Le caractère urbain membre du réseau
Saint-valentin les nouveaux forfaits amoureux alain monnier l’objet du désir venise la face cachée
Numéro #47 | février 2012 | toulouse | spiritmagazine.fr | Gratuit Culture | Tourisme | Habitat | Mode | Gastronomie | Sorties | Famille
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#47 FÉVRIER 2012 4 Give me 5 6 bruits de couloir 8 Rumeur buzz 10 magasinage
basics !
12 entre nous
La trinité selon MONnier 14 C’est dans l’air
Les nouveaux codes amoureux 18 ouvre-toit 22 L’endroit la maison salvan 24 tables & comptoirs
la rôtisserie des carmes 26 en ville
« Folies Passagères », une série de Dani Bogenhagen.
du côté des sept deniers 28 ÉCHAPPÉE BELLE
la face cachée de VENISE 34 accrochages
amandine urRuty 38 écrans
elles
Lundi matin. Métro Jeanne d’Arc. Les quais sont bondés. Pour une fois, les regards ne draguent pas le sol, mais flirtent avec un écran plat suspendu au plafond. Fond noir, lettres roses ! Tisséo aurait-il changé sa charte graphique ? Défile alors une série de messages au style télégraphique et à la préoccupation monomaniaque : l’amour ! « 17h20 métro Balma tu m’as effleuré, assis à côté tu es descendue aux Arènes. Je n’ai pu te rattraper ». À la lecture de ces mots tendres, impossible de ne pas repenser au plaisir presque coupable que l’on ressent devant les petites annonces de Libé. En quelques instants, on comprend que l’idée de transformer le transport en commun en transport amoureux vient de Sophie Calle. Ce n’est pas la première fois que l’artiste transforme des rames en atelier. En 2006, à Paris, sur la ligne 3 du tramway, elle avait installé une cabine téléphonique. Sophie Calle s’était
ÉDITO par Léa Daniel
42 entre actes
l’ivresse du pouvoir 46 interview daniel darc 48 sono AGENDA 50 EN FAMILLE l’eau, l’expo 54 plan rapproché
un pionnier de l’habitat participatif
Vraie-fausse partie de jambes en l’air. L’homme, assis, masqué, semble attendre une héroïne de David Lynch. La jeune photographe américaine Dani Bogenhagen affectionne ces entre deuxmondes atmosphériques. Toulousaine depuis six mois, elle a shooté la série « Folies passagères» à Mix’Art Myrys, lors d’un cabaret érotique. Coup de cœur.
même engagée à l’appeler plusieurs fois par semaine et taper la causette avec le chaland qui décrocherait le combiné. « Qu’est-ce que l’amour ? Le besoin de sortir de soi » comme le dit si bien Baudelaire. Sophie Calle se rallie à ce point de vue et ose les contrastes, quand l’amour se décline en rose et rouge sur les affiches des restos organisateurs de soirées SaintValentin. Cucu la praline, gnangnan ou trop commercial, il semblerait que l’on ne puisse d’ailleurs rien sauver du 14 février. Et ce ne sont pas les 54 % de célibataires que compte la ville rose qui me contrediront. L’amour, est déjà coincé dans le dictionnaire entre amortisseur et amouracher. Pas la peine d’en rajouter en lui faisant sa fête. Au contraire, flirtez, courtisez, batifolez, roucoulez, marivaudez... les 366 jours de cette nouvelle année. Et laissez-nous vous annoncer une nouvelle alliance. Spirit convole dès février avec À Nous, le réseau de city-magazines qui existe déjà sur des villes comme Paris, Lyon ou encore Lille. Nouvelle maquette, nouvelles rubriques, et toujours la même envie de vous faire plaisir. AAA nous, la ville. À vous Toulouse.
danibogenhagen.com SPIRIT est un magazine gratuit édité par Urban Press, www.urban-press.com - 18 rue des Couteliers, 31000 Toulouse - tél. 05 61 14 03 28 fax. 05 61 14 25 22 - info@urban-press.com / Retrouvez Spirit sur www.spiritmagazine.fr Directeur de la publication : Laurent Buoro - Directeur du développement : Loïc Blanc - Rédaction : Léa Daniel, Carole Lafontan, Baptiste Ostré, Stéphanie Pichon, Mathilde Raviart, redaction@spiritmagazine.fr / Graphisme : Julie Leblanc, Christophe Gentillon, Cécile Fauré. Ont collaboré à ce numéro : Christian Authier, Philippe Bertrand, Isabelle Bonnet-Desprez, Karine Chapert, Thomas Delafosse, Isabel Desesquelles, Anaïs Florance, Karine Jamin, Maylis Jean-Préau, Valérie Lassus, Anne Le Stang, Alex Masson, Cécile Maury, Laurent Sorel / Photos : Polo Garat, Sébastien Maurette, Cassandra da Chicha, Élise Boularan / Publicité : Damien Larrieu, Sophie Hemardinquer, + 33 5 61 14 78 37 - pub@urban-press.com / Administration : adm@urban-press.com / Imprimerie : Roularta (Belgique). Papier issu des forêts gérées durablement (PEFC) Dépôt légal à parution - ISSN : 2116-3146 - L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. Ne pas jeter sur la voie publique. SPIRIT est membre du réseau A nous, Éditions A nous. Régie nationale, 01 75 55 11 86, sandrine.geffroy@anous.fr, paule-valerie.bacchieri@anous.fr
le Caractère Urbain Spirit • 3
give me five
Musique
En FAMILLE Théâtre
Sur le sujet casse-gueule de la prostitution étudiante, Malgorzata Szumowska s’en tire avec brio, et vient titiller là où on ne s’y attendait pas. Ou comment filmer avec élégance un conflit générationnel. Entre la journaliste quadra (Juliette Binoche) et les deux jeunes étudiantes aux mœurs très libérées, c’est plus qu’un phénomène de société qui se joue, mais la remise en question de la morale, des conventions, des utopies postsoixaantehuitardes et des vraies impudeurs. Le tout dans une mise en scène élégante. On y court. Page 38
Adeptes de castors à perruque, cochonnes tatouées, knackis cravatées, bienvenue dans le bestiaire chatoyant de la Toulousaine Amandine Urruty qui double la mise : un livre Robinet d’amour aux Requins marteaux, et une exposition à Ombres Blanches. Dessinant presque exclusivement au crayon de couleurs, et accessoirement depuis son lit, cela commence à faire un bail qu’elle nous abreuve de ses planches bariolées, bizarrement chargées, débordantes de détails salaces, mais pas trop. Alors, on ouvre grand les vannes, et on laisse couler l’imagination débordante d’une jeune fille pas rangée. Page 34
Rescapé des années dope, rock, punk, Daniel Darc semble résolu à 52 ans, à nous présenter sa face lumineuse, voire illuminée. Balade gainsbourienne en terres sacrées La taille de mon âme s’écoute comme la litanie apaisée d’un monsieur de la chanson ayant laissé les excès des années Taxi Girl derrière lui. Voix joliment abimée, orchestrations inspirées, l’album marque une nouvelle ère. Spirit l’a rencontré avant son passage au Bikini. Interview rédemption. Page 46
2012, année de la Garonne à Toulouse. Le Muséum prend les devants avec son exposition phare de l’année consacrée à l’eau. Rien n’a échappé au regard scientifique, ni les catastrophes qu’elle génère (tsunamis, déluges…), ni sa rareté, ni ses états changeants, ni la façon de l’apprivoiser. Le parcours foisonnant et ludique s’arpente en famille, avec ou sans bottes de pluie ! Page 50
Daniel Darc
4 • Spirit le Caractère Urbain
L’eau
L’ivresse du pouvoir
« Enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise ». L’injonction baudelairienne avait oublié l’ivresse du pouvoir, celle qui fait tourner les têtes, trahir ses amis, et à l’extrême pousse au meurtre, à la tyrannie et à la folie. C’est le thème qu’a choisi le TNT pour présenter une ribambelle de pièces en cette année furieusement électorale. Ainsi le théâtre s’engouffre dans les coulisses peu reluisantes du pouvoir, avec une prédilection pour une version shakespearienne, sanglante et violente qu’il s’agisse d’Othello proposée en version allemande par Thomas Ostermeier ou Macbeth, la nouvelle création de Laurent Pelly. On vous promet des combats nonédulcorés, ni censurés. Et des joutes épiques et poétiques. Page 42 Bangladesh : le grand débordement © Laurent Weyl
Amandine Urruty
Dinette © Amandine Urruty
Elles
à partir du 03.02
Dès le
Othello © Tania Kelley
© Julien Lachaussée / Sony Music
Le 29.02
Expo
18.02
Jusqu’au
Cinéma
11.02
Le 01.02
© Haut et Court
5
S’il fallait en retenir 5, voici les événements qui méritent une place dans votre agenda.
bruits de couloir
L’image du mois
Cet automne les berges de la Garonne recevront sur leurs murs de briques, 30 ans de luttes, de combats et d’espoirs. Ceux immortalisés par le grand photographe iranien Reza. Un nom qui claque pour un monument de la photographie. Déjà parrain au printemps dernier du festival MAP, Reza a choisi les quais toulousains pour « sa » grande exposition qui se tiendra du 12 septembre au 11 novembre prochains, en partenariat avec la ville de Toulouse. Exilé en France depuis la révolution iranienne de 1979, le photographe a été de toutes les lignes de front, photojournaliste tendance humaniste pour Géo, Paris Match ou National Geographic. Cet automne, il ne viendra pas qu’avec ses photos grand format, il a aussi tenu à partager son savoir et sa vision d’un journalisme libre avec les élèves du quartier de la Reynerie, qu’il accompagnera toute l’année scolaire sur le chemin de l’apprentissage de l’image, du décodage, de la pratique. Un prélude à l’ouverture de la future Maison de l’Image, qui devrait être inaugurée fin 2013 à la Reynerie.
© Sébastien Maurette
Reza sur Garonne
Minimum vital Devant l’ENSA, un drôle d’objet habitable non identifié a atterri sur la pelouse depuis le 5 janvier, comme arrivé du futur. Incongruité architecturale oblongue qui dévoile ses secrets une fois qu’on s’y engouffre : on comprend alors qu’ici, on est censé y dormir, y manger, se laver, y vivre en somme. Les Abattoirs, propriétaires de l’œuvre Tampa Skull signée Joep van Lieshout, l’ont installée sur le campus du Mirail jusqu’à la fin juin. Quand il l’a créée en 1998 pour sa série Mobil Home, le designer hollandais voulait imaginer une unité habitable aux proportions minimales. Claustrophobes s’abstenir. ENSA Toulouse, du lundi au vendredi de 9h à 19h, entrée libre, www.ateliervanlieshout.com
Tutto Bono ! Dans le petit monde de la ligne claire, ça s’agite du côté de la petite maison d’édition toulousaine Misma, qui vient de sortir une nouvelle version de sa revue Dopututto, lui rajoutant l’adjectif Max. Format plus resserré, planches couleur et trois nouveaux dessinateurs donnent le ton d’un recueil de BD décomplexé, au graphisme bouillonnant et soigné, dont les auteurs font fi des codes, tout en se fiant à leur intuition. Le premier numéro est sorti en décembre dans les bonnes librairies, et sera suivi d’un deuxième en mars. Dès 2004, Misma, fondée par les frères jumeaux El don Guillermo et Estocafich, joue les avant-gardistes, avec des récits improvisés autres expérimentations graphiques. Aujourd’hui, la famille s’est agrandie d’une quinzaine d’auteurs (Anne Simon, Singeon, Nylso, …) et la maison se pose en véritable laboratoire d’expérimentation dans le domaine des bulles. Santé ! Dopututto Max, en librairie ou sur www.misma.fr, sortie du 2e numéro le 16.03
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© Association Viabrachy
C’est le nombre de SCOP (sociétés coopératives et participatives), crées en 2011 sur Toulouse Métropole, d’où a été lancée officiellement par les Nations Unies, l’année internationale des coopératives. Ces modèles de sociétés emploient 627 personnes sur l’agglomération.
Voyage en hétérotopie
Rien à voir avec un voyage pour célibataires hétéros ! « L’hétérotopie » est la thématique 2012 de la caravane de solidarité internationale au long cours organisée chaque année par l’association Via Brachy. Autrement dit « la localisation physique de l’utopie, un espace concret qui héberge l’imaginaire » qui devrait se situer entre Toulouse et Dakar, le trajet emprunté par les voyageurs. Concrètement les voyageurs s’engagent à bord de 4X4 chargés de matériel logistique et de dons, dans l’idée de partir à la rencontre de l’Autre, prêt au partage et à l’échange avec les partenaires de l’association, du Maroc à la Mauritanie. La caravane recrute ses volontaires lors d’un marathon de rendez-vous toulousains. Les prochains auront lieu (entre autres) le 09.02 au local Friture, le 15.02 au Vélo Sentimental, le 17.02 au Café Plum. Départ prévu en juillet. Tous les rendez-vous et infos sur www.viabrachy.com
6 • Spirit le Caractère Urbain
Dessine-moi un futur
L’art du décollage
Le 11 février, Futurapolis, site internet dédié à l’innovation technologique et scientifique du magazine Le Point, se matérialisera en une journée de conférences. Et c’est à Toulouse que ça se passe. À la Halle aux Grains plus précisément. Objectif : réfléchir aux questions qui feront le monde de demain et d’après-demain, l’événement devant se renouveler chaque année. Pour sa 1ère édition, la liste des participants ne joue pas vraiment la carte novatrice, et préfère les noms connus, avec du côté des hommes politiques François Hollande, François Bayrou et Nathalie Kosciusko-Morizet, et pour le monde scientifique, JeanLouis Étienne, Nicole le Douarin ou Claude Allègre. Reste à voir comment Futurapolis parviendra à dépasser le cadre de la conférence classique – et du terrain de campagne – pour devenir un événement véritablement participatif et citoyen. Seule initiative vraiment orginale, le Brain’7, invitation au liveblogging piloté par les étudiants de l’ENSEEIHT (*), pour « fabriquer l’innovation de leurs rêves » autour des quatre grands thèmes : santé, digital, énergie, transport. À nos claviers !
C’est une première française : l’aéroport de Blagnac ouvre un « ArtLounge » pour calmer l’attente des passagers à coup d’œuvres d’art contemporain. Un partenariat avec le FRAC et les Abattoirs entérine le projet pour trois ans au moins. Attention, ne pas s’attendre non plus à passer deux heures dans un musée. L’espace lounge située dans le Hall D des départs, côté embarquements, accueille pour l’heure deux sculptures « La houppe » de Bernard Pagès et « Oh my god » de Sophie Boursat. Mais l’aéroport réfléchit déjà à faire rentrer d’autres actions artistiques dans l’aérogare de Blagnac. À quand des graffs sur les avions, ou des happenings au security check ?
Le 11.02, dès 9h30, Halle aux Grains, gratuit sur réservation, www.lepoint.fr/futurapolis/
18 février La librairie Castéla s’en va pour de bon. Fermeture de rideau place du Capitole. Rien n’y aura fait, ni les pétitions sur Facebook, ni les appels au ministère de la Culture, ni la mairie, impuissante. Une seule question : qui prendra la place ?
Made in maison Après avoir vendu ses dernières percussions en novembre, la Casa Paco de la rue des Couteliers a trouvé un nouveau souffle en croisant la route de Béatrice Brun, une férue de bricolage, qui a lancé depuis l’Ariège une gamme de création faitmain, B.attitude. Le projet d’une boutique commune prend forme en décembre. Ce sera B.attitude et Compagnie, où s’expose du « made in maison », 100 % artisanal. On y trouve les créations de Béa (sièges suspendus) mais aussi les « crayons branchés » de Pierre Rossard, les poteries au Grès du Vent de Françoise Louste et Jean Napotier ou les chaussures colorées de Beth Goldsworthy. 42 rue des Couteliers Toulouse, 05 61 52 35 35, www.atelier-b-attitude.com
bruits de couloir
Qui SERA M. CARNAVAL ?
PSSST C’est la Rumeur !
