2,60 €
Les cahiers n° 210 septembre-octobre 2014
Des liens pour aimer, partager, servir
Dossier
Oser faire avec les personnes aidées p. 21
Spiritualité
Les pauvres : un fardeau ou une ressource ? p. 24
L'invité
Pierre-Yves Madignier
Président d'ATD Quart Monde p. 35
Le Manuel du Vincentien, le guide des premiers pas dans l'association Compagnon de route, outil de travail et de prière, il trouvera toute sa place dans le quotidien de votre engagement bénévole et au sein de chaque Conférence.
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Magazine
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Du projet Ozanam vers les Rencontres Nationales du Partage 4 Histoire : Saint Vincent agit avec Marguerite 32 Invité : Pierre-Yves Madignier : « Associer les plus pauvres comme partenaires » 35 Agenda 38
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Dossier : Faire avec les personnes aidées Changer notre regard sur les personnes pauvres 6 Entretien : Denys Cordonnier
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Reportage : « Ici on partage tout : la misère, la joie et le travail » 10
Service
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Spiritualité
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Actus SSVP
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Actus juridiques et sociales
Les pauvres : un fardeau ou une ressource ? 24
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Rencontre : Le Pont pour partager la foi avec les personnes pauvres ou exclues 27
International 20 Carnet de route : Un week-end pour devenir saint en 10 leçons
Contemplation 28 21
Prier en Conférence
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Parole de Dieu
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Ce numéro comprend un encart d’abonnement entre les pages 2-3, un bon de commande entre les pages 38-39 et deux jetés trombinoscopes.
édito
Donner mais aussi recevoir
© SSVP
L
’option préférentielle pour les pauvres est au cœur de la démarche vincentienne, relayée au sein des Conférences de charité par Frédéric Ozanam. Il ne s’agit pas seulement de leur donner à manger, de les habiller, de soigner leurs blessures et leurs malheurs ou même de les aider à s’organiser pour être les acteurs du développement. Mais il faut aussi recevoir d’eux la sagesse, la joie, le courage d’être et de vivre et apprendre avec eux ce que signifie la gratuité de la vie. Cette expérience spirituelle est la source à partir de laquelle l’Écriture et les contenus de la foi ont été relus par le Pape Benoît XVI dans Deus Caritas est. Dans sa continuité et de façon plus explicite encore, le Pape
François nous y appelle, notamment dans son exhortation Evangelii Gaudium : « Aujourd’hui et toujours, "les pauvres sont les destinataires privilégiés de l’Évangile." (Benoît XVI) Il faut affirmer sans détour qu’il existe un lien inséparable entre notre foi et les pauvres. Ne les laissons jamais seuls » (47-18). Ce chemin est au cœur de notre projet Ozanam, adopté en 2013, et il est déterminant dans notre organisation des Rencontres Nationales du Partage en mai 2015 à Metz. En effet, la mobilisation que nous avons engagée pour préparer cet événement repose sur cette démarche. À cette occasion, nous voulons la partager dans nos paroisses, avec nos partenaires, dans la charité de proximité. Bertrand Ousset Président national
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Magazine L’événement
Du projet Ozanam vers les Rencontres Nationales du Partage
Réaffirmer la spiritualité Pour réaffirmer le rôle central de la spiritualité, quatre réalisations ont abouti : le livret spirituel annuel, un guide de la vie spirituelle à la SSVP — document de référence —, une présentation de la pensée du Pape François « Au cœur de la solidarité : la joie de l’Évangile », et la mise en place de deux premières sessions de formation des animateurs spirituels.
Expliciter la démarche vincentienne Nous avons explicité la démarche vincentienne et fait connaître notre réseau en profitant du bicentenaire de la naissance de Frédéric Ozanam. Sa pensée et son action ont été présentées dans des lieux prestigieux : au Conseil économique social et environnemental devant 350 participants venus de 29 pays, à Notre-Dame de Paris à 2 000 fidèles, à la Sorbonne devant un parterre d’universitaires. Des manifestations organisées partout en France ont réuni plus de 20 000 participants autour
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Les cahiers
Ozanam - n°210 - septembre-octobre 2014
Le nouveau Conseil d'admin réuni les 4 et 5 juill istration et 2014.
d’une douzaine de représentations du spectacle « Pages de feu, lettres d’amour » et d’une vingtaine de présentations de l’exposition itinérante sur la SSVP.
Renouveler la charité Nous nous fixions pour mission de renouveler la charité de proximité. Notons la progression de la participation des personnes accompagnées à nos activités. Après Diaconia, la Convention d’octobre 2013 a marqué un tournant pour la SSVP. Actuel© SSVP
L
e processus de renouveau engagé avec le projet associatif Ozanam se confirme ! Les Vincentiens peuvent être fiers. Adopté en 2013, il ne constitue pas un projet parmi d’autres, mais le cadre de référence de nos activités. En un an, les avancées sont initiées dans les cinq volets du projet.
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Le 14 juin 2014 a eu lieu l’Assemblée générale de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Ce rendezvous était l’occasion de faire le point sur l’année écoulée et sur les avancées du projet associatif. Et le bilan est positif ! Bertrand Ousset, Président de la SSVP, félicite chacun et lance un nouveau défi : les Rencontres Nationales du Partage à Metz, en mai 2015. Par Bertrand Ousset, Président de la SSVP
Cette pastille signale que l'article fait référence aux Rencontres Nationales du Partage 2015.
lement, la mobilisation pour la préparation aux Rencontres Nationales du Partage poursuit et étend cette démarche. Notre activité de partenariat s’est aussi considérablement développée. Nous avons reçu l’habilitation de la Banque alimentaire, qui englobe aujourd’hui 62 CD et 5 AS, et en sommes devenus le deuxième réseau national. Fin 2013, nous avons adhéré à l’association Monalisa qui regroupe 36 associations de lutte contre l’isolement des personnes âgées, et j’en ai été élu président. Sur les 45 premières équipes citoyennes, 15 sont des Conférences SSVP. Enfin, nous avons lancé un partenariat avec la Croix-Rouge, le Secours catholique et les petits frères des Pauvres : c’est la première étape de ce qui deviendra un observatoire de la solitude, en cofinançant une enquête sur l’isolement et le délitement des liens sociaux.
Mobiliser les bénévoles
Renforcer la subsidiarité
L’après-midi de notre Assemblée générale était consacrée à l’organisation de ces Rencontres Nationales du Partage de 2015, au travers d’une démarche participative préparée par des personnes accompagnées. Elle a permis de clarifier les objectifs, le contenu et le financement de cette nouvelle formule du Congrès national. Le but est de susciter une mobilisation sur trois objectifs : développer la participation des personnes accompagnées, insérer les Conférences dans une approche ecclésiale en favorisant leur intégration dans les paroisses, et renforcer les partenariats pour développer notre notoriété et notre spécificité dans la complémentarité. Ces trois objectifs expliquent l’ouverture de ces Rencontres aux membres de nos communautés et autres associations. La participation des personnes accompagnées sera supportée grâce à des contributions financières extérieures et à l’hébergement chez l’habitant. Le succès de ces journées repose sur les échanges réalisés en petits groupes mixtes, favorisant l’implication de tous. Bien évidemment, cet événement sera un temps festif et une occasion de se ressourcer avec des Vincentiens de toute la France et de l’étranger. Le 11 octobre 2014, les dispositions d’organisation seront présentées aux délégués des CD et AS, relais de la mobilisation nationale. Votre mobilisation est nécessaire pour que ces Rencontres Nationales du Partage soient le vecteur du renouveau de la SSVP. Je compte sur chacun de vous.
Pour renforcer la subsidiarité dans notre organisation, nous mettons en place une gouvernance plus démocratique, via les nouveaux statuts-types des CD. Déjà adoptés par une trentaine, nous souhaitons qu’ils le soient par tous en 2015. Nous progressons dans la gestion éthique de nos ressources, en appliquant les recommandations du Comité de la charte pour être agréés. Pour mieux soutenir notre réseau, plusieurs actions ont été mises en œuvre : refonte de la base de données, « compta SSVP en ligne » adoptée par 443 Conférences et 47 CD. De plus, la Commission sociale a acté huit projets présentés par les CD, Conférences et AS.
J’en viens à l’enjeu prioritaire du projet Ozanam : la mobilisation et le renouvellement des bénévoles. Onze nouvelles Conférences ont été agrégées en 2013 et une quinzaine sont en attente, dont quatre de jeunes et une familiale ! Le renouvellement de 15 % des Présidents de CD et l’élection de trois actifs au Conseil d’administration sont également des signes positifs. La SSVP s’est aussi enrichie de deux dispositifs : le Comité jeunes et la Commission développement. Un programme de formation a également été mis en place. Enfin, les Rencontres Nationales du Partage de 2015 seront le principal levier de mobilisation à court terme pour renouveler la SSVP.
Faire des Rencontres Nationales un succès
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Dossier
Changer notre regard sur les personnes pauvres Vendredi, 17 h, deux compagnons d'Emmaüs soufflent avant la grande vente du samedi.
Le rassemblement Diaconia 2013 a incité les catholiques à associer étroitement les personnes pauvres à leurs initiatives, dans un esprit de réciprocité et de fraternité. Pour qu’elles ne soient plus considérées comme « objets de don » mais comme acteurs de leur propre vie, les accompagnateurs et les bénévoles doivent souvent convertir leur manière d’aider. Comment renouveler notre regard sur les plus défavorisés ? Texte et photos : Bénédicte de Saint-Germain, journaliste
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ls devraient déjà être contents qu’on leur ait donné un toit, ils ne vont pas non plus donner leur avis ! » Voici le genre de réticence entendu par Gilles Rebêche, diacre et responsable de la Diaconie du Var qui regroupe toutes les associations caritatives du diocèse, en pointe sur la question de l’implication des personnes pauvres. Pas facile de bousculer nos habitudes. Pourtant, « ils sont incontournables
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Les cahiers
dans le discernement. Ils sont nos maîtres, disait Saint Vincent de Paul. Il y a un magistère des pauvres. Ils nous enseignent, ils ont une pensée. Et quand ils sont associés à un projet, ils démultiplient les chances de réussite. » C’est le cas, par exemple, de ces « Compagnons Bâtisseurs » qui rénovent des logements insalubres en faisant participer leurs occupants, des techniciens, des volontaires, des habitants
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ayant déjà bénéficié de travaux, etc. Chaque chantier permet la création de liens sociaux et d’amitiés, l’acquisition de compétences.
Coélaborer des projets Faire participer les personnes en situation de pauvreté à l’élaboration de projets est un courant minoritaire. À l’Institut Catholique de Paris en mai dernier, une formation atypique
Jean-Yves et sa chienne Nikita. Jean-Yves est chargé de la vente des objets dans la cour.
Trois camions partent chaque jour en mission pour récupérer les objets donnés.
«La charité que j’attends,
c’est un partage plus qu’un don. a réuni des personnes en situation de fragilité et des bénévoles ou des accompagnateurs, chevilles ouvrières d’un projet local, telles que Lucien et Louis, venus de Pont-de-Roide dans le Doubs. À partir d’un temps d’accueil organisé à l’occasion d’un point de distribution de la Banque alimentaire, ils ont créé une association chargée de mettre en œuvre des projets comme un jardin à cultiver. « Comme l’a dit un participant : la charité que j’attends, c’est un partage plus qu’un don », souligne Daniel Maciel, animateur de cette formation sur « le développement de projets de fraternité ». Sœur Élisabeth Drzewiecki, autre animatrice, explique : « L’idée que les
Chiffres 14,3 % de la population, soit plus de 8,7 millions de personnes en 2012 sont en situation de pauvreté monétaire. 2,8 millions de personnes d’âge actif touchent les minima sociaux. (Rapport de l’ONPES, juillet 2014)
»
personnes soient au cœur de nos actions n’est pas nouvelle. Saint Vincent de Paul le vivait déjà : il ne donnait pas tout cru. Il arrivait avec un enfant trouvé, le déposait sur la table et demandait aux Filles de la Charité, souvent d’anciennes servantes ou prostituées, de trouver elles-mêmes des solutions. Peu à peu enfouie dans les sables, cette façon de faire a été réactivée de manière forte avec Joseph Wrezinski (ATD Quart Monde), l’abbé Pierre, la Mission Ouvrière, l’Action catholique, Jean Vanier, Diaconia et le pape François avec ses mots très simples. » L’intérêt de ces projets de fraternité pour les personnes pauvres « est de ne plus être considérées seulement comme des personnes ayant besoin de nourriture et de logement, mais comme étant capables de réfléchir avec d’autres à partir de leur propre expérience, de reprendre prise sur leur vie », analyse Daniel Maciel. Encore faut-il être convaincu qu’elles ont voix au chapitre. Catherine de Schauenburg, d’ATD Quart Monde, est coresponsable d’ « Un quartier qui n’oublie personne », un projet de développement social
local à Lille. Elle interroge : « La participation c’est bien, mais les personnes pauvres sont-elles vraiment attendues ? L’assistante sociale qui monte une réunion, la mairie qui organise une fête reçoivent quelques personnes. Ces chiffres les contentent mais au fond, souhaitent-elles vraiment qu’elles soient là ? »
Casser les clichés « Les choses sont possibles si on a un regard de bienveillance, de confiance sur les pauvres, insiste Gilles Rebêche, en les considérant d’abord comme ayant une vie personnelle. Au pèlerinage des pères de famille de Cotignac, des bénévoles ont invité trois ou quatre gars de la rue. Au lieu d’être perçus comme des SDF, ils étaient vus comme des pères de famille », poursuit-il. Voilà une bonne occasion de faire connaissance, de chasser les peurs qui paralysent, de casser les clichés qui enferment. La foi aide à changer ce regard. Les sœurs de la Bonne Nouvelle installées à Toulouse ont lancé des groupes de partage autour de la Parole de Dieu. Elles s’émerveillent de la qualité des échanges entre les familles du
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Dossier
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à la Halte de Brest, bénévoles et bénéficiaires se réunissent en conseil de maison où chacun donne son avis.
