Standard n°35

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le nouveau parfum


GRAVITY DEFIER GW-A1000 Triple G Resist x Smart Access Un modèle de résistance avancée conçu selon les spécifications des pilotes. En plus de sa construction basée sur la technologie « Triple G Resist » qui résiste aux chocs, à la force centrifuge et aux vibrations, ce modèle est équipé du Smart Access, une technologie qui rend accessible simplement et rapidement les nombreuses fonctionnalités de la montre.


Résistance aux chocs, à la force centrifuge et aux vibrations Radio-pilotée Fonctionnement solaire 29 fuseaux horaires Fonction heure Zulu Thermomètre Chronomètre 1/20e de sec. Compte à rebours Fonction «Fly Back» Étanche 200 mètres


Who’s who

Atelier 5 12 rue Dupetit-Thouars F-75003 Paris T + 33 9 53 52 82 19 prenom.nom@standardmagazine.com ou redaction@standardmagazine.com

RÉDACTION EN CHEF

RÉDACTION

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Magali Aubert & Richard Gaitet

Nadia Ahmane, Timothée Barrière, Gilles Baume, Julien Blanc-Gras, Victor Branquart, Robert Calvet, Axl Cendres, Timothée Chaillou, Camille Charton, Jonathan Chauveau, Thomas Corlin, Alex D. Jestaire, Anthony Dabila, Olivia Dehez, Jean-Emmanuel Deluxe, Jessica Dufour, Sophie Dusigne, Jean-Baptiste Gendarme, Romain Genissel, Bertrand Guillot, Belange Jan, Guillaume Jan, Aurélien Lemant, Sabri Louatah, AnneSophie Meyer, Stéphanie Nègre, Milan Neumann, Aude Walker

Julien Astings

DIRECTION ARTISTIQUE

David Garchey COORDINATION MODE ET MARKETING

David Herman RESPONSABLE PHOTO

Caroline de Greef MODE

Elisabeta Tudor Consultants Olivier Mulin & Jean-Marc Rabemila

MUSIQUE

Julien Taffoureau

CARTES BLANCHES

Bertrand Burgalat, Henry Chapier, Judith Davis, Benoît Delépine, Tristan Garcia, Bruno Pieters, Bastien Vivès

CINÉMA

Alex Masson THÉÂTRE

Mélanie Alves De Sousa ART

DISTRIBUTION

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K.D. 14, rue des messageries F-75010 Paris T +33 1 42 46 02 20 F +33 1 42 46 10 08 kdpresse.com EXPORT

BEAUTÉ

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STYLISME

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Justine Allain, Chika, Mario Faundez, Jean Gen, Edem Litadier Dossou, JeanMarc Rabemila

Patricia Maincent MULTIMÉDIAS

François Grelet & Benjamin Rozovas LIVRES

François Perrin SECRÉTARIAT DE RÉDACTION

PHOTOGRAPHIE

Blaise Arnold, Nolwenn Brod, Louis Canadas, Lisa Carletta, Olivia Fremineau, Caroline de Greef, ioulex, Yannick Labrousse, ilario_magali, Barbara Marangon, Marie Planeille, Tom [ts74]

Anaïs Chourin WEB MANAGER

ILLUSTRATION

Sebastian Waack

Jean-Paul Cuir, Cédric Diomède, Amélie Fontaine, Maud Mariotti, David Stettler

ASSISTANT DE RÉDACTION

Victor Branquart RESPONSABLE ÉTUDES

Stéphane Vaz de Barros

CARACTÈRES “JACNO” P. 14, 20, 22 ET 24

Huz & Bosshard REMERCIEMENTS

Adeline Grais-Cernea, Antoine Melis, La Souris sur le gâteau, Le Motel, les studios Le Petit oiseau va sortir, l’hôtel Jules & Jim, Sébastien Pruvost, Fanny Rognone (à vie), Sébastien Rouchon

EN COUVERTURE

Photographie : Tom [ts74] Réalisation : Stéphanie Buisseret Stylisme : Mario Faundez & Arthur Laborie Modèle : Jazzmine B chez Studio KLRP Veste Alexandre Vauthier Coiffe portée en ras de cou Murmure by Spirit Bracelet Hélène Zubeldia Crédits complets page 49

Directrice de la publication Magali Aubert. Standard est édité par Faites le zéro, SARL au capital de 10 000 euros, 17 rue Godefroy Cavaignac 75011 Paris et imprimé par Imprimerie de Champagne, rue de l'Etoile de Langres, 52200 Langres. Trimestriel. CP1112K83033. N°ISSN 1636-4511. Dépôt légal à parution. Standard magazine décline toute responsabilité quant aux manuscrits et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés. ©2012 Standard. 8 — numéro 35


D.A. Michel Mallard Studio / Photo Ina Jang, photographe sélectionnée, Hyères 2011


Numéro 35

ABONNEZVOUS P. 37

Table des matières

MATIÈRE GRISE

DOSSIER CEREMONIE MATIÈRE BRUTE

MATIÈRE VIVANTE

INTERVIEWS

MODES DE VIE

CINÉMA & MODE

p. 14

Louise Chabat « Le comique, c’est jouissif. » MUSIQUE

p. 20

BREF

p. 28

Consommons pendant qu’il est encore temps ENVIRONNEMENT

Breton

p. 36

Nounou l’arracheur fou

« La limpidité dans l’effervescence. » ANTIF**DING LITTERATURE

p. 22

p. 38

/D WDUWLÁHWWH GH .DERXO

Cécile Coulon « Il faudrait tailler les pavés comme de la viande de kebab. » MODE

p. 24

Iris Van Herpen « La beauté profonde c’est quand ce que vous voyez est une création de votre esprit.» 10 — numéro 35

VOYAGE

p. 40

5pSXEOLTXH GpPRFUDWLTXH du Congo

Série de mode J’ai rien préparé p. 50 Prix Trophées surfaits p. 60 Cinéma Séance spirit avec Guy Maddin p. 62 Série de mode Le pavillon de thé p. 66 Théâtre Les codes du kabuki par Yoshi Oïda p. 82 Spiritualité La cérémonie du thé p. 86 Série de mode Les poupées russes p. 88 L’entretien qui éclaire Philippe Katerine en chamane Portfolio photo Charles Fréger p. 106 Histoire Les funérailles de Kim Jong-suk p. 112 Emploi Croque-mort p. 114 Portfolio art Florian Bézut p. 118 Politique Les Pussy Riot p. 124 Littérature ,QYHVWLWXUHV HQ ÀFWLRQV p. 130 Série de mode Podium p. 136 Ethnologie Mon mariage chez les Pygmées p. 148 Folklore Les noces de curry p. 152 Architecture Le pavillon de vodka p. 153 Accessoires Trauerkränze p. 154 Sociologie Les maîtres de cérémonie p. 158 Beauté Célébration p. 160

p. 100


25-30 MAI HRIS C / E E R H T Y T IR IRLS / D G / S IN V L E M / OFT P S E E E H L T S / / S M E O C A O L D A MF BAZZ P A H S / S IP R G H T A HTS… E IG D L / G Y E IN S K O A C E P D / N E A MOOR IE V E T S R & K IN .fnac.com MOON / ARIEL P ique.com et www

Illustration : Till Gerhard, Wächter der Natur, 2004 © ADAGP, Paris 2012

illetteson .v w w w 5 7 5 7 01 40 03


NumĂŠro 35

ABONNEZVOUS P. 37

Table des matières (suite)

MATIĂˆRE PREMIĂˆRE

MATIĂˆRE RECYCLABLE

CE QUI SORT

VIEUX GÉNIES

PAILLETTES – MODE & DESIGN

p. 164

Maki Oh,  Swag , Henrik Vibskov &DUWH EODQFKH à Bruno Pieters PLANCHES – THÉÂTRE

PAPIERS – LITTÉRATURE

p. 172

Jean-Baptiste Botul, Joe Sacco, Aline Crumb, Padgett Powell, Patrick Ourednik, Bukowski &DUWH EODQFKH Ă Tristan Garcia p. 180

Guillaume Bijl, Lili ReynaudDewar, Daniel Johnston &DUWH EODQFKH Ă Emilie Pitoiset

12 — numÊro 35

p. 188

Mass Effect 3, Darkness 2, Joe Danger, Syndicate, Alan Wake, Neverdead, Alain Chabat &DUWH EODQFKH à Bastien Vivès

p. 168

La Loge, Une Mouette, Faire le Gilles, Life and Times ĂŠpisode 2 &DUWH EODQFKH Ă Judith Davis

PALETTES – ART

PLAYERS – JEUX VIDÉO

PELLICULES – CINÉMA

p. 194

Francis Ford Coppola, Jane Eyre, Saya Zamuraï, Pour lui, Agathe Bonitzer &DUWH EODQFKH à BenoÎt DelÊpine PIXELS – IMAGES

p. 202

Laurent Sciamma PARABOLES – MÉDIAS

p. 206

5Hà HWV Luther &DUWH EODQFKH à Henry Chapier PLATINES – MUSIQUE

p. 214

Georgia Anne Muldrow, Merz, Spoek Mathambo, DĂŠcade, Graham Coxon, Sleep Party People, Alabama Shakes &DUWH EODQFKH Ă Bertrand Burgalat

CINÉMA

p. 222

Bertrand Tavernier  Madagascar, ça vaut le coup ? 


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INTERVIEW CINÉMA & MODE

Tout petit rĂ´le du Marsupilami mais pas nulle du tout, Louise Chabat parle d’Alain, de Polanski, de cafards et d’Aronofsky. Houba. Cadette d’un Nul ayant marquĂŠ les meilleures annĂŠes Canal+ et tous les trentenaires qui mangent des clapiottes depuis La CitĂŠ de la peur, Louise Chabat, 23 ans, nĂŠe gĂŠmeaux ascendant psycho-choue, n’a pas la tĂŠlĂŠ, ne lit pas les journaux mais s’ ÂŤ informe quand mĂŞme sur Fip Âť. Son ÂŤ reup Âť, rĂŠalisateur hilarant de Didier (1997) ou d’AstĂŠrix et ObĂŠlix : Mission ClĂŠopâtre (2001), acteur touchant dans Le GoĂťt des autres (Agnès Jaoui, 2001), habile scĂŠnariste (PrĂŞte-moi ta main) entretien Magali Aubert photographie Caroline de Greef stylisme Edem Litadier Dossou

Tu as une ÂŤ petite participation Âť dans Le Marsu‌ Tu te souviens de ta rĂŠplique de rĂŠgisseuse stressĂŠe ? Louise Chabat : Euh‌ non, c’Êtait il y a plus d’un an ! Et j’en avais plusieurs, mais dans le bordel de la scène, ça a ĂŠtĂŠ coupĂŠ. De toute façon, on s’est renseignĂŠ, tu joues bien. C’est gentil. Je fais pas mal de castings, ça peut varier de quatre par semaine Ă aucun pendant plusieurs mois. J’ai passĂŠ il y a trois ans celui de TĂŠlĂŠ gaucho, le prochain Michel Leclerc [voir Standard n°31], que j’aurais adorĂŠ faire, il va pouvoir le monter grâce au succès du Nom des gens [2010] et, du coup, il reprend Sara Forestier‌ Je devrais jouer dans le SUHPLHU Ă€OP GH )DEULFH Maruca (en recherche GH Ă€QDQFHPHQW HW DYHF Jean-Baptiste Maunier [Les Choristes] et Anthony Sonigo [Les Beaux gosses] dans un court-mĂŠtrage de Benjamin Cappelletti. Tu reviens de ThaĂŻlande. Tu voyages beaucoup ? Rester le moins possible Ă Paris, c’est un peu mon but dans la vie. Je suis nĂŠe ici, mais je trouve qu’il y a beaucoup de mauvaises ondes : c’est très cher, pas adaptĂŠ aux jeunes. Les gens sont fermĂŠs, agressifs. MĂŞme en ĂŠtant armĂŠe, Ă un moment, ça te gagne, donc dès que je peux, je fuis. J’Êtais Ă Bangkok, c’est facile d’y aller seule : il y a autant de gens dans les rues l’après-midi qu’à quatre heures du matin. Tout est ouvert, ils ne dorment jamais ! Dans les pays lointains, on se trouve des forces et des qualitĂŠs qu’on ne pensait pas avoir. Par exemple, il y avait des cafards de la taille de ma main sur le mur de ma chambre. A Paris, j’aurais hurlĂŠ ! LĂ -bas, je leur disais ÂŤ salut mec Âť. Tu aimes vivre la nuit ? Après le lycĂŠe, je suis devenue un oiseau de nuit pendant cinq ans. Je me couchais Ă huit heures du mat’ après avoir dansĂŠ

ÂŤ LE COMIQUE, C’EST JOUISSIF. Âť et producteur futĂŠ (La Personne aux deux personnes), lui aura transmis la fibre touche-Ă -tout. Louise se voit aussi bien ĂŠvoluer au thÊâtre qu’au cinĂŠma ou dans un one woman show, en tant que rĂŠalisatrice ou dans une comĂŠdie musicale ÂŤ aussi rĂŠussie que celle de Pef ! Âť (Monty Python’s Spamalot, 2010). Elle se cherche ? On l’a trouvĂŠe. Deux minutes Ă l’Êcran de Sur la piste du Marsupilami, elle se souvient de cette rĂŠplique amusante : ÂŤ L’expĂŠrience est un peigne que la vie te donne une fois que tu n’as plus de cheveux. Âť Louise a encore une belle tignasse.

assistant stylisme Julien Salibur coiffure StÊphane Clavier maquillage Fabrice Pinet remerciements Hôtel Jules et Jim, 11 rue des Gravilliers, Paris 3e 14 — numÊro 35


Débardeur Paul & Joe Chemisier Bel Air

numéro 33 — 15


INTERVIEW LOUISE CHABAT

Chemise Christophe Lemaire Faux col Bel Air Sweat Ricardo Dourado Manteau Jean-Charles de Castelbajac Jean Diesel

16 — numéro 35


Débardeur Paul Smith Gilet Alexander Wang Veste sans manche et pochette Christophe Lemaire Jupe Maison Martin Margiela Chaussures Acne Lunettes Diesel Gourmette et bracelet Gas Bracelets Agnès b.

numéro 33 — 17


INTERVIEW LOUISE CHABAT

Chemisier Jean-Charles de Castelbajac Veste longue Stella Forest Veste courte Christophe Lemaire Jupe Yamamoto Chaussures et foulard Paul Smith Pendentif plume et chemise poisson (au sol) Agnès b. Pendentif poisson Paul & Joe Bague Miss Bibi

LE FILM

SUR LA PISTE DU CHIHUAHUA Ambitieux mais paresseux, le journaliste vedette Dan Géraldo (Alain Chabat, dont l’habilité de jeu sert à merveille la mauvaise foi du personnage), pistonné à la télé par son père (Jacques Weber, élégant en patron protecteur), retourne à Chiquito, en Palombie, sur les lieux du premier reportage à succès de son émission V8. Depuis cette contrée imaginaire d’Amérique du Sud, Dan espère faire remonter ses audiences en interviewant le chef sauvage et peinturluré de la tribu Paya. Y parviendra-t-il ? C’était sans compter sur l’aide d’un vétérinaire (Jamel Debbouze, énergique escroc au grand cœur), l’accueil des autorités (Patrick Timsit, Lambert Wilson, complètement foufous), le génie des scientifiques (Géraldine Nakache et Fred Testot, impressionnants, surtout lui), tous lancés sur la piste d’une 18 — numéro 35

bestiole jaune à taches noires dotée d’une force prodigieuse, qui ne suffira pas à la protéger de la mégalomanie de ses poursuivants. Les lecteurs du magazine SFX trouvent que le Marsupilami – créé par Franquin en 1952 –, animé par l’équipe d’Arthur et les Minimoys, n’est pas très bien fait. Nous, les enfants, on s’en fout, on aime les jolies histoires – cette phrase paraît naïve ? Elle est à l’image de cette comédie tachetée de surprises gentillettes, mais drôles, à commencer par celle-ci : l’animal qui secoue la salle de rires n’est pas celui qu’on croit… La scène la plus marrante, on la doit à un chihuahua. — M. A. Sur la piste du Marsupilami

d’Alain Chabat, en salles.


comme une tarĂŠe, de prĂŠfĂŠrence sur du hip hop, du rockabilly ou du funk. Ça donne des journĂŠes qui n’ont aucun sens. Maintenant, il m’arrive de me coucher Ă dix heures du soir avec un livre et une bouillotte, ça me ravit. Tu as fait quoi comme ĂŠtudes ? Trois mois de fac en cinĂŠma Ă Jussieu. J’en suis partie parce que j’avais envie de jouer, mĂŞme si la philosophie du cinĂŠma est passionnante. Après, j’ai fait un stage au studio Pygmalion [structure de coaching de comĂŠdiens, frĂŠquentĂŠe par Isabelle CarrĂŠ ou MĂŠlanie Thierry] puis deux ans Ă l’Êcole Acting International [oĂš sont passĂŠs Simon Abkarian ou‌ Ingrid Chauvin], que j’avais trouvĂŠs sur Google. Le conservatoire ou des cursus longs, ça ne me disait rien, parce que j’ai aussi envie de faire autre chose. Ecrire un spectacle, rĂŠaliser un court-mĂŠtrage‌ 7X UHJDUGHV EHDXFRXS GH Ă€OPV SRXU DSSUHQGUH " Oui et j’essaie de ne pas les regarder avec ma tĂŞte. Hier, j’ai vu Le Bal des vampires de Roman Polanski [1968], tu n’as pas du tout besoin de te concentrer pour t’apercevoir que c’est dinguissime. J’ai lu sa bio il y a quatre ans [Roman, 1984], et ça a ĂŠtĂŠ le premier livre que j’ai vraiment aimĂŠ depuis Le Journal d’Anne Frank Ă l’Êcole, ça m’a complètement rĂŠveillĂŠe, ce mec a eu mille vies et il se souvient de tout ! Il raconte des anecdotes de son enfance avec une prĂŠcision hallucinante. Je le lisais Ă voix haute tellement ça fourmille de trucs gĂŠniaux. En ce moment tu lis quoi ? Kafka sur le rivage d’Haruki Murakami [2002] et Le Moi et le Ça de Freud [1923], auquel je ne comprends rien, mais c’est JpQLDO /D SV\ P¡LQWpUHVVH F¡HVW XQ RXWLO PDJQLĂ€TXH SRXU OHV rĂ´les, pour la vie personnelle‌ Genre le complexe d’Œdipe. Transition ! Comment ton père a rĂŠagi quand tu lui as dit que tu voulais devenir actrice ? Je ne lui ai pas vraiment dit, ça se voyait, tout le monde le savait depuis longtemps. Je me souviens, quand j’avais 9 ans, il tournait une pub pour EDF avec des diables en enfer et m’avait fait croire que je pourrais jouer dedans en me faisant passer un faux casting. Il te donne des conseils ? On se donne des conseils. Quand je lui parlais de mes cours de thÊâtre, il ouvrait de grands yeux. Je lui dis ÂŤ respire quand tu MRXHV ÂŞ /XL LO P¡D GLW Š PpĂ€H WRL GHV MRXUQDOLVWHV ÂŞ $K PLQFH 7X OXL DV GHPDQGp GH MRXHU GDQV OH Ă€OP " Non, c’est lui qui me l’a proposĂŠ, je n’ai plus 9 ans. Comment dirige-t-il les comĂŠdiens ? En souplesse. Il laisse faire. Il est sĂŠrieux, mais ne gueule pas. Il peut monter un peu le ton si on est retard, mais ne s’Ênerve jamais. Ce n’est pas le Dr. Jekyll, il est tel que vous le voyez Ă la tĂŠlĂŠ : assez dĂŠtente, pas rigide, pas coincĂŠ. Une fois qu’il a ce TX¡LO YHXW LO IDLW WRXMRXUV XQH SULVH j OD Ă€Q HQ GLVDQW Š allez-y, dĂŠcompensez Ă fond, faites ce que vous voulez Âť. C’est chouette, on s’Êclate, il y a des choses qui ressortent dans cette libertĂŠ, sans la pression de devoir faire bien. Darren Aronofsky dit que GH VHV Ă€OPV VRQW IDLWV GH FHV SULVHV Oj Aronofsky, c’est ton cinĂŠaste prĂŠfĂŠrĂŠ ? Oui. Avec Tim Burton. Petite, je me suis complètement idenWLĂ€pH j WRXV VHV SHUVRQQDJHV VRQ XQLYHUV PH UHVVHPEOH M¡DL l’impression d’être Ă la maison quand je revois Beetlejuice [1988]. Mais Aronofsky est le rĂŠalisateur parfait. J’ai vu Requiem for a Dream [2000] Ă 14 ans avec ma meilleure amie, et on s’Êtait promis de ne jamais prendre de drogue tellement ça nous avait retournĂŠes... Tu as tenu ta promesse ?

Joker. Black Swan > @ HVW OH Ă€OP SDUIDLW O¡KLVWRLUH OHV costumes, le jeu‌ Par contre, je n’ai pas vu The Wrestler > @ 0DLV F¡HVW 0DwZHQQ TXL IDLW OHV Ă€OPV TXH M¡DXUDLV voulu faire. Pardonnez-moi [2006], Le Bal des actrices [2009] et Polisse [2011] sont tous très psy, et ses angles me touchent. En Palombie, le pays du Marsupilami, les tribus mangent de drĂ´les de plantes qui font voir des choses bizarres‌ Je n’y ĂŠtais pas, j’ai tournĂŠ quatre jours dans des studios en Belgique. Le premier jour, je me suis couchĂŠe Ă vingt-et-une heures pour bien dormir tellement j’Êtais stressĂŠe. Le premier jour, j’Êtais angoissĂŠe, et après, je sentais que j’Êtais lĂ oĂš je devais ĂŞtre au bon moment : Ă ma place, quoi. C’Êtait compliquĂŠ parce que ce qu’on ĂŠtait censĂŠ regarder [une scène de duplex au Mexique] n’Êtait pas encore tournĂŠ. On devait rĂŠagir face Ă des ĂŠcrans noirs. C’est un bon exercice. Tu n’as pas vu le Mexique alors... Non. Mais on m’a dit que c’Êtait la jungle [Ă Vera Cruz, rĂŠgion qui avait inspirĂŠe Franquin lors d’un voyage], qu’ils ont vĂŠcu avec les quelques habitants d’un tout petit village ; que le Marsu, sur le tournage, c’Êtait une peluche ou un bâton avec une boule au bout. Sur le shooting de nos photos, tu ĂŠtais marrante. Qu’est-ce qui ÂŤ J’AI VU REQUIEM t’amuse dans la vie ? Dikkenek [Olivier Van FOR A DREAM Ă€ Hoofstadt, 2006]. Putain 14 ANS AVEC MA TXHO NLI FH Ă€OP !. Ah, MEILLEURE AMIE, François Damiens‌ Tu comptes privilĂŠgier ON S’ÉTAIT PROMIS les rĂ´les comiques ? DE NE JAMAIS Je pense que oui, parce PRENDRE DE que j’ai tournĂŠ dans un DROGUE. Âť court-mĂŠtrage un peu thriller et je me suis rendu compte que, bien que je pleure très facilement, je ne prends pas de plaisir Ă ĂŞtre dans la souffrance. Le comique, c’est jouissif. A la rentrĂŠe, tu seras dans Nous York, le prochain GĂŠraldine Nakache [7RXW FH TXL EULOOH, 2010]‌ Oui, mais j’ai un rĂ´le encore plus petit que dans le Marsu ! Une journĂŠe de tournage. Je joue une copine de LeĂŻla Bekhti restĂŠe en France alors qu’elle, elle est partie vivre Ă New York avec GĂŠraldine. L’histoire, c’est que leurs potes français viennent leur faire une surprise pour leur anniversaire. &¡HVW SOXV IDFLOH G¡rWUH GLULJpH SDU VRQ SqUH RX SDU XQH Ă€OOH de presque son âge ? Ça n’a rien Ă voir. Mon reup a une ĂŠnergie de fou, mais GĂŠraldine est un peu plus au taquet, speed, elle invente des mots toutes les deux minutes. J’Êtais terrorisĂŠe, mais j’avais quand mĂŞme l’impression que c’Êtait ma pote. Pour l’instant, je me sens sur la rĂŠserve. Timide et pas libre Ă l’image. C’est normal, je dĂŠbute. Tu as eu OphĂŠlie Winter comme belle-mère : ça groovait Ă la maison ? OK, je vais me mettre en mode huĂŽtre. — Au thÊâtre Les Zexperts

Texte et mise en scène Olivier Maille Festival d’Avignon (sous rĂŠserve) Du 7 au 28 juillet numĂŠro 35 — 19


INTERVIEW MUSIQUE

20 — numéro 35


Bricoleuse, autarcique et ultra connectĂŠe, l’utopie next gen du groupe Breton compresse trente ans de musique anglo-saxonne. Discussion surrĂŠaliste avec Roman Rappak, leader-chanteur francophile sans chapeau rond. Un bistrot près de la Bastille. Dans des baskets montantes, des guiboles tremblantes trahissent une surdose de cafĂŠine. D’un sweat Ă capuche s’Êlance une mèche brune, masquant des yeux bleus lĂŠgèrement violacĂŠs par la suractivitĂŠ. C’est Roman Rappak, sĂŠduisant cerveau de la troupe de vingtenaires multimĂŠdias qu’on appelle Breton et qui sĂŠvit depuis deux ans dans le sud de Londres. En plein bastion historique du do-it-yourself et de l’avant-garde ĂŠlectronique, près du Boiler Room (club-refuge de SBTRKT ou Thom Yorke), le quintet a transformĂŠ les locaux d’une banque abandonnĂŠe en squat-laboratoire, dont les duvets et tubes Ă essai laissent aujourd’hui filtrer Other People’s Problems, un impressionnant premier album multicouche conçu pendant les ĂŠmeutes estivales de 2011, avec la frustration banlieusarde pour carburant, contre la fuite des responsabilitĂŠs d’un monde cynique se fantasmant en sainte nitouche. Un pavĂŠ entretien Julien Taffoureau photographie Marie Planeille

toujours prĂŠtendre explorer les mĂŠandres de la crĂŠation, faire de folles associations d’idĂŠes‌ et produire des purges de vingt minutes totalement impĂŠnĂŠtrables. Nous, on voulait concilier la logique de la pop, Ă la fois très codĂŠe et instantanĂŠe, avec la libertĂŠ et le goĂťt du jeu des arts d’avant-garde. C’est aussi pour ça que la rĂŠfĂŠrence Ă Breton a du sens. A nos yeux, il incarne la limpiditĂŠ dans l’effervescence. Comme Aragon ou Eluard, il fut membre du Parti Communiste et voyait le surrĂŠalisme comme une arme rĂŠvolutionnaire. Vous vous sentez engagĂŠs ? Nous sommes le produit des rĂŠvoltes prĂŠcĂŠdentes, pas des rĂŠvolutionnaires. Pour moi, le surrĂŠalisme, c’Êtait l’invention d’un contre-champ Ă ce qui se passait politiquement, la crĂŠation d’un envers incontrĂ´lable. La seule arme qu’il nous reste aujourd’hui, c’est la culture. Ce qui nous rapproche, ce n’est plus un manifeste politique ou un journal d’opinion, PDLV GHV DOEXPV HW GHV Ă€OPV &¡HVW SRXU oD TXH M¡DLPHUDLV Ă mon niveau, dĂŠtruire les vieilles manières d’en faire et de les vĂŠhiculer. Si j’ai une rĂŠvolution Ă mener, elle est contre moi-mĂŞme, pas contre les organismes monĂŠtaires internationaux. Je PH VHQV GDYDQWDJH FDSDEOH GH PRGLĂ€HU OHV contours de la musique que ceux des gouvernements. Un de vos morceaux s’appelle quand mĂŞme Governing Correctly‌ C’est vrai. Cette chanson parle de la coĂŻncidence, Ă une ĂŠpoque, entre la situation politique et l’Êtat de mes relations avec une Ă€OOH /HV FRDOLWLRQV OHV pFKDXIIRXUpHV OHV SUREOqPHV TXL VH dĂŠplacent, les idĂŠaux qui vacillent : ces choses existent aussi au niveau intime. Et votre ÂŤ Lab Âť : une ex-banque transformĂŠe en utopie artistique ? Ce n’est pas Occupy Wall Street mais presque, non ? C’est pas mal, prĂŠsentĂŠ comme ça, mais c’est surtout un moyen de nous protĂŠger de l’extĂŠrieur, voire de nous cacher. Si c’est un exemple de protestation, il est plutĂ´t trouillard. Comment avez-vous rĂŠussi Ă taper l’incruste lĂ -dedans ? Le truc drĂ´le, c’est qu’on jouit d’un micmac juridique qui empĂŞche de vendre les lieux pour en faire des appartements. En clair, le proprio avait le choix entre nous laisser monter un projet culturel dans ses murs ou les laisser se dĂŠlabrer en spot pour junkies. Une espèce de squat Ă l’amiable, en somme, qui nous permet d’avoir un QG peuplĂŠ de fantĂ´mes de liasses de billets. PlutĂ´t cool, hein ? —

ÂŤ LA LIMPIDITÉ DANS L’EFFERVESCENCE Âť syncopĂŠ de vocalises cacophoniques auxquelles s’agglutinent dubstep flottant Ă la Jamie XX, guitares ĂŠpileptiques Ă la Bloc Party, hip hop lunaire Ă la Ghostpoet, ĂŠlectro tapageuse Ă la James Murphy ou dĂŠstructurations luxuriantes Ă la These New Puritans (Thomas Hein, ĂŠchappĂŠ de ces derniers, a activement participĂŠ aux enregistrements, tout comme le virtuose germanique Hauschka, collègue de label). Une première irruption sĂŠrieuse de la bande dans le paysage, dont le double dĂŠfi – produire une pop complexe refusant autant la bassesse mainstream que l’onanisme underground ; l’utiliser comme un cheval de Troie pour pĂŠnĂŠtrer les couloirs hermĂŠtiques de l’industrie – est bigrement relevĂŠ.

En France, le nom du groupe fait marrer. Hommage Ă AndrĂŠ Breton ? Roman Rappak : Au sein des surrĂŠalistes, c’est Ă Breton que l’on doit la lecture et la description la plus accessible du mouvement. Je ne dis pas qu’il a vulgarisĂŠ leurs ambitions, mais il a rĂŠussi Ă traduire quelque chose de compliquĂŠ en paroles ĂŠvidentes qui ont touchĂŠ des personnes comme nous, qui n’avons rien d’Êtudiants brillants. C’est notre manière d’envisager la musique. Pratiquez-vous l’Êcriture automatique ? On nous a suggĂŠrĂŠ plusieurs fois que notre façon de travailler tenait du cadavre exquis, du mĂŠlange alĂŠatoire des inspirations. C’est un compliment, mais ça nous fait un peu peur : on peut

Other People’s Problems

FatCat Live! Breton fait des collages le 3 avril Ă Paris, le 4 Ă Strasbourg, le 10 Ă Rouen, le 11 Ă Bruxelles, le 13 Ă Lyon et le 22 mai Ă La Rochelle.


INTERVIEW LITTÉRATURE

22 — numéro 35


CĂŠcile Coulon, 21 piges et trois romans, assiste ĂŠtonnĂŠe au succès de son dernier, Le Roi n’a pas sommeil, fable sans graisse sur l’Êgarement et la fatalitĂŠ. Les Ecuries de JosĂŠphine, 9e arrondissement. A moins de deux jours de courir le semi-marathon de Paris, CĂŠcile s’Êchauffe au soda en marge d›une impressionnante tournĂŠe mĂŠdiatique. Mutine, dĂŠcontractĂŠe, elle peine Ă ne pas sourire sur la photo, et nous offre un apĂŠro-causerie du genre pas vraiment guindĂŠ. entretien François Perrin photographie Barbara Marangon

Thomas Hogan, le personnage principal, sait Ă 18 ans qu’il ne quittera jamais sa ville. Est-il esclave de ses gènes ou de son patelin ? CĂŠcile Coulon : L’hĂŠrĂŠditĂŠ des lieux est importante, mĂŞme si l’ADN pourri de Thomas peut laisser penser qu’il ne pourra pas s’en sortir... Au dĂŠbut, on se dit que pour lui, ça va aller. Il a envie de se bouger, est excellent Ă l’Êcole, sa mère l’adore... 0DLV LO YD Ă€QLU SDU VH IDLUH SLpJHU DXVVL SDU OHV OLHX[ OHV WURLV poumons de la ville – la scierie, le commissariat, le Blue Budd bar – et son cĹ“ur, la propriĂŠtĂŠ familiale. L’endroit oĂš l’on grandit nous ĂŠduque et nous aspire, tout comme la famille. Quels lieux vous ont aspirĂŠe, vous ? J’ai grandi Ă cĂ´tĂŠ de Clermont-Ferrand. Ma mère vient d’une famille de paysans corrĂŠziens : les vacances Ă la campagne ont nourri un tropisme pour les villages. Votre ville imaginaire s’apparente Ă une scène de thÊâtre... Un roman est une pièce de thÊâtre. Qui rentre, qui sort, pourquoi ? La disparition du père laisse par exemple tout l’espace au Ă€OV /HV GHX[ HQVHPEOH ça aurait fait trop de types violents, qui s’Êclatent la tĂŞte, ne savent rien faire et se bourrent tous la gueule comme des malades quand ça ne va SDV /HV IrWHV Oj EDV SURGXLVHQW WRXMRXUV GHV Ă DTXHV GH VDQJ Vous ĂŠmaillez votre rĂŠcit de mĂŠtaphores animalières, pourquoi ? Une bonne image en dit plus que trois pages. Les AmĂŠricains expriment en un chapitre ce que nous, Français, dĂŠveloppons sur deux cents pages – ceux qui apprĂŠcient ça, grand bien leur fasse. Ecrire un bouquin de psychologie, je ne sais pas faire. 4XDQW j XWLOLVHU O¡DQLPDO SRXU GpĂ€QLU O¡KRPPH F¡HVW KRQQrWH HW rapide, ça rĂŠvèle quelque chose de profond, d’instinctif. Dans Le GuĂŠpard [Giuseppe Tomasi di Lampedusa, 1958], tous les personnages ont un animal rĂŠfĂŠrent : une jument, un chat, le

 IL FAUDRAIT TAILLER LES PAVÉS COMME DE LA VIANDE DE KEBAB. 

LE LIVRE

SOMMEIL DE PLOMB

guĂŠpard bien sĂťr... Vous faites aussi un parallèle ĂŠtrange entre Thomas et un tabouret... Son objet-totem. Un tabouret, ça tient sur quatre pattes, comme un animal – qu’il perde un pied et il s’effondre. Thomas suivra exactement le mĂŞme chemin. Chemin inverse de celui de son ami Paul, qui part mal et Ă€QLW SDU VH UDQJHU J’aime l’idĂŠe que le lecteur se dise, jusqu’aux dernières pages, TXH 3DXO HVW XQH HQĂ XUH XQ ORVHU XQH SHWLWH PHUGH XQ WRFDUG J’ai pris plaisir Ă le transformer en grand gagnant de l’histoire. Mais ça vaut pour tous. On me dit que la mère est gĂŠniale : elle FDFKH GHV FKRVHV j VRQ Ă€OV VH WDSH OH PpGHFLQ ² OH PpGHFLQ quoi ! –, n’aime plus son mec mais ne se barre pas... gĂŠnial, ça ? Pour votre prĂŠcĂŠdent roman [0pĂ€H] YRXV GHV HQIDQWV VDJHV, 2010], vous favorisiez dĂŠjĂ le format court. Le genre que j’apprĂŠcie le plus, c’est la nouvelle. En France, on balance des pavĂŠs qu’il s’agirait de tailler, de dĂŠgraisser comme de la viande de kebab sur une broche. Chez Maupassant, ce sont les nouvelles qui m’ont le plus marquĂŠe, comme FHOOH R XQ KRPPH GDQV XQ WUDLQ DVVRLIIp Ă€QLW SDU WpWHU OHV ĂŠnormes seins de la nourrice qui lui fait face [Idylle, dans Miss Harriet, 1883]. En trois pages, il fait rire et perturbe. Aucun auteur français contemporain ne vise la concision ? Si, aux Editions de Minuit : Tanguy Viel [Paris-Brest, 2009], Yves Ravey [Enlèvement avec rançon, 2010], Laurent Mauvignier [Ce que j’appelle oubli, 2011]... Courir, de Jean Echenoz [2008], c’est un truc de malade : rien de psychologisant, lĂ GHGDQV HW SRXUWDQW RQ HQ VRUW VRXIĂ p 6LQRQ GDQV VD SRpVLH PrĂŠvert dit un nombre incalculable de choses en un seul mot, rendant ainsi Ă ce dernier sa puissance hallucinante. Quelques pavĂŠs Ă sauver ? A l’Est d’Eden [John Steinbeck, 1952]. Il y a autant de romans que de personnages dans celui-ci. Un roman de huit cents pages qui en contient dix, ça fait dix romans de quatre-vingts pages ! C’est ce que vous visez ? J’ai conscience de mes progrès d’un livre Ă l’autre, mais espère un jour parvenir Ă ĂŠcrire un livre impossible Ă lâcher, Ă la Stephen King ou Chuck Palahniuk. Quelque chose qui te fait mĂŞme culpabiliser de l’avoir lu si vite. Aucune rĂŠserve sur le style de King ? Une bonne histoire mal racontĂŠe, ça n’existe pas. Ou alors chez des auteurs qui ĂŠcrivent plus que ce qu’ils sont capables de donner, produisant alors de la daube. Et une mauvaise histoire bien racontĂŠe... ? L’Education sentimentale [Gustave Flaubert, 1869] : il ne se passe que dalle sur cinq cents pages, et pourtant c’est gĂŠnial. —

ÂŤ Je ne peux pas parler de la France, et surtout pas de ma gĂŠnĂŠration. Je dĂŠlocalise pour ĂŞtre tranquille. Âť C’est donc dans un bled quelconque des Etats-Unis, comme dans MĂŠfiez-vous des enfants sages en 2010, que CĂŠcile Coulon installe la famille Hogan : le père, bon bougre mais mauvais buveur, bientĂ´t terrassĂŠ par la gangrène ; la mère, victime complaisante et apathique ; et Thomas, le rejeton de moins en moins chĂŠtif dont on suit la biographie contrariĂŠe, dĂŠbut prometteur mais le mur en ligne de mire... ÂŤ Un mauvais sang [roule] dans ses veines Âť, lui assurant la greffe rapide d’ un gĂŠsier Ă la place du cĹ“ur Âť, et une fin tragique en partie dĂŠvoilĂŠe dès le premier chapitre. MontĂŠe Ă la pince Ă ĂŠpiler, cathĂŠdrale d’allumettes pointant tristement les sombres consĂŠquences de l’engluement et de l’enclavement. — F. P. Le Roi n’a pas sommeil

Viviane Hamy 152 pages, 17 euros numÊro 35 — 23


INTERVIEW MODE

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Les organismes invisibles GH O¡LQĂ€QLPHQW SHWLW LQVSLUHQW la crĂŠatrice nĂŠerlandaise Iris Van Herpen, Ă qui l’on souhaite un long règne‌ animal ou pas. entretien Magali Aubert photographie ioulex remerciements Amandine Chalony et Jessica Dufour

Depuis 2007, les chrysalides futuristes, les dĂŠcoctions plissĂŠes et les envols en fines dĂŠcoupes des robes d’Iris plaisent Ă ses clientes BjĂśrk, Lady Gaga ou Beth Ditto. A 28 ans, elle vient d’intĂŠgrer la Chambre syndicale de la haute couture parisienne et remporte, avec sa troisième collection Micro, un succès macro.

MalgrĂŠ la douce fragilitĂŠ de vos robes, les carrures sont très ÂŤ ĂŠpaulĂŠes Âť et les pourtours piquants. La FĂŠdĂŠration française de la couture compte peu de femmes, doivent-elles plus se dĂŠfendre que les hommes ? Iris Van Herpen : Probablement, oui. C’est peut-ĂŞtre dĂŠmodĂŠ, mais c’est un fait : la plupart des crĂŠateurs des grandes maisons sont des hommes. C’est plus ĂŠquilibrĂŠ chez les stylistes photo ou les mannequins, donc je suis sĂťre que bientĂ´t, le fossĂŠ va se combler. Cela a-t-il ĂŠtĂŠ facile de convaincre ce ÂŤ LA BEAUTÉ PROFONDE, milieu conventionnel avec une vision si C’EST QUAND CE QUE expĂŠrimentale ? VOUS VOYEZ EST EN C’est toujours un challenge de convaincre PARTIE UNE CRÉATION quiconque, Ă partir du DE VOTRE ESPRIT. Âť moment oĂš l’on sort de la norme. Mais je vois que l’artisanat, les nouvelles techniques et les matĂŠriaux de mon approche, qui ne se limite pas aux vĂŞtements, ont ĂŠtĂŠ très bien reçus. Quelles ont ĂŠtĂŠ les rĂŠactions ? On me dit parfois que mes robes sont effrayantes. Comment cela est-il possible ? C’est en tout cas très ĂŠloignĂŠ du message TXH MH YHX[ IDLUH SDVVHU 0HV FUpDWLRQV VRQW OH UHĂ HW GH PRL PrPH PDLV FH TXH YRXV YR\H] HVW OH UHĂ HW GH YRXV PrPH J’apprends Ă me connaĂŽtre, c’est la mĂŞme chose pour vous, qui projetez sur la robe ce qui vous effraie. La beautĂŠ profonde, c’est quand ce que vous voyez est en partie une crĂŠation de

votre esprit. Vous collaborez avec des architectes [son compatriote Rem Koolhaas et ses chaussures United Nude], des artistes [l’AmĂŠricain Kris Kuksi, maĂŽtre du rococo post-industriel. &RPPHQW LQĂ XHQFHQW LOV YRWUH SHUFHSWLRQ GH OD PRGH " Les collaborations me font sortir de ma bulle. Avancer plus vite. M’ouvrir Ă des perspectives plus larges. Et l’Ênergie des autres rend les choses plus excitantes ! Vous avez prĂŠsentĂŠ vingt-huit expositions Ă travers le monde. Jusqu’oĂš mĂŞlez-vous l’art et la mode ? Je ne vois pas cela comme un mĂŠlange. ConsidĂŠrez la mode comme un art et vous n’aurez plus Ă les rapprocher. En revanche, il y a une diffĂŠrence entre les vĂŞtements et la mode. Aujourd’hui, n’importe quel morceau de coton reliĂŠ par deux coutures est appelĂŠ ÂŤ mode Âť, ce mot a perdu de sa valeur. Vous peut vous inspirez aussi de la science, des insectes‌ Je trouve fascinant de visualiser la rĂŠalitĂŠ invisible Ă l’œil nu. En effectuant des recherches sur les micro-organismes, je suis tombĂŠe sur le photographe allemand Steve Gschmeissner, qui utilise un SEM [Scanning Electron Microscope, microscope ĂŠlectronique Ă balayage] grossissant plus d’un million de fois. Pouvez-vous imaginer Ă quel point ces crĂŠatures sont minuscules ? C’est l’incroyable de pouvoir faire ressortir la beautĂŠ de ce monde parallèle, qui nous entoure et ĂŠvolue mĂŞme Ă l’intĂŠrieur de nous. Nous savons très peu de choses Ă leur sujet, et surtout : combien de spĂŠcimens sont encore inconnus ? Ça peut vous inspirer toute votre vie ! Oui. La relation nature / science est passionnante, c’est l’amour et la haine. Je me demande s’il est possible que nous trouvions un jour un juste ĂŠquilibre de sorte qu’elles se complètent sans se nuire. Je suis Ă la recherche de cette balance parfaite. Quelles matières aimez-vous travailler ? J’ai commencĂŠ avec le cuir. Il est mallĂŠable mais fort. J’aime OD VHQVDWLRQ VRXSOH HW Ă H[LEOH TX¡LO SURFXUH VRQ RGHXU HW VRQ caractère inattendu. Chaque morceau est diffĂŠrent, beaucoup moins prĂŠvisible que le tissu. J’ai aussi utilisĂŠ des baleines de SDUDSOXLH GHV Ă€OV GH EDWHDX[ LQGXVWULHOV GHV FKDvQHV PpWDOliques, des Ĺ“illets, de la gaze mĂŠtallique tissĂŠe, des polyamides, du verre, de la soie mĂŠtallique, des cuirs fumĂŠs, des chaĂŽnes de PRWHXU GX 0DJLĂ H[ÂŤ VpOHFWLRQQpV SRXU OHXU EHDXWp SURSUH HW numĂŠro 35 — 25


INTERVIEW

LES COLLECTIONS La première collection d’Iris Van Herpen, Fragile Futurity, avait transformé la femme en insecte géant. Ce n’était pas ce qu’on appelle un thème, mais l’entrée en matière d’une créatrice dans un univers micro-biologique que les collections suivantes – Crystallization, Radiaton Invasion, Capriole – auront approfondi. Alliant des techniques oubliées de l’artisanat et les technologies de pointe, l’esbroufe couture de la nature minuscule est observée au plus près de sa grandeur. —

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De gauche à droite Fragile Futurity SS2007 Capriole FW2011 Micro SS2012

© Yannis Vlamos

IRIS VAN HERPEN


parce que je ne les avais jamais travaillĂŠs. J’obtiens des rĂŠsultats imprĂŠvisibles. La beautĂŠ d’un matĂŠriau doit me surprendre, puis j’essaie d’aller encore plus loin, jusqu’à satisfaction. J’ai fait appel Ă l’artiste [nĂŠerlandais] Bart Hess pour crĂŠer de nouYHOOHV PDWLqUHV 8QH LQĂ€QLWp GH SRVVLELOLWpV V¡RIIUHQW DORUVÂŤ En ce moment, avez-vous une problĂŠmatique technique Ă rĂŠgler Ă l’atelier ? Oui, je suis en train de fabriquer une robe d’eau. Certains petits ĂŞtres vivants sont très proches de la matière. Cela pousse ma UpĂ H[LRQ YHUV FHW LQVWDQW R O¡LQDQLPp GHYLHQW YLYDQW HW LQYHUsement. &RPPHQW SDUYHQH] YRXV j Ă€QDQFHU GHV WHFKQRORJLHV DXVVL innovantes ? Je paie la plupart des frais par la vente et mes projets annexes, PDLV EHDXFRXS G¡HQWUHSULVHV DLGHQW DX Ă€QDQFHPHQW GH OD UHcherche. Par exemple, l’impression 3D est en partie prise en charge par la sociĂŠtĂŠ Materialise, qui dĂŠveloppe ce procĂŠdĂŠ. Vous ĂŞtes la première, en haute couture, Ă utiliser la stĂŠrĂŠolithographie, qui fabrique des objets solides Ă partir d’un modèle numĂŠrique. L’impression 3D sera-elle la machine Ă coudre de demain ? Au stade actuel, cela me semble loin, mais c’est possible. Cela dĂŠpendra des amĂŠliorations de cette technique. Vous devez ĂŞtre contente de succĂŠder Ă Azzedine AlaĂŻa au

Groninger Museum‌ Oui. J’y prĂŠsente une sĂŠlection chronologique de mes meilleurs looks, et un best of de mes trois dernières collections haute couture, Evasion, Capriole et Micro, dans une galerie de photos et d’installations dont le concept est corĂŠalisĂŠ par Bart Hess. Y a-t-il un nom Ă barrer parmi les gens auxquels on pense face Ă vos pièces : David Cronenberg – H.P. Lovecraft – Hussein Chalayan ? Le seul Ă garder est Chalayan, il est l’auteur d’une Ĺ“uvre très contrastĂŠe beaucoup plus large que la mode elle-mĂŞme ; on y trouve de l’histoire, de la science, de la philosophie et de la haute technologie. Je ne connais pas bien David CroQHQEHUJ OHV Ă€OPV YLROHQWV QH P¡LQWpUHVVHQW SDV -¡DLPH OD beautĂŠ sombre, mais pas la destruction, la douleur ou les esprits nĂŠgatifs. Lovecraft, pareil, je suis trop hippie pour cela. — Exposition Iris Van Herpen

Groninger Museum, Pays-Bas, jusqu’au 23 septembre Livre Iris Van Herpen

PÊface de Jean-Paul Cauvin (BAi Publishers) numÊro 35 — 27


MODES DE VIE BREF

Un soin Il n’Êtait pas de coutume que votre cher conjoint immortalise sa prĂŠsence dans la salle de bains, mais avec le lancement de la première ligne de cosmĂŠtique pour homme Agnès b., c’est foutu. Le gel effet bonne mine progressif, il y croit. Ce concentrĂŠ HQ DJHQWV pQHUJLVDQWV JXDUDQD JLQJHPEUH JLQVHQJ OXL RIIUH OH mĂŞme rĂŞve que votre crème teintĂŠe pour peau jeune de chez JeVXLV XQH Ă€OOH (OOH WRQLĂ€H VRQ pSLGHUPH HW JRPPH WRXWH WUDFH de fatigue, vous ne pouvez pas lui en vouloir ! (21,90 le tube GH PO J. D. agnesb.com

1 55 â‚Ź PRIX STANDARD

Un t-shirt

sĂŠlection Jean-Marc Rabemila textes Magali Aubert, Jean-Emmanuel Deluxe, Jessica Dugour, AnneSophie Meyer et Elisabeta Tudor

On aime le sport (oui, transpirer sans but apparent, certaines personnes aiment oD HW OD PDUTXH GH VSRUWVZHDU IUDQFR suĂŠdoise Ron Dorff, qui depuis 2009 assène son leitmotiv ÂŤ Discipline is not a dirty word Âť. L’Êdition limitĂŠe Serious sportswear for men est une sĂŠrie de trois t-shirts (Marathon Man, Working Man et Roller Man SXU FRWRQ MHUVH\ $OOH] hop hop hop, on inspire, on expire‌ (ProposĂŠs en blanc, gris chinĂŠ, bleu, URXJH HW MDXQH J. D. rondorff.com

Un disque

Nicolas Theil travaille en forĂŞt et n’est pas bĂťcheron. Il invente des bijoux aux noms naturels comme Tronc ou Petite ĂŠcorce. Et, en forestier de prĂŠcision (il a bossĂŠ, pour l’accessoire, chez Jean Paul Gaultier et 7KLHUU\ 0XJOHU LO UHF\FOH les chutes de ses pièces les plus pointues pour en crĂŠer d’autres dont le cuir froissĂŠ n’attend plus que la patine du temps pour dĂŠchaĂŽner la jalousie de celles qui n’auront su dĂŠnicher le jeune prodige. (Bracelet Pomme d’ÊtĂŠ ½ C. C. nicolastheil.fr 28 — numĂŠro 35

Š DR

Un bracelet

Le groupe amĂŠricain 17 Pygmies propose un disque au packaging et au livret aussi ĂŠtonnants que sa musique hypnotique. Tenir ce magniĂ€TXH REMHW F¡HVW SHUGUH VHV UHSqUHV j HQ GHYHQLU con : la musique, c’est de l’art, d’accord. L’art peut ĂŞtre de la musique, d’accord. Mais pourquoi cet artwork est-il si beau alors que ce n’est ni de l’art, ni de la musique ? Emballage fait main, numĂŠrotĂŠ : attention limited edition Ă 500 exemplaires ? J.-E. D. trackwerx.com



MODES DE VIE BREF

Un bibi En guise de couvre-chef, des bananes plantains cĂ´toient un ananas survoltĂŠ, les serpents sont des branches de lunettes et un plastron ĂŠco-responsable s’illustrent de dĂŠfenses d’ÊlĂŠphant 100 % plexi. La collection Saga Africa de Yaz Bukey nous ferait-elle danser comme Ă l’ÊtĂŠ 1991 ? En tout cas, elle nous plonge dans des rivières d’enfance, des hourras de Coupe Davis et des panaches d’autodĂŠrision. C. C. yazbukey.com

Une chaussure

2

des boucles d’oreille

Isabelle Michel avait prĂŠvu de vivre mille vies. FormĂŠe Ă l’histoire de l’art, au graphisme, Ă la mode, elle a travaillĂŠ dans une galerie spĂŠcialisĂŠe dans la peinture du XIXe siècle, avant d’ouvrir une boutique d’antiquitĂŠ dĂŠdiĂŠe aux arts de la table. Fini les huiles et les ronds de serviette, elle crĂŠe des bijoux (en pierre de verre vintage et cĂŠraPLTXH ½ HQ YHQWH HQWUH DXWUHV j OD 3LQDFRthèque de Paris, on ne se refait pas. A.-S. M. isabellemichel.com

108 â‚Ź PRIX STANDARD

Vous vous sentez trop souvent femme-objet ? Prenez-le avec humour en portant des talons inspirĂŠs du cĂŠlèbre couple de designers Charles et Ray Eames, pensĂŠs par le non moins cĂŠlèbre architecte Rem Koolhaas. Ce modèle de United Nude rappelle le tissu d’ameublement et un abat-jour sur un pied de table : moderne HW RVp (DP] 3XPS ½ C. C. unitednude.com

Un collier

Š DR

Vous voulez que tout le monde remarque votre rĂŠgime d’enfer ? Que Julien du service RH se rende HQĂ€Q FRPSWH TXH YRXV rWHV GpVRUmais le sosie non autoproclamĂŠ de Miranda Kerr ? Alors, attachez Ă votre frĂŞle nuque ces grelots issus de la collaboration Carven X Les NĂŠrĂŠĂŻdes, dont le charmant tintement fera tourner les tĂŞtes des plus hautes statures. IdĂŠe gling-gling : gardez ce bijoux en argent pendant O¡pEDW TXL VXLYUD ½ C. C. carven.fr

30 — numÊro 35


En fait, ce type est un rappeur : il parle sur de la musique. Tous les dimanches 18h-20h Philippe Manœuvre dans La Discothèque Rock Idéale de Philippe Manœuvre et tous les matins à 8h15 dans Un Jour, Un Vinyle.