Par Anne Le Stang
U
n sportif ? Un artiste ? Un politique ? Qui ouvrira le cortège masqué, stoppé il y a 24 ans ? On se souvient que Nougaro tint le rôle en 1987. À l’approche du nouveau carnaval de Toulouse prévu le 21 mars, les rumeurs les plus folles sont parvenues jusqu’à notre Rédaction. Mais la tâche est ardue pour éclaircir le mystère, et les chargés de com’ peu bavards. Un ami féru d’histoire antique nous a suggéré de lire dans les entrailles d’une oie du Gers bien grasse pour tenter de trouver les réponses à nos questions. Nous avons préféré partir à l’assaut du Capitole, pensant y débusquer un « carnavalogue » et le passer sur le grill, mais nous sommes revenus bredouilles. La mairie de Toulouse, apprend-on, ne fait qu’« accompagner » la manifestation qui s’était essoufflée après les hallucinants cortèges des années quatre-vingt de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Entaché peut-être par la crainte des débordements, du bruit et du désordre, le carnaval de Toulouse avait fait long feu et cédé le pas aux associations telles que Samba Résille, à l’origine de défilés de proximité dans les quartiers périphériques. Zebda avait bien tenté un revival en 2001, mais il est resté sans suite. « La renaissance du carnaval de Toulouse s’explique par une initiative commune des étudiants, des milieux culturels, des médias. Un concours de gens se sont retrouvés avec les mêmes envies et ont pu rencontrer la mairie », explique Laurent Vildary, responsable com’ du COCU* qui fédère une trentaine d’associations, étudiantes et de quartier, autour du projet. Les infos y filtrent encore au compte-gouttes. Les ambitions des « carnavaleux » sont de mettre près de 50 000 personnes dans la rue autour d’un « carnaval d’acteurs sans thème affiché, afin de refléter la mixité toulousaine ». On apprend, c’est sûr, qu’il y aura trois temps : un bal pour les enfants, un défilé de chars de Jean-Jaurès au Pont-Neuf, suivi du procès et de la crémation de Monsieur Carnaval, Port-Viguerie, et un grand bal masqué. Une soupe, avec légumes de saison s’il-vous-plaît, sera offerte à tous, sans doute Port de la Daurade. Même les monuments de la ville seront déguisés. Mais dans le détail, c’était encore le flou artistique. On confesse des lenteurs. Le lieu de fabrication des chars venait juste d’être mis à disposition par la mairie, les budgets étaient en cours de validation… C’est que la manifestation est lourde à monter. « Nous nous adapterons, commente, philosophe, Laurent Vildary, le côté dernière minute fait partie du jeu. » Quant à l’identité de monsieur Carnaval, mystère toujours ! L’idée de l’oie du Gers n’était peut-être pas si mauvaise…
© Jean-Jacques - Fotolia.com
* Comité d’Organisation du Carnaval Unifié très proche de Samba Résille Pour en savoir plus, un site carnavaldetoulouse.fr est mis en ligne par le COCU
ZE BUZZ Trêve d’Abattoirs. Le musée d’art contemporain de Toulouse ferme ses portes jusqu’en mai pour réfection. De quoi mener une passation de relais attendue entre le directeur historique Alain Mousseigne et son remplaçant Olivier Michelon. So cool. Après So Foot, So Films, voici « So*Toulouse », le nouveau label en bon franglais lancé par la ville de Toulouse le 3.02 au Salon du tourisme. Objectif : développer un tourisme d’affaires à l’échelle mondiale. Space campus en orbite. La première pierre du bâtiment Clément-Ader est posée ! Pour profiter de tout le Campus Montaudran Aerospace, il faudra attendre 2020. Grincement de dents. Les dentistes toulousains rient jaune face à l’explosion du nombre de « bars à sourire » (14 jusqu’à nouvel ordre). Se faire blanchir les dents en 30 minutes à coup de perborate de sodium serait nocif et pas très efficace sur la durée. Mais beaucoup moins cher qu’en cabinet. Avé l’accent ! La « voix » du métro, la soprano Muriel Batbie Castell, vient d’enregistrer 55 nouvelles annonces de station pour bus ou tram.
8 • Spirit le Caractère Urbain
magasinage
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Back to essentials Quoi de mieux qu’un bon vieux retour aux basics
1. Pull grosse maille, 100 % laigne d’agneau, 240 € / chez Fred Perry 2. Transat « Aturri », 1 140 € / par Pyrenea Contract Cette famille de chaises à lattes de bois, réalisée en chêne, reprend le langage des chaises des fermes pyrénéennes 3. Sac (ligne Bristol), 229 € / chez Texier 4. Lot de coussins en forme de galets, tricoté main, 126 € / chez Blabla Kids 5. Bague paon / chez Marc Deloche 6. Mégaphone en céramique, amplificateur passif, 399 € / par En&is 7. Derbys à paillettes multicolores, 65 € / chez Anniel 8. Clé USB en bois naturel, 49 € / par Greenrepublic.fr 9. Sneakers, 100 € / chez Adidas
10 • Spirit le Caractère Urbain
ENTRE nous
Alain Monnier dans son loft à deux pas de la place de la Trinité. 12 • Spirit le Caractère Urbain
À 40 ans, Alain Monnier s’est lancé en écriture, discrètement mais sûrement. De textes caustiques en fables futuristes, l’ingénieur de formation a construit une œuvre littéraire aussi foisonnante qu'enthousiasmante. Avec Place de la Trinité, son onzième roman, il s'offre un joyeux chassé-croisé amoureux toulousain. Propos recueillis par Isabel Desesquelles - Photo Cassandra da Chicha
alain Monnier ou l’objet du désir Place de la Trinité / Alain Monnier / Flammarion / 19 € Chronique à retrouver en page 52.
Vous travaillez à vingt mètres de la place de la Trinité. Cela signifie quoi pour un écrivain d’écrire sur le lieu où il vit ? J’écris chez moi, mais il est vrai qu’à plusieurs reprises, j’ai relu et corrigé le texte, assis à une terrasse de la place. Il ne s’agit pas de retranscrire à tout prix mais de s’inspirer très librement. La place de la Trinité de mon roman n’est pas exactement celle que nous connaissons et pourtant, c’est un peu elle. Le titre, le lieu de mon histoire, se sont imposés. Signé Parpot, Parpot le bienheureux, Givré et aujourd’hui, Place de la Trinité sont autant de romans qui s’ancrent à Toulouse. Vous le faites exprès ? Non, et je ne cherche pas davantage à faire une fresque de la ville. Je vis ici depuis trente ans, mes histoires naissent dans ces rues, c’est un univers familier où j’aime à retrouver mes personnages. Et puis, je pense que pour rencontrer un lecteur, il faut soi-même se sentir de quelque part. Je ne crois pas au citoyen du monde, je crois au lopin de terre. On retrouve dans votre roman, des personnes bien réelles, emblématiques de ce coin de Toulouse. Je pense à ce « monsieur charmant, à la fine moustache grise taillée aux ciseaux, en bordure de lèvre, sourire vaillant et politesse surannée » que l’on aimait saluer au Piccadilly, ce bar aujourd’hui disparu. Comme le nom des rues, ces deux ou trois silhouettes que l’on peut reconnaître construisent une ambiance, elles font partie du décor, mais pour ce qui est des protagonistes principaux, je ne cherche jamais à reprendre des personnes que je connais. Je m’y suis déjà essayé, le résultat est d’une extraordinaire platitude. Un personnage est un patchwork fait de détails, de situations puisées autour de moi. C’est cette multiplicité qui permet l’invention et évite la pâle copie d’un ami ou d’un voisin.
Dans Place de la Trinité, un homme, Adrien, donne rendez-vous à une femme qui ne vient pas. Il décide de l’attendre jusqu’à ce qu’elle vienne… L’attente serait-elle le vrai personnage du livre ? Dans le livre, il y a l’attente réelle, celle d’Adrien, il y a l’attente symbolique de Pétrarque qui aura désiré Laure quarante ans, pour rien, comme on pourrait le penser un peu vite aujourd’hui. Et enfin, il y a une autre attente, celle du retour sur terre de six astronautes perdus dans l’espace. Écrire sur l’attente, revient, pour moi, à écrire sur l’art de bien vivre ou de mal vivre. On passe notre temps à attendre. Que ce soit un train, une lettre, un résultat de scanner, des jours meilleurs, les vacances, et bien-sûr celle ou celui dont on dit qu’il est fait pour nous. Mon héros est un champion de l’attente ! Tout comme vous ? Disons que je suis assez doué en la matière. En ces temps d’unions jetables et de speeddating, votre Adrien est singulier. Ce qu’il veut, lui, c’est espérer le plus longtemps cette femme qui se refuse. Quitte à ne pas bouger. Adrien n’est pas franchement un héros de l’époque. Il est plus proche de Pétrarque que de Bill Gates. C’est un amoureux, pas un amant. Ce qu’il veut, c’est préserver la rareté, la discrétion, une intimité généreuse. À un moment, Adrien va se poser la question : pourquoi désirer Louise? En quoi je me dois de la posséder? Son attente va transformer son désir. Vient alors la question du bonheur.
Et selon vous, c’est... Passer une après-midi avec un livre place de la Trinité à Toulouse ! Plus sérieusement, la définition du bonheur que je préfère est celle de Saint Augustin, « le bonheur c’est continuer à désirer ce que l’on a déjà ». Dans votre vie, vous avez au moins deux identités. Alain Monnier, l’écrivain, et cet autre qui travaille à la Chambre de Commerce de Toulouse. Comment cohabitent-elles ? C’est vrai que je cloisonne mes deux vies. À l’aube, je suis avec Alain Monnier, puis après un court trajet en vélo, je redeviens cet homme qui doit trouver des solutions concrètes dans une entreprise. Avec le crépuscule, heureusement, Alain Monnier l’écrivain revient. Pour débuter un roman certains poursuivent une première phrase, d’autres un titre... Et vous, comment cela vient-il ? C’est mystérieux. Si on le savait, on ne traverserait pas ces longues plages de vide et d’inquiétude. Je ne suis ni philosophe, ni essayiste. Ma manière de réfléchir, c’est raconter des histoires, me forcer à me mettre « à la place de ». Souvent un élément du quotidien va mettre le feu aux poudres, un incident, un frigo qui ne marche pas, une phrase entendue dans un bar. Le plus difficile est de trouver le style qui donne le ton au livre. D’un livre à l’autre, vous construisez une œuvre dont les héros vous ressemblent de plus en plus. Diriez-vous, comme Flaubert avec Emma, qu’Adrien c’est vous? Non... Mais il doit y avoir un peu d’Adrien en moi.
POUR RENCONTRER UN LECTEUR,
IL FAUT SOI-MÊME SE SENTIR DE QUELQUE PART. JE NE CROIS PAS AU CITOYEN DU MONDE. le Caractère Urbain Spirit • 13
c’est dans l’air
14 • Spirit le Caractère Urbain
L’Homo eroticus voit ses acquis bouleversés, preuve que l’état amoureux n’est plus aussi simple que « single » et « in a relationship ». C’est parti pour une virée à deux, trois ou quatre pour ne pas être X-out en 2012. Par Anaïs Florance - Photos Dani Bogenhagen
Les nouveaux forfaits amoureux
q
ue ce soit dans la vie réelle ou sur Facebook, le statut relationnel n’a jamais été aussi ambigu. Entre « c’est compliqué » et « zéro engagement », en 2012, on rame pour clarifier ses relations à deux. Spirit propose des forfaits tout terrain, pour s’en sortir dans tous les cas de figure. Ou presque.
Cette année le combo rose/resto risque de ne pas suffire le soir de la Saint-Valentin.
Forfait ex On ne rougit plus de remettre le couvert avec un(e) ex, quitte à ce que cela devienne un état stationnaire. Le forfait ex, c’est un peu comme une épargne sans risque et sans intérêts. On ne craint rien, ça a déjà foiré, pas de place pour la déception car on sait à quoi s’attendre (position, dvd, glaces préférées..). Cette « demi-relation », peut même être platonique : on reste célibataire, mais on compte quand même dans la vie de quelqu’un, et ça en rassure plus d’un(e).
Forfait sans engagement Le sans engagement est désormais un contrat amoureux pour relation non exclusive contresignée par les deux parties. On s’appelle à des heures indues, souvent en rentrant de boîte, d’un dîner chez ses parents, voire d’un vrai rencard foiré. On ne se projette pas vraiment ensemble, mais une certaine complicité et une franchise à tout égard maintiennent l’équilibre de cette relation « trois nuits par semaine », en attendant mieux. Le sexting (voir encadré) est généralement le mode de communication de ce « non-couple ». Gare aux crises de jalousie, forcément refoulées par ce système – sans engagement mais avec attachement – que l’on a contribué à instaurer…
Forfait culpabilité Elle est avocate, aime Wagner et les blinis. Lui pense que le maillot de rugby va avec tout, n’a
jamais voté et collectionne les comics. Ils n’ont vraisemblablement rien à faire ensemble et ce n’était pas prévu au programme. Pour autant, on s’aime bien mais on ne s’imagine pas partager nos vies « pour de vrai », parce que « trop différents ». Le sexe est souvent au centre de cette idylle controversée, d’où un sentiment de culpabilité, renforcée par un certain manque de franchise « Je te présenterais bien à ma mère mais elle est… en plein divorce ! »
Forfait local En matière de drague régionaliste, le forfait toulousain se la joue soirée entre potes. Cette particularité locale consiste à écarter la présence féminine de la meute. Du moins jusqu’à une certaine heure, car après avoir conversé et hydraté son palais (il est déjà tard), le « pote » se met en mode conquête. L’œil vif, jamais avare de sourires et d’exquises manigances, le Toulousain est un forfait qui se négocie aux premières heures du jour… La Toulousaine over-fairplay, n’en oublie pas de festoyer de son côté, quitte à rentrer plus tard que monsieur ! >
Le sexting sinon rien L’entrée dans le dictionnaire d’Oxford (2011) du terme sexting officialise cette pratique très en vogue. Mode d’emploi. • On est explicite pour éviter les incompréhensions du style « J’adore quand tu prends des initiatives... » - « Okay je ramène le pain » • On y met les formes : pas de « Kestuf’, j’ai un créneau X », prohibition de l’adjectifgros-grosse et pas de « je t’aime devant cochonne », d’ailleurs pas de « cochonne » tout court ! • Il est strictement interdit de sexter alcoolisé sous peine de découvrir l’historique bien trop audacieux le lendemain. • Pour ne pas prendre de risque, on sextote classique : « Tu as envie de quoi ce soir. Je ne parle pas du menu » - « J’adore quand.... »
le Caractère Urbain Spirit • 15
c’est dans l’air
SAINT-VALENTIN
S’il n’y avait… qu’un fleuriste
Bloom. Les fleurs c’est peut-être périssable, mais n’est-ce pas ce goût de l’éphémère et du fragile qui en fait la puissance ? L’exposition de design à la Fondation Espace Écureuil, invite le temps d’une journée la jeune fleuriste Cécile Cohen, du Dahlia Rose, pour faire entrer senteurs et couleurs dans l’exposition « Bloom, une vision végétale ». Bouquets créatifs et contemporains : la Saint-Valentin ne passera pas par un simple bouquet de roses rouges. \ S. P. \ 14.02, 11h à 19h30, Fondation Espace Écureuil, 3 place du Capitole, entrée libre
qu’un livre
La bisexualité, étape normale dans la recherche de l’amour ?
Forfait illimité Sexe, provoc, défonce, la série britannique Skins a dévoilé les mœurs d’adolescents en mode « no limit ». Serait-ce l’angoisse d’un avenir sans triple A et la perspective de lendemains alimentés à la « rigueur budgétaire » qui les pousse à la débauche dans les Skins Partys, ces fêtes pseudo-clandestines où ecstasy, état éthylique avancé et préliminaires échevelés jouent à touchetouche ? Que les parents se rassurent, tous les ados ne s’abiment pas la santé dans ces orgies adolescentes. Mais qu’ils ne s’étonnent pas si les flirts de l’âge tendre ne passent plus forcément par la case « une fille, un garçon ». Pour la jeune génération, les rapports de genre ne priment plus autant sur l’orientation sexuelle. Et la bisexualité passagère est devenue une étape « normale » dans la recherche de l’amour.
Forfait hypocrite Au commencement il y avait Meetic, puis il y eut Facebook, et l’hommepansement.com régna sur terre. Encore une adresse en .com où l’exploitation émotionnelle et sexuelle avance déguisée, tout en étant profitable aux deux genres. Si chacun « cherche » l’amour, son pote de 6e, et un Kleenex, on tient surtout à conclure, et fissa.
Forfait polyamoureux La monogamie se ringardise au profit du « polyamour ». On se souvient du film français Happy Few (2009), dont l’autre intérêt que les fesses nues d’Élodie Bouchez, était de décrypter les amours multiples. Polyamour, échangisme, triolisme, même combat ? Pas vraiment. Les
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polyamoureux essaient d’appliquer le principe d’ « inclusion », en opposition avec l’exclusivisme de la monogamie. Ces amours libres n’impliqueraient pas nécessairement une dimension sexuelle, ce qui les distinguent des pratiques libertines traditionnelles. Dégagé de toute revendication sociale ou révolutionnaire, le polyamour ne serait que le descendant, boosté au digital, de l’union libre postsoixante-huitarde. La liberté individuelle est garantie par le groupe, lequel protège les individus. Un principe que les Toulousains, réputés incollables sur les valeurs du rugby, devraient pouvoir intégrer... alors à quand des poly-cafés dans la ville rose ?
Forfait repris ou échangé Pourquoi aller tromper son homme en plan glauque de 5 à 7, alors qu’on peut désormais batifoler en couple, et pas forcément au milieu de Don Juan fanés et croulants. C’est un fait, le public échangiste rajeunit. Jadis fréquentés par les élites financières et vieillissantes, les clubs libertins voient défiler, trois à quatre fois par an, de jeunes couples en quête de sensations-situations hors du commun. Cette pratique libertine, parmi les plus taboues, a vu grandir ses adeptes avec l’avènement d’internet. Nous n’avons pas enquêté sur les racines des sites spécialisés à l’époque du Minitel mais beaucoup reconnaissent que, sans cette vitrine, ils n’auraient peut-être jamais sauté le pas. Selon les pratiquants, il y aurait autant, voire plus, d’éthique dans l’échangisme que dans une relation « fidèle », on parle alors de « vraie fidélité ». Alors, à qui profite la morale ?
