ai reçu un joli petit papier d’Angleterre qui me proposait des cours. Et c’est comme ça que ça a démarré. J’ai reçu tous les cours de la session bardique (en rapport au barde, le poète celte, ndlr) en anglais. Et à la fin de l’année, une fois ma session finie, je me suis dit qu’il fallait que j’aille voir tout ça donc je suis parti en Angleterre. La plupart des gens était torse nu, peints… Je me suis demandé ce que je foutais là, dans ma tête j’allais repartir le lendemain. Et finalement j’ai passé les 15 plus beaux jours de ma vie. C’était vraiment ce que je recherchais, c’est-à-dire un outil qui ne me donne pas de culpabilité à vivre mais plutôt qui me permet de mieux m’intégrer dans la vie, dans la nature et de comprendre son processus.

Et en Angleterre, vous faisiez quoi ?

Plein de choses. C’était magique. Ça a été pour moi l’occasion d’exprimer vraiment qui je suis. Je voulais tout consommer. Ça m’a décapé. Ça a enlevé tout ce qui n’était pas moi. Peut-être pas tout à 100% mais une bonne partie. Quand j’ai fait des arts martiaux, je m’étais intéressé au bouddhisme donc j’avais déjà commencé à enlever une partie de ce qui n’était pas moi, mais il me manquait quelque chose. Là j’avais vraiment l’impression d’être au bon moment et avec les bonnes personnes. J’ai discuté avec tout le monde. Là-bas j’ai appris qu’il y a des mecs qui vivent dans des arbres depuis des années, des gens avec des piercings, le crâne rasé avec un côté teint en rouge… Si je les croise dans la rue, jamais je ne leur parle. Et en discutant avec eux, en fait c’étaient des gens hyper sympas, je ne m’attendais pas à ça.

Vous étiez combien là-bas pendant ces 15 jours ?

À peu près 100. C’était des gros camps. J’ai vu pour la première fois de la magie en réel. Alors pas de la magie genre Mimie Mathy, mais de la vraie magie c’est-à-dire une vraie connexion avec la nature. Pour vous donner un exemple, un jour il pleuvait et on devait faire une immense cérémonie. Il y a un petit groupe de druides qui a fait une incantation et la pluie s’est complètement arrêtée. On s’installe, on attaque la cérémonie et quand on termine la cérémonie, directement il s’est remis à pleuvoir. Et si je ne l’avais pas vu, je n’y aurais pas cru. Et ça c’est la plus facile que je vous raconte. Des trucs comme ça, j’en ai vécu pendant une semaine.

Vous prenez des champis’ dans la forêt ?

On pourrait. Mais on n’est pas dans l’hallucinogène par contre. Dans le druidisme, on ne retrouve pas d’écrits où les druides rentrent dans des états d’extase pour obtenir quelque chose. On n’a pas de système comme les chamanes qui prennent de l’ayahuasca (préparation provocant des hallucinations visuelles, ndlr) ou des choses comme ça. Quand je me suis fait initier à l’Obod (l’Ordre des Bardes, Ovates et Druides, ndlr) dans les années 90, il y avait des chamanes, et j’ai vécu des initiations chamaniques où je suis rentré dans ces états. Pas avec de la drogue mais avec d’autres systèmes.

Ça se passe comment une cérémonie ?

Ça c’est initiatique, je ne peux pas vous le raconter je n’ai pas le droit. Une cérémonie, si je vous la dévoile comme ça, ça ne va rien vous dire, il faut la vivre. Elle se compose d’un rite d’ouverture, d’un rite central et d’un rite de fermeture. Le rite de fermeture et d’ouverture, c’est pour sacraliser l’endroit où on est. On peut faire ça n’importe où, mais on préfère quand c’est des lieux un peu jolis. Mais si on n’a pas le choix on peut faire ça sur un parking.

Et tout le monde peut y avoir accès ?

Absolument.

Comment on adhère ? Il faut passer des épreuves ?