LA

O R A DCI K RO

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© Foc Kan/Getty Images


MODES DE VIE BREF

Une sneaker

95 â‚Ź

PRIX STANDARD

Vincent Schoepfer, Avignonnais de souche, rend hommage à la chaussure adoptive des gens qui aiment le Sud en crÊant une basket hybride cuir des sneakers/toile de jute tressÊe des espadrilles. Disponible en trois coloris – noir pour sortir, bleu pour le shopping, sable pour fusionner avec celui des plages du Grau-du-Roi – elle a l’extrême inconvÊnient de coÝter 70 de plus que les trois paires de tatanes sur le marchÊ de Monclar, mais elle ne se dÊcomposera pas au moindre contretemps bitumeux.A.-S. M. vincent-schoepfer.lexception.com

Un festival On ne va pas y aller par quatre chemins ni couper les cheveux en quatre (c’est marrant comme le TXDWUH HVW SUpVHQW GDQV OHV GLFWRQV pour la première fois, Standard est partenaire du Festival de mode et de photographie de Hyères HW F¡HVW XQH JUDQGH Ă€HUWp 3DUPL les vingt jeunes talents sĂŠlectionnĂŠsn citons-en, disons, quatre : le Français Daniel Hurlin, la Suissesse Jasmina Barshovi pour les stylistes, la Canadienne Jessica Eaton, le Colombien Manuel Vazquez pour les photographes. Cette 27e ĂŠdition est prĂŠsidĂŠe par Yoshi Yamamoto et les expositions ont lieu du 28 avril au 27 mai. On y sera le quatre. M. A. villanoailles-hyeres.com

Une chaise Vous ĂŞtes assis ? Bien. Tenezvous aux accoudoirs inviVLEOHV HW UpĂ pFKLVVH] j YRWUH avis, pourquoi cette chaise imaginĂŠe par RĂŠmi Bouhaniche et Amaury Poudray de Usin-e porte le nom Triomphe ? Parce qu’elle a gagnĂŠ notre lever de chapeau d’esthètes face Ă une table assortie et d’autres productions bluffantes comme l’aquarium sur pieds et le miroir de table signĂŠs de ces talentueux fabricants. C. C. usin-e.fr

3 Une visière

Roland-Garros ayant lieu sous peu et mĂŞme avant, il va falloir SHQVHU j GLYHUVHV WDFWLTXHV DĂ€Q de sauver son capital UV tout en conservant un minimum de Ă€HUWp VW\OLVWLTXH *UkFH j FHWWH visière en plexi et jacquard de coton de Paule Ka, on ne pourra pas ĂŠviter l’insolation, ça non, mais protĂŠger sa vision, portĂŠe de droite Ă gauche et de droite Ă gauche, ça oui. (DispoQLEOH HQ WURLV FRORULV ½ A.-S. M. pauleka.com

32 — numÊro 35



MODES DE VIE BREF

Un portemonnaie La Maison Texier, qui a fêtÊ en 2011 ses 60 ans avec un logo tout frais, prÊsente des porte-monnaie en croÝte de cuir de vachette, subtilement accordÊs à la gamme de sacs Cabourg. Vous ne perdrez plus vos piÊcettes entre la Dune du Pilat et la Basse-Normandie. Normal, vous aurez tout dÊpensÊ. ([LVWH HQ VL[ FRORULV ½ A.-S. M. texier.fr

Une chaussette

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Des socquettes hautes et jaunes à associer à un carrÊ printanier. Non seulement l’imprimÊ est toujours là cette annÊe, mais en plus, il s’incruste jusqu’aux mollets. Fashoff, c’est too new, c’est anglais et c’est la classe à JHQRX[ j YRV SLHGV 0RGqOH &KDUPHG PLQL C. C. fashoff.com

30 â‚Ź

PRIX STANDARD

Une montre

En hommage Ă Roger Tallon, designer industriel multifacettes dĂŠcĂŠdĂŠ en octobre dernier, Lip, qui fĂŞte, elle, ses inhumains 145 ans, crĂŠe la TV, une montre qui s’attache Ă remettre les pendules Ă l’heure. Elle ne diffuse pas le journal de 20h, PDLV SRVVqGH O¡DIĂ€FKDJH DQDORgique, le rĂŠglage par couronne, et le bracelet Ă boucle ardillon. Quelle poigne ! (Disponible en KXLW FRORULV ½ A.-S. M. lip.fr

L’Êpoque se veut rĂŠaliste, lucide. Alors, ces solaires en acĂŠtate façon ĂŠcailles de tortue de Miyake Design Studio ½ RQW XQ GHVLJQ VLPSOH ULJRXUHX[ HIĂ€FDFH FRPPH XQ KRPPH SROLWLTXH PRGHUQH HW pOpJDQW FRPPH XQH IHPPH SROLWLTXH /HV EUDQFKHV VRQW LQVSLUpHV GX FRQFHSW Š 6WUHDP ÂŞ XQ Ă X[ GH SHQVpHV DOLPHQWp par la perception visuelle que nous avons du monde et par l’Ênergie qui nous entoure – l’homme, au centre de cette dynamique de PRXYHPHQW LQWHUDJLW 'LIĂ€FLOH j VDLVLU FRPPH XQ SURJUDPPH SROLWLTXH $ YRWp A.-S. M. isseymiyake.com 34 — numĂŠro 35

Š DR

Une lunette


ENTREVUES

FESTIVAL DE LOCARNO

FESTIVAL DE VALDIVIA

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE BELFORT

MEILLEUR PREMIER FILM

GRAND PRIX

FESTIVAL PREMIERS PLANS D’ANGERS

FESTIVAL DU FILM INDÉPENDANT D’ISTANBUL GRAND PRIX

TVqWIRXI

8 8

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EN

LE 3 AVRIL 2012

C74 10;;03 >5 64=4B8B 0=3 ;03H 90H4

Festival International de Berlin Teddy Award et Caligary Award Festival Paris CinĂŠma SĂŠlection Officielle

Festival Indieslisboa Grand Prix

ÂŤ Un très beau film, sauvage et bouleversant, sur la rĂŠinvention de soi et la libertĂŠ d’être soi-mĂŞme Âť

LES INROCKUPTIBLES

6T]TbXb 1aThTa ? >aaXSVT ;PSh 9PhT 1aThTa ? >aaXSVT

FID Marseille

SĂŠlection Officielle JOURNAL CAHIERS

D= 58;< 34 <0A84 ;>B84A

DES

CAHIERS CINEMA DU

CINEMAen DVD Toujours Disponibles DU

PHARE AVEC LE COUPLE

ValĂŠrie Donzelli et JĂŠrĂŠmie ElkaĂŻm

INÉDIT Êe ign  En une po ma de ins amies  COURT-MÉTRAGE CO-RÉALISÉ PAR EIRA MANOEL DE OLIV ET JEAN ROUCH

RETROUVEZ TOUS NOS FILMS SUR Belleville Tokyo de Élise Girard

L’Êtrange affaire AngÊlica de Manoel de Oliveira

Peau d’Homme CĹ“ur de BĂŞte de HĂŠlène Angel


MODES DE VIE ANTIF**DING

LA TARTIflETTE

DE KABOUL

PlutĂ´t gratinĂŠe, la sĂŠrie KABOUL KITCHEN tire sa recette d’un restau français en Afghanistan, oĂš un plat savoyard rend les clients complètement fondus.

par Bertrand Guillot illustration Jean-Paul Cuir

Kaboul : ses collines, ses femmes voilĂŠes‌ son restaurant français. Humanitaires, diplomates, reporters et mercenaires se retrouvent au Kaboul Kitchen SORQJHDQW QXV GDQV la piscine tandis que les Afghans restent Ă la porte. Fiction ? En partie. La sĂŠrie, diffusĂŠe cet hiver sur Canal+ et laurĂŠate d’un Fipa d’or, s’inspire de L’Atmosphère, RXYHUW SDU 0DUF 9LFWRU FRVFpQDULVWH en 2004. ÂŤ Au dĂŠpart, il s’agissait surtout d’ouvrir un lieu oĂš les expatriĂŠs pourraient se retrouver pour boire un verre Âť, raconte cet ex-journaliste de RFI, natif du Sud-Ouest, avec la modestie assurĂŠe de ceux qui ont vĂŠcu plusieurs vies. Le jardin et la possibilitĂŠ de faire trempette sĂŠduisent, et l’endroit passe du snack Ă la restauration ÂŤ façon bistrot ÂŞ /D GLIĂ€FXOWp " /¡DSSURYLVLRQQHPHQW /H foie gras arrive par la poste, le fromage voyage parfois par valises diplomatiques. Pour l’alcool, on se dĂŠbrouille avec les militaires. Le magret sauce-Ă -la-pĂŞche devient vite un classique (mĂŞme si les Anglo-Saxons le demandent toujours trop FXLW HW XQ SDOLHU GpFLVLI HVW IUDQFKL OH MRXU R 0DUF SURSRVHÂŤ un vrai steak-frites, Ă l’aide de ÂŤ la seule boucherie qui savait dĂŠcouper le bĹ“uf correctement ! Âť 36 — numĂŠro 35

LARDONS MILITAIRES

ÂŤ L’Atmo Âť grandit. Des chefs viennent de France quelques mois pour refaire la carte et former les cuisiniers locaux. Ces derniers prennent vite le coup de main‌ mais ne goĂťtent pas les plats, Coran oblige. D’oĂš quelques bĂŠvues qu’exploite joliment la sĂŠrie, comme la blanquette afghane, oĂš le veau se retrouve arrosĂŠ de sauce au vin d’un bĹ“uf bourguignon. Les clients sont indulgents et les fĂŞtes mĂŠmorables, mais, en 2008, une sĂŠrie d’attentats impose un couvre-feu. Marc vend et rentre en France – oĂš il ĂŠcrira K K. Depuis, l’endroit a rouvert, malgrĂŠ la pression croissante des DXWRULWpV VXU O¡DOFRRO OH GHPL SUL[ FR€WDQW HVW j GROODUV Entre le carpaccio de bĹ“uf et les salades, la carte s’est enrichie d’un plat afghan, le boloni – aubergines grillĂŠes recouvertes de yaourt persillĂŠ. Mais le hit de cette saison, c’est la tartiĂ HWWH 3RPPHV GH WHUUH GH OD YDOOpH GH %kPL\kQ HW ODUGRQV GH l’armĂŠe française sont prĂŠparĂŠs Ă l’avance. Dans un ramequin, on ajoute les oignons et la crème achetĂŠs au bazar, et du vin blanc du marchĂŠ noir. Reste Ă couvrir le tout d’un demi-reblochon bien fait, expĂŠdiĂŠ par le père du propriĂŠtaire. La touche du chef ? Le gĂŠnĂŠrateur ĂŠlectrique qui vient booster la puissance du four pour que le fromage soit parfaitement gratinĂŠ. ÂŤ Eh, mais c’est comme Ă la maison ! Âť s’exclame un expat’ savoyard en portant un toast. Eh oui. Le mĂŞme goĂťt, mais une toute autre saveur. — L’Atmosphère, Street 4 Qala-e Fatullah, Kaboul. DVD Kaboul Kitchen de Marc Victor, Allan Mauduit et Jean-Patrick Benes, Studio Canal



MODES DE VIE ENVIRONNEMENT

NOUNOU, L’ARRACHEUR FOU Aux Açores, nous avons croisĂŠ la route d’un DEXTER DE LA BOTANIQUE, dont les crimes feuillus restent pour le moment impunis. par Richard Gaitet (Ă Horta) illustration AmĂŠlie Fontaine

Equivalent ĂŠcolo du pompier-pyromane, j’ai dĂŠcouvert, non sans violence, le cas clinique du botaniste-sarcleur. Sans P¡DYRLU FRQVXOWp DX SUpDODEOH O¡RIĂ€FH du tourisme de l’Île de Faial, dans l’archipel des Açores, m’a programmĂŠ une visite au jardin botanique des hauteurs d’Horta, fondĂŠ en 1976 et classĂŠ parmi les meilleurs d’Europe. Ayant sottement peu d’attrait pour le monde vĂŠgĂŠtal, je m’apprĂŞte Ă classer dans ma tĂŞte les meilleures chansons de Supergrass quand le jeune homme en charge de l’excursion se met Ă arracher une feuille Ă chaque plante dont il vante, paradoxalement, la survie miraculeuse. ÂŤ Vous voyez cette Jupiner ? On s’en sert pour la proue des bateaux. Âť Crac, une feuille en moins, abandonnĂŠe trente secondes plus tard. ÂŤ Vous avez remarquĂŠ ces pousses ? On en fait des poils de pinceaux. Âť Crac, une autre feuille, arrachĂŠe puis abandonnĂŠe trente secondes plus tard. Je le regarde autrement : et si ce discret trentenaire Ă lunettes, qui dit lutter pour la sauvegarde de la myrtille, cachait un dangereux psychopathe pour l’univers vert ? Il s’appelle Nuno, mais on prononce Nounou, ÂŤ ça fait marrer les enfants, tout le monde PH SUHQG SRXU XQH Ă€OOH Âť. 38 — numĂŠro 35

MORGUE AUX HERBIERS

/H SURĂ€O SV\FKRORJLTXH VH SUpFLVH 1RXV SDVVRQV GDQV XQ autre espace, oĂš ses doigts sanguinaires dĂŠterrent des pousses de menthe Ă l’odeur dĂŠlicate. ÂŤ Sentez ça. Et ça. Et ça. Ça sent bon hein ? Âť Crac, crac, crac, feuilles mortes se ramassent Ă la pelle. C’est le tour d’une variĂŠtĂŠ d’absinthe, qui lui rappelle ÂŤ un personnage très agressif Âť d’un roman de C. S. Lewis, The Screwtape Letters (SDUJQpH VD YRLVLQH LPPpGLDWH dont la vertu est ÂŤ d’Êliminer certains problèmes de peau, dont les poireaux sur le visage des sorcières Âť. Je blĂŞmis, et il me propose un thĂŠ, que je ne songe mĂŞme pas Ă refuser, et pour lequel il arrache une quinzaine de feuilles d’un pot pourri perdu sur la terrasse de la cafeteria. Je bois, pense Ă l’hypothèse grossière d’un empoisonnement, mais c’est très bon, alors je lui dis et lĂ , Nuno m’entraĂŽne dans une pièce ÂŤ interdite au public Âť, une sorte de morgue pour ce Dexter du bourgeon dans laquelle il conserve les cadavres de VHV YLFWLPHV SODVWLĂ€pHV GDQV GHV KHUELHUV HX[ PrPHV HQIHUPpV sur des ĂŠtagères sordides. J’ai quasiment la nausĂŠe après ce qui suit, dont il se dĂŠlecte : dans une dizaine d’Êprouvettes, du liquide blanchâtre attend patiemment son heure. ÂŤ Nous sommes prĂŞts Ă propager notre semence. Âť En partant, il m’offre le DVD et le dĂŠpliant du projet Eden, qui rassemble les vĂŠgĂŠtophiles de Roubaix Ă Ankara en passant par l’Islande et la RĂŠpublique tchèque. ÂŤ Appelez-moi si vous avez besoin de quoique ce soit. Âť Je m’arrache. — Reportage intĂŠgral sur nova30ans.com/horta



MODES DE VIE VOYAGE

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LÀ-BAS

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

Un beau travail de sape

texte et photographie Guillaume Jan (à Kinshasa)

Les fringues excentriques font partie des clichés qui collent à Kinshasa. Mais tandis que s’essouffle le mouvement « sapeur », pompier et tape-à-l’œil, une nouvelle génération de stylistes est déterminée à prendre la relève.

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MODES DE VIE VOYAGE

VOILĂ€ ZÉPHIRIN, DÉMARCHE ALTIĂˆRE et look impayable. Son costume

Yohji Yamamoto est trop grand pour lui et ses fausses Ray-Ban mangent la moitiĂŠ de ses joues. Il parade mine de rien dans la ruelle de sable gris, jonchĂŠe d’ordures, devant les devantures colorĂŠes des ĂŠchoppes du quartier de Bandal. Les manchettes de sa chemise sont ĂŠlimĂŠes, ses chaussures toutes râpĂŠes, il crève de chaud dans sa veste noire. ZĂŠphirin est employĂŠ dans une agence immobilière et dĂŠpense tout son argent dans les vĂŞtements : ÂŤ Tout dans la sape, rien dans les poches Âť, dit-il crânement, en reprenant un dicton bien connu des ĂŠlĂŠgants GH .LQVKDVD /H GDQG\ GH DQV DIĂ€UPH SRVVpGHU YLQJW WURLV costumes de marque, ses voisins toussent poliment en l’entendant pĂŠrorer. Personne ne lui dit, mais tout le monde le pense : il est ridicule dans son accoutrement. A l’ombre d’un badamier aux feuilles ĂŠpaisses comme de la laine, Louison le regarde passer en secouant lentement la tĂŞte. ÂŤ Aujourd’hui, le mot "sapeur" est rĂŠvolu Âť, assure le solide gaillard de 33 ans. Et il s’y connaĂŽt, en mode : il est styliste. ÂŤ A Kinshasa, on a encore des m’as-tu-vu dĂŠbarquĂŠs de la brousse qui ne connaissent rien aux marques. Ils pensent que, pour ĂŞtre bien habillĂŠs, ils doivent porter des griffes occidentales Ă des prix exorbitants. RĂŠsultat, on les retrouve vĂŞtus de costumes dĂŠmodĂŠs, que l’Europe ne veut plus. Mais ce sont des ploucs. Ils n’ont pas compris que c’est ici, au Congo, que se trouve le potentiel crĂŠatif. Âť Avec quelques confrères de son âge, /RXLVRQ 0EH\D D FUpp O¡$PLFDOH GHV VW\OLVWHV $PVW\ XQH DVsociation de talentueux couturiers dĂŠterminĂŠs Ă rĂŠvolutionner

forme et d’un banal jogging. A sa façon, Papa Wemba raconte comment le mouvement a pris son essor‌ Ă Paris : ÂŤ Tous les ZHHN HQGV QRXV QRXV ODQFLRQV GHV GpĂ€V YHVWLPHQWDLUHV DYHF des amis de la diaspora africaine. Et puis Jean-François Bizot, fondateur du magazine Actuel [et de Radio Nova], a entendu parler de ces petites manifestations et il est venu en faire un DUWLFOH /H Ă€OP Black Mic-Mac, de Thomas Gilou, est sorti un peu après. C’est de lĂ que tout est parti, en 1984, 1985. Âť Le chanteur Ă la voix ĂŠpaisse et dĂŠlicate devient alors un des FKHIV GH Ă€OH GH OD 6RFLpWp GHV $PELDQFHXUV HW GHV 3HUVRQQHV (OpJDQWHV 6 $ 3 ( DYHF G¡DXWUHV SRLQWXUHV FRPPH $GULHQ Mombel, surnommĂŠ Stervos Niarkos : ÂŤ A Paris, c’est lui qui QRXV LQĂ XHQoDLW DYHF VHV WHQXHV TXL QRXV IDLVDLW PRQWHU YHUV le très haut de gamme. Niarkos est la rĂŠfĂŠrence absolue, on le considère toujours comme le gĂŠniteur de la sape. Âť DĂŠcĂŠdĂŠ le 10 fĂŠvrier 1995 Ă Kinshasa, le fĂŞtard mondain Stervos Niarkos continue d’être adulĂŠ par les sapeurs : tous les ans, pour FpOpEUHU O¡DQQLYHUVDLUH GH VD PRUW GHV GL]DLQHV GH Ă€GqOHV VH recueillent, en grandes pompes, sur sa tombe, dans le cimetière du centre-ville. QUALITÉ GHANZOU

Mais tout fout le camp et le mouvement n’a plus la même aura. Papa Wemba :  0rPH PRL MH QH PH GpÀQLV SOXV FRPPH un sapeur. Tout le monde s’en rÊclame aujourd’hui, or il n’y a plus de personnes vraiment ÊlÊgantes.  Pourquoi ?  DÊjà parce qu’on ne peut pas acheter d’habits chers à Kinshasa.

 L’IMAGE QUE L’ON PEUT DONNER AUX AUTRES, C’EST LE DERNIER PILIER QUI NOUS FAIT TENIR.  LOUISON MBEYA, STYLISTE les habitudes vestimentaires au Congo – longtemps associÊes aux extravagances de quelques têtes de gondole comme le chanteur Papa Wemba.  L’HOMME LE PLUS CLASSE DU MONDE 

La sape tape-Ă -l’œil fait partie des clichĂŠs de l’ancien ZaĂŻre, avec la rumba et la toque lĂŠopard de feu prĂŠsident Mobutu. Le mouvement remonte aux annĂŠes 70 quand les ĂŠmigrĂŠs commencent Ă rentrer d’Europe tirĂŠs Ă quatre ĂŠpingles, en costumes trois-pièces taillĂŠs dans les tissus les plus clinquants. Rendons Ă Versace ce qui est Ă Versace : ce sont les Congolais de Brazzaville qui ont lancĂŠ cette habitude – c’est d’ailleurs lĂ -bas, en 1978, qu’a ĂŠtĂŠ ouvert le premier magasin oĂš venaient s’approvisionner en grandes marques les dandys chics de l’Êpoque. Mais les snobs de Kinshasa y ont apportĂŠ une incomparable touche d’excentricitĂŠ. ÂŤ Brazzaville a toujours ĂŠtĂŠ synonyme de sape classique, avec la cravate assortie aux chaussettes, tandis que Kinshasa a dĂŠveloppĂŠ une sape de vedettariat Âť, FRQĂ€UPH 3DSD :HPED WRXW HQ rappelant que les deux capitales sont les plus proches du monde, VH IDLVDQW IDFH GH FKDTXH F{Wp GX Ă HXYH &RQJR YRLU HQFDGUp Le musicien de 62 ans est considĂŠrĂŠ comme le dernier pape de la sape, ÂŤ l’homme le plus classe du monde Âť si l’on veut. Mais aujourd’hui, dans sa villa, il est vĂŞtu d’un tee-shirt sans 42 — numĂŠro 35

On n’y trouve que des costumes "Ghanzou" que l’on porte une fois et qui sont bons Ă jeter ensuite. Âť La qualitĂŠ Ghanzou, c’est le bas du bas de gamme importĂŠ de Chine (notamment de cette YLOOH SURFKH GH +RQJ .RQJ j GHV SUL[ SODQFKHU (W OH &RQJR considĂŠrĂŠ comme un des pays les plus pauvres du monde, est forcĂŠment preneur, Ă ce tarif. MalgrĂŠ un beau potentiel agricole et un sous-sol abracadaEUDQWHVTXHPHQW ULFKH O¡pFRQRPLH Q¡HQ Ă€QLW SDV GH V¡HIIRQGUHU La RĂŠpublique DĂŠmocratique du Congo, qui dĂŠtient tout ce dont la planète peut rĂŞver de minerais prĂŠcieux, sans parler du pĂŠtrole et des diamants, est mĂŞme un des rares pays dont le PIB par habitant rĂŠgresse. Les services publics s’Êvaporent, les enseignants dĂŠsertent les salles de classe, car ils ne sont plus rĂŠmunĂŠrĂŠs, les hĂ´pitaux se transforment en mouroirs. Pour survivre, on ne peut compter que sur soi-mĂŞme ou sur la solidaritĂŠ familiale. Mais Ă Kinshasa, jungle urbaine de dix PLOOLRQV G¡kPHV HQ GpWUHVVH TXL FRQWLQXH GH V¡pWHQGUH DYHF O¡H[RGH UXUDO PrPH FHV GHUQLqUHV VROLGDULWpV V¡HIĂ€ORFKHQW 'HV familles n’ont pas les moyens de payer la scolaritĂŠ de leurs enfants, d’autres les abandonnent carrĂŠment Ă la rue, les trois quarts de la population vivent sous le seuil de pauvretĂŠ. Le QRPEUH GH YROHXUV JULPSH HQ Ă qFKH HQJHQGUDQW XQ KDOOXFLQDQW climat de paranoĂŻa la nuit tombĂŠe.


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HISTOIRE-GÉO

© DR/Guillaume Jan

KINSHASA VS. BRAZZAVILLE

Ci-dessus Détail d’une carte d’avant 1966, date à laquelle Léopoldville devient Kinshasa. En haut A Kinshasa, la nouvelle génération porte fièrement les tenues des stylistes locaux.

Le fleuve Congo sépare deux Etats homonymes, distinguons-les par leurs capitales. Au sud, le Congo Kinshasa, ou République Démocratique du Congo : ancienne colonie belge, baptisée Zaïre pendant le règne du dictateur Mobutu (1965-1997), la RDC est grande comme quatre fois la France et compte 72 millions d’habitants. Au nord, sur la rive droite, le Congo Brazzaville – sept fois plus petit, pour une population de 4,2 millions d’habitants. Ancienne colonie française, le pays a gardé beaucoup d’attaches avec Paris, et c’est à Brazzaville que les premiers sapeurs se sont distingués en s’inspirant des dandys du XIXe (siècle, pas arrondissement). Ces frontières ont été arbitrairement tracées en 1885, lorsque les grandes puissances européennes se sont partagé l’Afrique. — G. J.

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Le carré parfait.

MODE

NEW TEAM Autoproclamés « Equipe nationale de la sape », ces excentriques du sur-mesure sont vêtus de jupes kilts et chaussés de mocassins de toutes les couleurs. Ils placent toutes leurs (maigres) ressources dans leur garde-robe et en attendent un retour sur investissement, organisant des défilés dans la ville ou à la télé – dans lesquels, contrairement à leurs aînés, ils ne rechignent pas à porter des pièces des nouveaux créateurs congolais. « Notre art, c’est le coup d’œil pour endosser les bonnes tenues », dit Lola Japon, un grand mince de 22 ans qui 44 — numéro 35

porte une longue tunique noire et un bandeau de pirate. « J’aime les vêtements plus que moi-même, avoue Chinois de Chine, en chemise blanche et kilt violet. C’est aussi fort qu’une religion. » L’un d’eux, Tukulu, 28 ans, veste Versace, chaussures Vivienne Westwood, a appelé son fils Gucci. Un autre, Mze Bilele, 20 ans, nous affirme posséder quarantesix pièces de costumes. Le jour où l’on va chez lui pour le photographier, il n’en avait qu’un à nous montrer. L’ambianceur ne s’est pas laissé démonter : « Vous n’avez pas de chance, tous les autres sont au pressing. » — G. J.


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DANDYSME TROPICAL

ÂŤ On vit au taux du jour, rĂŠsume Louison. On n’a pas le choix. Article 15. Âť L’article 15, c’est la dĂŠbrouille, un texte de loi imaginaire qui prĂ´ne le jus de crâne et l’huile de coude pour s’en sortir. Nous sommes montĂŠs dans son atelier, une pièce mal ĂŠclairĂŠe au quatrième ĂŠtage d’un immeuble vĂŠtuste. C’est LFL TX¡LO FUpH VHV YrWHPHQWV HW TX¡LO UpĂ pFKLW j VHV FROOHFWLRQV en fumant cigarette sur cigarette et en rĂŞvant au succès de Jean Paul Gaultier. ÂŤ Ce n’est pas le talent qui manque au Congo, c’est l’argent. Plusieurs grands stylistes se sont ĂŠteints parce qu’ils n’avaient pas de moyens. Âť Louison a bien conscience que la mode est une occupation dĂŠrisoire dans le dĂŠcor d’apocalypse de Kinshasa, mais il veut aussi croire que cette futilitĂŠ est une forme de rĂŠsistance, un bras d’honneur Ă la misère

Petite dĂŠmonstration : nous avons rendez-vous chez un troisième crĂŠateur, Jimmy Longo. Jimmy nous attend avec trois mannequins et une valise pleine Ă craquer. Il en sort des tissus colorĂŠs et chatoyants, des pièces qu’il a cousues dans cette remise exiguĂŤ qui lui sert d’atelier. Tout est fait Ă l’aiguille, ou avec sa machine Ă coudre mĂŠcanique – il a abandonnĂŠ l’idĂŠe de travailler avec une machine ĂŠlectrique tant les pannes de courant sont frĂŠquentes. Ses trois modèles s’habillent et nous partons faire une sĂŠance photo dans les UXHV VRXV OHV VLIĂ HPHQWV DGPLUDWLIV GHV SDVVDQWV (Q FKHPLQ Jimmy se raconte : ÂŤ J’ai appris le mĂŠtier dans mon enfance, en rapiÊçant des moustiquaires pour gagner un peu d’argent. A l’Êpoque, je rĂŞvais de devenir mĂŠdecin. Mais il a fallu que je compose avec la rĂŠalitĂŠ, je n’aurais jamais pu me payer

ÂŤ LES AFRICAINS S’IMAGINENT ENCORE QUE LEUR CONTINENT NE PRODUIT RIEN D’INTÉRESSANT. ON VEUT CASSER CE COMPLEXE. MONDIALISER NOTRE STYLE ! Âť BOKKO, STYLISTE ÂŤ L’image que l’on peut donner aux autres, c’est le dernier pilier qui nous fait tenir. Âť Seulement, il insiste : ÂŤ /D GpĂ€QLWLRQ GH OD VDSH Q¡HVW SOXV OD mĂŞme. Âť Alors que cette version tropicale du dandysme prĂ´nait le paraĂŽtre avant tout, elle se positionne aujourd’hui comme un secteur ĂŠconomique. Du moins, elle essaye. ÂŤ L’esprit sape ĂŠvolue Ă cause de la crise. Les gars n’ont plus les moyens GH VH Ă€QDQFHU GHV JDUGH UREHV IRXUQLHV $YDQW F¡pWDLW SRXU se donner l’illusion qu’on ĂŠtait riche. Maintenant, on doit en faire un moyen de gagner sa vie. Nous sommes devenus plus matures. Âť Les crĂŠateurs de l’Amsty ne se revendiquent pas sapeurs, ni mĂŞme ÂŤ allurĂŠs Âť ou ÂŤ tendancieux Âť (les nouveaux WHUPHV HQ YRJXH WRXW MXVWH fashion. Ce qu’ils veulent, ce sont des lignes de vĂŞtements ajustĂŠs au millimètre, un peu ĂŠpatantes quand mĂŞme et, surtout, 100 % nationales. DU COUSU MAIN, FAUTE D’ÉLECTRICITÉ

ÂŤ Les Africains ont le goĂťt de bien s’habiller, mais ils s’imaginent encore que leur continent ne produit rien d’intĂŠressant. On veut casser ce complexe. Mondialiser notre style ! Âť C’est Bokko qui parle, un collègue de Louison, venu le rejoindre dans l’atelier. Il porte un habit blanc, mĂŠlange de tunique indienne et de pagne africain, ĂŠgayĂŠ par des touffes de plumes rouge et or qui semblent tirĂŠes d’une tenue de chef coutumier. ÂŤ J’ai besoin d’un peu d’extravagance pour dĂŠgager la folie qui est en moi Âť, reconnaĂŽt le jeune homme aux dreadlocks. Ses vĂŞtements, siglĂŠs Bokko Kreation, mĂŞlent gracieusement le moderne et le traditionnel. ÂŤ Une chemise Versace coĂťte 800 dollars, celles que je confectionne sont Ă 70 et sont d’aussi bonne qualitĂŠ. Mais comment le faire savoir ? On n’a pas de moyens pour communiquer. Âť Dès qu’ils le peuvent, ils orgaQLVHQW GHV GpĂ€OpV VDXYDJHV HQ SOHLQH UXH SRXU JUDSSLOOHU XQ peu de notoriĂŠtĂŠ.

ces ĂŠtudes. Âť A 31 ans, ce couturier prometteur a un vrai talent pour associer des coupes classiques avec les motifs les plus insolites : ÂŤ -H P¡LQVSLUH GH WRXW FH TXL P¡HQWRXUH GHV Ă HXUV des lĂŠzards, des arbres, de l’eau‌ Âť AMBASSADEURS RĂŠVÉS

Un autre jour Ă MatongĂŠ, près du rond-point Victoire. C’est le quartier de la fĂŞte. Les bars et les cabarets se serrent Ă qui mieux mieux, Ă cĂ´tĂŠ d’autres ĂŠchoppes bigarrĂŠes oĂš l’on vend des pneus et des mĂŠdicaments, des produits de beautĂŠ et des saucisses. Le crĂŠpuscule enveloppe la foule grouillante, bruyante, seuls les phares des voitures et quelques braseros nous ĂŠclairent – odeur de gasoil, de graisse grillĂŠe, d’ordures brĂťlĂŠes et de poussière chaude. Louison et ses stylistes sont attablĂŠs dans l’enceinte du Casino Longido, un restaurant spĂŠFLDOLVp GDQV OHV pYpQHPHQWV GH PRGH (Q DWWHQGDQW OH GpĂ€Op de ce soir, Jean Mathamtu, le boss, vient nous parler : ÂŤ Dans les annĂŠes 90, les sapeurs star ont pourri notre gĂŠnĂŠration en faisant la promotion des marques les plus coĂťteuses alors que le pays s’enfonçait dans la misère. Leur sape ne vĂŠhicule rien, elle ne parle que d’argent. D’ailleurs, c’est un peu caricatural d’associer les sapeurs Ă la culture kinoise, beaucoup de Congolais n’apprĂŠcient pas leur m’as-tu-vu. C’est comme si RQ SDUODLW GHV SXQNV SRXU GpĂ€QLU OHV (XURSpHQV Âť Après avoir vĂŠcu plusieurs annĂŠes en France et en Belgique, Jean est rentrĂŠ Ă Kinshasa et se montre optimiste sur le potentiel crĂŠatif de la mĂŠgapole. ÂŤ Nos jeunes talents inventent des tendances aussi puissantes que celles des couturiers occidentaux. Malheureusement, ils ne peuvent pas en vivre. Et le gouvernement ne fait rien pour les aider, pas plus qu’il n’aide les musiciens ou les artistes en gĂŠnĂŠral. C’est dommage, car la culture pourrait ĂŞtre le meilleur ambassadeur du Congo dans le monde. Âť En dĂŠcembre 2011, les dernières ĂŠlections numĂŠro 35 — 45


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De gauche Ă droite et de haut en bas 1. ÂŤ Ça n’a jamais ĂŠtĂŠ facile de faire accepter mon mĂŠtier Ă mon père. Âť Bokko, styliste 2. Jimmy : ÂŤ J’ai renoncĂŠ Ă utiliser une machine Ă coudre ĂŠlectrique, les pannes de courant sont trop frĂŠquentes. Âť 3. Louison Mbeya Ă cĂ´tĂŠ de sa dernière crĂŠation, des ailes en plumes : ÂŤ Il m’a fallu cinquante-deux poulets. Âť

prÊsidentielles, plus ou moins truquÊes comme d’habitude, ont reconduit la même Êquipe.  KIN EST EN TRAIN DE RENAÎTRE 

Quelques tournĂŠes de bière plus tard, Jean monte sur le podium annoncer les collections prĂŠsentĂŠes. Deux jeunes femmes vĂŞtues de robes chatoyantes, et audacieusement traversĂŠes de zips cuivrĂŠs, commencent Ă faire rouler leurs jolies hanches entre les tables en plastique. Et puis, le courant saute. Le Casino Logindo se retrouve d’un coup sans musique et dans le noir, et le groupe ĂŠlectrogène de secours tarde Ă se mettre en marche. Louison part chercher une bougie et revient avec quatre bières : ÂŤ Le monde entier ne le sait pas encore, mais Kin est en train de se rĂŠveiller, de renaĂŽtre, d’exploser. Âť Bokko l’approuve sans rigoler. Il croit dur comme fer aux 46 — numĂŠro 35

lendemains qui chantent : ÂŤ Kinshasa est une capitale dĂŠglinguĂŠe, ses habitants acceptent de vivre dans des taudis, mais il est presque interdit d’y ĂŞtre mal habillĂŠ. C’est comme si c’Êtait inscrit dans nos gènes. Âť Les garçons ĂŠvoquent le grand GpĂ€Op TX¡LOV VRXKDLWHQW PHWWUH HQ SODFH GHSXLV SOXVLHXUV PRLV toujours reportĂŠ faute de moyens, et exposent leur projet de centre d’apprentissage pour former leurs futurs couturiers. Une utopie dans le chaos de Kinshasa ? ÂŤ C’est plutĂ´t trouver des marques ĂŠtrangères originales qui relève de l’utopie Âť, rĂŠpond Louison. Alors que l’ÊlĂŠgance congolaise est emportĂŠe par la misère et le made in China, Louison et ses amis, comme des dizaines d’autres amoureux de la mode, rĂŠsistent Ă la mĂŠdiocritĂŠ et au bling-bling low cost en crĂŠant leur style. C’est leur forme de rĂŠsistance, leur article 15. Le courant n’est pas revenu ce soir-lĂ . —


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CINÉMA

CONGO-LLYWOOD Kinshasa n’est équipée que d’une salle de cinéma digne de ce nom, mais son décor d’apocalypse inspire de plus en plus de réalisateurs. En 2010, Benda Bilili, des Français Renaud Barret et Florent de la Tullaye, suivait la spectaculaire ascension d’un groupe de musiciens de rue devenus mondialement célèbres. En 2011, Kinshasa Symphony, des Allemands Martin Baer et Claus Wischmann, racontait comment des virtuoses passionnés de Mozart ont réussi à monter un orchestre philharmonique unique dans toute l’Afrique noire. Et ce printemps sort le polar Viva Riva, signé du Congolais Djo Munga. Une fiction mouvementée (et réussie) qui nous entraîne dans le lost week-end d’un petit trafiquant venu faire la fête dans la capitale, alors qu’il est poursuivi par une mafia locale – quarante-huit heures de magouilles, de sexe, de violence, d’alcool et d’humour dans des bas-fonds plus qu’interlopes. « Kinshasa, c’est la ville du paraître et de la démesure », résume le cinéaste, qui signe là son premier long-métrage. « Les noctambules

font la fête jusqu’à leur dernier billet, juste pour aller au bout de leur rêve, sans se soucier du lendemain. » D’autres films sortiront dans les prochains mois, à commencer par Rebelle, du Canadien Kim Nguyen, dont l’actrice Rachel Mwanza, une Kinoise de 14 ans, vient de recevoir un Ours d’argent pour son interprétation d’enfant-soldat. — G. J. Viva Riva, de Djo Tunda Wa Munga, en salles le 18 avril.

Ci-dessus et photo d’ouverture Défilé improvisé dans un marché de Kinshasa, avec les créations de Jimmy Longo. numéro 35 — 47


67$1' BS B LQGG


CEREMONIES SDJHV GH GUDSHDX[ DJLWpV ELHQ HQ U\WKPH GH GpÀOpV PLOLWDLUHV HQ FXORWWH de remises de prix un peu plan-plans, de coquettes couronnes de l’avent, de kimonos de 23 kg, de croque-morts arty, de chamanes chelou, et un grand Êcart plutôt osÊ en page 142.

Photographie Tom[ts74] RĂŠalisation StĂŠphanie Buisseret Stylisme Mario Faundez & Arthur Laborie Coiffure StĂŠphane Clavier Make-up Carole Fontaine Model Jazzmine B@KLRP Remerciements Marco chez Janvier, Elisabeth chez KLRP, Emily chez lepetitoiseauvasortir.

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CÉRÉMONIES MODE

Photographie ilario_magali Stylisme Justine Allain Assistée de Bianca Guidoni Tisserand Maquillage William Bartel Coiffure Alexandry Costa Modèles Elisa Sommet et Stéphanie Pasterkamp Retouche Sophie à La Souris sur le gâteau 3D / CGI Emmanuelle à La Souris sur le gâteau Remerciements Amandine, Bastou, Dijé America, Philippe, Gérard Cazade, Laurence Brenguier

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Robe Paule Ka Boucles d’oreille «!Palmyre!» en or blanc et diamants Van Cleef & Arpels Bague « Rose Dior Pré Catelan » en or jaune, diamants et corail Dior Joaillerie

numéro 35 — 51


Robe Gucci Chapeau Marie Mercié Bague « Mitza » en or jaune et laque marron et noir Dior Joaillerie


Robe et manchette en acétate avec cabochons en résine et strass Chanel Pendants d’oreille en or gris sertis de diamants Cartier Chapeau Marie Mercié


Robe Azzaro Pendants d’oreille en or gris sertis de diamants, onyx et Êmeraudes Cartier Collier Van Cleef & Arpels


Robe Iris Van Herpen Gants Maison Fabre Escarpins Paule Ka


Stéphanie Robe Emanuel Ungaro Boucles d’oreille « Fidelity » en métal doré et cristal Swarovski Bracelets en métal et cabochons en émail mauve, bleu et gris Chanel


Elisa Robe Carven Lunettes Ray-Ban Boucles d’oreille en métal rhodié, crystal mesh et cristal et bague « Chic » en métal doré et cristal Swarovski Sautoir « Mimioui fait sa précieuse » en or blanc et diamants Dior Joaillerie


Robe Jean Paul Gaultier Sautoir argenté Chanel Bague « Rose Dior Bagatelle » en or blanc et diamants Dior Joaillerie


Elisa Robe Manish Arora Boucles d’oreille en strass Chanel StÊphanie Robe Elie Saab Collier en or gris sertis de diamants Cartier


CÉRÉMONIES CINÉMA

Vous avez loupé OSCARS, CÉSARS, GOLDEN GLOBES ET GLOBES DE CRISTAL ?

Rattrapage sur ce bitchy prompteur.

L’avant. Ryan Seacrest, l’animateur d’American Idol, squatte le red carpet avec Sacha Baron Cohen grimé en Amiral Aladeen, une urne funéraire entre les mains, venu honorer la mémoire de son « confrère » Kim Jong-Il, « dont le rêve était d’assister aux Oscars ». Ses cendres sont renversées… sur Ryan, qui tire la gueule. Double-blague. Le générique. Dans le somptueux théâtre à l’italienne du Hollywood & Highland Center, Morgan Freeman lance la soirée. Showtime! Le présentateur. Hôte pour la 9e fois, PAR NADIA AHMANE Billy Crystal se tape l’incruste dans des extraits des films (cf. les Césars), chante, danse et vanne pépère : « Cette crise mondiale ne saurait nous empêcher de voir des milliardaires recevoir des statuettes dorées. » La réplique. Jean Dujardin ponctue son discours de meilleur acteur par un « putain » qui aurait été bippé en V.O. Meilleur remettant. Robert Downey Jr. suivi sur scène par une caméra pour un faux docu, Le Remettant, alors qu’il 60 — numéro 35

présente avec Gwyneth Paltrow l’Oscar du meilleur documentaire. On valide l’egotrip. Pire remettante. Toute jambe dehors, Angelina Jolie bute sur son texte. Na ! Meilleur look. Meilleure actrice again, Meryl Streep semble droite sortie de Dynastie avec sa robe dorée Lanvin. Pire look. La tenue-coquillage de JLo. Même son téton veut fuir. Savoir gagner. Révélation de La Couleur des sentiments, Octavia Spencer doit se faire aider (stress, robe trop longue) pour atteindre la scène. Standing ovation => larmes => émouvant. Culte. Le smack de George Clooney à Billy Crystal au générique, parodiant The Descendants. Sexy. L’oubliée. Melissa McCarthy (Mes meilleures amies). Heureusement, il reste des sandwichs. Le plus pompier. Crystal chante juste, les musiciens jouent live, la séquence des acteurs disparus fait chialer. This is America. —

© Bob D’Amico / ABC

84E ÉDITION DES OSCARS


69E ÉDITION DES GOLDEN GLOBES

37E ÉDITION DES CÉSARS

L’avant. Sur le red carpet, Ryan Seacrest, nous apprend que Brad Pitt n’a rien de grave au genou et que les bijoux de Charlize Theron sont suisses. Le générique. Voix-off de blockbuster, tambours battants : les mots Golden Globes apparaissent sur l’écran façon soap. Le présentateur. Ricky Gervais avait terrorisé Hollywood en 2011 avec ses vannes acerbes. Rebelote, comparant les organisateurs à Boardwalk Empire : des immigrés corrompus venus aux USA pour se hisser dans la haute société. Ambiance. La réplique. Gervais doute que Madonna soit encore like a virgin. Réponse : « Si je suis encore vierge, pourquoi ne viens-tu pas y faire quelque chose ? Ça fait longtemps que je n’ai pas embrassé une fille. » Booyah ! Meilleurs remettants. Seize secondes de comédie musicale grâce à William H. Macy (Shameless) et Felicity Huffman (Desperate Housewives), mari et femme à la ville, fredonnant les nominations avec une douce ironie : « C’est un honneur d’être nommé, bla bla bla bla… » Pire remettant. Le prompteur de Julianne Moore débloque. A force de rires gênés, on lui file une fiche avec le reste de son intro. OK, who’s next ? Meilleur look. Robert Downey Jr. et sa fancy redingote. Pire look. L’ample blouse noire Alessandra Rich de Meryl Streep, meilleure actrice pour La Dame de Fer. Savoir se tenir. Plan sur Amy Poehler, nommée pour Parks & Recreation, qui continue de faire bonne figure alors que son amie Tina Fey, citée dans la même catégorie et assise à sa table, squatte le champ en loucedé. Culte. La pinte de bière de Ricky Gervais vs le champ’ hollywoodien. Les oubliées. Mes meilleures amies (Paul Feig, 2011), alors qu’il « a prouvé à Hollywood et au monde entier que les femmes aussi peuvent chier dans leur froc », dixit Emily Blunt. Le truc chelou. « Mr./Miss Golden Globe », ces rejetons de stars qui guident, sur scène, gagnants et remettants. Cette année, la fille d’Andie MacDowell, Rainey Qualley. —

L’avant. Before au Grand Journal avec Mademoiselle Agnès commentant les tenues et Laurent Weil sur tapis rouge. Routinier. Le générique. Un fond noir et la statuette enveloppée par une poussière dorée, et d’une musique savamment dosée. Soft et chic. Le présentateur. Antoine de Caunes, huit fois MC, s’incruste par l’art du trucage dans un montage d’extraits des films nommés pour réclamer des sous à une industrie qui a cartonné en 2011, puis entre en scène sur Stand On The World, clin d’œil à Polisse. (Cf. les Oscars.) La réplique. De Caunes évoque le rôle de conservatrice de musée tenu par Carla Bruni dans Minuit à Paris de Woody Allen : « Un rôle sur mesure pour une experte en restauration. » Meilleur remettant. Laurent Lafitte. Son César du meilleur Français dans une actrice internationale restera dans les mémoires. Etaient nommés Benjamin Millepied dans Natalie Portman, François Pinault dans Salma Hayek et Olivier Martinez dans Halle Berry. Pire remettante. Mathilde Seigner fait son Kanye West avec Michel Blanc dans le rôle de Taylor Swift : l’actrice aurait préféré, pour le meilleur second rôle, Joey Starr/Beyoncé. C’est qui déjà, Mathilde Seigner ? Dannii Minogue ? — Meilleur look. Les boucles d’oreilles Van Cleef & Arpels de Kate Winslet, parce qu’avant qu’elle les porte pour la soirée, nous les avions shootées en situation [p. 51] ! Pire look. La mousseline bordeaux et le boa gris de Julie Depardieu. Pas compris… Savoir gagner. Sacrée meilleure actrice, Bérénice Béjo ne pipeaute pas : « Je le voulais vraiment. » Culte. 1. Omar Sy qui touche. 2. Mathieu Kassovitz venu « honorer sa promesse ». Souvenez-vous de sa Twitter-colère : « J’encule le cinéma français. » L’oublié. Dujardin, mais y a de l’Oscar dans l’air. Le truc pompé. De Caunes demande aux gagnants de ne pas remercier leurs parents pour accélérer la cérémonie. « S’ils vous avaient donné tout l’amour que vous méritiez vraiment, vous ne feriez pas du cinéma. » Comme Gervais aux Golden Globes, quoi. —

7E ÉDITION DES GLOBES DE CRISTAL L’avant. Julien Lepers lance le générique devant le Lido alors que les guests se font photographier avec les danseuses. Willkommen, bienvenue, welcome : soirée cabaret. Le générique. Une musique de JT sur fond de boules à facettes eighties. Le présentateur. Les fiches jaunes de Questions pour un champion, troquées pour des blanches, annoncent les prix et la promo des remettants. La réplique. Pour plaisanter, Lepers pose des questions de culture G au public. Omar Sy répond correct et demande : « Quand est-ce que je reçois mon dictionnaire ? » Meilleure remettante. Marthe Mercadier, 83 ans, n’a pas saisi les subtilités de sa mission. Dans le flou, elle laisse Julien ouvrir l’enveloppe. Chou.