Super triste histoire d’amour. Après Absurdistan, fable politique qui réglait son compte à la mondialisation, l’auteur américain Gary Shteyngart revient en grande forme avec sa caustique romance Super triste histoire d’amour. Incisif, rentre-dedans, percutant, drôle, l’auteur imagine un monde qui tourne très mal. Téléphonite aigüe, ondes à tous les étages et publicité sous la ceinture, la littérature y est devenue un art préhistorique. Et pourtant son héros lit encore des livres papier et en plus il tombe amoureux. Autant dire qu’il est perdu pour son temps ! \ I. D. \ Les éditions de l’Olivier, 24 €
qu’un théâtre
Le Fil à Plomb. Février sera rose et coquin dans cet écrin toulousain qui retrousse ses jupons et convoque l’amour à la barre. Colette Migné a ouvert le bal dès la fin janvier avec ses contes érotico-délirants, qu’il s’agisse de la vie sexuelle des mollusques (Le cri d’amour de l’huître perlière) ou des libertinages d’antan (Petits arrangements sous l’édredon). Le soir de la Saint-Valentin, un autre conteur, Jean-Yves Pagès, prendra le relais pour nous expliquer Comment filer le parfait amour. L’héroïne de Pièce (dé)montée, qui achèvera cette odyssée agitée de l’amour sur planches, aurait peut-être dû l’écouter avant de se marier... \ S. P. \ 30 rue de la Chaine, www.theatrelefilaplomb.fr
qu’un vin
Le Grain d’Amour. Les vignerons du Bruhlois lancent une opération séduction avec le Grain d’amour, vin rosé doux à déguster bien frais, assemblage rare de muscat de Hambourg et de cabernet. Un nectar fruité et moelleux, qui se prendra à l’apéro ou au dessert. Plantées sur les coteaux et plateaux longeant la Garonne, ces vignes du Sud-Ouest pratiquent le rosé et le rouge, et sont passées en AOC depuis 2011. \ S. P. \ www.vigneronsdubruhlois.com
ouvre-toit
Tape m’en zinc
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Toulouse. Dans un quartier résidentiel, se dresse une maison. D’apparence discrète, presque banale, ce n’est que de près qu’elle dévoile ses atours. Fonctionnalité et élégance sont le fruit d’un travail sur l’histoire des lieux et d’une simplicité érigée en style. Texte : Léa Daniel - Photo : Jérôme Ricolleau
A
u commencement, il y avait une maison douillettement planquée dans les faubourgs toulousains. Toit à double pente, façade en ciment et construction classique. Son intérêt limité, doublé d’une très petite surface, aurait pu rebuter plus d’un architecte. Tel ne fut pas le cas de Marie-Martine Lissarrague, qui sut prendre ce projet à bras le corps. De leur côté, les propriétaires avaient une idée précise de ce qu’ils voulaient : plus d’espace ! « Ces amis d’amis, précise l’architecte en souriant, m’ont contactée parce qu’ils avaient vu certaines de mes réalisations ». En particulier, les bureaux du Sicoval, qu’elle avait conçus de toutes pièces et qui résument à eux-seuls sa démarche architecturale : simplicité des formes et facilité d’usage. Sans oublier, un grand amour pour le métal. Marie-Martine Lissarrague avait beau avoir un style et des idées, il fallait bien qu’elle se joue d’une contrainte de taille, à savoir la présence d’une petite maison sur une parcelle pas beaucoup plus grande. « Assez rapidement, j’ai eu l’idée de créer une extension complètement séparée du bâtiment d’origine lequel mesurait 50 m2 ». Plutôt que d’agrandir le volume existant, l’architecte a donc préféré opérer une vraie rupture. La raison était évidente : « il était difficile de modifier l’existant et d’en faire
un objet contemporain, comme le souhaitaient mes clients ». Dès les premières esquisses, l’architecte double la surface habitable grâce à l’adjonction d’un autre corps de bâtiment. La solution que Marie-Martine Lissarrague met en œuvre permet de garder l’identité du lieu, en rajeunissant l’existant, tout en écrivant une nouvelle tranche d’histoire pour l’ensemble du bâti. Un « L » sort donc de terre et crée, au passage, un jardin à l’arrière de la maison. Dans cet espace à la fois ouvert et protégé, se lovent tout en finesse une terrasse de bois, une piscine et une coursive extérieure.
Lier les espaces
« Il a fallu réfléchir sur l’accès à la maison d’origine et créer une articulation logique avec l’extension » poursuit l’architecte. La contrainte l’inspire jusqu’au bout, puisqu’elle a l’idée de réunir les deux parties rendues habitables en créant une entrée commune qui dessert le salon, la salle à manger et la cuisine, et l’étage où se trouve la suite parentale. Ce large vestibule permet ainsi à tous les espaces de communiquer ensemble, crée du lien et évite les blocages. Cette conception simple facilite la circulation des habitants. Dès lors, les règles d’une écriture architecturale sont posées : les lignes sont épurées pour privilégier les volumes. Les
ambiances sont chouchoutées. S’en dégage un certain esprit, qui sait être élégant, confortable et accueillant. Finalement, c’est de son histoire que cette maison toulousaine tire son charme. Reflet d’une démarche architecturale rectiligne, elle n’est pourtant jamais austère. Est-ce grâce aux effets de lumières auxquels s’adonnent les larges ouvertures qui percent les murs des principales pièces à vivre ? Estce grâce au raffinement frugal de la décoration d’intérieure qui participe ainsi à l’effet de grandeur ? Qu’importe, le résultat est là ! Ce lieu ressemble à ses propriétaires. « Nous avons travaillé main dans la main avec mes clients, se rappelle l’architecte. Je leur ai proposé un premier projet, tout en zinc. Pour des questions de coût, nous l’avons écarté. Je leur ai présenté le travail de certains architectes que j’aime particulièrement, comme Glenn Murcutt. » Cet architecte australien a reçu le prix Pritzker d’architecture en 2002, il fut à ce titre salué pour ses constructions en phase avec l’environnement et son utilisation de matériaux simples comme le métal, le bois, le verre ou encore la brique. Ici, on ressent les influences de Murcutt dont le travail a fondé les bases du fonctionnalisme écologique. « Je me suis librement inspirée de lui, à l’image du toit en zinc qui déborde, et de la structure qui porte ce débort. »
Fiche technique Toulouse (31000) Date de réception : 2007 Architecte : M.-M. LISSARRAGUE Surface utile : 210 m² Coût HT des travaux : 174 140 € HT
La maison d’origine a été recouverte d’un enduit gris et blanc. Elle fait 50 m2. L’architecte a doublé la surface habitable en créant une extension pour laquelle le zinc joue un rôle important. Elle répond au besoin d’espace et aux envies de lignes contemporaines des propriétaires.
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ouvre-toit
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1-2-3 // L’entrée est le point d’accès de la maison, elle est aussi le lieu où viennent se connecter les différents espaces. On accède à la suite parentale par un escalier fuselé. À droite, il suffit de descendre deux marches pour être dans le salon. 4 // L’extension en « L » se prolonge vers le jardin. L’écriture se veut dynamique par la toiture en zinc qui déborde, et les jeux de volumes habillés de ce même métal. La relation et la continuité intérieur/extérieur sont privilégiées par les traitements paysagés : terrasse en bois, piscine, cheminements, etc… 5 // Le verre joue la transparence pour faire entrer la lumière et entretenir l’agréable confusion entre le dedans et le dehors. Dix mois auront été nécessaires pour réaliser les travaux. Les finitions, ce sont les propriétaires qui les ont faites. Chauffage : par le sol avec une dalle béton laissée brut et une cheminée dans le salon. 6 // La maison d’origine abrite désormais une grande cuisine-salle à manger. À l’étage, les chambres.
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l'ENDROIT
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...ou plutôt, comme à la boulangerie d’à côté. La Maison Salvan, c’est l’idée qu’il est possible de créer un lieu d’art contemporain de proximité dans un petit village, Labège, plus connu pour sa zone d’hyper-consommation et ses entreprises high-tech. Par Valérie Lassus - Photo Vincent Larrata
Comme À la Maison…
A
u-dessus de l’ancienne porte d’entrée dont la peinture vert bouteille s’écaille, on lit « 1809 ». La demeure de feu Madame Salvan fait face à l’église, son petit jardin aux allées de terre biscornues n’a pas été planté d’essences rares. Quand la mairie l’a rachetée, au décès de son occupante, c’était avant tout pour protéger le centre du village d’une opération immobilière qui l’eut défiguré. D’où la préoccupation constante de garder l’âme de ce lieu. De façadisme, point ! L’architecte Hugues Sicre, choisi fin 2009 pour s’occuper de la mise en conformité et du réaménagement de l’intérieur, a tout de suite saisi qu’il fallait préserver les pièces telles quelles et garder le kaléidoscope de matières : plâtre abîmé, briques recouvertes de chaux, plancher, carrelages et ciment. Seules des ouvertures ont été percées pour permettre la circulation des visiteurs, les plafonds ont été surélevés et l’ancien auvent transformé en un vaste hall d’accueil.
La Maison Salvan fait le pari d'un art contemporain accessible.
Maison cocon
La demeure reste organique, pas une pièce qui ne communique avec les autres, autour de l’axe formé depuis l’espace très clair de l’entrée jusqu’au fond de la maison-cocon. « Les artistes se sentent bien ici, dans ce qui est à présent un outil au service de la création et des visiteurs, même si l’agencement de cette maison est un challenge pour certaines installations », souligne Paul de Sorbier, le responsable de ce lieu ouvert en 2006. L’idée de faire de la maisonnette un centre d’art contemporain est celle de Christine Camarès, adjointe à la culture, préoccupée par le manque d’équipements culturels alentours - il y a bien le multiplexe Gaumont, mais... « Il y avait cette envie d’un lieu où l’on crée mais qui ait sa spécificité, afin de ne pas être écrasé par l’abondance de propositions toulousaines », rappelle l’hôte de céans. Or, au début des années 2000, alors que mûrissait ce plan, le numérique entrait dans le monde des arts, avec sa cohorte d’expériences interactives plus ou moins réussies. Et puis, Labège, c’est aussi l’Innopole, la proximité de l’Université Paul-Sabatier, la recherche. De là à imaginer d’associer arts plastiques et sciences, il n’y avait qu’un octet. Aujourd’hui les artistes invités à créer à Labège – sur cinq expositions annuelles environ, trois
sont des résidences – ont pour impératif une proposition en binôme avec un scientifique. « Autrement, la sélection est assez libre. Nous avons la chance de pouvoir encore marcher au coup de cœur, et même si ces binômes ne fonctionnent pas toujours idéalement. Il se passe à chaque fois quelque chose d’intéressant pendant le cheminement vers l’œuvre. Surtout que nous avons à cœur de suivre le travail des artistes. » En effet, certaines résidences s’étalent sur plusieurs années, comme avec Thomas Sabourin et son Espace partagé, développé pendant 3 ans.
venir en voisin
Ici le public aussi se sent chez lui, libre d’agir comme à la maison et de pousser la porte facilement… « On veut que les gens n’aient pas peur d’entrer. Tous les gens. Et on doit être là pour écouter et répondre aux questions, car il est difficile d’appréhender l’art contemporain sans bagages, ce qui est souvent le cas dans ce domaine. D’où l’importance du travail de la médiatrice Lise Mazin qui intervient dans les écoles pour préparer la venue des élèves des alentours. » Ateliers, édition, production, partenariats, contribuent aussi à multiplier les clés permettant de vaincre les réticences. « L’autre jour, un gamin est venu, tout seul, il a regardé l’expo et il est reparti. Il est revenu, avec son père. Et puis il a fini par amener toute sa famille. Il y a aussi cette très vieille dame, qui vient en voisine... » Ce jeu de "reviens-y" a comme un goût de pari réussi...
Maison Salvan, Labège village, 05 62 24 86 55, maison-salvan.fr, du mercredi au samedi de 15h à 19h, entrée libre En ce moment L’exposition À l’ombre des sens réunit les artistes taïwanais, Charwei Tsai et Wu Chi-Tsung, invités dans le cadre du festival Made in Asia.
Ici, le public se sent chez
lui, libre d’agir comme à la maison et de pousser la porte facilement…
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© Polo Garat - Odessa
tables & comptoirs
Au bonheur des Carmes À La Rôtisserie des Carmes, Alain Chabrier délivre une cuisine roborative et chatoyante qui ravit les gourmets. Par Christian Authier
C
ela fait plus de dix ans qu’Alain Chabrier dispense ses tours et ses atours gastronomiques dans une ville où son restaurant s’est hissé sans peine au rang des meilleures adresses. C’est pourtant en amateur éclairé et en autodidacte que cet homme tranquille à la voix chaude s’est rangé du côté des fourneaux, notamment sous l’aile du grand Gérard Garrigues. Sa cuisine porte la patte d’un parcours atypique qui a tourné le dos aux faux-semblants : elle ne s’encombre pas de fioritures, s’appuie sur des produits, rappelle que nous n’allons pas au restaurant pour manger les rideaux. Tout ici est tranchant, évident, solide, très bon. À midi, des formules au rapport qualité/prix difficilement égalable ouvrent leurs bras généreusement : plat du jour à 12,70 €, « à la carte » (entrée/plat ou plat/dessert) à 17 €, « menu de saison » à 22,30 € On peut croiser là un œuf de poule poché aux pleurotes et à la crème, un mesclun aux foies de volaille sautés, un tartare de bœuf au couteau avec ses pommes de terre frites, un merlu à la meunière et ses haricots vapeur, une salade d’oranges aux zestes confits.
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Le soir, la formule menu de saison à 27,40 € réitère la performance tandis que la carte offre, pour un ticket moyen autour de 55 €, de belles émotions gustatives avec, par exemple, des noix de Saint-Jacques rôties et beurre blanc ; un quasi de veau aux morilles, jus tranché et gnocchi au parmesan ; un magret de canard rôti au Banyuls avec sa polenta crémeuse ; des pruneaux d’Agen pochés au Corbières et aux épices douces ; une assiette de trois fromages d’Auvergne de chez Xavier… Les ascètes sont priés de passer leur chemin. Le service est discret, efficace et gentil. On a le sentiment que le mot d’ordre est de faire plaisir. C’est réussi.
À croquer à pleines dents Mais la grande cuisine se mesure aussi (surtout ?) à sa capacité à magnifier des plats simples ou traditionnels. Chez Chabrier, nous avons mangé les meilleures brandades de morue de notre vie. Le cassoulet fut parfois renversant. L’andouillette impeccable (évidemment labellisée « AAAAA », mieux encore que la note de la France sur les marchés). À la saison de la chasse, la cuisson parfaite de palombes saisies
en plein vol nous cloua le bec. Pour accompagner cela, la carte des vins affiche des valeurs sûres ne portant guère à la mélancolie : le muscadet de Joseph Landron, les vins de Gaillac de la famille Plageoles, le morgon de Lapierre, les faugères de Didier Barral… Dans la cave – à laquelle le personnel accède par une trappe située devant la porte d’entrée, ce qui donne un petit côté clandestin à certaines commandes – des trésors dorment sagement avant d’être réveillés par des clients curieux. Naguère, nous en fîmes extraire des merveilles comme ces vieux jurançons du maître Charles Hours. Des vers des Contrerimes de Paul-Jean Toulet revinrent alors à notre mémoire : « Un Jurançon 93 / Aux couleurs de maïs / Et ma mie, et l’air du pays / Que mon cœur était aise ». De fait, à La Rôtisserie des Carmes, il faut amener ses meilleurs amis et des âmes sensibles au regard mutin dont le souvenir, plus tard, bien plus tard, nous rappellera encore Toulet : « Que ce fut douce, hélas ; que c’est lointaine chose / Votre jupe bleu-lin, et ce transparent rose. » En attendant, voici du bonheur sans nostalgie. Ici et maintenant. À croquer à pleines dents.
La Rôtisserie des Carmes 38, rue des Polinaires 31000 Toulouse Ouvert du lundi au vendredi 05 61 53 34 88
BANC D’ESSAI
Opération cassoulet… Par Christian Authier
L’art culinaire du Viêt-Nam mis en scène à l’occidentale
Le Bibent
5 place du Capitole - Pas de réservation À propos de la mythique brasserie de la place du Capitole reprise en juin par le célèbre Christian Constant, certains aiment faire la fine bouche : trop ceci, pas assez cela… On se donne un genre. À ceux qui seraient tentés de céder à ces méchantes sirènes, on conseillera un test : goûter le cassoulet du Bibent. En bon Montalbanais, Constant connaît son affaire. Canard, saucisse, agneau, poitrine fumée, couenne, saucisson et autres sont convoqués comme à la parade. Quand le plat arrive, joliment gratiné, on s’y plonge et c’est une merveille faisant frétiller les papilles tout en calant l’appétit. Avouons que même sans avoir pris d’entrée, nous n’avons pas encore réussi à terminer les derniers haricots. Cela coûte 25 €. Qui dit mieux ? Personne.
Le Colombier
14 rue Bayard - 05 61 62 40 05 Une institution. Au-delà des saisons et des modes, Le Colombier attire les fidèles et perpétue sa renommée fondée sur le respect dû au « véritable cassoulet de Castelnaudary ». Depuis quelques années, Alain Colombier a imposé sa patte originale, mais reste intransigeant sur le plat-phare de la maison. Du classique, dans le meilleur sens du terme.
Le Bon Vivre
15bis place Wilson - 05 61 23 07 17 Parmi les établissements de la vénérable famille Méliet, le J’Go, son bistrot et le Pategrain n’ont plus à être présentés. Il faut également rendre hommage à la maison-mère sise place Wilson. Dans cet incontournable de la gastronomie toulousaine, il convient de se pencher sur la divine macaronade au foie gras poêlé ou le non moins incontournable cassoulet. On peut se régaler avec celui aux deux confits (porc et canard) comme avec celui à la morue, concoctés grâce aux épatants haricots tarbais de la famille Patacq. On arrosera le tout d’un Cahors de Matthieu Cosse.
Chez Émile
© Sébastien Maurette
13 place Saint-Georges - 05 61 21 05 56 Si ce restaurant s’est notamment fait une réputation (non usurpée) pour la qualité de ses poissons, il serait ballot de négliger le reste de la carte où pousse des coudes le cassoulet conçu par Monsieur Francis Ferrier (fondateur du restaurant) voici un demi-siècle. Aujourd’hui, le plat continue de s’appuyer sur la tradition – du confit de canard, de la saucisse de Toulouse, de la couenne… – qui affiche ici une insolente jeunesse.
