Les Cahiers Ozanam n° 207

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2,60 €

Les cahiers n° 207

janvier-février 2014

Des liens pour aimer, partager, servir

Dossier

Osez la charité créative

Carnet de route

Le drame de Lampedusa : Et après, que faire ?

L'invité

Laurent Bidault : « Franchir ensemble l'obstacle du handicap »


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Magazine

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Oser l'avenir de la SSVP 4 Histoire : Saint Vincent de Paul, le novateur 32 Invité : Laurent Bidault : « Franchir ensemble l'obstacle du handicap » 35 Agenda 38

Dossier : Osez la charité créative

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Pour ne pas épuiser la charité, il faut aimer l'exercer 6 Entretien : Jean-Marie Destrées 9 Reportage : Ces « cafés suspendus » qui séduisent les Français 10

Service

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Actus SSVP

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Actus juridiques et sociales

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International 20 Carnet de route : Le drame de Lampedusa : Et après, que faire ? 21

Spiritualité

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Réflexion : Avec Dieu, l'amour est inventif à l'infini 24 Témoignage : Père Emmanuel Schwab 27 Contemplation 28 Prier en Conférence

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Parole de Dieu

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Ce numéro comprend un encart d’abonnement entre les pages 2-3 et un bon de commande entre les pages 38-39.

édito

Ayons l’audace de la créativité

© SSVP

«L

’audace et la créativité, la sainte audace et la sainte créativité, doivent être un exemple permanent pour les Vincentiens dans l’accomplissement de leur mission envers les pauvres. Nous devons réfléchir en permanence aux solutions innovantes, pour faire face à la détresse et aux problèmes des plus démunis. » Il s’agit là d’un commentaire de la Règle internationale de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Le paragraphe est intitulé « Être réceptif à l’inspiration de l’Esprit-Saint ». Le pape François, dans son exhortation « La joie de l’Évangile », nous rappelle que « Jésus-Christ nous surprend avec sa constante créativité divine ».

En ce début d’année 2014, laissons-nous surprendre, osons des initiatives généreuses. Soyons imaginatifs pour trouver des modalités qui apportent des réponses innovantes aux nouvelles pauvretés de notre siècle. Soyons inventifs pour mettre en pratique notre ambitieux projet associatif : osons vivre et réaffirmer notre charisme vincentien ; osons impliquer les personnes que nous aidons, seules ou démunies, dans nos actions de charité ; osons témoigner pour mobiliser avec nous de nouveaux bénévoles. Osons la charité inventive ! Bertrand Ousset Président national

n°207 - janvier-février 2014 - Les cahiers Ozanam

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Magazine L’événement

Oser l’avenir de la SSVP Le nouveau projet associatif de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ouvre la voie à une dynamique de changement et de créativité. Il est l’heure d’oser ! D’oser affirmer notre identité vincentienne, d’oser apporter de nouvelles réponses aux pauvretés d’aujourd’hui, d’oser appartenir au réseau de charité mondial qu’est la SSVP. Par Bénédicte Jannin, responsable communication

L

’année du bicentenaire de son fondateur a amené la SSVP à plonger dans ses racines pour entrer dans une dynamique d’évolution et d’adaptation à la société telle qu’elle est aujourd’hui. Ancrées dans son histoire, ses valeurs originelles sont incontestablement actuelles. Je vous invite à lire ou à relire la Règle internationale (cf. bulletin de commande) pour vous en convaincre. « Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où on vient ! » dit le fameux proverbe. Et le Vincentien, fort de ses racines, peut tout inventer pour changer le monde et surtout pour rendre la vie plus facile à ceux qui frappent à sa porte pour obtenir une aide, quelle qu’elle soit.

Trois leviers pour oser le projet Ozanam Être créatif, ce n’est pas faire de l’originalité pour être original. Non, c’est trouver la réponse juste au problème qui se pose ! C’est inventer le monde chaque jour et le faire évoluer en s’assurant qu’il tourne toujours dans le bon sens. C’est continuer à Aimer, Partager, Servir, toujours et encore grâce à la force d’un réseau de charité moderne en accord avec son temps. Ainsi, le projet associatif est un guide qui invite au rayonnement. Le président national Bertrand Ousset, propose, dans sa conclusion lors de la Convention du 26 octobre 2013,

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un cheminement pour répondre aux objectifs de progrès du projet Ozanam. Ce cheminement « repose, comme la nouvelle évangélisation à laquelle les papes Benoît XVI et François nous appellent, sur une conversion personnelle mais aussi collective ». Aussi, le président définit-il trois leviers de conversion : 1. « Nous sommes appelés à cheminer avec les plus fragiles et à le faire sans cesse ; ce cheminement est dérangeant car il remet en cause notre façon d’être et de faire, notre conception étroite de l’efficacité. Les pauvres nous évangélisent, […] et c’est pourquoi il faut dans toutes nos Conférences et nos associations CD et AS développer leur participation à l’ensemble de nos activités spirituelles et sociales. 2. Ensuite, il nous faut donner toute sa place à l’initiative des jeunes à tous les niveaux de notre mouvement. Comme le dit la Règle : « Les jeunes Vincentiens permettent à la Société de conserver en permanence un esprit jeune… La Société a le souci permanent de former des Conférences de jeunes dans toutes les Conférences ». « Il faut servir les plus jeunes, il ne s’agit pas de les diriger, il ne s’agit pas de les commander. » 3. Enfin, nous devons investir massivement dans la formation […] pour accompagner votre chemin de conversion avec


une attention particulière à l’initiation de démarches participatives, associant des personnes en situation de précarité. […] Le mouvement est en marche, comme vous avez pu le constater aujourd’hui. La Société de Saint-Vincent-dePaul est constituée de bénévoles dont la générosité et la fidélité sont les garants de cette conversion évangélique nécessaire, à laquelle nous appelle l’église de France à la suite de Diaconia et à laquelle nous invite le pape François. Les Vincentiens peuvent être les porteurs privilégiés de cette conversion pastorale, non seulement dans nos Conférences mais aussi dans nos paroisses. La Société de Saint-Vincent-de-Paul et ses huit cent mille bénévoles à travers le monde témoignent de sa vitalité et nous invitent à la suite de Frédéric Ozanam à être des missionnaires de la fraternité évangélique. » C’est ainsi que Bertrand Ousset invite l’ensemble du réseau à oser.

Oser dire Le monde est ainsi fait aujourd’hui : si nous ne communiquons pas, nous n’existons pas ! Oser communiquer n’est pas une invitation au narcissisme. C’est seulement dire avec simplicité ce que nous sommes et ce que nous faisons, quel héritage nous portons, et ainsi motiver ceux qui nous écoutent ou nous lisent à venir nous rejoindre : bénévolat, partenariat, don, legs, service, etc. Et le réseau de charité vient ainsi enserrer le monde. Il y a de la place pour tout le monde dans notre pratique de la charité de proximité. Le travail bénévole dans l’ombre est d’une grande humilité, mais il nous faut nous renouveler dans nos méthodes et dans nos effectifs. S’ouvrir au monde, dire qui nous sommes : des personnes engagées auprès des pauvres dans un esprit de simplicité et d’amitié envers tout un chacun. Et la foi guide et motive chacun de nos pas. Elle nous fait rayonner.

naître de grandes idées et de grands projets. Et quand notre projet est de changer le monde en bas de chez nous, nous pouvons devenir intarissables. Nous nous en rendons compte, lorsqu’au siège national nous faisons l’inventaire de tout ce qui se fait dans les Conférences. C’est impressionnant ! C’est pourquoi il n’est pas inutile d’aller voir dans les Conférences voisines les projets et les méthodes en développement.

Oser les jeunes Ils ont tant de choses à dire et à donner. À l’image de Frédéric Ozanam en son temps, ils veulent changer le monde. Ils ont aussi besoin de donner du sens à leur engagement pour se donner pleinement. Un sens spirituel ou personnel peu importe, la ferveur qui les guide est sans pareil. Ils sont l’avenir de la SSVP. Ils prennent le projet vincentien en héritage avec beaucoup de soin et de respect. Une confiance mutuelle est nécessaire et urgente. Chaque génération a tellement à apporter à l’autre. « Yalla ! », comme disait sœur Emmanuelle.

Oser être ambitieux Aucune personne seule ou démunie ne doit le rester ! C’est la mission de la SSVP. S’adapter aux nouvelles pauvretés. Ou plutôt adapter notre combat contre les pauvretés cachées et celles qui ne sont pas répertoriées. N’en éviter aucune ! Avec la force de nos relations, de nos espoirs, de nos prières et de nos actions, osons déplacer les montagnes en trouvant la clef des portes fermées et la voie la plus juste dans chacune des réalités rencontrées.

Oser la relation

©IMathieu de Muizon

Il est aussi nécessaire d’aller à la rencontre des personnes qui œuvrent pour les plus démunis, et vers celles qui peuvent nous être d’un grand soutien. Les autres associations, les pouvoirs publics, l’Église ou notre entourage professionnel et personnel. Nous le savons tous : c’est en allant à la rencontre d’autrui, en nous concertant, en discutant et même en partageant un café que peuvent

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Dossier

Pour ne pas épuiser la charité, il faut aimer l’exercer

© Phil and Pam

Nicole et Nicolas testent une autre version de la visite à domicile : le cyber-voisinage.

S’investir, donner de son temps à ceux qui sont seuls ou dans le besoin peut se faire de multiples manières. Il existe aujourd’hui des associations surprenantes, qui sortent du cadre d’une charité dite « traditionnelle ». Leur spécificité ? Déployer des trésors d’imagination pour cultiver les talents de chacun et répondre de manière adaptée aux pauvretés actuelles. Par Charlotte d’Ornellas, journaliste 6

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«D

istribuer de la soupe tous les mercredis soir, vraiment cela ne me plaisait pas. Je m’obligeais à continuer parce que je pensais qu’il fallait le faire. Un jour, le responsable m’a demandé ce que j’aimais faire : je suis passionné par la pêche », raconte Olivier, jeune trentenaire féru de lignes et hameçons en tout genre. Ce jourlà, il comprit que son manque d’enthousiasme était criant et que, par conséquent, il passait à côté d’une partie de la mission qu’il voulait remplir. « Cela gênait les personnes de la rue autant que moi. J’imagine bien comme cela doit être désagréable de recevoir la charité par devoir ! Alors j’ai réfléchi à ce que je pouvais faire avec ma passion. » Organiser un concours et offrir un instant de « normalité », si important pour ces personnes sans cesse renvoyées à leur situation marginale. Aujourd’hui, Olivier est enchanté : « La pêche n’est pas un sport compliqué. Il est même très vite convivial ! Tout le monde peut participer ! À la fin de l’après-midi de concours, tout le monde est ravi. En pêchant, on oublie vite qui vient aider qui. » Oublier qui vient aider qui, c’est surtout reconnaître que l’on reçoit très vite bien autant que l’on donne. « C’est possible, mais surtout nécessaire », confie Marie, habituée des maraudes. « Autrement, le don s’épuise, se ternit et devient une seule obligation. » En d’autres mots, il ne faut pas avoir peur d’exercer la charité selon ses désirs, ses talents et ses besoins. Beaucoup l’ont compris, si l’on en juge par les milliers d’idées


originales qui fleurissent ici et là. Mille et une attentions existent déjà… des millions attendent d’être pensées ! Charlotte préfère chanter avec Choralame : « C’est un beau cadeau, parce que beaucoup de gens ne savent pas chanter, n’en ont jamais l’occasion et sont impressionnés d’entendre plusieurs voix harmonieuses. Ce n’est pas une aide matérielle, mais c’est parfois l’âme des gens qui souffre. »

Effroyable constat

© Phil and Pam

Mais il est vrai aussi que la France connaît un appauvrissement croissant, et que les besoins matériels viennent à manquer à une trop grande partie de la population. On meurt en moyenne à 77 ans en France, à 49 dans la rue. En hiver, on y meurt souvent de froid, mais, au quotidien, la rue connaît bien d’autres maux : suicides, maladies, alcoolisme, solitude… Les causes sont nombreuses et parfois cumulées. Devant cet effroyable constat, les initiatives se multiplient. La Fédération nationale des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (FNCIVAM) a lancé sa propre expérimentation : l’accueil familial en milieu rural. « Quoi de meilleur

que la vie rurale pour retrouver une structure et un rythme ? », interrogent-ils. Une façon d’aider dans la durée, de redonner confiance et d’encourager la personne à ne pas entrer dans le cercle vicieux qui le clouerait sur le trottoir pour le restant de ses jours. C’est également le pari lancé par Culture et sport solidaires 34, qui souhaite lutter elle aussi contre l’exclusion en proposant toutes sortes d’activités sportives ou culturelles : « La culture et le sport sont

«Comme cela doit

être désagréable de recevoir la charité par devoir !

»

d’extraordinaires leviers d’insertion ; ils aident à l’apprentissage de la citoyenneté et à la reprise d’autonomie », affirme le président. Fort de cette certitude, son association travaille avec de nombreux partenaires afin d’offrir des cours gratuits, des entrées de spectacles ou d’expositions aux plus

Réinsérer des personnes en difficulté grâce aux Jardins solidaires.