Chaque clairière a son propre système. Chez nous, quand les gens nous disent que ça les intéresse, déjà on en discute pour savoir ce que la personne recherche, parce que parfois ça ne correspond pas. C’est déjà arrivé que des gens veuillent un système de gourou, ou un système chamanique, des tambours, mais nous on ne fait pas ça. Donc si la personne est intéressée et que vraiment elle a envie de venir, à ce moment-là il y a deux solutions. Soit elle assiste après l’entretien à une cérémonie parce qu’en général il y en a une tous les deux mois. Soit elle ne se sent pas prête, auquel cas je l’oriente vers l’Obod Angleterre où elle fait une demande et reçoit tout un système avec des cours, des indications sur comment ça se passe pour les modules, et combien ça coûte.

« J’ai vu pour la première fois de la magie réelle. Alors pas de la magie genre Mimie Mathy, mais de la vraie magie c’est-àdire une vraie connexion avec la nature. »

The Leftovers.

Ouais, justement ça coûte combien ?

Une année de cours, c’est environ 250 euros pour environ 50 livrets. C’est à peu près gros comme votre magazine.

La participation aux cérémonies est payante ?

Ah non, ça c’est gratuit. Mais les cours, c’est normal que ce soit payant : ça paie le papier, le travail qui a été fait, les envois et tout le système administratif. Et après, c’est un support à vie.

On retrouve quoi dans ces cours ? Les gens doivent parfois vous prendre pour une secte parce que certaines se font un pognon de dingue avec ça, comme la scientologie.

Les cours sont extrêmement bien faits. Pour ceux qui ont des problèmes d’argent, tu peux payer en plusieurs fois. Et puis ce n’est pas une obligation de les prendre tout de suite. Nous, on a des gens qui viennent d’autres traditions comme les chamanes par exemple. Ils font toutes les cérémonies avec nous et si au bout d’un an, ils se rendent compte que ce n’est pas vraiment ce qu’ils veulent vivre, ils peuvent toujours ritualiser avec nous. Je veux que ce soit un système ouvert à tout le monde et qu’il n’y ait pas de friction parce qu’on accueille untel ou untel. On a eu des musulmans, des chrétiens, des juifs... On ne fait pas de prosélytisme. On offre un outil, les gens peuvent l’utiliser, ou non. On peut comprendre que ça n’attire pas tout le monde, et c’est logique.

Donc concrètement, dans ces cours-là, on apprend quoi ?

Le premier module de barde, c’est un travail pour développer sa créativité, c’est le cheminement de barde, et l’initiation viendra après. Dans ces modules tu travailles avec les éléments terre, feu, eau et air, tu construis des rituels... Rien n’est jamais obligatoire, certains vont le faire rapidement. Ceux qui ont déjà une tradition derrière, comme des années de bouddhisme, maitrisent beaucoup de choses, donc parfois en un an c’est torché, c’est très intégré, ça leur parle. Moi je sais que je mets à peu près 10 ans par module. Parce que je prends mon temps, j’ai créé l’Obod France en 2016, je fais les rituels, en plus de ma maison d’hôtes, de mon travail et de la commune, donc forcément ça prend du temps.

Ça vous a pris 30 ans pour devenir druide ?

Oui, je ne suis pas dans l’objectif de la course aux infos. J’ai le temps. Ce n’est pas le grade qui m’intéresse mais vraiment le lien avec la nature et la vie.

Ça vous a changé de quelle manière tout ça ?

Je pense que ça a enlevé tout ce qui n’était pas nécessaire chez moi. J’étais quelqu’un d’hyper-sensible, du coup je prenais tout en pleine gueule. Dans la première partie de ma vie j’étais plutôt introverti, fermé, j’avais du mal à communiquer avec les gens, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les arts martiaux et la danse m’ont beaucoup apporté aussi. Le druidisme a été un élément important pour moi parce que c’est vraiment une connexion avec la vie. Je vous parlais de la magie que j’ai vécu en Angleterre, l’idée, c’est de revivre cette magie-là. Et se dire que si eux le font, c’est qu’on peut le faire.

Le dab, version druide.

Vous avez des pouvoirs magiques ?