Le Bibent
www.batbat.fr 8, rue des Filatiers M° Carmes ou Esquirol 05 61 25 49 49 Livraison midi et soir - Wifi Salon de thé de 9h à 19h Ouvert NON STOP 7j/7 - sauf lundi soir, 9h-22h30
EN VILLE
Les Toulousains le savent, les Sept Deniers vivent au rythme des matchs du Stade. Mais depuis l’inauguration de l’Amiral Job, il souffle comme un vent nouveau sur ce quartier populaire et familial en bord de Garonne. Spirit a tracé la route (de Blagnac) à sa rencontre. Textes et photos : Isabelle Bonnet-Desprez
Les Sept Deniers réunion de familles Trait d’union
La main à la pâte
Aux Sept Deniers, impossible de passer à côté de l’asso 7Animés présente sur tous les fronts : CLAE de l’école, les réunions publiques sur l’aménagement du quartier, les ateliers pour enfants et adultes, les festivals et manifestations de tout ordre. Bref un véritable trait d’union entre les gens du quartier, qui rassemble sous la même bannière citoyenneté et éducation populaire. « Tout part des habitants ! assure Véronique Azam, la directrice. Nous, on est là en soutien des projets. » Derniers projets en date, de nouveaux jardins partagés et un marché de plein vent le dimanche matin dès le mois de mars ! 7Animés, 05 34 43 84 33, http://7animes.fr
En rouge et noir
Dans la famille Tronquet, on met tous la main à la pâte : Jean-Loup le père, Ghislaine la mère et Gwenaëlle la fille. Dans la boutique de ce boulanger installé depuis plus de 26 ans dans le quartier, on en prend plein les nasaux et les mirettes, tant les étals débordent. Certains font du chemin pour croquer dans la fameuse baguette de gascon - presque du gâteau -, ou savourer de succulents petits pains spéciaux au maïs et un pain d’épices extra. Boulangerie-Pâtisserie Tronquet, 20bis route de Blagnac, 05 61 57 00 28
Ici Nougayork !
Adossée aux tribunes d’Ernest-Wallon, la Brasserie du Stade affiche la couleur : verres rouge et noir, vitrines de trophées et photos de rugby, ici on est bien dans le repaire des rugbymen, des joueurs du Stade, des hommes d’affaires et des soirées entre potes. La cuisine du chef Stéphane Garcia, conseillé par Michel Sarran (rien que ça !) y est raffinée, sans oublier d’être généreuse (foie gras laqué, cruchade aux abricots secs et pignons de pin, côte de porc noir sauce diable aux câpres, écrasé de panais). Le plus : le supporter y croise souvent les célébrités du club (nous, on y a vu Vincent Clerc !). Brasserie du Stade, 114 rue des Troënes, 05 34 42 24 20, www.stadetoulousain.fr, 40/50 € à la carte
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Elle porte son nom et Claude Nougaro himself l’a inaugurée en 1985. La salle Nougaro a la particularité d’être « la seule salle de spectacles privée gérée par un Comité d’entreprise, en l’occurrence celui d’Airbus », précise Bertrand Cano, le régisseur. Sa marque de fabrique ? Le mélange des genres accessible à tous : des spectacles d’humour (Guy Carlier le 29.03), du jazz, de la chanson française (Terez Montcalm le 13.03) et des musiques du monde. Sans oublier le plus jeune public. Et le 8.03, on ne rate pas le Trio Tenza, des Toulousaines accueillies en résidence ici, chez Monsieur Nougaro. Salle Nougaro, 20 chemin Garric, 05 61 93 79 40, www.sallenougaro.com
Le saviezvous ? Pourquoi les Sept Deniers ? Au MoyenÂge, s’étendaient ici des « prés », dont les Capitouls accordaient le droit de pâturage moyennant sept deniers d’or par an.
L’Amiral Job, symbole du renouveau de tout un quartier.
Gare au Ring
Love Boat
Il fait tapisserie…
Tout de blanc vêtu, à l’exception de son logo rouge si caractéristique, l’Amiral Job - c’est son surnom - en impose. Avec ses balcons filants, l’ancienne usine ressemble à un paquebot rétro, au charme industriel. Érigée en 1929, la papeterie a longtemps fabriqué du papier à cigarettes. Depuis octobre dernier, le Paquebot a pris un virage, tendance La Croisière s’amuse. Il abrite désormais une piscine, une MJC, l’école des musiques vivaces Music’Halle, des salles de concerts et d’expos, et les soirées des Vidéophages. Certains trouvent encore l’ensemble un peu froid mais le collectif Job et les habitants planchent pour s’approprier véritablement l’espace et lui apporter un peu plus de chaleur. L’espace Job, 105 route de Blagnac
Non, le tapissier n’est pas un vieux monsieur. À 26 ans, il a même plutôt l’air enfantin. Tel Obélix dans la potion magique, Jean-Antoine Santiago est tombé dedans quand il était petit. « J’étais toujours fourré dans l’atelier de papa. Je n’ai pas fait d’école, j’ai tout appris sur le tas », sourit-il en levant le nez de sa vieille machine à coudre. Chez ses clients, il examine l’état des boiseries, sélectionne tissus et matières. Puis dans sa boutique atelier, il répare et confectionne sur mesure matelas de laine et sommier tapissier - avec son père, il est le seul matelassier de Toulouse -, fauteuils de style et canapés. Atelier de tapisserie, 71 route de Blagnac, 05 61 62 30 98
Un resto, mais pas que… Ce n’est pas un hasard si le Théâtre 2 l’acte a vu le jour en 1968, année propice à toutes les agitations créatrices. Quarante ans plus tard, le Ring n’a rien perdu de son esprit frondeur, donnant la part (re)belle à « la création contemporaine inventive, l’improvisation, la scénographie éclatée et la confrontation des arts de la scène », selon son directeur Michel Mathieu, qui fut aussi, plus tard, de l’aventure du Théâtre Garonne. « Ici, on fait tomber les barrières pour avoir un autre rapport au public ». Lieu propice à la résidence, le théâtre dispose, sous chapiteau, d’une incroyable collection de costumes et de décors. On y aime s’y retrouver les derniers « beaux dimanches » du mois pour se confronter aux performances expérimentales et impros en tous genres. Un uppercut scénique. Le Ring, 151 route de Blagnac, 05 34 51 34 66, www.theatre2lacte.com
Une vieille bicyclette jaune tient le haut du pavé devant le resto associatif, écolo et culturel La Marmilie, ouvert par Marjorie, Julien et Émilie. Tout est fait maison, y compris le sirop de coquelicot, le vinaigre de vin et les petits pots de bébé (on plébiscite le coin jeu pour enfants). En cuisine, on s’approvisionne à côté, chez le caviste, le boulanger et le primeur du coin, et on n’a pas peur d’ouvrir grand les possibles : expos, ateliers avec les jardins partagés et même des dîners dans le noir. La Marmilie, 29 route de Blagnac, 09 54 21 59 27, lamarmilie.over-blog.com
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échappée belle
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Il faut se perdre à Venise. Bien sûr, elle sent la vase dans laquelle ses fondations s’enfoncent mais on l’arpente avec l’espoir d’y croiser un Doge, son plus cher fantôme. Sans boussole mais avec gondoles, il y a matière à une déambulation vagabonde. Et peut-être davantage encore l’hiver, à l’heure des brouillards, porteurs de mystère. Texte Isabel Desesquelles - Photos Éric Cherrière
À la recherche du Doge
Venise est parcourue de 177 canaux et 455 ponts arqués pour laisser passer les bateaux.
L
es amoureux de Venise... un cliché que l’on ose à peine assumer ! Y aller, c’est être suspecté de romantisme ! Il y a ceux qui se jurent d’attendre le seul, l’unique pour s’y rendre et c’est la vie qui passe. Et puis, il y a les amoureux de la ville qui y reviennent comme un vœu que l’on se fait. En cette veille de carnaval, Venise est déserte, étincelante de soleil, prise dans une froidure. Pas d’acqua alta, ces eaux qui montent de la lagune et recouvrent tout, achevant d’engloutir une ville totalement construite sur des pilotis au VIe siècle – la basilique de la Salute en compte à elle seule un million ! Sur le Grand Canal, qu’on remonte et redescend assis dans un des multiples vaporettos, on s’offre un parcours de beauté. Mais de Doge, point. La circulation est intense sur cette artère liquide qui fend la ville. C’est un va-et-vient de gondoles et motoscafi. Et quand on entend une sirène d’ambulance, c’est sur l’eau qu’elle demande le passage. Arrêt à San Marco. On veut comprendre à quoi pouvait bien ressembler la vie des Doges, ces magistrats qui décidaient de la vie de la République et se fiançaient à la mer Adriatique. Venise en connut 120, le premier en l’an 700, le dernier à la fin du XVIIIe siècle. Nous voilà devant leur Palais. On traversera la salle d’armes, avant de longer le pont des soupirs qu’empruntaient les condamnés avant leur exécution. Singulier parcours du tendre ! C’est peut-être pour cela que l’on aime Venise, elle se moque des clichés. Tout à côté, dans la Basilique Saint-Marc, ce ne sont pas les coupoles et leurs feuilles d’or que l’on admire mais les sols usés, creusés. On ne marche plus, on glisse sur un kaléidoscope de mosaïques de marbre qui créent de fausses perspectives. Suivant d’hypothétiques traces, on se perd. Le nez au vent d’hiver, on aperçoit des mouettes, bien plus que des pigeons…, des façades safran, rouge et de salpêtre et le crépi qui s’effrite. Au gré des canalettos, des
Vénitiens font leur marché sur l’eau, à même les barges à quai. On pousse jusqu’au Campo de l’Arsenale et ses lions de pierres qui gardent on ne sait quel secret derrière de hautes murailles. S’ils ne rugissent pas, les lions de Venise ont des ailes, et il en pousse un peu partout dans la ville. Après moult impasses et canaletti, on empruntera quelquesuns des 455 ponts jusqu’au Dorsoduro et ses églises. Il y en a plus de 80 dans le centre de Venise et chacune a au moins son chef-d’œuvre. Le Tintoret et consorts sont passés par là. Sans se soucier des touristes, l’autochtone trimbale lui ses effets sur des diables à deux roues qui lui servent en toute occasion : de la distribution du courrier au ramassage des poubelles. On revient vers le grand pont de bois de l’Academia. Avec celui du Rialto, il est un repère majeur, un passage presque obligé, la vue y est extraordinaire. D’un côté la Douane de mer, de l’autre une enfilade de palais plus délabrés et majestueux les uns que les autres. De Doge, toujours pas. On s’aventurera, alors, dans les immenses salles sombres du musée de l’Academia, jusque dans un couloir dédié à des œuvres faisant leur miel de crucifixions, d’individus percés de flèches, chaque tableau a son cadavre. Ils sont là les Doges, sages comme les images qu’ils sont devenus.
Pourquoi y aller ? • Pour l’arrivée à Venise depuis l’aéroport en bateau taxi, ces Riva dignes de James Bond. Il vous en coûtera 110 e pour deux personnes. • Pour toutes ces marches recouvertes d’algues qui ne mènent nulle part si ce n’est dans l’eau noire ou Céladon. • Pour le quartier de La Giuedecca, qui joue si bien les contrastes. D’un côté, le quartier ouvrier et ses draps suspendus qui font un ciel de coton. De l’autre les jardins des grandes familles vénitiennes qui n’ont plus les moyens de chauffer leurs palais. • Pour le luxe assumé d’une ville qui n’a pas peur des visons.
le Caractère Urbain Spirit • 29
© Fototeca ENIT / Gino Cianci
échappée belle
ALENTOURS
Je, tu... îles
En partant du quai Fondamente Nove, les îles, qui font aussi Venise, sont à portée de main. Murano, la plus grande, la plus proche, est celle du verre et des lustres fameux. De Burano et ses maisons roses, jaunes, violettes, Jean Cocteau a écrit qu’elle avait les couleurs d’un printemps fou. Ici, on fait dans la dentelle. Napperons à tous les coins de rues. Reste Torcello, ses deux églises et sa centaine d’habitants offrant à ses visiteurs une promenade toute de mélancolie fort douce, au point qu’elle pourrait presque nous retenir. Ce serait oublier San Michele, l’île cimetière. Sous les cyprès, entre des tombes qui sont une dernière demeure, il y a là une atmosphère tout sauf mortifère. Un jardin enchanteur que cette île vouée à l’éternité.
L’auberge
Carnaval
Haut les masques
À quelques encablures de la place Saint-Marc, se trouve le magasin de masques de Venise. Tout y est de bon goût et artisanal. Simples loups ou morettas avec leur voilette, masques d’Arlequin et de grandes duchesses mais aussi tout un bestiaire : du renard à l’éléphant. Il Canovaccio, Castello 5370, +39 041 521 0393, www.ilcanovaccio.com
Le goût de la mer
Bien manger à Venise est une gageure mais lorsque l’une des meilleures adresses de Toulouse, à savoir le Tire-Bouchon, vous conseille son lieu d’élection dans la Sérénissime, alors on se régale. Cette osteria qui doit son nom à un décor fait de têtes de lit accrochées au mur vous sert derechef un frizzante, dont on aura du mal à se déprendre. Et pour accompagner ce léger pétillant, ce sont des assiettes de cigales de mer, de couteaux, de seiches et de gambas grillés comme on les aime. On en sort joyeux, repu et reconnaissant. Alle Testiere, calle del Mondo Novo, Castello 5801, + 39 041 522 72 20 Et aussi Cantine del vino Schiavi, un caviste de bon goût où l’on mange debout les antipasti de la maison (Sestiere Dorsoduro 992) // Ou encore Al Vecio Marangon, une bicchetteria pour amateurs de ribs de porc confits et leur polenta (Campiello Cento Pietro)
30 • Spirit le Caractère Urbain
La pension
Joliment rétro
Murs recouverts de tableaux, sol marqueté, miroirs généreux, vaisselle en étain. À la Calcina Dorsoduro, on pense à Baudelaire et son Invitation au voyage, « là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Même si le chocolat chaud le plus célèbre de Venise reste celui du Florian, celui (bien épais) servi ici n’a rien à lui envier. Demander une chambre sur le canal de la Giudecca. Ou la chambre Dalia, isolée à cent mètres de la pension, on se croirait dans un bateau. Par la fenêtre on assiste au ballet de bateaux, de ferries, de barges pleines de denrées pour la ville et ses habitants. On dort volets ouverts, ou on ne dort pas, et c’est encore mieux ! La Calcina Dorsoduro, 780 Zattere, de 90 à 300 €, + 39 041 520 64 66, www.lacalcina.com
opéra
Les musées
Modernissimo
Dès la porte, ce sont des ronces de fer dans lesquelles se seraient pris de gros joyaux en toc. À l’intérieur, pas de toc, mais assurément l’un des lieux majeurs dédiés à l’art moderne. Avec des œuvres de Max Ernst, qui fut un temps le mari de Peggy Guggenheim. La salle Pollock et des richesses insolites : la tête de lit en argent d’Alexandre Calder et le bronze de Marino Marini L’ange de la ville, petit homme en érection qui surplombe le Grand Canal depuis un demi-siècle. Collection Peggy Guggenheim, Sestiere Dorsoduro 701, +39 041 240 54 11
Un torticolis signé Tiépolo
À deux pas du Campo S. Margarita, la Scuola Grande dei Carmini est à la fois, un musée et un lieu de concert. On commence la visite par un grand escalier et ses voûtes en berceau ouvragées que longent des rampes ciselées de sirènes et de Puttis en stuc. À l’étage, un plafond peint par Tiépolo. Certains sortent leur miroir réfléchissant afin de mieux admirer sans risquer le torticolis. Sur les murs, des peintures figurent la pénitence, l’humilité, la vérité, le courage, la prudence, l’espérance et la charité. Scuola Grande dei Carmini, Dorsoduro, 2617, à proximité du Campo Santa Margherita. De 9h à 12h et 15h à 18h, fermé le dimanche.
Le quartier
Le calme du ghetto
Le quartier juif, après le Rialto et juste avant la gare. Si tranquille, avec ses places où les puits poussent comme des champignons, ronds sous leur couvercle de bronze. Même fermés et cadenassés, ce sont des bouches d’ombre dont on ne sait quelle vérité elles renferment. Plus qu’ailleurs, ici on est hors du temps, et hors des sentiers trop touristiques. Ce doit être pour cela que Corto Maltese dans Fables de Venise y revient sans cesse.
Les livres
Deux ou trois choses que l’on peut lire… Rococo musical
La comtesse Livia, la fiévreuse Alida Valli dans Senso de Lucino Visconti, y rencontrait son amant autrichien. Après avoir entièrement brûlé, l’Opéra La Fenice, dont l’aigle est l’emblème, a retrouvé son élégance d’antan. Loin de ses cendres récentes, elle ne déçoit pas et le décor naturel du film de Viconti reste intact. Vingt nymphes toute poitrine dehors, quasi collées au plafond, des satires et des dragons aux balcons, la bonbonnière rococo fait son effet. Le cinquième et dernier étage et ses fauteuils 100 et 101 face à la scène, à 8 € le billet, sont assurément un ticket pour le paradis. La Fenice, Campo San Fantin 1965, + 39 041 24 24, www.teatrolafenice.it
Venises de Paul Morand. L’auteur y cite D’Annunzio évoquant le palais Dario « penché comme une courtisane sous le poids de ses colliers ». D’aucuns, Woody Allen en tête, considèrent cette façade comme l’une des plus mystérieuses de Venise. Elle est présentement bâchée pour ravalement. Souhaitons que la courtisane de pierre reste de marbre. Acqua alta de Joseph Brodsky. « Les rêves sont la fidélité des yeux clos », y est-il écrit. Un voyage entre les pages qui dit l’attirance pour une ville labyrinthe et ses eaux noires. Eaux lentes sur Venise de Françoise Cruz. Venise au XVIIIe siècle, Vivaldi, La Pietà et deux orphelines musiciennes. On respire la lagune et les secrets qu’elle charrie. Courtisane en tête. « Sa gondole portait à sa proue une lanterne rouge, ainsi que l’exige la loi pour les prostituées. »
le Caractère Urbain Spirit • 31
© The Keys
Cahier CULTURE
accrochages P.34 écrans P.38 entre actes P.42 sono P.46 en famille P.50 chroniques P.52
Mousse © Amandine Urruty
ACCROCHAGES
34 • Spirit le Caractère Urbain
Depuis son lit, Amandine Urruty dessine au crayon de couleur un univers foutraque, enfantin et dérangeant. Après Bordeaux, Paris et Berlin, la jeune Toulousaine installe son bestiaire baroque et bariolé sur les murs de la librairie Ombres Blanches, pour la sortie de son livre Robinet d’amour. Par Stéphanie Pichon
L’amour au bestiaire
A
mour, Espérances, Robinet ! » Ainsi résonnait, il y a peu, la langue rabelaisienne sur une scène de théâtre toulousaine. Il n’aurait pas paru incongru que la dessinatrice Amandine Urruty aille piocher dans l’univers fantasque de Rabelais pour trouver un titre à son dernier ouvrage. Mais non. C’est au-dessus du pubis d’un légionnaire, (dans un livre de photos) qu’elle a lu « Robinet d’amour ». Bingo ! Aujourd’hui, le livre sorti chez les Requins Marteaux donne lieu à une exposition à Ombres Blanches.