Quart Monde et les Compagnons bénévoles, rendus possibles parce que « devant Dieu, nous sommes tous pécheurs et pécheurs pardonnés ». Et elles constatent que « les personnes pauvres deviennent acteurs à partir du moment où elles parlent ». « Elles ont une image d’elles-mêmes déplorable », remarque Rémy Galleret, le président de la Halte de Brest. « Si l’on reste dans une position de supériorité, il n’est pas étonnant qu’elles se taisent, elles qui n’ont pas l’habitude d’être écoutées. » Dans ce foyer d’accueil de jour fonctionnant le week-end et les jours fériés, les bénévoles prennent leurs repas et jouent aux cartes avec les accueillis, écoutent, discutent. « Ces moments d’échange se prolongent de semaine en semaine. On essaie de créer des liens d’égalité. » Avec le conseil de maison dans lequel chacun donne son avis sur le fonctionnement, les projets, le financement de l’association, la confiance s’installe peu à peu. De fait, les communautés Emmaüs ou de l’Arche, ou de nouvelles initiatives comme les colocations des associations Lazare et APA, la
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Les cahiers
parfois tellement perdues, désocialisées qu’il faut admettre que les choses ne soient pas comme on aurait voulu », remarque Roseline, jeune infirmière en colocation dans l’association Lazare à Nantes. Dans un tel climat de confiance, il n’est pas rare qu’une personne accueillie s’approprie le projet commun et émette des idées. « Rien n’est tabou. On l’écoute et on lui propose de travailler la question pour que d’elle-même, elle dise si c’est possible ou pas », raconte Rémy. « D’anciens cuistots ayant eu des accidents de parcours ont proposé de faire un kig ha farz, sorte de pot-au-feu breton pour les finances de l’association. Ils ont vendu 150 parts et gagné 800 euros ! » Bienveillance, écoute, échange, patience,
«Les personnes pauvres deviennent acteurs à partir du moment où elles parlent.» résidence des Favières à Toulon (voir le reportage pp.10-11) privilégient le « vivre ensemble » où les personnes sont accueillies simplement pour ce qu’elles sont, sans but de réinsertion immédiate, sans volonté de résultat.
Faire avec chaque compétence Chacune de ces structures a pour fondement la participation de tous au fonctionnement de la maison. À la Communauté Emmaüs de Douvres, « tous les accueillis ont un travail : standardiste, chauffeur, cuistot, réparateur, vendeur, etc. », explique Marguerite, une responsable. « Nous devons faire avec les compétences de chacun, en tenant compte de son état de santé et être prêts, s’il ne peut accomplir que 10 % du travail, à l’aider pour les 90 % restants.» Respecter leur manière de procéder est aussi indispensable pour les accompagnateurs : « Nos colocataires sont
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autant de petits cailloux jalonnant la route d’un véritable partage avec les personnes pauvres. Ils sont nos frères dans la foi. Comme nous y invite le pape François : « Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux. 1» 1. Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, n°198
Contacts Union diaconale du Var www.udv-asso.fr Un quartier qui n’oublie personne www.promotion-familiale-lille-fives.org Sœurs de la Bonne Nouvelle, à Toulouse www.bonnenouvellequartmonde.org
Entretien
Denys Cordonnier « Nous ne pouvons
changer qu’ensemble »
Denys Cordonnier est membre actif d'ATD 1 Quart Monde. Avec « Valeur Plus », la société qu'il a créée, il facilite des démarches collectives mêlant personnes en situation de pauvreté et autres acteurs, par exemple, au sein de collectivités territoriales, d'entreprises ou d'associations. Il a participé à l’organisation de Diaconia 2013. Propos recueillis par Bénédicte de Saint-Germain, journaliste.
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la construction de la société ! À l’école, le dernier de la classe sait bien quel professeur l’a vraiment aidé à progresser. Mais on l’écoute bien trop rarement pour améliorer la pédagogie. D’où vient la prise de conscience de vouloir « penser et agir avec les personnes pauvres » ?
Si les démarches participatives sont à la mode, leur mise en place avec des personnes en situation de pauvreté est encore timide. Aujourd’hui, qui participe vraiment aux conseils de quartier ? Exister aux yeux des autres est un combat de toujours. En 1956, Joseph Wresinski, le visionnaire, disait « mon peuple » en parlant des personnes pauvres. Lui-même issu de la grande pauvreté savait que l’expérience de l’humiliation amène les plus démunis à une certaine pensée sur la société, à savoir ce dont le monde a besoin pour être plus juste. La société a tendance à nier le fait que les personnes pauvres ont une pensée légitime. Non seulement elles peuvent élaborer une pensée à partir de leur expérience ou de celle de leurs voisins, mais encore, cette pensée manque à
Que faut-il changer pour apprendre à « faire avec » les personnes pauvres ?
C’est toute l’ambiguïté de cette formulation. Elle peut signifier : « Se pencher sur les pauvres », nous mettant du coup dans une position de supériorité, voire de condescendance. Nous devrions plutôt chercher à savoir où et comment les personnes pauvres voudraient que nous nous impliquions, quelle parole elles espèrent que nous prenions. Reconnaissons au passage que par habitude, elles se mettent aussi parfois dans une position d’infériorité : le cercle vicieux de relations inégalitaires s’auto-entretient. De même que nous sommes piégés ensemble dans ces attitudes de supériorité et d’infériorité, nous ne pouvons changer qu’ensemble et non pas chacun de notre côté. À l’image des coformations organisées par ATD Quart Monde.
Comment faites-vous pour faire évoluer les uns et les autres ?
Pour changer nos représentations, deux conditions sont nécessaires. D’abord, le fait d’être convaincu que chacun apporte quelque chose. Cela demande une démarche intérieure et un combat permanent contre les idées reçues. Ensuite, soigner les conditions dans lesquelles nous nous rencontrons.
«être convaincu que chacun apporte quelque chose.»
Lorsqu'avec Valeur Plus nous faisons travailler ensemble des publics différents, nous adoptons des méthodes qui facilitent une écoute fine et des prises de parole claires : interactivité, modalités originales, création de confiance au sein de groupes de toute taille, réflexions en petits groupes… De manière à ce que chacun prenne sa place et apprenne de l'autre. Tous ces leviers permettent de penser et d’agir ensemble. Ces démarches sont fructueuses, elles améliorent le fonctionnement de la société. 1. Agir Tous pour la Dignité
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Dossier Reportage
« Ici on partage tout : la misère, la joie et le travail » Annick et deux animateurs, Chloé et Christophe, avec André, bénévole, chef des travaux.
Fraîchement ouverte à Toulon, la résidence solidaire des Favières propose aux trentehuit personnes accueillies de participer à la vie de la maison. Découverte de ce mode de fonctionnement expérimental aux résultats prometteurs. Texte : Bénédicte de Saint-Germain, journaliste
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Aux Favières, Jean-Baptiste et Pusuka se serr ent les coudes .
'après-midi n'en finit pas de s'étirer en cette chaude fin de juillet. Un à un, les hôtes des Favières arrivent, essoufflés par les huit cents mètres à gravir à pied depuis l'arrêt du bus qui vient de Toulon. Voici Nader, tunisien, épuisé par sa journée de jeûne du Ramadan ; Pascal, le moral en berne parce que ses démarches n'aboutissent pas ; Pusuka, une Roumaine courageuse qui remue ciel et terre pour trouver du boulot ; Joseph, rigolard, dont le corps tatoué et cicatrisé porte les marques d'une vie à la dure. Accrochée sur la face nord du mont Faron, la résidence des Favières a été ouverte début mars par l'Union Diaconale du Var (UDV) à la suite d’un appel d'offres de la DDCS (direction départementale de la cohésion sociale) pour créer un hébergement de stabilisation. D'emblée, son fondateur, le diacre Gilles Rebêche a voulu y allier travail social et vie de maison, car « la relation humaine est dans la réciprocité. Si on ne demande rien à celui à qui on donne, il reste dans la dépendance. »
ça fuse, ça grogne, ça rigole
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Dès l’origine, les personnes accueillies se sont impliquées. Encadrées par des bénévoles, elles ont participé au débroussaillage des trois hectares de restanques — terme provençal désignant un muret de pierres sèches — repeint des cloisons, dessiné de petites pancartes avec le nom des chambres, planté salades et melons, etc. 19 h, la sonnerie du dîner retentit. Les résidents s'installent à table par affinités. Ça fuse, ça grogne, ça rigole. Avant le
« Si on ne demande rien à celui à qui on donne, il reste dans la dépendance.» « Si je ne rends pas service, je ne fais pas partie de la communauté. Ici on partage tout : la misère, la joie, la tristesse et le travail », explique Jean-Baptiste. Il est tout en nage après avoir lavé le sol de la cuisine. Ce paroissien assidu de l'église voisine, installé aux Favières depuis l'ouverture, est Annick, bénévole, veille sur la bonne entente au foyer.
Jean-Baptiste (à droite) est de service à la cantine ce jour-là.
convaincu de l’importance de la participation de chacun. Du côté des éducateurs, Christophe et Chloé constatent : « Ici, on est plus dans une relation d'humain à humain, dans le cœur de notre métier. »
La Bonne Mère des Favières À côté de l'équipe de onze salariés, une autre personne contribue à faire de la résidence un lieu de vie plus qu’un simple hébergement. Si Marseille a sa Bonne Mère, les Favières ont Annick. Bénévole, elle réside au foyer dans les mêmes conditions que les personnes accueillies. Sa mission ? Faire le lien avec les autres bénévoles et les associations toulonnaises de l’UDV et surtout « être en présence ». Un rôle aussi discret qu’essentiel. « J'essaie de comprendre où il faut être : s'assoir quand quelqu'un a envie de parler, accompagner la personne dans son service, refaire le monde. » Annick est disponible en permanence, témoin des joies, des tristesses, des colères parfois. Pour Luc, un réfugié, « vivre en communauté n’est pas facile. Nous avions tendance à être chacun dans notre coin, à nous regrouper par pays d’origine. Annick nous a poussés à nous rencontrer. » Difficile d’avoir du recul pour juger cette expérience nouvelle. Pourtant, la vie qui s’organise cahin-caha dans cette petite communauté semble profiter à la majeure partie des résidents. Comme en témoigne Marie-Noëlle : « J’ai rencontré aujourd’hui mon assistante sociale, elle m’a dit que j’avais fait des progrès. »
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Photos : Maÿlis Leulier
dessert, Chloé, une éducatrice, apporte une boîte de loto. Dans la bonne humeur, un volontaire tire quatre jetons. Ils correspondent aux noms de ceux qui feront la vaisselle, rangeront et prépareront le petit-déjeuner. Personne ne bronche. Ce mode de désignation a été choisi en « conseil de vie sociale », une réunion mensuelle pendant laquelle résidents, éducateurs, bénévoles donnent leur avis sur la vie de la maison et l’organisation des lieux. Une sorte de conseil de famille plébiscité par les accueillis, même si certains en perçoivent les limites : « Je trouve qu’on ne s’écoute pas assez », regrette Marie-Noëlle, brunette souriante qui rentre de son travail à 21 heures.