Pire remettant. Bigard. Meilleur look. Les danseuses du Lido. Topless ou robes fendues, ça scintille. Pire look. Les danseuses du Lido. Trop de paillettes tuent la paillette. Savoir gagner. Sacré meilleur acteur, Omar Sy quitte la scène sur un déhanchement façon top model. Culte. Euh… Gérard Lenormand qui chante La Ballade des gens heureux ? L’oubliée. L’expo Diane Arbus au Jeu de Paume. Le truc relou. Tout. Mais s’il faut choisir, on hésite entre le sentiment d’impro générale (quelqu’un a-t-il été briefé ?) et les bruits de couverts. —

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CÉRÉMONIES CINÉMA

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Spiritisme à Beaubourg"? Cet hiver, le Canadien GUY MADDIN ressuscitait dix-sept scénarios oubliés, comme autant d’invocations de présences fantomatiques. « Depuis presque vingt ans, ce projet a remué mon cœur et mon âme, jusqu’à ce que je sois moi-même possédé ! Il existe des films perdus, magnifiques, généralement muets, appréciés, glorifiés, adorés, élevés au rang de mythe par des millions de spectateurs – dont certains jusqu’à l’obsession. Ces films, pourtant, agonisent dans l’oubli. Certains ont été détruits par les studios – simplement parce que ces derniers avaient besoin d’étagères –, certains jetés à la mer ou brûlés dans un feu de joie lors de pique-niques champêtres. D’autres ont été réduits en poussière parce qu’ils étaient mal conservés, d’autres encore ont péri dans les flammes lors d’un accident de projection. Ces récits malheureux sont condamnés à errer éternellement. Ne pas pouvoir les voir me hante ! » En mars dernier, le sous-sol du Centre Pompidou a donc hébergé des spectres : pendant trois semaines, le Canadien Guy Maddin (The Saddest Music in the World, Des trous dans la tête) a réalisé presque chaque jour, en public, un court-métrage inspiré par des scénarios de films tournés ou écrits entre 1913 et 1936, par la suite perdus ou jamais concrétisés, signés Lubitsch, Vigo, Hitchcock ou Mizoguchi, enfin réincarnés par un casting envoûtant : Mathieu Amalric, Adèle Haenel, Jacques Nolot, Géraldine Chaplin ou Charlotte Rampling. Qui d’autre que ce réalisateur, dont l’œuvre est une ode permanente à l’âge d’or du cinéma, pouvait convoquer les esprits errants de ces bobines fantômes ? PHOTOGRAPHIE BLAISE ARNOLD numéro 35 — 63


Ces tournages démarrent par une « mise en transe » de vos comédiens. Croyez-vous au spiritisme ? Guy Maddin : Non, sauf quand je suis derrière une caméra. Il se passe quelque chose à ce moment-là, mes comédiens semblent effectivement en transe, mais ce n’est sans doute qu’une manière de se mettre en condition, de pratiquer un métier. A Beaubourg, le ENTRETIEN principe était justement d’enregistrer cet ALEX MASSON état, j’ai choisi donc des comédiens aptes à l’atteindre, mais surtout ayant envie d’y accéder. Je n’ai qu’à les échauffer chaque matin, et hop, c’est parti pour la journée ! Vos films, dans leur rythme ou leur récit, sont souvent basés sur des effets d’hypnotisme ou d’état second. Féru d’ésotérisme cinématographique ? Je ne crois pas non plus aux fantômes, mais quand je filme, je crois que des souvenirs se manifestent, et les souvenirs sont souvent bien plus effrayants, bien plus obsédants. Autant je suis convaincu qu’ils peuvent à long terme provoquer des dommages profonds sur la psyché, autant je sais qu’ils permettent de rester connectés à son passé et donc de se définir par rapport au présent, y trouver sa place. Peu importe comment vous les nommez, nous sommes tous guidés par des sortes de fantômes, qui nous prennent par la main et nous emmènent à notre insu – ou pas, d’ailleurs – dans les directions qu’ils veulent. Ces courts-métrages, comme vos longs, sont une incantation d’un cinéma primitif, utilisant les techniques d’écriture et de mise en scène du muet ou des grands mélos... Passer par ces codes aujourd’hui est sans doute un moyen de continuer à me sentir –entendons-nous bien, sans aucune volonté d’auto-apitoiement – un outsider. Cette condition me permet de me maintenir dans une sorte d’adolescence permanente, de prolonger l’orgueil qu’on a parfois à cet âge, quand 64 — numéro 35

Ci-dessus Careful, on s’exile volontairement du Ci-contre, de haut en bas et monde usuel pour ne pas de gauche à droite Dracula, suivre ses règles. The Saddest Music in Ulysse, souviens-toi !, the World, Et les lâches s’agenouillent, Winnipeg votre dernier long mon amour en date, s’inspire de L’Odyssée d’Homère, soit le récit par excellence d’un homme qui doit rentrer chez lui, retrouver ses racines, tout comme vous tentez de renouer avec celles du cinéma. Difficile, oui, d’être plus explicite sur ce sujet... mais c’est la dernière fois que je l’aborde. Ulysse, souviens-toi ! est un baroud d’honneur : L’Odyssée est le plus imposant des récits de retour à soi, qui parle à tout le monde et peut être traité sous de nombreuses formes narratives. Dans mon film, le parcours initiatique du héros est fait au travers des pièces d’une maison, en partant de la porte arrière pour arriver dans la chambre à coucher – une odyssée intérieure. Ce qui en fait, dans une certaine mesure, un film de maison hantée. Qui, du cinéma ou de vous-même, hante l’autre ? Je me suis longtemps posé la question de savoir si je ne bâtissais pas une sorte de maison hantée du cinéma, si je n’étais pas une âme errante dans les limbes de la cinéphilie. Au final, je crois que je suis ce fantôme qui réveille des choses parfaitement contentes d’être dans un repos éternel, en traînant des chaînes par terre... [Il se marre.] Qui, parmi vos maîtres, filme magnifiquement les cérémonies ? J’adore la manière dont John Ford filme les funérailles [La Prisonnière du désert, 1956, L’Homme qui tua Liberty Valance, 1962], la « sensation » du baptême chez Francis Ford Coppola [dit-il en se passant lentement la main sur son crâne, mimant le geste de Brando à la fin d’Apocalypse Now, 1979 – lire

© DR

INTERVIEW GUY MADDIN


FILMOGRAPHIE

DANSE(S) DE SAINT-GUY Pures cérémonies dédiées au 7e art, les films de Guy Maddin sont possédés par des visions quasi mystiques. La preuve en cinq psaumes. 1992 CAREFUL

A la fin du XIXe siècle, un village alpin isolé laisse exploser ses frustrations, entre pulsions incestueuses et épidémie de duels. Entre Murnau et Lynch, Careful réinvente l’art du feuilleton pour mieux le pervertir.

notre interview de F. F. Coppola p. 196] ou les classiques de l’horreur produits par Universal [moult Frankenstein, Dracula, Homme invisible], quand les corps des morts se relèvent sur fond d’orages et d’éclairs. Ça rapproche le cinéma des contes de fées, de la danse, de choses définitivement universelles, qui flottent dans l’air, ne peuvent pas être intellectualisées mais purement sensorielles, instinctives, ravivant ces moments où ma grand-mère me racontait des histoires, assise à côté de mon lit, avant que je m’endorme. Avez-vous des petits cérémoniaux sur un plateau, ou avant de tourner ? Pas vraiment, ou alors si : je dors énormément avant un tournage, ou plutôt je suis en état de quasi-narcolepsie, en réaction à ma nervo«"LES SOUVENIRS sité. J’ai fait un peu l’acteur, SONT SOUVENT et j’avais tellement le trac BIEN PLUS que je m’endormais juste EFFRAYANTS ET avant d’entrer en scène. On me réveillait en sursaut, et OBSÉDANTS QUE j’étais encore plus terrifié ! LES FANTÔMES."» Parfois, en fonction des GUY MADDIN sujets de mes films, je me rends sur la tombe de membres de ma famille pour dire quelques mots, mais ça n’a rien de surnaturel, c’est juste un hommage. Et dans la réalité ? Laissez-moi réfléchir... Hm, non, je n’ai pas grand-chose en stock en termes de rituel quotidien ; j’aime bien l’idée, je devrais peut-être m’en trouver un… ah, si ! Chaque matin je prends mes vitamines, mais bon, ce n’est pas un rituel, mais une addiction ! —

2002 DRACULA, PAGES ARRACHÉES AU JOURNAL D’UNE VIERGE

Un ballet sur des symphonies de Mahler, une déconstruction chorégraphiée du mythe transylvanien. Du roman de Bram Stoker (1897), Maddin ne garde que l’érotisme, préférant vampiriser D. W. Griffiths (Intolérance, 1916). 2003 THE SADDEST MUSIC IN THE WORLD

Pendant la crise de 1929, la patronne d’une brasserie de Winnipeg organise le concours de la chanson la plus triste du monde. Image ensorcelante : Isabella Rossellini, inconsolable, amputée des jambes – remplacées par des prothèses en verre, remplies de bière. L’Eurovision du mélo. 2003 ET LES LÂCHES S’AGENOUILLENT

Un alter-ego joueur de hockey pris dans les griffes d’une étrange Chinoise et de sa mère coiffeuse le jour, maquerelle avorteuse la nuit ! Initialement une commande pour une galerie d’art de Rotterdam sur le thème du peepshow, c’est un serial détraqué, foisonnant, le film réussi d’Ed Wood. 2007 WINNIPEG MON AMOUR

A l’origine un documentaire sur sa ville natale, que Maddin transvase en rêverie somnambule mêlant souvenirs d’enfance aussi véridiques que fictifs et mémoire du cinéma. Les poupées russes s’emboîtent comme Little Nemo enjambe les buildings de Slumberland dans ses songes éveillés. — A. M. Ulysse, souviens-toi !

En salles.

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CÉRÉMONIES MODE

RETROUVEZ CETTE SÉRIE DANS SA VERSION ANIMÉE SUR STANDARDMAGAZINE.COM ET SUR iPAD

Robe et pantalon Peachoo+Krejberg 66 — numéro 35


Photographie Clayton Burkhart Assisté de Mélanie Challe Stylisme Chika Coiffure Deki Kazoué chez Calliste Maquillage Ismael Blanco chez Aurélien Mannequins Lika chez Karin Models, Qi chez Crystal Models, Nelli chez People International Décoration Cédric-Cyril Colonges Opérateur RED Epic Nicolas Vazquez chez ddc Assisté de Louis Yago Remerciements Sébastien Rouchon numéro 35 — 67


Veste vintage A.F. Vandevorst Robe Damir Doma 68 — numÊro 35


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Qi Robe marron Dušan Robe noire Christophe Lemaire Lika Veste Dušan Robe Koonhor

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Haori vintage Yodoya Chemise et jupe Dries Van Noten

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Haori vintage Yodoya Tops Dries Van Noten Jupe Hache

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Nelli Robe Dries Van Noten Qi Robe Dries Van Noten Collier Ek Thongprasert Lika Kimono vintage Yodoya Obi vintage Kimonoya

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Tops noirs Dries Van Noten Tops gris Koonhor Pantalon Y’s Bracelet Heaven Tanudiredja numéro 35 — 77


en haut Veste et tops Dries Van Noten ci-dessus Qi Veste Narciso Rodriguez Tops Dries Van Noten Jupe Manish Arora Nelli Veste Damir Doma Chemise et robe Dries Van Noten à droite Kimono vintage Yodoya 78 — numéro 35


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Collier Ek Thongprasert

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Robe Dries Van Noten Collier Ek Thongprasert

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Nelli Manteau et pantalon Dries Van Noten Chemise Koonhor Collier Heaven Tanudiredja Qi Veste Dušan Chemise Dries Van Noten Pantalon Christophe Lemaire 82 — numéro 35


Lika Kimono vintage Yodoya Obi vintage Ikat ĆŒÉ„ É„ É„ ‡ É„ É„ É„ É„ ‡ É„ É„ Ɔ É„ É„ É„i É„ĆŒ numĂŠro 35 — 83


Ce printemps, le théâtre KABUKI fleurit comme les cerisiers du Japon. Démaquillons les codes de cet art solennel.

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© Shôchiku Costume Co. Ltd., Tokyo

CÉRÉMONIES THÉÂTRE


LES ACTEURS INTERPRÈTENT UNE JEUNE PRINCESSE OU UN CHEVALIER VALEUREUX DANS UNE MÊME PIÈCE, QUI PEUT DURER SIX HEURES. En France et plus généralement en Occident, les cérémonies associées à l’art dramatique sont les remises de prix, Molière, César et autres globe en matériau noble. Ce mode de fonctionnement n’est pas universellement PAR répandu. Si le Japon cultive le goût du STÉPHANIE NÈGRE cérémonial dans son théâtre, notamment dans le kabuki, celui-ci prend la forme d’une célébration émouvante qui marque l’évolution du travail d’un comédien, aux antipodes du tapis rouge et de l’autopromotion de notre star system.

La forme de kabuki actuelle remonte au XVIIe siècle. A cette période, le shôgun – chef de seigneurs guerriers – décide d’interdire aux femmes de jouer sur scène, instituant l’une des caractéristiques les plus originales de ce théâtre. Maquillés et vêtus de somptueux costumes, les acteurs peuvent interpréter plusieurs rôles (une jeune princesse puis, quelques scènes plus tard, un chevalier valeureux) dans une même pièce, qui peut durer plus de six heures. Autre spécificité : l’interaction entre la scène et la salle. Le public peut réagir et interpeller les personnages. LE PSEUDO INDIQUE LE NIVEAU

L’art du kabuki se transmet de génération en génération, au sein de familles liées à des compagnies ; les premiers rôles restent réservés aux rejetons talentueux de ces troupes recon-

nues. Il existe une école nationale à Tokyo, mais les acteurs qui en sont issus se destinent plutôt aux seconds rôles. Chaque artiste a un nom qui correspond à son niveau et qu’il porte parallèlement à celui de son état civil. Reflet de son expérience et de son talent, ce nom évolue au cours de sa carrière. Le passage à un grade supérieur s’effectue sur décision du directeur de la troupe en fonction de son appréciation et de celle de spectateurs influents, au cours d’une cérémonie particulière, appelée Kôjo. Le Kôjo a lieu face au public, avant une représentation spéciale nommée Shûmei-kôen. Ce spectacle est un événement festif et d’une grande importance dans le milieu du kabuki. Juste avant le début de la pièce, le directeur de la compagnie, l’acteur et une personne chère à ce dernier se présentent de manière solennelle, saluent l’assistance et s’assoient à genoux. Le directeur prend la parole. Il s’incline au niveau du sol et selon un discours codifié plein d’humilité, annonce que l’acteur cidevant reçoit le nom correspondant à un niveau supérieur. Les trois hommes se relèvent, saluent et quittent la scène. Le spectacle peut alors commencer. — Danse Kabuki de Maurice Béjart

Interprété par le Tokyo Ballet à l’Opéra de Paris, du 18 au 22 mai Exposition Kabuki, costumes du théâtre japonais

Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, jusqu’au 15 juillet numéro 35 — 85


THÉÂTRE KABUKI

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«!L’OCCIDENT A PERDU LES FORMES!» Arrivé en France en 1968, le comédien japonais YOSHI OÏDA entre la même année dans la compagnie de Peter Brook. Il interprète les pièces mythiques des Bouffes du Nord, Mahabarata, La Tempête, tout en créant ses propres œuvres. Il commente pour nous les rituels du théâtre kabuki.

© DR

Retenu à Lyon pour les dernières répétitions de Terre et cendres, Yoshi Oïda répond à nos questions au téléphone. Sa voix est grave et ses réponses semblent laconiques. En fait, il choisit ses mots avec un souci de précision extrême. Minimaliste et émouvant, à l’image de ses mises en espace. Y a-t-il d’autres cérémonies que le Kôjo dans le théâtre japonais ? Yoshi Oïda : Avant chaque répétition, il y a un certain formalisme : le nettoyage de la salle, le salut. Pour moi, même si un Européen pourrait appeler cela ainsi, ce ne sont pas des cérémoniaux. Par exemple, en Europe, on parle de la « cérémonie du thé » [voir série p. 66 et article p. suivante] mais pour un Japonais, c’est simplement une manière de préparer cette infusion. Si l’Occident voit les choses ainsi, c’est peut-être parce qu’il a beaucoup perdu les formes, alors qu’elles sont encore très respectées au Japon. Avez-vous un rituel quand vous abordez une mise en scène ? Non. Pour une œuvre qui a déjà été mise en scène, je me documente sur le travail de mes prédécesseurs, je visionne des enregistrements, pour ne pas faire la même chose. Je m’attache ensuite à la musique : je lis la partition, où je trouve l’émotion voulue par le compositeur. Mon travail sera ensuite d’ajouter le visuel à l’émotion. Quand il s’agit d’une création comme Terre et cendres [de Jérôme Combier, sur un livret d’Atiq Rahimi, joué en mars à l’Opéra de Lyon], je passe beaucoup de temps à discuter avec le librettiste et le compositeur. Un certain nombre de vos œuvres (Le Livre des morts tibétains, The Guide of the Other World, The Song of the Earth) reprennent le thème des funérailles... Oui. Le Livre des morts tibétains, créé en 1982 pour la Maison des Cultures du monde à Paris, est même centré

sur ce sujet. Au Tibet, les prêtres lisent, devant la dépouille des défunts, des extraits de ce texte, qui explique comment agir dans le monde des morts, avant la réincarnation. J’ai monté le spectacle avec un prêtre bouddhiste, un prêtre shintoïste, un maître d’arts martiaux et des musiciens de free-jazz. Cependant, j’ai eu l’occasion d’aborder d’autres genres de cérémonies ! Mon prochain spectacle, Les Pêcheurs de perles [voir encadré], débute par la fête rituelle destinée à chasser les mauvais esprits. Cela se passe dans le sud de l’Inde. Après des recherches, j’ai découvert qu’il y avait dans cette région une tradition shintoïste et qu’il existait le même type de célébration à Okinawa, je m’en suis inspiré sur la base de documents historiques. «"MES CÉRÉMONIES, Dans le privé, aimezC’EST QUAND JE vous les cérémonies ? CUISINE, QUAND Pas vraiment… Pour moi, JE PRENDS MA les cérémonies sont un mélange de vie privée DOUCHE"» et de vie publique qui YOSHI OÏDA me gêne. Pour quelques personnes qui vivent un moment fort, il y a beaucoup de rapports convenus, hypocrites. La forme y est, mais pas le cœur. J’ai quitté le Japon il y a plus de quarante ans, je n’appartiens donc plus à une société particulière. Mes cérémonies, c’est quand je cuisine, quand je prends ma douche, et cela me convient. — Propos recueillis par S. N. Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet

Opéra-comique, Paris, du 18 au 28 juin The Pilgrim’s Progress de Vaughan Williams

English National Opera, Londres, automne 2012 numéro 35 — 87


CÉRÉMONIES SPIRITUALITÉ

Calumet de la paix des samouraïs, pavillons japonais infuse un protocole plus difficile à suivre que gravir le mont Fuji en tongs.

LA CÉRÉMONIE DU THÉ des


A mille soleils levant du simple fait de tremper un sachet dans l’eau bouillante, les Japonais ont dĂŠveloppĂŠ autour du thĂŠ bien plus qu’une tradition. Mais par-delĂ la rigueur cĂŠrĂŠmonielle qui frappe ceux qui y assistent pour la première fois, les termes cha-no-yu (ÂŤ l’eau du thĂŠ Âť) ou sadĂ´ (ÂŤ voie du thĂŠ Âť) mettent PAR l’accent sur l’ascèse et la simplicitĂŠ. ROBERT CALVET ILLUSTRATION Selon Machiko Wright, MaĂŽtre Souzan DAVID STETTLER Tatsuta de ÂŤ l’Êcole Âť Omote-Senke, ÂŤ on traduit sadĂ´ en français par “cĂŠrĂŠmonie de thĂŠ “, mais c’est inexact : c’est un art de vivre, une façon de cultiver son corps et son esprit, et de profiter de la vie sur le plan artistique et spirituel. Âť C’est au sein de la classe samouraĂŻ, Ă l’Êpoque des guerres civiles qui enflamment le Japon au XIIIe siècle, que cette pratique se dĂŠveloppe. Dans un pays Ă feu et Ă sang, ces combattants marquĂŠs par l’esthĂŠtique minimaliste et la philosophie du bouddhisme zen trouvent refuge dans le pavillon de thĂŠ, espace sanctifiĂŠ Ă l’entrĂŠe duquel on dĂŠpose les armes. Les valeurs des samouraĂŻs – discipline, contrĂ´le de soi, frugalitĂŠ – imprègnent encore le sadĂ´. ÂŤ RAFFINEMENT AUSTĂˆRE Âť

Dans le Livre du thĂŠ (1906), l’Êrudit critique d’art Okakura KakuzĂ´ remarque : ÂŤ Ce culte repose sur l’adoration de la beautĂŠ parmi les faits sordides de l’existence quotidienne. Âť Loin de l’austĂŠritĂŠ bouddhique, les puissants shĂ´guns Ashikaga se firent construire aux XIVe et XVe siècles des pavillons pour ĂŠtaler devant des invitĂŠs choisis leurs coĂťteuses cĂŠramiques Tang importĂŠes de Chine et leurs ustensiles dispendieux. Chez le moine, aucun apparat mondain ni vaisselle magnifique : dans le manga Hyouge Mono de Yoshihiro Yamada (inĂŠdit en France), une bouilloire mythique en fonte ou une cĂŠramique ancienne valent toutes les richesses ; les guerriers se les disputent, elles deviennent mĂŞme enjeux fĂŠodaux. Le plus cĂŠlèbre des maĂŽtres de thĂŠ est Sen no RikyĂť, Ă l’origine du style wabi, apparu Ă la fin du XVe siècle. D’après Machiko Wright, ÂŤ “wabiâ€? signifie “sobriĂŠtĂŠâ€?, “raffinement austèreâ€?. ÂŤ C’est pendant cette pĂŠriode que le sadĂ´ et le zen se sont liĂŠs pour former ce que l’on entend aujourd’hui par sadĂ´. Âť En 1591, RikyĂť se fait hara-kiri – son existence est retracĂŠe dans le film La Mort d’un maĂŽtre de thĂŠ de Kei Kumai (1989) et le roman de Yasushi Inoue, Le MaĂŽtre de thĂŠ (1991). Dans les deux Ĺ“uvres, le moine Honkakubo, son assistant, est hantĂŠ par les raisons ayant poussĂŠ RikyĂť, comme trois autres de ses confrères, Ă se donner la mort ou Ă fuir en exil, ce qui rĂŠvèle finalement les dessous politiques d’un tel rituel : l’entrĂŠe basse des maisons de thĂŠ rappelle ainsi que tous les participants sont ĂŠgaux – et cet ĂŠgalitarisme dĂŠrangeait, dans le Japon fĂŠodal. —

Pour pĂŠnĂŠtrer dans l’esprit de Sen no RikyĂť, visitez le musĂŠe Guimet des Arts asiatiques dans le Jardin du PanthĂŠon bouddhique, 6 place d’IĂŠna Paris 16e. InaugurĂŠ en 2001, il a ĂŠtĂŠ construit Ă O¡LQLWLDWLYH GX 5pYpUHQG 6{ELQ <DPDGD DQFLHQ VXSpULHXU GX Daitoku-ji, le temple zen Ă la source mĂŞme de la cĂŠrĂŠmonie du thĂŠ.

LA MARCHE À SUIVRE

VOUS NE SAVEZ PAS SERVIR LE THÉ!? PAS DE BOL. La sĂŠance, hebdomadaire, dure souvent deux heures, et rĂŠunit quatre ou cinq participants. Chacun prĂŠparera le thĂŠ et jouera l’hĂ´te Ă tour de rĂ´le. La sĂŠance peut varier en fonction des saisons ou des ustensiles, mais comme pour un art martial, celui GX WKp LQVLVWH VXU O¡DSSUHQWLVVDJH SOXV TXH VXU OH EXW GpĂ€QLWLI ² WRXMRXUV UHSRXVVp MDPDLV DWWHLQW XQ SHX FRPPH HQ DPRXU ² HW sur la patiente accumulation du savoir. Les cĂŠrĂŠmonies les plus protocolaires peuvent durer quatre heures, lĂ , l’hĂ´te s’engage corps et âme pour un plaisir et une tranquillitĂŠ d’esprit sans pareil, et ce n’est pas facile. Le rituel dĂŠbute lorsque les invitĂŠs se rassemblent dans une salle d’attente, puis dans le jardin attenant au pavillon, oĂš les mains sont lavĂŠes et les bouches rincĂŠes. Puis chacun pĂŠnètre dans la salle de thĂŠ et admire des parchemins dans l’alcĂ´ve (tokonoma), en gĂŠnĂŠral la calligraphie d’un prĂŞtre zen, puis s’agenouille sur le tatami. Salutations, l’hĂ´te ajoute ÂŤ"CE CULTE REPOSE du charbon au feu et sert SUR L’ADORATION un repas frugal composĂŠ DE LA BEAUTÉ de mets saisonniers, suivis PARMI LES FAITS de sucreries. On trinque ? SORDIDES DE Ah non. Les invitĂŠs retournent dans le jardin. L’EXISTENCE Le service commence QUOTIDIENNE."Âť quand le rĂŠcipient, la OKAKURA KAKUZĂ”, cuillère et le bol sont CRITIQUE D’ART essuyĂŠs. Ensuite, l’hĂ´te mĂŠlange l’eau au thĂŠ en poudre Ă l’aide d’un fouet en bambou. La prĂŠparation est silencieuse, la mixture ĂŠpaisse (koicha), puis le bol circule. Chacun boit au mĂŞme endroit, symbole d’unitĂŠ. L’hĂ´te rajoute du charbon, ressert des sucreries et concocte un thĂŠ plus lĂŠger, mousseux (usucha /¡DWPRVSKqUH VH GpWHQG RQ GLVFXWH Ă HXUV sauvages et poĂŠsie. GESTES (TRĂˆS) PRÉCIS

/HV Ă€OPV GH <DVXMLU{ 2]X QRWDPPHQW O¡RXYHUWXUH GH Printemps tardif (1949), montrent que l’atmosphère est loin d’être compassĂŠe, mĂŞme si les mouvements, très lents, sont prĂŠcis : lorsque le bol est acceptĂŠ par un invitĂŠ, il le place entre lui et l’invitĂŠ suivant, et incline la tĂŞte pour s’excuser de le prĂŠcĂŠder. Puis place le bol en face de ses genoux et remercie l’hĂ´te. Il relève le bol, le place dans la paume de sa main gauche, le lève lĂŠgèrement, le fait tourner de manière Ă ce que le devant soit ĂŠloignĂŠ de ses lèvres. Il boit, essuie l’endroit oĂš il a bu avec ses doigts, fait pivoter le devant du bol de manière Ă lui faire face, pose le bol sur le tatami, puis le reprend dans ses mains, les coudes au-dessus des genoux, pour l’admirer. Lorsqu’il rend le bol, le devant de celui-ci doit faire face Ă l’hĂ´te. L’invitĂŠ principal a pour devoir de faire le lien entre les personnes prĂŠsentes, de poser des questions sur les ustensiles HW OHV GpFRUDWLRQV ² EUHI G¡DPELDQFHU XQ SHX Âł R. C.

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CÉRÉMONIES MODE

Photographie Lisa Carletta Assistée de Lauriane Kuhn Stylisme Jean Gen Réalisation David Herman Coiffure Franck Nemoz Maquillage Vera Dierckx Modèles Adeele et Natasha chez Crystal Models, Olesya et Oxana chez Mademoiselle Agency Retouches Antoine Melis

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Marcel Petit Bateau Broche et képi de l’armée russe vintage


Oxana Trench Filippa K Bonnets de l’armée russe et bas vintage Boots Vanessa Bruno Cravate de l’armée belge vintage Culotte Eres Gants Causse Sac Hermès

Natasha Marcel Petit Bateau Gants Roeckl Ceinture de l’armée russe et broche en étoile vintage Escarpins Nathalie Verlinden Képi de l’armée russe vintage 92 — numéro 35


Veste Dolce & Gabbana Sous-vĂŞtements Dries van Noten Ceinture Louis Vuitton Gants Roeckl Epaulettes vintage


Veste Roberto Cavalli Pantalon Just Cavalli Gants Roeckl Ceinture Louis Vuitton Boots Sonia Rykiel Soutien-gorge Fifi Chachnil Epaulette bĂŠrets vintage


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Soutien-gorge et culotte Wolford Bracelets et broche Chanel Escarpins Hugo Boss Chemise Bellerose Pantalon Anti G et casque en cuir vintage

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Natasha Etole A.F. Vandevorst Collier Chanel Culotte et soutien-gorge Carine Gilson Porte-jarretelles Agent Provocateur Sandales Hermès Casquette vintage Olesya Veste Dries Van Noten Ensemble lingerie Chantal Thomass Boots Timberland Casquette vintage Oxana Manteau Maison Martin Margiela Ensemble lingerie Agent Provocateur Sandales Pepe Jeans Casquette vintage Adeele Cape Maison Martin Margiela Ensemble lingerie Agent Provocateur Sandales Hermès Casquette vintage 98 — numéro 35



Veste Hermès Guêpière et culotte Fifi Chachnil Boots Maison Martin Margiela Pochette en cuir Christophe Lemaire Chaussettes et porte-chaussettes vintage

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Robe Chanel Corset-ceinture Agent provocateur Ecussons et col vintage


CÉRÉMONIES L’ENTRETIEN QUI ECLAIRE TOUT

Exposé aux Galeries Lafayette, célébre les fruits et les croquis absurdes de personnalités de droite. Baptême jugé «"odieux"», mariage bulgare et enterrements éprouvants": pour nous, l’homme-banane renoue avec le protocole. PHILIPPE KATERINE

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«!Comme un ananas j’ai passé ma vie à moitié entier, à moitié en tranche, à moitié debout, à moitié qui penche », gribouille Katerine, 43 ans, recopiant ce vers de Julien Baer pour baptiser son nouveau livre et l’expo qui va avec – voir encadré. Dada chanteur vice-versa (Je vous emmerde, Des bisous), réalisateur recousu (Peau de cochon) et acteur aigu (Capitaine Achab, Peindre ou faire l’amour), le Vendéen nous donne rendez-vous au Café du Trocadéro, près de son domicile. De retour d’un séjour au Québec, Philippe surgit, gentil, en retard, vêtu d’un pantalon blanc, d’un beau béret titi et de ce pull-over à tête de cerf, nous entraînant après l’interview au cimetière de Passy, surplombant la place, pour des photographies réalisées juste à côté de la tombe de Marcel Dassault (1892-1986), de manière fort respectueuse. PHOTOGRAPHIE LOUIS CANADAS

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INTERVIEW PHILIPPE KATERINE

Comme un ananas s’ouvre sur votre diplôme de chevalier des arts et des lettres, daté de juillet 2011. Comment s’est passée la cérémonie ? Philippe Katerine : Je n’y suis pas allé. Ça vous arrive par courrier, sans qu’on n’ait rien demandé, on est reçu je ne sais pas où, on te donne ta médaille et t’es censé être content. Ça m’a fait sourire, j’étais même fier pendant trente secondes, après ça m’a déprimé toute la journée. Pourquoi ? C’est gênant, le côté artiste officiel ? Horriblement. C’est comme un diplôme de bonne conduite. Dans ma scolarité, je détestais les diplômes. Avoir mon bac m’a complètement déprimé aussi. Que vous évoque le mot « cérémonie » ? L’idée de quelque chose de prévu, qui peut être de l’ordre de recevoir des gens à dîner, ou de s’y rendre, ce qui peut générer énormément de stress. Ce que j’aime, c’est quand c’est improvisé. Un concert est-il une cérémonie ? ENTRETIEN JULIEN BLANC-GRAS & Oui. RICHARD GAITET Suivez-vous un rituel avant de REMERCIEMENTS monter sur scène ? JESSICA DUFOUR Nan. Bizarrement ça ne me génère pas du tout de stress, parce qu’au fond le rituel du concert, j’en suis un petit peu responsable. Etre le maître de cérémonie, c’est mieux. Peut-être que je veux de la maîtrise. Vous allez aux concerts des autres ? De moins en moins. Et ça m’angoisse de plus en plus. Le dernier que j’ai vu, c’était [le pianiste américain] Nicholas Angelich, qui jouait Beethoven : angoisse totale. Voir quelque chose commencer et finir, ça me crispe énormément. Idéalement, vous aimeriez vivre… dans la continuité, sans débuts ni fins ? Dans la permanence, oui. Voir une pièce de théâtre, il n’y a rien de pire pour moi : j’ai le trac pour eux. Quand je commence un livre, je ne le finis jamais. Quand je vais au cinéma, j’aime assez sortir avant la fin. L’autre jour, je suis allé voir Vas-y fonce, réalisé par Jack Nicholson [1971], et c’est ce que je me suis dit, vas-y, fonce. Le film était très bon, mais j’ai préféré sortir avant la fin. J’aime filer à l’anglaise. Dans les fêtes, j’aime partir sans dire au revoir. 104 — numéro 35

Quand vous faites l’amour, vous partez aussi avant la fin ? Partir d’où ? De la chambre, du lit. C’est pas un rituel, ça. Il y a des rituels amoureux. La Saint-Valentin ? Il faut être fort pour en sortir grandi. J’évite, justement. Je ne m’en sens pas les épaules, encore. Il faut être très fort pour affronter ce rendez-vous. La Fête de la musique, pareil. Et vos anniversaires ? Super angoissant, aussi. Si on m’organise des fêtes-surprises, je pars. Vous détestez les règles, le protocole ? Non ! J’adore. Je suis un fou de règles ! Quand il y a des contraintes, ça me plaît beaucoup. Sinon il n’y a pas de liberté. Pour jouer, j’ai vachement besoin de codes. Recherchez-vous la transe, la communion avec le public ? Etes-vous un chamane pop ? Ah non. Parfois la communion arrive, mais il ne faut pas la chercher. Même si les gens adorent les gourous. Vous avez déclaré : « Je vais chanter aux Victoires de la musique parce qu’on m’invite. Mais bon, tout ce qui est prix, tout ça… Ce milieu se repaît de ce genre de manifestation, placée sous le signe du décorum. Très peu pour moi ! » Même quand je faisais du basket et qu’on gagnait, je n’allais pas sur le podium, ça me dégoûtait. Etre vainqueur, c’est toujours une défaite. Vous regardez les césars, les oscars ? Non. Trac. Pulsion de mort ? Tiens, vous aussi, vous êtes obsédé par la mort ? On est fait pour s’entendre. Un spectacle, oui, ça me fait penser à la mort. C’est affreux, hein ? Qu’est-ce qu’on fait après… ? Le temps s’écoule. Un show, c’est une vie condensée ? Une mini-vie ? Oui, on peut penser à ça. Et puis évidemment le rituel du sacrifice, passionnant. D’ailleurs, dans Louxor, j’adore, les gens finissent par vous découper : « … Pendez-moi la tête en bas comme la dernière fois. » Complètement. Putain, j’suis un chamane, merde ! Mais toute activité artistique est chamanique. L’artiste, c’est celui qui s’arrête pendant que les autres continuent à marcher. Je m’en suis rendu compte pendant que je dessinais mes aquarelles pour le livre, dans la rue. C’est ma fonction dans cette société : j’ai vu quelque chose et je m’arrête. Après, une fois qu’on a sorti cette théorie, vaut mieux en rire. Ne pas trop se prendre au sérieux ? Ouais, faut faire gaffe, ça peut mal tourner. Le rituel c’est aussi la répétition, motif récurrent de votre dernier album, Philippe Katerine [2010] : Liberté, Juifs-Arabes, Bien Mal, Bla-bla-bla… J’aime jouer avec ça. C’est un acte qui va vers l’imaginaire et développe l’inattendu. La répétition, il faut l’aimer, la choyer, c’est une amie. Je suis un fou d’Andy Warhol. Quand j’ai lu sa


Philosophie de A à B et vice-versa [1971] en rentrant à la fac, ça a changé ma vie. J’y ai repensé ce matin parce que j’ai relu des extraits. Je suis frappé par ce goût de l’artifice, beaucoup, et par des audaces folles : quand il dit qu’à Pékin ou à Moscou ce qu’il y a de plus beau, au fond, c’est le McDo. Le profond n’est pas forcément au centre de la terre. Vous aimez les mariages ? Pas beaucoup, non. Vous vous êtes déjà marié ? Ah oui, ça m’est arrivé. C’était comment ? Pas à l’église. A la mairie, dans une petite ville de Vendée. Donc j’étais un peu déçu. En quelle année ? En quelle année ? Ça sert à quoi de dire ça ? Années 90 ? Fin des années 90. Il y avait beaucoup de monde ? Mariage-concept ? Non. Je n’avais pas la tête à conceptualiser quoi que ce soit. J’étais trop… Amoureux ? Victime. Victime de moi-même. Trop passif peut-être. Souvent passif. Mais il faut avoir du corps pour envisager un mariage tel qu’on le voudrait. Comme votre union avec le président du Groland, en janvier 2008, à la mairie de Mufflins ? On s’est rencontré autour d’une bière, puis de deux, puis de trois, et on est tombé dans les bras l’un de l’autre. Notre relation a été très brève, une semaine environ. Mais intense. Le jour de la cérémonie, il y avait peu de foule, c’était plutôt en catimini – comme si on s’était caché sous une voiture. Vos noces idéales, ce serait quoi ? Quelque chose d’un peu d’improvisé, pas forcément officiel. Qui s’apparente à un rêve. En Chine ? Votre premier album s’intitulait Les Mariages chinois [1991]. Non, c’est différent : les mariages chinois, c’est un jeu entre enfants auquel on jouait beaucoup en Vendée. Vous avez une rangée de garçons, une rangée de filles, l’une en face de l’autre, et chacun avait des numéros de 1 à 10. Quelqu’un donne un numéro, et si tu as le n°8 tu dois embrasser la fille

n°8, et les deux doivent finir leur vie ensemble. J’adore cette confiance du hasard, et le fait qu’on n’a pas d’autre choix que de finir ensemble. Etes-vous allé à beaucoup d’enterrements ? Très peu, moins de dix. J’ai vécu peu d’expériences, mais elles étaient assez traumatisantes. Ça déclenchait des réactions physiques, vers le vomissement. Je ne suis pourtant pas quelqu’un qui vomit énormément. Vous vomissez après les funérailles, chez vous, dans l’intimité ? Oui. Ou à côté, sur un terrain de foot, j’ai beaucoup vomi sur les terrains de foot, en Vendée, après des enterrements. Dans la surface de réparation. C’est curieux. Comment imaginez-vous le vôtre, d’enterrement ? J’aimerais quelque chose de nu, minimal, sur un terrain vierge. Très beau, hein. Avec peu de gens, pas de chaises, pas de musique. Epitaphe ? « C’était perdu d’avance. » Les baptêmes, vous aimez bien ? Ah non, c’est odieux. Ma fille n’est pas baptisée. Je trouve vraiment trop dur pour un enfant qu’on lui jette comme ça des sorts – car c’est jeter des sorts. Comment faire après pour s’en aller de ça ? L’enfant est incapable de protester, pourtant souvent les enfants pleurent. C’est violent. «"LES ÉPOUX ÉTAIENT Vous jouiez un moine dans Le Voyage aux À GENOUX, FACE À Pyrénées d’Arnaud MOI. ILS SE SONT et Jean-Marie Larrieu EMBRASSÉS, J’AI [2008]. Suivre – ou CARESSÉ LEURS parodier – les règles CHEVEUX."» de la liturgie, ça vous plaît ? PHILIPPE KATERINE Oui, bien sûr. On peut trouver ça ignoble, mais extrêmement touchant, aussi. Ça me touche de savoir que mes parents m’ont fait baptisé à l’âge de trois semaines ; ça part d’une bonne intention : on baptise les gens pour ne pas mourir comme un chien. Avez-vous assisté, à l’étranger, à des cérémonies folkloriques ? Non, mais j’ai marié des gens, en Bulgarie. Un couple gay, deux Bulgares que je ne connaissais pas. Ils m’ont désigné comme prêtre, donc je les ai bénis, dans leur langue – cérémonie improvisée. J’étais en tournée avec Anna Karina, après un disque avec elle [Une Histoire d’amour, 2000], nous étions reçus dans les ambassades, et dans l’une d’elle, on s’est retrouvé à une trentaine dans ce mariage très amusant – le plus beau que je n’ai jamais vu de ma vie. Je me souviens que les époux étaient à genoux, face à moi. Ils se sont embrassés, j’ai caressé leurs cheveux. Il y avait quelque chose de très tendre – à la fois tendre et douloureux. Autre chose à l’étranger ? Un rituel tribal ? J’ai adoré le rituel d’un match de basket-ball de la NBA à Portland, en 1996. L’hymne national avant, c’était très impressionnant. Parfois ils passent Y. M. C. A. de Village People numéro 35 — 105


INTERVIEW PHILIPPE KATERINE

«"MON ÉPITAPHE": “C’ÉTAIT PERDU D’AVANCE“."» PHILIPPE KATERINE

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et tout le monde fait la chorégraphie, c’est très fort aussi. Ça, c’est vraiment inscrit dans une civilisation. Vous voyagez beaucoup ? Oh, bof. Je reviens du Québec, là. J’ai fait Star Academy, trois ou quatre chansons avec les élèves. Après l’émission, dès que les gens me voyaient, ils criaient « La Banane » [allusion à son tube de 2010]. Je n’étais plus un être humain, j’étais une banane. J’ai pris ça comme un hommage. Le 6 février dernier, Elisabeth II a fêté ses soixante ans de règne. Pensez-vous que pendant ce jubilé d’argent, elle se soit dit, comme dans votre chanson : « Bonjour je suis la Reine d’Angleterre et je vous chie à la raie » ? Elle n’a pas besoin d’une cérémonie pour le penser, le rituel n’est pas propice à ça. Quand on est dans le rituel, il faut être 100 % d’accord avec ce qu’on fait, sinon c’est raté. C’est pour ça que les rituels sont la plupart du temps des échecs. T’as pas le droit au doute, dans le rituel. Non ? Sinon c’est tragique. Vous avez grandi dans une famille catholique. La religion, toujours présente ? Très présente. Je pensais avoir réussi à m’en éloigner un peu, mais en fait, pas du tout, j’y reviens – et ce n’est pas plus mal d’ailleurs. «"JE SUIS UN FOU J’essaye d’accepter la mamelle de culpabilité du DE RÈGLES"!"» catholicisme, qui donne PHILIPPE KATERINE souvent des êtres extrêmement pervers. Ce que je suis. Je m’en suis aperçu il n’y a pas très longtemps, après une conversation avec un copain batteur. Je suis pervers, effectivement. Au sens manipulateur ? Je n’ai pas d’objectif très précis, pas de volonté de faire mal, mais c’est évident que je joue avec autrui. [Il sourit. Silence.] Et le côté obscur du catholicisme : sorcellerie, messe noire, spiritisme ? En Vendée, l’un ne va pas sans l’autre, sorcières et voyants sont très présents aussi. Quand j’étais adolescent, je faisais beaucoup de spiritisme : on faisait tourner les tables avec des verres, on parlait avec les mains. Je constatais qu’une force nous dépassait, ce que je pense toujours. N’est-ce pas la force électromagnétique des êtres autour de la table ? Si, bien sûr. Et tous nos ancêtres qu’on promène avec nous : des milliers de personnes ! Retourne-toi et tu verras ! [Il rit.] Parfois, on parle aussi avec la voix d’un autre. Prochaine célébration ? De quoi sera fait 2012, pour vous ? D’un projet qui me plaît bien – parce justement on s’échappe du rituel et des habitudes : une petite pièce de théâtre à Beaubourg, que je commence tout juste à écrire, et qui sera mise en scène avec le designer Robert Stadler. Un Autrichien. Une pièce avec ses objets, dans lequel je jouerai certainement. C’est pour la rentrée, c’est trop tôt pour en parler, mais je crois que je vais pleurer beaucoup – même si j’ignore encore les raisons de toutes ces larmes. Je n’arrive pas à pleurer dans la vie, j’aimerais le faire en public. Pour le moment, j’appelle ça La Pièce, tout simplement. Une pièce sur ses pièces à lui. Nous ne sommes que ça : des pièces dans des pièces. —

UN LIVRE, UNE EXPO

DE LA BANANE À L’ANANAS Le terme « touche-à-tout » est un cliché abondamment utilisé dans la presse culturelle. On est toutefois obligé de l’employer dans le cas de Philippe Katerine, chevalier de l’ordre des arts et des lettres (ouais), chanteur, acteur, réalisateur, qui présente aujourd’hui une exposition doublée d’un livre (ou l’inverse) intitulés Comme un ananas. L’ouvrage est un bric-à-brac (cliché) de collages photos, de croquis sur Post-it, de dessins en diptyque représentant des personnalités politiques de droite dans des situations étranges (« François Fillon + Pétanque » ou « Christine Boutin + Trou ª HW G·DXWR LQWHUYLHZV © ² Tous ces gens de droite ont commencé à me hanter dans mes rêves, j’en voyais partout, même dans ma salle de bains. – Qui ? – Alain Juppé. »). On pense à Chaval pour le trait, à Pierre la Police pour l’absurde. Ce pourrait être simplement potache, c’est surtout léger, épuré, parfois mélancolique. On frôle le poétique. L’expo proposera un parcours à travers les œuvres contenues dans le livre. Visite virtuelle : « Il y aura tout un parcours, physique. Une géographie. Tu auras les yeux dans le noir sur tout un couloir – qui ressemble à un couloir de la mort –, tu retrouveras les diptyques politiques à gauche et après Marine Le Pen, tu arriveras dans un sas complètement noir censé, j’espère, te foutre les jetons. Là, tu ouvriras une porte et tu seras face à une sculpture, un totem. » Après ça, Katerine fera du théâtre. En vingt ans de présence artistique, l’animal n’a cessé de renouveler ses formes d’expression. Et, ce qui est remarquable, sans jamais glisser sur une seule peau de banane. — J. B.-G. Livre Comme un ananas

Denoël Exposition

Galerie des Galeries, Galeries Lafayette, Paris, jusqu’au 2 juin

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CÉRÉMONIES PORTFOLIO

PHOTOGRAPHIE CHARLES FRÉGER

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PORTFOLIO CHARLES FRÉGER

DiplĂ´mĂŠ des Beaux-Arts de Rouen, Charles FrĂŠger, 37 ans, se consacre Ă ÂŤ la reprĂŠsentation poĂŠtique et anthropologique des groupes sociaux tels que les sportifs, les ĂŠcoliers, les militaires Âť. Didier Mouchel, curator et directeur de la galerie photographique du PĂ´le Image Haute-Normandie, Ă Rouen, a ĂŠcrit ceci de lui : ÂŤ /HV SDWLQHXVHV Ă€QODQGDLVHV OHV OpJLRQQDLUHV français ou les jeunes pionniers hongrois [‌]. Charles FrĂŠger cherche cette image en eux : comment un individu, un corps ou un visage deviennent l’incarnation d’un personnage et G¡XQ JURXSH O¡HIĂ€JLH G¡XQ U{OH HW G¡XQH SUpVHQFH j OD IRLV XQLTXH HW FROOHFWLYH [‌] Il constiWXH XQH DUFKLYH GH OD VXUIDFH GHV FRUSV HW GHV U{OHV R SDUDGR[DOHPHQW FKDTXH LQGLYLGX Q¡HVW MDPDLV DXVVL VLQJXOLHU TXH ORUVTX¡LO HQĂ€OH O¡XQLIRUPH G¡XQH FRUSRUDWLRQ Âť

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PORTFOLIO CHARLES FRÉGER

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CÉRÉMONIES HISTOIRE

© DR

Vous vous souvenez du peuple nord-coréen pleurant jusqu’à l’hystérie feu Kim Jong-il"? C’était encore pire plus beau en 1949 lors des funérailles de sa maman, la camarade KIM JONG-SUK.