«
Enfantin et répugnant à la fois C’est d’abord la couleur qui saute aux yeux. Éclatante, de préférence avec du rose, et beaucoup de détails autour. Amandine Urruty, tout juste 30 ans, aime les univers flashy, qui rappellent l’enfance, et les bonbons acidulés. Ses dessins, qu’il faut prendre le temps d’examiner longtemps, pratiquent l’accumulation à outrance. Dans cette jungle luxuriante peuplée de créatures hybrides façon Muppet Show, on décèle de jolis minois à la truffe humide, des poils multicolores, des chevelures lisses agrémentées d’objets fantasques, des groins sexys et griffes rouge vermillon. Les yeux – sa marque de fabrique – sont partout, sur les genoux, sur les seins, sur les robes… Mouillés, presque tendres, un brin désespérés, ils vous regardent sans méchanceté. C’est là, la patte « Urruty »: faire croire à un dessin
enfantin, qui se révèle, à bien y regarder, inquiétant, voire gentiment répugnant, sans jamais tomber dans l’agressif ou le dégueulasse. Il y a de l’amour aussi dans ces personnages alanguis, ces couples à tête de castors, ces belles à tatouages qui portent leurs seins en écharpe. « Et lassata viris necdum satiati recessit » peut-on lire en sous-titre de son ouvrage Robinet d’amour. Traduit, ça donne : « elle quitte [les lieux de débauche] épuisée par des hommes, mais non pas repue ». Le ton est donné. Les femmes occupent le devant de la scène, souvent au centre, telle des déesses que regardent d’en bas de petites créatures incongrues : saucisses cravatées ou escargots baveux…
logique additive Armée de ses crayons de couleur – même si pour l’exposition à Ombres Blanches, l’artiste a eu recours aussi à la gouache et au feutre – Amandine semble résolue à se laisser aller à « la
logique additive » pour réaliser ses planches. Du genre « castors + saucisses + barbapapa = cool » décrit-elle. C’est vrai qu’on n’est pas loin de l’ambiance fête foraine sur certains dessins. Dans d’autres c’est le rock qui domine. Rien d’anormal pour une jeune fille qui a débuté en chantant (faux, précise-t-elle) dans un obscur groupe de chanson toulousain, s’apercevant rapido qu’elle préférait dessiner les affiches plutôt que s’égosiller dans les caves. Depuis, la petite Toulousaine a fait son chemin, depuis son lit, l’endroit où elle travaille le mieux. En 2008, elle croise la route de Philippe Katerine dans les coulisses de la Star Academy et devient son body-painter attitré pour sa tournée. Aujourd’hui, elle a rejoint le collectif Arts Factory, multiplie les expositions liées à son livre Robinet d’amour, et s’est faite inviter par Pictoplasma, à Berlin et Paris, pour donner des conférences. À 30 ans, elle va peut-être devoir accepter de passer moins de temps en chambre.
Amandine Urutty jusqu’au 18.02, salle de conférence, Ombres blanches, entrée libre Robinet d’amour Amandine Urruty, Les Requins Marteaux, 17 €
amandine semble résolue à se laisser aller à
la logique additive. Du genre castors + saucisse + barbapapa = cool. le Caractère Urbain Spirit • 35
ACCROCHAGES
Quel est le point commun entre un homme des cavernes et un artiste contemporain ? Ils utilisent les mêmes éléments : le feu, le bronze et les armes. L’espace Paul-Éluard de Cugnaux l’a bien compris, avec l’exposition À l’épreuve du feu. On y découvre des dépouilles en métal, des machines de guerre en fil de fer, des tissus tachés de brûlures. Il s’agit d’œuvres choisies dans la collection des Abattoirs, réalisées par huit artistes contemporains. Âge d’or du Bronze, l’exposition précédente, montrait les bouleversements engendrés par la maîtrise des métaux et donc des armes par l’Homme. Cette fois-ci, c’est au tour des artistes d’évoquer le désordre et le chaos de cette humanité guerrière. La rencontre entre art et archéologie s’exprime sous plusieurs formes : on trouve une installation signée par l’artiste chypriote Theodoulos, composée de tubes de ciments et de moniteurs vidéo, dont l’aspect est proche de celui d’un lieu de fouille. Plus loin, une photographie d’une chambre en feu mise en scène par Bernard Faucon, s’apparente à un rite de purification. Il y a même des petites statuettes de gardiens armés par l’artiste Tino, qui pourraient bien sortir tout droit d’un manga. Si les siècles passent, l’attrait pour le feu, le fer et la guerre reste. Leur régénération, ici interrogée par les artistes, nous permet de mieux comprendre le lien entre la Préhistoire et nous. \ Maylis Jean-Préau \ Jusqu’au 17.03, espace Paul-Éluard, Cugnaux, 05 61 76 88 99, gratuit
La Chambre Qui Brûle, 1983 © Bernard Faucon, Coll. Les Abattoirs Toulouse, Grand Rond Production
La guerre du feu
Le coup
GisèleVienne, Last Spring : a Prequel, 2012 © Alain Alquier
de la girafe Prenez un texte poétique, ou plutôt une déclaration d’intention surréaliste : Una Jirafa de Luis Buñuel. 1933. Demandez près de 80 ans plus tard à 21 artistes aragonais de reconstituer le puzzle de cet objet surréaliste, que le cinéaste et poète avait conçu comme un « lieu » de rencontre et de création. Vous obtiendrez l’exposition Une Jirafa poème visuel de Luis Buñuel à l’Institut Cervantes de Toulouse. Dans ce parcours, tout est matière à reconstituer la fameuse girafe, porte d’entrée vers un objet surréaliste à construire : peinture, photographie, installation, collage, sculpture. Ou comment ouvrir le dialogue entre des générations artistiques, et rétablir le lien entre l’héritage du maître du début du siècle et les imaginaires d’aujourd’hui. \ S. P. \ Jusqu’au 29.02, Institut Cervantes, 31 rue des Chalets, entrée libre, 05 61 62 80 72, http://toulouse.cervantes.es
« Avant, je pensais qu’il parlait tout seul », beau titre énigmatique pour une expo qui ne l’est pas moins au Parvis de Tarbes. Gisèle Vienne en est l’âme conceptrice. Invitée dans le cadre du festival Collection d’Hiver, l’artiste pluridisciplinaire (danse, théâtre, installations) y a présenté sa pièce Jerk, avant de répondre à l’invitation de Magali Gentet, commissaire de l’exposition. Quittant le monde des vivants, le spectateur embarque pour une plongée en eaux troubles dans l’espace hanté par les voix et les spectres, inspirée de la maison de veuve Winchester (la carabine, oui). Gisèle Vienne y a placé son installation Last Spring : a Prequel, où une silhouette adolescente robotisée se lance dans un dialogue schizophrénique avec une marionnette. Pour cette carte blanche, Gisèle Vienne a aussi convié Jean-Luc Verna et ses dessins fantomatiques, tel ce portrait éclairé de manière à ce que le visage apparaisse ou non, perdu au milieu d’une couronne de plumes noires. Plus apaisée, l’œuvre de Vidya Gastaldon offre comme un entre-deux mondes avec sa sculpture « montagne flottante », colorée, au centre du parcours tout de noir et de blanc. \ S. P. \ Jusqu’au 11.02, Parvis centre d’art contemporain à Ibos (65), www.parvis.net
© Caja Sangre - Paco Seron Torrecilla
Esprits, êtes-vous là ?
télex Musée de l’affiche. La thématique sur l’homme continue. En ce moment « Juste l’homme » présente la mode masculine et les produits de beauté en affiches. Jusqu’au 9.03. GHP. La galerie toulousaine qui avait fermé ses portes en septembre, renaît de ses cendres… sur le web. www.ghp-store.com a ouvert officiellement fin janvier. On y trouve des sérigraphies, des bouquins et autres produits dérivés signés Dran, Amandine Urruty, Océane Moussé ou Sophie Bacquié. Aquarelle. La 1ère biennale d’aquarelle de Toulouse se tiendra du 4 au 24.02 à la Maison des associations, à Toulouse Saint-Agne. 36 • Spirit le Caractère Urbain
© Haut et Court
ÉCRANS
38 • Spirit le Caractère Urbain
Sous les dehors d’une enquête sur la prostitution étudiante, le film Elles démaquille la morale trouble de l’époque. Juliette Binoche y est impériale. Par Alex Masson Sortie le 01.02
Le prix à payer C omment parler du féminisme au cinéma aujourd’hui ? La réalisatrice polonaise Malgorzata Szumowska choisit de le faire en traitant d’un phénomène de société, la prostitution étudiante. Son film Elles démarre par une enquête journalistique menée par Anne (Juliette Binoche), travaillant pour Elle, le magazine. Pour les besoins de son article, elle va rencontrer deux jeunes femmes qui font occasionnellement commerce de leur corps. Leurs conversations vont profondément troubler l’intervieweuse, au point de remettre en question sa vie de couple. Elles transcende un matériau qui aurait pu être utilisé par Envoyé spécial ou n’importe quel magazine d’investigation pour faire bander ses courbes d’audience, en pseudo état des lieux de la condition féminine. Malgorzata Szumowska y fait converser deux générations de femmes. La journaliste est née à l’aune de Mai 68 et de la révolution sexuelle, les deux étudiantes à l’orée des années Sida. Entre les deux, un fossé culturel que le film sonde afin de faire le point sur la sexualité mais aussi sur la reconnaissance professionnelle ou conjugale des femmes. Elles monte à la tribune avec un incroyable courage : celui de ne pas détourner les yeux, parce que c’est le seul moyen de jouer à armes égales avec le politiquement correct et de dépeindre la complexité d’exister socialement face au consumérisme à outrance, et son lot de frustrations ou de fausses valeurs.
Elles et nous Szumowska interroge décidément avec intelligence notre époque en posant des questions pertinentes jusque dans sa mise en scène. Tout en étant d’une ébouriffante élégance visuelle, Elles ne craint pas de mettre mal à l’aise en jouant avec le voyeurisme. Le spectateur se retrouve témoin passif - comme il le serait
devant sa télé - de scènes de la vie conjugale ou de relations sexuelles très crues. Mais, au final on se demande ce qui est le plus dérangeant : les images de l’effondrement psychologique d’une quadra (incarnée par Juliette Binoche, exceptionnelle) plus cloîtrée dans les diktats et les conventions qu’elle ne le pensait ou celles de la sexualité désinhibée et assumée des deux jeunes femmes (Anaïs Demoustier et Joana Kulig, pas moins méritantes) ? Elles s’aventure au-delà de la sphère purement féminine pour questionner le fonctionnement de notre société contemporaine. Si le film est éminemment transgressif, ce n’est pas tant par son regard frontal que par son contenu politique. En montant au créneau contre les hypocrisies et les œillères de la morale telle qu’elle se pratique aujourd’hui, le film résonne de manière beaucoup plus pertinente que la plupart des magazines féminins.
Elles de Malgorzata Szumowska avec Juliette Binoche, Anaïs Demoustier, Joanna Kulig
Szumowska interroge
décidément avec intelligence notre époque en posant des questions pertinentes jusque dans sa mise en scène. le Caractère Urbain Spirit • 39
ÉCRANS
Effet bœuf On sait depuis longtemps que le cinéma belge est prêt à toutes les incongruités. Y compris désormais à faire des polars à tendance shakespearienne sur des sujets plus qu’improbables, soit, dans le cas de Bullhead, un trafic d’hormones dans le milieu de l’élevage bovin sur fond de pays plat et... gris. Et pour compliquer encore un peu le scénario, il est aussi, et surtout, question d’un éleveur qui voit remonter à la surface un terrible traumatisme d’enfance. La tête de bœuf du titre c’est lui, Jacky Vanmarsenile, incroyable masse de muscles, colosse dopé aux hormones de bœuf qui renferme de profondes blessures l’ayant peu à peu coupé du monde. La reconnexion va être des plus douloureuses, surtout lorsqu’elle est saupoudrée d’un autre problème d’identité, celui lié au clivage Wallons/Flamands. Au-delà de ses accents de policier - ouvrant un espace inédit entre les solides polars d’Alain Corneau et l’ambiance rugueuse du cinéma d’un Nicolas Winding Refn (Drive, Pusher) Bullhead est ainsi nourri par une fêlure belge ultra-sensible, relue à l’aune d’une inextricable lutte des classes prête à exploser. Tout autant que Jacky, bombe à retardement de plus en plus instable au fur et à mesure du film. Matthias Schoonaerts est particulièrement impressionnant dans ce rôle. Tour à tour inquiétant et vulnérable, il est sans doute la plus grande révélation d’acteur depuis l’apparition de Tom Hardy (Bronson, Inception...). Il va aussi falloir dorénavant compter sur Michael R.Roskam, cinéaste qui s’empare des codes du film de genre pour leur donner plus d’intensité et les faire glisser vers une tragédie poignante. \ A. M. \ Bullhead de Michael R.Roskam avec Matthias Schoenaerts, Jeroen Perceval, Jeanne Dandoy
Jours heureux en famille… Depuis Festen, le règlement de comptes familial un jour de fête est devenu un genre cinématographique en soi. Après de nombreuses et pâles copies, Another Happy Day replace la barre haut. Dans la famille névrotique, je demande celle de Lynn, elle-même limite psychotique : ses deux fils sont, l’un atteint d’un syndrome d’Asperger, l’autre d’addiction aigüe aux drogues en tout genre, sa fille est adepte de l’automutilation, et sa mère ne supporte plus un mari qui enchaîne... les infarctus. L’explosion est proche lorsque tout ce petit monde névrosé se trouve réuni pour le mariage d’un des fils. Sam Levinson a un véritable don pour l’écriture : tous les personnages d’Another Happy Day ont une belle épaisseur psychologique, tandis que le film valse sans souci entre comédie grinçante et drame serre-kiki. Dans un dispositif très proche de Festen, on découvre un réalisateur plus que prometteur, tenant à la fois de Judd Apatow ou de Robert Altman, parfaitement à l’aise dans son portrait aigre-doux d’un microcosme aux failles de plus en plus profondes.\ A. M \
© Les films du Losange
Sortie le 01.02
Les ailes brisées
Another Happy Day de Sam Levinson avec Ellen Barkin, Ezra Miller, Kate Bosworth
Dans un cinéma, une femme pleure sans que l’on sache si c’est à cause du film projeté ou de la scène qui a précédé. Collé à son héroïne, une Sandrine Kiberlain retirée de la vie, dans un Bordeaux qu’on avait rarement vu aussi fantômatique, L’oiseau laisse de petits indices à ramasser, au lieu de souffler toutes les réponses. Il rappelle parfois le cinéma des frères Dardenne, voire Tree of Life, le palmé de Terrence Malick : même thème (un deuil omniprésent, mais jamais frontal), même attrait pour l’eau et la lumière naturelle. Mais avec son lyrisme étouffé, et la solidité d’une histoire qu’on imagine longtemps mûrie, Yves Caumon parvient à garder les références à distance. Au risque, tout de même, de faire tomber sa mise en scène dans une certaine austérité. \ Baptiste Ostré \ L’oiseau de Yves Caumon. Avec Sandrine Kiberlain, Clément Sibony, Bruno Todeschini Sortie le 25.02
télex Festival. « Des images aux mots », 5e édition. Le festival de cinéma lesbien, gay, bi et trans de Toulouse se tient du 06 au 12.02 avec 25 films au programme. En ouverture, l’avant-première de Going down in La-La Land de Casper Andreas. Appel à projets. Les Vidéophages lancent un appel pour leur prochaine « Faites de l’image » qui aura lieu les 6 et 7.07 prochains. Prêts à toutes les propositions (photo, films, vidéos) ils imposent juste le thème : « côte à côte ». À envoyer aux Vidéophages, 9 rue de l’étoile, Toulouse ou pepa.videophages@free.fr. 40 • Spirit le Caractère Urbain
© Nicolas Karakatsanis - Ad Vitam Distribution
Sortie le 22.02
art et essai
Go Go Tales - Abel Ferrara / 2007
Alors que l’on attend toujours la sortie de 4:44, film d’apocalypse en appartement, Abel Ferrara donne de ses nouvelles via une œuvre de... 2007. Les temps sont durs pour l’âme damnée de Scorsese. Jugé trop incontrolâble, le réalisateur de Bad Lieutenant ne doit plus sa survie qu’à une poignée de fidèles amis. Et s’il est clair que Go Go Tales n’a pas la splendeur de King of New-York, le film rappelle le talent de ce véritable indépendant à fréquenter les bas-fonds de l’âme humaine. Entre caricature du monde du spectacle et grotesque kitsch, Go Go Tales ne quitte jamais le club de striptease dans lequel il a élu son cadre. L’intrigue, prétexte, peut rebuter, mais n’empêche pas le film d’être sauvé par ses acteurs, au centre desquels, le toujours dérangeant Willem Dafoe, ou Asia Argento qui nous gratifie d’une sulfureuse lapdance. \ B. O.\ Dès le 8.02, Cinéma ABC
Ciné Indé from USA 2 - Rétrospective
Après une première partie en mai dernier, la Cinémathèque termine son exploration du cinéma indépendant US. Période faste, la décennie 80-90 a vu l’explosion des Tarantino, Soderbergh, Hartley et autres Jarmusch. La fin du rêve a, depuis, sonné : les petites structures se font mastodontes quand le festival de Sundance, fleuron de l’indépendance, n’est plus qu’une étiquette. Petit bémol : la Cinémathèque n’a pas annoncé de 3e partie. Il y aurait pourtant beaucoup à dire (et à montrer) sur les années 2000, entre difficultés croissantes pour les cinéastes et émergences de nouveaux modèles de production (Internet est passé par là). \ B. O.\ Jusqu’au 4.03, à la Cinémathèque de Toulouse
Metropolis - Exposition
© Cinematheque De Toulouse
S’il faudra attendre mars pour voir la version complète de Metropolis à Toulouse (déjà disponible en dvd), les coulisses de ce bijou du muet (1927) se visitent à l’espace Edf-Bazacle. L’exposition dévoile les dessous d’un grand film malade, au budget faramineux et à l’influence toujours vivace. Monté à Berlin, visible à Paris en 2011, le parcours recrée les différentes scènes et atmosphères du film de Fritz Lang : la ville ouvrière, le laboratoire de Rotwang, les catacombes... Pour Natacha Laurent, directrice de la Cinémathèque, le défi a été de trouver un lieu suffisamment vaste pour accueillir une exposition démesurée, à l’image d’un « film cathédrale » (selon Luis Buñuel). Heureusement, le Bazacle remplit tous les critères. « Les partenaires allemands ont été sous le charme de son cadre industriel, qui renvoie au film » explique Natacha Laurent. Nul doute que la reproduction de la femme-robot devrait y être à sa place, entre dessins originaux des décors, partitions de musique, les voix de Fritz Lang, Théa Von Harbou (scénariste), des décorateurs, photographes et de la costumière. « Exposer la création et l’histoire d’un film est très rare » rappelle la directrice. Sachant que le film, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, a 80 ans et que certaines bobines ont failli être perdues à jamais, l’événement tient presque du miracle... \ B. O.\ Du 14.02 au 15.04, Espace EDF-Bazacle, du mardi au dimanche, entrée libre
Metropolis
Othello © Tania Kelley
ENTRE ACTES
42 • Spirit le Caractère Urbain
2012, année politique. Le TNT profite de l’appel aux urnes pour ausculter « L’ivresse du pouvoir ». Qui mieux que Shakespeare pouvait en rendre compte ? Avec l’Othello du Berlinois Thomas Ostermeier et le Macbeth de Laurent Pelly, violence, folie et ambition s’invitent sur le plateau. La poésie aussi. Par Stéphanie Pichon
Jeux
interview Laurent Pelly,
codirecteur du TNT
de massacres
D
ans Shakespeare, point d’élection, ni de joute électorale. Ici les campagnes sont plutôt guerrières, et le pouvoir se conserve par le sang, le meurtre et les intrigues. Pourtant ces pièceslà, en l’occurrence Othello mis en scène par le Berlinois Thomas Ostermeier, et Macbeth, la toute nouvelle création du codirecteur du TNT, résonnent étrangement dans notre présent. Assez pour que le théâtre national toulousain les rassemble sous la thématique « L’ivresse du pouvoir », qui comptera aussi deux pièces de Jean Genet. « Dans Macbeth il est question de barbarie, d’assassinats, de rebelles, cela fait forcément écho à une actualité récente dans le monde arabe. La fin de Kadhafi, c’est exactement la mort de Macbeth ! », estime Laurent Pelly.