Initative Sparknews Vous voulez faire connaître une de vos initiatives, ou au contraire en découvrir ? Découvrez le site internet Sparknews : « Regardez, ajoutez et partagez des vidéos sur les initiatives qui changent le monde. » Un véritable trésor de solutions. www.sparknews.com

nécessiteux. Une ambition partagée par un grand nombre, chacun selon ses talents : « J’aime énormément jardiner, ça m’apaise et me remet les idées en place. Si c’est bon pour moi, ça peut l’être pour d’autres », sourit Marine, qui participe aux Jardins solidaires, dont le but est de « réinsérer et encourager des personnes en difficulté par le biais du jardinage ». Ailleurs, d’autres ont voulu se tourner vers les familles de ces SDF, le jour de leur mort. Depuis trois ans, l’association Les morts de la rue accueille, toutes les six semaines, les familles qui le désirent. Ils veulent soulager, écouter des familles aux histoires uniques,

Pour quitter définitivement le trottoir, rien de mieux que la vie rurale.

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Dossier Les chanteurs de Choralame offrent aux passants une autre forme de charité de proximité.

mais aux douleurs similaires. Cécile Rocca, fondatrice du collectif, explique cette démarche : « On veille à accompagner les familles endeuillées, par des hommages dans la rue et un accompagnement quotidien. On veille également à la dignité des funérailles, parce que rien n’est plus insupportable pour ces familles que de réaliser que l’un des leurs n’a pas de considération dans sa mort, comme s’il ne valait rien avant. » Une jeune femme, sœur d’un homme mort

© Choralame

Chanter pour soigner les cœurs.

fête annuelle. Parmi ces initiatives, l’association des Cyber-Voisins. L’idée de fond est la même, aider les gens à créer des liens qui ne se font plus aussi naturellement qu’avant, le tout par le biais d’internet, cette mine d’informations et de ressources en tous genres. Pour la jeunesse c’est une évidence, pour les anciennes générations moins. Voisins solidaires a donc pensé à pousser les premiers vers les seconds pour leur faire découvrir la toile : « Pour moi, c’était inaccessible, je pensais avoir passé l’âge, mais finalement c’est très simple, et je combats souvent mon ennui et ma solitude grâce à internet », se réjouit Nicole, accompagnée depuis quelques mois par Nicolas. Enthousiasmé par le projet, le jeune homme s’amuse : « Dans ma tête, c’étaient les personnes âgées qui apprenaient aux plus jeunes, mais finalement, je découvre que les deux sont possibles ! » Il est impossible d’être exhaustif tant les initiatives sont diverses, variées et surtout

«Chaque talent peut devenir une source de don apaisant. » dans la rue, est reconnaissante : « Cela nous permet de faire le deuil, parce que nous n’avons pas été prévenus de l’enterrement de mon frère. Mais le collectif organise également des manifestations publiques qui pourraient aider la France à ouvrir les yeux sur ces situations dramatiques. Nous avons besoin de cette reconnaissance, sinon nous sommes seuls. » La solitude, ce fléau souvent ignoré, certains ont décidé de le combattre fermement. Parmi eux, Atanase Périfan, l’initiateur de la fête des voisins. Le projet est une telle réussite que les organisateurs ont développé le concept afin qu’il ne se résume pas à une

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nombreuses ! Mais tous les initiateurs de ces projets ont commencé par ouvrir les yeux, voir ce qu’ils aimaient et ce qui manquait pour répondre de manière ajustée à une pauvreté. « Chaque talent peut devenir une source de don apaisant, encourageant ou réconfortant », conclut Olivier.

Quelques adresses Les morts de la rue Paris 20e. Tél. 01 42 45 08 01 Voisins solidaires 26 rue Saussier-Leroy 75017 Paris Culture et sport 34 Maison Gabriela Mistral, 535 rue du Pilory 34080 Montpellier Espaces – Jardins solidaires 855 av. Roger Salengro 92370 Chaville. Tél. 01 55 64 13 40 Choralame : choralame@gmail.com FNCIVAM 39 rue de Bretagne 75003 Paris. Tél. 01 44 54 27 70, fncivam@globenet.org


Entretien

Jean-Marie Destrées :

« Innover, bien sûr, mais intelligemment ! » Jean-Marie Destrées est délégué général adjoint de la Fondation Caritas France. Créée en 2009, elle s’est donné un but : « Lutter toujours plus efficacement contre les inégalités et les situations d’exclusion en France et dans le monde, en encourageant les projets innovants. » Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas, journaliste

Vous soutenez l’innovation dans la solidarité, pourquoi vous semble-t-elle importante ?

geant envers son entourage très proche, alors les choses changeront vraiment. On commence par faire attention dans sa propre vie, puis on finit par s’engager. L’innovation est d’abord dans un changement d’habitudes. Innover, bien sûr, mais intelligemment !

Innover, c’est d’abord changer d’habitudes.

Y’a-t-il des écueils à éviter dans cette multiplication d’initiatives ?

© DR

Plus encore qu’importante, elle est nécessaire. Certaines formes d’actions qui ont longtemps fait leurs preuves ne sont plus forcément adaptées et l’aide apportée doit évidemment s’accorder aux besoins sous peine de devenir vraiment inutile. Pendant longtemps, on s’est uniquement appuyé sur le public pour venir en aide aux personnes en situation de détresse. Mais aujourd’hui, de très nombreuses structures ou initiatives privées voient le jour et c’est une excellente chose. La générosité privée ne remplacera jamais le public. Ce n’est pas du tout un modèle à l’américaine que nous souhaitons évidemment, mais pour diversifier l’aide, et la multiplier, les deux sont complémentaires. Le soutien privé peut-être financier bien entendu par don, mécénat, investissement…, mais également humain. Justement, lorsque l’on veut aider sans avoir de moyens importants, comment s’y prendre ?

Les outils sont illimités ! Il y a une lame de fond très récente et porteuse d’espoir

qui est celle de la solidarité quotidienne, si je peux dire. On voit bien que des initiatives très concrètes voient le jour et se répandent très facilement. Cela devient un état d’esprit et c’est déjà énorme. Le reste se fait naturellement en fonction de son temps et de ses compétences. Je pense, par exemple, aux réseaux de partage qui naissent au sein d’un même quartier ou aux campagnes contre le gaspillage qui incitent toute la population à faire plus attention. Je ne pense pas qu’il faille commencer par vouloir sauver le monde, il faut commencer à sa très petite mesure. Tous les gens sains d’esprit, qui sont la majorité, ont ce souci d’aider, et si chacun est exi-

Bien entendu, c’est à la fois une chance et un risque. C’est d’abord excellent parce que la palette, en étant plus large, est nécessairement plus adaptée aux besoins aussi nombreux que variés. C’est aussi une occasion de profiter de nombreux talents et expériences qui excellent dans leur domaine. Mais la diversité de toutes ces actions doit être pensée intelligemment pour ne pas devenir un gaspillage d’énergie et d’efficacité. Pour être très clair, il ne sert à rien de réinventer l’eau chaude ! Quand deux ou trois personnes font exactement la même chose mais séparément, c’est contre-productif. Il ne faut pas entrer dans un jeu de concurrence qui est un mal bien français, mais surtout regrettable.

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Dossier Reportage

Ces « cafés suspendus » qui séduisent les Français L’inventivité est sans limite ! Une idée originale, récemment venue d’Italie, commence à séduire les Français : celle du « café suspendu ». Vous buvez un café, vous en réglez un deuxième, en attente pour qui voudra ! Dans plusieurs villes de France, le concept fleurit. C’est à Nantes qu’est née la première association. Rencontre. Texte et photos Charlotte d’Ornellas, journaliste

à

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Calais, Nantes, Grenoble ou Paris, tous ont eu l’idée de la même manière, comme l’explique Samira : « Il y a quelques mois, j’ai lu un article sur le sujet sur les réseaux sociaux. J’ai été très touchée et ai immédiatement adopté l’idée. Offrir un café est un geste simple qui peut dire beaucoup. » Antoine, qui vit depuis une vingtaine d’années de foyers en trottoirs, bénéficie de ces cafés en attente. Il donne largement raison à Amira : « C’est le fait de pouvoir parler avec des inconnus sans honte ni gêne, assis à la même table qui fait du bien ». Ces cafés « suspendus » ou « en attente » sont un geste charitable importé d’Italie : une ancienne tradition voulait que les Napolitains heureux règlent deux cafés quand ils n’en buvaient qu’un, le second étant destiné à un malheureux qui passerait par là.

Déclinable à l’infini

© Pogodo

En France, le concept du « en attente » se répand comme une traînée de poudre.

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Ozanam - n°207 - janvier-février 2014

Une idée simple, et déclinable à l’infini ! C’est ce qui a poussé Corentin à créer avec un ami l’association Tout en attente. Pourquoi « tout en attente » ? Parce qu’ils ont les idées larges : « Le concept existe avec les cafés, mais nous espérons le développer. » Il est facile d’espérer, avec eux. En deux mois, quinze commerces ont rejoint l’aventure : épiceries, tabacs, pizzerias, sandwicheries… et, bientôt sans doute, pharmacies et coiffeurs ! Le concept s’était déjà implanté dans d’autres villes de France. Au Mans, c’est Dany qui en est à l’origine : « Je trouvais l’idée géniale. Je ne suis ni commerçante ni restauratrice, mais j’en ai


« C’est le fait de pouvoir parler avec des inconnus sans honte ni gêne, assis à la même table qui fait du bien.

»

© Boca Dorad

parlé autour de moi ! » Walid, gérant d’un salon de thé, a immédiatement été séduit : « Mon métier est beaucoup plus intéressant si je peux créer du lien entre les personnes que je reçois. Chez moi, il y a une ardoise sur laquelle sont notées les boissons en attente. Un coup d’œil, et ils savent si un café ou un thé les attend. » Un peu plus loin, les tickets réglés sont piqués sur un panneau de liège : « C’est le meilleur moyen de n’avoir aucune gêne. La personne arrive, attrape un ticket et le donne en caisse. Nous ne demandons rien de plus », explique le gérant. Mais tout n’est pas aussi simple qu'il n'y paraît ! Il faut d’abord persuader les commerçants, ce qui demande prudence et patience. Selon Corentin : « Certains gérants ont peur de la clientèle que ce projet pourrait leur apporter. C’est compréhensible, certaines personnes peuvent être alcoolisées. Nous ne voulons pas que cela puisse devenir

a

Ali, jeune homme sans revenus, se réchauffe grâce à un café qui l’attendait.

un cauchemar, c’est pourquoi nous n’allons pas trop vite, et nous étudions la meilleure manière de faire », confie-t-il, réaliste. Principale difficulté : faire venir les gens. À titre indicatif, quatre-vingts cafés sont déjà en attente dans le restaurant de Corentin ; l’offre est pour le moment largement supérieure à la demande. De son côté, Paul, qui travaille dans une pizzeria, a trouvé une solution : « Personne n’osait venir réclamer ces pizzas qui étaient en attente. Nous avons proposé un service de livraison à domicile. Et cela fonctionne ! La démarche est plus facile par téléphone. » Corentin a choisi de passer par les associations, qui « connaissent ces personnes qui leur font confiance ». Mais son but, à long terme, n’est pas de ne faire venir que les personnes de la rue : « Pour des raisons diverses, les personnes SDF ont besoin d’aide. Mais de la même manière, les étudiants fauchés ou les personnes âgées, souvent seules. » Reste à trouver le moyen de les faire venir. Prochaine étape pour Corentin ? Ouvrir le concept au monde de la culture. Début 2014, des places de cinéma seront également « en attente » et, plus tard, pourquoi pas, le reste du monde culturel : musée, concert, théâtre…

Le défi pour le

futur : équilibre r l’offre et la de mande.

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Service Actus SSVP

Handivoix : chanter quoiqu’il arrive Ils sont handicapés et trouvent dans le chant une occasion de s’apaiser, de se dépasser. Rencontre avec la chorale Handivoix des Compagnons de Saint-Vincent-de-Paul à Paris. ’ai les mêmes buts que n’importe quel autre chef de chœur », affirme d’emblée Frédéric Bense, depuis un an à la tête de la chorale Handivoix Les Compagnons en C(h)œur. L’espérance qui l’anime se nourrit d’abord de son savoir-faire : chanteur professionnel et enseignant, il travaille avec les règles fondamentales que sont la discipline et l’exigence pour atteindre le meilleur.