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Icône révérée de la lutte contre l’armée impériale japonaise venue pacifier la Corée turbulente, Jong-suk, petit bout de femme au teint sombre mais au visage rieur, avait su charmer par sa nature simple et son caractère généreux. Un diplomate russe habitué à venir dîner chez les Kim se souvient d’elle comme la cuisinière la plus prolifique de Pyongyang, produisant des monceaux de kimchi, mets à base de piments et de chou chinois fermenté, pour les émissaires des nouveaux maîtres soviétiques. Disciplinée et laborieuse, elle s’était hissée durant la guerre de libération à la tête d’une escadrille de femmes à baïonnettes. Combattant PAR sur les chemins rocailleux des épaisses ANTHONY DABILA* forêts qui bordent la Russie, elle rencontre Kim Il-sung au cours d’une opération de représailles, et séduit celui qui régnera pendant quarante-cinq ans sur le pays. Mariée dans le maquis, c’est au cours d’une bataille, le 16 février 1941, qu’elle met au monde Kim Jong-il, le fils-miracle – un oiseau et un arc-en-ciel lui auraient annoncé la grandeur de cet enfant qui illuminerait le monde. Jong-suk revient épuisée sur ses terres natales et sent bien vite ses forces l’abandonner une fois la paix revenue. Rassemblant ses dernières énergies, elle prodigue d’ultimes volontés de révolutionnaire compulsive à Jong-il, qui sanglote à son chevet : « Tu dois être loyal envers notre leader, et porter sa cause révolutionnaire jusqu’à son accomplissement ! » C’est sur ces mots tendres que la courageuse mère est transportée à l’hôpital, le 22 septembre 1949. Trois heures plus tard, c’en est fini de l’idole des jeunes. PYONGYANG BLUES

Annoncée solennellement à la radio par son mari devenu leader de la République Populaire, la funeste nouvelle assomme les foules et provoque une transe collective semblable aux singulières images qui inondèrent nos écrans après la mort de Kim Jong-il, en décembre dernier. Cinquante-deux ans plus tôt, les communistes inauguraient le flash-mob funèbre, le deuil national instantané, la flagellation collégiale et coordonnée, rythmée par les pleurs de camarades apeurés et hagards – dont très peu d’images ont filtré à ce jour. Des chants retentissent sur les trottoirs de Pyongyang et on reprend en chœur une émouvante ritournelle de propagande que la défunte a composée pendant la croisade antijaponaise : La Mère-patrie guidée par l’étoile du Général. Les génuflexions d’anciens soldats aux uniformes soviétiques chargés de breloques n’étonnent pas grand-monde. Ce jour-là, dans sa toute nouvelle capitale, la Corée du Nord enterre sa première Sainte, élevée au rang d’Immortelle lors d’une cérémonie improvisée, dont le décorum protocolaire sera par la suite respecté pour toutes les funérailles officielles. Personne ne retient ni ses larmes ni ses cris, la vague d’effroi se répand, litanie de plaintes lancinantes, jusqu’à la présentation de la glorieuse dépouille. Exposée deux jours durant au Comité central du Parti, son sarcophage béant trône au milieu d’un parterre de fleurs rouge vif. « Son fils éploré trouve la force de se serrer une dernière fois contre sa poitrine », raconte Kim Ok-sun, une de ses anciennes fidèles qui écrira sa biographie officielle.

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REQUIEM POUR UNE KIM

Le 24 septembre, à une heure de l’après-midi, lorsque ses camarades d’armes et les officiels du Parti portent son cercueil vers sa dernière demeure, un voile sinistre recouvre tous les visages et la contrition fait place au silence. Le corbillard marque de multiples haltes pour que les gens du commun

puissent rendre hommage à leur héroïne. Le comble de l’émotion est atteint lorsque le cortège s’immobilise devant le pont menant à la résidence de Jong-suk. Dressé sur le pas de la porte, le petit Jong-il salue le mausolée ambulant. Submergé par l’idée implacable de la mort, il jure qu’il accomplira coûte que coûte l’idéal égalitaire maternel. Les préceptes inculqués lui reviennent en tête : « Ton père est un grand homme. Il dirige notre peuple vers le bonheur. Tu dois prendre soin de lui. Si le Général se porte bien, notre pays sera plus fort et le peuple vivra dans la joie. » A 7 ans, Jong-il se voit donc indirectement chargé du bien-être de la nation. Jusqu’à la colline aux pivoines où elle reposera pour l’éternité, plus de dix mille badauds accablés gémissent, alors que d’autres suivent l’événement à la LES COMMUNISTES TSF, la gorge serrée. La INAUGURAIENT famille assiste enfin aux LE FLASH-MOB rites funéraires rendus par l’armée. Jong-il tient FUNÈBRE. la main de sa cadette, Kyong-hui, 3 ans. Disposant péniblement des bouquets sur la tombe avant d’éclater en sanglots, leur père essaie d’atténuer leur souffrance : « Vous ne devez jamais l’oublier. Les traces des pas ensanglantés de votre mère doivent rester gravées sur les sentiers du pays ! » Cette mise en terre démentielle était-elle sincère ou largement exagérée ? Probablement les deux mon général, quoique la folie des Kim ne permette aucune certitude. Elle reste cependant l’élément fondateur d’un aspect singulier de la propagande nord-coréenne : l’attachement outrancier aux dirigeants et le déluge lacrymal accompagnant leur disparition, qui nous surprit encore cet hiver par sa permanence anachronique. — * Anthony Dabila a collaboré avec Diane Ducret sur Femmes de dictateur (éditions Perrin), recueil d’histoires d’amour propres aux tyrans (Mussolini, Staline, Lénine, Mao, Hitler…), dont le premier tome s’est vendu à 70 000 exemplaires. Le second, paru en février, dévoile les bluettes de Saddam, Castro, Ben Laden, Khomeiny, Milosevic, et de ce cher Kim Jong-il. numéro 35 — 115


CÉRÉMONIES EMPLOI

Enfer"! Je viens de mourir, mais je ne crois pas en Dieu": à quoi vont ressembler mes funérailles"? Demandons à FRANÇOIS DURIF, maître de cérémonie laïque.

A l’affiche du cinéma du Panthéon, on annonce De battre mon cœur s’est arrêté, mais les séances ne commencent que l’après-midi. A l’intérieur pourtant la salle est remplie. Sur l’écran est projetée une grande photo, au micro se succèdent des discours et autres lectures, un peu de musique, aussi. Au centre trône une table sur laquelle, couvert de fleurs, est installé… un PAR BERTRAND GUILLOT cercueil. Un vrai, rouge pompier. Dans un coin, discret, se tient François Durif, le « maître de cérémonie », qui a tout prévu avec les enfants de la défunte. Rendez-vous au cimetière du Montparnasse pour un dernier adieu. On lira un poème de Pessoa, on passera un chant judéo-espagnol déchirant, un transistor posé sur le cercueil. Sacrilège ? DONNER UNE FORME À L’INVISIBLE

François Durif n’est pas un croque-mort comme les autres. Diplômé des Beaux-Arts de Paris, il a été l’assistant du plasticien suisse Thomas Hirschhorn (voir encadré) avant de quitter le monde de l’art pour entrer chez L’Autre Rive – l’une des cinq mille agences de pompes funèbres françaises. « Paradoxalement, je ne me suis jamais senti aussi artiste, notamment en organisant avec les familles des cérémonies laïques. Car qu’est-ce qu’un rituel, sinon donner une forme à quelque chose qui nous dépasse ? » Que l’on soit croyant ou non, la mort « nous confronte à l’invisible », ajoute-t-il. Les religions sont nées de ce besoin d’apaiser notre peur du néant et les 116 — numéro 35


premiers rites humains étaient funéraires. Dans son essai La Cérémonie des adieux (L’Atelier, 2012), le prêtre lyonnais Christian Biot écrit : « La finalité, ce n’est pas d’abolir la mort, de la nier ou de la cadrer, mais de la transfigurer, de la traduire, de lui donner un sens [pour] passer outre la cruauté de l’inéluctable. » Mais quelle cérémonie organiser quand on dispose de moins d’une semaine pour tout régler ? Comme l’observe François Durif, « tout va très vite après la mort ». Entre chagrin et formalités administratives, on a tôt fait de subir le parcours fléché impersonnel du commun des mortels. Résumons : 550 000 personnes meurent «"JE NE ME SUIS en France chaque année, dont 80 % à l’hôpital ou en JAMAIS SENTI maison de retraite. La loi AUSSI ARTISTE"» précise que les obsèques FRANÇOIS DURIF, doivent être organisées CROQUE-MORT dans les six jours ouvrés qui suivent le décès. Tout commence dans la chambre mortuaire, où le corps, toiletté, est exposé dans son cercueil. Une fois fermé, ce dernier est enlevé par les pompes funèbres pour le convoi. Dans une moitié des cas, on passera par un lieu de culte, avec un sermon rarement réconfortant, puis ce sera le cimetière (dans 70 % des cas) ou le crématorium. A Paris, 40 % des décédés sont incinérés au Père-Lachaise : la cérémonie est réduite à trente minutes, avec des préposés officiant à la chaîne suggérant quelques CD d’accompagnement (le Requiem de Mozart ou l’Adagio de Barber). Le cercueil descend dans les flammes, l’urne (contenance réglementaire : 3,5 litres) est laissée à la famille… et au suivant.

V.1 Vis-à-vis d’une vierge noire — mains tenant le vide — avec la maquette d’une urne-maison.

BIO EXPRESS

PRÈS DU GRAND TROU Diplômé des Beaux-Arts de Paris, François Durif fut cinq ans l’assistant du sculpteur suisse Thomas Hirschhorn (Prix Marcel-Duchamp 2000), à casser des os humains ou découper des photos de cadavres. Dans ses propres œuvres, il développe l’idée d’être au service de. Il fait le ménage chez des inconnus et en tire le texte Homme d’intérieur (2001). Il sera ensuite « homme-assis », posté sur l’île aux Cygnes à Paris, puis « hommetrou », à Stuttgart, enterrant toutes ses créations avant de quitter le monde de l’art. Rebondissant sur sa dernière performance, une conseillère de Pôle Emploi lui propose une formation de 96 heures pour devenir assistant funéraire. Il intègre en 2005 l’agence L’Autre Rive, où il devient bientôt spécialisé dans l’accompagnement des familles et l’organisation de cérémonies laïques. A 44 ans, François a retrouvé le chemin de l’atelier. « Sculpteur-scripteur », il travaille sur des monuments funéraires et des urnes en pierre de lave. « L’homme a besoin d’art pour faire face à l’altérité de la mort, mais aujourd’hui la mort est le temple du kitsch », constate-t-il. Il ne tient qu’aux artistes de s’emparer du sujet. — B. G.

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EMPLOI CROQUE-MORT

Table des Matières.3 « Façon de disposer les archives des années d’immersion dans le monde funéraire, avec les images et livres qui me servaient alors de points d’appui. » François Durif 118 — numéro 35


LES GESTES QUI SAUVENT

A MON DERNIER REPAS

Notre croque-mort raconte aussi ces funĂŠrailles d’une tristesse infinie, avec une ou deux personnes seulement. Brel, Fernand (1966) : ÂŤ Dire que je suis seul derrière / Dire qu’il est seul devant / Lui dans sa dernière bière / Moi dans mon brouillard / Lui dans son corbillard / Moi dans mon dĂŠsert. Âť Ou pire encore : les prĂŠvoyants qui contractent une convention-obsèques en cochant la case sans cĂŠrĂŠmonie. Pas facile pour les proches. Etymologiquement, rappelle François Durif, le croque-mort est celui qui ÂŤ fait disparaĂŽtre le corps du mort Âť, prĂŠparant ainsi le travail de deuil. ÂŤ En ÂŤ"FAITES TOMBER mettant la mort Ă distance, LES PEURS ET VOUS notre sociĂŠtĂŠ a tout faux. VERREZ QUE LES Car sans cĂŠrĂŠmonie et sans GENS RETROUVENT deuil, les morts reviennent NATURELLEMENT nous hanter – symboliqueLES GESTES"Âť, ment – et tout ça se traite FRANÇOIS DURIF, chez le psy ou avec des anCROQUE-MORT tidĂŠpresseurs. Âť Des ĂŠtapes Ă franchir, une Ă une, que nous brĂťlons. Nous avons tant dĂŠlĂŠguĂŠ la mort que nous ne savons plus que faire. Et pourtant, la mĂŠmoire de l’espèce a des ressources insoupçonnĂŠes quand on ne la bride pas dans un process. ÂŤ Faites tomber les peurs et vous verrez que les gens retrouvent naturellement les gestes Âť, assure François. Il plaide avec force ÂŤ pour que l’on se rĂŠapproprie la mort Âť – pour retrouver le sens du rite de passage, avec ou sans religion, en se rappelant sa fonction première : marquer la limite avec l’au-delĂ .

Le premier moment est celui de la veillĂŠe. Dans les temps anciens, c’Êtait incontournable – le dĂŠfilĂŠ des amis, des voisins, des parents. ÂŤ Aucune sociĂŠtĂŠ ne traite le corps mort comme un cadavre Âť, souligne le docteur en thĂŠologie Christian Pian. Si certains refusent de le voir, d’autres, retrouvant des gestes immĂŠmoriaux, dĂŠposent des objets, ou des messages, que le dĂŠfunt emportera avec lui. Cette ĂŠtape se clĂ´t avec la fermeture du cercueil, moment fort de sĂŠparation que le croquemort ne manque jamais d’annoncer – ÂŤ nous sommes lĂ aussi pour nommer les choses et scander chaque ĂŠtape Âť, insiste François. La deuxième, syncrĂŠtique, empruntera volontiers Ă toutes les traditions. Les ingrĂŠdients sont toujours les mĂŞmes : souvenirs, prises de parole, textes ou chansons, recueillement. Et musique, classique‌ ou non. François Durif a connu des enterrements oĂš Jean Ferrat et Johnny Hallyday avaient un rĂ´le important – ÂŤ pour exprimer ce que souvent l’on n’arrive pas Ă dire Âť. L’avant-dernière ĂŠtape sera celle du dernier adieu, de la disparition totale de l’urne ou du cercueil. Avant-dernière ? Oui. Le repas qui suit l’enterrement est en effet indissociable du rituel. Car c’est Ă cela que servent les cĂŠrĂŠmonies funĂŠraires : honorer les morts, prĂŠparer le deuil, mais aussi se souvenir que nous sommes vivants. —

Exposition funĂŠraire Les Masques de jade mayas

Pinacothèque de Paris Jusqu’au 10 juin

TÉLÉVISION

SIX FEET UNDER!: AVIS D’EXPERT Parfaitement ĂŠcrite, la sĂŠrie d’Alan Ball, diffusĂŠe sur HBO entre 2001 et 2005, suit le quotidien d’une fratrie d’entrepreneurs de pompes funèbres Ă Los Angeles. ÂŤ Six Feet Under a permis Ă beaucoup de gens de se familiariser avec le mĂŠtier, et d’en parler plus librement, reconnaĂŽt François Durif. Elle montre aussi Ă quel point le premier contact avec la famille est important et conditionne la suite. Âť Comme lui le faisait chez L’Autre Rive, les frères Fisher soignent le rapport aux clients. ÂŤ Le feuilleton montre aussi le mĂŠtier pratiquĂŠ GDQV OHV JUDQGHV DJHQFHV R FKDFXQ QH YRLW TX¡XQ ERXW de la chaĂŽne : l’un qui reçoit les proches et prĂŠpare un devis, un autre qui gère la cĂŠrĂŠmonie. Âť Mais le parallèle s’arrĂŞte lĂ . ÂŤ Dans la sĂŠrie, tout se passe au funĂŠrarium, avec une vraie mise en scène du corps avant la fermeture du cercueil, dans une ambiance très cosy. Et puis, Six Feet Under aborde les sujets frontalement. En France, nous sommes très latins face Ă la mort, avec un cortège de tabous Ă dĂŠpasser‌ Âť — B. G. DVD Saisons 1 Ă 5

Warner

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Reste, 2011 Faïence émaillée, 41 x 14 x 6 cm Page de gauche Coiffeuse (détail), 2012 Bois, papier toilette et colle, 144 x 91 x 61 cm numéro 35 — 121


PORTFOLIO FLORIAN BÉZU

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Cire 1, 2 ,3 ,4 et 5, 2011 Bougies et papier, 21 x 29,7 cm

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PORTFOLIO FLORIAN BÉZU

Exposition collective

Une chaînette relie toutes les pendeloques et forme le corps principal de l’objet

Mains d’Œuvres, Saint-Ouen, Du 12 mai au 1er juillet

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"Guirlande, 2011 Faïence émaillée, biscuit de porcelaine et rubans, Galerie Gauche, Ensba, Paris Page de droite "Champ de bataille (détail), 2010 Grès et faïence émaillés, Dimensions variables, Ensad, Paris numéro 35 — 125


CÉRÉMONIES POLITIQUE

Pour dénoncer les liens entre Vladimir Poutine et le clergé, le groupe punk moscovite PUSSY RIOT a piraté une cérémonie orthodoxe. Arrêtées, deux de ses membres risquent sept ans de prison. Dans les ors opulents de la cathédrale du Christ-Sauveur de

Moscou se lève un vent de tumulte, entre deux bâillements et filets de bave de touristes hagards. Le 21 février dernier, postée à quelques pas de l’autel, au pied de l’iconostase principal rendant gloire aux apôtres évangélistes, une meute en furie entonne sa prière sacrilège. Holy Shit, c’est son nom, fait bouger les PAR JULIEN TAFFOUREAU murs byzantins et ses atours rococo. La dégaine est étudiée : minijupes-débardeurs sur leggings et godillots, comme l’antiquité riot grrrl Courtney Love, avec cagoules en tricot puérilo-anar laissant apparaître des langues tirées, à la Stupéflip ou Tyler the Creator. Le foutoir explose-tympans qui va avec, aussi : entre lacérations de guitares punks et grognements aléatoires presque hip hop, on rallume les trente-six chandelles du Birthday Cake de Cibo Matto et les missives des Sex Pistols les plus chargées sur une chorégraphie de poings moulinés façon air boxe. Avec des couleurs, partout, pour perturber la vision des hostiles en même temps que renforcer la joie communicative des potentiels soutiens, et des fessées mimées qui claquent, comme pour dire « viens me chercher, pour voir ».

le calice : passé l’étonnement de l’assemblée, qui ne sait pas si ça tient de l’art ou du cachot, quelques fidèles ne voyant aucun souci à associer un Jésus à pagne et un président à Rolex tentent d’attraper les malotrus en attendant l’arrivée de la police. Les énergumènes masquées prennent le maquis comme elles peuvent, mais la flicaille finira par retrouver leur trace : les 3 et 4 mars, soit le week-end du premier tour de l’élection présidentielle, quatre d’entre elles (plus un de leurs copains) sont appréhendées. Parmi elles, Maria Alyokhin et Nadejda Tolokonnikova sont mises en examen pour trouble « évident » de l’ordre public, « hooliganisme, incitation à la haine religieuse et conspiration organisée » : des chefs d’inculpation passibles de sept ans d’emprisonnement dans la législation russe. Niant leur appartenance au mouvement néo-féministe Pussy Riot auquel on les rattache (où règne le culte de l’anonymat et des pseudos), les deux jeunes mamans entament une grève de la faim. Derrière les barreaux et le ventre vide, espérant sensibiliser la population au bâillonnement systématique de ceux qui refusent la révérence pieuse, elles assistent bouche bée à la réélection programmée de leur ennemi. La Russie en est donc là ?

DE L’ART OU DU CACHOT

SAINTE-SUEUR

Dénonçant dans la grogne la collusion des autorités religieuses et du pouvoir politique, et dans le blasphème l’incohérence d’une Eglise miséricordieuse réduite à un alibi pour magouilleurs, les chants des femmes-mystères supplient finalement la Vierge Marie de bouter le mâle Vladimir hors du siège de patriarche. C’est la goutte d’acide qui fait déborder

Ce n’était pourtant pas la première fois que les « Chattes de l’émeute » dégoupillaient leur rage. Depuis sa création en septembre dernier, au lendemain de l’annonce de la nouvelle candidature à la présidence de Poutine, le collectif de vingtenaires intellos précaires (majoritairement constitué d’étudiants ayant potassé les gender studies) a pris l’habitude de semer

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!CULOTTÉ ET NÉCESSAIRE!

Š Despina Zacharopoulou/ Igor Mukhin

L’Êcrivain WENDY DELORME, ex-membre de la troupe ĂŠnervĂŠe Kisses Cause Trouble, rĂŠagit Ă l’arrestation des deux Pussy Riot.

La Mère, la Sainte et la Putain (Lettre à Swann)

Au Diable Vauvert, 2012

Perturber façon punk une cĂŠrĂŠmonie religieuse, tu trouves ça drĂ´le ? CulottĂŠ ? Wendy Delorme : CulottĂŠ et nĂŠcessaire. Pour se faire entendre, la provocation est souvent de rigueur. Cette stratĂŠgie rĂŠvèle la fonction phatique du langage militant : capter l’attention. Les Panthères Roses, un groupe parisien qui lutte contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie et le classisme, ont employĂŠ cette mĂŠthode en interrompant une messe Ă Notre-Dame en 2005 [pour protester contre un livre de Jean-Paul II, MĂŠmoire et IdentitĂŠ, qui faisait un parallèle entre la Shoah et l’avortement] de mĂŞme que les militant-e-s d’Act-Up. Avec Kisses Cause Trouble, vous ridiculisiez aussi les codes du culte‌ Effectivement, dans la scène nĂŠo-burlesque, il y avait le personnage de ÂŤ Miss S. Purple Âť, jouĂŠ par la performeuse Nadège Piton, qui remettait en cause le poids des principes catholiques sur le corps et les esprits, et sur l’image des femmes et des minoritĂŠs sexuelles. DĂŠguisĂŠes en religieuses, nous jouions des tableaux de vie assez punks. Et si vous viviez Ă Moscou ? Il faudrait rĂŠagir, bien sĂťr. DĂŠbut mars, le gouverneur de Saint-PĂŠtersbourg a votĂŠ une loi rĂŠprimant ÂŤ la propagande homosexuelle Âť [les auteurs de tout ÂŤ acte public Âť faisant la promotion ÂŤ de l’homosexualitĂŠ et de la pĂŠdophilie Âť] ; le texte, qui pourrait ĂŞtre adoptĂŠ par d’autres YLOOHV GX SD\V HVW DVVH] Ă RX HW SRXUUDLW FRQFHUQHU DXVVL ELHQ XQH DIĂ€FKH GH Ă€OP PRQWUDQW GHX[ hommes ou deux femmes en train de s’embrasser qu’une manif’ de type Gay Pride... Angoissant. Et très grave, puisqu’il fait encore l’amalgame entre homosexualitĂŠ et pĂŠdophilie. Dans le documentaire Too Much Pussy (Emilie Jouvet, 2009), qui suit une tournĂŠe nĂŠo-burOHVTXH OD SHUIRUPDQFH Ă€QDOH j ODTXHOOH WX SDUWLFLSHV SDURGLH XQH FRPPXQLRQÂŤ Ce n’Êtait pas une parodie. MaĂŽtresse de cĂŠrĂŠmonie, la performeuse Sadie Lune sortait un Ĺ“uf de VRQ YDJLQ QRWUH Š KRVWLH ÂŞ TX¡HOOH pFDODLW HW SDUWDJHDLW HQWUH OHV TXDWUH Ă€OOHV DJHQRXLOOpHV DXWRXU d’elle. Un acte de communion, un geste symbolique qui nous reliait et qui partait du ventre. — Propos recueillis par Richard Gaitet numĂŠro 35 — 127


POLITIQUE PUSSY RIOT

OCCUPY PLACE ROUGE

Quelques semaines plus tard, le 20 janvier, les indignées se tapent la Place Rouge. Hissé devant la cathédrale Saint-Basile, sur le Lobnoye Mesto, cette estrade circulaire utilisée autrefois pour rendre publics les édits du tsar, Pussy Riot fait sa loi. Fumigènes abrasifs, draps tagués à la bombe de peinture et drapeau du mouvement (croisement sur fond violet du poing serré révolutionnaire et du cercle rompu du sigle féminin) dans les mains, elles appellent à entrer en dissidence – leur vomi de l’autoritarisme et des abus toujours craché par des enceintes survoltées. Depuis ces premiers contacts explosifs avec la population, la formation serait dans le collimateur du flippant « E », le centre chargé de la prévention de l’extrémisme, dont les membres cravatés se prendraient le chou à dénouer les fils de leur communauté virtuelle, qui maintient en contact plusieurs dizaines d’anonymes aux fonctions complémentaires : paroliers, musiciens, performeurs, affichistes, vidéastes, monteurs… 128 — numéro 35

UNITED COLORS OF REVOLUTION

Gros problème pour les agents de la paix : l’engouement autour de la smala arc-en-ciel brouille les pistes en entraînant des dizaines de fausses confessions d’encagoulées sur YouTube (« Oui, je suis une Pussy Riot »). Vite rapproché du collectif street-art Voina, connu pour ses orgies éclairs dans les lieux publics et ses bites géantes taguées sous le nez du FSB (ex-KGB) sur le pont de Saint-Pétersbourg, Pussy Riot est devenu en quelques semaines la coqueluche de la jeunesse russe et des milieux alternatifs – s’attirant même, au-delà des happenings reproduits par des fans et des couv’ de magazines arty, le soutien imprévu de vieux loups barbus du hard-rock du pays. Hilare à l’idée de cette régnant LA GOUTTE D’ACIDE confusion dans les bureaux du QUI FAIT DÉBORDER pouvoir, l’escouade LE CALICE. jette de l’huile sur le feu. A les entendre, Poutine flipperait tellement sa race qu’il aurait des notes de teinturier aussi salées que les fientes qui garnissent les frocs des froussards. Si le père fouettard, reconduit, n’a pour le moment pas vraiment de souci à se faire, ses sbires verraient déjà dans la manœuvre l’éventualité d’un complot américain faisant fleurir des groupuscules d’ennemis intérieurs pour faire sombrer l’empire ; une grosse ficelle sur laquelle il pourrait tirer à mort dans les prochains mois, si jamais venait à son peuple l’idée saugrenue de contester sa légitimité. Heureusement, dans l’ombre, Pussy Riot s’échauffe déjà à parasiter les propagandistes et pimenter les hosties, faisant confiance à l’Histoire pour lui apprendre s’il est le dernier souffle d’un corps résigné, ou bien l’oracle d’une révolution. — Remerciements Vava Dudu, La duchesse de Langeais et Denis Sneguriev

© pussy-riot.livejournal.com

la contestation dans les endroits les plus insolites. Appelant de ses vœux un « printemps russe » semblable aux révoltes arabes, on a pu croiser ses petits soldats à pompons sur les rails du tramway ou dans les couloirs du métro, en passant par les cabines de bus, occupés à inviter avec véhémence leurs concitoyens à « laisser l’air d’Egypte insuffler [leurs] poumons ». Un premier fait d’arme donne à la troupe un rayonnement international : en décembre, elle parvient à s’infiltrer dans la prison où était incarcéré l’avocat-blogueur Alexeï Navalny (voir Standard n°31) pour avoir dénoncé la corruption galopante, en particulier le bourrage d’urnes orchestré par les troupes poutiniennes de Russie Unie lors des législatives ayant eu lieu quelques jours plus tôt. Sous les hourras des bagnards et les pieds dans la neige, les lutins laineux fanfaronnent une oraison funèbre à destination des établissements pénitentiaires où sont muselés les opposants.


LA MÉTROPOLE SILENCIEUSE GAËTAN BRUNET ET ANTOINE ESPINASSEAU

5 MAI – 16 JUIN 2012

151, rue amelot, 75011 Paris tél. +33 1 43 55 62 94 tél. +33 6 76 64 32 78 www.florenceleoni.com info@florenceleoni.com du mercredi au dimanche de 14h à 20h métro filles du calvaire, république


CÉRÉMONIES LITTÉRATURE

Allons z’enfants de la patrie, six écrivains imaginent pour Standard les CÉRÉMONIES D’INVESTITURE des principaux candidats à l’élection présidentielle.

EVA JOLY

Le chant des baleines Paris (Reuters) : Samedi 14 juillet, la cérémonie d’investiture d’Eva Joly fut loin de la sobriété attendue de la part de la nouvelle présidente de la République. 10h : Invités et officiers, visiblement perturbés par l’annulation du traditionnel défilé des Champs-Elysées, patientent dans la cour d’honneur sur le tapis vert, très pressés de découvrir le résultat des travaux opérés au Palais depuis le mois de mai, raison officielle PAR AUDE WALKER pour laquelle la prise de pouvoir d’Eva Joly a été repoussée. 11h : Une cinquantaine d’enfants et de seniors arrivent en rang et au pas, vêtus de peu, et ouvrent les portes de la salle des fêtes aux vingt-cinq invités. Privés d’électricité à cause d’un acte de vandalisme commis sur la mini éolienne de la rue Cambacérès, les invités n’ont pas l’heur d’apprécier les changements du Palais amputé des ors réservés « aux cols blancs et aux princes de la Françafrique. » 11h15 : Arrivée de la famille Joly : ses deux enfants, Caroline et Julien, et sa cousine, la comique Sylvie Joly. 13h : L’orchestre de la Garde Nationale joue les premières notes du chant des baleines. Un retard de dernière minute est annoncé. 18h : Précédée de Bernard Tapie, son Premier ministre et président intérimaire très amaigri, Eva Joly arrive au Palais au sommet d’un tracteur conduit par José Bové, président du Sénat. A ses côtés, la chanteuse Björk, présidente de l’Assemblée Nationale, entonne à son tour le chant des baleines. La nouvelle présidente, très bronzée après son séjour de trois mois en Norvège, porte en écharpe son titre de reine de beauté obtenu dans son pays en 1961. Ses cheveux semblent plus courts et ses lunettes plus larges. 18h15 : Après la cérémonie de la Légion d’honneur, Eva Joly énonce ses premiers mots de présidente officiellement investie à la tête de la République Primitive de l’Intégrité et de la Transparence. Malgré le coaching de Marion Cotillard, la déclaration, au cours de laquelle Eva Joly égrène une série d’imitations d’accents (juif séfarade, maghrébin, belge et yiddish), reste opaque. Elle clôt son discours par la lecture des relevés de comptes du président de BNP Paribas. 18h45 : Honneur militaire et revue des troupes constituées de faux SDF et de toxicomanes, ainsi que de déficients mentaux avérés, venus de l’hôpital psychiatrique d’Etampes, où la Présidente fut conseillère juridique au début de sa carrière. Les 130 — numéro 35

traditionnels vingt et un coups de canon sont remplacés par vingt et un jets d’enfants nus sur la pelouse peu entretenue du Jardin. 19h30 : Départ d’Eva Joly sous les cris (« Je t’emmerde ! Je t’emmerde ! ») d’un petit groupe de manifestants, parmi lesquels on a pu reconnaître Loïk Le Floch-Prigent. 20h : Dîner chez l’actrice Marion Cotillard et son compagnon Guillaume Canet. 23h : David Douillet, ancien judoka et ministre des Sports, est arrêté en bas de l’immeuble où résident les deux acteurs, une ceinture d’explosifs attachée à la taille. — Journaliste, Aude Walker vient de publier Un homme jetable (Moteur), qui raconte l’enthousiasme puis les désillusions d’un jeune branleur, Jules, embauché comme intermittent pour le parc nucléaire français, fasciné par le côté secret des centrales nucléaires mais confronté à l’âpreté sociale d’une profession sinistrée.


JEAN-LUC MÉLENCHON Cirque chinois

ÂŤ Monsieur le prĂŠsident de la RĂŠpublique, nous vous reconnaissons comme grand maĂŽtre de l’ordre national de la LĂŠgion d’honneur. Âť Ces mots auraient dĂť ĂŞtre prononcĂŠs par le Grand Chevalier de la LĂŠgion d’honneur, mais il avait dĂŠmissionnĂŠ après le second tour. Le proctocole, comme l’appelait le prĂŠsident-ĂŠlu, prĂŠvoyait alors que ce soit le doyen des grand-croix qui s’en charge. Lui aussi avait dĂŠPAR SABRI LOUATAH missionnĂŠ : on demanda donc Ă Dany Boon, simple chevalier, de proposer l’imposant collier au candidat victorieux, qui se fit ensuite apporter par son bras droit franco-chinois un bac d’acide sulfurique, oĂš il tint sa promesse d’en finir avec cette ÂŤ aberration de la monarchie rĂŠpublicaine Âť. Les rangs de la salle des fĂŞtes de l’ElysĂŠe avaient ĂŠtĂŠ garnis de sans-papiers rĂŠgularisĂŠs, le nouveau chef de l’Etat français portait une veste d’ouvrier. Il se fit communiquer les codes nuclĂŠaires et s’acquitta de la visite rituelle au maire de Paris. Un grand rassemblement populaire ĂŠtait prĂŠvu Ă la Bastille, avec des spectacles de cirque chinois au pied de la colonne de Juillet. On savait dĂŠsormais que l’Êlection de MĂŠlenchon devait tout Ă l’inscription en masse de la communautĂŠ chinoise sur les listes ĂŠlectorales. SĂŠduits par les attaques de MĂŠlench’ contre la thĂŠocratie

tibĂŠtaine, nos compatriotes aux yeux bridĂŠs s’Êtaient vraiment dĂŠcidĂŠs après le soutien officiel de Hu-Jin Tao, qui avait en outre promis d’annuler la dette française en cas de victoire de Yan-Houk. A 18 heures, Yan-Houk prononça le plus beau discours de sa carrière, et dĂŠcouvrit sous les vivats de la foule la surprise du prĂŠsident chinois : le GĂŠnie de la Bastille avait ĂŠtĂŠ transformĂŠ, par le sculpteur officiel du PCC, en un buste Ă son effigie. Mais soudain les camĂŠras zoomèrent sur le visage de bronze : on reconnaissait bien la chevelure et le menton de notre prĂŠsident, mais ses yeux avaient ĂŠtĂŠ effilĂŠs et ses pommettes aplaties. Un silence de mort s’abattit sur la place – Ă peine contrariĂŠ par les cris d’auto-encouragement des jolies acrobates du cirque de PĂŠkin. —

Après le premier tome des Sauvages (Flammarion) en janvier, oĂš nous ĂŠtait prĂŠsentĂŠ Chaouch, candidat socialiste d’origine kabyle supposĂŠment victorieux face Ă Nicolas Sarkozy lors du second tour de la prĂŠsidentielle, Sabri Louatah prĂŠpare pour le 2 mai le GHX[LqPH ² DYHF XQ &KDRXFK Š entre la vie et la mort et les banlieues qui crient "Sarko assassin !" ÂŞ ² HW V¡DWWDFKH j ERXFOHU OH troisième. numĂŠro 35 — 131


CÉRÉMONIES POLITIQUES-FICTIONS

MARINE LE PEN

Trouille bleue sur tapis rouge Qu’est-ce que je fous là ‌ C’est arrivĂŠ pendant que l’agent des services secrets prenait son empreinte vocale. ÂŤ Au cas oĂš quelqu’un voudrait usurper votre identitĂŠ Âť, il lui a expliquĂŠ, en finissant sa phrase par ÂŤ Madame la PrĂŠsidente Âť. Elle aurait aimĂŠ lui sourire, plaisanter mĂŞme, en disant qu’on aurait du mal Ă trouver son sosie, mais ses lèvres ne rĂŠpondaient pas. Sortir de la zone euro‌ comment je vais faire pour sortir de la zone euro ? PAR AXL CENDRES Et le retour au franc‌ Plus tard, pendant qu’elle trainaĂŽt sa trouille bleue sur le tapis rouge qui traversait la cour d’honneur, elle se demandait si la peur qu’elle voie dans les yeux des autres ĂŠtait le reflet de celle dans les siens, ou si tous ces gens, comme elle, prenaient pleinement mesure de l’ampleur de la catastrophe. Lorsqu’elle a vu l’autre, montĂŠ sur talonnettes, qui l’attendait sur le perron en frĂŠtillant sur ses jambes, elle a eu envie de prendre les siennes Ă son cou, mais elles non plus ne rĂŠpondaient pas. En tĂŞte Ă tĂŞte, dans la salle forte sous le palais de l’ElysĂŠe, il articule en prenant soin de dĂŠtacher chaque chiffre de chaque lettre, le regard droit devant la feuille qu’il tient fermement. ÂŤ F 7 A 4‌ Âť Il prend une pause pour essuyer les gouttelettes qu’il sent se former Ă la racine de ses cheveux ; lève les yeux sur elle, se rend bien compte qu’elle ne l’Êcoute pas. 132 — numĂŠro 35

Et le dĂŠremboursement de l’IVG‌ C’Êtait une folie‌ Pourquoi j’ai promis ça ? A tous les coups ça va engendrer un mouvement social sans prĂŠcĂŠdent‌ ÂŤ Madame, il dit en dodelinant de la tĂŞte d’un air agacĂŠ, je suis en train de vous donner le code du feu nuclĂŠaire ! Âť Après que la voiture dans laquelle il se trouvait a quittĂŠ l’ElysĂŠe, Madame la PrĂŠsidente s’est dirigĂŠe vers la grande salle des fĂŞtes oĂš on l’attendait en chuchotant. Alors qu’elle s’apprĂŞtait Ă donner sa première allocution, elle en est arrivĂŠe Ă la conclusion, en voyant toujours la peur dans les yeux des autres, que c’Êtait bien la leur et non le reflet de la sienne, puisque celle-ci avait disparu. Et tout au long de son discours, elle frĂ´lera de la pulpe de ses doigts l’extrĂŠmitĂŠ de la feuille sĂŠcurisante, qui se trouvera dĂŠsormais toujours dans la poche de son tailleur‌ —

Après Aimez-moi maintenant, Mes idĂŠes folles et Echecs et but ! (Sarbacane), l’explosive Axl Cendres s’est isolĂŠe dans la brousse nĂŽmoise pour terminer /D 'U{OH GH 9LH GH %LERZ %UDGOH\, dont le hĂŠros ÂŤ HVW FHQVp FRPPH OH YHXW OD WUDGLWLRQ IDPLOLDOH Ă€QLU derrière le comptoir d’un bar Ă tocards perdu dans l’Illinois ; oui mais voilĂ , il possède un don : il ne connaĂŽt pas la peur, ce qui le conduira peut-ĂŞtre Ă sauver le monde. Âť Sortie prĂŠvue en septembre chez le mĂŞme ĂŠditeur.


FRANÇOIS BAYROU Modérateur national

« A force de se prendre pour le Christ, on finit par se voir crucifié », me souffle une proche de Nicolas Sarkozy, venue assister à la transformation du leader du Mouvement Démocrate en président de la République française, dans l’espoir de se faire « rallier » par l’homme qui parle en citant la Bible et intégrer un éventuel futur secrétariat. « Il ne s’est pas pointé en PAR AURÉLIEN LEMANT tracteur, c’est déjà ça. » La fille est crispée, elle joue avec ses bagues en persiflant. Je l’ai déjà vue à l’Elysée, mais dans quelle salle et sous quel mandat ? – En vérité, je vous le dis, ce jour est celui de tous les Français, avait commenté François Bayrou, depuis le bistrot où il fêtait en cravate orange avec une petite quinzaine de proches – « Marielle, si on passe, il me faut l’anti-Fouquet’s ! » – l’annonce de l’impossible selon Pujadas : sa victoire in extremis contre son homonyme du PS. S’était ensuivie une brève réflexion sur le retour de la France aux sources de la Ve République, une longue citation de Péguy (« Voici le lieu du monde où tout est revenu / Après tant de départs, après tant d’arrivées / Voici le lieu du monde où tout est pauvre est nu / Après tant de hasards, après tant de corvées »), deux, trois mots en béarnais, puis ce fut tout. Rideau. Subitement, les Français regrettaient la Concorde, Jeane Manson et Christian Clavier. Et maintenant, un immonde collier reposant sur un coussin rouge dans l’attente d’une nuque à étrangler, celui que nous avions choisi comme modérateur national faisait vibrer l’Evangile :

– En vérité, je vous le dis, je n’aurai de cesse de faire en sorte que nous nous battions, ensemble, contre ces quatre cavaliers de l’Apocalypse que sont le Chômage, la Multiplication des déficits et la Dette. « Ça fait trois », pouffe Villepin derrière un pylône, en effaçant de ses longs doigts jaunes un SMS de menaces de Copé. Tahar Ben Chabane, d’une « circo » d’Orléans, le fricasse du regard. On ne rigole plus, au MoDem. On a peur : on est au pouvoir. On ne rigole plus et on pleure, Sarnez en madone, femme-fontaine, Benahmias triste même heureux, Douste blasté, Wehrling éteint, Lassalle grave comme un condamné à mort, tous un peu à côté de leur victoire. Il n’y a guère que Manuel Valls qui sourit, lui qui sait depuis deux heures (c’est lui-même qui me l’a dit) qu’il fera partie des douze apôtres du gouvernement Bayrou. Douze ministres contre l’Apocalypse, en prenant en compte le cavalier manquant, cela nous fait tout de même du trois contre un. S’ils échouent, les gars du MoDem n’ont aucune excuse. Dehors, vingt tirs de canon depuis les Invalides. Il manque un boum ? « Premier couac », ricane Villepin. —

Aurélien Lemant vient de publier Traum – Philip K. Dick, le martyr onirique (Le Feu Sacré), « essai poétique composé de trois mini essais, le premier autobiographique, le second centré sur la vie de l’auteur américain du Maître du Haut Château (19281982), le troisième nous englobant tous. Le rêve, la folie et le doute sont les trois mamelles du texte. » numéro 35 — 133


CÉRÉMONIES POLITIQUES-FICTIONS

NICOLAS SARKOZY

Tant que les heures passent Il se réveille en bâillant. Son téléphone indique 13h30. Vingt minutes, pas plus, s’étonne-t-il. Dans la boîte à gants, il attrape le journal, sans prêter attention, ni à la photo de la Une, ni aux supputations des journalistes sur le programme de la journée. Il va directement à la page des sports. Son équipe favorite, en déplacement, a remporté un match – contre toute attente. De toute façon, les moins bien notés sur le PAR papier finissent toujours par l’emporter, JEAN-BAPTISTE se dit-il en jetant un coup d’œil dans GENDARME son rétroviseur intérieur. Le week-end d’après – ou le suivant – a lieu le grand prix de Monaco : rien encore dans les pages sportives. Il replie le journal sans même regarder la page météo. Après l’avoir rangé, il vérifie qu’il n’a pas d’encre sur les mains. Il a horreur de ça. Dans sa poche, il touche du bout des doigts ses gants en cuir véritable. Il ne les enfile que quand il est seul. Il a toujours voulu être chauffeur, mais il imaginait plutôt piloter une formule 1. La vie parfois…, se dit-il sans pousser plus loin la réflexion. Une berline, ça va bien un temps. Il ne se fait guère d’illusion, il finira dans un placard de la République ou dans une mairie, service des encombrants. J’ai vu trop de choses, entendu trop de confidences, se dit-il en attrapant la peau de chamois sous son siège. Il la passe, par habitude plus que par nécessité, sur le 134 — numéro 35

tableau de bord. Son téléphone vibre doucement, la photo de sa femme s’affiche sur l’écran. Elle a été prise l’été dernier, à Monaco, justement. Il ne décroche pas. Brève hésitation, tout de même, faut pas croire. Il ouvre un peu sa fenêtre. Le printemps est définitivement là. Les autres chauffeurs, regroupés en grappe près de l’escalier, échangent des mots avec des gardes républicains en grande tenue ; ils se connaissent depuis longtemps. Les graviers de la cour laisseront une trace blanche sur le cuir noir des chaussures et, avant de remonter dans leur voiture, ils passeront un coup de chiffon pour l’effacer. Son téléphone vibre de nouveau : répondeur. Il entend enfin la salve de vingt et un coups de canon qui marque la fin de la cérémonie. Quelques journalistes qui se tiennent nonchalamment derrière le cordon rouge, comme d’habitude, sursautent. D’un instant à l’autre, le président Sarkozy montera à l’arrière. Tout repart pour cinq ans. Est-ce vraiment possible ? Il se pince pour être certain de ne pas dormir encore. — A 33 ans, Jean-Baptiste Gendarme est déjà l’auteur d’un recueil de nouvelles et de quatre romans chez Gallimard, dont son récent et subtil Un éclat minuscule. Il est également le créateur et rédacteur en chef depuis 2001 de l’excellente revue littéraire Décapage, dont le n°45 paraît ces jours-ci (La Table Ronde).


FRANÇOIS HOLLANDE

Par le pouvoir du crâne ancestral Vous savez pas tout. On vous dit pas tout. Tiens, l’élection de Hollande – le jour de la passation de pouvoir avec Sarkozy – on se souvient de la poignée de main sur le perron de l’Elysée, « brève et sans chaleur » – enfin on se souvient surtout du narvalo dans la rue devant qui a eu le temps de gueuler « casse-toi pov’con » au mégaphone avant de se faire piler par les condés – c’était sur YouTube le PAR ALEX D. JESTAIRE soir et la Une de Libé le lendemain. Mais ce à quoi on pense moins, c’est qu’avant la poignée de main, Hollande a reçu les codes nucléaires de l’autre – déjà tu pourrais te sentir soulagé, mais dis-toi que ce mec aux yeux qui tombent là, si t’es au courant pour Hiroshima, ben ça y est, c’est devenu une sorte de dieu, vraiment –, il a un pouvoir sur toi, sur tout le monde, celui de tout faire péter – et toi t’y peux rien, comme pour la météo. Tu vois Zeus ? C’est kif-kif. Mais tu sais pas seulement le dixième. Quand Hollande a mis le collier de grand maître de la Légion d’honneur, ce truc énorme qui lui descendait jusqu’aux genoux, ça avait juste l’air folklorique, mais si tu t’y connais en sigiles et en héraldique tu pleures ta mère du nombre de symboles hyper puissants cumulés dans les siècles que ce type portait sur les épaules – représente-toi Musclor recevant le pouvoir du crâne ancestral – les couronnements étaient religieux, là c’était un patch upgrade pour le socialisme version 5.0, adapté au XXIe siècle.

Le passé se consume sous l’Arc de Triomphe quand François ravive la flamme, pompe à lyrisme énergétique retransmis aux lucarnes des hospices. Un grand buffet bio des Restos du Cœur est ouvert à tous pour quatre jours sur la longueur des Tuileries. Après, si tu crois les images, tu te dis que Hollande est resté danser la java et le disco jusqu’à pas d’heure aux Tuileries avec le peuple. Mais bien sûr ce n’était pas lui mais un homoncule, ou même une doublure. Car une fois investi du pouvoir, le vrai François Hollande a grimpé dans une sorte de Batmobile qui l’a mené jusqu’à l’autre Arche du rézo, celle de la Défense. Là il a vraiment pris les commandes de la République, dans un habitacle au centre secret de l’Arche, vêtu d’un costume de circuits et de lumière. Dans un plan parallèle où ont lieu les combats, sa puissance présidentielle s’est déployée sur l’esplanade noire et la cour anxieuse des sires transnationaux. Ses fulguro-taxes se sont mises à pulser, sa hache d’exception culturelle a glissé hors de son fourreau. Un éclair a brillé dans son œil avec un bruitage de lames et l’Arche tout entière s’est jetée au combat dans un cri, le sien : « La fête est terminée, Stratéguerres ! » — Alex D. Jestaire a publié en 2007 une errance dégorgeant substances et napalm, Tourville (Au Diable Vauvert), dont personne ici ne s’est totalement remis, suivi trois ans plus tard d’un trop bref polar, Elysée Noire 666 (La Tengo). Bonne nouvelle, il déclare avoir « remis le pied à l’étrier de l’écriture ». numéro 35 — 135


CÉRÉMONIES MODE

Photographie Olivia Fremineau Stylisme Jean-Marc Rabemila Set design Camille Lebourges Réalisation David Herman Coiffure et maquillage FranckNemoz Modèles Flor Blanco chez Karin Models, Thayna Brito chez Mademoiselle Agency, Ryan Schira et Nil Hopennot chez Marilyn Agency

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Flor Chaussettes Falke baskets Converse Ryan Short Dsquared2 Uomo Chaussettes Falke Baskets Converse Nil Short et baskets Converse Chaussettes Burlington numÊro 35 — 137


Ryan Gilet à capuche Essentiel Homme Polo Maison Kitsuné Jogging et baskets Converse Chaussettes Falke Nil Haut à capuche, jogging et baskets Converse Lunettes Ray-Ban Chaussettes Royalties Paris

138 — numéro 35


Thayna Haut à capuche et baskets Converse Jogging Bel Air Chaussettes Falke Flor Haut à capuche et baskets Converse Leggings H&M Visière Wooyoungmi Chaussettes Falke

numéro 35 — 139


T-shirt à capuche Converse Leggings H&M Bandeau Go Sport

140 — numéro 35


Débardeur Majestic Short Converse Coupe Le Motel numéro 35 — 141


T-shirt à manches longues et baskets Converse Bikini Kiwi

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Haut à capuche Converse Short Robinson les bains

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Thayna Combi-short Converse Poignet Go sport Flor Débardeur et short Converse

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Flor Veste Marchand Drapier Jupe Tara Jarmon Foulard Dsquared2 Chaussettes Falke Baskets Converse Ryan Veste, polo et baskets Converse Pantalon Pal Zileri Chapeau Stetson Foulard Le Mont Saint Michel Chaussettes Royalties Paris Thayna Teddy, robe et baskets Converse Lavallière Marchand Drapier Chaussettes Falke Nil Veste, sac et baskets Converse Chemise Charvet Pantalon Pal Zileri Foulard Le Mont Saint Michel Gavroche Stetson Chaussettes Falke

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CÉRÉMONIES ETHNOLOGIE

Guillaume, voulez-vous prendre pour épouse Belange, votre fiancée congolaise, au cœur de la forêt"? Récit à deux voix de NOCES IMPROVISÉES aussi rapides qu’à Vegas.