Service Actus SSVP
Les Mains Ouvertes : compagnons de réinsertion
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es Mains Ouvertes est née d’une rencontre entre l’abbé Pierre et Bruno Ménard, son fondateur, il y a plus de trente ans. Devenue Fédération en 2006, elle regroupe aujourd’hui sept associations. Ici on accueille tout le monde, hommes et femmes, sans chercher à juger leur passé, mais avec le souci de construire avec eux un avenir qui réponde à leurs attentes. Pour Nicolas, c’est un lieu d’écoute et de partage : « Dans ma vie privée, je n’ai personne à qui me confier, quelqu’un qui soit capable de m’écouter sans avoir à me juger. Tout ce qui constitue les relations humaines dans le sens propre du terme, je l’ai trouvé aux Mains Ouvertes. »
Accueillir quodiennement Une cinquantaine de compagnons y est accueillie quotidiennement. Ils trient, réparent et vendent les matériels divers qui sont apportés ou collectés lors des tournées de ramassage, réalisées gratuitement par l’association. Tous ces articles sont ensuite revendus à petit prix : 1 000 personnes par semaine viennent chiner dans cette « salle de vente ». Pour effectuer la remise en état des produits et assurer leur vente, 35 personnes en insertion sont salariées de la Fédération. Les fonds ainsi récoltés permettent de fournir à ces personnes aidées deux repas par jour, un petit pécule pour chaque jour de présence et un pass-bus. Louis, compagnon, confie : «Les Mains Ouvertes, c’est ma nouvelle famille, car je suis divorcé. En venant
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Les cahiers
ici, je ne suis plus seul, 50 compagnons trient, réparent et vendent le matériel collecté. je suis occupé, je ne rumine pas. » Les activités, gérées par Les Mains Ouvertes, s’organisent en quatre pôles. D’abord, il y a l’accueil de toute personne qui se présente au centre. L’aide au logement constitue un deuxième pôle, grâce à 25 places d’hébergement dans une maison d’accueil pour les femmes en difficulté, prio- boisson alcoolisée. Troisièmement, chacun ritairement celles qui attendent un enfant. doit régler les différends sans recours à la Il y a aussi la formation en français langue violence. Quatrième et dernier point, il faut étrangère et celle dans des domaines tech- accueillir l’étranger dans un esprit de fraterniques facilitant l’accès à un emploi durable. nité, et bannir les propos racistes. Enfin, le quatrième pôle est celui de la réin- Une multitude de pauvretés se côtoient sertion humaine, sociale et professionnelle aux Mains Ouvertes. Mais grâce au « faire par le travail. Ceci en proposant des parcours avec », les compagnons reprennent espoir individualisés incluant une période de deux ensemble et retrouvent leur autonomie pour entreprendre les démarches du quoans en entreprise d’insertion. tidien. « Il faut rester en permanence invenImposer des règles de vie tifs pour faciliter la réinsertion humaine, Pour une réinsertion durable des personnes sociale et professionnelle de ceux et celles accueillies, « Les Mains Ouvertes » refuse qui s’adressent à nous […] En faisant preuve l’écueil de l’assistanat. Elle leur impose de rigueur dans la gestion, d’imagination quatre règles de vie. Premièrement, cha- dans le développement de nos activités et cun accepte de travailler en fonction de d’attention permanente aux plus faibles, ses possibilités pour contribuer au finance- nous jouerons pleinement notre rôle d’acment de la vie commune. Deuxièmement, cueil et d’insertion », conclut Bruno Ménard, les accueillis doivent s’abstenir de toute le président des Mains Ouvertes.
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© Les Mains Ouvertes
Au cœur du Puy-de-Dôme, la Fédération Les Mains Ouvertes accueille celles et ceux qui souffrent d’exclusion et les accompagne sur le chemin de la réinsertion. Mais pour ce faire, les cinquante bénévoles de l’association ont leur méthode : refuser l’assistanat pour y préférer le « faire avec ». Par Clotilde Lardoux, assistante communication
SSVP de Trappes : Chantier de cœur
Nouveaux mandats Xavier de Carmantrand
La Conférence de Saint-Vincent-de-Paul à Trappes (78) a profité des vacances d’été pour rénover son local. Les bénévoles ont eu deux mois pour détruire, reconstruire et réaménager les 140 m2 ! haque week-end, ils étaient une cinquantaine à travailler d’arrache-pied pour le succès du chantier. Heureusement, des habitants et des personnes en situation de précarité sont venus leur prêter mainforte. À la pause déjeuner, mères et enfants s’activaient pour accueillir au mieux les travailleurs et les voisins qui s’invitaient le temps d’un barbecue convivial. Grâce à la mobilisation estivale de tous, la SSVP de Trappes a ouvert à la rentrée de 2014 un accueil comprenant : un restaurant social, une permanence pour les personnes
Après avoir été directeur de l’Association Valentina en Roumanie, pendant 2 ans, je suis heureux de reprendre la présidence de l'association jumelle française pour faire perdurer cette belle œuvre auprès des enfants défavorisés de Bucarest.
seules, un centre d’animations pour les familles démunies, une douche pour les personnes sans abri, etc. Capucine Bataille, RC
Thierry Boyer Président du CD 32 (Gers)
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Président de l'AS Valentina
2 Dans les médias
En tant que Vincentiens, engageons-nous pour continuer la mission initiée par nos fondateurs, en commençant par notre conversion personnelle. Le projet Ozanam sera notre base de travail. Faisons confiance à la Providence et rencontrons le Christ dans chaque regard croisé.
Patrick Rodamel Président du CD 03 (Allier)
x 03.07.2014
x 02.07.2014
Dans une double page sur les Français qui consacrent une partie de leur été à la solidarité, le chantier de la Conférence de Trappes (78) trouve une belle place : des travaux qui ont mobilisé ensemble les bénévoles et les personnes en précarité du quartier.
L’épicerie sociale de Colombes (92) est à l’honneur dans le journal télévisé. Ouverte une grande partie de l’été grâce à son partenariat avec Août Secours Alimentaire, elle accueille les personnes démunies même durant la trêve estivale.
« Quelle est cette France qui s’engage ? » L’émission La Voie est libre interroge trois grands acteurs du projet Monalisa : Bertrand Ousset, Président de la SSVP et de Monalisa, Jean-François Serres (Les petits frères des Pauvres) et Françoise Fromageau (Croix-Rouge).
Elisabeth Michaud Présidente du CD 38 (Isère)
Vivre en équipe dans l’amitié, la confiance et le partage dans l’esprit vincentien. Cet esprit et nos actions donneront envie aux autres de nous rejoindre.
n°210 - septembre-octobre 2014 - Les cahiers Ozanam
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x 05.08.2014
Faisons mieux connaître la Société de Saint Vincent-dePaul localement, afin de renforcer nos équipes de bénévoles pour continuer d'apporter un message d'espoir et de joie aux personnes visitées.
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Service Face à face
Christian Bordier « J’ai ressenti
le besoin d’aider à mon tour »
Christian Bordier est bénévole à la Société de Saint-Vincent-de-Paul depuis vingt ans. Mais avant cela, il a été lui-même accompagné. Il fait aujourd’hui partie de l’équipe qui réfléchit au contenu des Rencontres Nationales du Partage de 2015 à Metz, son double regard de personne accompagnante et ex-accompagnée apporte beaucoup. Par Emmanuelle Duthu, responsable coordination des Rencontres Nationales du Partage
Pourquoi avoir choisi de rejoindre la SSVP ?
C’est avant tout une reconnaissance aux Vincentiens qui m’ont aidé au moment où je sombrais. À 31 ans, j’ai divorcé. J’étais croyant et tout a volé en éclat, car j’allais contre mon engagement de chrétien. Je l’ai très mal vécu, s’en est suivie une dépression pour laquelle j’ai été soigné par des médicaments que j’ai progressivement remplacés par l’alcool. Cela a duré cinq ans avant qu’on vienne me tendre la main. Une personne de la paroisse à qui je livrais des fleurs — c’était mon métier — a lancé un appel : « Celui-là, il faut l’aider. » À ce moment-là, je ne comprenais pas bien ce qui se passait et j’avais honte. J’ai fait trois tentatives de suicide, je souffrais dans mon être. Et puis des Vincentiens m’ont accompagné, et j’ai ressenti l’amour et l’attention qu’on m’a prodigués. Comment d’accompagné êtes-vous devenu accompagnant ?
J’étais de plus en plus entouré et ai ressenti le besoin d’aider à mon tour. J’ai rejoint l’équipe. Mon premier rôle a été de distribuer le courrier aux personnes sans domicile fixe, puis d’être veilleur de quartier, jusqu’à devenir Président de Conférence dix ans après.
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Les cahiers
L'onction de Béthanie inspire Christian pour les Rencontres de 2015.
en ville. Depuis, il ne fait que progresser. Je m’interdis toute relation paternelle – il pourrait être mon fils – mais cette complicité me rappelle sans doute celle que j’aurais aimé avoir avec mon propre fils. Charles a besoin d’amour lui aussi et c’est avant tout cela que je souhaite combler. Je le considère comme mon fils spirituel. Comment voyez-vous les Rencontres Nationales avec votre double regard d’accompagné-accompagnant ?
Un jeune homme, Charles, va apporter son regard de personne accompagnée pour l’organisation des Rencontres Nationales du Partage. C’est vous qui l’avez aidé ?
Charles a appelé un jour. C’était un appel au secours que d’autres associations n’avaient pas correctement entendu. Je suis allé le voir. Il était dans son lit. Je me suis mis à sa hauteur, comme on me l’avait appris. Je l’ai écouté plusieurs demi-journées. À part avec l’infirmier ou moi, il avait peur de bouger et restait cloué au lit. Petit à petit, il a accepté de sortir un peu, jusqu’à aller
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Lors de notre dernière réunion de travail pour réfléchir au sens et au contenu de l'événement, nous avons commenté le texte de l’Évangile selon saint Marc de l’onction de Béthanie et une mosaïque de Rupnik sur le même thème. On peut reprocher aux Rencontres les dépenses qu’elles vont engendrer, qui pourraient servir aux personnes accompagnées. Le coût du parfum que la femme verse sur les pieds du Christ, je le mets en rapport avec ces dépenses que l’on fera à Metz. On pourrait les laisser pour les pauvres, c’est vrai, mais alors ce rassemblement ne pourrait pas avoir lieu, ni ce que l’on essaie de faire et découvrir à travers le Christ. Dans plusieurs années, on pensera encore aux gens rencontrés, qui nous ont fait grandir, avec qui on a partagé… et tout cela n’est pas trop cher !
Françoise Legrand « J’ai le droit à la parole » Lors de l’Assemblée générale du 14 juin 2014, Françoise Legrand, aidée par des bénévoles de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, a pris la parole. Elle a accepté d’accompagner la SSVP dans l’organisation des Rencontres Nationales du Partage, à l’Ascension de 2015. peine qu’on dépense autant d’argent pour moi ?
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Qu’est-ce qui vous marque dans la préparation des Rencontres Nationales de 2015 ?
Françoise (à droite) prépare activement les Rencontres Nationales du Partage.
Comment avez-vous rencontré la SSVP ?
J’étais allée voir une assistante sociale, parce que je n’arrivais plus à payer mes factures. Elle m’avait dit : « Il y a une association super, je peux peut-être vous envoyer quelqu’un. » J’ai répondu : « Non, je peux me débrouiller. » Mais cette fois-là, une dame a sonné à ma porte. Elle a été étonnée, car elle me connaissait mais ignorait ma situation. C’était un peu gênant, mais c’était une personne chaleureuse. De fil en aiguille, elle m’a parlé du groupe Alpha de la paroisse. J’y suis allée et je m’y suis fait plein d’amis, puis il y a eu Diaconia, à Lourdes. Au retour, les participants se sont exprimés devant les bénévoles de SSVP de Lille. Depuis ça n’arrête pas… Je suis venue à Paris le 26 octobre 2013 pour la Convention de la SSVP et ai pris la parole au micro pour la première fois. C’était très impressionnant ! J’avais le cœur qui battait… Puis, on m’a invitée à préparer le rassemblement de Metz 2015. Mais cela me pose question : est-ce que je vaux la
J’ai droit à la parole. J’ai pris conscience que je pouvais dire quelque chose, que ma parole était même écrite. Dans un compte-rendu, j’ai retrouvé mes mots. J’ai dit quelque chose d’intéressant : tout le monde peut le relire ! Cela donne de l’assurance. On comprend que l’on est capable d’émettre une pensée, qui peut être retenue. C’est important de réfléchir ensemble à la manière d’organiser ce rassemblement… Il y aura des personnes très différentes : accompagnées, aidées, ou en vulnérabilité et d’autres qui les aident. Pendant ces Rencontres, qu’est-ce qui est important ?
Qu’il y ait des partages entre les personnes qui aident et celles qui sont accompagnées. Que les aidantes connaissent sous un autre jour celles qu’elles accompagnent. Pour nous, c’est une transformation de ne pas seulement recevoir, mais donner, à notre tour. Et même de participer à l’élaboration du projet. C’est nouveau, surtout pour ceux qui n’ont pas l’habitude d’être entendus. Ce qui est important aussi, c’est la diversité des personnes qui seront présentes, d’autres
associations ou paroisses. Ce sera riche ! Il faut découvrir la multitude de facettes de chaque être humain ! Cela me fait penser aux vitraux de la cathédrale de Metz : des milliers de morceaux de verre aux multiples facettes, qui se rassemblent et forment un magnifique vitrail… Que souhaitez-vous pour les participants ?
Je voudrais qu’ils repartent avec des étoiles plein les yeux, qu’il n’y ait plus de barrière entre ceux qui sont aidés ou aidants. Ceux qui ont le pouvoir de donner ont parfois un regard très éloigné de ceux qui ont peu. Alors le contact et la rencontre deviennent difficiles. Au fond, je souhaite qu’on transforme les habitudes et qu’on casse les peurs. Pourquoi est-ce important qu’il y ait beaucoup de personnes accompagnées ?