Trisomiques, autistes et traumas Mais comment fait-il pour faire chanter, ensemble et juste, des chanteurs trisomiques, trois autistes, des traumas crâniens ? Pour mener à bien sa mission, il est aidé des Compagnons de Saint-Vincent-de-Paul. Ces bénévoles du réseau Ozanam de la SSVP ont apporté leur soutien à cette chorale dès

sa naissance. En logistique d’abord : raccompagner les personnes au métro, installer les chaises, préparer le goûter. Mais aussi par l’effet bienfaisant de leur présence auprès des personnes fragiles : « Parmi les compaPrès de 112 chorales, gnons, il y a un homme très réparties sur 25 départements. calme et posé. Sa présence, par exemple, donne au groupe un ancrage Cette chorale Handivoix est la seule à et une stabilité qui nous permettent d'avan- ne pas être dépendante d’une structure cer », explique Frédéric. Il s’appuie sur ces médico-sociale. Ouverte à tous, elle petits signes pour poursuivre sa mission : accueille des personnes avec des handicaps « Et cette jeune fille autiste, très agitée variés. C’est ce qui fait son originalité et lorsqu’elle est chez elle, qui à la chorale est qui permet aux Compagnons de la SSVP calme et souriante. Au dernier concert, elle de s’y associer aisément. Benoît Pesme, responsable animation et formation du réseau a chanté un quart des chants ! »

© Handivoix

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Forte mobilisation de la SSVP à Noël Alors que d’autres associations ferment leurs portes pour les vacances d’hiver, les bénévoles vincentiens se mobilisent et imaginent mille et un moyens de vivre Noël dans la joie.

© SSVP

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150 personnes SDF et des jeunes Vincentiens pour une nuit survoltée.

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Les cahiers

obilisés tout au long de l’année, les bénévoles de la Société de SaintVincent-de-Paul redoublent d’implication au moment des fêtes de fin d’année. Tout au long du mois de décembre, ils se sont mobilisés pour lutter contre la solitude pendant cette période de fêtes : distributions de colis alimentaires « Extras de Noël » dans l’Ouest de la France, arbres de Noël, aprèsmidi festifs co-organisés par les bénévoles et personnes accompagnées à Lille et à Pantin,

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réveillons et dîners partout en France, accueil de personnes seules dans nos familles le soir de Noël à Paris, spectacle de music-hall à Rouen, tombola à Limoges, etc. Les Vincentiens ne manquent pas d’imagination ! On citera particulièrement le réveillon du 31 décembre, organisé par les quinze Conférences jeunes de Paris. Elles ont accueilli cent cinquante personnes sansabri pour une nuit de fête survoltée. Capucine Bataille, RC


Séance de ciné-goûter

Nouveaux mandats Joseph Mérillon Président du CD 64 (Pyrénées-Atlantiques)

U

« Ayons les intuitions de Frédéric, le réalisme et la spiritualité de saint Vincent, et nous réaliserons ensemble de belles choses. »

Anne Laming 35 spectateurs vite devenus adeptes du concept original.

© SSVP

mais c’était presque inutile. Les accueillis sont eux aussi venus les mains pleines ! C’est avec tristesse que tout le monde se sépare, en attendant impatiemment la prochaine séance. Clotilde Lardoux, assistante communication

2 Dans les médias

Présidente du CD 86 (Vienne et Deux-Sèvres)

« Si la charité n'est plus, à quoi sert tout le reste ? » interroge Saint Augustin. Concrètement, je souhaite développer les visites à domicile pour combattre la solitude, créer une Conférence jeunes, impliquer les collégiens, et enfin privilégier l’aide à l'emploi. »

Christian Dubié Président du CD 87 (Haute-Vienne)

x 13/12/2013

x 21/12/2013

x 24/12/2013

Interview de Bertrand Ousset, Président national de la SSVP. L’association fête son fondateur, Frédéric Ozanam, et veut « enserrer le monde dans un réseau de charité ». Les bénévoles vivent la charité dans sa dimension de fraternité et d’échange.

À l’occasion de Noël, le réseau de charité qu’est la SSVP intensifie sa mobilisation. Partout en France, les bénévoles luttent contre la solitude, transmettent la joie et vivent ce temps festif avec les personnes accompagnées pendant l’année.

Migueline, bénévole à la SSVP à Colombes (92), témoigne de sa participation au traditionnel réveillon de Noël. Bénévoles, personnes seules ou familles accompagnées s’investissent pour profiter de cette chaleureuse soirée préparée ensemble.

« J’ai plusieurs priorités, parmi lesquelles : améliorer notre présence en milieu rural, intensifier notre travail en partenariat avec les autres associations, mieux accompagner les personnes que nous aidons vers l’emploi. »

Brigitte Jannot-Bélissent

Présidente du CD 89 (Yonne)

« Trois objectifs sont à mes yeux primordiaux : développer la visite à domicile, recruter et surtout rester à l’écoute de ceux qui justifient que nous sommes Vincentiens. »

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© DR

n dimanche à l’aumônerie de Montrouge (92), un vidéoprojecteur et un ordinateur portable sont installés. C’est aujourd’hui, comme depuis trois ans déjà, l’après-midi « Ciné-goûter » organisé par la Conférence de Saint-Vincent-dePaul jeunes Sainte-Élisabeth-de-Hongrie. Trente-cinq spectateurs environ, essentiellement des femmes âgées, se retrouvent ainsi une fois par trimestre. Des personnes ont prévenu qu’elles ne pouvaient se déplacer. Aucun souci ! Des bénévoles vont les chercher en voiture. Après un temps de présentation de chacun, c’est parti pour 1 h 30 de cinéma, suivie d’un débat autour du film. Les jeunes Vincentiens ont prévu gâteaux et boissons pour le goûter,

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Service Face à face

Josian : « Donner du bonheur gustatif

à ceux qui en ont besoin »

Cuisinier de métier, Josian est bénévole à plein-temps pour le restaurant social de la Société de Saint-Vincent-de-Paul de Montpellier. Chaque jour, cent quatre-vingts personnes démunies profitent de la créativité du chef, soucieux de toujours satisfaire ses « clients ». Par Capucine Bataille, RC Racontez votre parcours surprenant…

Arrivez-vous à cuisiner vraiment des plats dignes d’un restaurant ?

© SSVP

J’ai étudié la cuisine en école hôtelière. C’est une véritable passion. J’ai eu la chance de l’exercer pendant quelques années, puis je me suis adonné à ma deuxième passion : l’antiquité. J’ai vendu ma boutique d’antiquaire en 2004 et suis parti en voyage quelque temps. J’avais besoin de réfléchir. Il me semblait Allier sa passion à son que mon travail était stérile. Je désir de servir l’autre. voulais faire quelque chose d’autre et aider ceux qui en ont besoin. Certains Qu’est-ce qui a changé depuis votre arriappelleront cela une crise de la quarantaine. vée en 2004 ? Aujourd’hui, on décroche très vite. On peut Pourquoi avoir mis votre talent au service tomber dans la misère du jour au lendede la SSVP et pas d’une autre association ? main. Au restaurant, on reçoit de plus en La Société de Saint-Vincent-de-Paul est plus de monde. 50 % de ceux qui poussent moins connue que le Secours catholique ou notre porte n’ont pas 30 ans ! Il y a des les Restos du cœur. Mais grâce à un ami, j’ai gens incroyables. En ce moment, il y a une rencontré Yvette, présidente de la SSVP du jeune femme qui est premier prix de conserdépartement de l’Hérault. Elle m’a montré le vatoire de piano ! Nous recevons près de restaurant social. C’était une cuisine profes- cent quatre-vingts personnes chaque jour. sionnelle : un matériel de qualité et quatre- À la cuisine, nous sommes en permanence vingts couverts par jour. Ici, on ne sert pas une équipe de six à sept personnes pour des paniers-repas, c’est un vrai restaurant : il assurer le service correctement. Étant le seul y a une entrée, un plat, du fromage et un des- à être formé en cuisine, la plus grosse partie sert. C’est également le seul restaurant social du repas est confectionnée par mes soins. à servir des repas chauds à Montpellier. J’ai L’équipe prépare surtout les plateaux, les aussi été touché par l’engagement d’Yvette ; salades, etc. J’adore ce que je fais, mais si un j’ai eu envie de la suivre. Maintenant, cela autre cuisinier veut venir aider, il est le bienfait sept ans que je suis bénévole à la SSVP ! venu ! On ne manque pas de travail ici !

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Je cuisine avec les produits que nous donne la banque alimentaire. Les ingrédients sont parfois limités, mais j’arrive à faire exactement comme si je recevais des amis chez moi : c’est ni mieux ni moins bien. Pour Noël, nous avons reçu deux cent cinquante personnes. Nous avions préparé l’événement en amont : terrine de foie gras, saumon fumé, cuisse de canard confite… le tout disposé dans de jolis plateaux festifs. Ce bénévolat vincentien a-t-il donné le sens escompté à votre vie ?

Je suis heureux de donner du bonheur gustatif à ceux qui en ont besoin. J’ai allié ma passion à mon envie de servir les autres. Pas besoin de salaire, leur remerciement et le fait qu’ils apprécient mes plats me suffisent. Je ne suis pas catholique, mais je partage les valeurs de la SSVP : se donner au maximum pour aider les gens démunis. Et l’essentiel : une écoute attentive. Quand le service est lancé, je suis dans la salle. J’essaie d’être le plus souriant possible, de tout faire pour qu’il y ait une très bonne ambiance à la cuisine. Comme le chef d’un grand restaurant, j’aime discuter avec mes « clients » et voir si mes plats leur conviennent !


Patrick et Arnaud sauvés par Le Cappuccino À Clermont-Ferrand, on se retape au café Le Cappuccino. Un lieu d’accueil et d’écoute tenu par des bénévoles, et initié par les Capucins avec le soutien de la paroisse. Immersion dans ce bar original, où la charité coule à flots. Par Benoît Pesme, responsable animation et formation du réseau

«C

Arrêter l’alcool Petit à petit, Patrick a remonté la pente, il a arrêté l’alcool et retrouvé une vie plus stable. « Un jour, il a souhaité devenir bénévole. Nous avons accédé à sa demande. » Patrick est aujourd’hui installé dans une autre ville avec sa nouvelle compagne. Il fait de l’entretien de jardins et témoigne de son histoire d’ancien alcoolique. Le Cappuccino est un café chrétien, le Saint-Sacrement est exposé à l’étage audessus. L’équipe d’une vingtaine de béné-

La recette du Cappuccino fait des merveilles.

voles est accompagnée par les Frères du couvent des Capucins, soutien sans faille depuis l’origine. Le public est composé de fidèles, habitués à combler leur solitude au Cappuccino, parmi lesquels des personnes venant de l’hôpital psychiatrique Sainte-Marie. Il y aussi des gens de passage et, enfin, les amis qui boivent un coup et font un don par la même occasion. Au comptoir, pas d’alcool et des prix qui ne dépassent pas 1,50 euro. Parmi les habitués, depuis quelque temps, il y a Arnaud. « À 27 ans, il est là, tous les après-midi, raconte Jacqueline. Il se libère lentement de sa toxicomanie et assure matin et soir son travail de nettoyage de bureaux et de magasins. Il se plaît avec les bénévoles et amène parfois un ou deux amis. On est sa famille », conclut Jacqueline qui confie sa joie de servir, d’écouter et d’accueillir avec le sourire.

© DR

’est à l’accueil de jour qu’on a donné l’adresse du Cappuccino à Patrick. Il avait besoin de vider son sac. » Jean, qui l’accueille ce jour-là, écoute son histoire. « À la suite de déboires familiaux, il a perdu son job dans le bâtiment. Squatter, il est devenu alcoolique. Quand il est arrivé au Cappuccino, il était au bout du rouleau. » Il poursuit : « J’ai écouté Patrick, je l’ai aidé à éclairer sa situation. Ça a marché, car ici il a trouvé du réconfort, de l’écoute, des sourires. » Jean fait partie de l’équipe des bénévoles qui font vivre chaque après-midi ce café original. Jacqueline, elle aussi bénévole, insiste : « Ici les gens de passage peuvent s’installer sans qu’on leur demande quelque chose, il n’y a pas de jugement. »

L’aventure dure depuis quatre ans et la recette du Cappuccino fait des merveilles : « Vous réussissez grâce à vos équipes hétérogènes capables de s’ouvrir et d’accueillir des gens très divers », a dit un jour un responsable du diocèse. Le succès ne se mesure pas au chiffre d’affaires : le lieu qui fonctionne sous le statut de club privé — la première consommation donne droit à une carte d’adhérent — compte aujourd’hui plus de mille quatre cents membres. Chaque équipe de trois ou quatre bénévoles a son jour fixe et le dimanche, les équipes tournent. Pour Xavier Jeanson, le président de l’association, il est important d’être attentif à plusieurs points : « Être ancré dans l’Église. Nous le sommes grâce à l’engagement des bénévoles, de la paroisse et au soutien des Capucins. Ne pas aller au-delà de la mission confiée, tentation permanente pour tout bénévole. Enfin, veiller à rester accueillant à chacun, quel qu’il soit. »

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Service Initiatives

« Heureux les invités », RSVP « Vous êtes invités au prochain HLI… » Cette belle invitation, reçue par courrier, en laissera plus d’un sceptique. Difficile d’imaginer que derrière ce carton travaillé se trouvent des bénévoles vincentiens soucieux de lutter contre la solitude dans leur quartier. Par évelyne Ahipeaud, Vincentienne

«H

eureux les invités », en référence au passage de la liturgie eucharistique, surnommé « HLI » par les habitués, est porté par les bénévoles de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul jeunes de SaintPierre-de-Montrouge (Paris 14e). L’initiative poursuit un double objectif : vivre un temps

de fête en compagnie de personnes âgées confrontées à la solitude, mais aussi, plus largement, inviter la population du quartier à agir pour rompre l’isolement des personnes âgées de leur entourage.