Trahison, racisme et intrigues Dans Othello, Ostermeier a choisi un Iago plus fourbe que jamais, maître du double jeu et de la manigance, rongé par l’ambition au point de faire sombrer définitivement le général Othello, son supérieur qui ne l’a pas promu. Le metteur en scène de la Schaubühne a choisi de faire d’Othello « le noir », là où Shakespeare l’avait décrit comme « Le maure de Venise ». Peu importe finalement, (d’ailleurs le comédien, Sebastian Nakajew, est blanc comme un linge !), puisqu’ici la vraie question est celle du racisme exacerbé, d’un étranger rejeté par une société qui, au moindre faux pas, lui balance son altérité à la figure. Une fois de plus, Ostermeier cultive
ce théâtre à l’allemande si engagé dans le jeu, si énergique grâce à une scénographie qui compose avec des éléments, des couleurs, de la vidéo et de la musique. Un cocktail explosif de trahison, jalousie et ambition, qui entraîneront Othello le rationnel, dans la spirale de la folie.
Absurdité et violence Le Macbeth de Laurent Pelly n’est pas moins perdu, bien que tyran. Poussé par sa femme, il bascule dans une criminalité qui n’a d’autre but que de conserver le pouvoir. Réunissant 14 comédiens, dont Thierry Hancisse, pensionnaire de la Comédie Française, dans le rôle-titre, Laurent Pelly prend les commandes de la mise en scène, mais aussi de la scénographie et des costumes pour une pièce de la démesure, absurde et violente, habitée de forces surnaturelles. « C’est d’un suspense et d’une modernité incroyable », souffle Laurent Pelly. « Dire que ça a été écrit en 1606 ! On pourrait aujourd’hui faire un film noir splendide à partir de ce scénario ». Un scénario où l’amour du pouvoir s’accompagne de sang et de larmes. Dans les urnes françaises, le combat devrait être moins sanglant. Mais tout aussi impitoyable.
Le 17.03, 16h, conférence-débat « L’énigme du pouvoir, entre domination et servitude volontaire » avec Eugène Enriquez, et Vincent de Gaulejac, Petit Théâtre, entrée libre sur réservation 05 34 45 05 05.
Othello, mise en scène de Thomas Ostermeier, les 3 et 4.02 Macbeth, mise en scène de Laurent Pelly, du 29.02 au 24.03, 7 à 23 €, TNT, www.tnt-cite.com
Monter Macbeth en pleine année électorale, cela s’est imposé ? J’avais d’abord pensé à Ubu Roi qui s’inspire d’ailleurs beaucoup de Macbeth, dont c’est une sorte de parodie. Puis j’ai pensé à le monter en diptyque avec Macbeth. Mais c’était trop lourd matériellement. Finalement je me suis lancé dans Macbeth, l’une des plus belles pièces du répertoire. Chaque ligne est passionnante. Il y a une richesse infinie et en même temps beaucoup de simplicité. Dans cette pièce, c’est la course au pouvoir par le crime, a eu pouvoir pour le pouvoir, qui conduit à la folie. Comme toujours chez Shakespeare, on mêle l’humain et le grave, la tragédie et l’humour. Le théâtre a-t-il encore quelque influence sur le cours des choses politiques ? Non. Mais le théâtre a encore tout à dire, comme la littérature ou le cinéma. Comment avez-vous imaginé la mise en scène de ce monument ? Sur cette pièce je fais aussi la scénographie et les costumes. C’est la première fois que je prends en charge une scénographie aussi importante. Il a fallu inventer un monde absurde et dérisoire. J’ai choisi l’idée d’un labyrinthe aux murs mobiles qui symbolise le cauchemar dans lequel est enfermé Macbeth. Cela évoque aussi l’idée d’une forteresse, d’un ennemi extérieur. Avez-vous ancré la pièce dans une époque ? Par le biais des costumes, j’ai choisi un entredeux, quelque part entre la période médiévale et l’époque actuelle. Pour les soldats par exemple, je garde le heaume et quelques armes d’époque, mais j’y ajoute un uniforme d’aujourd’hui.
le théâtre a
encore tout à dire le Caractère Urbain Spirit • 43
ENTRE ACTES
Un Radeau fait escale en bord de Garonne et c’est tout le petit monde du spectacle vivant qui bruisse. La rumeur enfle depuis trente ans, son capitaine serait un peu magicien… Ceux qui connaissent déjà le travail de François Tanguy sont formels, c’est une expérience de théâtre total : texte, scénographie, jeu et lumières écrivent de concert la partition. Comme dans ses pièces Ricercar et Coda, Onzième nous parle de musique, référence au onzième des seize quatuors à cordes de Beethoven. Pour conter cette nouvelle aventure du Théâtre du Radeau, rien de moins que les plus grands textes, des Frères Karamazov de Dostoïevski à Richard III de Shakespeare, en passant par La Divine Comédie de Dante. Tout est d’une brûlante actualité : la violence politique, l’engagement, l’indignation… Encore et toujours le théâtre de Tanguy « tente de dire l’endroit d’où l’on regarde ». Sur le plateau, l’univers est reconnaissable entre mille : des panneaux coulissants démultiplient les points de vue, à la fois créateurs d’une géométrie dans l’espace et supports d’images. Un écrin de bric et de broc bâti par les comédiens, graciles silhouettes en noir et blanc que viennent rehausser le nœud rouge d’un chapeau ou le taffetas bleu d’une crinoline. Tanguy procède par touches de couleurs, pointes de textes, fragments musicaux laissant au public le soin de composer une variété infinie d’histoires, à condition de lâcher prise et plonger la tête la première dans ce théâtre « du sensible ». Écoutons la recommandation du capitaine : « ne pas parler et se promener en compagnie des créatures »… \ Karine Chapert \ Du 3 au 11.02 (relâche le 5.02), Théâtre Garonne 9/25 €, www.theatregaronne.com
© Didier Grappe
Onzième, ça ne veut rien dire
La vie est un
grand cabaret...
© Jacques Taboni
Inspiré d’Adieu à Berlin, roman de Christopher Isherwood, le musical Cabaret voit le jour en 1966. Six ans plus tard, Bob Foss le porte à l’écran avec une inoubliable Liza Minnelli. En 1998, la comédie musicale revient à l’affiche dans une mise en scène de Sam Mendes et une chorégraphie de Rob Marshall. Résultat : guichets fermés à New York et une tournée internationale qui le conduit aujourd’hui à Toulouse. « Willkommen, bienvenue, welcome ! » Poussons donc la porte de ce cabaret, et suivons le jeune écrivain américain Cliff Bradshaw (impeccable Geoffroy Guerrier) à la conquête des nuits agitées du Berlin des années 30. L’histoire est en marche, le nazisme se profile… La troupe d’une trentaine de jeunes interprètes est épatante, parfaitement rompue au métier de la scène, capable à la fois de jouer, danser, chanter et maîtriser un instrument. Coup de chapeau à Claire Pérot, épatante en Sally Bowls, star incontestée du Kit Kat Club, au touchant Emcee d’Emmanuel Moire (Le Roi Soleil) et au fantastique jazzman toulousain, Camille Artichaut, au sax et à la clarinette. \ Laurent Sorel \
Sang pour cent !
© Brinkhoff - Moegenburg
25 et 26.02, à partir de 29 €, Zénith de Toulouse Il y a comme cela des compagnies toulousaines que l’on voit peu ici... C’est le cas de Ballet Actuel, de retour avec sa dernière création, O positif, après deux ans de tournées. La scénographie clinique signée Benoît Lafourcade donne d’autant plus de place aux cinq danseurs lancés dans une partition techniquement exigeante qui requiert don de soi et sensibilité. Le corps, la chorégraphe Nathalie Bard a ça dans le sang. Elle veut transmettre son virus en invitant son public à laisser tomber l’intellect deux minutes, quitte à mieux reconnecter les neurones aux artères ensuite. En cela, elle propose de (re)découvrir le poète Antoine Emaz dont les textes, avec ceux de Bernard Noël, sont intégrés à la musique de David Dilliès : « La poésie démarre où la pensée prend fin. » \ Valérie Lassus \ 15 et 16.02, 21h, 10 / 16 e, auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines, 05 61 23 36 82, www.balletactuel.com
télex Polars d’hiver. Cugnaux cultive le noir, avec un mini-festival de deux jours rendant hommage aux maîtres du genre. Le conteur Pépito Matéo construira un récit policier, dans un collage surréaliste de mots et de musique (28.02). Le pianiste Stéphan Oliva jouera 12 œuvres emblématiques du film noir (01.03) avant de donner une conférence sur les liens entre jazz et cinéma (02.02). Théâtre Paul-Eluard, 05 61 76 88 99. Collages à la Prévert. La Cie Paradis Éprouvette lance une invitation au voyage dans la poésie de Prévert avec ses Collages & inventaires. Du 8 au 18.02, Cave Poésie 05 61 23 62 00.
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© Julien Lachaussée / Sony Music
sono
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Il cherchait un garçon, il semble avoir trouvé Dieu. Vieil animal punk blessé par les années dope, Daniel Darc avance plus aguerri que jamais dans La taille de mon âme, album aux accents gainsbouriens. L’ex-Taxi Girl revient plus chanteur que rockeur, et même un brin rieur… Propos recueillis par Stéphanie Pichon - Photo de Julien Lachaussée
La rédemption selon Daniel Darc Sur la pochette, vous êtes agenouillé dans une église, une valise à vos côtés, comme arrivé d’un long voyage. Daniel Darc aurait-il enfin trouvé un endroit où poser son âme ? Non, je ne suis arrivé nulle part. La valise pour moi, c’est plutôt le symbole que je peux me barrer quand je veux. Il se trouve que je suis dans une église, mais, pour moi qui suis protestant, ça n’a rien de sacré, c’est juste un endroit que j’aime bien. Il y a tout de même beaucoup de références à la religion dans l’album. Pas très rockeur ça, non ? Je me fous de faire rockeur ou pas, j’ai donné assez de veines, de kilos, de sang, de stupre, de sperme, pour ne pas avoir besoin d’une crédibilité rock. Je ne sais pas ce que ça veut dire « rockeur ». Ces derniers temps ce mot est employé n’importe comment. En tournée dès que l’hôtel est un peu pourri, les mecs disent « c’est un peu rock’n roll ». Pour moi le rock c’est pas un truc foireux, c’est glam’. Quant aux références religieuses, oui, je suis croyant, et je me sens plus à l’aise à genoux en priant Dieu qu’à un concert de Judas Priest. On avait l’image d’un mec écorché, maudit, rescapé, et là, on découvre un chanteur, poète, au ton presque enjoué, drôle… Moi, ça ne me surprend pas. Laurent Marimbert qui a produit ce disque, a aussi été étonné. Il m’a dit « t’es fun, il faut qu’on s’en rende compte dans le disque. »
Daniel Darc + Greenshape, le 29.02, 20h30, Bikini, 23 e
Vous avez rencontré Laurent Marimbert par l’intermédiaire de Christophe. Est-ce que la confiance s’est instaurée tout de suite, sachant qu’il avait aussi produit les disques de Jennifer, de Sheila ou des 2be3 ? Le fait que Christophe me parle de lui, c’était déjà une caution. Et puis on s’est rencontré, il était timide, moi aussi, on n’a pas beaucoup parlé, il a joué un truc au piano que j’ai trouvé beau. Le lendemain j’étais dans son studio. Ça a commencé comme ça. Ce qui m’intéresse, c’est comment les gens se comportent avec moi, le reste je m’en fous. C’est le premier disque où je travaille vraiment 50/50, au point que sur le livret j’ai écrit « paroles et musiques Darc/Marimbert ». Il est intervenu sur les textes dont j’avais plein de
versions, et que j’improvisais en studio. Et moi, j’ai suggéré des choses sur la musique. Il y a eu une vraie interaction. Le disque est très arrangé, on y entend des instruments de toutes sortes, des atmosphères qui donnent une couleur à chaque morceau. C’est sa patte ? On en est tous les deux responsables. En tout cas, il a eu la classe de ne jamais insister quand des choses ne me plaisaient pas. Et de m’écouter aussi. Mais les arrangements, c’est beaucoup lui. Pour la première fois, j’ai vu un orchestre jouer devant moi, avec lui qui écrivait la partition. C’était émouvant pour moi qui ne sais pas l’écrire, pas la lire non plus, ou alors à deux à l’heure. En écoutant cet album, on ne peut s’empêcher de penser à Gainsbourg. Ça vous étonne ? Non, ça me fait plaisir ! Ça me ferait flipper si on me disait : « j’ai pas pu m’empêcher de penser à Frédéric François ». Quand on a commencé à me le dire, ça m’étonnait. Je trouvais que c’était moins Gainsbourg que les albums précédents. Mais il se trouve qu’en France, il y a Gainsbourg. En Angleterre personne ne dit « ça fait Beatles » à chaque bon album… En France, qu’est-ce qu’on peut dire, à part Gainsbourg ? Pour moi, il y a encore Claude Nougaro, Jean-Claude Vannier, quelques autres … Mais c’est tout. Dans le morceau « La taille de mon âme » on retrouve aussi la voix d’Arletty dans Les enfants du paradis, et la référence à l’énumération du Mépris de Godard. Le cinéma vous inspire ? Hitchcock m’a beaucoup plus influencé que Pascal Obispo. Si je pouvais renaître dans la peau
d’un autre artiste ayant existé, je serais Cassavetes, pour moi c’est ce qui se fait de mieux avec Hitchcock, Kitano, Leone. Et puis Wenders des Ailes du désir. Je crois surtout que la chanson c’est fini, ce n’est plus aussi important pour les jeunes de maintenant que pour nous. Bowie, et son glam rock, on se disait qu'il était en avance sur tout le reste. Et puis il y a eu le punk, pour moi ça a été une sorte d’acmé. Aujourd’hui, mes filleuls, dans la cour de récré, ils s’en foutent de la musique. Nous, on était obsédés par ça. Ce n’est pas vous qui vieillissez, tout simplement ? Bien sûr que c’est moi qui vieillis. J’ai 52 ans ! Je ne dis pas que c’est pire, mieux, ou moins bien, c’est différent. Pour moi Amy Winehouse était sublime, et malheureusement elle ne sera jamais une légende comme Janis Joplin. La musique n’a plus le même impact. Chanteur engagé, ça ne fait plus sens ? Pas plus aujourd’hui qu’hier. Je n’ai jamais voulu faire du Trust, j’ai toujours trouvé ça un peu ridicule. Je suis plutôt un chanteur dégagé. Mais dans le sens où Morrissey était un chanteur engagé avec un morceau comme Shoplifters of the World Unite, je le suis aussi. En tant que citoyen, je vote à gauche. Je viens de récupérer ma carte électorale qu’on m’avait enlevée parce que je suis passé par la prison. En 2012, j’irai voter parce que c’est plus possible de continuer avec ce gouvernement. Il faut vraiment faire du ménage. Vous seriez prêt à chanter entre les deux tours pour soutenir la gauche ? Hors de question. Peut-être que si on me payait énormément, je dirais oui. Alors que Sarkozy, même s’il payait beaucoup, ce serait non !