Pour ce qu’elles sont. Parce qu’elles ont toutes un talent, et elles n’en sont pas forcément conscientes. On a tous à l’intérieur quelque chose à exprimer, à crier parfois ! Il faut que cela soit entendu et compris. Et qu’on passe à l’action en formant des groupes avec un projet commun. Peu importe le projet, tant qu’on le fait ensemble, accompagnés et aidants. Sans distinction. Prendre des temps gratuits de bonheur ensemble ! Rendre visible l’affection des personnes entre elles. Cela va au-delà du besoin de manger ou de se vêtir, il faut aussi remplir son esprit, son âme… Pour sortir de soi et regarder de manière plus positive le monde et sa vie !
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Service Initiatives
Muriel Duval, d’Ozanam Services «La clef est d’impliquer ceux que nous aidons » Directrice d’Ozanam Services depuis mars 2014, association fondée par la Société de Saint-Vincent-de-Paul de Paris, Muriel Duval témoigne de la manière dont son association met à contribution les personnes qu’elle accompagne en vue de les aider à se réinsérer.
Les personnes aidées par l'association travaillent pour les clients d'Ozanam Services.
En quoi consiste Ozanam Services ? Ozanam Services est avant tout un lieu d’accueil. Nous recevons toutes les personnes qui sont dirigées vers nous par le Pôle emploi ou les services sociaux d’îlede-France. On reçoit aussi celles qui se présentent spontanément chez nous. Il nous appartient de les inscrire au sein de notre dispositif. Nous proposons alors à ces personnes un double accompagnement : d’une part, nous jouons le rôle d’interface entre elles et les clients d’Ozanam Services pour lesquels elles vont travailler. D’autre part, nous les aidons à se former pour un retour pérenne à l’emploi. Comment s’organise le dispositif d’accompagnement ?
Notre fonctionnement ressemble à celui d’une agence d’intérim. Nous mettons à disposition de nos clients les services ponctuels ou réguliers de ces demandeurs d’emploi. Cela peut concerner différents domaines d’activités, comme le jardinage, le bricolage, des déménagements, des aides à la personne, du repassage, des tâches administratives, etc. Nous les aidons à se réinsérer dans l’emploi de manière progressive. Nous proposons des contrats de
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Les cahiers
travail horaire, à durée déterminée. Ce sont des contrats dits « d’usage », avec un minimum d’intervention d’une heure et demie chez le client. La personne qui intervient chez le client devient salariée d’Ozanam Services.
« L'intuition de
mettre les personnes à contribution a fait ses preuves.
»
Mais quel est l’objectif d’Ozanam Services ?
Notre but est de les accompagner vers un retour à l’emploi tout en recréant du lien social. La clef d’Ozanam Services est d’impliquer les personnes que nous aidons. Nous les mettons à contribution en leur donnant l’occasion de travailler pour nos clients. Nous recevons surtout des personnes éloignées de l’emploi depuis au moins un an, en situation de précarité professionnelle. Ce sont des personnes
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Propos recueillis par Évelyne Ahipeaud, Vincentienne
aidées par les services sociaux, mais aussi des migrants, etc. Souvent, ces personnes vivent des problèmes périphériques liés à la perte de leur emploi : logement, santé, endettement. Ils viennent se greffer à leur précarité professionnelle et il devient difficile de s’en sortir seul. Voilà pourquoi notre accompagnement est certes professionnel, mais aussi social. Ainsi se met en place un « processus d’accompagnement socio-professionnel » qui sera assuré pendant deux ans. Durant ce laps de temps, nous aidons la personne à construire ou mettre en place un plan de formation en fonction de son projet professionnel. Votre dispositif a-t-il fait ses preuves ?
Ozanam Services a été créé par les Conférences de la SSVP de Paris, il y a près de 30 ans. Et depuis l’intuition de mettre les personnes à contribution a fait ses preuves ! En 2013, nous avons accompagné 194 personnes !
Actus juridiques et sociales
Le CLIC, c’est quoi ?
Zoom sur
Les cahiers Ozanam :
Les Centres Locaux d’Information et de Coordination sont des facilitateurs de solidarité. Ces entités sont à découvrir, car elles peuvent être un soutien pour ceux qui travaillent à établir la charité de proximité dans leur quartier. Par Bertrand Decoux, Secrétaire général
S’abonner ensemble
L
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es CLIC – Centre Local d’Information et de Coordination – sont des structures locales de proximité jouant le rôle de guichet d’accueil, d’information et de coordination pour : - d’une part, les retraités, les personnes âgées et leur entourage ; - d’autre part, les professionnels de la gérontologie et du maintien à domicile.
Fédérer les acteurs locaux Chaque CLIC a vocation d’informer, d’orienter, de faciliter les démarches et de fédérer les acteurs locaux. Les plus gros CLIC sont capables également d’évaluer les besoins et d’élaborer un plan d’accompagnement ou un plan d'intervention avec un suivi du plan d’aide, en lien avec les intervenants extérieurs. Le CLIC est aussi un observatoire de la vieillesse et des problématiques liées à la dépendance et un animateur du territoire (actions de prévention, conférences, groupes de parole, forums, etc.).
Ils dépendent du ministère délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille. On compte 600 CLIC sur le territoire national, dont 250 avec le statut de coordination gérontologique.
es cahiers Ozanam sont le principal relais d’information des membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Notre réseau de charité, éparpillé à travers la France, tisse son unité dans ce magazine.
Travailler toujours en réseau
Le comité de rédaction et moi-même nous efforçons d’aborder dans le dossier central des problématiques qui concernent tout bénévole. Nous couvrons aussi les événements internationaux et nationaux de la SSVP. Enfin, pour vous accompagner dans votre mission vincentienne, les pages spiritualité et histoire s’attachent à faire connaître le message de Frédéric Ozanam et l’histoire de la Société.
Les entités travaillent toujours en réseau avec le conseil général, les communes, les centres communaux d’action sociale, les services de l'État, la caisse régionale d’assurance maladie, les services de maintien à domicile, les associations, les hôpitaux et les professionnels de santé, etc. L’Association nationale des Coordinateurs et Directeurs de CLIC devrait bientôt s’engager dans la démarche Monalisa, mobilisation nationale contre l’isolement des âgés, dont Bertrand Ousset est aujourd’hui président. Pour en savoir plus : clic-info.personnes-agees.gouv.fr
Lors de l’Assemblée générale du 14 juin 2014, de nombreux présidents de Conseils départementaux se sont engagés à abonner systématiquement tous les bénévoles de leur département. Êtes-vous prêts à tenir votre promesse pour favoriser l’unité de la SSVP ? Ainsi, cinq fois par an, les 17 000 bénévoles de la SSVP découvriront les actions d’autres Conférences, prieront et méditeront ensemble à partir des mêmes textes, etc. Et ce, pour 13 euros seulement. Par Capucine Bataille, RC
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Service Actus juridiques et sociales
Agir avec les pauvres Oui, mais comment ? Beaucoup de bénévoles font preuve de bonne volonté pour impliquer les personnes qu’ils aident dans leurs actions. Oui, mais comment faire ? Par où commencer ? Voici une manière de faire ses premiers pas dans le « faire avec les pauvres » en 10 étapes. Le mode d'emploi idéal pour préparer en Conférence les Rencontres Nationales du Partage ! Par Pierre Bonhomme, Vincentien et responsable du chantier Pauvreté
1 Identifier des initiatives à proposer
5 Faire émerger un noyau moteur mixte
Animation au forum des associations, organisation de petits-déjeuners, repas de Noël, etc. qui pourront être le cœur de votre projet.
Pour le succès de cette démarche, il est nécessaire de s’appuyer sur des éléments moteurs qui formeront des noyaux composés des 3, 4, 6 personnes bénévoles et accueillies les plus motivées. Ils transmettront petit à petit l’élan à l’ensemble de l’équipe.
2 Solliciter des personnes accompagnées Attention : une personne qui n’a pas l’habitude que l’on compte sur elle doit être invitée délicatement à apporter sa part. Il faut aller à son rythme. On peut également faire appel à des personnes proches : paroissiens, voisins, artisans, susceptibles de prêter main-forte et de s’investir.
3 Créer un « starter » Inviter les personnes pressenties à une rencontre qui sera le point de départ de votre démarche : repas, pique-nique, sortie, etc. Favoriser ainsi les discussions dans une ambiance conviviale.
6 Bloquer les dates Dès le « starter », informer les participants sur le rythme des rencontres pour les préparatifs, donner les prochaines dates ainsi que celle de l’événement final. Rappeler à chacun qu’on compte sur lui.
7 Créer des binômes Pour ne pas mettre les personnes en situation d’échec, favoriser les binômes. La prise de parole et la vie en groupe sont souvent difficiles pour les personnes qui n’ont pas été habituées à participer. S’appuyer sur les affinités naturelles.
4 Annoncer l’objectif Lors de ce « starter », énoncer clairement l’intention de construire ensemble un projet. Citer des idées d’initiatives qui rendront plus concrète votre intention aux yeux de vos auditeurs.
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8 Confier des tâches précises Le noyau moteur devra proposer aux binômes de choisir une tâche précise. Pour le repas de Noël, il peut s’agir de la décoration, de la cuisine, d’une animation, des invitations, de l’accueil, etc. Essayer d’identifier les talents !
9 Remercier et partager Après l’événement, remercier personnellement chacun des acteurs du projet. Organiser une réunion pour relire l’action ensemble. Valoriser ce qui a été vécu ensemble. Faire la fête !
10 Relire en Conférence Faire un retour d’expérience entre bénévoles pour mettre en évidence les forces et faiblesses de cette action dans un esprit de partage et d’union. Grâce à cette relecture, les éléments sont réunis pour envisager un prochain projet.
CD du Nord : Une récollection sous le signe du Partage Le Conseil départemental de la SSVP de Lille prend une innovante et heureuse initiative. Un groupe mixte de bénévoles et de personnes aidées préparent ensemble la récollection annuelle du CD, le 22 novembre prochain. Pierre Mulliez, Vincentien à Lille, anime cette équipe-pilote. Il raconte. Propos recueillis par Capucine Bataille, RC
Pour la récollection annuelle de notre Conseil départemental, nous nous sommes inspirés de Diaconia et de son message « Servons la fraternité ». Nous avons mesuré, grâce aux personnes accompagnées par la Société de Saint-Vincent-de-Paul qui ont vécu cette démarche, que cet appel est au cœur de la spiritualité vincentienne. Ces personnes blessées sont revenues de Lourdes enthousiasmées et souhaitaient une suite. Elles ont été invitées à témoigner à l’église Dunkerque-Malo, puis à la récollection de notre CD. Françoise (voir p.15) a ensuite accepté de témoigner à la Convention nationale de la SSVP. Notre projet de récollection est né ainsi avec pour thème : « Pour vivre la fraternité, que veut-on partager, pour quoi ? » Entendre des témoignages, c’est une chose, mais faire participer les personnes accompagnées demande une autre dynamique. Comment vous y prenez-vous ?
Nous misons sur le souffle vincentien : puisque que nous partageons cette conviction de saint Vincent de Paul « les pauvres sont nos maîtres », nous devons nous mettre à leur écoute : écouter les personnes que nous accompagnons, comprendre leurs attentes et leurs besoins, y compris leur soif spirituelle, recevoir d’elles quelque chose
L'équipe mixte bénévoles-bénéficiaires a piloté avec succès son projet.
pour modifier le regard que nous portons sur elles. De ce point de vue, nous réalisons que notre démarche est très innovante, elle bouscule les pratiques habituelles ; sa mise en œuvre prend beaucoup de temps et le projet se construit progressivement, pas à pas. Heureusement, nous avons reçu un très bon accueil de la part des Conférences que nous avons rencontrées à plusieurs reprises pour leur présenter la démarche. Construit avec l’aide de deux personnes accompagnées, notre projet se présente de la façon suivante : nous souhaitons que deux ou trois Conférences — ou groupe de Conférences — préparent pour notre récollection annuelle un témoignage sur la façon de donner la parole aux personnes accompagnées, pour leur permettre d’exprimer leurs besoins afin de construire ensemble des projets. Nous souhaitons que ce témoignage s’appuie sur
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Comment est née l’idée de cette récollection avec les personnes accompagnées ?
du concret : ce qui se vit dans la Conférence, les manques, les attentes repérés par les personnes accompagnées. Les Conférences volontaires ont reçu pour objectif de mettre en place une équipe d’animation composée d’ « aidés » et d’ « aidants » pour septembre 2014.
C’est pour vous une excellente préparation aux Rencontres Nationales du Partage de Metz 2015 ?
En effet, nous expérimentons à notre petite échelle ce que seront les Rencontres Nationales du Partage. Nous le mesurons d’autant plus que nous travaillons avec Daniel Maciel, diacre dans notre diocèse, mais aussi cheville ouvrière de Diaconia et consultant de la SSVP pour Metz 2015. Ce qui est bon pour le CD 59 l’est aussi pour la SSVP et ses membres : il s’agit d’expérimenter d’autres façons de vivre l’engagement quotidien auprès des personnes qui vivent des situations de pauvreté, dans la perspective de favoriser le développement du partage et de la fraternité. Cette récollection prépare le temps promis où la parole sera donnée à tous.