Éviter le pathos Les Vincentiens à l’origine du projet souhaitaient se rapprocher du service historique qu’est la visite à domicile des personnes âgées et isolées. Il leur semblait qu’un service collectif aurait pour eux plus de sens et motiverait davantage les jeunes En décembre, ils étaient 85 heureux invités.

animations élaborées, etc. Le programme du premier HLI, en janvier 2009, donnait déjà le ton : « Grand loto, spectacle de magie, goûter et autres réjouissances. » Ainsi, l’objectif premier ne serait plus seulement « d’être au service », mais de passer un bon moment intergénérationnel qui a du sens. Le but : que chacun donne et reçoive, autant les invités que les bénévoles. Cette initiative dure maintenant depuis cinq ans. Elle est aujourd’hui soutenue par les principaux groupes de solidarité de la paroisse qui s’y sont associés : Conférence de Saint-Vincent-de-Paul aînée, Secours catholique, groupe de communion aux malades, prêtre de la paroisse…

© SSVP

événement record

bénévoles. À cela, ils ajoutèrent une exigence : éviter à tout prix « le pathos et l’apitoiement sur la vieillesse et la solitude ». L’idée originale consistait alors à faire de cet après-midi une vraie fête, autant pour les personnes accueillies que pour les bénévoles. Les jeunes se sont donc donné les moyens de leur ambition : cartons d’invitation dignes de ce nom, décorations travaillées,

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Le 14 décembre 2013, ils sont venus en nombre, autant les invités que les bénévoles. Alice, responsable de l’événement dénombre quatre-vingt-cinq participants. C’est un record pour ce rendez-vous trimestriel qui a su doucement s’imposer comme un événement incontournable dans la paroisse où œuvre la Conférence. Ce dernier HLI, placé sous les couleurs de Noël, démontre, par le nombre de bénévoles et d’invités présents, que cet après-midi est aujourd’hui attendu par chacun des participants. Bénévoles et accueillis sont donc à nouveau invités avec joie pour les prochains rendez-vous HLI de l’année, qui auront lieu les 29 mars et 28 juin 2014.


Actus juridiques et sociales

Innovation sociale Trouver des financements pour son projet Le contexte économique français fait que des fondations encouragent ce que l'on peut appeller la charité créative. Pour convaincre ces financeurs, il suffit de démontrer que son projet est socialement innovant, c’est-à-dire qu’il satisfait quatre grands critères. Par Bertrand Decoux, Secrétaire général Le projet répond-il à un besoin social mal satisfait ? Le besoin et l’insuffisance des réponses sont explicitement identifiés (ex : logement des plus démunis). Le projet agit sur les causes et modifie les mécanismes conduisant à l’apparition du besoin. Sa pertinence est évaluée en amont. Les outils de mesure d’impact sont définis et les résultats attendus positifs et significatifs. Le projet s’inscrit dans le long terme et les moyens de sa pérennité sont identifiés. Le projet génère-t-il d’autres effets positifs ? Il a des impacts positifs et mesurés sur

d’autres besoins sociaux (ex. : accompagnement des familles précaires avec jeunes enfants, qui diminuera les besoins de soutien scolaire) ou sur le développement économique (ex. : réinsertion par la création de micro-entreprises comme proposée par l’Association spécialisée Suzanne-Michaux). Le projet représente-t-il une expérimentation et une prise de risque ? Sa mise en œuvre représente des risques, tels que des incertitudes réelles sur la mise au point du nouveau dispositif, la résistance au changement des acteurs et bénéficiaires, etc. Il est une expérimentation préalable au déploiement du nouveau concept.

Le projet invite-t-il les acteurs concernés à s’impliquer ? Les bénéficiaires sont impliqués dans la co-construction de la réponse innovante et dans la mise en œuvre opérationnelle. Dès lors qu’un projet est défini comme « innovant » selon ces critères, il peut faire appel à des financeurs particulièrement tournés vers l’innovation sociale : la Fondation Caritas France, la Fondation pour le lien social de la Croix-Rouge française, la Fondation Notre-Dame, la Fondation de France, l’Admical, etc. À suivre également : les appels à projets en cours. Voir, par exemple, le site de l’Entraide protestante (www.fep.asso.fr), qui recense les appels à projets sur tout le territoire.

Important

L

a trêve hivernale prendra fin le 15 mars. Comment aider les familles menacées d’expulsion pour cause d’impayés ? Un numéro unique et gratuit est disponible partout en France pour les locataires exposés à un risque d’expulsion : 0805 16 00 75. Ce service, appelé « SOS impayés de loyers », est proposé par l’Agence

nationale pour l’information sur le logement (ANIL). Au niveau de chaque département, l’ANIL apporte des informations adaptées et éclaire sur les solutions envisageables :

mise en place d’un plan d’apurement amiable entre bailleur et locataire, aides existantes (fonds de solidarité logement, allocations logement, centre communal d’aide sociale, aide juridictionnelle, etc.), souscription d’une garantie des risques locatifs.

© Haloocyn/SXC

Fin de la trêve hivernale

Rendez-vous sur le site de l’ANIL. Plusieurs pages sont réservées aux locataires en difficulté : www.anil.org. Par Sophie Rougnon, responsable administratif et financier

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Service Actus juridiques et sociales

Une journée pour analyser son action Prendre le temps, une fois par an, de faire une pause pour réfléchir à ses actions, à leurs fruits, à la manière dont chacun les vit, à la manière dont l’on réussit – ou non – à attirer de nouveaux membres. Cinq étapes clefs pour une relecture annuelle de ses actions. Par Migueline Houette, Vincentienne et membre du CA

1 Préparer la journée Il est indispensable de prévoir cette journée à l’avance pour que tous puissent être présents. Dans l'idéal, une personne extérieure au groupe jouera le rôle d’animateur de cette journée.

2  Faire 3 inventaires – Ce qui se fait : Donne-t-on sa place à chaque membre ? Certains font plus que d'autres, ceux qui font moins ne se sententils pas des « sous-membres » ? – Ce qui se fait autour de nous : Quelles autres actions associatives existe-t-il dans notre quartier, notre ville ? – Des besoins : quels sont les besoins dans le quartier ou sur le territoire où nous œuvrons ?

notre charisme ? Privilégions-nous le contact de personne à personne ? Œuvrons-nous dans une charité de proximité, faite de respect, de fraternité, d'amitié et d'accompagnement bienveillant ?

4 Sortir de ses habitudes Il est bon de prendre chaque année le temps de se poser la question de nouvelles actions. Avons-nous décelé de nouvelles pauvretés auxquelles nous pourrions répondre ?

5 Vivre un temps privilégié Cette journée est l'occasion de passer un moment entre bénévoles, de renforcer les liens : repas festif, activité, prière, messe.

Astuce

La « Journée de la Conférence »

P

our prendre l’habitude de relire vos actions de charité, lancez la « Journée de la Conférence », lors de laquelle vous pourrez prendre le temps de vous retrouver, de prier et de faire l’inventaire de vos actions auprès des plus pauvres. En plus des cinq étapes ci-contre, vous pourrez vous demander, conformément à la Règle internationale de la SSVP : – Notre Conférence est-elle une communauté d'amour (Règle art. 3.3) ? Prenons-nous le temps d’y créer une amitié effective (art. 3.3) ? – Notre Conférence est-elle une véritable communauté de foi (art. 3.3) ? Que faisons-nous pour avancer ensemble vers la sainteté (art. 2.2) ? Avons-nous un animateur spirituel ? – Notre Conférence a-t-elle un esprit jeune qui se caractérise par l'enthousiasme et l'imagination créatrice (art. 3.5) ? Sommesnous prêts à lancer une nouvelle action ? à changer nos horaires de réunion pour faire venir des plus jeunes ?

– Ce que nous faisons est-il bon ? Les fruits de notre action sont-ils la joie ? l'amitié ? la paix ? autres ? Avons-nous le souci de « remettre debout » et pas seulement d'aider ? – Ce que nous faisons est-il utile ? Par exemple, si le Secours populaire distribue des vêtements, devons-nous continuer à faire vestiaire ? S'il y a les Restos du cœur, devons-nous faire des distributions de colis ? – Ce que nous faisons est-il conforme à

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Une fois par an, faire le point en Conférence.

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© yurolaitsalbert - Fotolia.com

3   Analyser son action en 3 questions


Conférence de Nîmes : 180 ans d’adaptation Il y a près de 180 ans, naissait la première Conférence de Saint-Vincent-de-Paul en province, à Nîmes. Jean-Marc Soulas, Président départemental du Gard, raconte les évolutions et adaptations de l’aînée des Conférences de province, restée attentive aux besoins, inventive dans sa charité. Par Clotilde Lardoux, assistante communication

Quelles actions pratiquait la Conférence à l’époque ?

Nous apportions une aide financière. Je me souviens que nous nous concertions, et que chaque confrère devait donner son point de vue avant de légitimer une aide. J’ai aussi connu la distribution de charbon, récupéré chez les professionnels qui liquidaient leurs stocks. C’était bien l’époque des « petites gens », qui avaient plaisir à ouvrir leur porte aux différents bénévoles.

vices avec des partenariats adaptés. Par exemple, la démarche d’accompagnement est réalisée par l’épicerie solidaire. Il y a été établi un système par lequel on choisit d’aider les personnes qui ont entre 2 000 € et 2 500 € de dettes, afin de leur éviter des problèmes avec la justice. Nous avons aussi ouvert un partenariat Assurer la pérennité de avec des établissements scolaires, la SSVP par la création et l’adaptation. grâce auquel les élèves en CAP de vente viennent mettre en pratique leur formation à l’épicerie. La SSVP a là un vivier d’où pourront naître des Conférences jeunes. La nouveauté tient aussi à l’implication des acteurs économiques locaux. Une grande surface nous restitue 20 % du montant des achats réalisés en plus des produits de la banque alimentaire. © SSVP

Comment avez-vous rencontré la SSVP ? C’est en classe de troisième, chez les Frères des écoles chrétiennes, que j’ai entendu parler pour la première fois de la SSVP. Notre professeur d’histoire, membre d’une Conférence de la ville, impliquait les collégiens dans la visite de personnes seules. Ceux-ci leur apportaient des denrées collectées par les élèves. C’étaient des rencontres privilégiées pour des jeunes de 14 ans ! Je suis devenu et resté ensuite membre de la Conférence pendant six ans.

En résumé ?

d’abord pour des raisons de sécurité, mais aussi du fait de l’indifférence des individus. Cela m’a pourtant semblé essentiel. Il y a un vrai besoin dans notre société individualiste, où la solitude grandit, de privilégier cette approche personnalisée.

Ces actions ont-elles évolué aujourd’hui ?

La distribution de charbon est finie, bien sûr ! Mais il y a quinze ans, quand j’ai réintégré la SSVP, j’ai découvert que la visite à domicile avait malheureusement aussi disparu, au profit de la distribution alimentaire. Il a été difficile de réinstaurer ces visites,

Quelles récentes adaptations a vécu votre Conférence ?

Aujourd’hui, la mission du service aux plus démunis doit passer premièrement par un souci d’accompagner, d’accueillir et de visiter, d’où la mise en place de nouveaux ser-

Ne pas vouloir soigner seul tous les maux de la terre, mais travailler en réseau avec les associations locales, qui ont chacune un domaine d’action spécifique. Cela implique de mettre l’accent sur nos propres spécificités : la lutte contre la solitude et l’accompagnement dans la durée. Mieux vaut aider vingt personnes et les accompagner jusqu’au bout que d’en aider plus à moitié. Enfin, notre troisième enjeu est d’assurer la pérennité de la Société de Saint-Vincent-dePaul, en essayant de susciter la création de Conférences jeunes.

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Service International

« Jeunes Vincentiens, vous devez être innovants, créatifs et ambitieux ! » Au cœur du splendide Tyrol autrichien, les Présidents des pays d’Europe occidentale, accompagnés de représentants des jeunes Vincentiens de chaque pays, se sont réunis. L’objectif de cette rencontre : partager les bonnes pratiques et unifier le réseau de charité. Par Sophie Grandjean, Vincentienne de la Conférence jeunes de Saint-Ignace (Paris 6 e)

de la Société de Saint-Vincentde-Paul et d’échanger avec les Vincentiens d'autres pays.