En Angleterre personne ne dit
« ça fait beatles » à chaque bon album… En France, qu’est-ce qu’on peut dire, à part Gainsbourg ? le Caractère Urbain Spirit • 47
sono
Le Trouvère
Hoquets
André Minvielle et Lionel Suarez
[opéra romantique] Giuseppe Verdi a les faveurs du Capitole cet hiver. Après la reprise de Falstaff en décembre, Le Trouvère est la nouvelle création de l’opéra toulousain, en co-production avec le Liceu de Barcelone et l’opéra d’Oviedo. Opéra romantique par excellence, qui complète la trilogie aux côtés de Rigoletto et la Traviatta, Le Trouvère plante sa structure dramaturgique dans un Moyen-Âge espagnol peuplé de gitanes, de chevaliers et de sorcières, où mauvais sorts, infanticide et duels à l’épée rythment les quatre parties. Pour alimenter ce foisonnement dramatique, Verdi s’est surpassé en trouvailles mélodiques, moments de prouesse vocale et chœurs grandioses. Œuvrant pour la première fois au Capitole, le metteur en scène belge Gilbert Deflo a opté pour une scénographie dépouillée d’apparats romantiques, campant sobrement – et symboliquement – deux mondes antagonistes. Dans la distribution, le ténor Marco Berti reprend le rôle de Manrico, face à Roberto Frontali en Comte de Luna. Et la mezzo-soprano Luciana d’Intino incarnera la gitane en alternance avec Andrea Ulbrich. Du 3 au 12.02, Théâtre du Capitole, 10 à100 €
[rock bricolé] C’est l’histoire d’un Français, un Belge et un Américain. Les Hoquets. Inspirés du concept des Congotronics, - ce n’est pas un hasard si leur premier album s’appelle Belgotronics et si c’est le label Crammed Discs qui les a signés (Congotronics, Balkan Beat Box, Shantel…) François Schulz, Maxime Lê Hùng et McCloud Zicmuse composent sur des instruments faits maison. De ces drôles d’objets bricolés dans leur atelier bruxellois avec du matériau de récup (planches de bois, vieux câbles et boîtes de conserve), ils tirent des sonorités rock, funk ou indie-pop. Le résultat, étrangement familier, évoque un mix entre la musique des Wriggles et l’allure de François Damien. À cette tendance « bricoleur fou », le trio ajoute une bonne de dose de folie chorégraphique et de déconnade poétique, qui devrait aller à merveille avec le cadre des Musicophages. Une bonne histoire belge, donc. Le 08.02, Les Musicophages, 5€
[jazz foutraque]
Toulouse Soul Club [clubbing]
Les Têtes Raides [chanson punk] Quatre ans séparent Banco de L’an demain, dernier album en date des Têtes Raides (20 ans de Ginette, sorti en 2008, était une compilation). À la tête de la bande, Christian Olivier a dû composer avec le départ du batteur Jean-Luc Millot et l’arrivée d’un nouveau bassiste. Lancé en 2011, l’album a rassuré les (nombreux) fans : piliers de la scène alternative depuis une vingtaine d’années, les Têtes Raides n’ont pas changé leur fusil d’épaule et restent fidèles à un univers fait de racines punk, de poésie, et de rage sociale. Mais la réelle attente n’est pas tant le disque que la tournée, le groupe ayant prouvé que la scène restait le meilleur endroit où l’écouter. Entamée en début d’année, elle fait ce mois-ci deux arrêts dans la région, dont une date au Bikini avec Mr. Chouf pour le festival Détours de Chant. 9.02, 21h, Gespe (Tarbes), 22/20 € et 10.02, 20h30, Bikini, 22/26 €
L’un a la tchatche bien pendue (en occitan surtout), genre vocalchimiste ou slameur troubadour, non loin de Nougaro ou de Claude Sicre. L’autre manie l’accordéon en faisant valser les étiquettes, du jazz à la bossa , prêt à suivre toutes les extravagances de son maître chanteur. Alain Minvielle et Lionel Suarez tournent depuis quatre ans ensemble, et ont sorti l’an dernier le disque Tandem. Ici le duo ne se conçoit pas comme « un plus un, ni deux » précisent-ils, mais comme une alchimie musicale, une rencontre qui, transformant l’un et l’autre, crée une entité en soi. Suarez, le jeune (35 ans), a déjà l’habitude de ce genre de trublion de la chanson, pour avoir déjà traîné avec Lavilliers ou Nougaro. Minvielle, l’ancien, Gascon par excellence, joue les manivelles à parole des deux côtés de la Garonne, chante le jazz, la chanson et le « scat made in Pau » avec le parler d’ici et la phrase chantante. Détours de Chant ne pouvait passer à côté de ce duo poétiquement chaloupé, qui dépoussière le folklore. Le 9.02, 20h30, Théâtre des Mazades, 3/8 €
Ben Howard [blues folk]
Quel est le point commun entre Chicago, Detroit et Toulouse ? Il y existe un Soul Club, un endroit où danser sur des vieux disques de la Motown et autres labels obscurs pourtant producteurs de tubes imparables. Après deux éditions furieuses, le Toulouse Soul Club revient avec les sets toujours aussi brûlants d’une brochette de DJs passionnés qui jouent en costard leurs piles de vinyles, plus ou moins rares. L’occasion de laisser parler son corps et de découvrir qu’il y avait vraiment du beau linge avant Adele et Amy Winehouse. Invitée spéciale de cette édition, Lucinda Slim, icône neo-soul et DJette mixant partout en Europe, notamment en compagnie du cultissime Keb Darge, collectionneur de vinyle britton. De quoi brûler le dancefloor ! Le 04.02, à partir de 21h, Connexion Café, 5€
48 • Spirit le Caractère Urbain
[musique du monde] En pleine célébration de l’année du dragon, Made in Asia met Taïwan en lumière jusqu’au 10.02, dans un vivifiant dialogue Est et Ouest. C’est tout le projet à la base du duo formé par le Français Pascal Contet et le Chinois Wu Wei. Après une première rencontre en 2003, leur vient l’envie de confronter les ressemblances entre leurs instruments de prédilection : l’accordéon de l’un et le sheng de l’autre. Instrument connu depuis deux millénaires, à base de tuyaux de bambous, le sheng serait proche de notre accordéon traditionnel par ses sonorités. Deux identités fortes, que le duo voudrait faire renouer avec la création contemporaine. D’où un attrait pour l’improvisation et le jazz, jonction entre musique traditionnelle chinoise et classiques de l’Occident. 9 et 10.02, 20h30, Espace Croix-Baragnon, 5/10 € (cycle Au Diwan du Monde)
© Rebecca Miller
Duo WU Wei / Pascal Contet
Chemise à carreaux, gueule d’ange et prodige de lap steel (guitare sur les genoux comme les blues men du Mississippi), voilà à quoi ressemble Ben Howard. L’Anglais joue le total look américain, amadouant son public avec poésie. Le ton folk de sa voix rappellerait presque Bob Dylan, mais dans une version du blues, plus moderne et voyageuse. Son sixième album Every Kingdom l’a propulsé d’illustre inconnu qui pratiquait la musique en marge de ses études en journalisme, au rang de guitariste hors-pair, écumant toutes les salles de l’Hexagone. Pour son passage à Toulouse, il sera précédé par Brother and Bones. Des bluesmen anglais tout aussi délicats, quoiqu’un peu plus rock’n roll... Le 09.02, Bikini, 19 €
[club] Les clubbers toulousains veulent du son et des têtes d’affiche. À l’instar d’In Bikini Dura Rock le club de luxe s’adapte en créant In Bikini Dura Electro. Les Anglais de Feed Me et les Toulousains de Sophonic et d’Initial DJ assurent le show avec une electro bien cassante aux multiples variations mécaniques. Pas de quoi impressionner le Nantais Madeon. Jeune prodige de la discipline (17 ans seulement), il n’a pas fini de bluffer ses aînés avec les remix faits maison des tubes de sa génération, qui ont déjà bâti sa renommée sur Facebook. David Brunner, le VJ de la soirée, modélisera l’espace avec ses vidéos psychédéliques. Le 11.02, 23h, Bikini, à partir de 17 €
Elisabeth Leonskaja [musique classique] Soirée russe pour l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, sous la direction de son chef Tugan Sokhiev, qui a choisi d’inviter Elisabeth Leonskaja. On ne présente plus la pianiste virtuose originaire de Tbilissi, tant elle a forgé sa réputation sur toutes les grandes scènes du monde. « L’une des dernières grandes musiciennes de l’école russe », clament les critiques. Dans l’écrin de la Halle aux Grains, elle interprètera le concerto pour piano de Schumann, œuvre connue pour son lyrisme et son intimisme. Changement de siècle, et de style, avec la Symphonie n°12 de Chostakovitch, composée en 1961 et plus connue sous le nom de « L’année 1917 ». Hommage à la révolution russe et à Lénine, elle progresse musicalement dans ses quatre mouvements, comme sur le front de l’histoire : des émeutes du Pétrograd révolutionnaire à « l’aube de l’humanité ». Une vision optimiste de la révolution qui se traduit par un final musical plein d’élan. Le 17.02, 20h, Halle aux Grains, 5 à 44 €
hip hop. Accompagné des fidèles The Patchwork Band, Mr Grandin envoie ses secousses rythmiques à coup de sons venus du fin fond de l’Afrique ou de beats mâtinés d’une drum’n bass des ténèbres. Son truc préféré, des grosses basses et du synthé. L’explorateur de sonorités enregistre un live audio les deux soirs à la Dynamo. Le meilleur moyen de connaître cet univers est de mettre les deux pieds dedans. Attention, on n’en sort pas indemne. Les 21 et 22.02, 20h, Dynamo, gratuit
un 2e opus, As we move silently, aux accents plus rock que folk. Finies les prestations solo, celle que certains rapprochent de PJ Harvey ou Shannon Wright, tourne désormais avec de vrais zicos, pour un son plus lourd. Le 27.02, 20h, Connexion Café, 3 € pour les filles, 6 € pour les garçons
The Tiptons Sax Quartet and Drums
Giedré
[jazz festif] 4 femmes qui ont du souffle et un homme qui suit à la baguette. The Tiptons Sax quartet and drums n’a pas seulement un line-up iconoclaste dans le monde du jazz piqué à la testostérone. Il a aussi le mérite d’emballer tout de suite l’affaire, histoire de ne pas cloisonner le genre musical dans un bel emballage d’objet contemplatif. Ce quartet + 1, formé en 1991 entre Seattle et New York, élargit les champs musicaux : improvisations, airs populaires venus du monde entier, soul, funk... Les quatre saxophonistes, Amy Denio en tête, déroulent une musique festive, inventive et libertaire. On se précipite au club du Mandala, d’autant que le groupe se fait rare dans nos contrées européennes. Le 22.02, 21h30, Mandala, 6/9 €
[Chansons crues]
© David Dain & Didier Fraisse
In Bikini Dura Electro #1
Agnès Bihl [chanson française] Agnès est une blonde vitaminée au rouge à lèvre pétillant, qui dynamite le petit monde parfois planplan de la chanson française. Arrangements pour accordéon, piano et orchestre, qui sonnent un peu comme la rue Ketanou, accompagnent les textes poétiques, et drôlement engagés, de la chanteuse-féministe. Un coup aux côtés des communistes, dans les colonnes de L’Humanité, un autre sur les bancs de la Ligue des droits de l’Homme, Agnès Bihl chante sur tous les fronts, non sans ironie. Son dernier album, Rêve Général(e), célèbre ce regard habile et taquin sur la société, la politique... la vie quoi ! Les 23 et 24.02, 21h30, Bijou, 12/15 e
Un soir, le programmateur d’un influent festival de chanson française félicita Giedré de son concert et lui proposa de figurer dans sa prochaine édition. Le bonhomme s’empressa d’ajouter : « Mais n’as-tu jamais songé de temps en temps à chanter autre chose que des histoires de vomi et de gens morts ? » Petite blonde aux yeux clairs, coiffée en couettes tendance club Dorothée, Giedré écrivit en réponse « Jolie chanson ». Une tordante comptine qui (forcément) dérape toutes les deux secondes, entre sodomisation de hamster et viol de clodo. Pas question pour la Lituanienne de demander pardon : d’une moue rieuse, elle balaie les détracteurs pour qui elle donne dans la provoc’ gratuite. L’autocensure, c’est niet. « Pisser debout », « Les petits enfants », « L’amour à l’envers » façonnent son personnage d’Alice au pays des poubelles, comme elle a pu se décrire. De ce contraste entre physique de gamine en robe rose et paroles perverses, entre mélodies douces et violence du texte, naît toute la profondeur de Giedré. Gratuite ou non, sa provoc’ est surtout hilarante. Du 28.02 au 1.03, 21 h 30, Le Bijou, 15/12 €
Tricot Machine + Helluvah [pop rock]
the Keys + Odran Trümmel
Mr Grandin [trip-hop électro] Le Toulousain Stéphane Grandin s’est fait une renommée du feu de dieu depuis la sortie de son nouvel album, Mister Dressmaking. Une bombe intemporelle lancée au milieu de la mare électro
Natalie Dessay et Philippe Cassard Tricot Machine
[pop folk] L’association la Centrifugeuse (formée en décembre dernier de la fusion entre l’émission de radio éponyme et l’asso Foutraque) laisse carte blanche au label Another Record. Résultat : un plateau réunissant des extraterrestres du popfolk, the Keys, et Odran Trümmel accompagné des musiciens, les Boys from Louisville. Boris Paillard alias The Keys, est un dandy français exilé à Montréal. Après s’être essayé au rap, au skapunk et au blues cajun, le frenchy à la voix cassée mixe toutes ces influences et y ajoute la balade folk. Odran Trümmel aime aussi les mélanges. Le rock gras des bars d’Edimbourg s’invite au milieu d’un air de guitare folk, avant de laisser la place à une orchestration pop ultra dynamique qui donne envie de groover. Un cocktail explosif à savourer sans aucune modération. Le 21.02, 20h30, Connexion Café, 3/5 €
Ces gentils trentenaires venus de la Belle Province tricotent des mots et du sens dans leurs comptines bariolées, au charme vintage. Tricot Machine a explosé en 2007 pour son premier album. Couple à la scène comme dans la vie Catherine et Mathieu, ce serait un peu les Rita Mitsouko sans guitare électrique, qui auraient rencontré Mathieu Boogaerts et Les Deschiens. Piano délicat, voix claire, tout semble un peu joyeux, éthéré, jamais violent, dans La prochaine étape, leur troisième disque. On ne cache pas que leur léger accent québécois ajoute au charme, et devrait d’emblée briser la glace avec le public français. Conviés pour la session Ladies First de Jerkov, le couple sera suivi de Helluvah, révélée par son album Emotion Pills et sa tournée avec « Les femmes d’en mêlent ». La voici qui revient avec
[récital] Pour ce récital exceptionnel, intitulé Mélodies, Natahlie Dessay entonne les œuvres de Claude Debussy mais aussi de Duparc, Chausson, Chabrier. La star française, profite ainsi de l’anniversaire des 150 ans de la mort de Debussy pour retrouver le charme de ses chansons et mélodies poétiques. Elle en a fait un disque Au Clair de Lune et une tournée avec au piano, un spécialiste du compositeur français, Philippe Cassard. Cette promenade lyrique de deux heures, légère, délicate, guidée par la voix claire de Natalie Dessay, sera aussi ponctuée de pièces pour piano solo de Debussy et Fauré. Le 28.02, 20h, Halle aux Grains, 28 à100 €
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en famille
Un plongeon au Muséum Boire un verre d’eau ? Facile, il suffit d’ouvrir le robinet… Pourtant, l’eau n’est pas accessible partout dans le monde. Elle est même souvent rare, chère et polluée. Pour faire passer le message à nos enfants, rendez-vous au Muséum. Par Karine Jamin
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e VI e Forum mondial de l’eau se déroule en 2012 en France. Le Muséum de Toulouse n’est pas passé à côté de l’occasion de nous faire faire un grand plongeon aquatique. 2012 sera liquide à tous les étages du musée. Rencontres, ateliers, conférences mais surtout la grande expo thématique de l’année sobrement intitulée « Eau, l’expo », inaugurée en février dans le sous-sol du musée. Ça tombe bien, on parle d’une ressource qui se situe à nos pieds ! Trois atomes seulement (H2O) et la capacité d’être partout à la fois. L’eau, c’est la pluie, les fleuves, les océans mais aussi l’intérieur de nos cellules… Trois lettres à l’origine de la vie, mais aussi source de destructions.
Du multimédia Autant dire que pour mettre sur pied cette exposition, il y avait beaucoup d’informations à
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hiérarchiser. Pari gagné à travers trois grands espaces : « l’eau et la vie », « l’eau et les hommes » et « l’eau et les sociétés ». Un beau voyage qui se décline au fil d’un fleuve. Il n’y a plus qu’à se laisser glisser. On déambule le long de ce parcours sculpté, inspiré des formes naturelles dessinées par les vagues : des sinuosités, des élévations stratifiées, des berges érodées... Ces beaux décors, qui s’approchent si près du réel, ont été réalisés en bois et… en carton ! Pas question de gaspiller, ici on réfléchit en termes d’éco-responsabilité et de recyclage ! Le long des berges de ce fil rouge qu’est le fleuve, des boîtes en bois de toutes les formes renferment des trésors d’interactivité. De quoi découvrir des infos primordiales : 70 % de la surface de la Terre est recouverte d’eau… Plus de 97 % de cette eau est salée… Saviez-vous que les ondes sonores s’y propagent à une vitesse cinq fois plus grande que dans l’air ? Pas
vraiment « le monde du silence » que l’on croit... Et la visite réserve d’autres surprises. Comme ces 70 petits spécimens aquatiques à découvrir, et quelques grosses prises aussi : le 17 février il sera question de calamar géant aux Champs libres du musée.