EN CE JOUR DU 19 FÉVRIER 2011

LA VERSION DU JEUNE MARIÉ Raides comme des totems, les deux officiels trônent à la porte

de la grande case où sera célébré notre mariage. Le maire d’Oshwé, qu’on appelle ici le bourgmestre, porte un costume blanc avec, en bandoulière, une écharpe rouge et or, aux couleurs du drapeau congolais. A sa droite, l’officier d’état civil est engoncé dans un veston à manches courtes caca d’oie. Autour d’eux, une ribambelle d’enfants, quelques femmes et tout ce que le village peut compter de badauds. Belange et moi, nous avançons en boitant, les jambes usées par les kilomètres – nous avons quitté Kinshasa, la capitale, une semaine plus tôt, plein d’allant et d’optimisme. On nous avait dit : pour les Pygmées, il faut compter deux PAR GUILLAUME JAN jours. Mais nous sommes en Afrique : & BELANGE JAN le bus a crevé plusieurs fois, les bidons (À OSHWÉ) PHOTOGRAPHIE d’essence entassés sous nos tongs JOËL LUZOLO ont fui, un chien s’est étranglé avec sa laisse en glissant du toit, deux chèvres se sont échappées, nous n’avons pas dormi pendant quarante heures. Puis il a fallu grimper à l’arrière d’une moto pour traverser des plateaux ternes et poussiéreux, écrasés de chaleur grise, jusqu’à la grande rivière Kasaï. Vingt heures de trajet. Sur l’autre rive, on nous a prévenus que les Pygmées n’étaient pas la porte à côté : cent dix kilomètres à travers la forêt vierge, et à pied, aucun autre moyen de transport n’est praticable dans cette jungle. Pas découragés, nous sommes partis avant l’aube, avec des provisions (des œufs durs, de la pâte de manioc et des ara148 — numéro 35

chides) que Belange portait sur la tête comme savent le faire les Africaines. Nous étions accompagnés par Joël, un jeune homme providentiel qui a lâché femme et enfants pour nous guider – et qui nous a avoué, en cours de route, qu’il n’était jamais venu dans cette partie de la forêt. Cette longue marche forcée a pris deux jours et quatre heures, ce qui explique la mécanique de nos corps un peu fatiguée : nous sommes arrivés ce matin à onze heures, puis nous avons rencontré le bourgmestre. Il nous a donné son accord pour nous unir dans les règles, la procédure s’est faite aussi simplement que si nous étions à Las Vegas – sauf qu’il n’y a pas d’électricité, à Oshwé, ni de sosie d’Elvis Presley. Par contre, il y a des Pygmées. Il occupent une partie de ce gros bourg, parqués dans des huttes de terre et de feuilles, avec leurs arcs, leurs flèches et leur misère. Une vingtaine d’entre eux rejoignent le cortège, deux seront nos témoins. CHASSEURS-CUEILLEURS ET FLEURS EN PLASTIQUE

Nous entrons dans cette longue case sombre – en fait une église, dont le pasteur nous a décadenassé la porte, ça ne lui pose pas de problème qu’on y célèbre un mariage civil (à condition de débuter par une petite prière). Tout est prêt : une table en plastique recouverte d’une nappe blanche, deux bouquets de fleurs en plastique et deux chaises bleu ciel, en plastique elles aussi. Nous y posons nos carcasses courbaturées, la cérémonie peut commencer. En lingala, traduite en français pour que le marié comprenne ce qui lui arrive. L’officier d’état


civil lit nos droits et nos obligations de futurs époux, le bourgmestre acquiesce et parfois développe un point pour l’expliquer à l’assistance, de plus en plus nombreuse, serrée comme au cirque sur les travées. Le code de la famille congolais est sensiblement le même qu’en France. « Les époux se doivent mutuellement secours, assistance et fidélité » : au moment où ce dernier mot est prononcé, le pasteur, qui aime bien plaisanter, me fait discrètement le geste de refermer le cadenas qu’il a gardé à la main, en souriant de toutes ses dents. LE BOURGMESTRE Je sens la main de Belange se blottir dans mienne. Je ENTOURE NOS lui ai fait ma demande en DEUX POIGNETS mariage avant-hier dans la forêt, sous les étoiles DANS SON filantes, et quand elle m’a ÉCHARPE ROUGE répondu oui, sa voix a ET OR. résonné longtemps sous la canopée. Nous nous connaissons depuis trois ans, je l’ai rencontrée lors de ma première traversée du Congo, j’avais été aussitôt séduit par cette jeune femme qui écrivait des romans d’amour sur ses cahiers de brouillon. Comme nous n’avons pas d’alliances avec nous et qu’il n’y a pas de bijouterie à Oshwé, le bourgmestre entoure nos deux poignets dans son écharpe rouge et or pendant quelques secondes, et le tour est joué. On s’embrasse ? Allez, on s’embrasse. Toute

l’assistance pousse des cris de joie derrière nous, et nos témoins, José et Constantin, nous invitent à venir fêter l’événement dans leur ghetto. VIN DE PALME

Nouba chez les Pygmées, donc. Nous voilà assis au milieu de quatre cents petits hommes qui nous dévisagent de leurs grands yeux en amande. José nous apporte du vin de palme, on nous traite comme des chefs. Belange a l’impression d’être une femme de ministre en visite officielle. Un premier groupe vient chanter devant nous, leur prestation est un peu maladroite, aucun étranger ne vient jamais les écouter : leurs voix sont émouvantes, d’autant plus que leur culture de chasseurs-cueilleurs est en train de vaciller, que leurs traditions s’effritent. Le crépuscule arrive en fanfare, des danseurs s’embarquent dans une série de mouvements rituels et hypnotiques, de plus en plus rapides, la poussière tourbillonne vers la lune. Tout ça rien que pour nous ? Un Pygmée a revêtu une tenue de policier pour assurer le service d’ordre, j’ai l’impression d’être dans Tintin au Congo. La fête devient de plus en plus brouillonne au fur et à mesure que les litres de vin sont descendus, il est temps de rentrer. José nous ouvre le chemin avec sa lampe électrique et nous nous écroulons de bonheur dans la case prêtée par le facétieux pasteur, sur le lit le plus pourri de la création – une natte jetée sur un mauvais treillis de branchages inégaux. Ce qui n’a pas arrangé nos courbatures. — G. J. numéro 35 — 149


ETHNOLOGIE MARIAGE PYGMÉES

EN CE JOUR DU 19 FÉVRIER 2011

LA VERSION DE LA JEUNE MARIÉE Comme toute femme, j’avais rêvé d’un mariage magnifique, où je porterais une robe somptueuse, des bijoux étincelants et des pétales de fleurs dans les cheveux. A mon bras, mon prince charmant serait habillé en smoking et nœud papillon, nous serions entourés de nos familles, de nos amis et de nos connaissances. Je pensais à tout ça devant le petit miroir ébréché que m’avait prêté l’épouse du pasteur qui nous hébergeait, en me préparant pour la cérémonie. Je n’avais pas de froufrous en tulle blanche, ni de collier de perles, juste une robe longue un peu froissée. J’ai pu remplacer mes tongs par des chaussures à talons qu’une autre femme m’a prêtées. Quant à mon prince charmant, il s’était acheté dans l’unique magasin du village une chemise propre et un pantalon dont la braguette était enraillée, et que j’ai dû recoudre deux minutes avant de rejoindre le bourgmestre et l’officier d’état civil. AVANT LE MATCH DE FOOT

Voilà deux jours que je viens de dire oui à Guillaume. Un oui qui a résonné dans la jungle, sous les étoiles qui dansaient au-dessus de nos têtes. Après le long voyage qui nous a mené à Oshwé, nous sommes arrivés sous la pluie, surgis comme par miracle des ténèbres de la forêt devant les yeux incrédules de la population. « Nous voulons nous marier », avons-nous dit 150 — numéro 35

au bourgmestre. « D’accord », a-t-il répondu. « Mais il faut faire vite, car il y a un match de foot à seize heures et je ne veux pas le manquer. » Comme il n’y a pas assez de place au bureau de l’état civil, le mariage est célébré dans l’église protestante. J’avais entendu dire que, dans les mariages pygmées, l’homme devait avoir tué son premier gibier pour pouvoir courtiser officiellement, mais ils ne nous demandent rien de tel. La célébration n’est pas différente de celles que je connais à Kinshasa : on nous demande si nous avons le consentement des familles et si nous avons versé une dot. Ce n’est pas vrai, mais nous répondons oui. CALCUL MARITAL

Soudain, l’officier d’état civil se lève brusquement pour interrompre la noce. Ah bon, mais pourquoi ? : « Parce que la mariée est mineure. Je crois que je sais calculer aussi bien que vous, voyez vous-même : à la ligne «date de naissance», il est inscrit « 9 octobre 1984 ». La mariée n’a que 16 ans, vous êtes d’accord ? » Le maire toussote et lui parle dans l’oreille. « Ah, euh, oui, pardon, c’est exact, la mariée a 26 ans, autant pour moi, alors, euh, oui, enchaînons, enchaînons, Belange Mampengu, veux-tu prendre pour époux Guillaume Jan, pour le meilleur et pour le pire ? » Je réponds oui, et derrière moi j’ai


© Joël Luzolo

Ci-dessus L'arrivée au village En bas Retour à Kinshasa, une chouette haie d'honneur pour notre lune de miel

l’impression d’entendre l’assistance crier et taper des mains. Je dois avoir le même sourire que Kate Middleton le jour de son union avec le Prince William, sauf que je suis entourée d’une centaine de Pygmées et de Bantous. Tous sont joyeux de voir un Blanc et une Noire se marier, pour la première fois, dans leur commune. L’HOMME DOIT Nous échangeons un baiser AVOIR TUÉ SON digne de cette circonstance et la salle crie de plus belle. PREMIER GIBIER Enfin, nous signons le POUR POUVOIR registre de la commune, COURTISER. nous sommes le deuxième couple à y être enregistré pour l’année 2011. Il est 15h45 lorsque nous sortons et puis tous les hommes du village s’éclipsent vite pour aller voir le match de foot, y compris le bourgmestre. Une seule personne possède la télévision et un groupe électrogène, ils ne voulaient pas se faire voler leur place. Et nous, nous sommes si fatigués que nous nous retirons quelques heures dans la minuscule chambre que le pasteur nous a préparée. Je me serre contre mon mari, c’est le plus beau jour de ma vie. — B. J. numéro 35 — 151


CÉRÉMONIES FOLKLORE

S’offrir un mariage en forme de superproduction bollywoodienne, où est le hic"? Aman Party Plot est l’un des plus fastueux espaces de réception dédiés aux mariages du prospère et peu touristique Etat du Gujarat, dirigé d’une main de fer par le parti nationaliste hindou, le BJP, dans le nord-ouest de l’Inde. De novembre à mars, pendant la wedding season, ce green chic et lunaire grand comme un terrain de foot devient le théâtre TEXTE & des extravagances des castes de luxe. Tailleurs de brin d’herbe, faiseurs de PHOTOGRAPHIE nœuds de rubans, rouleurs de beignets : des centaines de petites mains SOPHIE DUSIGNE œuvrent à l’épate des mille convives qui approcheront du show sacré et (À AHMEDABAD) JOËL LUZOLO des monceaux de samossa raffinés. Au final, au cœur de cette démesure, les noces demeurent assez anonymes : les litanies résonnent dans les hautparleurs, les invités se repaissent avec délectation, et le marié qui arrive sur son carrosse en aluminium tiré par des chevaux blancs passe presque inaperçu... Les Indiens ne veulent plus d’un simple mariage traditionnel. Il leur faut un univers original, avec de vrais décors de cinéma... Du rêve dans ce qui n’en ai pas vraiment un : par-delà ces coûteuses fanfreluches, 95 % des mariages sont encore arrangés. — 152 — numéro 35


CÉRÉMONIES ARCHITECTURE

Deux petits verres claquent sur la table du

PAVILLON DE VODKA DE L’ARCHITECTE ALEXANDER BRODSKY.

Mais quel est donc ce duel bizarre"?

Debout, le coude levé, le verre haut, une tirade solennelle s’improvise. Elle est bouclée par un « na zdorovie » qui donne le signal pour gober la vodka très froide, d’un seul trait, les yeux tournés vers le ciel, avant que ne retombe le bras qui claque le petit verre sur la table. Porter un toast en Russie, c’est du sérieux. Alexander Brodsky le sait : en 2003, il construit un « pavillon de cérémonie à la vodka » PAR MILAN NEUMANN pour le festival d’art en plein air ArtKlyaPHOTOGRAPHIE zma, toujours visible dans le parc où a YURI PALMIN lieu l’événement annuel. Depuis son diplôme de l’Institut de Moscou en 1978, cet architecte moscovite, né en 1955, a traversé l’étau idéologique des années 80, le dégel sauvage de la décennie 90 et l’occidentalisation des années 2000. Parallèlement à son métier – il signe en 2006 le centre d’art contemporain Winzavod, catalyseur culturel majeur à Moscou –, il représente la Russie à la biennale de Venise en 2006 et expose sa vision de l’urbanisme à l’espace culturel Louis Vuitton à Paris en 2007.

A LA SANTÉ DU PATRIMOINE !

Face à un style chic international et au symbolisme néostalinien, charmes peu discrets de la nouvelle bourgeoisie, Alexander Brodsky est le leader d’une nouvelle architecture russe. Il propose un art de bâtir décomplexé, entre poésie, bricolage, transmission et détournement. Son pavillon de cérémonie à la vodka (adaptation ironique de la cérémonie du thé à la japonaise, lire p. 86) est un assemblage de fenêtres récupérées sur un chantier de démolition dans le centre de la capitale. Les visiteurs y entrent par deux. Ils se tiennent à chaque bout de la table. Une bassine de vodka et deux tasses y sont enchaînées. Dans cette métaphore spatiale d’un art de vivre à la Russe, médium de la mémoire patrimoniale, chacun se sert et porte des toasts jusqu’à ce que la soif soit assouvie et que l’honneur soit satisfait. — Installation : Coma

Museo del Novecento, Milan, du 29 mars au 9 septembre numéro 35 — 153


CÉRÉMONIES ACCESSOIRES

Trauerkränze ILLUSTRATIONS CÉDRIC DIOMÈDE

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Motifs d’oreilles loup diamants, motifs d’oreilles chinoiserie et clip Kokochnik de la collection Bals de Légende de Van Cleef & Arpels numéro 35 — 155


ACCESSOIRES JOAILLERIE

Bracelet, collier ruban et boucles d’oreilles Swarovski

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CÉRÉMONIES SOCIOLOGIE

Des pharaons de l’Egypte antique à «"Kaiser Karl"» Lagerfeld": la théorie du sociologue Gabriel Tarde sur LES MAÎTRES DE CÉRÉMONIE visitée en quatre actes. PAR JONATHAN CHAUVEAU

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LA CITATION

«!Le besoin de conformisme est si naturel à l’homme social que, parvenu à un certain degré de force, il devient conscient et emploie des moyens violents et expéditifs pour se satisfaire. Toutes les vieilles civilisations ont eu leurs maîtres de cérémonie, fonctionnaires de haut rang chargés de perpétuer les rites traditionnels. Ce n’est pas seulement dans les Etats monarchiques, en Egypte, en Chine, dans l’Empire romain, dans le Bas-Empire, à l’Escurial sous Philippe II et ses successeurs, à Versailles sous Louis XIV, c’est dans les républiques, c’est à Rome, où le censeur veillait à l’observation stricte des vieux usages, c’est à Athènes même, où la vie religieuse était assujettie au formalisme le plus absolu, que nous trouvons ces espèces de chambellans sous des noms divers. Nous nous en moquons, oubliant que nos grands tailleurs, nos grandes modistes, nos grands fabricants, nos journalistes même, sont précisément à l’imitation-mode ce que les maîtres de cérémonies civiles ou religieuses étaient à l’imitation-coutume, et sont en train de prendre l’importance bouffonne de ceux-ci. Par eux nos vêtements, nos conversations, nos connaissances, nos goûts et nos besoins de tout genre sont taillés dans un moule uniforme dont il est inconvenant de s’affranchir, et dont l’uniformité, d’un bout d’un continent à l’autre, passe pour le signe le plus manifeste de la civilisation, à peu près comme la perpétuité, à travers les siècles, des traditions, des légendes, des usages, passait jadis, et avec bien plus de sagesse, pour le fondement de la grandeur des peuples. » On est standard sans le vouloir. — Extrait de Les Lois de l’imitation de Gabriel Tarde (1895) 158 — numéro 35

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LE COMMENTAIRE

Dans ce célèbre passage extrait de son œuvre majeure Les Lois de l’imitation (1895), le philosophe français Gabriel Tarde (voir encadré biographique) s’adresse à ses contemporains pour leur rappeler que, en matière de rites traditionnels, ils n’ont absolument rien à envier aux « vieilles civilisations ». A une société française qui vivait alors au rythme trépidant d’inventions technologiques remarquables – l’année 1895 voit naître le télégraphe, le cinématographe et le moteur à combustion, pas moins –, il souligne avec malice que du point de vue du « besoin de conformisme », rien ne la distinguait de l’Egypte du temps des pharaons. La pilule passe mal : les petits-fils éclairés, civilisés et urbains du siècle des Lumières refusent l’idée selon laquelle ils partageraient avec des paysans du Moyen Age, adorateurs de la Sainte Vierge, un goût prononcé pour l’imitation des modèles divins. Tarde rétorque qu’un exemple lui est fourni par le milieu de la mode : aux chambellans d’hier (grands officiers de la couronne de France) et autres prêtres qui veillaient « à l’observation stricte des vieux usages », ont succédé divers organisateurs du barnum des podiums (« nos grands tailleurs, nos grandes modistes, nos grands fabricants et nos grands journalistes ») soit, en langage actualisé : nos grands directeurs artistiques, nos grands stylistes, nos grands groupes de luxe et nos grandes rédactrices de mode. Aujourd’hui, la mode dispose toujours d’empereurs (« Kaiser Karl » en tête), de prêtresses (Anna Wintour) ainsi que d’officiants discrets dont le rôle est diligemment accentué par des agences de com’ événementielle (Pierre Rougier). Au cours d’une fashion week – immense cérémonie composée de dizaines de cérémonies –, chacun revendique le titre de « maître », dont le rôle est aussi essentiel pour le maintien de la coutume (les défilés) qu’un curé pour célébrer la messe. —


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LA THÉORIE

Gabriel Tarde propose deux notions pour expliquer les mouvements sociaux, notamment ceux qui régissent l’univers de la mode : l’imitation et l’invention. Chacun imite ce qu’il admire, ce qu’il juge bon comme modèle, mais agence, de manière originale, par leur mélange, les imitations choisies à plusieurs sources. Ainsi, l’Histoire se présente comme une succession de flux imitatifs différents. Le sociologue conçoit les individus comme un ensemble de reflets : chacun voit ses semblables et, en eux, se retrouve luimême. C’est un jeu de miroirs qui est au cœur de la vie en société, dans le sens où chaque fois on est juge et jugé, face aux autres. Dans L’Opposition universelle : essai d’une théorie des contraires (1897), il observe : « Deux choses opposées, inverses, contraires, ont pour caractère propre de présenter une différence qui consiste dans leur similitude même, ou, si l’on aime mieux, de présenter une ressemblance qui consiste à différer le plus possible. » On comprend dès lors ce qui fit dire à l’anthropologue Bruno Latour que Tarde est un « précurseur de la théorie de l’acteur-réseau » : maillon d’une chaîne sociale ininterrompue, l’individu trouve sa place dans la société à travers les relations d’influence qu’il tisse avec ses semblables. —

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LA BIO

Juriste, sociologue et philosophe français, Gabriel Tarde (1843-1904) fut l’un des premiers penseurs de la criminologie moderne. Adversaire de la théorie de Cesare Lombroso sur l’origine biologique du crime, mais surtout concurrent d’Emile Durkheim qui lui fit de l’ombre lors des premiers débats qui donneront naissance à la sociologie moderne hexagonale, il s’est fait connaître avec Les Lois de l’imitation, qui rend compte des comportements sociaux par des tendances psychologiques individuelles. — Gabriel Tarde Œuvres complètes

Les Empêcheurs de penser en rond numéro 35 — 159


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Décor végétal, fraîcheur euphorisante, palette romantique… Célébrons dans toute sa splendeur le renouveau du printemps. par Lucille Gauthier illustration Maud Mariotti

Vernis à ongle Manekineko et fard à joue stick Minou de Paul & Joe 14 € et 22 € chez The Beauty Lounge. Palette trio d’ombres à paupières Celestial Garden de Shu Uemura 43 €.

160 — numéro 35


Eau de Parfum Infusion d’iris Absolue de Prada, 100 ml, 110 €. Eau de toilette L’Eau Rose de Diptyque, 100 ml, 72 €. Eau de toilette White Lilac & Rhubarb, collection London Blooms de Jo Malone 100 ml, 88 € en édition limitée.

Eau de parfum Cœur de Fleur de Miller Harris, 100 ml, 84 €. Soin nutri régénérant Huile de Rose de By Terry, 30 ml, 78 €. Lait corps sensoriel aux trois fleurs de Lierac, 22 €. Baume du jardinier pour les mains Le Couvent des Minimes, 13 € chez Marionnaud.

Eau de toilette L’Eau de Chloé 50 ml, 58 €.

numéro 35 — 161


LE BOOK presents

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162 — numéro 35


Cahier Chroniques « En général, nos jugements nous jugent nous-mêmes bien plus qu’ils ne jugent les choses. » Sainte-Beuve in Correspondance 1845

P

contributeurs VI

BR UN O PIETE RS JU DITH DAVIS TR ISTAN GARC IA ÉM ILI E PITOIS ET BASTIEN VIVÈS BE NOÎT DE LÉPINE HE NRY CHAPIER BE RTRAND BU RGALAT

numéro 35 — 163


paillettes Black Powder

© Simon Deiner/SDR Photo

mode

164 — numéro 35


L’ÊlÊgance ÊbouriffÊe selon

Maki Oh La NigÊriane Maki Oh – Amaka Osakwe pour les intimes – est la crÊatrice made in Africa qui monte haut. Cette annÊe, ses dÊfilÊs – à Londres, Lagos (sa ville natale) et à l’Africa Fashion Week de Johannesburg – lui ont valu une rÊcompense : le prix que la capitale sud-africaine remet au  jeune crÊateur Êmergent  le plus prometteur. Nous avons rencontrÊ cette fille super timide en backstage de son dÊfilÊ pour parler de ses picturales silhouettes fÊminines, qui mêlent les formes langoureuses des Nanas de Niki de Saint-Phalle à la sensualitÊ ostentatoire du fauvisme de Matisse.

entretien Elisabeta Tudor

C’est important pour toi de travailler en Afrique, mĂŞme si tu ĂŠvolues Ă l’international ? Maki Oh : Oui. J’ai fait des ĂŠtudes de mode en Angleterre Ă la Oxford Media and Design School, puis un bref cursus en arts plastiques, mais je suis revenue au Nigeria une fois mon diplĂ´me en poche, il y a deux ans. J’essaie de travailler le plus possible avec des matières organiques africaines. Et quand je prends des tissus venus d’ailleurs, je les ÂŤ nigĂŠrianise Âť grâce Ă une technique naturelle de teinture Ă l’indigo appelĂŠe ÂŤ adire Âť. C’est une manière de prĂ´ner le bon goĂťt depuis l’Afrique, sans SRXU DXWDQW DYRLU XQH Ă€HUWp H[DJpUpH 3RXUTXRL OD PRGH SOXV TXH O¡DUW DX Ă€QDO " C’est un peu clichĂŠ de dire cela, mais la mode m’a ĂŠtĂŠ donnĂŠe avec le biberon. Ma mère a beaucoup de talent, elle faisait des vĂŞtements pour enfants et je l’assistais. Tu joues beaucoup avec les dĂŠcoupes gĂŠomĂŠtriques et les transparences suggestives... Le dĂŠcoupĂŠ est une ruse sĂŠductrice ! Il couvre certaines parties du corps tout en suggĂŠrant la transparence. Ma collection printemps-ĂŠtĂŠ rend hommage Ă l’art de la sĂŠduction avec les courbes fĂŠminines que l’on trouve dans les tableaux de Matisse comme Le Bonheur de Vivre [1905-1906] ou La Ballerine [1927]. La fascination du peintre pour l’art africain et ses touches rĂŠcurrentes de bleu indigo, on les retrouve dans

ma dernière robe, ÂŤ bleu adire Âť. La vision primitive du corps fĂŠminin perçue dans les Ĺ“uvres fauvistes est d’autant plus intĂŠressante qu’elle est controversĂŠe, dans le contexte actuel. Je me suis donc ĂŠgalement inspirĂŠe du quartier chaud de Lagos, des airs aguicheurs des prostituĂŠes. Pour exprimer leur ĂŠlĂŠgance ĂŠbouriffĂŠe, j’ai choisi de travailler avec des matières douces et fragiles comme du velours de soie, de la mousseline et de l’organza, en leur donnant des formes angulaires. Des coupes au laser qui rendent l’allure tout aussi rude que langoureuse. L’hiver sera-t-il aussi sensuel que l’ÊtĂŠ ? Si tu considères Jacques Tati sensuel, eh bien oui ! Je me suis laissĂŠe inspirer par son grand classique de 1967, Playtime. 'DQV OD SUHPLqUH VFqQH GX Ă€OP OH KDOO VWpULOH GH O¡DpURSRUW HW O¡DXVWpULWp GHV XQLIRUPHV P¡RQW GRQQp O¡LGpH GH UHĂ pWHU leur rigiditĂŠ. J’y ai ajoutĂŠ des messages cryptĂŠs comme l’impression du mot ÂŤ Eja Âť, qui fait ĂŠcho Ă un proverbe nigĂŠrien ĂŠquivalent Ă ÂŤ on rĂŠcolte ce que l’on sème Âť. Pour donner une pointe de masochisme Ă ce dicton, j’ai ĂŠclaboussĂŠ de la cire chaude sur de la mousseline de soie – un peu comme un châtiment que le soumis reçoit de sa maĂŽtresse. La plupart de mes PRWLIV VRQW FRXVXV DX Ă€O GH UDSKLD VXU GX YHORXUV HW GH O¡RUganza. Mais j’ai aussi travaillĂŠ avec de la dentelle, du lin et du simili cuir... je n’en dis pas plus, il faudra patienter ! L’attente est sans douleur. — numĂŠro 35 — 165


mode paillettes On y sera et on le dira

L’ÉVÉNEMENT

L’ANNIVERSAIRE DE

HENRIK VIBSKOV Le crĂŠateur danois a de quoi se rĂŠjouir : depuis dix ans, ses collections homme et femme augmentent sur la courbe du succès. Entre Copenhague et Paris, il a produit une dĂŠcennie d’esthĂŠtique onirique traduite par son prĂŞt-Ă -porter mais aussi par ses instalODWLRQV HQ GpĂ€OpV VHV REMHWV GHVLJQ H[SRVpV Ă travers le monde et sa musique, puisqu’il est le batteur du DJ ĂŠlectro Trentemøller (voir Standard n° 29). Ses cadeaux d’anni ? Une nouvelle boutique inaugurĂŠe au cĹ“ur de SoHo, New York, une bonne poignĂŠe d’expositions Ă travers la vieille Europe (jusqu’à Riga), mais aussi Ă Tel-Aviv‌ et un livre ĂŠponyme dont le lancement est prĂŠvu le 28 avril Ă Berlin. Après The Fringe Project, catalogue du projet corĂŠalisĂŠ avec l’artiste suĂŠdois Andreas Emenius (des performances, des photos Ă bord d’un drĂ´le de petit bolide jaune), et les fantaisies graphiques de The Panda People and Other Works, Henrik Vibskov revient avec un recueil rĂŠtrospectif. Le vert menthe, le URXJH YLI HW OH URVH Ă DVK\ FRXOHXUV UpFXUrentes aux diffĂŠrents stades de sa crĂŠation, VRQW OH Ă€O FRQGXFWHXU GH O¡RXYUDJH Âł Jessica Dufour Henrik Vibskov

Gestalten 240 pages, 39,90 euros

LE MOT

Ci-contre

ÂŤ Swag Âť

En haut

ASAP Rocky et un pote, carrĂŠment swag

ÂŤ Swag Âť ? Oui. Ou ÂŤ Swagg Âť, ça passe aussi. EmployĂŠ depuis près de dix ans dans le hip hop, ce terme chaloupĂŠ entendu dans Paper Planes de M.I.A. (ÂŤ No one on the corner has swagger like us Âť) dĂŠbarque dans les showrooms. C’est un ĂŠtat d’esprit, une nonchalance ostentatoire, une preuve de style et, surtout, une attitude qui prĂ´ne l’arrogance ĂŠgotique. En anglais classique, swagger veut dire ÂŤ fanfaronner / se pavaner Âť, et en argot, ÂŤ le butin Âť, dĂŠrivĂŠ d’une abrĂŠviation aux origines multiples, entre ÂŤ Sista With A Gun Âť et ÂŤ Shit Wasn’t All Good Âť. Concrètement, elle signifie le best of de la culture street mĂŠlangĂŠe au prĂŞt-Ă -porter huppĂŠ. Les new-yorkais ASAP Rocky ou Aleazia Banks en sont un bon exemple : un t-shirt signĂŠ Pigalle, un pantalon Comme des Garçons, une paire d’Adidas Y3, le tout sans abandonner les chaĂŽnes en or qui brillent. Alors, tout en saupoudrant d’un peu de swag nos garderobes, on rĂŠserve sa place pour son concert au Bataclan de Paris le 12 juin. Swagalicious ! — Elisabeta Tudor 166 — numĂŠro 35

Š Agency V/DR

Deux silhouettes de la saison printemps-ĂŠtĂŠ 2012, Henrik Vibskov


CONTRIBUTEUR VIP

CARTE BLANCHE À BRUNO PIETERS Le créateur belge Bruno Pieters avait jeté l’éponge en 2010, faisant ses adieux à la mode qui portait son nom. Mais celui qui fut aussi DA de Hugo by Hugo Boss revient avec une nouvelle griffe et des idées culottées : honest by. Bruno Pieters mise sur la transparence totale. Développement durable, matières bio, voire uniquement végétale, pour la protection des animaux... Un comebacks cool & clean et peace & love. D’où cette photo qu’il nous dédie.

numéro 35 — 167

IBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTE

mode


planches Oklahoma Babies

ME, MYSELF

&I

par MĂŠlanie Alves de Sousa

C’est ÂŤ l’une des compagnies alternatives les plus talentueuses de New York Âť, selon The Village Voice. Depuis 2007, Nature Theater of Oklahoma (nom empruntĂŠ au roman L’AmĂŠrique de Kafka) fait le tour de l’Europe et un stop très remarquĂŠ au Festival d’Avignon l’ÊtĂŠ dernier. Les responsables ? Kelly Copper (petite poupĂŠe aux lunettes carrĂŠes et FKHYHOXUH FKRXFURXWpH SLTXpH GH Ă HXUV HW G¡RLVHDX[ HW 3DYRO Liska (grand type chauve Ă la longue moustache lustrĂŠe), en FRXSOH GHSXLV O¡XQLYHUVLWp DXMRXUG¡KXL OD TXDUDQWDLQH XQ SURĂ€O ad hoc pour une campagne The Kooples. A leur cĂ´tĂŠ, une bande de comĂŠdiens, pas vraiment le look de jeunes premiers, plutĂ´t de nos voisin(e)s de palier. Leurs pièces, trop ÂŤ amĂŠricaines Âť pour certains, idĂŠalement ÂŤ foutraques Âť pour d’autres, ĂŠrigent la banalitĂŠ de nos vies ordinaires au rang de comĂŠdie musicale et d’ÊpopĂŠe hĂŠroĂŻque, Ă la fois tendre et grinçante, qui enchante et euphorise. ÂŤ Ils font accĂŠder le quotidien au rang d’œuvre d’art Âť, aurait dit Marcel Duchamp.

168 — numÊro 35

LAPSUS, BÉGAIEMENTS

En 2006, leur spectacle No Dice puisait dĂŠjĂ sa matière textuelle dans une sĂŠrie d’entretiens tĂŠlĂŠphoniques. Avec Life and Times (chronique d’une vie), Nature Theater of Oklahoma poursuit son exploration de la langue orale en enregistrant seize heures de conversations avec Kristin Worrall, 34 ans, recrue de la compagnie, qui leur a racontĂŠ sa life ÂŤ happy family middle-class Âť Ă Rhode Island. Le tout retranscrit (lapsus, bĂŠgaiements compris) Ă leur sauce minimale (dĂŠcor unique, mĂŞmes costumes), formant un feuilleton en dix ĂŠpisodes d’une durĂŠe estimĂŠe Ă vingt-quatre heures. ÂŤ Quelques passages ont ĂŠtĂŠ coupĂŠs, des noms changĂŠs, notre objectif n’est pas de raconter la biographie de quelqu’un mais une histoire Ă laquelle le public puisse V¡LGHQWLĂ€HU Âť, explique Pavol Liska. La bonne idĂŠe – peut-ĂŞtre SLTXpH DX Ă€OP Palindrome de Todd Solondz (2004) – est de ne pas avoir offert l’unique rĂ´le Ă une seule actrice mais Ă plusieurs membres de la troupe. Sur le plateau, une multitude de Kristin (dont la vraie) se passent le relais du rĂŠcit en mode ÂŤ je me souviens Âť, chantonnant en solo ou en chĹ“ur, avec ukulĂŠlĂŠ, xylophone et piano Ă portĂŠe de main. La performance vocale n’est pas parfaite, mais l’empathie naĂŽt aussi des imperfections. Les corps en mouvement permanent, comme si les genoux ĂŠtaient montĂŠs sur ressorts, apportent sa dynamique Ă l’histoire dont il ne faut guère attendre de rebondissements. Le premier anniversaire, la fascination pour les fourmilières, les baies empoisonnĂŠes, le premier baiser‌ certains risquent de s’ennuyer. Mais les endurants ne le regretteront pas. Aux souvenirs ĂŠvoquĂŠs, les nĂ´tres Ă€QLVVHQW SDU VH PrOHU O¡DWWDFKHPHQW DX SHUVRQQDJH RSqUH HW HQ bon serial addict, on veut la suite. — Life and Times – ĂŠpisode 2

(avec rappel de l’Êpisode 1), Conception et mise en scène : Pavol Liska et Kelly Copper, Spectacle en anglais, surtitrĂŠ en français Du 15 au 18 mai au ThÊâtre des Abbesses (Paris)

Š Anna Stoecher

thÊâtre


planches Place to be

Le spectacle est dans

La Loge La rumeur rode. Le bouche à oreille salive. « Tu vas où ? A La Loge. Tu es où ? A La Loge. ª ,QÀOWUDWLRQ IUDQF PDoRQQLTXH " « Mais noooooon. » Les Parisiens, toujours en quête d’adresses fraîches, ont dégotté un nouveau squat au rezde-chaussée d’une petite cour pavée, encerclée par des étages de coursives, dans l’animée rue de Charonne (11e). Passez le porche, c’est au fond, à droite. A la Loge, on y joue, on y chante, on y boit, tout à la fois. Une ambiance cool and friendly que l’on doit à un club des cinq, la trentaine à peine (en tête, les co-directeurs et co-programmateurs Alice Vivier et Lucas Bonnifait), dont l’âge détonne avec les quadras et quinquas qui dirigent généralement les institutions culturelles françaises. Tout a commencé en 2005. Alice est étudiante en art du spectacle à Paris 3, Lucas est élève au conservatoire du 16e. Ils se rencontrent dans un cours de théâtre et tombent amoureux. Alice trouve un job dans un minuscule théâtre de vingt-cinq places du 9e. Un jour, on lui propose de racheter le fonds de commerce. Elle fait un emprunt à la banque et devient directrice de la première Loge, à 22 ans. Trois ans après, un peu à l’étroit, Alice et Lucas trouvent un studio d’enregistrement à vendre. Ils préservent le plateau noir amovible sans scène surélevée, ajoutent des gradins (capacité cent personnes), aménagent un hall/bar/billetterie et inaugurent La (nouvelle) Loge en septembre 2009.

© Tom Spianti

par Mélanie Alves de Sousa

SIESTES ACOUSTIQUES

En ligne de mire : la jeune création. « On a envie de défendre des gens de notre génération, des artistes émergents », explique Alice. « Créer un lieu de vie », ajoute Lucas. Sans subvention, la salle est totalement dépendante des recettes. Si sa visibilité est grandissante, côté caisse, ça reste précaire. Alors les dirlos décrochent le téléphone, font l’entrée ou servent la bière à trois euros. Leur programmation (50 % théâtre, 50 % musique) naît de rencontres, de recommandations ou de dossiers reçus. « Quelqu’un nous semble chouette, son boulot, sa démarche, c’est un pari », dit Lucas. En venant ici, le public devient aussi actionnaire du risque. Et pour certaines propositions, c’est le carton. Les Siestes acoustiques par exemple, le dimanche aprèsmidi, initiées par le chanteur Bastien Lallemant du collectif Le Dahu (Albin de la Simone, JP Nataf, Bertrand Belin…). « On ne sait jamais qui sera là, l’autre fois, Vanessa Paradis est venue en guest, s’enthousiasme Alice, les spectateurs apportent coussins, plaids et s’allongent. Les musiciens, au centre, enchaînent les morceaux, pas d’applaudissement, peu de lumière, parfois même les gens s’endorment ! » Il paraît que Jeanne Cherhal viendra bientôt. A surveiller aussi, les soirées « Il était une fois » de la compagnie MaëlströM, les spectacles-concerts de Kalldewey et Farce, et le festival Summer of loge en juillet SRXU OH ERXTXHW ÀQDO ³ La Loge

77 rue de Charonne, Paris 11e numéro 35 — 169


théâtre planches théâtre danse J. F. 32 a. cherche spectacles pour printemps chaud-show

PAS ENCORE VU, MAIS ÇA A L’AIR BIEN sélection Mélanie Alves de Sousa

¼

Montmartre en ce temps-là, accrochait ses lilas, et feu le philosophe Gilles Deleuze (1925-1995) dispensait ses fameux séminaires sur l’anti-Œdipe, Spinoza ou le cinéma, dans un amphi enfumé et blindé, ambiance post-68, de l’université Paris 8. Aux nostalgiques ou fanatiques, le metteur en scène et ancien co-directeur du Centquatre à Paris, Robert Cantarella, offre des cours de rattrapage. Seul en scène, assis face au public, il fait le Gilles. Exit la performance « par cœur », une oreillette lui diffuse la leçon à dire (enregistrement d’époque) y compris les hésitations du prof-Deleuze et les questions des élèves. « Je redis ce que j’entends au plus près de la voix d’origine », explique Cantarella. Et la transmission opère. Par corps interposé, on assiste au cheminement de la pensée en train de se IRUPXOHU 9LYLÀDQW —

Deleuze

est vivant

Faire le Gilles Séminaire « Image et Mouvement »

Avec Robert Cantarella Tous les premiers lundis du mois à 18h, Ménagerie de Verre (Paris)

Music is my radar

Week-end international à la Cité

Du 22 au 24 juin Théâtre de la Cité internationale, Paris

½

¾ Plutôt adepte de textes a priori non destinés au théâtre (beau souvenir de son Journal d’une autre, d’après Note sur Anna Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa), l’actrice et metteur en scène slavophile Isabelle Lafon se frotte cette fois au répertoire en adaptant La Mouette (1886) du Russe Anton Tchekhov. Une pièce en quatre actes d’une force inouïe, annoncée comme une comédie mais qui ÀQLW« &HUWDLQHV ±XYUHV RQW GpMj pWp WDQW éprouvées qu’on peut se demander à quoi bon encore les monter. « Je ne prétends pas apporter une nouvelle lecture, juste la déplacer un peu. » Les treize personnages seront joués par cinq actrices, dans une version écourtée, sur un plateau nu où seule la lumière construira l’espace. Et ce qui ne pourra être joué sera raconté. A voir. —

Tchekhov

« déplacé »

Une Mouette, d’après La Mouette de Tchekhov

Mise en scène Isabelle Lafon Du 9 au 26 mai, Théâtre Paris-Villette 170 — numéro 35

© Jean-Michel Frodon/Marc Domage/DR

Arrimé à un immense complexe universitaire aux allures de campus américain, le Théâtre de la Cité internationale de Paris allonge le premier week-end de l’été à trois jours de festivités, avec pour thème imposé : la musique. Fanny de Chaillé épouse la cause de la critique rock avec Gonzo Conférence ; Stéphane Malfettes retrace son American Rock Trip de six semaines parcouru pied au plancher, avec stops dans les cabinets de curiosités pop, dans une stand-up conférence ; Olivier Normand prend des airs de rock-star, de crooner ou de diva pour interroger la mise en scène de soi dans /·$UWLÀFLHU. Performances, œuvres sonores et concerts, un bar-terrasse avec vue sur la pelouse comme point de ralliement, une bonne alternative à la fête de la musique. —


CONTRIBUTEUR VIP

CARTE BLANCHE À JUDITH DAVIS Après le succès de leur première création Tout ce qui nous reste de la révolution, c’est Simon (2010), retour engagé et décalé du collectif l’Avantage du doute dont fait partie Judith Davis (avec Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Claire Dumas Nadir Legrand), qui explore, toujours entre documentaire et fiction, la « toyotisation » de l’humain dans La Légende de Bornéo. A voir au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers du 30 mai au 8 juin et du 12 au 16 juin au ThéâtreStudio d’Alfortville. Hâtez-vous pour la tournée, ça a été très vite complet au Théâtre de la Bastille.

© Christian Berthelot/Nathalie Mazéas

Retrouver ses « oh ! » et ses « ah ! » dans l’Obludarium Quand et où ai-je découvert l’Obludarium de la troupe des frères Forman ? Impossible de le dire. La trace de cette expérience sur ma mémoire est de celles qui effacent toute notion rationnelle du temps et de l’espace. Il faisait froid, il faisait nuit et la forêt profonde alentour nous tassait, nous public, autour d’un chapiteau-barraque bizarre, seule lanterne éclairée à mille milles à la ronde. L’expérience d’Obludarium, c’est tout d’abord ça ; accepter de se rendre l’espace d’une soirée, absolument ailleurs. Là où le GPS disjoncte, où Google Map n’a pas encore envoyé ses têtes chercheuses, là où personne depuis longtemps ne s’est aventuré. Du moins avons-nous envie de le croire. Pas tout à fait au cirque, pas vraiment au cabaret, un petit peu à la fête foraine, celle d’avant, la maison-roulotte où un géant inquiétant, mi-ogre mi-forgeron nous pousse à entrer, est aussi haute du dedans qu’elle paraît minuscule du dehors. C’est la première grande force de l’Obludarium : ici, derrière le miroir, ou au cœur du terrier, ou comme il nous plaira d’imaginer, le réel échappe au normal, et le rationnel n’assèche pas la pensée de son jugement solaire et glorieux. D’ailleurs ici il fait sombre. Et c’est le public, chargé de dynamos par un Monsieur Loyal un peu voyou, dont la présence soudaine derrière notre dos nous fait sursauter, qui va tourner et pédaler pour qu’un peu de lumière instable parvienne tout juste à éclairer la piste. De ce clair-obscur surgissent alors dompteuse-géante, femme-poisson, écuyère-marionnettiste, monstres, grosses têtes insoumises, et nous public sommes tantôt au cœur de la lanterne magique, tantôt au fond de la mer ou au milieu du bal. Entre surprise et rire, frayeur et soulagement, l’émerveillement nous gagne ; on découvre autant qu’on reconnaît, et soudain on se surprend à retrouver les « oh ! » et les « ah ! », ceux d’il y a longtemps, ceux de nos étonnements les plus anciens. Alors on se souvient… Le creux d’un arbre comme le fond noir des tiroirs sont des promesses et des passages, le monde des tout-petits vit derrière les plinthes, ils apportent murmures et craquements, et le grand Cosmos tombe à la surface des lacs. L’immense et le minuscule chutent l’un dans l’autre sans aucun souci des échelles et des plans, les esprits prennent des masques les soirs de fêtes ou bien l’allure du vent, et les vivants et les morts se regardent, se touchent et parfois même parviennent à s’aimer : la seconde grande force de l’Obludarium est ainsi de raviver un peu la lucidité loufoque de l’enfance, celle-là même que nous cherchons si avidement dès qu’il s’agit de créer un peu. — Obludarium

Conception Matej et Petr Forman Jusqu’au 11 avril, Bonlieu Scène Nationale, Annecy Du 9 au 12 mai au Toboggan, Décines numéro 35 — 171

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théâtre


littérature

Padgett Powell est-il romancier ? Tricheur ? Dresseur de zombies ?

172 — numéro 35

papiers L’interview à dix mille pesos


D’un abord modérément commode, le sexagénaire Padgett Powell – un ado pour sa Floride – débarquait cet hiver à Paris pour Mode interrogatif, roman (?) exclusivement composé de questions : « Quand vous vous rendez à un match de football, est-ce que vous agitez une écharpe en l’honneur de votre équipe ? Avez-vous déjà mis le feu à une partie de votre corps ? Alors, échange sans faux-col ? Pince-sans-rire ? Château-la-pompe ou tord-boyaux ? entretien François Perrin photographie Nolwenn Brod

Vos questions sont-elles, comme vous l’écrivez, des « zombies du mode interrogatif » ? Padgett Powell : J’ai écrit ça ? En tant qu’auteur, je suis le plus mal placé pour m’en souvenir. Quand tu écris, ta mémoire se consume au fur et à mesure : c’est écrit, évacué. Ceux qui retiennent tout sont trop amoureux de leurs propres productions. Vous en pensez quoi, alors, de votre idée de zombies ? Complètement crétin. Des zombies, franchement ? Pourquoi vous être lancé dans cette étrange entreprise littéraire dans les années 2000 ? En 1981, j’étais élève de Donald Barthelme [Pratiques innommables, 1972], je travaillais sur un premier roman froidement réaliste [Edisto, 1984] et n’avais rien lu de plus iconoclaste que Kafka, qui séduit par son surréalisme, certes, mais qui n’est pas postmoderne pour un sou. Le style de Barthelme [en rupture avec tous les codes traditionnels de l’époque : nouvelles ramassées, accumulation de détails, listes, recyclage de personnages pop] m’a fait gamberger. Dès mon second roman [A Woman Named Drown, 1987], on note une légère déviation : nous ne sommes pas des enfants, alors cessons de croire que les personnages d’un roman sont réels. Les adultes ne se contentent pas d’« Il était une fois », donc ne me croyez pas aveuglément. Participez plutôt, même si je feins de vous en empêcher. Vous êtes-vous dégagé du réalisme par étapes ? Donald m’a dit, à l’époque, qu’il regrettait que je sois formaté, alors que j’aurais pu venir m’amuser sur son terrain. C’est ce que je m’efforce de faire depuis, après m’être fatigué à essayer de faire comme tout le monde. Avec Le Mode interrogatif, j’essaie encore de « faire sauter l’aiguille », comme on dit aux Etats-Unis ; vous savez quand, sur un cadran de mesure, l’aiguille devient folle et sort des graduations... J’écris ce qui me passe par la tête, sans me censurer. Malheureusement, parfois les zombies débarquent... Le Mode interrogatif se picore-t-il au hasard, dix questions par-ci, vingt questions par-là ? Il ne m’apparaît pas assez ardu pour empêcher une lecture séquentielle. Le sens se trouve dans l’agencement plus ou moins

conscient des questions, dans le tissu connectif liant les os, les muscles et la chair. Toutefois, si vous lisez une page de bas en haut, ça ne fonctionnera pas. On pourrait tenter une typologie de vos questions par genre… Il y en a des profondes et des légères. Certaines caractéristiques de mon parcours et d’autres universelles. Elles reposent tour-à-tour sur un langage familier et informel, ou académique HW © FRPPH LO IDXW ª /D GLIÀFXOWp FRQVLVWDLW j pYLWHU TXH WHOOH ou telle catégorie domine les autres. Je dilue immédiatement une interrogation existentielle avec quelque chose de frivole, encadre les expressions quotidiennes de langage soutenu. Si j’éprouve de manière badine le sang-froid du lecteur, il faut que je lui demande, juste après et très sérieusement, quel est son point de vue sur la patate. Puis s’il est raciste. Vous en lâchez aussi de très orientées – comme « Le fait que les pinces à épiler soient généralement tellement mal faites qu’elles n’attrapent rien correctement vous énervet-il ? » – qu’elles n’en sont plus vraiment, si ? C’est une catégorie comme une autre, non ? J’ai bien le droit de tricher. Dans ces cas-là, certes, j’aurais à coup sûr perdu des points à Jeopardy!, ce jeu où il s’agit de répondre sous forme d’une question. L’Ecossaise Catherine Baird a publié en 2011 un livre répondant à chacune de vos questions, The Responsive Mood. Flatté ? C’est sympathique, mais aussi un splendide contresens, puisque son titre fait référence au mood en tant qu’état d’esprit quand le mien parle de « mood » dans le sens grammatical du terme : le mode interrogatif. Votre éditeur est-il souvent intervenu ? Dès la première page, suite à deux questions anodines sur l’odeur des enfants et les biscuits en forme d’animaux, je demandais au lecteur s’il trouvait l’exploitation de l’Afrique acceptable. Outre-Atlantique, cette association de propreté, de nourriture et d’Afrique aurait pu passer pour raciste. Ils ont donc retiré la troisième phrase, ce qui déséquilibre le tout – ce dont je ne me suis aperçu qu’après coup, et me motive donc, pendant les lectures, à reprendre mon manuscrit original. Question Jeopardy! Alors : « Une seule fois, deux peutêtre. » Pensez-vous encore coucher avec une femme de moins de 22 ans ? — Le Mode interrogatif

Rue Fromentin 240 pages, 16 euros

LE LIVRE

POURQUOI ?