© SSVP

Diversité des Conférences jeunes En partageant nos différentes expériences, nous avons pu constater la diversité des Conférences jeunes à travers l’Europe : des actions et services très différents, des Conférences plus ou moins nombreuses, plus ou moins bien coordonnées à l'échelle nationale. Nous avons pris le temps de Rencontre des jeunes Vincentiens d’Europe : réfléchir à la manière dont nous trouver des idées pertinentes pour l’avenir. pourrions constituer ensemble un n novembre 2013, les Présidents des vrai réseau, de voir comment nous pourrions pays de la zone « Europe 1 » (Angleterre, mieux partager les outils que chaque pays Irlande, Pays-Bas, Belgique, France, Portu- utilise pour recruter, former, fidéliser ses gal, Italie, Suisse, Allemagne, Autriche…) se jeunes bénévoles, afin d’harmoniser nos sont réunis à Innsbruck pour deux jours de pratiques et gagner en efficacité, en créaréflexion, d’échange, de prière. À l’ordre du tivité. Nous en avons profité pour interpeljour : les thématiques du renouvellement ler les présidents réunis sur la nécessité de des bénévoles, de la communication, de la développer des programmes adaptés aux visite à domicile et de la spiritualité dans les jeunes. En effet, notre Règle rappelle : « Quel Conférences. Un représentant des jeunes que soit leur âge, les membres s’attachent à de chaque pays était également convié : conserver un esprit jeune, qui se caractérise nous étions deux jeunes Français mission- par l’enthousiasme, l’adaptabilité et l’imaginés par le Comité des jeunes de Paris pour nation créatrice. » représenter la France. Ce fut l'occasion pour Tout au long de cette rencontre, nous nous de découvrir le visage international avions la chance d'être entourés par des

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membres du Conseil général international, qui nous ont éclairés sur les différentes activités et actualités de la SSVP. Le président Michael Thio nous a édifiés par son énergie, sa simplicité et sa foi rayonnante. « Youth members, you need to be innovative, creative and ambitious1! » est le message fort qu’il a adressé à tous les jeunes Vincentiens des pays représentés. C’est un appel à aller toujours de l’avant, pour répondre aux nouvelles formes de pauvreté de notre société. Jeunes et moins jeunes, il nous a incités à vivre intensément notre spiritualité vincentienne, notre foi, et à en témoigner autour de nous.

Proximité entre aînés et jeunes Nous retiendrons de ce week-end l’ambiance fraternelle, la simplicité et la sincérité des échanges. Nous avons été très touchés par la proximité des aînés avec les jeunes, et par leur volonté de nous laisser la place et la parole. L’accueil réservé par les bénévoles de la Conférence d’Innsbruck restera également dans nos mémoires : la visite de la ville, la découverte de l’histoire du Tyrol, la célébration de l’Eucharistie tous ensemble furent des moments de partage joyeux qui ont participé à la réussite de cette rencontre. 1. « Jeunes Vincentiens, vous devez être innovants, créatifs et ambitieux ! »


Carnet de route

Objectif des apprentis : se former à un emploi pour gagner sa vie dans son pays. Ici la section Couture.

Le drame de Lampedusa : Et après, que faire ?

Construire son avenir en apprenan t les métiers

du bâtimen t.

En juillet 2013 à Lampedusa, le pape François exhortait les chrétiens à ne pas tomber dans la mondialisation de l’indifférence face aux victimes de l’émigration : « Où est ton frère ? » L'association Les Mains Ouvertes, affiliée à la Société de Saint-Vincent-de-Paul, loin du dilemme sociopolitique, offre une réponse innovante à la question de l’émigration au Sénégal. Texte et photos Bruno Ménard, Vincentien, Président de la fédération Les Mains Ouvertes

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ous avons tous été émus, voire révoltés, il y a quelques mois par le drame de Lampedusa. Mais chaque année, des centaines de jeunes Africains meurent en essayant d’atteindre ce qu’ils espèrent être un eldorado : l’Europe. Qui s’en soucie vraiment ? L’aspiration des jeunes à quitter leur pays d’origine peut se comprendre : ils espèrent trouver un emploi, gagner leur vie et envoyer de l’argent à leur famille. Mais pour un succès de temps en temps, que d’échecs, de drames, de vies brisées !… C’est pourquoi l’émigration clandestine est vécue dans la douleur par de nombreuses

Bruno Ménard, Vincentien

familles. En 2009, à l’occasion des JMJ locales, les jeunes chrétiens réunis à Thiès (Sénégal) ont lancé cet appel dramatique : « Aidez-nous à lutter contre l’émigration clandestine ! » Quelques semaines plus tard, j’ai entendu le même cri de la part de mères de famille dans les banlieues pauvres de Dakar. En tant que Vincentien, je n’ai pu y rester indifférent. Nous ne réglerons pas ce problème d’un coup de baguette magique, les causes sont multiples : conflits locaux, malnutrition, conditions sanitaires, absence de travail, rêve de bénéficier des systèmes sociaux européens, etc.

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Service Carnet de route Gâteaux appétissants confectionnés par les apprentis cuisiniers.

Les écoliers bénéficiant du mobilier construit par les apprentis.

Réussir l’épreuve du CAP bâtiment, au centre Warang.

aient trouvé un emploi, afin de leur donner une alternative à l’émigration clandestine. Ces jeunes pourront ainsi obtenir un diplôme d’État en deux ans, le CAP. Les Mains Ouvertes propose une pédagogie responsabilisante, aidant les jeunes à devenir de bons professionnels, mais aussi à être ouverts sur le monde qui les entoure et porteurs de valeurs éthiques. Des partenariats avec les acteurs locaux ont été établis afin que ces formations soient ancrées dans la réalité du pays.

Cinquante élèves Mais il y a un domaine où, avec des moyens « limités », nous, Vincentiens, pouvons améliorer sensiblement les choses en vivant la charité de proximité : la formation, qui peut être une vraie réponse à l’émigration, en permettant aux jeunes d’accéder à l’emploi et de gagner leur vie dans leur pays d’origine. Nous nous sommes donc fixé pour mission de créer un réseau de centres de formation professionnelle, ouverts à tous, pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises locales. L’objectif est de former quatre cents jeunes par an et de les accompagner jusqu’à ce qu’ils

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En 2010, la fédération Les Mains Ouvertes, avec la Société de Saint-Vincent-de-Paul, a créé, grâce à l’association Les Mains Ouvertes Sénégal, deux ateliers pédagogiques près de Dakar. Informé de cette action, le cardinal Sarr, archevêque de Dakar, nous a invités à aller plus loin et à créer, dans la région de Mbour (une grande ville du Sénégal à 80 km de Dakar), le Centre de formation Frédéric Ozanam (CFFO). Créé en 2011, il accueille actuellement cinquante élèves dans trois sections : Métiers du bâtiment, Couture, broderie, entretien du linge et Métiers de l’hôtellerie et de la restauration.


Obtenir un diplôme, c’est pouvoir accéder à un emploi dans son pays.

Section Métiers du bâtiment : menuiserie, maçonnerie, construction.

Section Couture : entretien du linge, teinture, broderie.

«Plutôt que de travailler dans l’urgence lors d’une catastrophe, innovons : anticipons !

»

De plus, dans le cadre d’une SARL créée à cet effet, il existe trois sections de perfectionnement qui permettent aux jeunes formés d’avoir un emploi avec bulletin de salaire et de se perfectionner dans un contexte professionnel : une en menuiserie, une en maçonnerie et un hôtel-restaurant d’application Le Ganalé (L’accueil de l’étranger, en wolof). Cheikh Boubacar, élève en formation grâce aux Mains Ouvertes, est enthousiaste : « Le Centre de formation Frédéric Ozanam est un grand avenir pour le Sénégal. Il encadre le développement de notre pays en donnant des métiers aux jeunes ! Le CFFO m’a permis d’avoir le métier du bâtiment, carrelage, charpente, plomberie et de construction. » C’est une immense satisfaction pour l’association de voir à quel point les jeunes se mettent à aimer leur métier. Il y a aussi des histoires comme celle d’Adama. À 25 ans, il a essayé de se présenter au baccalauréat tout en continuant son métier d’« agriculteur paysan », comme il le dit lui-même. Ayant échoué, il s’est inscrit dans un centre privé de formation aux métiers du bâtiment, malgré

le coût élevé de la formation. Il a suivi quelques cours théoriques et entendu de vagues promesses de mise en application sur un chantier d’ici quelques mois. Déçu, le jeune homme s’est tourné vers le Centre de formation des Mains Ouvertes. Le coût étant moindre, il a pu s’inscrire rapidement et, dès ses premiers jours, a participé très concrètement à l’installation d’un circuit électrique. Après deux années de formation, Adama a obtenu son CAP et se réjouit de gagner maintenant dignement sa vie. Ce projet peut paraître ambitieux, mais plutôt que de travailler dans l’urgence lors d’une catastrophe, innovons : anticipons ! Pour éviter des vies brisées, celles des victimes, mais aussi celles de leur famille, pour respecter la dignité des personnes et leur permettre de bâtir elles-mêmes leur avenir au milieu des leurs, il nous faut agir. Aider un jeune à se former, à devenir un adulte responsable et porteur de valeurs, puis à gagner sa vie dignement dans son pays d’origine, c’est l’ambition que beaucoup ont, à juste titre, pour leurs propres enfants. Et si Ibrahim, Aïssata ou d’autres avaient droit à la même attention et à la même affection ? Le monde ne serait-il pas plus beau ?

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Spiritualité Réflexion

Avec Dieu, l’amour est inventif à l’infini Dieu est créatif et peut, comme Isaïe le rappelle, faire surgir la vie du chaos ou du désert. Cet « amoureux de nos cœurs » ne cesse d’être inventif. Parce que l’amour peut et veut tout, Dieu s’efforce « par tous les moyens imaginables » de faire revenir à Lui librement les hommes. À l’image de Dieu et à sa ressemblance retrouvée, nous pouvons, à notre tour, être inventifs. Par Jérôme Delsinne, cm

D

ans la Famille vincentienne, on cite souvent la phrase de saint Vincent de Paul : « Comme l’amour est inventif jusqu’à l’infini » (SV XI, 142-148). Elle est devenue une maxime ou une pressante invitation, presque un ordre : que votre charité se fasse inventive à l’infini ! Et l’on emploie habituellement cette formule pour motiver les autres à être créateurs au niveau pastoral, à répondre aux nouvelles formes de pauvreté, à être inventifs dans de nouveaux programmes de formation, pour étudier les causes de la pauvreté et élaborer des manières de les éradiquer, etc. Mais si juste que soit cette utilisation rhétorique de la parole de saint Vincent, son contexte véritable était tout à fait différent.

Vincent au frère mourant qui doute

Jérôme Delsinne, conseiller spirituel national de la SSVP

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Les cahiers

Elle se réfère d’abord à Dieu, à l’histoire du salut et, précisément, à une étape de cette histoire : l’institution de l’Eucharistie. En 1645, Vincent, en parlant à un frère mourant qui doute, l’a instamment exhorté à ne pas oublier et à penser à la miséricorde, à la charité de Dieu (cf. p. 31). Vincent, en bon pédagogue et répétiteur, fait mémoire du commencement et des étapes marquantes de cette longue histoire de l’Alliance de Dieu avec l’humanité. C’est afin que nous l’aimions qu’Il nous a faits « à son image et à sa ressemblance ». L’homme, par le péché, a « gâté et effacé cette ressemblance ». Mais Dieu « ne s’est pas contenté de mettre en nous la ressemblance et le caractère de sa divinité ». Pour réparer ce dégât, Il a voulu, « dans le même

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dessein que nous l’aimassions, se faire semblable à nous et se revêtir de notre humanité ». C’est le mystère joyeux de Noël, de la venue de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous. C’est ici que Vincent, émerveillé et admiratif, ose une formulation théologique peu courante à propos de l’Incarnation, qui montre justement l’inventivité, l’inouï, l’inattendu de Dieu : « Cet amoureux de nos cœurs […] a voulu rompre toutes les lois de la nature pour réparer ce dégât. » Saint Paul l’apôtre avait déjà signifié cette « rupture » avec d’autres mots pour parler du Messie crucifié : « Scandale pour les juifs, folie pour les païens » (1 Co 1, 22-23). Quelles lois de la nature Dieu a-t-Il voulu rompre ? « Toutes », répond audacieusement saint Vincent, comme pour faire écho à l’audace divine. Ces ruptures des lois de la nature sont condensées dans cette magnifique hymne de la lettre aux Philippiens (Phi 2, 6-8). Non seulement Dieu en Jésus « s’abaisse », se penche vers l’humanité en prenant, par l’Esprit-Saint, chair de notre chair dans le sein d’une jeune fille vierge, mais encore Il accepte, Lui, le Roi de l’univers, de prendre le dernier rang, la dernière place. Il vient au monde dans une mangeoire et ses admirateurs sont des bergers et des mages étrangers. C’est l’humilité de Dieu par amour fou pour l’humanité. Nous savons jusqu’où cet abaissement a été : un innocent jugé, condamné à mort, dépouillé de tout, mis au rang des malfaiteurs, abandonné de tous, crucifié, mort, enseveli… Nous savons aussi, dans la foi, jusqu’où a été le Relèvement. Nous savons aussi que seul un cœur


humble et pauvre peut répondre à cette humilité, à cette pauvreté de Dieu. Après avoir rappelé les « innombrables stratagèmes d’amour dont Jésus s’est servi pendant son séjour parmi nous » pour gagner les âmes et les cœurs, Vincent de Paul dit au frère que Jésus, prévoyant son absence, n’a pas voulu laisser ses disciples seuls. « Prévoyant que son absence pouvait occasionner quelque oubli ou refroidissement dans nos cœurs », Jésus a « inventé », trouvé ce moyen génial pour faire mémoire et nous rendre plus semblables à Lui, un sacrement simple à mettre en œuvre – du pain et du vin – et renouvelable à l’infini : l’Eucharistie. Ainsi, Dieu va encore plus loin dans l’abaissement. Non seulement, Il s’est fait chair et l’un de nous, mais encore « Il a fait que ce sacrement nous serve de nourriture et de breuvage » pour nous unir à Lui spirituellement.