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Service International
Assemblée générale internationale : bilan positif et projets exigeants
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Début juin, le Portugal a accueilli la rencontre annuelle du Comité Exécutif International de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Le bilan dressé souligne sa bonne santé et l’élargissement du réseau de charité à travers le monde. Mais cet essor est inévitablement couplé à un besoin de financements plus importants. Bilan 2013. Par Hélène Afriat, webmaster du CGI
Autour de Michael Thio, les présidents nationaux.
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e Président national, Antonio Correia, et son équipe se sont mobilisés avec dévouement pour offrir d’excellentes conditions de travail aux participants à cette rencontre. Certains membres de la SSVP ont traversé la planète : Australie, Brésil, ÉtatsUnis, Thaïlande, Zambie, Botswana. Les comptes de 2013 ont été approuvés à l’unanimité et les travaux élaborés par l’ensemble des commissions ont permis de dresser un bilan complet sur l’état de la SSVP. La Société de Saint-Vincent-de-Paul se réjouit du dynamisme de ses membres dans plusieurs zones, notamment en Inde, aux États-Unis et au Brésil. Au total, trois cent une nouvelles Conférences ont été agrégées dans le monde en 2013. De plus, la Commission Règle et statuts et des agrégations/ institutions a souligné les avancées notables
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Les cahiers
dans la mise en conformité des statuts pour plusieurs pays. Le Plan Stratégique initié par le Dr Michael Thio, Président Général International, dès le début de son mandat est suivi et régulièrement adapté. Il met l’accent sur la formation des membres et le développement du réseau de charité.
Canonisation en bonne voie Cette année, la Commission internationale d’Aide au Développement (CIAD) a financé la création d’un cybercafé au Cameroun, a organisé la collecte et l’acheminement de fournitures scolaires en faveur d’élèves démunis et a permis la construction ou la rénovation de foyers d’accueil pour personnes âgées, etc. Elle a cependant attiré l’attention sur le manque de fonds pour mener à bien sa mission. Pour l’aider à faire
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face à ce besoin cruel de financement, le Vice-Président Brian O’Reilly fait appel à la générosité des pays pour que la Commission puisse continuer son action. Elle pourra ainsi soutenir de nouveaux projets de développement dans les domaines de la formation professionnelle, de la santé, de l’agriculture ou encore de l’éducation. Le bilan de 2013 a aussi mis en lumière la nécessité de repenser le système de financement du Conseil Général International. Celui-ci dépend actuellement de la générosité des pays membres du Concordat, dont les accords ont été renouvelés pour trois ans.
Constat alarmant Quant au processus de canonisation du bienheureux Fréderic Ozanam, il est en bonne voie. Le cas d’une nouvelle guérison, survenue en 2013 au Centre médical Ozanam (Venezuela), va être soumis prochainement à la Commission de canonisation. Le Président Général, Dr Michael Thio, a finalement remercié tous les participants pour l’immense travail accompli. Mais gardons à l’esprit qu’un tiers de la population mondiale vit encore au-dessous du seuil de pauvreté. Ce constat alarmant résonne comme un immense défi pour la Société de Saint-Vincent-de-Paul qui doit sans relâche servir les pauvres et les personnes vulnérables et partager avec eux l’amour de Dieu.
Carnet de route
Trente jeunes Vincentiens partent dès l'aube pour une journée de marche intense.
Un week-end pour devenir saint en dix leçons Répondant à l’appel du Comité jeunes, une trentaine de bénévoles s’est retrouvée au Pays basque à l’Ascension 2014. Ils ont découvert ces lieux historiques et marché dans les pas de Vincent de Paul et Frédéric Ozanam. Ils ont ainsi pu retourner à la source de leur engagement vincentien, échanger sur le thème de la sainteté, tout en profitant de la mer. Par Delphine Pasteau, Vincentienne et membre du Comité jeunes - Photos : SSVP
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eudi 29 mai, il est midi. Me voici arrivée en gare de Dax, avec une trentaine d’autres jeunes. Après quatre heures de train et de lecture assidue de La sainteté pour les nuls, je suis parée ! Leçon n°1 : Pour être saint, il ne s’agit pas seulement de respecter la définition du Petit Robert : « Mener une vie irréprochable conforme à la morale et à la religion », mais de suivre le Christ. Le séjour débute par un rallye au Berceau sur les pas de saint Vincent de Paul qui nous révèle la leçon n°2 :
delphine pasteau, membre du Comité jeune
« La charité fait aller à Dieu. » Nous découvrons sa maison natale, la chapelle et le chêne pluricentenaire qui ont abrité ses premières prières. Ce chêne dans lequel se trouve une statue de la Vierge Marie — déjà présente à l’époque de Vincent — est un lieu particulier de dévotion pour nous, Vincentiens. Frédéric Ozanam lui-même en arracha une feuille et y voyait les « fondations de saint Vincent de Paul ». En fin d’après-midi, Monseigneur Gaschignard nous parle des saints, sources d’inspiration dans nos vies, à travers
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Service Carnet de route
Au sanctuaire de Buglose.
Messe en plein air.
Les Vincentiens basques savent faire la fête.
la spiritualité d’Ozanam. S’ensuit un temps d’échanges par petits groupes, sur ces modèles qui guident nos vies. Leçon n°3 : Suivre l’exemple des saints, car « Il nous enseigne qu’il est possible d’atteindre la sainteté indépendamment de l’âge, de la profession, de l’état et de l’instruction » (Benoît XVI).
Secret de vocation Lors de la soirée témoignages, des Lazaristes et des Filles de la Charité nous confient les secrets de leur vocation : l’accueil de tous, comme le Christ, est au cœur de leur mission. Eux comme nous font partie de la grande famille vincentienne. Notre pape émérite dicte notre leçon n°4 : « Être saint signifie : vivre dans la proximité de Dieu, vivre dans sa famille. »
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Les cahiers
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Vendredi, profitant du soleil matinal, notre petite troupe marche jusqu’au sanctuaire de Buglose, lieu de dévotion cher à Vincent de Paul, où un bœuf a déterré une statue de la Vierge Marie. Puis direction Bayonne, ses maisons à colombages, ses fortifications, sa cathédrale gothique. À la suite d’un temps d’enseignement et de partage sur Marie, notre premier modèle de sainteté, nous profitons de l’après-midi pour découvrir cette jolie ville, en pleine fête du chocolat. Après l’admiration, la dégustation s’impose. Leçon n°5 : « Le corps est le temple de l’esprit », il faut donc nourrir l’un et l’autre, comme nous l’enseigne saint Paul. D’ailleurs, « la gastronomie est une profession de foi », ajoute l’écrivain Paul Carvel !
« Les choses de Dieu se font peu à peu et imperceptiblement. » Enfin, nous voilà à Biarritz : ses plages, ses vagues. Avec une dizaine d’autres jeunes, je m’élance dans la mer. Comme l’écrit encore Benoît XVI, leçon n°6 : « Suivre le Christ, cela implique toujours le courage de nager à contre-courant. »
Visite du cloître de la cathédrale de Bayonne.
Rallye au Berceau de saint Vincent.
Bertrand Ousset et Dominique Robin, Vincentiens, accompagnent les jeunes à travers les ruelles.
Sur les pas d'Ozanam à Bayonne.
Après la messe, nous rencontrons les Vincentiens du Pays basque qui nous présentent leurs actions, discutent gaiement avec nous, nous font chanter, danser et goûter à toutes leurs spécialités. Qui a dit que le gâteau basque était étouffe-chrétien ? Nous repartons certes avec le ventre plein, mais surtout le cœur joyeux d’un si chaleureux accueil. Leçon n°7 : « La sainteté, c’est la joie » (Christian Bobin).
Ascension dans les montagnes Notre samedi 31 mai commence dès l’aube, par une randonnée au départ de Notre-Dame de Belloc. Leçon n°8 : Nous sommes tous appelés à la sainteté. « Une heure d’ascension dans les montagnes fait d’un gredin et d’un saint deux créatures à peu près semblables », prétend Friedrich Nietzsche ? C’est ce qu’on va voir… Cette journée de marche est l’occasion de nombreux échanges entre nous sur nos actions vincentiennes et sur ce qu’est la sainteté pour chacun. Nous essayons de voir la place des saints dans nos activités : certains se laissent guider par l’esprit toujours positif de Jean-Paul II, d’autres trouvent en Thérèse de Lisieux la joie dans les petites choses, d’autres encore voient en François d’Assise un modèle de pauvreté dans le Christ.
Les Vêpres avec les sœurs bénédictines d’Urt achèvent cette journée sportive. Leçon n°9 : Prier régulièrement est essentiel. Or, épuisée, je m’assoupis en me demandant si je pourrais un jour devenir sainte… Mais Thérèse de Lisieux me souffle la leçon n°10 : Laisser Dieu agir en nous. « Pour progresser dans la sainteté, je ne dois pas m’appuyer sur mes forces, mais mettre toute ma confiance dans l’action de Dieu en moi », car « quand je suis faible c’est alors que je suis fort », ajoute saint Paul. Rassurée, je me rendors comme un bienheureux. À 21 h, soirée jeux ! Quizz, jeux des symboles et de fléchettes, time’s up nous font découvrir ou redécouvrir des saints célèbres comme Antoine et Blandine mais aussi des moins connus, tels saint Bal et saint Bol si Saint Pathique. Dimanche 1er juin, après une ultime messe, c'est le temps du retour. Je garde dans mon cœur les sourires, les regards, les échanges, les prières, les moments partagés, toutes ses petites choses qui enrichissent ma vie de chrétien. «Les choses de Dieu se font peu à peu et imperceptiblement », nous livre Vincent de Paul. Et si ce week-end n’est qu’un petit pas sur mon chemin de sainteté, sur les conseils d'Ozanam, « je m’efforce de m’abandonner avec amour à la volonté de Dieu » pour continuer à avancer.
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Spiritualité Réflexion
Les pauvres : un fardeau ou une ressource ? « J’avoue que c’est là mon poids et ma douleur 1 » : ainsi osait s’exprimer saint Vincent de Paul à propos des situations de pauvres de tous horizons. Malgré les difficultés, il les a servis sans se décourager moyennant leur participation. Au-delà de l’assistance et du « faire pour », nous sommes invités à reconsidérer toute personne ou tout groupe en situation de pauvreté ou de misère pour oser « faire avec » et « à partir » d’eux. Par Jérôme Delsinne, cm.
«I
l y avait dans une ville un juge qui ne respectait pas Dieu et se moquait des hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rendsmoi justice contre mon adversaire.” Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Je ne respecte pas Dieu, et je me moque des hommes, mais cette femme commence à m’ennuyer : je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse me casser la tête”. » (Lc 18, 1-8)
Le choc ressenti
Jérôme Delsinne, cm. conseiller spirituel national de la SSVP
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Les cahiers
La parabole du juge et de la veuve que Jésus nous confie peut être entendue comme un appel à la persévérance. La veuve demande justice à un juge peu scrupuleux qui finalement cèdera à cause de la persévérance de la veuve. On ne sait d’ailleurs si cette veuve a effectivement gagné son procès. Ainsi, si un juge injuste cède devant la persévérance inattendue, combien plus Dieu, qui aime la justice, jugera-t-il, et même avec empressement, surtout si l’on crie vers lui. Nous pouvons donc faire l’éloge de la persévérance des pauvres qui « viennent sans cesse nous casser la tête » et, dans un lien rapide, magnifier aussi la persévérance du père Joseph Wresinski. Il n’a pas mesuré son temps, ses cris, ses colères, « jour et nuit », pour que les plus miséreux soient entendus, que les plus pauvres trouvent leur dignité. Lorsque, le 14 juillet 1956, Joseph Wresinski rejoint les
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252 familles rassemblées dans le camp des sans-logis, à Noisy-le-Grand, le choc ressenti lui fait dire : « Ce jour-là, je suis entré dans le malheur […]. J’ai été hanté par l’idée que jamais ces familles ne sortiraient de la misère aussi longtemps qu’elles ne seraient pas accueillies dans leur ensemble, en tant que peuple […]. Je me suis promis que si je restais, je ferais en sorte que ces familles puissent gravir les marches du Vatican, de l’Élysée, de l’ONU...2 » Ce jourlà, le père Joseph a pris l’engagement de la persévérance, comme il avait pris l’engagement pour Jésus-Christ qu’il a suivi, dit-il un jour, « parce qu’Il était têtu pour les pauvres ». Cette même persévérance, nous pourrions aussi l’admirer chez tous ceux qui luttent et agissent pour que notre monde vive un peu moins dans la misère, sorte de la pauvreté 3. Depuis que le Christ, Bon Samaritain, a remis ce monde blessé à l’aubergiste, il a fallu beaucoup de persévérance à tous les « aubergistes » de la terre. La population mondiale, nous le savons, est aujourd’hui de 7,2 milliards d’êtres humains. Or, selon le rapport du Fonds international de développement agricole (FIDA) de 2011, 1,4 milliard de personnes vivent dans l’extrême pauvreté (définie à 0,90 euro ou 1 dollar par jour). En France, on estime qu’un tiers des Français ont déjà vécu une situation de pauvreté. Mais le père Joseph nous invite toujours à regarder vers plus pauvres que nous. Membre du Conseil économique et social
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Pour Benoît XVI, il est inacceptable que perdurent des situations de misère déshumanisante.
de la République française à partir de 1979, il rédigera un rapport aux répercussions sociales et politiques importantes à travers l’Europe et dans le monde.