De l’éco-conception De ce plongeon, on ressort avec les idées rafraîchies et des réponses claires sur cette denrée rare et précieuse. Avec quelques envies d’agir aussi, inspirés par les carnets de voyage de Gwenael Prié et Lionel Goujon, partis un an autour du monde, dans les pays en développement pour rendre compte de projets concrets dans le secteur de l’eau. Pour ceux qui n’auraient pas encore émergé, on peut jouer la carte de l’interactivité sur le blog « l’eau é-moi », où sont mises en avant les photos de tout un chacun sur la thématique de l’eau. On n’est pas près de refaire surface.
EAU, L’EXPO 18.02 au 30.12 Muséum d’Histoire Naturelle 35 allées JulesGuesde 05 67 73 84 84 www.museum. toulouse.fr 8 e / 5 e exposition permanente + temporaire blog : leauemoi.tumblr.com
après l’école
Festival Nez rouges S’il n’est plus l’attribut indispensable qu’il a été, le nez rouge persiste encore sous la forme d’un festival. Altigone remet le couvert pour une 17e édition pleine de couleurs. Et pas besoin de sous-titres pour comprendre l’humour des compagnies lointaines tels les Ukrainiens de Mimirichi, déjà acclamés l’an dernier, avec Plastic Fantastic. Seront de la partie Courtmiracles du Boustrophédon, Matin des élèves du Lido, ou des trios de clowns espagnols, pour propager le rire jusque dans nos carcasses refroidies par l’hiver. \ Mathilde Raviart \ Du 01.02 au 11.02, Altigone, St-Orens, 4 à 19 e, 05 61 39 17 39
Le 7.02 Spirit passe à la télé !
L’Homme sans tête
Il nous arrive d’avoir la tête dans les nuages ou d’être tête en l’air, mais nous avons une tête. Nestor Tampion, lui, n’en n’a pas ! Plutôt embêtant pour se faire des amis ou trouver du travail. L’histoire de ce petit bonhomme à la recherche d’une identité est née de l’imaginaire de Lionel Le Neouanic dans un album aux éditions du Seuil jeunesse. Le voici adapté sur la scène du TPN par Agnès Buffet et Lionel le Neouanic, deux artistes prêts à rassembler théâtre, musique et chants. Sans prise de tête ! \ M. R. \ Du 14.02 au 18.02 et du 21.02 au 25.02, 15h, TPN, 05 62 21 51 78, à partir de 5 ans
Rock the casbah
Malgré le règne des ordis, logiciels et autres vocoders, le bon vieux rock gratté sur une guitare électrique n’a pas perdu son aura auprès des ados. La Boîte à Outils l’a bien compris, en organisant sa session Rock the Casbah pendant les vacances. Le but : créer en une semaine un vrai groupe, apprendre à travailler ensemble, à s’écouter, à maîtriser le matériel, à tourner un clip en stop motion. À la fin de la session, un concert sera organisé. Seul impératif : apporter son instrument (basse, guitare, piano, batterie…) Du 20.02 au 24.02, limité à 10 places, de 10 à 15 ans, 250 e la semaine, La Boîte à Outils, 05 61 99 24 33
Ellébore, petite fée vivant dans le monde merveilleux de la magie et des paillettes, ne supporte plus son univers dégoulinant de froufrous et de rose. Elle, c’est sorcière qu’elle voudrait être. Ça c’est fée est une habile pichenette théâtrale lancée au déterminisme sexué des contes de fée, qui imposent, presque autant que les magazines féminins, un idéal de petite fille de préférence sage et en attente de son prince charmant. En s’attaquant à la question du genre, la Cie Rend toi compte bousculent les belles illusions sexistes dans lesquelles grandissent les fillettes. Du 21.02 au 10.03, 6 e,11h ou 15h, Théâtre du Grand Rond, 05 61 62 14 85, à partir de 7 ans
Le caractère urbain
Ça c’est fée !
Retrouvez SPIRIT chaque mois dans
© Raphael Kann
le Comptoir de l’Info sur TLT, sur le Canal 20 de la TNT et www.teletoulouse.fr Nez Rouges
chroniques LIVRES
L’amour dans le sang
Comme nombre d’écrivains avant elle, Michèle Gazier a voulu réunir ses souvenirs, bien vivaces, du premier homme qu’elle ait aimé. Il vient de mourir et elle veut le faire vivre encore : son père. Engagé à 17 ans dans la guerre d’Espagne, il a connu « la Retirada, ce moment où ses compagnons et lui se sont dit que c’était fichu pour eux, que Franco avait gagné ». Pendant des années, on ne parlera plus espagnol dans le foyer de celui que sa fille appelle « l’homme à la canne grise ». Par petites touches, avec une pudeur émouvante, l’auteur raconte un parcours où rien n’est banal puisqu’il y a derrière une belle âme. « Ce qu’on ne dit pas avec des mots n’existe pas vraiment », écrit-elle. Ce que l’on couche dans un livre, ne le grave-t-on pas en quelque sorte dans le marbre ? \ I. D. \
Attente amoureuse Que peut-on dire à une femme aimée qui ne vous aime pas ? Quels seront les mots d’Adrien, quand, enfin, Louise le rejoindra sur cette place où il l’attend depuis un peu trop longtemps. Éloge du désir, qui ne cherche pas forcément à être assouvi mais à rester, cette histoire nous raconte un homme qui ne cède pas. Car bientôt, l’attente d’Adrien en suscitera d’autres, et c’est toute une cohorte « d’agités », politiques, artistes, universitaires, syndicalistes, qui défilent sur la place où notre héros a pris ses quartiers. On voudrait le corrompre, le détourner de son espoir d’étreindre celle qu’il appelle « sa Gracieuse » mais, heureusement, Adrien n’a que faire de la vraie vie tant elle est désolante. Il lui préfère la déraison et c’est là toute sa sagesse…\ I. D. \ Place de la Trinité / Alain Monnier / Flammarion / 19 €
L’homme à la canne grise / Michèle Gazier / Seuil / 15 €
le poche du mois
Double mixte « Ce roman est moins un livre sur le tennis que sur le mariage - un sport légèrement différent, » prévient d’emblée Lionel Shriver. À New York, Willy, joueuse professionnelle, rencontre Eric, tennisman dilettante et plus que doué. Coup de foudre, mariage, le match peut commencer. Le lecteur compte les points, il est prêt à monter au filet s’il le faut et pare aux revers de Willy et Éric. Et tout ça, on précise, sans forcément s’intéresser au tennis. C’est dire si l’auteur de Il faut qu’on parle de Kevin et La double vie d’Irina, ne décevra pas ses adeptes avec son histoire de couple. On est troublé, voir bousculé, par cette femme et cet homme qui nous sont familiers, par ce mariage qui se gagnera ou se perdra aux point(g)s. C’est férocement drôle ou drôlement féroce, selon que l’on se tient sur le cours ou dans les tribunes ! \ I. D. \ Double faute / Lionel Shriver / J’ai Lu / 7, 70 €
Deux ou trois choses qu’elle sait de lui Elle a 19 ans et lui, pas loin du double. Elle étudie la philosophie, il est À bout de souffle. Il vomit le bourgeois, elle aurait pu en être l’incarnation même. Anne Wiazemsky raconte l’amour selon Jean-Luc Godard. Jaloux, exclusif, enfantin et grave. Elle dévoile au jour le jour, la passion en marche qui porte son échec tant ces deux-là s’aiment pour de faux. Pour l’épate ou se sentir vivant. On sera surpris par la mémoire d’Anne Wiazemsky, les détails d’une histoire du passé qu’elle relate comme si c’était hier. On est là, avec eux, on entend réellement la voix du cinéaste du Mépris, cette figure qui peinturlure de bleu Pierrot le fou et bien plus, la mémoire de tous ceux qui se sont vus perdus, tout comme lui, et préfèrent l’ignorer, mais ne l’oublient pas. \ I. D. \ Une année studieuse / Anne Wiazemsky / Gallimard / 18 €
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chroniques cd
le CD du mois
Plapla Pinky
Saluons la première production discographique pour Plapla Pinky ! Elle nous arrive sous la forme radicalement éclectronique d’un ep de six titres. Pourtant, on ne peut pas parler de coup d’essai, tant le duo travaille à ce projet depuis plusieurs années, à travers des recherches complexes et audacieuses. Se revendiquant autant de Booba que de Stockhausen, Raphael Hennard et Max Denuc, ils façonnent leurs textures sonores oubliant les samples au profit de véritables créations qu’elles soient analogique ou numérique. Et s’ils refusent l’étiquette « expérimental », les influences puisent autant dans la musique contemporaine, la noise, ou la dance au sens industriel du terme. Adeptes des lentes montées harmoniques, les morceaux, tous très différents, ont cette particularité d’évoquer des climats souvent angoissant et stridents, agressifs parfois, un peu à l’image des B.O. de ces films à suspense qui s’étalent en noir et blanc. Ambiances de cathédrales, basses ultra profondes, rythmiques volontairement ralenties ou accélérées, le décor est planté, nous ne sommes pas là pour rigoler. \ T. D. \
Tugan sokhiev Vous connaissez sans doute Le Lac des Cygnes et le superbe Concerto pour violon, Black Swan de Darren Aronofsky ou Le Concert de Radu Mihaileanu à l’écran. Il y a aussi à l’opéra Eugène Onéguine et La Dame de Pique… Piotr Ilyich Tchaikovsky (1840-1893) est certainement l’un des compositeurs qui a su le mieux frapper nos cordes sensibles et traduire les vicissitudes de l’âme humaine, tout genre musical confondu. À la tête de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev poursuit sa passionnante exploration de l’univers de ce compositeur russe, et sait déployer dans cette Symphonie n°5 toute sa sensibilité pour traduire le poids tragique et le destin implacable mis en œuvre dans la partition. Faisant sonner somptueusement l’Orchestre - splendeur des cordes et de l’harmonie en particulier -, il parvient à traduire dans cette marche à l’abîme, la hantise du fatum. Après une saisissante N°4, déjà parue chez Naïve, on attend avec impatience le cycle complet des symphonies. \ Laurent Sorel \ Tchaikovsky, Shostakovich / Naïve / 16 €
Plapla Pinky / Sonore / 12 €
Speech Debelle Jeune rappeuse anglaise, Speech Debelle revient toute auréolée d’un Mercury Music Prize acquis en 2009 pour la sortie de son premier album. Reconnaissable à son flow si particulier et à sa petite voix qui oscille volontiers, elle s’oriente davantage vers une œuvre généraliste, faite de chansons, orchestrée autour d’écrits aux accents révolutionnaires qui ont beaucoup secoué l’Angleterre l’été dernier. Kwes (Micachu, Damon Albarn, Dels, The XX), son producteur fraîchement signé chez Warp, est pour beaucoup dans le résultat final de ce deuxième opus « Freedom of Speech ». Réalisé uniquement à l’aide d’un laptop et d’un clavier Midi, les musiques y sont souvent douces, naïves parfois, progressives, voire « FM » (« I’m With It »). Le genre d’exercice périlleux qui peut vous attirer les foudres des puristes d’un mouvement prompt à défendre des valeurs qui sentent le vieux drap. Artiste hip-hop, Speech Debelle l’est pourtant bel et bien, même si son disque va au-delà du genre, et en bouscule les codes et règles. \ T. D. \ Freedom of speech / Big Dada rec. / 13 €
joan sutherland
Elle nous a quittés sans faire de bruit en octobre dernier… La Stupenda, comme on la qualifiait, elle qui était si peu diva, mais qui sut, tout comme Maria Callas, révolutionner l’art du chant. Il est donc urgent de se précipiter sur cet album, gravé en 1960, conçu comme un hommage aux cantatrices du passé que la soprano australienne affectionnait particulièrement (Malibran, Patti, Melba…). Attention « collector » ! L’édition est limitée, merveilleusement illustrée. On y retrouve la galerie saisissante des héroïnes qu’elle a incarnées aux quatre coins du monde : Lucia et Norma en tête, Elvira des Puritains, Amina de La Somnambule ou Sémiramis. Tout le bel canto est ici : fidélité absolue à la musique, technique infaillible, pyrotechnie aérienne dans l’aigu, brillant du timbre, apesanteur et virtuosité. Elle s’empare du répertoire français : Lakmé, Marguerite, Juliette ou Ophélie. Et pour ceux qui seraient tentés de poursuivre en sa compagnie, Decca ressort à petit prix l’intégrale de ses récitals en studio. Sutherland ou le bonheur de chanter. Un régal pour l’auditeur. \ L. S. \ The Art of the Prima Donna / Chœurs et Orchestre du Royal Opera House Covent Garden, dir. Francesco Molinari-Pradelli / Decca / 22 €
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plan rapproché
Dominique Gilbon est un pionnier de l’habitat participatif, bien avant qu’il ne devienne un étendard à la mode. Installé depuis 26 ans au hameau de Mange-Pommes, à Ramonville, il revient sur ses expériences et s’engage dans les nouveaux projets toulousains. Portrait à l’avant-garde. Par Armelle Parion - Photo de Elise Boularan
Pour vivre heureux, vivons ensemble
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uand Dominique et Renée Gilbon se sont installés au hameau de Mange-Pommes, à Ramonville, l’habitat participatif n’était pas encore à la mode. Pire, pour les élus, le concept n’existait pas. Quelques réalisations essaimaient, ça et là, en banlieue parisienne, ou encore à Lacroix-Falgarde, au sud de Toulouse. « Cette idée relevait des bases post-soixante-huitardes et alternatives », explique le retraité de 67 ans. C’est dans cette mouvance que Mange-Pommes a vu le jour. Plusieurs familles ont souhaité partager un territoire et des valeurs, au premier rang desquelles la solidarité et le respect de l’environnement, à travers la construction de maisons écologiques. Quand le couple s’y installe en 1985, il prend le projet en marche. Une dynamique se met en place autour d’espaces verts communs, de tondeuses à gazon et de fêtes partagées. « C’était un espace des possibles. » Dominique Gilbon n’est pas arrivé là par hasard. Toute sa vie a été marquée par l’anarchisme et le militantisme chrétien, dont la rencontre avec l’abbé Pierre fut l’élément déclencheur. Dominique est passé par le séminaire de Brignol près d’Orléans, avant de prendre ses distances avec le clergé. Il devient objecteur de conscience dans un bidonville de Noisy-le-Grand où il rencontre sa future femme, Renée, alors assistance sociale. « Un jour, nous sommes allés voir l’abbé Pierre, que nous connaissions, car nous ne supportions plus la vie au bidonville. Mais nous souhaitions continuer
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à partager le mode de vie des plus précaires. L’abbé nous a aidés à nous installer dans la cité d’urgence de Bordelongue, à Toulouse, en 1967 », raconte Renée.
La hantise du quartier dortoir
Aujourd’hui, ces militants chrétiens devenus agnostiques ont gardé le goût de la vie en communauté. Même si l’expérience de Bordelongue s’est avérée plus difficile que prévu, ils sont toujours revenus à l’idée d’un habitat en collectivité. Après des allers-retours entre Orléans et Toulouse, et d’autres expériences d’autogestion collective, ils s’installent définitivement dans la ville rose dans les années 80. En scolarisant leurs enfants à l’école de La Prairie « qui respecte les rythmes de l’enfant et utilise la méthode active », ils s’inscrivent dans un mode de vie alternatif avec d’autres parents. C’est à ce moment qu’ils se joignent au projet de Mange-Pommes. Aujourd’hui, la moitié des quinze familles du départ vit toujours là. L’entraide est monnaie courante, que ce soit pour du dépannage matériel ou pour héberger les amis du voisin. « Nous avons plus des rapports amicaux que de simple voisinage », lâche Dominique. Mais, après 26 ans, il regrette que l’esprit collectif ait été grignoté par l’individualisme. Quelques habitants ont installé des clôtures et une pancarte « propriété privée ». Quant à la salle collective, « elle n’est toujours pas terminée. Mais on vient de relancer les travaux ! ». Désormais conseiller municipal d’Europe Ecologie
les Verts à Ramonville, Dominique développe d’autres initiatives citoyennes avec l’association Caracole. Ainsi, un nouveau projet d’habitat groupé porté par huit familles, est né. Il sera mitoyen de Mange-Pommes. Enthousiaste, le retraité en suit de près les étapes, jamais avare de quelques conseils. « Il faut se mettre d’accord tout de suite sur les règles de vie. Sinon, des résistances se réveillent et le projet peut perdre de son sens », prévient-il. Sa hantise ? « Qu’on devienne un quartier dortoir !». Si le sujet est devenu à la mode, Dominique regrette qu’il ait « fallu tant de temps pour se rendre compte que le lien social se délitait. J’ai un brin de scrupule aussi, car cela veut dire qu’on n’a pas su véhiculer le message. On était sûrement trop dans notre bulle ».
Quelques projets toulousains Malgré la pénurie de terrains et la difficulté des montages financiers, l’habitat participatif se développe dans l’agglomération. L’habitat groupé du Canal devrait sortir de terre au printemps 2013. Il comprend un immeuble bioclimatique avec cloisons en terre crue et inertie thermique, les futurs habitants partageront voitures, machines à laver et chambres d’amis. Le futur éco quartier de la Cartoucherie devrait accueillir, en 2014, un immeuble où étudiants, familles et personnes âgées se côtoieront, avec des jardins partagés et une terrasse commune sur les toits. À Bellefontaine 25 logements d’habitat participatif sont prévus. Le projet, accompagné par un bailleur social, vise la mixité.