« Serez-vous plus heureux dans le futur ? » Ceci mérite réflexion. Or, dans la foulée, Padgett Powell – dont le premier roman Edisto fut traduit en français en 1998, tirage épuisé – interroge sur la signification du terme « cavitation » et sur la présence de clébards dans vos rêves. Ne répondant à rien, il creuse son sillon, et laisse tantôt encastré dans un platane, tantôt noyé dans la méditation, tantôt contraint de s’offusquer d’un simple « Mais non, enfin ! » « Vous êtes-vous déjà retrouvé avec une personne nue et lourde allongée sur vous dans un bateau passant à toute vitesse près d’un autre bateau rempli de personnes nues et lourdes ? » A priori impossible à lire de bout en bout, ce Mode interrogatif se structure pourtant comme une toile dans laquelle on prend un immense plaisir à s’engluer. « Préféreriez-vous assister à un spectacle de cancan ou à une course de tortues ? » Bonne question, là encore. — F. P.

numéro 35 — 173


littĂŠrature papiers BD

La recette de l’amour fou, avec grand-mère

crumb entretien Richard Gaitet (Ă AngoulĂŞme) illustration tirĂŠe de Parle-moi d’amour (Š DenoĂŤl Graphic)

'H O¡LQĂ€GpOLWp GHV HQJXHXODGHV j JRJR PDLV surtout de la passion et des scènes de sexe d’une sauvagerie formidable : dans l’anthologique Parle-moi d’amour, Aline et Robert Crumb dĂŠvoilent quatre dĂŠcennies de vie conjugale, ĂŠcrites et dessinĂŠes Ă quatre mains. CroisĂŠe au festival d’AngoulĂŞme, Aline ne ressemble pas trop Ă l’idĂŠal de la femme ÂŤ crumbienne Âť, Walkyrie bodybuildĂŠe aux cuisses puissantes. Non, c’est une petite dame très digne de 63 ans, mince et espiègle, toujours in love.

DenoĂŤl Graphic Exposition Robert Crumb – de l’underground Ă la Genèse Ă partir du 13 avril au musĂŠe d’Art moderne de la Ville de Paris.

UNE AUTRE BD TRĂˆS TENDRE

ROMANCE

TICS 174 — numÊro 35

Vingt et une histoires d’amour contrariĂŠes en technicolor. Papas jackpot de Captain America, Joe Simon et Jack Kirby s’Êloignèrent des super-hĂŠros pour explorer de 1947 Ă 1959 la psychologie et la sensualitĂŠ dans des romance comics destinĂŠs Ă un lectorat fĂŠminin. Paradoxalement, les planches parues avant la censure du comics code (1953) sont les plus modernes : l’Êpisode Boy crazy est un bonheur, avec cougar Martha dĂŠsespĂŠrĂŠe de voir le jeune Clint n’avoir d’yeux que pour sa nièce Suzi. Les fins ouvertes, le sens du mĂŠlodrame, l’absence agrĂŠable de morale et d’ironie postmoderne, et le talent de Kirby pour dessiner des femmes pulpeuses rĂŠchauffent le cĹ“ur et le corps. — Jean-Emmanuel Deluxe

Young Romance: The Best of Simon & Kirby’s Romance Comics

Fantagraphics

Š DR

Parle-moi d’amour

C’est parti pour la question essentielle : c’est quoi l’amour ? Aline Crumb : Oh la la ! C’est supporter le quotidien, ses douleurs et VHV MRLHV VDQV rWUH Ă€GqOH RX PRQRJDPH DYHF GHV HQIDQWV HW GHV H[ C’est prendre du plaisir Ă se voir matin et soir, avoir toujours quelque chose Ă se dire. J’avais 23 ans quand j’ai rencontrĂŠ Robert, et s’il avait voulu me coincer dans une histoire enfermĂŠe, ç’aurait ĂŠtĂŠ impossible. On faisait des trucs sĂŠparĂŠment, on avait des amants, des amis diffĂŠUHQWV WRXW HQ D\DQW FRQĂ€DQFH O¡XQ HQ O¡DXWUH &¡HVW SDUIRLV FRPSOLTXp certains ne le supporteraient pas. Mes parents sont ensemble depuis plus de cinquante ans et sont angoissĂŠs dès que l’autre fait autre chose ; moi, ça me tuerait ! Il faut laisser l’autre respirer, croire Ă une espèce de lien spirituel, Ă un destin commun. Bukowski : ÂŤ Les amoureux deviennent souvent susceptibles, dangereux. Ils perdent le sens de la perspective. Ils perdent le sens de l’humour. Ils deviennent nerveux, psychotiques, emmerdants. Ils se transforment mĂŞme en assassins. Âť Je n’ai jamais souhaitĂŠ la mort de mon mari, plutĂ´t celle de certaines femmes qui le poursuivaient de façon peu sympathique ! Mais elles voulaient me tuer, elles aussi. Robert, de temps en temps, j’ai juste envie de lui donner des coups de pied dans les fesses ! Et comment il aime ĂŞtre embrassĂŠ, Pervers Robert ? Il aime quand j’ouvre ĂŠnormĂŠment la bouche, jusqu’à ce qu’il ait la tĂŞte dedans, que je l’avale complètement. Après je suis heureuse parce que ça me fait des lèvres pleines et jolies. C’est mieux que le Botox ! —


papiers BD

DANS LA DĂˆCHE EN AMÉRIQUE AVEC

JOE SACCO

entretien Richard Gaitet (Ă AngoulĂŞme)

Š Michael Tierney

Lunettes rondes, sac Ă dos : OK, Joe Sacco est Ă AngoulĂŞme pour dĂŠfendre ses Reportages rĂŠalisĂŠs pour The Guardian ou XXI. Comme dans Palestine (1996) ou Gorazde (2004), il dĂŠcrit avec humanisme la situation d’immigrĂŠs africains indĂŠsirables, le procès d’un criminel de guerre serbe ou l’entraĂŽnement de soldats irakiens par l’armĂŠe US. InvitĂŠ d’une confĂŠrence sur le journalisme en bande dessinĂŠe, Joe, 51 ans, s’est dit admiratif du George Orwell de Dans la dèche Ă Paris et Ă Londres (1932) et a montrĂŠ une planche de son prochain album, Days of Destruction, Days of Revolt, coĂŠcrit avec Chris Hedges, ex du New York Times et Pulitzer 2002, Ă paraĂŽtre en juin aux Etats-Unis. RĂŠvoltĂŠ ? Il est comme ça, Sacco. Cet album se dĂŠroule surtout Ă Camden, New Jersey, la ville la plus pauvre et la plus dangereuse des Etats-Unis, avec environ 35 % de chĂ´meurs et 70 % d’Êchec scolaire ? Joe Sacco : Il y a des endroits en AmĂŠrique oĂš le capitalisme fait vraiment ce qu’il veut, oĂš il l’a emportĂŠ sur le travailleur – s’il reste encore un travailleur quelque part. La quasi-totalitĂŠ du livre se passe Ă notre ĂŠpoque – Ă Camden, effectivement, mais aussi en Californie, dans une rĂŠserve sioux du Dakota du Sud ou Ă New York –, sauf ce portrait d’un mineur de Virginie-Occidentale qui a commencĂŠ Ă travailler dans les annĂŠes 30‌ Il est très vieux et se souvient avoir remontĂŠ du charbon du fond de la mine grâce Ă des ânes... Chris ĂŠcrit le texte, je dessine les paysages. Vous avez rencontrĂŠ pour cela le mouvement Occupy Wall Street. Des frères en indignation ? Je me sens très proche d’eux. Il fallait qu’il y ait un retour de bâton, qu’on entende ceux qui se plaignent de ce que fait – ou ne fait pas, plutĂ´t – le gouvernement amĂŠricain. Nos dirigeants ont longtemps eu les mains libres, mais ces jeunes gens intelligents et bordĂŠliques ont mis le doigt sur notre problème principal : l’argent contrĂ´le les hommes politiques, et les gens n’entendent plus de voix sincère et authentique pour les dĂŠfendre. Les banques ont ĂŠtĂŠ remises j Ă RW " 3HUVRQQH Q¡D FRPSULV SRXUTXRL FH Q¡pWDLW PrPH SDV QpFHVVDLUH 6L YRXV UHQĂ RXH] OHV EDQTXHV HOOHV FRQWLQXHQW GH IDLUH GX SURĂ€W PDLV OHV FRQWULEXDEOHV HX[ QH VRQW SDV UHQĂ RXpV /¡DUJHQW PRQWH YHUV OHV SOXV KDXWHV VSKqUHV GH OD VRFLpWp HW FHW DUJHQW SURYLHQW du peuple, Ă qui on a demandĂŠ de se serrer la ceinture. Ça ne peut pas marcher. Quelle est la règle n° 1 de votre journalisme ? Donner une idĂŠe sur la manière dont les gens vivent, avec un peu d’empathie. Pour ce prochain album, ça se traduira par : comprendre comment les gens ont perdu leur boulot, et comment ils essaient de rĂŠsister, Ă l’Êchelle de l’individu. — Days of Destruction, Days of Revolt

Nation Books Reportages

Futuropolis numÊro 35 — 175


littĂŠrature papiers Chroniques

re a e p u s a e e k p a a s h Sh i C s a e g L m g i a r j .B n’a a M e d ç t i fa un olquho is C e t a K go n Bour Christia s, 25 euros ge 460 pa

Quand Bukowski dĂŠbarque accompagnĂŠ Ă Paris en 1978, notamment pour participer Ă sa manière – l’INA s’en souvient – Ă l’Êmission Apostrophes de Bernard Pivot, il entame une tournĂŠe promotionnelle le baladant d’une France ĂŠtriquĂŠe Ă l’enthousiaste Allemagne, qui lui servit de berceau dans les annĂŠes 20. Son couple, impeccable puisqu’il ÂŤ se retrouvait chaque jour – et chaque nuit – sans avoir rien rĂŠsolu et avec zĂŠro chance de rĂŠsoudre quoi que ce soit Âť, n’arrĂŞte pas d’Êcluser jusqu’à ne SOXV VH VRXYHQLU GH ULHQ DFFRXFKDQW G¡XQH PDWLqUH Ă€ODQGUHXVH lumineuse, Ă la base de ce journal de bord jusqu’ici inĂŠdit en France. ÂŤ Prude sous [sa] fourrure de violeur de service Âť, Buk enquille les lectures devant un public survoltĂŠ qui ne se rend pas compte ÂŤ que dans [son] propre pays [ses] livres n’Êtaient imprimĂŠs qu’à cinq mille exemplaires Âť. Si ÂŤ tout le monde s’en va les poches vides Âť, le poète ÂŤ laisse derrière lui ce petit fumet parfois appelĂŠ immortalitĂŠ Âť, qui nous caresse, ici, les narines comme aucun autre. — François Perrin

Et aussi

176 — numÊro 35

Dans le compartiment ensanglantĂŠ d’un train de banlieue, on retrouve un chapeau. Son propriĂŠtaire, Thomas Briggs, git sur la voie ferrĂŠe. Le premier crime jamais commis dans un train anglais ! Nous sommes Ă Londres, en juillet 1864. La police se dĂŠmène, la presse se dĂŠchaĂŽne, le public s’emballe dans toute l’Europe. Si les nouvelles vont plus vite, avec le train, les criminels aussi‌ Le Chapeau de M. Briggs n’est pas exactement un roman : l’histoire est vraie en tous points. Historienne, l’auteur s’attache surtout Ă faire revivre l’Êpoque : les dĂŠbuts de l’opiQLRQ SXEOLTXH OHV EDOEXWLHPHQWV GH OD SROLFH VFLHQWLĂ€TXH OHV tensions sociales dans l’Angleterre de la rĂŠvolution industrielle. Le fait divers, lui, ne manque pas de rebondissements. On y trouvera mĂŞme une poursuite en paquebot jusqu’à New York. Voile contre vapeur : qui de la police ou du criminel arrivera le premier au Nouveau Monde ? Le livre entier pourrait ĂŞtre rĂŠsumĂŠ dans cet ĂŠpisode : un Faites entrer l’accusĂŠ version longue, sur la chaĂŽne Histoire. — Bertrand Guillot

ÂŤ L’autruche est un sale oiseau. Ses yeux reflètent sa nature : petits et mĂŠchants, cruels, sans pitiĂŠ. L’autruche n’a qu’une expression : un mĂŠpris haineux pour toutes les crĂŠatures vivantes en gĂŠnĂŠral et pour moi en particulier. Âť Après Le Koala tueur (2009) et La Vengeance du wombat (2010), les ĂŠditions Autrement publient

L’Ivresse du kangourou, troisième recueil de nouvelles animalières sans queue ni tĂŞte de l’Australien Kenneth Cook. RĂŠvision express : le koala canarde, le wombat contre-attaque, le kangourou comate et vous venez de gagner au Scrabble. — F. P.

Š DR

wski s Buko Charle te s 13e No s, 19,50 euro e g a p 256


r u e d Gran de S olia Xabi M s il Le Seu s, 14,50 euro e g a 140 p

Š DR

Enfermez dans une piaule, Ă partir de 2007, un hypersensible Ă l’image environnĂŠ pour tout meuble d’un banc noueux et d’un tĂŠlĂŠviseur, d’une ramette de papier et de quelques Bic Ă portĂŠe de main. Laissez macĂŠrer. Vous obtiendrez Ă coup presque sĂťr un recueil de poèmes hallucinĂŠs, odes lyriques Ă l’exaltation discordante, panĂŠgyrique Ă la première personne, tout Ă l’autocĂŠlĂŠbration du prĂŠsident encore en service Ă l’heure oĂš nous ĂŠcrivons ces lignes. ÂŤ 'DQV XQ YUDL Ă€OP RQ PH GpVLUH RQ PH retient et on me pĂŠrennise. Âť Des premiers jours au dernier VRXIĂ H pSLVRGH DSUqV pSLVRGH VH GHVVLQH HQ LPDJHV GH SLJQROH XQ PDQGDW KDXW HQ VWXSHXUV ² GRQW XQ pSRXVWRXĂ DQW WDEOHDX des membres du premier gouvernement : ÂŤ Devedjian a mordu et beaucoup bastonnĂŠ / il fut bon caporal, il faut le pensionner. Âť Qui fut-il, ce Pape mĂŠdiatique, et qui fĂťmes-nous pour lui servir ? ÂŤ Je suis votre ombre et votre idĂŠe / Je suis votre premier UpĂ H[H ÂŤ (W MH VXLV YRWUH WHQWDWLRQ $ORUV F¡HVW V€U -H UHYLHQdrai. Âť Gloups. Sublimement anxiogène. — F. P.

s n a s ĂŠ s s a l C suite nik Oured Patrick Allia euros ges, 9 176 pa

Dans Europeana, une brève histoire du XXe siècle (Allia, 2004), le Tchèque Patrick Ourednik jouait dĂŠjĂ Ă se tapir dans une chroQLTXH IDXVVHPHQW VXEMHFWLYH G¡XQ VLqFOH G¡+LVWRLUHV RIĂ€FLHOOHV et de racontars estampillĂŠs archives. Dans ClassĂŠ sans suite, c’est au genre policier qu’il impose son crible, transformant en thÊâtre un mĂŠdiocre quartier sillonnĂŠ de vieillards bavards de rien, de disparitions louches et d’un inspecteur trop instruit pour la plèbe ; pour se faire accepter de ses pairs, ÂŤ il avait appris Ă prononcer des mots comme zut, pifomètre ou boulonner et avait rĂŠduit de moitiĂŠ le nombre de mots par ĂŠnoncĂŠ. Âť Quand tout un chacun tisse son propos de dates ou citations pour en contrebalancer le vide, il ne reste plus aux ĂŠrudits qu’à singer l’hĂŠbĂŠtement, Ă l’Êcrivain qu’à parodier la pire tourbe romanesque pour mieux en souligner l’inanitĂŠ. — F. P.

Mais oÚ partir cet ÊtÊ ?  Si vous voyez une affiche pour une destination, celle-ci n’est pas exotique , annonce Crad Kilodney (photo) dans l’intro de ses Villes bigrement exotiques (Le Dilettante). Cet AmÊricain, deux fois candidat pour rire aux prÊsidentielles, dresse une typologie des fonctionnaires de Pyongyang (CorÊe du Nord), recherche l’influence italienne à Mogadiscio (Somalie) et s’envole pour Ataq (YÊmen), le tout sans appareil photo, donc

sans clichĂŠ. On peut aussi filer Ă Athènes avec Gazmend Kapllani. Dans Petit Journal de bord des frontières (Intervalles), le narrateur raconte sa fuite d’Albanie et ses premiers pas en Grèce, dans les annĂŠes 90 – avec lui prennent vie tous les clandestins. ÂŤ L’ÊmigrĂŠ est comme le joueur qui a rĂŞvĂŠ d’un formidable coup aux cartes mais qui ignore l’essentiel : les règles du jeu. Âť Une chronique simple et juste de l’immigration europĂŠenne aujourd’hui. — B. G. numĂŠro 35 — 177


littĂŠrature papiers Le Questionnaire de Bergson

JeanBaptiste Botul, philosophe trouĂŠ

ÂŤ Prophète muet Âť n’ayant rien publiĂŠ de son vivant, Jean-Baptiste Botul (18961947) voit sa pensĂŠe patiemment ressuscitĂŠe. Après La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant (1999) ou La MĂŠtaphysique du mou (2007), l’Êditeur latiniste Jacques Gaillard fait rejaillir une ÂŤ Correspondance Ă moi-mĂŞme Âť centrĂŠe autour d’une rĂŠflexion sur le ÂŤ trou Âť – trente-deux lettres sur le nĂŠant, hommage ÂŤ vibrant Âť Ă L’Etre et le NĂŠant.

entretien Richard Gaitet illustration Caroline de Greef

Comment Jean-Baptiste Botul se reprĂŠsentait-il l’avenir de la littĂŠrature ? Jacques Gaillard : Comme tous les philosophes qui ont beaucoup lu Platon dans leur jeunesse, Botul se prĂŠoccupait assez peu de la littĂŠrature, donc assez peu, ĂŠgalement, de son avenir. Il ne s’Êtait pas abonnĂŠ au Journal de Gide. Il mit longtemps Ă comprendre que Le Temps retrouvĂŠ de Proust ĂŠtait une Ĺ“uvre posthume. Il trouva La NausĂŠe indigeste, mais n’en dit rien Ă Sartre. La guerre radicalisa ses jugements, rares, gĂŠnĂŠraOHPHQW VpYqUHV PDLV MXVWHV FRPPH FHWWH FRQĂ€GHQFH UHFXHLOOLH par Cocteau (juste avant leur brouille) : ÂŤ Cioran m’a montrĂŠ ses Ĺ’uvres de CĂŠline reliĂŠes en pleine peau d’ashkĂŠnaze. Le seul avantage de cette foutue guerre aura ĂŠtĂŠ qu’on ne parlera plus jamais de l’auteur de ces torchons – ni de Cioran. Âť Cet avenir possĂŠdait-il une quelconque rĂŠalitĂŠ, ou reprĂŠsentait-il une pure hypothèse ? La rĂŠalitĂŠ de l’avenir ĂŠtait elle-mĂŞme une hypothèse pour Botul. Force est de constater qu’en ce qui concerne CĂŠline, ses vĹ“ux ne se sont pas rĂŠalisĂŠs. Pour le reste, faut voir. OĂš Botul aurait-il pu se situer dans cette littĂŠrature possible ? 178 — numĂŠro 35

A priori, nulle part. A posteriori, il est dĂŠsormais classĂŠ dans les librairies parmi les philosophes possibles, entre Hannah Arendt et Georges Canguilhem. S’il pressentait l’œuvre Ă venir, pourquoi ne l’a-t-il pas faite lui-mĂŞme ? Rappelons son principe : ÂŤ Ne rien ĂŠcrire pour ne pas ĂŞtre publiĂŠ. Ne pas ĂŞtre publiĂŠ pour ne pas ĂŞtre lu. Ne pas ĂŞtre lu pour ne pas ĂŞtre mal compris. Âť Si tous les prophètes avaient eu cette sagesse, on aurait ĂŠconomisĂŠ beaucoup de papier, de sang et de larmes. Question subsidiaire : d’oĂš vient cette fantaisie ? Ce sĂŠrieux irrĂŠprochable dans la fabrication d’un canular ? Ce talent pour les notes de bas de page ? /D SKLORVRSKLH Q¡HVW SDV XQ FDQXODU F¡HVW XQH YLYLĂ€DQWH passion pour les questions sans rĂŠponse et parfois les rĂŠponses sans question. Le monde dĂŠcrit dans le TimĂŠe est fantaisiste, la Monadologie de Leibniz aussi, et que dire des dĂŠsopilants dĂŠlires tyroliens de Heidegger ? Notre travail d’Êditeur s’efforce VpULHXVHPHQW GH SURXYHU OD Ă€GpOLWp GH %RWXO j XQ JHQUH SKLORVRphique antique trop oubliĂŠ après Lucien de Samosate et Martianus Cappella, le spoudogĂŠloion (ÂŤ sĂŠrieux-marrant Âť). D’autre part, on connaĂŽt la phrase de Whitehead (mort en 1947 comme Botul) : ÂŤ La philosophie occidentale n’est qu’une suite de notes de bas de page aux dialogues de Platon. Âť D’oĂš l’intĂŠrĂŞt, pour tout universitaire, de soigner les notes. — Du trou au tout : correspondance avec moi-mĂŞme [tome 1]

ExhumĂŠ et commentĂŠ par Jacques Gaillard La DĂŠcouverte, 144 pages, 12 euros


CARTE BLANCHE À TRISTAN GARCIA Ayant publié en mars En l’absence de classement final (Gallimard), recueil de nouvelles sportives qui parle de kourach ouzbek et du marn-grook aborigène, Tristan Garcia sortira en septembre un roman de science-fiction (Les Cordelettes de Browser, Denoël) et un essai sur la série Six Feet Under (Nos vies sans destin, PUF). Ensuite, il promet de s’attaquer au livre d’après.

© DR

Histoire et préhistoire des livres d’après

Qui n’a pas ses marottes ? L’une des miennes est de chercher dans la bibliographie de grands auteurs le livre d’après. Une fois écrit un chef-d’œuvre de la littérature universelle, qu’est-ce qu’on fait ? Généralement, un roman bizarre, vite oublié. Qui sait qu’après L’Ile au trésor (1883), Stevenson publia l’étrange Prince Othon (1885), une fantaisie sur une principauté germanique imaginaire qui fait irrésistiblement penser à Spirou dans QRN sur Bretzelburg… ? Jules Verne, après Le Tour du monde en 80 jours (1873) ? La même année, Le Pays des fourrures, drôle de récit arctique au sous-texte lesbien. Jack London, après Croc-Blanc (1906) ? Le splendide et inclassable Avant Adam (1907) : un jeune garçon qui s’imagine dans la peau d’un homme préhistorique. Et puis Conrad, après Lord Jim (1900) ? Les Héritiers (1901), écrit en collaboration avec Ford Madox Ford, un « récit extravagant ª GH TXDVL VFLHQFH ÀFWLRQ TXL PHW en scène des « dimensionnistes », êtres machiavéliques s’introduisant dans la haute société pour prendre le pouvoir. Un des meilleurs livres d’après se situe à mi-chemin entre le London et le Conrad, dont il partage même le nom : Les Héritiers, de William Golding. Publié en 1955, un an après le succès retentissant de Sa Majesté des mouches, ce petit frère romanesque est resté dans l’ombre du grand.

des derniers Néanderthaliens, sur le point de s’éteindre, le roman réalise le tour de force de nous faire partager l’univers mental, la perception de ces êtres plongés dans une impasse obscure de l’Evolution – juste avant le règne de Cro-Magnon. Dans une langue pure et simple, il suit deux couples ainsi que « la Vieille », qui sait allumer le feu, et « Mal », le sage qui a des « images » guidant la communauté. Des chasseurs apparaissent, ils ont les cheveux longs, la maîtrise de la Nature. La scène où Lok décrit longuement ce qu’il croit être un cadeau envoyé depuis l’autre rive par les étrangers – parce qu’il ne sait pas ce TX·HVW XQH ÁqFKH ² HVW j O·LPDJH GH WRXW OH OLYUH O·LQQRFHQFH j son crépuscule. Ce texte s’enfonce encore plus profondément que Sa Majesté des mouches aux origines du mal, puisque les Homo sapiens sapiens qui éclipseront nos héros sont durs, conscients et calculateurs. Nous en sommes les héritiers. Alors que les Néanderthaliens resteront sans descendance, comme ce livre ignoré. Les livres d’après sont des explorateurs trop audacieux. Ils ont plongé encore plus loin que leurs prédécesseurs célèbres, mais ne sont jamais revenus et sont tombés dans l’oubli. Alors militons pour la réédition en poche de ce roman génial – comme de tous les frères cadets aventureux. —

IMPASSE OBSCURE DE L’EVOLUTION

William Golding Les Héritiers

Pourtant, Les Héritiers de Golding est probablement le meilleur livre préhistorique jamais écrit. Mettant en scène la tribu réduite

Gallimard 252 pages, 10,99 euros numéro 35 — 179

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littérature


art

palettes Copie qu’on forme

entretien Timothée Chaillou traduction Natalie Estève

L’artiste flamand Guillaume Bijl, 65 ans, crée des répliques à l’échelle de supermarchés, de vitrines de magasin, d’agences de voyages ou de mariage. Il nous explique par email ici sa fascination pour le trompe-l’œil.

3RXUTXRL GpÀQLU YRV ±XYUHV DYHF FH TX·HOOHV VRQW HW QH sont pas ? Guillaume Bijl : Pour éviter les interprétations erronées. Je classe mes travaux. Installations de Transformation, c’est une réalité dans la non-réalité (un espace d’art). Installations en Situation, une non-réalité dans la réalité (un espace public). Compositions, des natures mortes archéologiques du temps présent. Œuvres Piteuses, des sortes d’œuvres absurdes et abstraites. Et ces dernières années, j’ai beaucoup œuvré à propos du « tourisme culturel ». Demandent-elles une participation du public ? Le spectateur devient une sorte d’acteur de théâtre, sans 180 — numéro 35

vraiment le savoir. Je crée des situations en trompe-l’œil et traYDLOOH GDQV OH GRPDLQH GH OD ÀFWLRQ HW GH OD UpDOLWp Dans votre jeunesse, vous avez peint des natures mortes. Vos œuvres en sont-elles des élaborations en trois dimensions ? J’ai commencé par être un peintre autodidacte, mais je ne pouvais pas atteindre mon but avec ce médium. Je voulais faire participer mon public davantage, et j’ai commencé à faire des installations ironiques. Jusqu’à traiter de l’aliénation ? Oui, j’en joue beaucoup. En 1979, vous avez écrit « un soi-disant manifeste écrit par l’Etat » : Le Projet de liquidation de l’art. Qu’y trouvait-on ? L’idée, c’était que les autorités trouvaient l’art, en général, VXSHUÁX HW YRXODLHQW IHUPHU WRXV OHV OLHX[ G·H[SRVLWLRQ SRXU les transformer en institutions et en entreprises, comme des hôpitaux psychiatriques, des studios de photographe, des agences de voyages, des écoles de conduite, etc. Ce texte fut à

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Répliques ironiques de Guillaume Bijl


© DR

Agence de mariage «Diane», 1988-2008 Page de gauche A Band, 1988

l’origine de mes Installations de Transformation, qui insinuent que la galerie ou l’espace d’art a fait faillite pour devenir un supermarché ou une boutique de matelas au rabais. Vos installations, une archéologie du présent ? Je me reconnais dans cette phrase : « Je montre une archéologie de cette “civilisation”, maintenant » (si on le voit dans une perspective futuriste). Si Caravan Show était regardée dans mille ans, elle serait à la fois vue comme une abstraction et une aliénation totale face à un certain mode de vie. Exposer ces éléments dans un lieu d’art – non fonctionnel –, c’est les montrer au public avec une distance. Je me moque un peu de notre civilisation et de notre société de consommation parce qu’elles sont loin d’être optimales. L’artiste allemande Joséphine Meckseper produit des vitrines dans lesquelles sont agencés des objets standard ou vernaculaires (une brosse pour toilette, les baleines d’un parapluie, des canettes de coca) et des images de modes, présentés comme « des cibles de violence potentielle. Leurs surfaces nettes incitent au vandalisme et

à la violence. Elles représentent le moment juste avant qu’un manifestant ramasse une pierre et casse une vitre. » Comment négociez-vous cette tension avec le spectateur ? Mon effet d’étalage réaliste parfait a pu mettre en colère, en particulier dans des lieux publics. Il y a eu des actes de vandalisme. La provocation et l’irritation font partie de mes principales expressions (bien que parfois de façon très minimale et subtile). Je veux que mon travail montre les paradoxes de cette société capitaliste folle, qu’il puisse déranger les gens de temps en temps. Joséphine Meckseper dit aussi vouloir « rendre apparents les paradoxes inhérents à l’hystérie de la consommation ». Y a-t-il du grotesque dans votre travail ? Du tragi-comique ? En règle générale, oui, c’est tragi-comique. Avec certains de mes travaux, j’essaie clairement d’atteindre ce but. Je suis très intéressé par notre grotesque. Parfois pour rire, mais aussi pour pleurer. — numéro 35 — 181


art palettes Passe à la maison un de ces quatre !

par Patricia Maincent (à Grenoble)

Alors que Lili Reynaud-Dewar publiait en juin 2011 dans la revue féministe Petunia un texte sur l’impossibilité pour une artiste de devenir propriétaire, cette jeune FranoDLVH V·LQVWDOOH DX 0DJDVLQ j *UHQREOH HQ DIÀUPDQW Ceci est ma maison / This is my place. Le centre d’art se substitue à la domesticité, s’appropriant les pièces de « représentation ». Le lieu d’exposition se visite en passant de la salle à manger à une chambre, au lit comme une scène de spectacle, en passant par un salon où, assis dans le canapé, vous pouvez regarder Prenez garde à la sainte putain du réalisateur allemand R. W. Fassbinder (1971). En tant qu’hôte, l’artiste invite musiciens, performers, designers… on croise aussi sa mère et sa grand-mère dans ses vidéos. Ses sculptures se mêlent indistinctement au mobilier, comme la coiffeuse du designer Michael Graves ou les chaises d’Ettore Sottsass, posant ainsi la problématique du statut de l’œuvre et de son auteur.

FAUTEUILS LOUIS XIII IMPRIMÉS AFRICAINS

Cette question de l’origine est au cœur d’une démarche qui joue sur les décalages et les transpositions. Ainsi, les fauteuils Louis XIII de la salle à manger de son aïeule sont retapissés avec un tissu faussement africain. Un étonnant catalogue d’imprimés recouvre ses objets. Si on les associe au départ à des textiles ethniques, en y regardant de plus près, leurs motifs laissent perplexe : une main qui appuie sur un aérosol, des clés, 182 — numéro 35

des rubans. Ces toiles ont en fait été trouvées en Hollande, où l’appartenance culturelle est avant tout histoire d’argent. Ce passage d’une culture à l’autre, d’une génération à l’autre, qui marque un déracinement, rejoint peut-être la question de l’artiste femme, qui invente de nouveaux codes pour se créer une légitimité dans le monde machiste de l’art ; comme s’installer dans un musée comme à la maison. L’immense nef du Magasin, striée de rayures noires et blanches, reprend la façade de la maison que l’architecte Adolf Loos avait imaginée pour Joséphine Baker. Baptisée « la rue », elle a été la scène d’une performance, où Lili Reynaud-Dewar a dansé, déambulé, dans l’empreinte des mouvements de Baker. Mises en abyme par des miroirs déformants, des photos restituent l’étrangeté de ce corps sculptural et fragile dans cet espace disproportionné. Pour la première fois, l’artiste se met directement en scène, mais ses traits disparaissent sous une couche de peinture noire. Le jazzman cosmique Sun Ra, dont la musique et les textes accompagnent l’exposition, disait venir de Saturne. Et Lili ? — Lili Reynaud-Dewar Ceci est ma maison / This is my place

Magasin-Cnac, Grenoble Jusqu’au 29 avril What a pity you’re an architect, Monsieur. You’d make a sensational partner! Vue de l’exposition Ceci est ma maison/This is my place au Magasin/CNAC

© Blaise Adilon/Magasin-CNAC

Lili Reynaud-Dewar déménage au Magasin


vvvvvvvvvv

palettes Voulez-vous enregistrer ?

TENTATIVE D’ÉPUISEMENT DE LA QUESTION DE L’ARCHIVE par Patricia Maincent (à Nice)

Qui dit « sauvage » pense non éduqué, non régi par des règles. Or le principe de l’archive évoque a contrario un travail raisonné. L’Institut des archives sauvages regroupe à la Villa Arson, dans le centre-ville de Nice, une trentaine d’œuvres autour de cette curieuse antinomie. L’immense mur de la première salle est entièrement recouvert d’un papier-peint où des motifs aux couleurs vives tranchent sur un fond noir. Œuvre emblématique de cet institut, Papier-peint « sillage » (2009) du Sud-Africain Ian Simms donne une visibilité à tous les dossiers de cent cinquante ans d’histoire des chantiers navals de La Seyne-surMer. Elle crée un alignement à la régularité du format standard de la page de bureau. Chaque couverture et tranche ayant été scannées, les titres et petites notes sont d’une « poésie brute », très pragmatiques, car purement administratifs. Cet élément d’ameublement joue à peine son rôle décoratif, tant l’organisation des formes est mue par une volonté de lisibilité.

© Villa Arson

COLLECTION/RESTITUTION

En face, Julien Prévieux (connu notamment pour ses Lettres de non-motivation, voir Standard n° 23) a installé la sculpture Have a Rest (2007), qui invite à la sieste via un meuble étrange, réplique du premier ordinateur, doté de banquettes, il permettait aux ingénieurs de se détendre pendant que la machine calculait :

outre la vision démesurée de ce diplodocus informatique de la taille d’un salon, l’image de la rêverie associée à ce gigantesque disque dur est très étonnante : entre le cerveau et la machine, lequel est le plus performant ? Formellement, ces deux pièces sont très éloignées, mais elles sont toutes deux images d’une mémoire. L’Institut questionne notre façon de collecter aussi bien que celle de restituer. Collecter est un acte compulsif, qui se voudrait exhaustif… Un artiste comme Alain Rivière, qui met en scène des expositions qui ne verront jamais le jour, ou encore les « mouton et savon » de l’Allemande Anna Oppermann [1940-1993] – qui, toute sa vie, aura envahi l’espace de textes, dessins et photos à partir de deux mots –, s’enferment dans un geste fascinant et névrotique. Le charme réside dans ce vertige de l’accumulation. — L’Institut des archives sauvages

Villa Arson, Nice Jusqu’au 28 mai

Julien Prévieux Have a Rest, 2007 Sycomore, hêtre, cuir, médium. 350 x 300 x 180 cm. Collection musée d’Art moderne de Saint-Etienne. Ian Simms Papier-peint « sillage », 2009. Impression numérique sur papier à tapisser. 1725 x 375 cm. Œuvre réalisée avec le conseil scientifique de l’historien Guy Morelivi. numéro 35 — 183


art palettes Viens donc faire un tour dans ma chambre !

Comment allez-vous aujourd’hui, Monsieur Johnston ?

par Gilles Baume (Ă Nantes)

La vision culte et dĂŠbridĂŠe de Daniel Johnston sur un mode tordu et hallucinĂŠ est exposĂŠe en programmation complète WDEOHDX[ Ă€OPV HW FRQFHUWV DX /LHX XQLTXH Ă Nantes. Comme sa musique, les dessins de cet ÂŤ adulenfant Âť sont ĂŠlĂŠmentaires mais impressionnants. Les motifs ont des contours bien marquĂŠs au trait noir. Des couleurs pĂŠtantes, appliquĂŠes avec des techniques d’adolescent, marqueur ou gouache, les remplissent plus ou moins exactement. DiffĂŠrents personnages s’y croisent, dĂŠrivĂŠs de culture pop US, revus et corrigĂŠs par une imagination dĂŠlirante : super-hĂŠros bizarres, femmes Ă demi nues aux attributs sexuels bien marquĂŠs et autres monstres hybrides comme un homme unijambiste-trognon de pomme. Des parties de leur corps sont atrophiĂŠes, d’autres protubĂŠrantes, comme des muscles de bras ou quelques pans de graisse, des membres sont parfois isolĂŠs – des troncs, des tĂŞtes – et les yeux rĂŠvulsĂŠs de sympathiques extraterrestres multicolores sortent de leurs orbites. Un masque de diable cornu inquiète brusquement, tandis que Captain America ou Hulk semblent se laisser aller Ă des pensĂŠes salaces. Tous ces acolytes forment la drĂ´le de parade du cirque de l’American way of life 184 — numĂŠro 34

j OD PHQDFH VRXYHQW SDOSDEOH 7RXV à RWWHQW GDQV GH JURVVLHUV champs de couleurs, d’Êtoiles et autres graphies : signes de paix ou croix gammÊes, taches en forme de pilules. DÉMARCHE MASTURBATOIRE UNIVERSELLE

Collectionneur de comics, Daniel Johnston en reprend les principes de mise en page. Lorsque les feuilles de ses cahiers sont recouvertes se produit un effet d’horreur du vide qui dĂŠrange, synonyme de bouillonnement mental, comme une cocotte-miQXWH SUHVVXULVpH 'HV EXOOHV HW GHV OpJHQGHV Ă RWWHQW SDUIRLV autour des personages : ÂŤ We’re Back ! Âť, ÂŤ Hey Baby ! Âť, ÂŤ So Sorry Âť, ÂŤ Who Cares? Âť, ÂŤ The Gang Âť, ÂŤ Never Laugh Or Cry Just Get High And Die Âť. Des commentaires et sentences GLUHFWHV TXL LQWHUSHOOHQW FRPPH GHV VORJDQV GpĂ€QLWLIV Ces motifs ĂŠcrits Ă la hâte renvoient aux mots qu’il chante, aussi. Connu pour avoir ĂŠtĂŠ enregistrĂŠ dans sa chambre ou Ă l’hĂ´pital SV\FKLDWULTXH OH VRQ PDXYDLV PRQR HW SOHLQ GH VRXIĂ H UHEXWH tout d’abord ; puis la voix ĂŠmerge, nasillarde, fragile et ĂŠvidente, a cappella ou accompagnĂŠe d’un piano ou d’une guitare. S’il travaille aujourd’hui en studio, ses morceaux les plus marquants sont ceux qu’il continue de faire Ă la maison, au moyen


sélection

Agenda Ancholia Alain Huck

Centre culturel suisse, Paris Jusqu’au 15 avril

Crash Océan Vava Dudu

Le Confort Moderne, Poitiers Jusqu’au 18 avril

Cœur de silex Pauline Curnier Jardin

La Galerie, Noisy-Le-Sec Jusqu’ au 21 avril

Duty Free Katia Kameli

Vidéochroniques, Marseille Jusqu’au 28 avril

Vous êtes ici Thomas Huber

Mamco, Genève Jusqu’au 6 mai

Néon, who’s afraid of red, yellow and blue? Exposition collective

La Maison Rouge, Paris Page de gauche Casper went to hell and become hot stuff Feutre sur papier, 21,5 x 28 cm, 2010 Ci-dessus Excuse me people Feutre sur papier, 21,5 x 28 cm, 2010

Jusqu’au 20 mai

Bertrand Lamarche

CCC, Tours Jusqu’au 27 mai

d’un simple enregistreur cassette (voir Standard n° 33). Dan Johnston reste un adolescent quinquagénaire qui se raconte pour la millième fois l’histoire de son héros favori. Loin du pathétique que l’on pourrait associer à cette démarche masturbatoire, il est parvenu à une universalité, saluée par l’exposition. Son pouvoir d’écoute est immense et tout ce que la contre-culture américaine a compté de stars depuis trente ans l’admire sans bornes, de Kurt Cobain à Matt Groening en passant par Sonic Youth. Son œuvre à la force directe est un saut dans le néant – ainsi de l’épopée tragique de King Kong, érigée au rang de poème épique sacré ou de litanie incantatoire. De la musique aux images, il exorcise les spectres de terribles obsessions, cauchemars ou fantasmes, la frontière de l’un à l’autre n’ayant rien de très palpable. — Daniel Johnston Welcome to my world!

Jusqu’au 20 mai Le Lieu unique, Nantes

Art et bicyclette Exposition collective

Espace d’art concret, Mouans-Sartoux Jusqu’au 3 juin

Armer les toboggans R. Breer, C. O. Fairclough, Pierre Labat

Le Quartier, Quimper Du 14 avril au 10 juin

Au désert j’ai dû me rendre Karim Ghelloussi

Frac-PACA, Tourrettes sur Loup Jusqu’au 23 juin

numéro 35 — 185


art palettes Acouphène

CÉLESTE PARTITION ALÉATOIRE DE BOURSIER-MOUGENOT

Videodrones 1 Courtesy galerie Xippas

par Patricia Maincent

Le style mĂŠdiĂŠval de l’ancienne sacristie du collège des Bernardins accueille une installation interactive de CĂŠleste Boursier-Mougenot. Le compositeur invente depuis 1994 des dispositifs qui dĂŠveloppent en direct une musique Ă partir de matĂŠriaux ou de situations diverses. Sa nouvelle proposition s’intègre dans une sĂŠrie dĂŠbutĂŠe en 2000 sous le titre Videodrones. Il s’agit d’une crĂŠation sonore Ă partir de la source d’une image. Une camĂŠra est EUDQFKpH j XQ DPSOLĂ€FDWHXU /D PXVLTXH QDvW GX VLJQDO pOHFWULTXH GH O¡LPDJH OH ERXUGRQQHPHQW YDULDQW en fonction de la luminositĂŠ sur l’Êcran. Un peu comme si on comprenait le martèlement des pointes d’une ballerine au sol grâce Ă l’alphabet morse, en un jeu poĂŠtique alĂŠatoire de transposition.

Après avoir traversĂŠ la salle principale du collège des Bernardins, chef-d’œuvre gothique, on entre dans l’ancienne sacristie. Sombre et voĂťtĂŠ, l’espace est ĂŠclairĂŠ par cinq grandes projections, issues de camĂŠras de surveillance postĂŠes dans les rues alentour. Cet ancien lieu de culte du XIIIe siècle crĂŠe une rupture avec notre quotidien, mais en y pĂŠnĂŠtrant, le spectateur retrouve l’environnement qu’il vient de quitter. Le dĂŠcalage naĂŽt dans la vue de ces quelques coins de rue familiers. Que se passe-t-il dans le 5e arrondissement ? Les gens parlent dans leurs portables, passent Ă vĂŠlo, cherchent une adresse, font leurs courses‌ quoi de plus banal ? Etrangement, le dispositif hypnotise. Une personne entre dans le champ de face et disparaĂŽt au niveau d’un ornement de la chapelle pour rĂŠapparaĂŽtre de dos un ĂŠcran plus loin. Le ton quasi P\VWLTXH GH FH VSHFWDFOH GX TXRWLGLHQ HVW LQWHQVLĂ€p SDU OD PXVLTXH /HV YDULDWLRQV GHV QDSSHV pOHFWURniques rythment la vision de ces brèves urbaines. Un lointain ĂŠcho des chants grĂŠgoriens rĂŠsonne dans les basses, qui plongent dans une ferveur presque religieuse. Le lien physique du son et de l’image ne s’idenWLĂ€H SDV G¡HPEOpH PDLV OH UpHO HVW WUDQVIRUPp VFpQDULVp PDOJUp OXL DX VRQ GH FHV GURQHV PpGLWDWLIV Âł CĂŠleste Boursier-Mougenot Videodrones

Collège des Bernardins, Paris Jusqu’au 15 avril 186 — numĂŠro 35

Š F. Lanternier

DRONES MÉDITATIFS


CONTRIBUTEUR VIP

CARTE BLANCHE À ÉMILIE PITOISET

© DR

Conséquence de l’Audi talents award qu’elle a reçu en 2010, Emilie Pitoiset avait un stand à elle lors de la dernière FIAC au Grand Palais. Du 10 avril au 19 mai, son travail sera visible dans This & There, l’exposition collective de la Fondation Ricard à Paris et dans les expositions personnelles Vous arrivez trop tard, Cérémonie aux Eglises de Chelles jusqu’au 20 mai et à la Galerie Klemm’s, à Berlin du 29 avril au 6 septembre.

numéro 35 — 187

IBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTE

art


jeux vidĂŠo

players Se nourrir Bio(Ware)

Mass Effect 3, victime de la nĂŠcessitĂŠ de raconter la fin ? Si un titre peut Ă lui seul contrer l’argument selon lequel ÂŤ le boulot des jeux vidĂŠo n’est pas de raconter des histoires Âť, c’est bien la saga Action-RPG Mass Effect de BioWare. Gros engin narratif accroc au story-telling sous toutes ses formes (le design et les dĂŠcors ÂŤ racontent Âť au mĂŞme titre que les dialogues et le dĂŠroulement des missions), elle a dessinĂŠ au cours de ses deux premier opus une gigantesque tapisserie galactique au principe d’Êvolution riche et complexe, peuplĂŠe de lĂŠgendes ancestrales, d’enjeux mortels et de personnages poignants, chacun disposant d’une histoire personnelle aussi imaginative et inspirĂŠe qu’une nouvelle de Ray Bradbury. En comparaison, Star Wars IDLW Ă€JXUH GH mĂŠmo‌ On joue Ă Mass Effect autant pour la beautĂŠ cosmique des JXQĂ€JKWV Ă la troisième personne et la gestion immersive des armes et autres skills que pour ressentir la trajectoire mĂŠlancolique du commandant Shepard et de ses compagnons d’armes. Mais alors que ME 1 & 2 se donnaient beaucoup d’espace pour WLVVHU OD WRLOH GH O¡XQLYHUV WRXWHV FHV SLVWHV DX[ pWRLOHV Ă€ODQWHV doivent parvenir Ă une conclusion dans la version 3. This is it : Les Reapers (race millĂŠnaire dont personne ne voulait rubrique coordonnĂŠe par François Grelet & Benjamin Rozovas

SI VOUS AVEZ

5 MINUTES

accepter l’existence) ont dĂŠbarquĂŠ, la galaxie est dĂŠchirĂŠe par la guerre, les planètes tombent, les personnages qu’on aime FUqYHQW XQ SDU XQÂŤ &¡HVW OD Ă€Q MENACE DE L’APOCALYPSE

Cela pose ĂŠvidemment plusieurs problèmes. 1 / Peut-on se sentir concernĂŠ si l’on n’a pas jouĂŠ aux deux premiers ? 2 / Est-ce un jeu Ă part entière ou le tiers d’un jeu ? et 3 / S’il est mĂť par l’urgence de la destruction et la menace de l’apocalypse, comment conserver la structure lâche et open world des prĂŠcĂŠdents ĂŠpisodes ?... Autant de questions auxquelles EA et BioWare tentent de rĂŠpondre dans leur langage marketing (ÂŤ &HFL HVW OH GpEXW OH PLOLHX HW OD Ă€Q GH OD VpULH Âť, ont-ils communiquĂŠ. Une manière d’inviter les nouveaux joueurs Ă la fĂŞte) et Ă l’intĂŠrieur mĂŞme du soft, en rĂŠduisant le champ des histoires (mĂŞme les missions annexes nourrissent la trame principale) et la libertĂŠ de mouvement de Shepard sur la terre ferme. On est lĂ pour rĂŠtablir la vĂŠritĂŠ : ceci n’est pas le dĂŠbut, QL OH PLOLHX PDLV OD Ă€Q HW PrPH VL OH VHQWLPHQW GH WHQLU XQH galaxie entière dans le creux de sa main en prend un coup, Mass Effect 3 reste l’une des plus grandes expĂŠriences ĂŠmotionnelles que le mĂŠdium a Mass Effect 3 (BioWare / EA) Ă offrir. Un dernier hourrah pour la route. —

Traçant la mĂŞme veine que l’intouchable Super Meat Boy (abstraction, nervositĂŠ, difficultĂŠ vacharde), Dustforce tire toute sa sève de son concept rigolo – nettoyer les niveaux, mais littĂŠralement, Ă l’aide d’un balai ou d’un aspirateur – et de sa maniabilitĂŠ singulière, Ă base de combos frĂŠnĂŠtiques. Le tout ĂŠtrangement plus jouable au clavier qu’à la manette. Difficile d’enquiller les niveaux vu l’exigence du machin, mais suffisamment ÂŤ prototype Âť pour ne pas prendre la poussière dans notre bibliothèque Steam. —

Hitbox / Steam 188 — numÊro 35

Š DR

DUSTFORCE


players Les jeux façon Roger Corman

LES

Il aura mis le temps, mais le cinĂŠma amĂŠricain dit de sĂŠrie B (qui dĂŠsiJQDLW j O¡RULJLQH FHV Ă€OPV j SHWLWV EXGJHWV SURGXLWV j O¡RPEUH GX V\VWqPH GHV VWXGLRV D HQĂ€Q JDJQp VHV OHWWUHV GH QREOHVVH GDQV OHV seventies, lorsque la critique installĂŠe a daignĂŠ reconnaĂŽtre qu’il y avait de la vie GDQV OHV EDQGHV 6) EULFROpHV GH OD Ă€Q GHV DQQpHV HW OHV SRODUV VHFV et juteux de Joseph H. Lewis. Jusqu’à être devenu aujourd’hui un label, une distinction, ÂŤ une autre idĂŠe du cinĂŠma Âť, faute de pouvoir totalement s’arroger l’appellation de ÂŤ genre Âť. Cette notion en jeux vidĂŠo n’existe pas, mais elle devrait. A quoi pourrait-on reconnaĂŽtre un B sur consoles ? A son budget ? Ses capacitĂŠs technologiques moyennes ? Son esprit bien placĂŠ ? 'LIĂ€FLOH GH PHWWUH OH GRLJW VXU FH TXH UHQIHUPH O¡HVSULW % VLQRQ TXH oD LPSOLTXH un grain de folie supplĂŠmentaire et l’intuition d’exister dans la marge, lĂŠgèrement Ă cĂ´tĂŠ des canons en vigueur. On ne sait pas exactement ce que c’est, mais NeverDead et Darkness 2 l’ont, c’est certain. Imparfaits dans leurs mĂŠcaniques de gameplay et passablement rĂŠpĂŠtitifs (le premier est un TPS chaotique dans lequel le hĂŠros immortel s’arrache bras et jambes pour avancer, le second un FPS sanguinolent oĂš l’on ĂŠviscère les ennemis grâce Ă deux tentacules diaboliques, en plus GHV Ă LQJXHV UpJOHPHQWDLUHV LOV WpPRLJQHQW G¡XQH VDXYDJHULH LQRXwH PDLV GpYHORSSHQW HQWUH OHV OLJQHV XQ Ă DLU pPRWLRQQHO LQDWWHQGX OHV GHX[ VRQW GHV KLVWRLUHV d’amour dĂŠchirantes maquillĂŠes en bains de Darkness 2 (Digital Extremes / 2K Games) sang immatures. Sales, malpolis, insolites, Neverdead (Rebellion / Konami) attachants, ĂŠtrangement inoubliables. —

CHÉRIS B DU JEU VIDÉO

SI VOUS AVEZ

1 HEURE

Pas tout Ă fait l’opus rĂŠgĂŠnĂŠrant qu’on nous avait promis, celui qui allait revenir aux fondamentaux du survival horror, Res Ev Rev a quand mĂŞme un look d’enfer sur l’Êcran mini de la 3DS. La sensation d’avoir entre les pognes un jeu digne des plus beaux titres sur consoles de salon est saisissante. Mais c’est aussi le problème. En tout cas le nĂ´tre, un qu’on n’a jamais su rĂŠsoudre : qui a le temps de nettoyer un niveau entier de Res Ev Rev entre deux stations de mĂŠtro ? Et pourquoi, avec cette ambiance immersive de bateau hantĂŠ, favoriser des parties minimum de soixante minutes lorsque le porteur de 3DS moyen en a tout juste quinze devant lui ? —

Š DR

RESIDENT EVIL REVELATIONS

(Capcom / Nintendo) numÊro 35 — 189


jeux vidéo players Le pitch pro

Et si on passait les classiques au filtre

first-person

shooter ? Etalon du jeu de stratégie en temps réel, Syndicate a été « remaké » en FPS tout feu tout chrome. On a proposé à son producteur Ben O’Donnel de faire pareil avec d’autres classiques old school.