« Jésus a “inventé”, trouvé ce moyen génial, pour nous rendre plus semblable à Lui : l’Eucharistie. » Enfin, Vincent termine son exhortation en invitant le frère à répondre jusqu’à son dernier souffle à cet amour inventif et infini de Dieu : « Croyez que le plus grand présent que vous sauriez Lui offrir, c’est celui de votre cœur ; Il ne vous demande rien d’autre. » Alors qu’en France, un siècle plus tard, l’on démolit frénétiquement églises et abbayes, René-François de Chateaubriand, alors en exil en Angleterre, couche sur le papier son Génie du christianisme entre 1795 et 1799, ouvrage apologétique qui aura une influence

La création d'Adam, fresque du plafond de la chapelle Sixtine, par Michel-Ange,1511.

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Spiritualité

© www.annecyfssp.fr

L’Eucharistie, un trésor pour l’Église imaginé par Dieu lui-même.

1. Répétition d’oraison du 24 juillet 1655, SV XI, 204. 2. Bx Jean-Paul II, encyclique Centesimus Annus, n° 3.

considérable au XIXe siècle. Frédéric Ozanam, à son tour, contemple et admire cette créativité, cette ingéniosité, cette liberté du christianisme. Il s’émerveille des « inventions » et de Dieu et des chrétiens. Pas seulement, comme Chateaubriand, dans le culte avec ses chants et sa musique sacrés, dans les constructions qui touchent le ciel, telles les cathédrales gothiques, dans les arts, tels que la peinture, mais également dans les œuvres de justice et de charité, tels les monastères, les écoles et les hôpitaux « qui couvrirent toute l’Europe » (cf. encadré) au cours des siècles.

Celui qui aime invente Frédéric, comme Vincent, montre que celui qui aime invente, et que ce dont nous avons besoin avant tout, c’est d’amour : amour pour les pauvres, pour les blessés, pour ceux qui manquent du nécessaire, pour ceux qui souffrent. La force de l’amour nous poussera à inventer, à créer, à chercher les moyens, les remèdes pour rendre efficace l’amour que nous portons en nous. Pas seulement pour une personne ou un petit groupe, mais pour un pays, pour la société jusqu’au monde entier, suivant le rêve de Frédéric Ozanam. Saint Vincent disait : « Si nous ne pouvons rien de nous-mêmes, nous pouvons tout avec Dieu. […] Nous avons en nous le germe de la toute-puissance de

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Jésus-Christ ; c’est pourquoi nul n’est excusable. […] Nous aurons toujours plus de force qu’il n’en faudra1. » Rappelons-nous, dans ce même sens, l’invitation lancée par le bienheureux Jean-Paul II, ce pape qui sut tirer de son trésor – c’est-à-dire la Tradition de l’Église – du neuf et de l’ancien, qui se trouve dans l’introduction de son encyclique Centesimus Annus : « J’invite enfin à porter le regard “vers l’avenir”, alors qu’on entrevoit déjà le troisième millénaire de l’ère chrétienne, lourd d’inconnu mais aussi de promesses. Inconnu et promesses qui font appel à notre imagination et à notre créativité, qui nous stimulent aussi, en tant que disciples du Christ, le “Maître unique” (Mt 23, 8), dans notre responsabilité de montrer la voie, de proclamer la vérité et de communiquer la vie qu’il est lui-même. (Jn 14, 6)2 »

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Extrait « Dans l’ordre surnaturel, le vrai révélé à la foi constitue le dogme, le bien embrassé par l’homme produit la morale, le beau entrevu par l’espérance inspire le culte. Il semble qu’ici tout soit immuable, et cependant Vincent de Lérins veut que la loi du progrès s’y fasse obéir. Le dogme ne change point, mais la foi est une puissance active qui cherche la lumière. […] La morale ne change point, mais l’amour qui la met en pratique ne connaît pas de repos. Les préceptes restent, mais les œuvres se multiplient. Toutes les inspirations de la charité chrétienne sont déjà dans le Sermon sur la montagne : cependant il fallait des siècles pour en faire sortir les monastères civilisateurs, les écoles, les hôpitaux qui couvrirent toute l’Europe. Enfin, le culte ne change pas, du moins dans son fond, qui est le sacrifice : un peu de pain et de vin, au fond d’un cachot, suffisait à la liturgie des martyrs. Mais une espérance infatigable pousse l’homme à se rapprocher de la beauté divine qui ne se laisse pas contempler ici-bas face à face. » Bx Frédéric Ozanam, La Civilisation chrétienne au Ve siècle, 1re et 2e leçons : « Du progrès dans les siècles de décadence », Œuvres complètes, 3e édition, 1855, t. I, p. 21-23.


Témoignage

Père Emmanuel Schwab :

« La créativité dans la charité doit accueillir la créativité des plus pauvres » Curé de la paroisse Saint-Léon (Paris), Emmanuel Schwab est également aumônier de l’association Aux captifs la libération, engagée auprès des personnes de la rue. Il témoigne de la créativité au sein de cette association et plus largement au sein de l’Église. Par Évelyne Ahipeaud, Vincentienne

Pensez-vous que l’Église manque de créativité ?

Et justement, comment suscitez-vous cette mise en mouvement ?

© DR

Je vois beaucoup de créativité au sein de l’Église, et en même temps des lourdeurs d’habitudes que nous avons prises et qu’il nous est difficile de remettre en cause alors que la situation a évolué. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que la créativité dans l’Église prend sa source dans l’Évangile et l’Esprit-Saint. Le rôle du pasteur est de semer l’Évangile et l’Esprit-Saint dans le cœur des baptisés. Il y germe alors des idées nouvelles. Il s’agit ensuite d’aider au discernement pour retenir dans ces idées celles qui sembleront les meilleures. La créativité est de la responsabilité de tous les baptisés.

de dire : « Je n’ai pas de solution à tes problèmes, mais j’ai la possibilité de t’aider à te mettre en mouvement . »

L’Évangile et l’Esprit-Saint : deux sources de créativité dans l’Église.

on ne peut pas revendiquer un titre de propriété sur l’idée qu’on a eue.

Quels seraient, selon vous, au sein de l’Église, les freins à cette créativité ?

Comment participez-vous, au sein de l’association Aux captifs la libération, à cette créativité de l’Église ?

Un des freins à la créativité de l’Église est que parfois, avant même d’avoir étudié la question sur le fond, on renonce à l’idée que l’on a, du fait des difficultés que l’on pourrait rencontrer. D’où la nécessité de savoir s’entourer de personnes audacieuses. En effet, la créativité est un don que Dieu donne pour l’ensemble de la communauté ; d’où l’importance du travail en équipe, car tout le monde n’est pas créatif. Et si c’est un don de Dieu, la chose nous dépasse et

Nous souhaitons mettre en priorité l’accent sur la rencontre des personnes de la rue, avec comme repère de vivre ces rencontres « les mains nues », c’est-à-dire de ne pas mettre d’intermédiaire entre moi et l’autre, de se risquer à la rencontre d’une personne, d’un itinéraire. Il ne s’agit pas de venir comme un porteur de solution, car la tentation serait de projeter un « dessein » sur l’autre. Or, personne n’est chargé de savoir ce que doit être la vie de l’autre. L’idée est

La créativité, dans le domaine de la charité, doit accueillir aussi la créativité des plus pauvres et faire en sorte que celui qui est en situation de précarité, de solitude, suscite sa propre créativité pour qu’elle puisse être discernée et mise en œuvre. Il s’agit ici de la question du « comment faire avec l’autre », et non pas du « comment faire pour l’autre ». En effet, entre la rencontre dans la rue et une possible aide sociale, il y a une étape intermédiaire que l’on nomme, au sein de l’association, le « programme de dynamisation », qui consiste à proposer à la personne une activité (aller au cinéma, faire ensemble un bout de la route de Saint-Jacques-de-Compostelle, passer quelques jours de vacances ensemble, etc.) qui va mettre l’autre en mouvement et où sa propre créativité va pouvoir se redéployer.

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© Clotilde Lardoux

Spiritualité Contemplation

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Ô Dieu créateur Toi qui as créé le ciel et la terre, Tu as créé l’homme à ton image. Tu lui as donné des capacités pour réfléchir, Tu lui as donné des bras, Tu lui as donné un cœur. Seigneur, envoie-nous Ta lumière afin que nous gardions notre intelligence toujours en éveil, qu’elle soit créative dans la recherche de moyens adaptés pour aider les plus pauvres à vivre décemment et dans la dignité. Seigneur, donne-nous la force de Ton Esprit pour que nos bras restent forts à la tâche, que nous devenions des pierres vivantes de l’Évangile, créateurs d’autres pierres vivantes pour construire ensemble Ton Église. Seigneur, Tu nous aimes d’un amour inlassable. Mets en nous Ta volonté d’aimer. Fais que notre cœur soit toujours rempli de cet amour qui permet de prendre des risques pour aimer l’inconnu, de créer des liens nouveaux avec cet autre qui deviendra un frère. Seigneur donne-nous le don de créativité, Seigneur, donne-nous l’audace de créativité ! Par Juliette Asta, Vincentienne et membre du CA

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Spiritualité Prier en Conférence Par Jean-Claude Peteytas, diacre et Vincentien

Un amour créatif Les deux pages ci-contre ont pour vocation d'accompagner les bénévoles vincentiens dans leur temps de prière. Elles proposent des éclairages et des méditations sur la charité et la vie chrétienne. ous empruntons souvent à saint Vincent de Paul l’expression : « L’Amour est inventif jusqu’à l’infini ». Mais savons-nous dans quel contexte ces mots ont été prononcés ? Nous sommes en 1645. M. Vincent est appelé auprès d’un frère de la Mission, mourant.

Angoissé devant la mort Ce dernier est angoissé devant la perspective de la mort. Il va recevoir les « saintes huiles de l’extrême-onction », comme l’on disait à l’époque. Et M. Vincent le rassure, en lui disant qu’il fallait faire confiance à Dieu. « Oui, mon très cher frère, il est vrai, et il n’en fait aucunement doute… Dieu nous aime et ne veut donc pas votre perte. Par et à cause de son amour, Il nous sauve malgré nos péchés. » Et pour assurer le frère de cet amour si grand de Dieu, M. Vincent lui confie : « L’Amour de Dieu est inventif jusqu’à l’infini. » Pour le prouver, il ajoute encore que pour rester avec nous sur terre après son départ vers le Père, le Christ a inventé l’Eucharistie. Par ce sacrement, d’une grande ingéniosité, Il demeure toujours parmi nous. L’apôtre Jean a résumé sa théologie et les années vécues en compagnie de son Maître en une seule phrase : « Dieu est amour agapè » (Jn 4, 16). Vincent de Paul a centré sa vie spirituelle sur la Sainte Trinité, ce lien d’amour mutuel par excellence. Vincent aime Dieu avec son cœur, mais aussi avec ses yeux et ses mains, car il Le voit et Le sert dans le pauvre. Sœur Rosalie, Frédéric

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Ozanam, Louise de Marillac et quelques autres disciples se sont mis ainsi au service des pauvres en étant inventifs. En particulier, Ozanam, avec quelques compagnons et grâce à l’expérience de sœur Rosalie, a créé notre Société. L’amour du Christ pris au sérieux a rendu Frédéric inventif dans le service des pauvres. « Que nos actes soient d’accord avec notre foi. Mais que faire ? écrit Ozanam. Que faire pour être vraiment catholiques, sinon ce qu’il plaît à Dieu ? Secourons donc notre prochain, comme le faisait JésusChrist, et mettons notre foi sous la protection de la charité. »

Inventer, imaginer, créer Parce qu’il aimait le Dieu de Jésus-Christ, Frédéric Ozanam a inventé, imaginé, créé un moyen de vivre l’Évangile en vérité. Vincentiens, nous sommes appelés à créer

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du nouveau pour répondre aux besoins du frère en notre temps. Vincent a lancé soupes populaires, hôpitaux, accueils des enfants abandonnés et bien d’autres choses. Frédéric, avec sœur Rosalie, a décidé de mettre en place la visite à domicile, et donc la charité de proximité. Paulin Enfert, confrère de notre Société, a fondé, à la fin du XIXe siècle, La Mie de pain dans le 13e arrondissement de Paris. Notre si regretté ami Christian Verheyde a créé à Lille, en 2002, l’Accueil Frédéric Ozanam pour les plus démunis, etc. Et nous ? Alors que notre projet associatif, récemment voté, a pour ambition de remettre les plus démunis au cœur de notre vie de Vincentiens, comment allons-nous être de celles et ceux qui vont continuer « d’enserrer le monde dans un réseau de charité » ? En faisant preuve d’idées neuves et en ayant l’audace de projets pour ce temps !