La misère est violation Ce rapport intitulé Grande pauvreté et précarité économique et sociale est adopté le 11 février 1987. Pour la première fois, le peuple du Quart-Monde s’exprime officiellement par la voix de l’un des siens. Le rapport reconnaît la misère comme une violation des droits de l’homme. Il est proclamé qu’il n’est pas possible de supprimer la grande pauvreté sans associer d’emblée les plus pauvres comme partenaires. Si les pays plus riches peuvent et doivent aider les plus pauvres, surtout en temps de crise économique mondiale, il est urgent de nous unir pour un monde sans misère, car il est inacceptable que, selon Benoît XVI, demeurent « des situations permanentes de misère déshumanisante » ainsi que « le scandale de disparités criantes 4 ». Où que nous soyons, qui que nous soyons, quels que soient nos engagements
avec les mouvements caritatifs confessionnels ou non, dans l’engagement politique ou associatif, dans l’entreprise, dans le bénévolat ou le volontariat, l’urgence est de prendre soin des plus pauvres ; bien plus, de s’associer avec les pauvres.
«L’urgence est de prendre soin des plus pauvres ; mais bien plus encore, de s’associer avec les pauvres. » Le cardinal Turkson, président du Conseil pontifical « Justice et Paix », le rappelait en ces termes : « La personne humaine doit être au centre de la recherche pour le développement et ne doit pas être vue comme un poids, mais comme une partie active de la solution. » Benoît XVI ajoutera : « Les pauvres ne sont pas à considérer comme un fardeau, mais au contraire comme une ressource, même du point de vue strictement économique » (CiV 35). Si nous avons été capables de sauver
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Spiritualité
© ATD Quart Monde
Pour Joseph Wresinski, fondateur d'ATD Quart Monde, il est impossible de supprimer la pauvreté sans associer les pauvres.
des grandes institutions financières, pourquoi cette incapacité quand il s’agit du développement des peuples de la terre, quand il s’agit de la faim, de la pauvreté ? Certes, le rappelle le P. Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège : « L’entreprise est cyclopéenne et appelle à la collaboration non seulement des gouvernements, mais de toutes les forces actives de la société, dans le monde développé comme dans le monde en voie de développement. »
Une puissante ressource Pour sa part, l’Église s’engage à la lumière de sa perspective spirituelle et morale. Elle est peut-être, selon Francine de la Gorce, « la seule communauté humaine qui se refonde sans cesse sur le plus rejeté ». Elle s’appuie aussi sur des principes fondamentaux, que l’encyclique Caritas in Veritate a rappelés, en commençant par une vision transcendante de la personne, « premier capital à sauvegarder et à valoriser » (CiV 25). Paul VI le proclamait déjà en 1967 dans l’encyclique Populorum Progressio.
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L’Église offre ainsi au monde « ce qu’elle possède en propre : une vision globale de l’homme et de l’humanité » (CiV 18). Mais d’autres valeurs sont soulignées par l’encyclique : la justice, le sens du bien commun, la subsidiarité, la solidarité, la réciprocité, l’honnêteté, la responsabilité, un sens de la gratuité et surtout l’espérance. « L’espérance chrétienne est une puissante ressource sociale au service du développement humain intégral » (CiV 34). Si, comme le reconnaît Benoît XVI, « l’Église n’a pas de solutions techniques à offrir et ne prétend aucunement s’immiscer dans la politique des États » (CiV 9), « elle a toutefois une mission de vérité à remplir, en tout temps et en toutes circonstances, en faveur d’une société à la mesure de l’homme, de sa dignité et de sa vocation. […] Sans la perspective d’une vie éternelle, le progrès humain demeure en ce monde privé de souffle. […] Il risque de se réduire à la seule croissance de l’avoir » (CiV 11). Cette vision peut alors produire une persévérance essentielle dans de multiples domaines et favoriser de nouvelles et audacieuses associations. 1. Louis Abelly, La vie du véritable serviteur de Dieu Vincent de Paul, 1664, Liv. II, Ch. IX, p. 91. 2. Joseph Wresinski, Dans nos murs le défi du Quart Monde, Preuves, 3e trimestre 1973, p. 18. 3. Un confrère argentin Pedro Opeka cm en mission à Madagascar, d’une décharge, a construit une cité avec les personnes qui y survivaient. Un bel exemple du « faire avec ». 4. Benoît XVI, Caritas in Veritate. Sur le développement humain intégral dans la charité et la vérité, lettre encyclique du 29 juin 2009, § 21.
Extrait « À Dieu ne plaise que je veuille glorifier ici nos Conférences, qui attachent le plus grand prix à rester […] non pas cachées, mais humbles ! Si je parle ainsi, Dieu et notre saint patron me le pardonneront, car c’est pour fortifier les faibles. Que ceux-ci ne craignent donc pas de venir parmi nous ; ils y trouveront assez de frères pour que leur timidité se rassure, assez d’exemples de charité pour éveiller en eux la plus noble émulation. Ils y trouveront l’amitié chrétienne et cette affectueuse fraternité qui ne leur laisseront d’autre regret que celui de les avoir connues si tard. » Bienheureux Frédéric Ozanam, Discours prononcé à la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul, Livourne, séance du 1er mai 1853
Rencontre
Le Pont pour partager la foi
avec les personnes pauvres ou exclues Le réseau Saint-Laurent regroupe les associations qui partagent un chemin de foi avec et à partir des personnes pauvres ou exclues. Le Pont, perché sur la butte Montmartre à Paris, en est membre. Au pied du Sacré-Cœur est née cette association familiale, où bénévoles et personnes fragiles s’entraident, dînent et se cultivent ensemble. Par Benoît Pesme, responsable de l’animation et de la formation
© DR
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rigitte ne sait pas comment coucher avec plaisir. Pendant l’année, sur le papier les mots qu’elle a dans Brigitte est assidue aux activila tête. Elle n’a jamais appris à écrire. Elle tés du groupe dans le local de ne connaît que le mode phonétique, alors, l’avenue de Clichy. « Au Pont, encouragée par ses amis du Pont, elle s’est c’est atelier biblique le lundi lancée avec le concours de Marie-Jeanne, soir, dessin le mercredi et couqui lui prête sa plume. Elle transcrit un à un ture le vendredi. Avec la couses textes pour les mettre en forme et bien- ture, on apprend à remettre tôt, accompagnés des dessins de Magela nos vêtements au goût du et Antoine, ils seront publiés. Le stylo de jour », explique-t-elle. Marie-Jeanne est un beau symbole pour dire ce qu’est « Le Pont », une des associa- Et la foi ? Comme Brigitte, tions du réseau Saint-Laurent dont Brigitte Et la foi ? « Ici c’est très ouvert : les personnes pauvres ont souvent une foi est membre. « Ma vie est pleine de trous. il y a des chrétiens, des musulextraordinaire. Au Pont j’ai été accueillie et on m’a écou- mans, des hindous même. tée, dit-elle. Moi qui n’ai jamais connu de Ceux qui ne sont pas intéressés famille, j’ai trouvé la mienne ici. J’ai appris par l’atelier biblique n’y vont pas. » Le Pont rencontres locales, régionales ou nationales vit cette vocation du comme à Nevers et Lourdes. » Second axe : à accepter les autres, à savoir vivre en groupe, Avant nous étions réseau Saint-Laurent le désir de vivre quelque chose avec les consiste à rassem- pauvres au sein des diocèses, au sein des ce qui n’est pas toujours ignorés. Maintenant, qui bler « des groupes chré- paroisses. « Les liens avec les deux paroisses facile. » il y a une volonté tiens qui partagent en de notre quartier se sont renforcés depuis En ce mois de juillet, Église un chemin de Diaconia 2013 », poursuit Richard. « Avant elle a quitté Paris. Elle de tisser des liens. foi, avec et à partir des nous étions ignorés, maintenant il y a une est avec toute l’équipe du Pont en voyage, accueillie dans une personnes vivant des situations de pauvreté volonté de tisser des liens », observe-t-il. Le ferme près de Lille. Au milieu de la corvée de et d’exclusion ». Pour Richard, responsable groupe invite à l’occasion les prêtres des haricots, on entend les poules qui s’agitent du Pont, le réseau Saint-Laurent répond à paroisses à participer à ses réunions pour dehors dans la cour. « Oui, on participe aux deux attentes. Premier axe, la vie inter-asso- favoriser les rencontres avec les membres. tâches, mais ici on se repose, on respecte ciative : « Que nous soyons liés à ATD, à la « Ces personnes n’attendent que ça : que le temps que chacun veut prendre pour SSVP ou au Secours Catholique, cela nous l’Église se rapproche d’elles ! Elles n’osent lui. On se cultive aussi en allant visiter la permet de nous retrouver ensemble avec les pas mettre les pieds à l’Église alors que sourégion. C’est les vacances ! » s’exclame-t-elle gens que nous accompagnons au cours de vent elles ont une foi extraordinaire. »
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Spiritualité Contemplation
Vitraux de la cathédrale de Bayonne
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Prières d’Action de grâce « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos »
Mt 11, 25
Seigneur, je Te rends grâce de nous avoir permis de nous retrouver. Nous T’avons loué, prié, adoré durant ces temps de partages fraternels, où on a pu, tous ensemble, apprendre à mieux se connaître sous Ton regard bienveillant, mais aussi en contemplant dans la nature les merveilles de Ta Création. Merci Père très Saint pour tant de merveilles offertes.
C’est la plus petite de toutes les semences » Mt 13, 32
Seigneur, Berger de toute humanité, je Te remercie humblement de me permettre encore cette année de pouvoir, durant la distribution alimentaire du mois d’août, accueillir toutes ces familles, ces petits-enfants en leur offrant un petit sirop, un petit gâteau et toujours un grand sourire. Merci Seigneur, je T’offre mes faiblesses, mon handicap, mon bonheur de Te rencontrer, de Te recevoir. Que Ta grâce nous vienne en aide afin que nous puissions faire germer et grandir en nous la semence de Ton Amour.
Mt 11, 30
Père très bon, merci de Ton regard d’amour. Avec Toi et tous nos amis de la Société de Saint-Vincent-dePaul, nous avons toujours la surprise, l’émerveillement de voir combien Ta main est apaisante, Ton joug léger. Merci de nous soulager, nous libérer de nos fardeaux que nous alourdissons frénétiquement sans nous en apercevoir. Merci de m’accueillir comme je suis, avec toutes mes fragilités et par Ton amour, d’en faire pour mes frères des petits talents qui Te rendent gloire pour les siècles et des siècles.
« Il leur proposa une autre parabole » Mt 13, 31
Merci Seigneur de m’avoir proposé ce temps de ressourcement. Merci de Ton infinie délicatesse : jusqu’au dernier moment, je ne savais pas si j’allais venir, Tu ne m’as pas bousculé. Tu as attendu avec patience que je franchisse la porte. Merci Seigneur Jésus, Fils du Très-haut, de toujours venir dans mon histoire avec autant de poésie, de tendresse et d’amour. Extraits de la prière corédigée par les bénévoles et les bénéficiaires de la Conférence Saint-Denis de Pantin (93), lors de leur retraite commune à Vauhallan les 26-27 juillet 2014.
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© SSVP
« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange »
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Spiritualité Prier en Conférence Par Jean-Claude Peteytas, diacre et Vincentien
Les deux pages ci-contre ont pour vocation d’accompagner les bénévoles vincentiens dans leur temps de prière. Elles proposent des éclairages et des méditations sur la charité et la vie chrétienne.
L
a main tendue, à la porte de l’église : voilà la place accordée aux pauvres dans nos paroisses. Sommes-nous prêts à leur donner celle qui leur revient, celle d’un membre à part entière de notre communauté ? Les pauvres ont une place à prendre dans les liturgies, les fêtes, comme acteurs de l’Église. « Frères, nous dit saint Paul, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance […] ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est rien, voilà ce que Dieu a choisi. » L’Écriture Sainte fait la part belle aux pauvres, ces préférés de Dieu. Mais concrètement comment sont-ils accueillis dans nos communautés ? Sans doute, nous essayons de répondre à leurs besoins, à leur misère matérielle. Et cela n’est pas toujours ni simple ni facile. Mais sommes-nous convaincus que « les pauvres sont nos Maîtres », pouvant aussi nous enrichir par leur propre commentaire des paroles de l’Évangile du Christ ?