1. FROGGER

2. ARKANOID

3. FINAL FANTASY

« Ah ce serait super en FPS ! Il faudrait forcément que ce soit une über-grenouille, et qu’il y ait un feeling à la Space Area. Des bonnes sensations de vitesse DYHF GHV JURV ÁLQJXHV DGDSWpV j OD JUHnouille. Tu shooterais donc les voitures quand elles arrivent sur toi, mais tu aurais en plus des skills propres à l’animal. Et il faut que ce soit brutal dès que tu te prends une caisse en pleine face, avec du sang de batracien partout. Je vais pitcher cette idée à EA. »

« Hmmm, la vraie question avec un casse-brique, c’est : est-ce que tu es la barre ou la balle ? Non, t’es forcément la barre, la balle étant le projectile… Je verrais bien un FPS qui se jouerait avec Kinect, du coup. Ouh-la les gars, on va se faire beaucoup de thune avec tout ça… »

« Là c’est beaucoup trop facile, tu passes juste d’une vue à la troisième personne à une vue à la première. Le tour est joué. (W SXLV WX ÀOHV GHV ÁLQJXHV DX[ KpURV Le vrai challenge serait de transformer en FPS les vieux Final Fantasy, de faire une espèce d’hommage bourrin à leur côté 8-bits, avec leurs jolis sprites et OHXUV GpÀOHPHQWV KRUL]RQWDX[ &H VHUDLW un jeu indépendant, qu’on réaliserait à la maison le week-end. On ne se ferait pas un kopeck, je vous le dis. » —

SI VOUS AVEZ

1 MOIS

Syndicate

(Starbreeze Studios / EA)

Un mois, c’est à vue de nez la distance qui nous sépare de Trials Evolution, moment où l’on sait déjà qu’on ne jouera plus à Joe Danger SE, mais aussi où on le remerciera du fond du cœur de nous avoir fait patienter du mieux qu’il pouvait. Son design retro, sa B.-O. à l’orgue Hammond, la physique sublime de sa moto riquiqui, ses modes de jeux infinis, son sadisme fluo, son multi à base de bourre-pifs sur deux roues… Vraiment, on sera très triste de l’effacer de nos disques durs. Le XBLA est un monde impitoyable. —

JOE DANGER

Hello Games / Microsoft 190 — numéro 35

© DR

SPECIAL EDITION


players Ouuuh Samy

ALAN WAKE,

LABORATOIRE Ă€ IDÉES MÉTA C’est l’histoire d’une licence qui refuse de mourir parce qu’elle a encore trop de choses Ă raconter, trop de coups Ă tenter... Tout aurait pourtant dĂť s’arrĂŞter il y a deux ans sur un bord de route aux alentours de Bright Falls. Initialement conçu comme la première saison d’une potentielle sĂŠrie vidĂŠo ludique, Ă coups de cliffhangers, d’arc principaux dĂŠtournĂŠs et d’Êpisodes loners resserrĂŠs, Alan Wake a abandonnĂŠ ce postulat après son semi-four dans les bacs en 2010 et l’apparition de deux DLC [contenu tĂŠlĂŠchargeable] (L’Ecrivain et Le Signal), pensĂŠs comme de brillants exercices de style dĂŠsengagĂŠs de toute trame narrative. De Sam Lake, boss de Remedy, savant fou, crĂŠateur de Max Payne, on connaissait le goĂťt du contre-pied. Mais on le dĂŠcouvrait lĂ bouillonnant, capricieux, prĂŞt Ă tenter toutes les embardĂŠes stylistiques pour maintenir en vie sa nouvelle licence-labo. Deux ans plus WDUG DORUV TXH OH MHX D Ă€QL SDU V¡pFRXOHU j PLOOLRQV G¡H[HPSODLUHV VXU OH WUqV ORQJ terme, Alan Wake revient d’entre les morts par le biais d’un sublime portage PC, et d’un improbable American Nightmare, exclu XBLA Ă l’ADN cryptique. ECLAIRER, SHOOTER

Š DR

Ni suite, ni spin-off, cette excroissance arcade se prĂŠsente comme un ĂŠpisode de la sĂŠrie Night Springs (ersatz de La Quatrième Dimension) qui met en scène l’Êcrivain aux prises avec une boucle temporelle. Vous reprendrez bien une part de mise en abyme ? De loin ça peut paraĂŽtre fumeux, de près c’est pire ; sauf que comme toujours le jeu sĂŠduit par le gĂŠnie de sa ÂŤ jouabilitĂŠ Âť en deux temps (ĂŠclairer zombie/shooter zombie), mĂŠcanique VWXSpĂ€DQWH LQFKDQJpH GHSXLV OD SUHPLqUH KHXUH HW Ă€QDOHPHQW YpULWDEOH VWUXFWXUH GH OD VDJD De ce point de vue, la licence paraĂŽt inaltĂŠrable, propice aux expĂŠrimentations les plus dingues, aux formes les plus disparates. CoincĂŠs dans les plaines glacĂŠes de Finlande, les petits gars de Remedy y croient depuis toujours dur comme fer : pas de grand jeu sans grand gameplay. Pour le reste, ils ont Sam Lake. — Alan Wake (Remedy/ Microsoft) numĂŠro 35 — 191


jeux vidÊo players C’est lui qui le dit

LE (NON) GAMER

ALAIN CHABAT

ÂŤ C’est l’un de mes grands regrets : ne jamais avoir trouvĂŠ l’occasion de me mettre Ă jouer sĂŠrieusePHQW -H YLV oD SDU VXEVWLWXWLRQ DYHF PRQ Ă€OV TXL me raconte toutes ces expĂŠriences de jeu. LĂ , il vient GH Ă€QLU Portal 2, et il m’a expliquĂŠ le concept, la manière d’introduire les personnages et de tartiner tout ça d’humour Ă froid. Ça a l’air vertigineux ce machin, je suis dĂŠgoĂťtĂŠ de passer Ă cĂ´tĂŠ. Mais mon Ă€OV P¡D SUpYHQX ŠPapa, si tu te mets Ă jouer, on ne va plus te retrouver... Âť Je m’en fous, je me vois bien bloquer devant ma tĂŠlĂŠ pendant trois jours. J’ai juste un gros problème de technique : brancher les câbles, choisir la bonne console‌ J’aurai besoin d’un coach Ă plein temps. Âť — Sur la piste du Marsupilami

en salles

192 — numÊro 35

Š Nicolas Guiraud/Chez Wam

 PORTAL 2, J'AURAIS AIMÉ Y JOUER À LA PLACE DE MON FILS. 


CONTRIBUTEUR VIP

CARTE BLANCHE À BASTIEN VIVÈS Grand prix de la critique pour Polina (Casterman, 2011), Bastien Vivès, 28 ans, vient de publier deux compilations de saynètes drôles et méchantes tirées de son blog (http://bastienvives.blogspot.com) sur les thèmes du Jeu vidéo et de La Famille (Delcourt), et Les Melons de la colère (Les Requins Marteaux), récit porno d’une paysanne à la poitrine énorme subissant les assauts des notables du village. Comme si ça ne suffisait pas, il co-écrit deux mangas : un pour mecs, Last Man et l’autre inspiré par Cat’s Eyes, intitulé La Grande Odalisque, à paraître en septembre chez Aire Libre.

© DR/Olivier Roller

Battle Beasts & Laser Beasts, des jouets badass

L’amour, la vie, la plénitude, la passion… mon cul ! S’il y a bien une chose qui valait la peine d’être vécue sur cette terre c’est : les BATTLE BEASTS / LASER BEASTS ! Sortie par Hasbro en 1986, cette série de jouets représentant des animaux en armure avec un autocollant eau/bois/feu était tout simplement magique ! Un design parfait (silhouette ultra-lisible, deux, trois couleurs max, attitude badass) un concept incroyable, une réalisation nickel. Aujourd’hui dans une vitrine je les regarde, ils m’apaisent et me rappellent à l’ordre dans mon travail… Parfois quand je suis triste j’en dessine pour remonter le moral, et je prie secrètement pour qu’un jour ils soient réédités… —

numéro 35 — 193

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jeux vidéo


cinéma

pellicules Master classe

FRANCIS FORD

COPPOLA

194 — numéro 35


ÂŤ POUR LE TEMPS QU’IL ME RESTE‌ Âť C’est sa femme, Eleanor, qui dĂŠcroche. ÂŤ Pouvezvous rappeler dans un quart d’heure ? Francis n’est pas rĂŠveillĂŠ. Âť 10h30, je me sens comme un escargot sur une lame de rasoir : dans quelques minutes, j’aurai l’honneur d’une conversation pas si secrète avec Francis Ford Coppola, 73 ans, tirĂŠ du lit pour parler de Twixt, thriller gothique dans lequel Val Kilmer joue Hall Baltimore, ÂŤ un Stephen King au rabais Âť bouffi et alcoolo rĂŠsolu Ă ĂŠclaircir des meurtres d’enfants survenus quarante ans plus tĂ´t dans un trou perdu, matière funèbre d’un hypothĂŠtique best-seller. Entre deux clins d’œil Ă Rusty James (jeunes, motos) et Dracula (brouillard, vampires), une ĂŠlĂŠgie discrète Ă la mĂŠmoire de son fils Gian-Carlo, mort Ă 22 ans dans un accident de bateau en 1986. Je compose Ă nouveau le numĂŠro, le Godfather est Ă Paris et rĂŠpond dès la première sonnerie.

Š DR

entretien Richard Gaitet

Bien dormi ? Vous souvenez-vous avoir rĂŞvĂŠ ? Francis Ford Coppola : [Il rit.] Je ne crois pas, non. Fellini a ĂŠcrit et dessinĂŠ ses rĂŞves au rĂŠveil pendant vingt-deux ans. 9UDLPHQW " -H VDYDLV TX¡LO pWDLW WUqV LQĂ XHQFp SDU VHV UrYHV VXUWRXW j OD Ă€Q GH VD YLH 3DUIRLV OHV PLHQV PH UHYLHQQHQW WUqV clairement, parfois c’est vague. En gĂŠnĂŠral, je dors bien, donc je rĂŞve, c’est certain, et quand c’est intĂŠressant, je le note. J’essaie de me rendre disponible pour tout ce qui pourrait nourrir mon ĂŠcriture, tout ce qui se passe dans ma vie, dans mes rĂŞves ; je n’ai d’ailleurs pas totalement saisi la diffĂŠrence entre les deux, puisque parfois, ma vie ressemble Ă un rĂŞve, vous savez. L’idĂŠe principale de Twixt provient d’un songe que vous avez fait Ă Istanbul, pas vrai ? Oui. J’Êtais en Turquie en 2009 pour voir si l’endroit serait appropriĂŠ pour un tournage, je suis sorti un soir avec une jeune juriste et sa sĹ“ur, et elles m’ont dit : ÂŤ $YH] YRXV JR€Wp OH raki, l’alcool local ? Âť Nous en avons bu, beaucoup, et quand je me suis couchĂŠ, j’Êtais un peu‌ intoxiquĂŠ ! Et j’ai rĂŞvĂŠ d’une adolescente aux dents tordues couvertes de bagues, et d’enfants sortant d’une tombe, dans un hĂ´tel dĂŠlabrĂŠ. Cette scène est dans OH Ă€OP H[DFWHPHQW FRPPH FHOOH R (GJDU $OODQ 3RH DSSDUDvW pour guider le hĂŠros. Qu’est-ce qu’un psychanalyste pourrait penser de cette sĂŠquence, Ă votre avis ? Bon, la plupart de mes rĂŞves sont l’expression d’une inquiĂŠtude. Je ne suis jamais allĂŠ chez le psy. Pourquoi pas ? Ce n’est pas la tradition dans ma famille, les immigrĂŠs italoamĂŠricains ne font pas ça et‌ j’utilise dĂŠjĂ tellement de choses tirĂŠes de ma vie et de mes sentiments dans mon travail que, peut-ĂŞtre, je n’ai jamais eu la motivation nĂŠcessaire. Peut-on voir Twixt FRPPH XQ KRPPDJH DX[ Ă€OPV GH sĂŠrie B ? Un hommage, je ne sais pas. Je voulais retrouver le cinĂŠma de genre dans lequel j’avais pu m’exprimer Ă mes dĂŠbuts [d’abord VRXV OD KRXOHWWH GH 5RJHU &RUPDQ SXLV YLD VRQ SUHPLHU Ă€OP Dementia 13, en 1963]. J’aime le genre quand je peux m’affranchir de ses codes, ou suivre les règles de façon‌ ĂŠlastique, au risque d’Ênerver les fans. Vous conseillez aux jeunes rĂŠalisateurs de savoir ÂŤ rĂŠsumer OHXUV Ă€OPV HQ XQ RX GHX[ PRW V HQ XQ WKqPH Âť, ce qui aide Ă ÂŤ prendre les bonnes dĂŠcisions Âť. Pour Le Parrain [1972/1974/1990], c’Êtait la ÂŤ transmission Âť, pour &RQYHUVDWLRQ VHFUqWH [1974], ÂŤ l’intimitĂŠ Âť, pour Apocalypse Now [1979], ÂŤ l’explosion de la moralitĂŠ Âť. Et pour Twixt ? numĂŠro 35 — 195


CinĂŠma pellicules Francis Ford Coppola (suite)

La perte. Mais je ne l’ai pas compris tout de suite : j’Êtais Ă la UHFKHUFKH G¡XQH Ă€Q M¡DL SHQVp j FHWWH KLVWRLUH G¡pFULYDLQ VXU le dĂŠclin, ayant perdu ce qui faisait son succès, le respect de sa femme et tout respect pour lui-mĂŞme. Quand il se dĂŠcide Ă enquĂŞter sur des meurtres d’enfants, il sait que ça pourrait OH UHPHWWUH HQ VHOOH PDLV OXL QRQ SOXV QH WURXYH SDV GH Ă€Q j son livre. Qui est le tueur ? Dans ses rĂŞves, Edgar Allan Poe l’entraĂŽne dans une forĂŞt et lui demande s’il est sĂťr de vouloir la rĂŠponse. Il comprend alors petit Ă petit que la solution est en lui-mĂŞme. Val Kilmer est parfait pour le rĂ´le. Son visage et son corps incarnent naturellement les peurs enfouies d’un has been. Je le connais depuis des annĂŠes, c’est un très bon acteur, très drĂ´le. Dans Kiss Kiss Bang Bang [Shane Black, 2005], il jouait dĂŠjĂ de sa propre image. Oui. Les gens intelligents peuvent ĂŞtre très marrants – ils savent que la vie peut passer en une seconde du plus comique au plus tragique, et voient la connexion. L’une des personnes les plus drĂ´les que j’ai jamais rencontrĂŠes et qui m’a fait rire, rire, rire, pendant des jours entiers, c’est Terrence Malick. Le rĂŠalisateur de The Tree of Life, marrant ? SĂŠrieusement ? J’Êtais en voyage avec lui Ă Cuba au dĂŠbut des annĂŠes 70, au sein d’un groupe de cinq, six personnes de l’industrie du cinĂŠma, et il dĂŠconnait tout le temps. Du comique au tragique : qu’aimez-vous dans la poĂŠsie d’Edgar Allan Poe ? Ses nouvelles, que j’ai toutes lues. Son vocabulaire spectacuODLUH VRQ LPDJHULH PDJQLĂ€TXH ,O D LQYHQWp XQH YLVLRQ PDFDEUH de la vie, inspirĂŠ par une tragĂŠdie personnelle : il a ĂŠpousĂŠ sa cousine Virginia quand elle avait 13 ans et lui 27, et elle est morte Ă 24 ans de la tuberculose. Et l’image que nous avons de lui, Ă travers La Chute de la Maison Usher [1839] ou le poème Annabel Lee [1849, posthume], c’est souvent celle d’une jeune Ă€OOH WUqV EHOOH PDUFKDQW GDQV OD QXLW UHFRXYHUWH GH VDQJ ,O n’avait aucun succès. C’est pourtant Ă lui que l’on doit l’invention du roman policier ! 4XL G¡DXWUH Ă€JXUH SDUPL YRV pFULYDLQV SUpIpUpV " Nathaniel Hawthorne, dont la nouvelle Le Jeune MaĂŽtre Brown > @ D pJDOHPHQW LQĂ XHQFp Twixt. Je l’ai dĂŠcouvert Ă 16 ans, en lisant La Lettre ĂŠcarlate [1860], que je voulais dĂŠjĂ adapter HQ Ă€OP -H SRVVqGH DXVVL OHV ÂąXYUHV FRPSOqWHV GH %DO]DF 0DXpassant, Hugo. J’ai beaucoup de livres chez moi‌ Ces derniers mois, j’ai lu Anna KarĂŠnine de TolstoĂŻ [1877], superbe exercice narratif : chaque chapitre adopte la perspective d’un personnage

UN LIVRE En 1976, Eleanor Coppola consignait un tournage apocalyptique aux Philippines. Et relevait un aspect biographique rĂŠcurrent dans le travail de son mari.

Apocalypse Now, Journal

Sonatine, 2011 196 — numÊro 35

diffĂŠrent, une vraie leçon pour un metteur en scène. A ce propos, vous auriez dĂŠclarĂŠ, ce qui m’a ĂŠtonnĂŠ : ÂŤ J’ai dĂŠcidĂŠ d’arrĂŞter de faire des mouvements de camĂŠra SDUFH TXH OHV VSHFWDWHXUV QH V¡LQWpUHVVHQW SDV SDUWLFXOLqUHPHQW j OD PLVH HQ VFqQH Âť Quand Orson Welles tourne La Soif du Mal > @ OH Ă€OP s’ouvre sur un très, très, très long plan-sĂŠquence, sans aucune rupture, celui dont rĂŞve tout cinĂŠaste. Sur ce modèle, les rĂŠalisateurs font souvent des mouvements de camĂŠra très ĂŠlaborĂŠs, très chers, et‌ le public ne s’en rend pas compte. Les gens V¡LQWpUHVVHQW j O¡KLVWRLUH HW DX[ SHUVRQQDJHV HW VH Ă€FKHQW TX¡LO \ ait ou pas un ÂŤ cut Âť quelque part. Vous y croyez vraiment ? Je le sais 'DQV FKDFXQ GH PHV WURLV GHUQLHUV Ă€OPV >L’Homme sans âge, 2007, Tetro, 2009, puis Twixt], je ne fais que deux ou trois mouvements de camĂŠra. Si je la bouge trop dès le dĂŠbut, le public est immunisĂŠ : il ne s’apercevra plus, par la suite, d’aucun effet. Si la camĂŠra bouge constamment, ça rend malade, on se croirait sur un bateau ! Et vous perdrez la beautĂŠ de la composition sur l’Êcran. Vous avez dit que dĂŠsormais vous ĂŠcrirez tous vos scĂŠnarios, qui devront faire ĂŠcho Ă votre existence. TerminĂŠ les adaptations ? Oui, parce qu’il ne me reste plus beaucoup de temps Ă vivre, GRQF MH QH UHIHUDL SOXV GH Ă€OPV FRPPH Peggy Sue s’est mariĂŠe [1986], oĂš d’autres personnes [les scĂŠnaristes Jerry Leichtling et Arlene Sarner] font le gros du travail. Ecrire un livre est YUDLPHQW GLIĂ€FLOH -¡DL WRXMRXUV YRXOX rWUH FHOXL TXL pFULW O¡KLVtoire, mais durant l’essentiel de ma carrière, je n’ai pas pu parce que je devais rĂŠaliser. Donc, pour le temps qu’il me reste, je PH VXLV Ă€[p FRPPH EXW GH QH WRXUQHU TXH FH TXH M¡pFULV ² to do myself the hard work. On vous attribue souvent cette phrase, très belle : ÂŤ Toute crĂŠation est une victoire sur la peur. Âť C’est de vous ? J’ai dĂť dire quelque chose comme ça, oui‌ De nombreuses personnes ont peur de la mort, qui fait partie de la vie. L’art permet de remporter des victoires sur la mort, et m’a permis d’exprimer certaines de mes peurs les plus profondes – mais parfois, c’Êtait aussi pour payer le loyer ! Dans ce monde oĂš tout est tellement commercial, vous devez lutter pour ĂŠcrire quelque chose d’honnĂŞte et ĂŞtre payĂŠ pour ça. LĂ oĂš j’en suis dans ma vie, je me paye moi-mĂŞme et je n’ai pas d’autre raison d’Êcrire que ma propre envie – d’une certaine façon, je suis un amateur. — Twixt

En salles le 11 avril

ÂŤ Manille, 28 avril. Je me souviens de son angoisse et de ses doutes par rapport au scĂŠnario du Parrain II, et j’ai l’impression, avec le recul, qu’il faisait face Ă l’Êpoque aux mĂŞmes thèmes dans sa propre vie : argent, pouvoir, famille. Maintenant il est aux prises avec les thèmes du voyage intĂŠrieur de Willard et des vĂŠritĂŠs avec Kurtz, des thèmes qu’il n’a pas rĂŠsolus en lui-mĂŞme, et il se bat donc intensĂŠment pour ĂŠcrire la fin de son scĂŠnario et se comprendre en chemin. Il semble se rendre compte qu’il va soit rĂŠussir, soit ĂŠchouer sur les deux fronts, ce qui l’effraie ĂŠnormĂŠment. Âť —


pellicules Notre prix d’interprÊtation fÊminine

Agathe Bonitzer : ÂŤ S’adapter Ă son milieu, ça prend du temps. Âť

Vous pratiquez la danse classique depuis l’enfance. Cela sert-il pour jouer, comme dans A moi seule XQH MHXQH Ă€OOH VpTXHVtrĂŠe, au corps contraint ? Agathe Bonitzer : Au cinĂŠma ou au thÊâtre, la danse m’aide de manière gĂŠnĂŠrale, ne serait-ce que pour rĂŠguler l’Ênergie – ou en retrouver lorsqu’on la perd. Mon personnage, GaĂŤlle, est peu habituĂŠe Ă l’espace, nĂŠanmoins elle m’apparaissait, Ă la lecture GX VFpQDULR FRPPH XQH MHXQH Ă€OOH WRXWH HQ PXVFOHV FRPPH VL la sĂŠquestration l’avait a contrario rendue plus vive, spontanĂŠe, dynamique. Elle a aussi ce corps ordinaire des adolescents : expressif d’un certain malaise de l’identitĂŠ, en pleine recherche de soi. La danse fonctionnait comme un outil complĂŠmentaire au travail du corps, notamment pour les ÂŤ cascades Âť (lutte, JLĂ HV HW OHV VFqQHV GH FRXUVH /H Ă€OP UDFRQWH DXVVL XQH UpDGDSWDWLRQ j VRQ PLOLHX Vos parents, Pascal Bonitzer et Sophie Fillières, sont cinĂŠastes. Avez-vous dĂŠjĂ eu envie de fuir cet univers ? Le cinĂŠma est en effet un univers familier, mais continue de me faire rĂŞver. Je n’ai jamais eu envie de le fuir, il ne m’a jamais paru pesant : au contraire, avoir grandi dans ce milieu a ĂŠtĂŠ un privilège. De plus, d’autres univers auxquels je suis tout autant attachĂŠe s’y mĂŞlent : la littĂŠrature – et les ĂŠtudes de lettres –, la danse, le dessin, ou la mode. Il me semble qu’être actrice permet prĂŠcisĂŠment cette permĂŠabilitĂŠ artistique. D’autre part,

la vie est telle qu’on cherche sa place en permanence, et c’est ce que montre GaĂŤlle qui, libĂŠrĂŠe, se sent tout aussi aliĂŠnĂŠe, voire plus ! S’adapter Ă son milieu, ce n’est pas qu’une histoire de famille, c’est une histoire avec soi. Ça prend du temps. Le rĂŠalisateur, FrĂŠdĂŠric Videau, joue sur l’ambivalence des points de vue, sans ĂŞtre moraliste. Que vous inspire ce choix ? Avec un tel sujet [inspirĂŠ de l’histoire de Natascha Kampusch], LO QH SRXYDLW SDV IDLUH XQ Ă€OP PRUDOLVWH QL LPPRUDO G¡DLOOHXUV ça n’aurait rien apportĂŠ. L’emprise que chacun des protagonistes a sur l’autre me paraĂŽt plus juste dès lors qu’on est dans OD Ă€FWLRQ 6LQRQ RQ WRPEH GDQV OH YR\HXULVPH RX OH SURFqV TXL appartiennent au documentaire, au journalisme. A moi seule s’Êcarte totalement d’un aspect ÂŤ fait divers Âť. Les lisez-vous ? Pas vraiment. Je lis plutĂ´t les petites annonces, les actes de naissance et de dĂŠcès... Filmer l’aspect macabre ou pathĂŠtique d’un fait divers, au premier degrĂŠ, ne me semble pas intĂŠressant. En revanche, un rĂŠalisateur peut se l’approprier : tout dĂŠpend de l’Êcriture. —

A moi seule

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entretien Alex Masson

De FrÊdÊric Videau En salles numÊro 35 — 197


cinĂŠma pellicules

Les Chroniques d’Alex Masson

CHRONIQUE D’UN CANCER ORDINAIRE, AUSSI INTOLÉRABLE QU’INDISPENSABLE

NE PAS BAISSER LES YEUX

Cette collection de vignettes ne propose ni pathos, ni atermoiements – juste la lente dĂŠgradation physique et mentale d’un père, en s’autorisant des pointes acĂŠrĂŠes d’humour noir. Sur le principe de la dissection d’une cellule familiale rongĂŠe par les mĂŠtastases paternelles, l’œuvre pourrait s’apparenter au Mike Leigh de Bleak Moments (1971) ou Naked (1993). On pense 198 — numĂŠro 35

pourtant plus Ă la parfaite honnĂŞtetĂŠ intellectuelle de l’Autrichien Ulrich Seidl, faisant la biopsie de la sociĂŠtĂŠ humaine dans ses documentaires (Models, 1999, Jesus, you know, 2003) et Ă€FWLRQV Dog days, 2001, Import/export, 2006). Comme lui, 'UHVHQ QH Ă DQFKH SDV QH EDLVVH SDV OH UHJDUG Q¡D MDPDLV SHXU GH O¡LQFRQIRUW /H Ă€OP EDVFXOH SRXUWDQW GH O¡LQWROpUDEOH j O¡LQdispensable, n’exploitant jamais la souffrance, persistant Ă rester neutre dans son observation d’une tranche de vie, aussi funeste soit-elle. Impossible d’en vouloir Ă ceux qui quitteront Pour lui en cours de projection, refusant d’accompagner Frank dans son agonie. Dresen ne fait aucun chantage Ă l’Êmotion et zĂŠro leçon de PRUDOH $X FRQWUDLUH VRQ Ă€OP GXU PDLV G¡XQH LUUpSURFKDEOH sobriĂŠtĂŠ dans sa mise en scène, laisse le libre-arbitre au spectateur comme Ă ses personnages : il leur arrive de craquer, d’être ĂŠgoĂŻstes, de ne plus supporter ce que cette maladie leur fait subir. C’est dans ces instants-lĂ que Pour lui HVW OH SOXV GLIĂ€FLOH HQ QRXV WHQGDQW XQ PLURLU R O¡RQ QH SHXW TXH VH UHĂ pWHU Âł Pour lui

d’Andreas Dresen En salles

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Luc Besson a tort. Contrairement Ă sa fameuse sortie de 2007 (ÂŤ 8Q Ă€OP F¡HVW XQ REMHW JHQWLO Âť), il arrive au cinĂŠma de ne pas vouloir ĂŞtre bienveillant ; c’est mĂŞme gĂŠnĂŠralement le lot des Ĺ“uvres captivantes. Dans Pour lui d’Andreas Dresen, une famille allemande fait face au cancer. Dès la première sĂŠquence, la tumeur au cerveau de Frank ne peut pas ĂŞtre opĂŠrĂŠe, il va mourir, dans quelques mois. Si La Guerre est dĂŠclarĂŠe de ValĂŠrie Donzelli et JĂŠrĂŠmie ElkaĂŻm, plĂŠbiscitĂŠ feel good movie de 2011, prenait ĂŠgalement cette maladie pour point de dĂŠpart, Pour lui sera diagnostiquĂŠ feel bad movie Ă se ronger les sangs au chevet d’un mourant, Ă l’image de l’Êpouse de Frank, ravagĂŠe par les pleurs dans cette incroyable sĂŠquence originelle. A partir de lĂ , Pour lui sera sec dans le ton comme dans l’humeur.


Êtude samouraï de l’art de la comÊdie : de quoi se faire hara-kirire

Un samouraĂŻ ayant raccrochĂŠ les armes suite Ă la mort de son ĂŠpouse est capturĂŠ par un shogun qui lui ordonne de faire rire VRQ Ă€OV GpSULPp GHSXLV OH GpFqV GH VD PqUH ,O D WUHQWH MRXUV S’il ĂŠchoue, il devra se faire hara-kiri. Souci : notre hĂŠros, Nomi Kanjuro, n’est pas drĂ´le du tout. Mais pourquoi la France dĂŠcouvre-t-elle toujours les cinĂŠastes japonais avec un temps de retard ? Après Takeshi Kitano (HanaBi) ou Takashi Miike (Dead or Alive), tous deux apparus Ă des VWDGHV GpMj ELHQ DYDQFpV GH OHXUV Ă€OPRJUDSKLHV F¡HVW VHXOHPHQW aujourd’hui qu’Hiroshi Matsumoto, petit gĂŠnie de la comĂŠdie nipponne, dĂŠbarque chez nous via ce troisième long-mĂŠtrage. La rĂŠvĂŠlation de Saya Zamurai n’en est que plus percutante.

Š DR

GAGS ET SACERDOCE

Un tel sujet aurait pu inspirer le Francis Veber de la grande ĂŠpoque (du Jouet aux Fugitifs, 1976/1986). Matsumoto remonte au burlesque, par les gags, mais plus encore par ce qui s’est toujours cachĂŠ sous la folie violente du slapstick façon Buster Keaton : cette part de mĂŠlancolie. Elle s’acclimate très ELHQ DYHF OH Ă€OP GH VDPRXUDwV R LO IDXW VDQV IDXWH UHVSHFWHU un code d’honneur. Nomi fera son possible pour accomplir son

devoir, quitte Ă se mettre en danger. Il n’est pas interdit d’y voir une critique de l’humour des masos de Jackass ou, plus haut dans le temps, de Takeshi’s Castle, l’Êmission tĂŠlĂŠ crĂŠĂŠe et prĂŠsentĂŠe par Kitano (1986-1989), remix cruel de Jeux sans frontières oĂš tout tient sur la chute, non pas d’une blague mais d’un concurrent (dans l’eau, la boue), si possible accompagnĂŠe d’une humiliation. Une partie de la beautĂŠ de Saya Zamurai rĂŠside dans ce retour Ă l’artisanal. Comment fabrique-t-on un effet comique ? En le perfectionnant, encore et encore, avec cĹ“ur, ce qui tient parfois du sacerdoce. Une gĂŠnĂŠreuse profession de foi pour Matsumoto, qui met sa sophistication au service d’un dĂŠlire loufoque, dont la lĂŠgèretĂŠ n’est qu’apparente. Plus les situations deviennent absurdes, plus pointe le paradoxe du clown qui doit faire rire pour vivre, quels que soient ses ĂŠtats d’âme. Matsumoto renoue ainsi avec Keaton, et son art de passer du cartoon au mĂŠlo – dans les deux cas aussi tranchant qu’un katana. — Saya ZamuraĂŻ

D'Hiroshi Matsumoto En salles le 9 mai numÊro 35 — 199


cinĂŠma pellicules Chroniques (suite)

Exit le romantisme : Jane Eyre renaĂŽt en classique du cinĂŠma gothique Le goth a la cote. CĂŠlĂŠbrĂŠ jusqu’au 5 aoĂťt Ă la CinĂŠmathèque de Paris, Tim Burton renoue avec les contes tordus (Dark Shadows, le 9 mai), Daniel Radcliffe a rangĂŠ dans son casier la baguette d’Harry Potter pour devenir la nouvelle ĂŠgĂŠrie de la Hammer (La Dame en noir, mi-mars, rĂŠsurrection en pleine forme de la Ă€UPH DQJODLVH TXL LQMHFWD GDQV OHV DQQpHV XQ VDQJ IUDLV Ă Dracula, Frankenstein et consorts), et Cary Fukunaga relit Charlotte BrontĂŤ pour lui donner un supplĂŠment de dĂŠmence. Petit rĂŠsumĂŠ pour ceux qui n’auraient jamais lu Jane Eyre (1847) : une orpheline est engagĂŠe comme prĂŠceptrice dans la demeure d’un riche propriĂŠtaire aussi mystĂŠrieux que taciturne. Ils tombent follement amoureux, jusqu’à ce que Jane dĂŠcouvre le lourd secret de son employeur – et des cadavres GDQV OH SODFDUG $LGpH GH OD VFpQDULVWH 0RLUD %XIĂ€QL O¡$PpULcaine Cary Fukunaga, louĂŠe Ă Sundance et Ă Deauville pour Sin Nombre (2009), a dĂŠcidĂŠ de dĂŠterrer du roman autre chose que cette attraction contrariĂŠe : l’atmosphère sĂŠpulcrale.

La passion est lĂ , mais maudite. Mieux, les pages trop sentimentales de ce best-seller chick lit avant l’heure sont froissĂŠes pour une guerre des sexes au sens premier. Mia Wasikowska et Michael Fassbender l’accompagnent impeccablement dans cette cavalcade : la tiède Alice au pays des merveilles de Burton (2010) s’impose en actrice de la puissance d’une Meryl Streep ou d’une Glenn Close, l’homme blessĂŠ de Shame (Steve McQueen, 2011) se fait ogre tĂŠnĂŠbreux. TournĂŠes entre 1915 et 1997, rassemblant des talents aussi divers que Jacques Tourneur, Orson Welles ou Charlotte Gainsbourg, les neuf adaptations prĂŠcĂŠdentes de ce classique pluvieux des lettres britanniques ĂŠtaient excitantes, mais toutes avaient le dĂŠfaut de ne jamais se sĂŠparer du corset littĂŠraire oĂš l’auteur avait enfermĂŠ ses personnages. La dixième se dĂŠboutonne sans FRPSOH[H HW OLW HQĂ€Q HQWUH OHV OLJQHV SRXU DIĂ€UPHU TXH VL FHWWH KLVWRLUH G¡DPRXU LPSRVVLEOH FRQWLQXH GH IDLUH Ă DQFKHU OHV DGROHVFHQWHV HOOH HQ UDFRQWH XQH DXWUH Ă DPER\DQWH HW VRPEUH celle d’une perte qui mène Ă la folie et la destruction.

DÉBOUTONNÉE

200 — numÊro 35

Jane Eyre

De Cary Fukunaga, En salles le 6 juin.

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Cette version de Jane Eyre rapproche BrontÍ de Mary Shelley, taille à la faux le romantisme pour faire Êmerger l’effroi. Le teint de porcelaine est ÊbrÊchÊ par un script tout en rugositÊs.


CONTRIBUTEUR VIP

CARTE BLANCHE Ă€ BENOĂŽT DELÉPINE ÂŤ DĂŠbut juin Âť, BenoĂŽt DelĂŠpine et Gustave Kervern prĂŠsenteront leur nouveau film, Le Grand Soir (ÂŤ pour qu’il y en ait au moins un en France cette annĂŠe ! Âť), avec ÂŤ BenoĂŽt PoĂŤlvoorde en punk Ă chien en colère, Albert Dupontel en salariĂŠ licenciĂŠ rĂŠvolutionnaire et Brigitte Fontaine pour ne pas les calmer Âť. Ils seront le 1er juin au vernissage de l’expo Groland au musĂŠe d’Art modeste de Sète, oĂš ÂŤ les artistes grolandais cĂ´toieront les plus grands de l’art contemporain, tout autant qu’eux piquĂŠs d’humour noir Âť.

L’Age d’or de BuĂąuel, l’âge d’or du cinĂŠma 3RXU PRL F¡HVW OH Ă€OP DEVROX &¡HVW SHXW rWUH PrPH GRPPDJH G¡DYRLU FRQWLQXp DSUqVÂŤ 'HSXLV OHV FDPpUDV VH VRQW mises Ă bouger, l’image s’est faite nette, le son s’est prĂŠcisĂŠ, les acteurs professionnalisĂŠs. Quand les progrès sont arrivĂŠs, le mystère s’en est allĂŠ, peut-ĂŞtre un peu gĂŞnĂŠ. Et qu’est-ce que le cinĂŠma, si ce n’est du mystère frĂ´lĂŠ, de O¡LQGLFLEOH PRQWUp " -DPDLV XQ DXWUH Ă€OP Q¡D SURGXLW DXWDQW GH VFqQHV G¡DQWKRORJLH GDQV XQH DWPRVSKqUH DXVVL VXUchauffĂŠe, brĂťlante, violente. L’Ênergie qui le tient, c’est l’amour incontrĂ´lable. Celui d’un rebelle Ă tout, et d’une belle qui s’Êveille Ă la vie, au sexe, Ă la folie. Il est terrible. Il la viole en public, il insulte les gens, il cogne un chien, il ĂŠcrase les insectes, bouscule les aveugles, dĂŠteste les enfants. Elle est submergĂŠe, suce le pied d’une statue, se caresse, se laisse aller dans la boue. Le vent GH O¡DPRXU OXL OqFKH OH YLVDJH PrPH j O¡LQWpULHXU 0DLV OH PRQGH DXWRXU HVW ELHQ SLUH /HV pYrTXHV Ă€QLVVHQW HQ VTXHOHWWHV RX SDVVHQW SDU OD IHQrWUH /HV KRPPHV SROLWLTXHV VRQW GHV SHUYHUV $ OD Ă€Q O¡XQ G¡HX[ XQ YLHLOODUG Ă€QLUD mĂŞme par subtiliser sa belle au hĂŠros devenu fou.

Š DR/BenoÎt DelÊpine

MALAISE, ORGIE

/HV SXLVVDQWV VRQW LQVRXFLDQWV 8Q LQFHQGLH SUHQG GDQV OD FXLVLQH HW WRXW OH PRQGH V¡HQ Ă€FKH 8QH FKDUUHWWH j chevaux avec deux clochards ivres traverse le grand salon en plein concert de musique classique, sans provoquer la moindre rĂŠaction des invitĂŠs. MĂŞme quand un garde champĂŞtre pĂŠdophile embrasse un enfant avant de le buter de VDQJ IURLG GDQV DXFXQ Ă€OP GHSXLV MH Q¡DL YX XQH WHOOH YLROHQFH XQ WHO PDODLVH SDV XQ QRWDEOH QH ERXJH ,O IDXGUD TXH OH IRUFHQp JLĂ H XQH GXFKHVVH SRXU TXH OHV LQYLWpV PDUTXHQW XQ VLJQH GH UpSUREDWLRQ PROOH (W SXLV oD FRQWLQXH dans le jardin, de nouveau l’amour fou, violent, furieux, triolique, entre l’homme, la femme et une statue d’Êphèbe. Aucun porno ne peut rivaliser. 'pMj OD Ă€Q 'HUQLHU EODVSKqPH 8Q FKkWHDX DX ORLQ VXU XQ SLF URFKHX[ TXL V\PEROLVH QRWUH PRQGH (Q TXHOTXHV panneaux, BuĂąuel nous ĂŠcrit que s’y est dĂŠroulĂŠe une orgie gĂŠante qui a durĂŠ des annĂŠes. Des milliers d’adolescents HW GH MHXQHV Ă€OOHV \ RQW ODLVVp OD YLH /H SODQ HVW ORQJ OHV H[SOLFDWLRQV VFDEUHXVHV (QĂ€Q O¡RUJDQLVDWHXU SRXVVH OD lourde porte du château et sort Ă l’air libre, blafard et titubant. C’est le Christ. Dernière image : une grande croix VRXV ODTXHOOH Ă RWWHQW GHV VFDOSV GH IHPPHVÂŤ 'DQV FH Ă€OP OHV SODQV VRQW Ă€[HV SRXU OD SOXSDUW /H VRQ LQDXGLEOH /H QRLU HW EODQF SDVVp $ O¡H[FHSWLRQ GX FRXSOH PDXGLW OHV DFWHXUV VHPEOHQW DPDWHXUV 0DLV O¡HVVHQWLHO HVW Oj OHV LGpHV YLVXHOOHV PDJQLĂ€TXHV HW LQDWWHQGXHV /HV deux comĂŠdiens comme envoĂťtĂŠs. La musique terrible, balayant tout. La lumière frappe. Et les dĂŠtails tuent. Dans FH Ă€OP LO Q¡\ D SDV TXH WRXW OH FLQpPD ,O \ D DXVVL WRXW O¡DUW FRQWHPSRUDLQ ,O \ D VXUWRXW OH VRXIĂ H GHV VXUUpDOLVWHV TXL G¡XQ FRXS D HPSRUWp 'LHX HW OD SUpWHQWLRQ KXPDLQH 0HUFL j %XxXHO 0HUFL j 'DOÔĽ TXL FRVLJQH OH VFpQDULR (W merci aussi au vicomte de Noailles qui a eu le courage de produire un chef-d’œuvre aussi puissant, visionnaire et vĂŠnĂŠneux‌ en 1930. Pour eux tous, il ne s’agit ni de CĂŠsar ni d’Oscar, mais bien d’un Age d’Or ĂŠternel. — numĂŠro 35 — 201

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CinĂŠma


images

pixels Meilleur espoir

Pour Laurent Sciamma, Il arrive, apparemment content de son dĂŠbut de journĂŠe, le visage flanquĂŠ d’un de ces sourires qui font sourire. Les cafĂŠs crème s’enchaĂŽnent, le cendrier se remplit. Pendant la campagne prĂŠsidentielle, Laurent Sciamma, 26 ans, rĂŠalise pour le site du Parti Socialiste un compte rendu graphique en vidĂŠo d’une semaine de campagne. Et quand il parle, c’est peut-ĂŞtre moins pour rĂŠpondre Ă nos questions que parce qu’il adore ça. entretien Victor Branquart

202 — numÊro 35

Qu’est-ce qui t’a menĂŠ au graphisme ? Laurent Sciamma : J’ai d’abord fait des ĂŠtudes d’histoire et plusieurs annĂŠes de thÊâtre. J’avais un goĂťt très prononcĂŠ pour la presse et les magazines, quels qu’ils soient, tant qu’ils avaient de la gueule et du style. J’attachais de l’importance Ă l’objet, Ă l’aspect formel – la DA (direction artistique), la photo, la typo. Je lisais des magazines de skate comme Sugar ou Transworld GH JUDIĂ€WL DYHF OD SUHPLqUH pSRTXH GH Graff It, ou XL Le Magazine, un news mag pour ados. Mais j’ai eu un dĂŠclic ORUV GX PRQWDJH G¡XQ Ă€OP GH YDFDQFHV IDLW DYHF GHV SRWHV -¡DL pris un plaisir dingue Ă le faire et Ă le montrer. Revenir Ă Paris et s’amuser comme ça au quotidien, ça ne donne plus tellement envie d’aller en cours ! Puis tu postes tes dessins sur le web et ça devient ton mĂŠtier ? J’avais mis de cĂ´tĂŠ le fait que je pouvais vivre en faisant des SHWLWV GHVVLQV GHV VWLFNHUV HW GHV DIĂ€FKHV &¡pWDLW XQ SHX PRQ jardin secret. C’est a posteriori que je me suis rendu compte que mon blog (laurentsciamma.tumblr.com, ouvert en aoĂťt 2010) a fait se rencontrer l’actualitĂŠ, le regard de l’histoire sur les sociĂŠtĂŠs, la politique ou les problĂŠmatiques de citoyennetĂŠ. Internet te permet de rĂŠagir Ă chaud... Oui, il propulse sur un terrain de jeu oĂš le but n’est pas d’imposer ton opinion mais de dĂŠbattre, de partager. J’apporte un argument plutĂ´t qu’une conclusion. Je pose une pierre Ă l’ÊdiĂ€FH SDU OH ELDLV GHV IRUXPV GHV DUWLFOHV GH 7ZLWWHU HW GH FHWWH capacitĂŠ d’indignation sur la Toile. Faut-il taper fort pour que les gens rĂŠagissent ? Pas toujours. Il arrive qu’un sujet grave puisse et doive ĂŞtre traitĂŠ lĂŠgèrement pour en accentuer la gravitĂŠ. Par exemple, ĂŠcrire ÂŤ Islam Âť comme une onomatopĂŠe de BD old school montre Ă quel point on l’agite en menace de façon ĂŠvidente et grossière. Parfois, je pose huit points d’interrogation et quatre d’exclamation parce qu’il faut crier. A d’autres moments, trois SRLQWV GH VXVSHQVLRQ VXIĂ€VHQW SDUFH TXH OD UpSRQVH HVW GDQV la question. Il faut savoir ĂŞtre impactant en parlant très doucement. L’idĂŠe est toujours de transmettre un message. Mais parfois le message, c’est qu’il n’y en a pas. Mais on comprend quand mĂŞme‌ c’est de l’impertinence ? On peut ĂŞtre impertinent en parlant Ă la place de l’autre ou en l’imitant, pas en lui chiant Ă la gueule ou en dessinant Marine /H 3HQ VRXV OD IRUPH G¡XQH PHUGH >OHV IDXVVHV DIĂ€FKHV GH

Š DR

faire quelque chose de cool, c’est politique


© Laurent Sciamma

KATE : « On

ne remarque pas tout de suite que c’est Kate Moss. Confronter son image (symbole de la femme d’aujourd’hui, qui peut tout incarner) à celle de l’Iranienne Sakiné [condamnée à la lapidation par le régime des mollahs pour adultère en juillet dernier] sur du rose pétant, ça pose la question de la féminité et de ses clichés. » numéro 35 — 203


images pixels Laurent Sciamma (suite)

TUNISIE :  J’aime beaucoup le orange, c’est la couleur de l’urgence. 

campagne de Charlie Hebdo]. Je reste convaincu, et c’est en ça que c’est un vrai mĂŠtier, que ce n’est pas en mettant du rose qu’on est romantique, ni en ĂŠcrivant en gras qu’on est puissant. &RPPHQW GpĂ€QLV WX WRQ JUDSKLVPH " Comme la rencontre entre le dessin de presse, le graphisme FODVVLTXH O¡DUW GH O¡DIĂ€FKH HXURSpHQ HW DPpULFDLQ OD WLWUDLOOH la typographie et les jeux de mots Ă la LibĂŠration. Sur le fond, il y a un esprit presque publicitaire qui va chercher Ă dĂŠcaler le regard, Ă illustrer très littĂŠralement et au premier degrĂŠ quelque chose qui ne l’est pas. L’idĂŠe, c’est d’arriver Ă quelque chose de cool. C’est mon maĂŽtre mot, ça veut dire que ça parle de son ĂŠpoque. Comment dĂŠcales-tu ton regard ? -H VXLV WUqV LQĂ XHQFp SDU OH WUDYDLO GHV GLUHFWHXUV DUWLVWLTXHV DPpricains qui rendent l’information sexy, comme Arem Duplessis au New York Times Magazine et les images puissantes dans une dimension quasi publicitaire. Dans les magazines français, si ce n’est LibĂŠration ou TĂŠlĂŠrama qui ont une forte identitĂŠ graphique, il n’y a pas ce ton et ce style-lĂ . Mon ambition est de remplir, Ă ma petite ĂŠchelle, un espace vacant, made in France ! Tu travailles pour le Parti Socialiste. Aurais-tu acceptĂŠ si d’autres te l’avaient proposĂŠ ? J’avais le dĂŠsir de m’engager pour la victoire de la gauche en 2012. La directrice de la communication du PS a accrochĂŠ. Je lui avais envoyĂŠ une vidĂŠo dans laquelle j’anime des t-shirts pour illustrer vingt ans de politique, de 1981 Ă 2011. Tout le monde en prend pour son grade – Nicolas Sarkozy un peu plus que les autres. Ils m’ont demandĂŠ de faire la mĂŞme chose une fois par semaine pour leur site. J’ai trouvĂŠ le concept de ÂŤ Mot Ă Mot Âť, de la typographie sans animation, juste du montage, du sound-design et une voix-off qui rythme le tout. Les messages et les images politiques sont souvent dĂŠtournĂŠs. Et si ça t’arrivait ? La typographie permet d’incarner la politique diffĂŠremment. Je ne veux pas ĂŞtre dans la caricature ni manquer de respect Ă nos adversaires en reprĂŠsentant Sarkozy tout rabougri ou Bayrou avec des grandes oreilles dĂŠcollĂŠes. La vulgaritĂŠ de Nadine Morano ne m’intĂŠresse pas. Je prĂŠfère dessiner quelque chose 204 — numĂŠro 35

ISLAM : ÂŤ Ecrire "Islam" comme une onomatopĂŠe de BD old school montre Ă quel point on l’agite en menace de façon ĂŠvidente et grossière Âť

sur son incompĂŠtence ou sur les heures qu’elle passe Ă tweeter. En dessinant avec le moins d’ÊlĂŠments possible ? Oui. Je ne suis pas un grand dessinateur. Il faut faire de ses limites une force. Je reste dans ce minimalisme, pas besoin GH Ă€RULWXUHV SRXU TX¡XQH LGpH SDVVH MH QH YHX[ SDV TX¡RQ VRLW impressionnĂŠ par le foisonnement. C’est aussi une question de UDSLGLWp XQH KHXUH DSUqV DYRLU HX O¡LGpH HOOH HVW DIĂ€FKpH VXU mon ĂŠcran. Je traite de sujets graves avec des moyens simples et lĂŠgers, je parle de l’actualitĂŠ avec le langage qu’on emploie pour vendre du dentifrice ou une planche de skate. J’aime l’idĂŠe qu’on puisse ĂŞtre un problem solver tout en gardant son style, c’est ça l’essence des arts appliquĂŠs. 4XHOOHV VRQW WHV LQĂ XHQFHV " George Lois [DA du magazine Esquire], des graphistes amĂŠricains tels que Saul Bass, qui faisait les gĂŠnĂŠriques d’Hitchcock, et Paul Rand, qui a crĂŠĂŠ ĂŠnormĂŠment de logos cĂŠlèbres [IBM, Ford‌]. Des graphistes europĂŠens et français, de Savignac >OHV SXEV GH %LF j 3HUULHU@ j 5RPDQ &LHVOHZLF] >DIĂ€FKHV SRXU Amnesty International, notamment], des dessinateurs de presse comme PĂŠtillon ou Cabu, des sĂŠries comme Les Simpson, l’esprit Canal, Les Nuls, Les Inconnus, Art Spiegelman dont je suis en train de lire MetaMaus. Et surtout Banksy. C’est presque un lieu commun, mais c’est le meilleur reprĂŠsentant du street art. Ton père, Dominique, est un designer ĂŠcoutĂŠ par ses confrères, ta sĹ“ur CĂŠline une rĂŠalisatrice reconnue [Naissance des pieuvres, 2007, Tomboy, 2011]. Ça t’a aidĂŠ ? Mon père a dĂŠfendu toute sa vie l’idĂŠe que rien n’Êtait acquis, TXH WRXW SRXYDLW rWUH PRGLĂ€p 0D VÂąXU IDLW XQ SHX OD PrPH chose. Tout ça c’est politique, au sens le plus noble et le plus large du terme. C’est politique de parler de la Shoah avec des souris [Art Spiegelman dans Maus] comme de parler de sexualitĂŠ et de genres au cinĂŠma [comme CĂŠline Sciamma] ; c’est politique de lier la typographie Ă l’humour. —

laurentsciamma.tumblr.com

Š Laurent Sciamma

BANLIEUE : ÂŤ Les banlieues pouvaient exploser Ă tout moment. La flamme est ĂŠteinte, mais il suffit d’enclencher le mĂŠcanisme pour que ça s’embrase. Âť


© Laurent Sciamma

FRANCE : « La

foule observe la France qui se vide. Je peux aimer la France et pour autant avoir envie de la quitter lorsqu’on me la présente comme la France de Sarkozy. »

numéro 35 — 205


médiaS

paraboles Les meilleurs d’entre nous (épisode xvii)

Au cœur du scandale Amesys, un site de hackers « friendly »: Reflets

206 — numéro 35


C’est la grande affaire politico-mĂŠdiatique de ce printemps, un hic dans la campagne du prĂŠsident-candidat : avec l’aval de Nicolas Sarkozy, Claude GuĂŠant, Brice Hortefeux et avec Ziad Takieddine pour intermĂŠdiaire, une sociĂŠtĂŠ française, Amesys, est accusĂŠe d’avoir vendu en 2007-2008 des systèmes de surveillance Ă la Libye, au nom de la ÂŤ lutte contre le terrorisme Âť. En rĂŠalitĂŠ, le système ÂŤ Eagle Âť, conçu par Amesys, aurait surtout servi Ă espionner massivement l’opposition libyenne : journalistes, ĂŠcrivains, blogueurs et militants des droits de l’Homme. Un panier de crabes dont le Wall Street Journal s’est fait l’Êcho, dĂŠcortiquĂŠ par le journaliste Jean-Marc Manach dans l’enquĂŞte Au pays de ÂŤ Candy Âť (Owni Editions), elle-mĂŞme relayĂŠe par le documentaire TraquĂŠs de Paul Moreira diffusĂŠ mi-mars sur Canal+, et dont la rĂŠvĂŠlation trouve en partie son origine‌ sur un site peu connu, gratuit, sans pub et entièrement bĂŠnĂŠvole, Reflets, nĂŠ en janvier 2011 de ÂŤ l’alliance Âť d’un hacker (Olivier Laurelli, dit ÂŤ Bluetouff Âť) et d’une plume du Canard EnchaĂŽnĂŠ (Antoine Champagne, dit ÂŤ Kitetoa Âť). Leur crĂŠdo : ÂŤ prendre l’info Ă la source, la recontextualiser et la dĂŠpouiller de tout son story-telling. Âť Chevaliers numĂŠriques pour ĂŠpoque troublĂŠe ? On retrouve Kitetoa dans une brasserie de Boulogne, avec cette question ĂŠlĂŠmentaire : kicĂŠvou ?

entretien Richard Gaitet photographie Nolwenn Brod remerciements Victor Branquart

(WXGLRQV PRW j PRW YRWUH GpĂ€QLWLRQ GH 5HĂ HWV : ÂŤ un mĂŠdia hacker friendly grand public mais engagĂŠ Âť. ÂŤ Hacker Âť, dĂŠjĂ : c’est un bateau pirate ? Kitetoa : Le hacking, ce n’est pas forcĂŠment du piratage. Le hacker a tendance Ă remettre les choses en question, Ă essayer de faire faire Ă un logiciel quelque chose d’inattendu. Pourquoi ne pas utiliser ce terme pour les mĂŠdias ? Puisque les choses n’arrivent pas de manière soudaine et par hasard, on aime les remettre dans un contexte plus large, dans la durĂŠe. Prenons une entreprise : son discours marketing dit que tout, dans son fonctionnement, est beau. En y regardant de plus près, ce n’est pas si rose. Pourquoi ÂŤ friendly Âť ? Parce qu’on est sympa.