Non. Mais j’ai une connexion avec la nature. On pourrait dire que c’est une foi active. C’est difficile d’expliquer mais quand je suis allé en Angleterre, j’ai vu des choses incroyables en plus des initiations chamano-celtiques que j’ai pu faire, ça m’a fait comprendre que j’avais un lien avec la nature.

Est-ce que ce lien est forcément surnaturel ? Non, il est juste évident, mais on ne le voit pas.

Vous arrivez à influencer la nature ?

Quand il y a besoin oui, et ça marche. La nature est à notre écoute, mais c’est nous qui ne l’écoutons pas.

Pourriez-vous nous donner quelques exemples d’utilisation ?

J’ai compris que je pouvais communiquer avec l’entité vigne, l’entité vin, mais aussi l’entité météo. Donc effectivement j’ai utilisé ce lien avec la nature pour tenter d’amadouer les choses, et de communiquer avec le vin. Pour la vigne quand je voyais les orages de grêle, je me mettais en relation avec l’esprit de l’orage et je lui disais que ce n’était peut-être pas une obligation de tout détruire. Je n’étais pas là pour la gelée récemment (en avril, ndlr) parce que j’étais à Paris deux jours. Et je n’aurais peut-être rien pu faire si j’avais été là. Ce n’est pas parce qu’on demande aux éléments, qu’ils nous écoutent. Mais on peut toujours demander.

Ça a changé aussi votre rapport à la terre ?

Complètement. J’ai changé d’abord tout mon système. Je suis passé en bio mais ce n’est pas la réponse à tout.

Le druidisme est-il la réponse ?

Non je ne crois pas. Je ne suis pas druide pour régler tous les problèmes de la nature. D’ailleurs on n’est pas assez nombreux et puis il y a un destin universel qu’on ne doit pas arrêter. Même si le destin universel n’est pas le mien, je ne peux pas me mettre en travers d’un destin universel. C’est ce qui s’est passé il y a 2000 ans quand les Romains sont arrivés et ont tout détruit. Croyez-moi que les druides ont tout fait pour stopper les Romains dans la magie. Mais le destin s’accomplissait et ils ne pouvaient pas lutter contre le destin. Quand ils ont compris, ils se sont sauvés.

Ça vous agace les clichés sur la potion magique, Astérix et Obélix ?

Non, je trouve ça bien. Tous les Français connaissent le druidisme grâce à Astérix. Forcément c’est un peu réducteur, bien que ce soit intelligemment fait. Dans Astérix, il y a à peu près tous les clichés druidiques, souvent ils mélangent avec le monde moderne mais finalement c’est bien fait. On voit qu’Uderzo a creusé son sujet et qu’il ne raconte pas de bêtises. Il imagine, il ironise, il transforme mais effectivement il y a un peu de ça.

Logo des OBOD (Order of Bards, Ovates and Druids).

« Je ne suis pas druide pour régler tous les problèmes de la nature. D’ailleurs on n’est pas assez nombreux et puis il y a un destin universel. Même si ce n’est pas le mien, je ne peux pas me mettre en travers du destin universel. »

Est-ce qu’on peut se faire radier quand on est druide ?

Oui. Si quelqu’un a une mauvaise attitude, on lui demande de partir. On a eu le cas récemment d’une personne qui était pourtant bien au départ, mais qui au fur et à mesure a commencé à prendre la grosse tête, à prendre l’ascendant sur les filles, à les emmerder. Il devenait gourou lentement et progressivement. Il s’autoproclamait des pouvoirs qu’il n’avait pas. Quand on a vu que ça commençait à dériver, on l’a convoqué et on lui a demandé de partir. Il mettait en danger notre système en n’ayant plus les mêmes valeurs que nous. Nous, c’est des valeurs de famille, les gens viennent pour échanger, ils ne viennent pas pour prendre l’ascendant. Les gens viennent avec l’idée d’échanger sur ce qu’ils ont de plus beau et de plus profond en eux. Et, bien-sûr, chacun vient avec ses blessures aussi. // FC, JM, ER.

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