Se faire écoute Souvent, nous pensons être des personnes qui évangélisent en visitant les pauvres. Sans doute cela est vrai. Mais acceptons-nous d’être évangélisés nous-mêmes ? La personne pauvre, malade, âgée ou jeune, isolée, savonsnous l’écouter et aussi nous enrichir de son
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vécu, de ses expériences, de sa façon de percevoir le Christ, de sa foi, de ses commentaires de la Parole du Christ ? Savons-nous que les personnes les plus fragiles peuvent nous faire écouter autrement la Parole de Dieu ? C’est bien ce qu’avait compris Madeleine Delbrêl, voyant vivre le Christ dans son Incarnation en tous « ces gens des rues, ces gens ordinaires », comme elle disait, qui vivent selon l’Évangile de saint Mathieu : « Quand estce Seigneur, que nous t’avons visité, donné à manger et à boire […] » (Mt 25, 37).
Oser inventer La personne fragilisée par la vie, le pauvre, le vulnérable est d’abord un fils de Dieu. Ne le laissons pas à l’écart de la communauté ecclésiale. Comme nous y encourage saint Jacques, ne nous arrêtons pas à l’aspect de ses vêtements : lui aussi a un cœur, un esprit et un bon sens qu’éclairent une ou plusieurs expériences de vie douloureuses. Il faut oser faire avec les pauvres, avec les personnes âgées, partager avec eux la Parole de Dieu. Les personnes les plus fragiles nous donnent d’écouter autrement la Parole de Dieu. Ils convertissent notre regard. Comment faire pour les impliquer ? Le premier pas est de les inviter à partager la Parole et de les écouter. Je citerai l’exemple de ces quatre voisins âgés qui restaient chez eux, ayant des difficultés pour se déplacer et ne
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Partager la Parole avec les pauvres
pouvant aller à la messe, trop éloignée de leur domicile. Au lieu de faire du porte-à-porte pour leur donner la Sainte Communion, le diacre les a invités à se retrouver chez le moins valide d’entre eux. Ainsi se déroule régulièrement un temps de prière et de partage sur l’Évangile du dimanche. La solitude des personnes a été vaincue. Je pense aussi à ce couple de personnes démunies qui quête chaque dimanche à la porte de la cathédrale. Quelques paroissiens ont décidé d’échanger et de dialoguer avec eux. Peu à peu, ils ont accordé leur confiance et répondu à l’invitation qui leur était faite : partager la Parole de Dieu dans un petit groupe constitué de paroissiens. Oui, chacun de nous peut permettre au pauvre, au plus petit, de trouver sa place dans nos communautés chrétiennes. Une main tendue, une parole échangée, mille petits gestes de charité peuvent ouvrir les cœurs. Le pape François nous y appelle. Vivons la parole de saint Vincent de Paul que notre Amour soit « inventif à l’infini ».
Parole de Dieu par Juliette Asta, Vincentienne et membre du CA
Préparer ensemble le Royaume
«N
e dis pas, quand tu as de quoi donner : “Va-t’en, tu reviendras, je donnerai demain”. »
Pr 3, 27-34
L
’Église incite les chrétiens au partage et à l’accueil bienveillant du plus fragile. À la question posée par le légiste à Jésus — « qui est mon prochain ? » — la réponse est claire : « Qui s’est montré le prochain de l’homme blessé ? » (Lc 10, 29-37). C’est le Samaritain, l’étranger, qui montre de la compassion, qui prend soin du blessé jusqu’à la guérison. Nous sommes donc appelés à vivre la charité, à prendre soin, à aider l’autre à vivre debout. La démarche Diaconia 2013 nous a rappelé que l’Église a une vocation de fraternité, ce dont saint Vincent et Frédéric Ozanam ont témoigné toute leur vie. Nous vivons déjà cette fraternité au sein de nos Conférences.
«T
rès bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de Ton Seigneur. » Mt 25, 14-30
«L
’homme de la parabole représente le Christ lui-même, les serviteurs sont les disciples et les talents sont les dons que Jésus leur confie », a expliqué Benoît XVI, lors de l’Angélus du 16 novembre 2008. En tant qu’enfants de Dieu, les talents que l’on doit faire fructifier et partager représentent une image de tous les dons reçus de Dieu : biens matériels, intelligence, temps libre, etc. Ainsi que le fait le maître vis-à-vis de ses serviteurs, il est important de reconnaître les talents des autres et de contribuer à les faire fructifier. La communauté chrétienne est invitée à créer un climat de confiance avec les plus pauvres pour permettre à chacun de partager le meilleur de ses dons. Saint Jean Chrysostome, dans ses commentaires, définit le talent comme « tout ce par quoi chacun peut contribuer à l’avantage de son frère, soit en le soutenant de son autorité, soit en l’aidant de son
Mais encore devons-nous oser la relation avec les plus démunis, pas seulement pour donner, mais aussi pour apprendre à recevoir et faire avec eux. Nous sommes invités à nouer des relations fraternelles avec les plus pauvres, à ouvrir la porte, à dresser la table. Le Seigneur Lui-même nous montre le chemin : « Dépêche-toi d’aller sur la place et dans les rues de la ville ; les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, amène-les ici » (Lc 14, 12-24). Quelle que soit leur pauvreté, matérielle, morale ou spirituelle, il est important que les personnes fragiles soient accueillies dans nos communautés afin de vivre ensemble la préparation du Royaume. Savons-nous réellement créer des liens fraternels avec celui qui arrive ? Comment accueillons-nous celui qui maîtrise mal le français ? Sa venue est-elle une bonne nouvelle ? Prions le Seigneur afin qu’il nous donne plus d’audace pour oser de véritables relations fraternelles avec les plus pauvres.
argent, soit en l’assistant de ses conseils, soit en lui rendant tous les autres services qu’il est capable de lui rendre ». Parmi les dons reçus, il y a également les « grâces spirituelles ». Comme le Christ qui a su découvrir la foi de la femme cananéenne lui demandant d’expulser le démon de sa fille (Mt 15, 21-28), nous devons chercher à déceler chez les plus démunis la spiritualité qui les anime. Ainsi que nous l’indique le pape François dans Evangelii Gaudium, au paragraphe 200 : « L’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi ; ils ont besoin de Dieu et nous ne pouvons pas négliger de leur offrir son amitié, sa bénédiction, sa Parole, la célébration des Sacrements et la proposition d’un chemin de croissance et de maturation dans la foi. » Il rejoint l’évangéliste Marc qui invite : « Allez dans le monde entier et proclamez la bonne nouvelle à toute la création » (Mc 16, 15). Suis-je capable de reconnaître les capacités que possèdent les autres, particulièrement les plus pauvres ? Ai-je moi-même fait fructifier tous les talents reçus ? Suis-je toujours attentif à la recherche spirituelle de l’autre ? Prions le Seigneur pour que l’on sache davantage déceler les talents et la quête spirituelle des plus démunis.
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Magazine Histoire
Saint Vincent agit avec Marguerite Dominique Robin, Vincentien
Monsieur Vincent a osé mener son action en y impliquant les pauvres. Maintes fois, il s’est appuyé sur eux pour construire ses œuvres de charité et d’évangélisation des pauvres. La belle histoire de Marguerite Naseau est certainement une des plus éclairantes. Par Dominique Robin, Vincentien
Q
ui est Marguerite Naseau ? Laissons la parole à saint Vincent lui-même : « Ce n’était qu’une pauvre vachère sans instruction. […] Voyait-elle passer quelqu’un qui avait l’air de savoir lire, elle lui demandait : "Monsieur, comment faut-il prononcer ce mot-là ?" Ainsi peu à peu elle apprit à lire, puis elle instruisit d’autres filles de son village 1. »
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Les cahiers
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Elle était une pauvre paysanne de Suresnes, alors une paroisse rurale pas trop loin de Paris. C’est sur Marguerite Naseau que s’est porté le regard de saint Vincent, un regard qui a fait de cette personne quelqu'un de très important pour le monde vincentien. Pourtant ce regard n’était pas conforme aux préjugés de l’époque : Marguerite aurait
dû rester dans son néant social. D’ailleurs, en voulant s’instruire et instruire les pauvres, elle devenait l’objet de la réprobation générale de son entourage. Saint Vincent l’a bien observé : « Plus elle travaillait à l’instruction de la jeunesse, plus les villageois se moquaient d’elle et la calomniaient 1. »
Vincent de Paul, novateur Les pauvres doivent rester à leur place et il est indécent qu’ils veuillent progresser ou sortir de leur condition. C’était alors une idée tellement répandue et durable ! Alors pourquoi Monsieur Vincent, lui un homme d’Église qui a côtoyé les Gondi, une des familles les plus puissantes du royaume, s’est-il donc intéressé à Marguerite Naseau ? Il a vu immédiatement, contrairement aux villageois, qu’elle n’était pas motivée par un désir — pourtant légitime — de bouger les frontières sociales, mais qu’elle était avant tout poussée par la seule action de l’Esprit-Saint. C’est en cela que le regard de Vincent est totalement novateur : « Lorsqu’un jour Marguerite Naseau se présente pour servir les pauvres, mue par une forte inspiration du ciel, elle eut la pensée d’instruire la jeunesse 1. »
commun et inhabituel qu’il a décelé en Marguerite : « Elle résolut de s’en aller de village en village, pour enseigner la jeunesse, avec deux ou trois autres filles, qu’elle avait formées. L’une se rendait en un village, et l’autre en un autre. Chose remarquable, elle entreprit cela sans argent et sans autre provision que la Providence divine. Elle jeûna souvent des journées entières, habita des lieux où il n’y avait que des murs. Elle vaquait quelquefois jour et nuit à l’instruction, non seulement des petites filles, mais encore des grandes, et cela sans motif de vanité ou d’intérêt, sans autre dessein que celui de la gloire de Dieu, lequel pourvoyait à ses grands besoins sans qu’elle y pensât 1. » L’opinion de saint Vincent est ainsi faite : cette personne est inspirée par Dieu et c’est la providence qui la lui envoie. C’est l’élément essentiel qui a nourri le discernement de M. Vincent et l’a poussé à agir en sa faveur. Saint Vincent n’a pas eu à regretter la confiance qu’il a su accorder à Marguerite Naseau. Le temps passant, il a La mort de sœur Marguerite Naseau.
«Grâce à sa pauvreté,
Marguerite est devenue un modèle pour saintVincent.
»
© Stvincentimage
Dans un autre passage, il raconte précisément dans quelles circonstances il l’a rencontrée, à Villepreux dans l’actuel département des Yvelines : « Allant en mission à Villepreux, qui est un village à cinq ou six lieues de Paris, nous eûmes l’occasion d’y établir la Charité, c’était la seconde. […] Cette pauvre fille s’était donnée à Dieu pour instruire à sa connaissance les petits enfants de son village, et, tout en gardant les vaches, elle avait appris à lire presque toute seule, car personne ne lui avait montré. Nous allâmes faire la mission en ce lieu, et Dieu montra bientôt que cela ne lui désagréait pas. Cette bonne fille, entendant dire que l’on assistait les malades à Paris, désira les servir 1. » Aussitôt Monsieur Vincent accepte cette proposition. Sa confiance immédiate repose sur le comportement peu
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Magazine Histoire compris à quel point il était le bénéficiaire de la grâce de Dieu en la rencontrant. En effet, il a bien voulu voir en cette humble femme l’origine de la Compagnie des Filles de la Charité, c’est ce qu’il dit aux sœurs quelques années plus tard : « Dieu voulait qu’il y eût une Compagnie de filles qui fût tout exprès pour servir les malades sous ces dames 2. »
morte pour avoir fait coucher avec elle une pauvre fille malade de la peste. Atteinte de ce mal, elle dit adieu à la sœur qui était avec elle comme si elle eût prévu sa mort, et s’en alla à Saint-Louis, le cœur plein de joie et de conformité à la volonté de Dieu 1. » Dans cette rencontre avec Marguerite Naseau, saint Vincent a fait preuve d’une attitude qui n’était pas conforme aux conventions sociales de son époque, où il était bon d’admettre que chacun devait rester à son rang. Mais il se préoccupait peu du rang social ! Bien au contraire, en faisant d’une pauvre un modèle universel de vertu évangélique, il s’est conduit en novateur, parce qu’il a toujours eu pour unique souci de suivre Jésus évangélisateur des pauvres.
Marguerite, inspiratrice
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1. S.V. Conférence de juillet 1642. 2. S.V. Conférence du 13 février 1646. 3. Nom d’épouse de Louise de Marillac. 4. S.V. Conférence du 24 février 1653.