Parole de Dieu Par Juliette Asta, Vincentienne et membre du CA

«C

rée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. » Psaume 50, 12-13

«L

a joie de l’évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. » C’est par ces mots que s’ouvre l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, dans laquelle le pape François « s’adresse aux fidèles chrétiens pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer des voies pour la marche de l’Église dans les prochaines années ». Il exhorte tous les baptisés à ne pas tomber dans « une tristesse individualiste », qui est le grand risque du monde actuel, mais à témoigner de l’amour de Jésus envers notre prochain avec une ferveur toujours renouvelée, à « revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile d’où surgissent de nouvelles voies et des “méthodes créatives” ». Savons-nous relire l’Évangile avec un regard neuf ? Dans notre vie vincentienne, vivons-nous toujours avec joie la rencontre de l’autre ?

«J D

’étais aveugle et maintenant je vois. » Jn 9, 25

ans le riche Évangile de Jean (9, 1-41), méditons cette phrase que prononce l’aveugle-né après sa guérison

par Jésus. C'est d'abord un accomplissement de la prophétie annonçant que le Messie donnerait la vue aux aveugles (Isaïe 29, 8 ; 35, 5). Après avoir appliqué sur les yeux de l’aveugle un mélange de salive et de boue, Jésus l’envoie se laver à la fontaine de Siloé (qui signifie « envoyé »), ce qui est une allusion à l’eau de notre baptême. L’aveugle a obéi et il a vu. La cécité de cet homme fait écho à un autre aveuglement. Jésus est venu dans le monde afin « que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles » (Jn 9, 39). Les personnes qui voient sont celles qui reconnaissent la nécessité que Dieu les sauve. Jésus est venu afin qu’elles voient en se confiant à Lui. Dans l’Évangile, la vue est une conséquence de la foi. Il faut d’abord croire pour voir ensuite. Merci Seigneur pour tout ce que je vois de bon et de bien autour de moi. Pardon pour toutes les fois où je n’ai pas vu ceux que Tu m’envoyais et pardon pour les liens que je n’ai pas su créer avec eux.

«V

ous êtes le sel de la terre […] Vous êtes la lumière du monde. » Mt 5, 12-13

J

ésus s’adresse à ses disciples par deux comparaisons successives qui caractérisent leur mission, deux images qui parlent d’elles-mêmes : le sel est enfoui dans les aliments qu’il relève, tandis que la lumière rayonne largement. En nous désignant par ces mots : « Vous êtes le sel de la terre », Jésus veut nous faire comprendre que si nous vivons les béatitudes, cela donnera de la saveur à notre vie et à la vie des autres. Avec Jésus, tout peut prendre du goût, du sens, même le don de soi, la maladie, la vieillesse et la mort. L’image de la lumière fait d’abord allusion au prophète Isaïe (60, 1-6) qui évoque Jérusalem, ville lumière juchée sur la montagne pour attirer à elle toutes les nations. Ce qui éclaire et rayonne ne peut que se voir et se voir de loin. Être lumière pour les autres, c’est se laisser guider dans sa vie par les paroles du Christ, c’est montrer sa foi mais avec humilité, sans ostentation, comme le sel qui est mélangé aux aliments et devient invisible. Ainsi, toute la communauté chrétienne est sel de la terre et lumière du monde par la saveur de la vie et le rayonnement de chacun de ses membres. Avons-nous l’audace de laisser transparaître notre foi ? Savons-nous créer les occasions d’en témoigner ?

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Magazine Histoire

Saint Vincent de Paul, le novateur Celui qu’on appelle l’apôtre de la charité a lui-même fait preuve d’une grande inventivité dans ses actions envers les plus pauvres. Vincent de Paul était un révolutionnaire de la charité, tant par ses œuvres que par sa manière d’aller au-devant des personnes, pour répondre le mieux possible, avec humilité, à leurs besoins. Par Dominique Robin, Vincentien

L

a charité si fertile de saint Vincent doit tout, c’est une évidence pour lui, à une intervention divine incessante : son action n’est pas due à ses propres forces, mais à l’action constante de la Providence. C’est ce qu’il écrit, à la fin de sa vie, à un père de la Mission : « Rien de tout cela n’a été entrepris avec dessein de notre part ; mais Dieu, qui voulait être servi en telles occasions, les a Luimême suscitées insensiblement ; et s’Il s'est servi de nous, nous ne savions pourtant où cela allait. » À ses yeux, seul le vent de l’Esprit est novateur. Nous n’avons pas à nous étonner alors du caractère profondément fertile et innovant de la charité de saint Vincent.

Œuvres inédites et providentielles

Dominique Robin, Vincentien

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Les cahiers

Il y a d’abord le fait que saint Vincent se lance bien souvent dans des œuvres inédites, jusqu’ici oubliées par les hommes. C’est sa manière personnelle de reconnaître la marque de la Providence. Cela commence, dès le début de l’action caritative de M. Vincent, avec la création de la Charité de Châtillon, près de Lyon, en 1617 : « Ce n’est pas l’œuvre des hommes, parce que jamais on n’avait pensé à la Charité. Par-là concluez […] que ce que les hommes n’ont pas fait, a Dieu pour auteur. » Cela ne signifie pas que l’Église n’avait jamais songé à s’occuper des pauvres, mais que c’est bien la première fois que cela se fait à domicile. Avant, les pauvres se déplaçaient pour aller, soit dans des structures hospitalières pour les soins, soit vers des bureaux de bienfaisance pour se nourrir ou

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se vêtir. Cette nuance est très importante, car la visite à domicile a été reprise au XIXe siècle par Frédéric Ozanam avec la création de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Il en a fait le fer de lance de son action caritative, et c’est toujours à l’ordre du jour au XXIe siècle. M. Vincent insiste sur le caractère inédit de ses œuvres de charité, lorsque, sous son impulsion, les Dames de la Charité de Paris ont fait preuve d’un grand dévouement en période de guerre : « [La] Providence s’est adressée à quelques dames de Paris pour assister deux provinces désolées ; cela ne vous paraît-il pas singulier et nouveau ? L’histoire ne dit point que chose semblable soit arrivée aux dames d’Espagne, d’Italie, ou de quelque autre pays. Cela était réservé à vous autres, Mesdames, qui êtes ici. » Nous retrouvons les mêmes sentiments de sa part lorsqu’il se penche sur le sort des forçats qui travaillent aux galères, ou sur l’œuvre des enfants trouvés : « Votre Compagnie a cela pour fin principale de servir les pauvres enfants trouvés, les pauvres forçats ; ce que pas une maison religieuse n’a entrepris. »

Face aux préjugés tenaces Un deuxième point nourrit la charité inventive de saint Vincent. Il se manifeste, paradoxalement, par le fait que l’initiative ne vient pas de son propre vouloir. Cette seconde manière de valider sa charité se voit très bien dans une lettre adressée à Louise de Marillac le


© Leemage

Saint Vincent de Paul présente les premières Filles de la Charité à la reine Anne d'Autriche. Tableau de frère André, religieux dominicain, dans l'église de Sainte-Marguerite à Paris, XVIIIe siècle.

1er janvier 1638, lors du début de l’œuvre des enfants trouvés : « L’on fut d’avis, à la dernière assemblée que vous seriez priée de faire un essai des enfants trouvés […] J’ai eu consolation de ce que la Providence s’adresse à vous pour cela. » Pour M. Vincent, c’est clair : quand les initiatives charitables dont il est le témoin ne sont pas enfermées dans les filets de sa seule volonté, elles sont forcément innovantes et prolifiques. La charité créative de saint Vincent a dû surmonter beaucoup d’embûches, en particulier avec « L’œuvre des enfants trouvés ». En effet, il lui a fallu faire face à des préjugés particulièrement tenaces, selon lesquels les enfants trouvés, bien souvent nés hors mariage et abandonnés par leurs parents, n’étaient que le fruit du péché. En cela, ces enfants étaient l’objet d’une réprobation générale. Lors d’un entretien avec les Filles

« Quand les initiatives charitables

dont il est le témoin ne sont pas enfermées dans les filets de sa seule volonté, elles sont forcément innovantes et prolifiques.

»

de la Charité, une sœur – mais celle-ci ne faisait que reprendre les clichés de son époque – lui dit, à propos des enfants abandonnés : « Il y a sujet de croire que le diable aura plus de force pour les induire au mal, et fera tous ses efforts pour en avoir le plus grand nombre dans les enfers. » M. Vincent, poussé par sa charité inventive, répondit alors par des propos à rebours de la tonalité générale de son époque : « Ces petits enfants

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Magazine Histoire leurs mères. Quel honneur de s’estimer mères d'enfants dont Dieu est le père ! » Saint Vincent n’a jamais travaillé seul. Il a su utiliser la Compagnie du Saint-Sacrement, créée vers 1630 par un laïc, comme un levier puissant pour l’expansion à grande échelle de sa charité. Il a même utilisé un journal, ce qui était tout à fait inédit à l’époque, pour obtenir des personnes les plus aisées les secours nécessaires pour sauver des régions entières dévastées par la guerre.

« M. Vincent […] a été

un organisateur de génie, qui n’a eu de cesse de déléguer ses pouvoirs et de valoriser ainsi ceux qui le suivaient.

»

Saint Vincent de Paul soignant les pestiférées. Peinture d’Antoine Ansiaux. Nantes, Musée des Beaux-Arts.

appartiennent à Dieu d’une manière toute particulière, puisqu’ils ont été abandonnés de père et mère, et néanmoins ont des âmes raisonnables, créées de la toutepuissance de Dieu. » M. Vincent a donc réussi à inverser totalement la question : soupçonnés depuis toujours d’être des enfants du diable, au contraire ils « appartiennent à Dieu d’une manière toute particulière » ! Voilà les Filles de la Charité invitées à se comporter en mères de ces petits enfants : « Ainsi Dieu, qui est leur père, prend de grands plaisirs à toutes leurs petites actions. Faites de même, mes chères sœurs. Estimez-vous

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Enfin, saint Vincent a toujours travaillé en parfaite symbiose avec les femmes. Les femmes les plus influentes de France n’ont cessé, sous son impulsion, de se mettre au service des plus pauvres. Il en va ainsi de la duchesse d’Aiguillon, la nièce de Richelieu, ou de Mme de Lamoignon, épouse du premier président du Parlement de Paris, à la tête des Dames de l’Hôtel-Dieu. M. Vincent, tout donné à Dieu, a toujours travaillé en équipe. En cela, il a été un organisateur de génie, qui n’a eu de cesse de déléguer ses pouvoirs et de valoriser ainsi ceux qui le suivaient. Sa première Charité, celle de Châtillon, donne le ton : « Comme je portais le Saint-Sacrement, je rencontrai des femmes par troupes et Dieu me donna cette pensée : " Ne pourrait-on point réunir ces bonnes dames et les exhorter à se donner à Dieu pour servir les pauvres malades ? " En suite de cela, je leur montrai que l’on pourrait secourir ces grandes nécessités avec grande facilité. Aussitôt elles s’y résolurent. »


L'invité Laurent, handicapé par une maladie neurologique, est le président-fondateur de Cheval-Espérance. Grande première en France, ce centre équestre est entièrement adapté aux personnes handicapées. Par-delà les obstacles, Laurent et son épouse, Sabine, ont monté ensemble ce projet fou qui accueille aujourd’hui trois cents cavaliers réguliers, dont deux cents handicapés. Propos recueillis par Capucine Bataille, RC.

© Cheval-Espérance

D’où vous est venu ce désir de fonder Cheval-Espérance ?