« Je ne me souviens point de l'avoir jamais abordée sans m'en sentir édifié. » Saint Vincent
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Il s’en explique lui-même dans le texte qui suit : « Vers ce temps-là, les dames de la Charité de Saint-Sauveur, parce qu’elles étaient de condition, cherchaient une fille qui voulût bien porter le pot aux malades. Cette pauvre fille venant voir Mademoiselle Le Gras 3, on lui demanda ce qu’elle savait, d’où elle était, si elle voulait bien servir les pauvres. Elle accepta volontiers. Elle vint donc à Saint-Sauveur. On lui apprit à donner des remèdes et à rendre tous les services nécessaires, et elle réussit fort bien. Voyez, mes sœurs, comme cela est arrivé. On n’y avait point pensé. C’est ainsi que commencent les œuvres de Dieu ; elles se font sans qu’on y pense. Cette pauvre fille avait été guidée dans cette voie dès son jeune âge 4. » Marguerite était une « pauvre fille », mais elle était toute donnée à Dieu. C’est ainsi qu’elle est devenue le « commencement » de la Compagnie des Filles de la Charité. « Marguerite Naseau, de Suresnes, est la première sœur qui ait eu le bonheur de montrer le chemin aux autres, tant pour enseigner les jeunes filles, que pour assister les pauvres malades, quoiqu’elle n’ait eu quasi d’autre maître ou maîtresse que Dieu. Ce n’était qu’une pauvre vachère sans instruction 1. » La voix d’une pauvre est donc devenue un élément de premier plan dans le projet de charité de Vincent de Paul. Elle est ainsi à l’origine de la Compagnie des Filles de la Charité, même si elle n’en a jamais fait partie puisqu’elle est morte, frappée par la peste en février 1633, juste avant la création de cette institution. Dans sa pauvreté, ou plutôt, grâce à sa pauvreté, Marguerite est devenue un modèle pour saint Vincent : « Elle avait une grande patience, ne murmurait jamais. Tout le monde l’aimait, pour ce qu’il n’y avait rien qui ne fût aimable en elle. Sa charité a été si grande qu’elle est
L’invité Pierre-Yves Madignier, président de l’association ATD Quart Monde depuis 2010, est convaincu de cet impératif de « faire avec » les personnes que l’on aide. Mettre un terme à la misère, c’est possible. Mais il y a, selon lui, une seule solution : s’appuyer sur les forces des personnes fragiles. Pionnière dans cette démarche, l’association milite aujourd’hui pour rendre aux plus pauvres leurs droits. Propos recueillis par Capucine Bataille, RC
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Comment avez-vous rencontré la « pauvreté » ?
À dix-neuf ans, je suis allé pour la première fois à la cité de Noisy-le-Grand, en banlieue parisienne. Cela a été un choc. J’ai vu des jeunes de mon âge dont la vie semblait inextricable. J’ai découvert une réalité sociale que j’ignorais. J’ai été confronté à l’agressivité, et moi qui venais aider, si gentiment, en tant que bénévole, je ne comprenais pas cette violence. Mais je me suis accroché. Pour les comprendre, je me suis mis à noter tout ce que les personnes pauvres me disaient. Cela a été structurant. Je n’étais pas là que pour vivre un moment de bénévolat gratifiant, mais aussi pour apprendre. Qui étais-je pour les aider ? Cette exigence d’écriture m’a obligé à me mettre à leur écoute et à apprendre d’eux, qui ils sont, ce qu’ils vivent, leurs besoins, leurs souffrances. C’est une méthode que je conseille à tous ceux qui sont en contact avec des personnes fragiles. Cela permet de mettre en mots, d’analyser, et de mettre en commun en équipes de bénévoles.
Pierre-Yves Madignier « Associer les plus pauvres comme partenaires » n°210 - septembre-octobre 2014 - Les cahiers Ozanam
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Magazine L’invité Qu’avez-vous compris de la pauvreté à leur contact ?
On peut se retrouver face à une situation de pauvreté sans comprendre ce dont il s’agit réellement. D’autant plus que les personnes qui le vivent sont tellement écrasées qu’elles sont souvent incapables d’en parler. Elles se trouvent également dans une situation de dépendance de quelqu’un à qui elles veulent plaire. Soit la personne a peur et se replie ou est agressive, soit elle va chercher à montrer son meilleur visage. Tout n’est pas dans la transparence immédiate. La vraie relation est difficile. Les personnes qui travaillent au contact des pauvres doivent apprendre toute leur vie. Il est sans cesse nécessaire de revenir vers les personnes, pour s’imprégner de ce qu’elles ont à dire et de leur réalité de vie. Le père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, était issu lui-même de la grande pauvreté. Il savait ce que cela voulait dire. Il a écrit un rapport, qu’il a remis au Conseil économique et social en 1979. Il a permis de mieux comprendre ce qu’est la grande pauvreté. Elle est un cumul de précarités : financière — c’est la plus évidente —, mais aussi, de santé, familiale, de logement, etc. Ces précarités conduisent à un enfermement dont il faut aider ceux qui en sont victimes à sortir. À ATD Quart Monde, vous partez du principe qu’il n’est pas possible de « supprimer la grande pauvreté sans associer d’emblée les plus pauvres comme partenaires ». Sur quoi repose ce postulat ?
M. Baudis, défenseur des droits, M. Lenfant, militant et Pierre-Yves Madignier.
C’est au cœur de l’expérience d’ATD Quart Monde. Pour que les personnes s’en sortent, s’appuyer sur leurs forces est indispensable. Si on se place au-dessus de la personne très pauvre, on ne lui permet pas de s’émanciper, de sortir de son enfermement. Un proverbe africain dit : « La main de celui qui donne est au-dessus de la main de celui qui reçoit. » C’est contradictoire avec l’idée de permettre aux gens de sortir de la misère que de faire les choses à leur place. On croit bien faire, mais on n’est pas dans une dynamique qui entraîne la personne à reconquérir sa dignité, à sortir de la honte de ce qu’elle vit. Souvent ces situations qui sont ce que l’on pourrait appeler des « destins sociaux » sont vécues de manière culpabilisante. C’est complètement logique : on ne peut pas faire les choses à la place des personnes quand précisément ce qui les enferme est qu’elles se sentent incapables de s’en
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Les cahiers
Ozanam - n°210 - septembre-octobre 2014
sortir seules. Il faut être là pour épauler, mais laisser la personne donner le « la », le tempo, les orientations de sa vie. Si on veut qu’une personne s’en sorte, il n’y a pas d’autres solutions que de s’appuyer sur ses forces ; et pour les trouver, se mettre à l’écoute. Comment associer les personnes que l’on aide ?
Deux principes fondamentaux : partir des personnes et parler de leur dignité. Celle-ci s’exprime par le fait qu’elles ont des droits. Quand un pauvre redresse la tête, c’est parce qu’il a le droit de le faire. Ce n’est pas parce qu’on le lui permet. Il y a la nécessité de donner aux personnes les outils pour leur rendre leur dignité. En incorporant ces droits, ils seront sur un chemin d’émancipation. Ensuite, il existe une distance entre le très pauvre et moi qui est sûrement en partie infranchissable. Mais on peut travailler à partir de cette distance ! La méthode du
«Prenez le risque de " faire avec ", sinon on finit par être là pour simplement se faire plaisir.
Conférence gouvernementale de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, en décembre 2012.
croisement des savoirs a fait ses preuves. Elle consiste en trois étapes. D’abord, on pose une problématique dont les personnes parlent entre elles, entre pairs : les personnes pauvres d’un côté, les bénévoles d’un autre. Ensuite seulement, on peut croiser les visions, les approches et co-élaborer des solutions. Quand des parents très pauvres, des enseignants et des parents solidaires réfléchissent à la question de la réussite scolaire, on obtient trois réponses différentes. Les uns tracent des projets de vie tandis que les autres vivent au jour le jour. Si on met tout le monde dans le même bocal en gommant les différences, on ne sera pas en mesure de répondre aux besoins des différents groupes. Ce genre d’exercices permet de réaliser que les visions de départ sont très différentes. Nous avons travaillé avec des juges, des policiers, des bénévoles, etc. Et cela fait
Y a-t-il des précautions à prendre quand on travaille avec les personnes que l’on aide ?
Commencez par vous poser cette question : la personne en question est-elle prête ? Attention à ne pas mettre des personnes fragiles en situation d’échec. Veillez aussi à ne pas la « déraciner » de son milieu. Restez attentif à ne pas faire souffrir les personnes. Par exemple, si l’on prépare un événement, on les met à contribution, on les écoute, etc. Mais du jour au lendemain, après le jour J, la personne retombe dans l’anonymat et ne trouve plus la même écoute. Cela peut être destructeur. Il est utile de laisser les personnes très pauvres réfléchir et parler entre pairs, et de la même manière les bénévoles avoir du temps entre eux. Pour être capable d’expliquer sa vision à d’autres, cela demande beaucoup de travail collectif préalable et il faut favoriser ces remontées par des temps où les groupes sont séparés. Autrement, il y a risque d’instrumentalisation des personnes très pauvres, de leur parole. © François Phliponeau - ATD Quart Monde
© Jean-Christophe Foureau
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réfléchir les gens et porter un regard différent sur les personnes pauvres.
Ce travail avec les personnes aidées est souvent difficile et lent. Comment ne pas décourager ?
De la persévérance ! Même si c’est effectivement parfois lourd, ne rentrez pas dans une sélection des personnes. Si Mme Machin est si difficile, c’est sûrement qu’elle porte quelque chose d’important qu’il serait bon de lui laisser dire. Prenez enfin le risque que votre aide ne soit pas accueillie ou que la personne ne vienne pas au rendezvous donné. Prenez le risque de « faire avec », sinon on finit par être là pour simplement se faire plaisir. Et rassurez-vous, le fait qu’on se confronte à des difficultés est signe qu’on est dans le vrai. Cela signifie qu’on s’approche de la réalité vécue par les personnes très pauvres. C’est faisable, et je vous assure cela vaut la peine !
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Magazine Agenda Agenda national 27-28 septembre Campagne nationale « Tendre la main » 3-4 octobre Conseil d’administration 11 octobre Journée des référents Rencontres Nationales du Partage de 2015 17-18 octobre Formation des Présidents départementaux 8 novembre Rencontre des Animateurs Régions 14-15 novembre Conseil d’administration 29-30 novembre Formation des Animateurs spirituels 5-6 décembre Formation des Présidents départementaux
Retrouvez l'agenda sur le site www.ssvp.fr
Agenda des départements Marseille (13)
Mâcon (71)
Un dimanche toutes les 6 semaines La table de Fred : repas gratuit rassemblant une soixantaine de personnes isolées
14 octobre Commémoration des 170 ans de la Conférence Sr Rosalie Rendu (Chalon-sur-Saône)
10 octobre 31 octobre 14 novembre 28 novembre Après-midi récréatif pour rompre les solitudes : jeux, lotos, action mémoire, bal
18 octobre Journée du refus de la misère : défilé avec banderoles, musique, chants et concert gratuit
15 novembre Célébration du 170e anniversaire de la SSVP par Mgr Pontier Evreux (27)
La Flèche (72)
Martinique 29 novembre Collecte de jouets dans 12 octobre les hypermarchés pour Grand concert spirituel au Grand Carbet du Parc les enfants pauvres Aimé Césaire au profit des familles défavorisées Nouvelle-Calédonie 15-16 novembre 23 novembre Collecte de denrées Déjeuner dansant alimentaires au profit au profit des familles des familles défavorisées démunies
Bravo !
De septembre à juin Soutien scolaire avec l’aide des élèves du Prytanée militaire La Roche-sur-Yon (85)
Tous les dimanches dès Un mercredi par mois le 26 octobre Après-midi récréatif pour Petit-déjeuner pour les personnes isolées : les personnes de la film, jeux et goûter rue et maraudes, en partenariat avec l’Ordre 19 octobre & de Malte 16 novembre Après-Mi’Dires pour lutter contre la solitude : Pantin (93) accueil récréatif, Des rameaux jusqu’en écoute, animations, novembre jeux de société, Tous les samedis et musique, chansons, mercredis, petit-déjeuner etc. (Pont-Audemer) pour les personnes sans-abri
x Un
grand merci à tous pour votre implication dans la campagne nationale des 27-28 septembre 2014 : « Et si contre la solitude, la pauvreté, l’isolement, c’est vous qui tendiez la main ? » Gageons que votre mobilisation attirera très bientôt de nouvelles bonnes volontés au sein de vos Conférences pour vivre ensemble la charité de proximité.
Les Cahiers Ozanam, revue de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, 120, avenue du Général Leclerc, 75014 Paris www.ssvp.fr l Directeur de la publication : Bertrand Ousset l Rédactrice en chef : Capucine Bataille l Rédacteurs : Évelyne Ahipeaud, Juliette Asta, Capucine Bataille, Bertrand Decoux, Jérôme Delsinne, Emmanuelle Duthu, Clotilde Lardoux, Benoît Pesme, Bertrand Ousset, Jean-Claude Peteytas. l Ont participé à ce numéro : Hélène Afriat, Pierre Bonhomme, Valérie Grabé, Françoise Legrand, Delphine Pasteau, Dominique Robin, Sophie Rougnon, Bénédicte de Saint-Germain, les bénéficiaires et bénévoles de la Conférence Saint-Denis de Pantin. l Service abonnements : Clotilde Lardoux, 01 42 92 08 17 l Photo de couverture : Bénédicte de Saint-Germain. l Fabrication / production : CLD, 33, avenue du Maine, 75015 Paris l Graphisme : Florence Vandermarlière. l Impression : Imprimerie de Champagne, Z.I. les Franchises, 52200 Langres l Numéro CPPAP : 310G79517 l Dépôt légal : Septembre 2014 – n°210 – 09/2014. l ISN : 1965 2917 l Abonnement 1 an, 5 numéros : 13 € l Toutes vos informations et photos sont à envoyer à la rédaction huit semaines avant la date de parution (édition sous réserve d’espace) à capucine.bataille@ssvp.fr
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