Je suis parti d’un constat. Près de 11 % de la population normande souffre d’un handicap physique, mental ou plus largement d’une dépendance. Les personnes handicapées sont assez peu mobiles et ont très peu d’activités, qu’elles soient sportives, ludiques ou éducatives. De plus, ce dont on souffre le plus lorsqu’on est handicapé, c’est de la solitude. Nous sommes privés d’activités épanouissantes nous permettant d’exister au-delà du handicap. Moi-même handicapé, j’ai toujours voulu venir en aide à mes frères. C’est pour cela qu’en 2003, j’ai créé ChevalEspérance, un centre d’équithérapie spécialement dédié aux personnes handicapées. J’en ai eu l’intuition lors d’un pèlerinage à Saint-Jacquesde-Compostelle. J’ai rencontré un pèlerin cheminant avec son âne, lequel lui obéissait au doigt et à l’œil. C’est à ce moment précis que je me suis dit que sur une monture, des personnes handicapées pourraient prendre de la

Laurent Bidault : « Franchir ensemble l’obstacle du handicap » n°207 - janvier-février 2014 - Les cahiers Ozanam

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Magazine L'invité hauteur, retrouver une liberté d’action et redevenir acteurs de leur vie. Avec ce projet d’équitation adaptée, j’ai voulu casser le credo habituel : « Je suis handicapé donc je ne peux rien faire », en donnant ou redonnant aux personnes handicapées accueillies le goût de l’effort, l’envie de progresser tout en s’amusant, l’élan pour franchir ensemble l’obstacle du handicap.

« Vous ne sortirez pas guéri de Cheval-Espérance, mais sans doute plus heureux.

»

Comment avez-vous fait pour concrétiser cette intuition ?

Je me suis entouré de spécialistes. J’ai demandé avis et conseils à de nombreuses personnes appartenant au monde de l’entreprise, du cheval et du handicap. Tout a été possible grâce à ceux qui m’ont fait confiance. Ma femme, mes amis à qui j’ai présenté le projet, les collectivités territoriales, des personnalités du monde médical, des financeurs. Ils sont nombreux à avoir cru en moi. Ils ont su voir dans ma démarche, non seulement la véritable envie de remettre la personne handicapée debout, mais aussi le bien-fondé d’un centre d’équithérapie pour réaliser cet objectif. En quoi votre projet est-il novateur ?

Ce centre équestre Cheval-Espérance est pilote en France, car il est entièrement spécialisé et adapté à toutes les formes de handicap. Les personnes handicapées y sont prioritaires. Il est géré par et pour les personnes handicapées. L’objectif du centre est de susciter l’entraide, de proposer aux personnes handicapées une « remise en selle », tant physique que morale, un chemin de liberté. Même si nous n’avons pas la prétention de pouvoir guérir toutes les maladies que nous côtoyons, nous essayons de mettre un peu de baume au cœur des plus fragiles, grâce notamment à l’amitié et à la fraternité partagées. Vous ne sortirez pas guéri de Cheval-Espérance, mais sans doute plus heureux. Les bénéfices de l’équithérapie peuvent être physiques et moraux. Une heure à cheval au pas apporte autant de bienfaits qu’une heure de massage par un kinésithérapeute, et, en outre, permet d’améliorer l’équilibre, la latéralisation, le repérage dans l’espace, la musculature dorsale, celle des membres… À cela, s’ajoute la relation au cheval, qui favorise la communication verbale et non verbale, l’ouverture aux autres, la confiance, en soi et dans l’autre.

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Les cahiers

Avez-vous été particulièrement touché par les parcours de certains de vos cavaliers ?

Si souvent ! Il y la petite Maria, 7 ans, qui souffrait de mutisme. Elle s’est remise à parler en apprenant à donner un ordre à son poney : « Trottez ! » Le petit Jean, autiste, qui ne communiquait pas du tout et vivait dans la peur

Biographie 1966 : Laurent naît, atteint de l'ataxie de Friedrich, maladie neurologique évolutive classée au rang des maladies orphelines. 1994 : Il a 28 ans et se déplacera désormais en fauteuil roulant. 2001 : Il épouse Sabine, rencontrée sur la route de Saint-Jacquesde-Compostelle. Ensemble, ils auront trois fils et mèneront à bien le projet Cheval-Espérance. 2006 : Le centre rêvé par Laurent et Sabine ouvre ses portes, grâce au concours financier d’entreprises, d'organismes et de collectivités.

Ozanam - n°207 - janvier-février 2014


© Cheval-Espérance

une place majeure dans ma vie. Elle m’accompagne partout, veille sur moi et sur les miens. Je suis tellement attaché à ce lieu d’apparition que j’ai baptisé notre maison : « La Massabielle » ! Il y a une chose dont on parle trop peu, c’est le sourire de Marie pendant les apparitions. Lors des premières, elle ne dit rien et se contente de sourire à Bernadette ! Elle sourit à cette petite fille de rien, dont on assimilerait plutôt les pauvretés à un handicap social aujourd’hui. La Vierge la considère avec beaucoup d’égards et de respect, « comme une personne », dira Bernadette. Cette attitude de la Vierge nous apprend la plus belle des vertus théologales : la charité.

Fédérer des bonnes volontés autour d’un projet et ne jamais se décourager devant les obstacles.

du contact avec l’autre, a été apaisé par le bercement du pas du cheval. Il s’est mis à sourire, à caresser le cheval, à s’ouvrir. Je pense aussi à ce jeune homme souffrant d’un handicap social en raison de grandes difficultés familiales. Il s’est reconstruit peu à peu ici en venant aider aux écuries. On a vu aussi des jeunes trisomiques ou autistes venir en aide à des valides. D’où vous vient cette force, cette espérance de dépasser les préjugés et de mener à bien un projet si ambitieux ?

La foi m’aide à surmonter mes difficultés. Dieu est un ami, sur qui on peut s’appuyer, à qui on peut confier nos peines, nos difficultés. L’espérance est une attente qui se transforme en bulle d’oxygène sur une fenêtre ouverte. Je plains sincèrement les gens qui vivent sans ! Personnellement, j’ai trouvé la force d’avancer en m’appuyant plus particulièrement sur Marie. La Vierge de Lourdes tient

Quels sont les ingrédients d’un projet créatif pérenne, selon vous ?

Tout d’abord, il faut que le projet réponde à un véritable besoin, bien identifié. Ensuite, il faut savoir fédérer autour de soi les bonnes volontés, mais aussi les personnes compétentes et dynamiques. N’oubliez pas que tout seul, on ne peut rien ! À vous de savoir déceler le talent de chacun, le valoriser sans lui demander plus que ce qu’il peut donner. C’est une limite fine à trouver, mais essentielle. Enfin, mon conseil à tous ceux qui initieront des projets audacieux : ne vous découragez jamais ! N’arrêtez jamais devant les difficultés, les obstacles ou les contretemps… Mais mettez tout en œuvre humblement pour les surmonter. Croyez que « Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs » (Psaume 126). N’hésitez pas. Lancez-vous ! Nous avons tous des talents et il ne faut pas les enterrer !

Publication L'espérance ne déçoit pas, par Laurent Bidault, préface de Jean Vanier

10 € Livre-souvenir des 10 ans de Cheval-Espérance (99 pages, format 21 x 15 cm)

À commander auprès de chevalesperance.association@neuf.fr.

n°207 - janvier-février 2014 - Les cahiers Ozanam

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Magazine Agenda Agenda national 31 janvier Formation des animateurs région 7-8 février Conseil d’administration 14-15 février Formation des présidents de CD 21 février Déjeuner des présidents de CD

Marseille (CD 13) Dès le 6 février : Cours sur Ozanam à l’Institut Catholique Frédéric Ozanam, par Charles Martre, président du CD Bourges (CD 18) 12 février - 20 h 30 : Conférence de M. Beaup, Frédéric Ozanam : un laïc au service des pauvres Tulle (CD 19) 9 mars - 14 h 00 : Après-midi récréatif pour les personnes âgées, avec orchestre et cadeaux

14 mars Déjeuner des présidents de CD

Dijon (CD 21)

15-16 mars Formation des animateurs spirituels

29 mars : Recollection des Conférences de la Côte d'Or (Domois)

28-29 mars Conseil d’administration

8-9 mars : Retraite annuelle et assemblée générale (Blaru)

2 mars : Vente de crêpes par la Conférence jeunes

évreux (CD 27)

3-4 avril Rencontre des animateurs région

Nîmes (CD 30) 11-12-13 avril : 180 ans de la première Conférence de province

11 avril Déjeuner des présidents de CD

Montpellier (CD 34) Décembre-mars : Ouverture de

29 mai-1er juin Rencontre nationale des jeunes (Dax) 14 juin Assemblée générale de la SSVP France

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Agenda des régions

Les cahiers

l’hébergement d’hiver pour 13 personnesRsurYon Rennes (CD 35) Tous les mercredis : Sortie pour les personnes malades de l’Hôtel-Dieu Reims (CD 51) 1er février : Loto annuel dans avec distribution gratuite de crêpes Nancy (CD 54) Tous les vendredis : Soupe de l'amitié avec 30 personnes SDF et démunies Paris (CD 75) Janvier - mars : l Hiver solidaire pour les Compagnons de SSVP (Paris 10e) Plan Igloo pour 6 personnes SDF accueillies (Paris 5e) l

1er-2 février : Week-end inter-Conférences jeunes (Soligny-la-Trappe) 2 février : Galette des Rois pour les personnes âgées isolées (Paris 9e) 5 février : Dîner offert aux personnes de la rue (Paris 10e) 9 février : Pique-nique dominical pour les

personnes isolées, suivi d’un jeu (Paris 10e)

Limoges (CD 87) 15 mars - 10 h 00 : Assemblée générale

16 février et 16 mars : Messe et déjeuner avec les Évry (CD 91) personnes SDF (Paris 5e) 22 mars : 9 mars : Déjeuner domi- Assemblée générale nical pour les personnes Nanterre (CD 92) isolées (Paris 10e) 23 février : Goûter 27-29 mars : Journées dominical des Dons-achats au profit personnes isolées de la SSVP (Paris 7e) (Fontenay-aux-Roses) 29 mars : Heureux les invités (Paris 14e)

Retrouvez l'agenda sur le site www.ssvp.fr

Annonce formation Priorité du projet Ozanam, la formation ! Cinq modules mis en place par la Commission Formation, animée par Yvette Camilleri (présidente CD 34), sont déjà opérationnels :

- Le Vincentien - Le président de Conférence - Le président de CD - Comment créer une Conférence ? - La communication (dispensé par le service Communication national)

Vous souhaitez mettre en place une formation chez vous ? Contacter Benoit Pesme : benoit.pesme@ssvp.fr

Les Cahiers Ozanam, revue de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, 120, avenue du Général Leclerc, 75014 Paris www.ssvp.fr Directeur de la publication : Bertrand Ousset l Rédactrice en chef : Capucine Bataille l Rédacteurs : évelyne Ahipeaud, Juliette Asta, Capucine Bataille, Bertrand Decoux, Jérôme Delsinne, Bénédicte Jannin, Clotilde Lardoux, Benoît Pesme, Bertrand Ousset, Jean-Claude Peteytas. l Ont participé à ce numéro : Valérie Grabé, Sophie Grandjean, Migueline Houette, Bruno Ménard, Charlotte d’Ornellas, Dominique Robin, Sophie Rougnon. l Service abonnements : Clotilde Lardoux, 01 42 92 08 17 l Photo de couverture : Phil and Pam. l Fabrication / production : CLD, 33, avenue du Maine, 75015 Paris l Graphisme : Florence Vandermarlière. l Impression : Imprimerie de Champagne, Z.I. les Franchises, 52200 Langres l Numéro CPPAP : 310G79517 l Dépôt légal : Janvier 2014 – n°207 – 01/2014. l ISN : 1965 2917 l Abonnement 1 an, 5 numéros : 13 € l Toutes vos informations et photos sont à envoyer à la rédaction huit semaines avant la date de parution (édition sous réserve d’espace) à capucine.bataille@ssvp.fr

Ozanam - n°207 - janvier-février 2014


« Le livre des malades » de Frédéric Ozanam « Il a semblé que le « Livre des malades » de Frédéric Ozanam, devrait être réédité pour aider ceux qui sont atteints dans leur santé, à trouver réconfort et sérénité. Ils percevront au fil des pages, le témoignage de foi, de courage, d’amour et d’espérance de ce chrétien exemplaire. » Amin A. de Tarrazi, ancien Président international de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, dédié à la cause de F. Ozanam depuis 1980

6 euros

Pour commander contactez Izabela au 01 42 92 08 16 ou sur commande@ssvp.fr ou rendez-vous sur www.boutique.ssvp.fr


Saint Vincent de Paul et le temps de la Charité Dominique Robin Plus qu’une simple biographie, l’itinéraire humain et spirituel de Vincent de Paul.

Le temps de la charité demande une certaine gravité parce que Dieu lui-même est dans les pauvres : aller vers les pauvres c'est donc Le rencontrer. Cela exige un véritable travail sur soi pour un réel professionnalisme ; cette charité doit être opérationnelle : elle ne s'improvise pas. Saint Vincent a encore beaucoup à dire aujourd'hui, dans le discernement et la discrétion, à l'ombre enrichissante de l'Esprit-Saint. Ce livre intéressera particulièrement les Confrères de la Société de Saint-Vincentde-Paul, dans laquelle l’auteur est engagé en tant que bénévole et membre de la Commission spirituelle.

13 x 20 cm – 272 pages –

Éditions Médiaspaul

20,30 euros

Pour commander www.procure.com ou sur www.mediaspaul.fr


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