ÂŤ Grand public Âť ? On essaye d’être pointu mais accessible, sans se cantonner au Journal du geek, très technique, qui ne parle que d’internet. Nous, on aborde la politique, l’Êconomie, tout ce qui est essentiel‌ sauf la mode ou le people. ÂŤ EngagĂŠ Âť ? L’objectivitĂŠ est un idĂŠal improbable, au sujet duquel je renvoie Ă la lecture du Livre de la voie et de la vertu (Tao TĂś King) de Lao Tseu. On est forcĂŠment engagĂŠ par rapport Ă notre lecture du monde, comment on voudrait qu’il soit, parce qu’on crie et on interagit avec lui. On est contre les discours stigmatisants de Nicolas Sarkozy, Claude GuĂŠant ou Henri Guaino. Ça nous heurte et on le dit. EngagĂŠ Ă gauche, alors ? Pas forcĂŠment. Quand François Hollande dit une connerie, on le fait remarquer. Il y a de tout dans l’Êquipe de 5HĂ HWV – OK, peut-ĂŞtre pas beaucoup de proches du noyau dur sarkozyste. Et quand François Bayrou organise [le 14 fĂŠvrier dernier] une table ronde sur les technologies numĂŠriques au QG du MoDem, et qu’il demande Ă quelqu’un de chez nous de venir donner son avis, y aller, c’est aussi une forme de hack’. 8QH LQĂ€OWUDWLRQ SOXW{W " 8QH JHQWLOOH LQĂ€OWUDWLRQ 2Q DPqQH QRV LGpHV Oj R HOOHV QH VRQW pas attendues. Cette fois chez les centristes, demain l’UMP, ensuite le PS. On n’a pas vraiment d’Êtiquette. Combien de visiteurs ? Pour rĂŠpondre prĂŠcisĂŠment, 5HĂ HWV a comptabilisĂŠ, entre janvier et mars dernier, un total de 960 408 pages vues, pour 523 978 visites. Mais la frĂŠquentation n’est pas capitale : il n’y a aucune publicitĂŠ, donc en termes de recette, ça n’a pas d’incidence. L’important, c’est la qualitĂŠ des visiteurs, leurs commentaires ou le fait qu’ils re-tweettent nos infos. L’essentiel est d’arriver Ă convaincre qu’il y a d’autres grilles de lecture de l’actualitĂŠ. Qui est ÂŤ Bluetouff Âť, l’autre cofondateur ? Un informaticien, pionnier du dĂŠveloppement web, et un blogueur très connu. Il avait dĂŠjĂ un lectorat très important sur Bluetouff.com, nous nous lisions rĂŠciproquement sans s’être rencontrĂŠs. Il habite loin de Paris, mais on se voit rĂŠgulièrement et nous sommes en contact tous les jours. Il est plus jeune que moi, je ne lui ai pas demandĂŠ mais il doit avoir la trentaine. Combien de contributeurs ? Une dizaine. Plus une dizaine de groupes de lecteurs, formĂŠs autour des forums. On creuse chacun dans notre coin puis on soumet l’article aux autres : la ÂŤ rĂŠdaction Âť est rĂŠunie quasiment 24h/24 sur l’IRC [Internet Relay Chat], nos sujets peuvent ĂŞtre remaniĂŠs en temps rĂŠel. On n’est pas toujours d’accord, ça s’est vu parfois. On essaye d’Êviter les attaques sans fondement, mĂŞme si on y dĂŠroge avec les billets d’humeur. On travaille beaucoup sur la collecte de documents pour attester ce qu’on ĂŠcrit. Toute l’Êquipe est bĂŠnĂŠvole, vous n’avez pas de locaux, mais vous appelez aux dons. A quoi sert cet argent ? A l’hĂŠbergement du site. Et aussi Ă constituer un matelas en cas de procès. On traite des sujets assez tendus, on met en cause des HQWUHSULVHV DX[ PR\HQV Ă€QDQFLHUV FRQVLGpUDEOHV Combien de posts par jour ? C’est variable. GĂŠnĂŠralement un. Qu’est-ce que vous pensez UHĂ pWHU ? Une rĂŠalitĂŠ. Sans tomber dans la paranoĂŻa et les thĂŠories du complot, il y a quand mĂŞme une grosse distorsion de la rĂŠalitĂŠ de nos jours. Le but principal d’une entreprise reste de gagner de l’argent, tout en ĂŠtant peu regardante sur les moyens employĂŠs. On aboutit Ă des choses extrĂŞmes comme Amesys, qui pourrait numĂŠro 35 — 207


médias paraboles Les meilleurs d’entre nous (épisode xvii)

208 — numéro 35


Š Nolwenn Brod

vendre son savoir-faire pour un usage acceptable alors qu’elle fournit des systèmes de surveillance Ă des dictatures. Le scandale Amesys et ses outils d’espionnage de l’opposition libyenne, c’est votre scoop ? Un internaute nous alerte, nous donne des indices, Bluetouff cherche de son cĂ´tĂŠ et, les 22 et 26 fĂŠvrier 2011, nous ĂŠcrivons que cette sociĂŠtĂŠ française a vendu un système d’Êcoute globale des populations Ă une dictature [voir encadrĂŠ]. Après, comme nous n’avons pas les moyens de passer deux ou trois semaines sur la question, on transmet nos infos Ă Owni, qui a le temps et les ĂŠquipes pour creuser. Ensuite c’est repris [le 30 aoĂťt] par le Wall Street Journal, qui dĂŠcouvre le centre d’interception des tĂŠlĂŠcommunications Ă Tripoli après la chute de .DGKDĂ€ HW oD IDLW OH WRXU GHV UpGDFWLRQV >QRWDPPHQW Mediapart et Le Figaro]. Aujourd’hui, on continue de sortir d’autres infos sur le sujet, le nourrir, pour qu’il ne retombe pas. Sur la question, avez-vous vu le documentaire de Paul Moreira, TraquĂŠs, diffusĂŠ mi-mars sur Canal+ ? Oui. Nous avons pas mal discutĂŠ avec lui lorsqu’il travaillait sur son reportage, c’est très intĂŠressant. Il a recueilli les versions des premiers intĂŠressĂŠs (Ziad Takieddine, comme le directeur commercial et un technicien d’Amesys) et cela montre leur dĂŠconnexion totale avec la rĂŠalitĂŠ des gens qui ont ĂŠtĂŠ torturĂŠs grâce Ă leurs actes irresponsables. Et le livre de Jean-Marc Manach, Au pays de ÂŤ Candy Âť ? Non, pas encore. ÂŤ Sans tomber dans les thĂŠories du complot‌ Âť : la PpĂ€DQFH HVW XQ RXWLO " On se demande toujours ce qu’il y a derrière, on essaye d’être lucide et de questionner ce qu’on nous assène comme des vĂŠritĂŠs. Ça s’applique Ă l’homme politique, qui n’a qu’un seul but : se faire ĂŠlire. C’est son job. Il est lĂ pour ça. En règle gĂŠnĂŠrale, si on regarde sur une pĂŠriode très allongĂŠe qui renvoie Ă la capacitĂŠ des hommes Ă se choisir un chef, on remarque que les dirigeants s’occupent beaucoup plus de leurs problèmes et de ceux de leurs amis que de ceux de la population. Quand Nicolas Sarkozy parle de la viande halal alors qu’on est dans XQH FULVH Ă€QDQFLqUH WHUULEOH TX¡LO Q¡D SDV GX WRXW JpUpH FRUUHFtement, ça renvoie Ă ce que les Russes avaient thĂŠorisĂŠ sous le nom de maskirovka, un ĂŠcran de fumĂŠe, l’art de la dĂŠsinformation, de focaliser l’attention sur quelque chose de peu important pendant qu’un gros truc ailleurs passe inaperçu. Comment la prĂŠsidentielle a ĂŠtĂŠ traitĂŠe sur le net, globalement ? Internet n’est pas un autre monde, c’est une photocopie du rĂŠel qui ne crĂŠe rien mais qui facilite, accĂŠlère les choses. Les campagnes se jouent encore Ă la tĂŠlĂŠvision, oĂš l’on traite la crise Ă€QDQFLqUH HQ XQH PLQXWH YLD XQH ERXLOOLH LQFRPSUpKHQVLEOH -H ne vois pas de grands changements par rapport Ă 2007‌ La prĂŠsence des ĂŠlus sur Twitter, non ?

C’est vrai, mais je suis abasourdi par les tweets ridicules de l’Êquipe Hollande [ÂŤ Je reçois les 6 personnes qui se sont inscrites sur mon site pour boire un cafĂŠ dans mon bureau ! #QG #FH2012. Âť]. Twitter, c’est la cour de Versailles, la recherche du bon mot permanent. Quand Sarkozy a crĂŠĂŠ son compte [le 15 fĂŠvrier dernier], il s’est fait griller en quelques secondes, en demandant de fermer tous les autres qui se moquaient de lui, de sa campagne ou de son bilan, et ça a marchĂŠ. Tout le monde a criĂŠ Ă la censure, mais c’est contre-productif, et contraire Ă un principe d’ÊgalitĂŠ, d’Êquilibrage naturel : internet, c’est un outil de prise de parole pour tous, il vaut mieux laisser faire. Au dĂŠbut, j’Êtais intriguĂŠ par le poids des nĂŠgationnistes sur le web, notamment aux Etats-Unis. Puis j’ai dĂŠcouvert un site, The Nizkor Project, conduit par un Canadien dotĂŠ d’une ĂŠnorme base de donnĂŠes sur la Shoah, spĂŠcialisĂŠ dans le dĂŠmontage de leurs discours. Il y aura toujours quelqu’un pour contrebalancer ces propos via des documents de qualitĂŠ. Hors internet, la rubrique ÂŤ DĂŠsintox Âť de LibĂŠ, lancĂŠe en 2008, ÂŤ observatoire des mensonges et des mots des discours politiques Âť, n’est-elle pas symptomatique d’une vigilance accrue ? Ça devrait ĂŞtre le mĂŠtier de base ! Un chiffre, en soi, ne veut rien dire. Personne ne se rend compte de ce que ça reprĂŠsente. Mettez la dette publique de la France (1700 milliards d’euros) en regard avec le chiffre d’affaires de Coca-Cola ou d’Apple, ce n’est plus rien. Il faut toujours YpULĂ€HU OHV chiffres. Cette rubrique est essentielle. Vous avez dit : ÂŤ souvent l’information sur le net se rĂŠsume Ă des dĂŠpĂŞches d’agence Ă peine rĂŠĂŠcrites Âť ? La plupart des gens s’informent au travers d’agrĂŠgateurs (Google News, Yahoo) qui reprennent soit des articles de presse soit des dĂŠpĂŞches d’agence. Dans la vie rĂŠelle, les plus grosses diffusions, ce sont des journaux gratuits [20mn, MĂŠtro], pour l’essentiel des rĂŠĂŠcritures de dĂŠpĂŞches. DĂŠjĂ , une dĂŠpĂŞche c’est court, mais si on condense encore‌ on enlève toute perspective. Pourquoi les gens lisent ça ? C’est dĂŠprimant. Il n’y a rien, F¡HVW YLGH RQ YD Ă€QLU SDU QH OLUH TXH OHV WLWUHV HW OHV VRXV WLWUHV C’est en rĂŠaction à ça que 5HĂ HWV se construit ? Oui. Par exemple, sur la Syrie, l’un de nos contributeurs ĂŠcrit ĂŠnormĂŠment d’articles proches d’un travail universitaire, avec beaucoup d’opinions divergentes. Car les choses ne sont pas aussi binaires qu’on le dit : en France, on a souvent le ÂŤ mĂŠchant Âť Bachar el-Assad et les ÂŤ gentils Âť rĂŠvolutionnaires, mais quand ce dictateur sera tombĂŠ, les civils en prendront quand mĂŞme plein la tronche. On a retrouvĂŠ des preuves sur WikiLeaks qui montrent que les Etats-Unis travaillaient dĂŠjĂ en 2006 Ă dĂŠstabiliser Bachar el-Assad. Derrière, des gens font avancer leurs pions. Parallèlement, vous ĂŠcrivez depuis vingt ans au Canard EnchaĂŽnĂŠ. Sous quel nom ? numĂŠro 35 — 209


médias paraboles Les meilleurs d’entre nous (épisode xvii)

UN LIVRE

« UN SYSTÈME D’INTERCEPTION À L’ÉCHELLE D’UNE NATION »

« Le 22 février 2011, soit sept jours seulement après la manifestation sanglante de Benghazi (reconnue depuis comme le premier jour de la révolution libyenne), Bluetouff, pseudonyme d’Olivier Laurelli, patron d’une société de sécurité informatique, mais également blogueur et défenseur des libertés sur le net, écrit sur Twitter que la France s’apprêtait, quelques jours auparavant, à vendre des systèmes d’écoute et de censure à la Libye. […] Le 31 mai, Bluetouff publie sur Reflets, le site d’information qu’il a créé afin de faire se rencontrer journalistes et hackers (au sens noble de “bidouilleurs” férus de sécurité informatique), un article au sujet du système “Eagle GLINT”, qu’Amesys présente dans une brochure commerciale comme ayant été “conçu pour répondre aux besoins d’interception à l’échelle d’une nation”. Et Bluetouff de s’interroger : “A votre avis, quel type de pays peut bien s’intéresser à cette problématique singulière qu’est “comment écouter tout le monde” ? Se pourrait-il que ce genre de produit puisse faire le bonheur de certaines dictatures ? Et si c’était le cas... est-il possible que les autorités françaises ne soient pas au courant de la vente de tels équipements ? Il est évident que non.” » — Au pays de « Candy » – enquête sur les marchands d’armes de surveillance numérique

Jean-Marc Manach Owni Editions 210 — numéro 35


Š Nolwenn Brod

ÂŤ JĂŠrĂ´me Canard Âť, comme tous les pigistes. C’est une ĂŠcole difĂ€FLOH OHXU VW\OH HVW DVVH] GXU j LQWpJUHU LPLWHU OHV DUWLFOHV VRQW tout le temps revus, corrigĂŠs, remis en perspective. On n’arrive pas en disant ÂŤ j’ai un scoop, j’ai entendu une rumeur... Âť. Il faut plusieurs sources et/ou des documents pour ĂŠtayer. Mon premier article chez eux, ce doit ĂŞtre une brève, au dĂŠbut des annĂŠes 90 – Bernard Tapie en vacances aux BalĂŠares ou JuppĂŠ et Balladur Ă Moscou. Leur dĂŠmarche est unique, ce sont des artisans. La plupart des gros journaux sont dĂŠtenus par des entreprises qui ne connaissent pas la presse : quand LVMH rachète La Tribune [1993], ils se demandent pourquoi le journal ne fait pas 30 % de marge, comme dans le luxe. Ils ont voulu changer ça, en embauchant des professionnels d’Excel et en coupant des services – en premier, la documentation, parce que ÂŤ tout ĂŠtait sur internet ‌ Fantasme assez rĂŠpandu aujourd’hui. 'DQV OHV DQQpHV SHQGDQW QHXI DQV M¡DL WUDYDLOOp j O¡$JHĂ€ O¡$JHQFH GH O¡DFWXDOLWp pFRQRPLTXH HW Ă€QDQFLqUH 7ous les matins, après la confĂŠrence de rĂŠdaction, des gens construisaient un dossier de 70 cm d’Êpaisseur sur tous les sujets importants, avec des articles de toutes les sources possibles. On n’Êcrivait pas forcĂŠment par rapport Ă une information nouvelle, elle ĂŠtait replacĂŠe dans le temps. Construire un quotidien, c’est construire tous les jours une nouvelle maison. Et pour ça, il ne faut pas que des murs, il faut des plombiers, des ĂŠlectriciens, des peintres‌ chacun a son rĂ´le. Et tout ça subsiste au Canard ? Certains articles arrivent encore ĂŠcrits Ă la main et sont tapĂŠs par les secrĂŠtaires en catastrophe. Par ailleurs, l’absence de publicitĂŠ sous-entend la libertĂŠ de ton. Dans Le Figaro, il n’y aura jamais d’articles nĂŠgatifs sur Dassault, rien de mauvais sur LVMH dans Les Echos. Dans Le Canard, oui, ce qu’ils avancent est contrĂ´lĂŠ, re-contrĂ´lĂŠ, sur-contrĂ´lĂŠ, les informations sont bĂŠton, ils n’ont pas peur, ça les amuse presque. En FDV GH JURV SURFqV LOV RQW XQ PDWHODV Ă€QDQFLHU FRQVLGpUDEOH qui leur permettrait de fermer le journal pendant deux ans et de continuer Ă payer les gens. Ce journal dĂŠmonte le discours marketing qui a envahi nos vies. A part Le Canard, LibĂŠ et Owni, quels mĂŠdias consultezvous ? Le Monde, MĂŠdiapart, Rue89 de temps en temps, je navigue rapidement sur les news du jour dans Google et Yahoo. Puis, pour des opinions variĂŠes, des journaux ĂŠtrangers – la presse africaine est parfois particulièrement politisĂŠe. J’Êcoute la radio en voiture, France Info, BFM, beaucoup RFI, mais je ne regarde pas la tĂŠlĂŠvision. Comment avez-vous appris le mĂŠtier ? -¡DL FRPPHQFp j O¡$JHĂ€ GRQW OHV LQIRUPDWLRQV pWDLHQW XQLTXHment disponibles sur abonnement et vendues très cher, prinFLSDOHPHQW DX[ JUDQGV UHVSRQVDEOHV GH OD Ă€QDQFH HW FHUWDLQV politiques. J’avais depuis toujours une passion pour l’actualitĂŠ.

J’en suis revenu aujourd’hui, parce qu’il n’y a plus de rĂŠdaction – Ă part Le Canard, donc – dans laquelle je prendrais autant de plaisir qu’à mes dĂŠbuts. J’ai un vrai souci avec la hiĂŠrarchie de l’info, le traitement des sujets. LibĂŠration, c’est sympa, mais je manquerais de place, les articles sont trop courts. Avec internet, j’ai pris goĂťt Ă m’Êtaler, Ă prendre mon temps, Ă choisir mes VXMHWV /¡$JHĂ€ pWDLW WUqV H[LJHDQWH (OOH Q¡H[LVWH SOXV TXH VXU internet. 3RXU WUDLWHU GH OD Ă€QDQFH YRXV \ DYLH] EHDXFRXS G¡LQdĂŠpendance ? Bien sĂťr. Mais je me souviens d’un article nĂŠgatif mais argumentĂŠ sur Visa et Mastercard, et pendant plusieurs mois, Visa ne voulait plus nous parler. Peu importe le sujet, il fallait des arguments sĂŠrieux. C’est plus facile de venir Ă un ton façon 5HĂ HWV, un peu rigolard et dĂŠsabusĂŠ en ayant commencĂŠ par des trucs très encadrĂŠs. On n’Êcrivait pas ÂŤ Nicolas Sarkozy Âť mais ÂŤ Monsieur Nicolas Sarkozy Âť. Des correcteurs nous reprenaient‌ OĂš avez-vous ĂŠcrit, par ailleurs ? J’ai pigĂŠ pour Le Monde, L’Etudiant, GĂŠo... souvent sur ce qui touche Ă internet, au hacking, Ă l’Êconomie. Outre Le Canard, comment gagnez-vous votre vie ? Je travaille sur d’autres choses [silence]. ÂŤ D’autres choses Âť ? Qui n’ont rien Ă voir avec les mĂŠdias. Je ne vous dirai pas quoi. C’est public ? Vous ĂŞtes prof, artisan boulanger ? Ce travail ne nĂŠcessite pas beaucoup de contact avec les gens. Agent secret ? On nous a dĂŠjĂ dit qu’on bossait pour la CIA, Al-QaĂŻda, le FBI, IsraĂŤl‌ mais non. Pourquoi ces cachotteries ? Vous et moi, nous sommes deux ĂŞtres humains faits exactement de la mĂŞme manière. Ce qui nous diffĂŠrencie, c’est notre vie privĂŠe. La dĂŠballer, c’est se dĂŠpossĂŠder de son unicitĂŠ. Je tiens Ă mon anonymat. Quel âge avez-vous ? C’est ma vie privĂŠe. Ah, l’âge aussi ? Oui, bon, j’ai la quarantaine. Pourquoi ce pseudonyme, ÂŤ Kitetoa Âť ? Dans les annĂŠes 90, j’ai quittĂŠ le monde de la presse pour internet et signer de mon nom, c’Êtait incompatible avec ce que je faisais, parce que les entreprises classiques pour lesquelles je travaillais en dehors de mes activitĂŠs journalistiques n’aiment pas avoir un trublion dans leurs rangs. Je me suis demandĂŠ quel pseudonyme j’allais prendre. A force d’y penser, je me suis dit que les gens allaient me demander : ÂŤ qui t’es, toi ? Âť. Kitetoa. Ce n’est pas plus simple d’avoir une seule identitĂŠ ? Non, c’est bien d’avoir plein d’identitĂŠs ! — 5HĂ HWV LQIR numĂŠro 35 — 211


mĂŠdias paraboles SĂŠries

LUMIĂˆRE SUR LUTHER,

FLIC TEIGNEUX INCARNÉ PAR LE KING IDRIS ELBA Il y a une vie après Stringer Bell. L’inoubliable et charismatique gangsta de The Wire, bras droit sexy du biggest dealer de Baltimore et VRP d’argent sale auprès d’un sĂŠnateur vĂŠreux, ne trompait personne. Sous les petites lunettes et les boutons de chemise, derrière ce Ă RZ tĂŠnĂŠbreux et sa masse de bully hip hop, se cachait un acteur bĂŠton : l’Anglais Idris Elba, 39 ans, DJ occasionnel sous le nom de ÂŤ Big Driis the Londoner Âť, auquel le 7e art commence Ă IDLUH OHV \HX[ GRX[ $SUqV OH PDUL LQĂ€GqOH GH %H\RQFp GDQV Obsessed et le prĂŞtre français alcoolique de Ghost Rider 2, il sera en mai de l’Êquipage de Prometheus, prequel d’Alien pilotĂŠ par Ridley Scott. Bonjour le cinĂŠ, adieu la tĂŠlĂŠ ? C’Êtait compter sans Luther, minisĂŠrie policière crĂŠĂŠe au printemps 2010 par 1HLO &URVV DWWHQGXH Ă€Q DYULO VXU &DQDO DERNIER  DÉBORDEMENT  AVANT  LICENCIEMENT Â

Flic Ă la criminelle de Londres, mal rasĂŠ et en instance de divorce, John Luther rĂŠsout les affaires comme Rain Man compte les allumettes. Criminologue surdouĂŠ, il bouillonne au milieu d’un service qui guette chacun de ses dĂŠbordements comme le dernier avant licenciement. Par son insolence et ses mĂŠthodes crapuleuses, Luther, comme le ripou de Training Day (Antoine Fuqua, 2001), joue au loup pour traquer les prĂŠdateurs. La première saison s’ouvre sur le crime parfait : 212 — numĂŠro 35

un double meurtre orchestrĂŠ par une rousse psychopathe qui GHYLHQGUD OD FRQĂ€GHQWH GX GpWHFWLYH VD partner in crime : elle est dingue de lui, lui n’a rien Ă perdre. Luther est un justicier possĂŠdĂŠ, prĂŞt Ă l’irrĂŠparable quand son ex est prise pour cible, toujours sur la brèche entre la loi et la clandestinitĂŠ, jusque dans la deuxième saison, oĂš il fricote avec des salauds de haute volĂŠe pour protĂŠger une gamine tombĂŠe dans leurs pattes. ÂŤ And now, wha’? Âť, conclut-il sur l’air de Don’t let me be misunderstood. Il y a du Columbo (le coupable est rĂŠvĂŠlĂŠ au dĂŠbut de chaque HQTXrWH HW GX 6KHUORFN +ROPHV SRXU -XVWLQ Ă€GqOH FRpTXLSLHU Dr. Watson) dans Luther. En dix ĂŠpisodes propres et sans bavure en termes d’intrigue, ce polar mouillĂŠ s’inscrit dans le sillage de la gĂŠnĂŠration HBO par la cohĂŠrence de son rĂŠcit, sa profondeur psychologique et son ancrage dans l’Êpoque – celle oĂš les policiers passent leurs journĂŠes devant les ĂŠcrans de contrĂ´le des camĂŠras de la capitale, et oĂš les mĂŠchants sont dĂŠsormais des geeks adaptant les codes des jeux vidĂŠo aux crimes de masse. Idris Elba est magistral, rĂŠcompensĂŠ en janvier d’un Golden Globe pour ce rĂ´le Ă l’accent so british, comme il l’est : mi-bad boy, mi-gentleman. — Luther

de Neil Cross. Saisons 1 et 2 sur Canal+, deux ĂŠpisodes chaque lundi Ă 20h50 Ă partir du 23 avril. Saison 3 dĂŠbut 2013 sur BBC One.

Š DR

par Olivia Dehez


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CARTE BLANCHE À HENRY CHAPIER Ex de L’Express et de Combat, psy cathodique d’un légendaire Divan, Henry Chapier, 78 ans, vient de publier son autobiographie, Version originale (Fayard). On peut le retrouver sur Radio Nova à 8h50 du lundi au vendredi et chaque jeudi à 18h. Il préside par ailleurs depuis 1996 la Maison européenne de la photographie, qui accueille jusqu’au 17 avril Dies Irae, une rétrospective consacrée au photoreporter italien Paolo Pellegrin.

Palestine : y voir plus clair grâce à Paolo Pellegrin

© DR

Un Palestinien arrêté et bandé pendant une opération militaire israélienne près de Jenin, Palestine, 2002. © Paolo Pellegrin/Magnum Photos.

Cette photo illustre le courage d’un reporter qui s’expose aux représailles de la part de l’armée israélienne qui redoute les témoins. Le reportage est pour moi la quintessence du métier de journaliste. numéro 35 — 213

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médias


musique

platines Mad libitum

Blax-plantations en bourgeons pour

Georgia Anne

Complice de Dudley Perkins, adulÊe par Mos Def, productrice pour M.E.D. ou Erykah Badu, la soulsista prolifique Georgia Anne Muldrow, 28 ans, lâche les rênes sur un opus moite qui pourrait enfin faire sa gloire. Entièrement dirigÊ par le digger en chef Madlib, Seeds, hymne spirituel aux semences bio, donne dÊjà envie de planter sa petite graine. entretien Julien Taffoureau

'H 4XHVWORYH j 6KDED]] 3DODFHV GH 6KDĂ€T +XVD\Q j J*Davey, une Afro-family semble se cristalliser autour d’une ligne philosophico-esthĂŠtique psychĂŠ-futuriste. T’es d’accord ? Georgia Anne Muldrow : Notre point commun certain, c’est qu’on a tous payĂŠ un moment ou l’autre le fait d’être des originaux. On n’a pas eu peur de tutoyer la galère et les regards de travers pour creuser notre sillon mĂŠditatif. MĂŞme si nos philosophies peuvent varier, il restera toujours ces inspirations tribales, ce goĂťt pour les motifs percussifs indomptables notamment... Disons qu’on ne peut pas vraiment confondre notre came avec de la house suĂŠdoise ! Vous vous rĂŠclamez des mĂŞmes gĂŠants noirs, aussi : Sun Ra, John & Alice Coltrane, Fela Kuti‌ Un panthĂŠon avec toutes tes idoles, ça aurait quelle gueule ? Il ressemblerait Ă ces posters que tu peux acheter dans les stations essence pendant le Black History Month [chaque annĂŠe en fĂŠvrier, les Etats-Unis rendent hommage Ă l’immigration africaine]. Une grande fresque de rue ĂŠthĂŠrĂŠe, truffĂŠe de musiciens, comme celle qu’on peut apercevoir en faisant chauffer la 214 — numĂŠro 35

gomme sur Crenshaw Boulevard [au sud-ouest de Los Angeles]. Un truc brut et popu. Quand on t’entend chanter et rapper, on a parfois l’impression d’entendre Angela Davis coachĂŠe par Gil-Scott +HURQ 'HV Ă€JXUHV LQGpQLDEOHV SRXU WRL " Oh que oui. Miss Davis, c’est une mine d’or. Heron, on l’appelle carrĂŠment ÂŤ le roi Âť. Des maĂŽtres du verbe pour moi, parmi les UDUHV D\DQW PLV OHXU SRXYRLU G¡LQĂ XHQFH DX VHUYLFH GX SHXSOH Ta prière funk The Birth of Petey Wheatstraw fait rĂŠfĂŠrence au classique blaxploitation du rĂŠalisateur Cliff Roquemore (1977). Cette culture communautaire te touche ? Le hĂŠros, incarnĂŠ par Rudy Ray Moore, naĂŽt Ă mĂŞme le parquet de la chambre Ă coucher. J’ai utilisĂŠ cette rĂŠfĂŠrence comme une articulation, un raccord, pour raconter mon expĂŠrience de l’accouchement et rendre hommage au courage des premières familles noires jetĂŠes sur le sol amĂŠricain. Des personnes d’une autre trempe que ces bourgeois d’Obama‌ 'DQV OH Ă€OP 0RRUH WHQWH GH URXOHU OH GLDEOH /¡pSRTXH joue avec le feu, non ? 2Q VH ODLVVH ELHQ WURS EHUQHU SDU OH FDSLWDOLVPH FHWWH Ă€[DWLRQ rouillĂŠe qui a ĂŠgarĂŠ beaucoup de monde. Je me demande souvent comment les anciens ont pu accepter ces discours absurdes : allez, vendons l’eau, ĂŠvaluons la valeur des hommes Ă leurs biens, lançons des guerres, mentons et volons des gĂŠnĂŠrations entières au seul nom du bifton... Il est plus que temps d’en Seeds SomeOthaShip revenir. —

Š DR

Muldrow


platines Lobe-trotter

Ă€ COMBIEN DE MILES PLANE ENCORE

MERZ ?

Š DR

par Julien Taffoureau

Certaines âmes ont depuis longtemps aboli toute frontière : c’est la première chose qu’on pige au contact de Conrad Lambert, JHQWLO SXQN j OD WURJQH GLJQH GH Ă€JXUHU GDQV XQ .DXULVPlNL pilotant l’Êlectro-folk de Merz. Sa collec’ Panini Ă lui ? Les coups de tampons multicolores sur son passeport, Ă faire passer celui de Clooney dans In The Air pour une carte Navigo. ÂŤ Mes souvenirs les plus dingues ? J’ai ĂŠchappĂŠ de justesse au coup d’Etat qui a frappĂŠ le Liberia en 1989, quittant le pays par le dernier avion avant que les rebelles prennent d’assaut la capitale et lancent la guerre civile. Quelques semaines plus tard, j’Êtais Ă Budapest quand ils ont arrachĂŠ le drapeau rouge du Parlement, puis Ă Oulan-Bator, le jour du sit-in SDFLĂ€TXH TXL a apportĂŠ la rĂŠvolution. On me le raconterait, je n’y croirais pas moi-mĂŞme, mais c’est la vĂŠritĂŠ, je te jure ! Âť Des parents en mission pour l’ONU ont sĂťrement facilitĂŠ l’ouverture d’esprit de ce quadra dĂŠcolorĂŠ, autant fan du griot malien Toumani DiabatĂŠ que de Roni Size, le hĂŠros oubliĂŠ des sound-systems britanniques dans lesquels notre homme a trouvĂŠ sa voie au mitan des annĂŠes 90. PassĂŠ le dĂŠballage de pop songs sinueuses aux allures de marchĂŠ aux puces sur deux disques beaux Ă chialer, Loveheart (2005) et Moi et mon camion (2008), l’animal Conrad a logiquement rechaussĂŠ ses sandales pour de nouveaux trips, piĂŠgeant l’inspiration lĂ oĂš personne n’aurait pensĂŠ la traquer. ÂŤ J’ai prĂŠparĂŠ ces morceaux dans un bunker

atomique, une vieille salle de classe dans laquelle Albert Einstein menait des expĂŠriences, ou dans un coin des Alpes [entre la Jungfrau et Berne] qu’admirait le poète Lord Byron. Âť ANARCHY  IN  THE  BILBOQUET

Au bout de la quĂŞte romantique, des amis tout frais dans le sac Ă dos : Gyda ValttysdĂłttir (ex-MĂşm), Leo Abrahams (guitariste de Brian Eno) ou Julian Sartorius (excellent batteur de Sophie Hunger ou Dimlite). L’idĂŠe d’un producteur de gĂŠnie, surtout : le guĂŠrillero Matthew Herbert, auteur l’an dernier de One Pig, concept-album contant la vie et la mort d’un cochonnet jusqu’à nous foutre les boules, du refuge utĂŠrin Ă l’abattoir. Coup de bol : l’inventeur de l’underground vĂŠgĂŠtalien admirait la prose lunaire du dĂŠgingandĂŠ Lambert. Il s’est donc activĂŠ de transIRUPHU VHV FURFV GH ERXFKHU HQ EDODQoRLUH DĂ€Q G¡RIIULU j 0HU] dans l’espace instable de ce No Compass Will Find Home fagotĂŠ comme un coffre Ă jouets piratĂŠ, les secousses les plus revigorantes connues depuis ses bricolages intimate drum’n’bass de 1999. Un cocktail de glace pillĂŠe Ă siroter la paille dans le nez qui envoie valdinguer Van Morrison et Amon Tobin dans les toiles fauves du douanier Rousseau, Ă des kilomètres du ronron des songwritings domestiquĂŠs (qui a dit les Shins ?). De quoi rĂŠactiver la larme, Ă tous les No Compass Will Find Home Sophie Records / Irascible mĂŠridiens du globe. — numĂŠro 35 — 215


musique platines Spoek en stock

Le mad tempo de

Mathambo entretien TimothÊe Barrière

Descendant d’un chef de tribu sud-africaine, gosse des ghettos de Soweto dĂŠmĂŠnagĂŠ dans les quartiers aisĂŠs de Johannesburg, Spoek Mathambo, MC/DJ/illustrateur ÂŤ post-Apartheid et post-hip hop Âť dĂŠsormais posĂŠ Ă MalmĂś (Suède), mixe township ĂŠlectro, SRVW SXQN Ă HXUL HW SRS Ă XR Tu t’es fait connaĂŽtre en 2011 avec une reprise possĂŠdĂŠe du classique de Joy Division, She’s Lost Control. Spoek Mathambo : Je m’intĂŠressais beaucoup Ă la house sudafricaine, cette musique de club tendue et hargneuse jouĂŠe par les DJs Mujava ou Stungero. Mais j’Êcoutais aussi du postpunk, de l’art-rock, Sonic Youth, Suicide : une autre forme de haine. Mixer les deux m’a paru ĂŠvident. Tout comme mĂŠlanger univers vaudou et hip hop, dans le clip ? Vaudou, ça veut dire tout et n’importe quoi. C’est surtout une imagerie crĂŠĂŠe par mon compatriote de rĂŠalisateur, le photographe Pieter Hugo : il adore faire fantasmer les gens avec l’Afrique ! Sa sĂŠrie Nollywood [2008], sur l’industrie du cinĂŠma QLJpULDQ HVW HQ JUDQGH SDUWLH WUDĂ€TXpH LO V¡HVW PDTXp DYHF XQ maquilleur professionnel de Lagos et a fait croire que c’Êtait

du docu. Idem pour ses gangs promenant des hyènes, d’ailleurs [The Hyena & Other Men, 2005]. Et l’hymne anti-apartheid Mshini Wam, titre du premier album en 2010, de l’esbroufe aussi ? C’Êtait une blague ! On peut le traduire par ÂŤ apporte-moi ma mitraillette Âť, un cri de guerre zoulou, mais aussi comme ÂŤ apporte le matos Âť, ce qui pour un DJ a un drĂ´le d’Êcho. Un double-sens qui colle Ă ma musique, entre rĂŠsonances sociales et thèmes plus lĂŠgers. Finalement, comparĂŠ aux dingues de Die Antwoord, tu es plutĂ´t sage. [Il rit.] Je n’ai jamais eu la culture drug & violence. C’est Ă cause... du bouddhisme. Mon père a fait un sĂŠjour dans un monastère en Australie et nous a inculquĂŠ cette sagesse-tolĂŠrance, qui m’a beaucoup servi. Mais pour le hip hop, j’ai tout appris auprès de Watkin, le MC de Die Antwoord. On a fondĂŠ un groupe après le lycĂŠe oĂš j’Êtais son putain d’apprenti ! — Father Creeper

Sub Pop

Â

Live!

Monsieur Spoek enfile son pyjama bariolĂŠ le 23 mai Ă Strasbourg et le 27 Ă Saint-Brieuc.

On se souvient de Shangaan Electro (2010), compilation ovni de house des campagnes d’Afrique du Sud prĂŠtexte Ă des danses extatiques de clowns maboules fringuĂŠs comme Ă GuantĂĄnamo. Des marimbas convulsifs, orgues vintage et boĂŽtes Ă rythmes boiteuses, lancĂŠs Ă 180 BPM sur des chants titubants Ă base de plans drague foireux ou de recettes de lapin au chili. En rĂŠponse Ă ce don du ciel, la crème des nuits occidentales (Ricardo Villalobos, Max Loderbauer, Peverelist‌) rĂŠinterprète aujourd’hui les prod’ du chef de file Nozinja et de ses poulains aux hormones Tshetsha Boys ou BBC. Un exercice pĂŠrilleux, duquel les contributions ĂŠsotĂŠriques de Theo Parrish, Demdike Stare ou Hype Williams se sortent avec tous les honneurs vaudous. — Julien Taffoureau

UN AUTRE DISQUE ENVOÛTÉ

Shangaan Shake

Honest Jon’s 216 — numÊro 35

Š DR/Sean Metelerkamp

ZULU POTION


platines Portraits-robots

ENTRE MUSIQUE ET LITTÉRATURE, DÉCADE RACONTE NOS VIES GLACÉES par Thomas Corlin

ÂŤ Il est en France, il est 12h33, il est le 18 mars, il est en 2003, il est Ă Montpellier, il est Ă la banque, il est au CrĂŠdit Lyonnais, il retire de l’argent, il est Ă l’agence, il est au guichet, il est avec David‌ Âť Ainsi va et vient la litanie d’Anne-James Chaton, poète sonore français (voir sa carte blanche dans Standard n° 29) autour duquel se sont rencontrĂŠs le ponte de l’avantgarde ĂŠlectro allemande Alva Noto et le guitariste expĂŠrimental anglais Andy Moor (The Ex), Ă l’occasion de DĂŠcade, projet OLYH VWXSpĂ€DQW SUHQDQW OD IRUPH G¡XQ OLYUH GLVTXH DXVVL FRQFHStuel que ludique. A son origine, une salve de donnĂŠes froides, que collecte depuis dix ans l’homme de lettres sur la base de documents divers (tickets de caisse, relevĂŠs bancaires, etc.), prĂŠlevĂŠs sur une quinzaine de personnes. Des tableaux instantanĂŠs mis bout Ă bout, qui crĂŠent un rĂŠcit dĂŠpassionnĂŠ mais pORTXHQW G¡H[LVWHQFHV VRFLDOHV DX[TXHOOHV RQ V¡LGHQWLĂ€H LPmanquablement. ÂŤ  DISPERSION  PROSAĂ?QUE  

Cette rĂŠsonance ĂŠmotionnelle du ready-made poĂŠtique tient beaucoup Ă la performance monocorde et impassible d’Anne-James (dont le travail est passĂŠ des librairies aux clubs du monde entier après sa signature sur l’illustre label germanique Raster-Noton), court-circuitĂŠe par le thÊâtre sonique sculptĂŠ au rasoir par ses deux acolytes, passĂŠs maĂŽtres des improvisations

menaçantes et des structures rigides. Dans le chaos de verve et de son, le lien naĂŽt selon A.-J. C. ÂŤ d’une idĂŠe, Ă l’œuvre chez chacun de nous trois, selon laquelle l’accumulation et la persistance crĂŠent, au bout d’un temps, de la dispersion. Une prose obstinĂŠment prosaĂŻque peut, Ă un moment donnĂŠ, crĂŠer de l’inattendu et du singulier, une forme de passion heureuse, qui peut retomber Ă tout instant ! Âť Sous le lavage de cerveau textuel, une catharsis ĂŠmerge peu j SHX DX Ă€O GHV GpSODFHPHQWV G¡XQ SKRWRJUDSKH G¡XQ DVWURnaute ou d’un assistant social. En correspondance quasi-charnelle avec la bande-son, une narration se dessine mĂŞme sous un ÂŤ cadrage poĂŠtique Âť alternant moments de pression et relâchements, selon que l’on suive notre sujet en ville ou que l’on s’arrĂŞte sur un dĂŠtail de son quotidien (une grille de loto, un FDOFXOÂŤ ,UUpGXFWLEOH MXVTX¡j O¡pWDSH Ă€QDOH R OH SRqWH QRXV laisse au Japon, et en V. O., sous les derniers bleeps et soupirs glitch d’Alva Noto, sonnant le terme d’une expĂŠrience au FRQĂ XHQW GH WURLV SUDWLTXHV WUqV SRLQWXHV DOOLpHV SRXU VFDQQHU ou mettre Ă nu, un certain sens de la vie. — DĂŠcade

Raster-Noton Live!

Anne-James Chaton et Andy Moor traduisent ta life en html le 15 juin à Strasbourg et le 17 à Saint-Martin du Born. numÊro 35 — 217


musique platines Ams tram Graham

GRAHAM COXON :  TWITTER EST VRAIMENT UNE STÉRÉO RIDICULE  entretien Romain Genissel

Tu nous dĂŠcodes ce titre cryptique, A+E ? Graham Coxon : Accident and Emergency. C’est le sigle par lequel on dĂŠsigne les services d’urgence dans les pays anglo-saxons. Je l’ai utilisĂŠ pour UDLOOHU O¡H[FqV DOFRROLTXH GH FHV Ă€OOHV TXL j OD VRUWLH GHV SXEV VH fracassent sur le sol Ă force de s’être mises minables ; de ces mecs qui, pour un rien, se battent ridiculement sur le trottoir avant de Ă€QLU j O¡KRVWR &H FXOWH GH OD EHXYHULH F¡HVW PRQ SLUH FDXFKHPDU Une bonne image de la folie contemporaine, je crois. On dirait un album de teenager survoltĂŠ, alors que ton prĂŠcĂŠdent [The Spinning Top, 2009] sentait un peu le papa rangĂŠ. Comment tu l’expliques ? La tournĂŠe qui a suivi ce disque ĂŠtait ĂŠreintante. On ne se rend pas compte Ă quel point jouer de la guitare acoustique demande de l’application. Après l’effort boisĂŠ, j’ai voulu tout lâcher et revenir Ă l’ÊlectricitĂŠ, sans ĂŞtre trop raide au niveau des structures. Exprimer simplement ce qui me passait par la tĂŞte en jouant sur les bons vieux effets et une boĂŽte Ă rythmes ancestrale : c’Êtait le plan. Une manière de solder la frustration ? Je suis gĂŠnĂŠralement timide, embarrassĂŠ, nerveux : typique de la rĂŠserve britannique. L’agressivitĂŠ bruyante et stupide du rock primal, ça a toujours ĂŠtĂŠ mon exutoire. Une façon d’effacer l’ardoise, aussi ? C’est bizarre, adolescent tu copies tes idoles dans ta chambre et d’un seul coup, tu te retrouves sur scène. Ce n’est pas vraiment diffĂŠrent, en rĂŠalitĂŠ. J’ai toujours l’impression d’être un ersatz des Kinks ou de Paul Weller, mĂŞme avec une rĂŠcompense d’honneur aux Brit Awards [pour Blur, en fĂŠvrier dernier] et la possibilitĂŠ de traĂŽner avec mes modèles [Graham a participĂŠ au nouveau Weller, Sonic Kicks]. 2Q WH GLW SOXV NUDXWURFN TXH MDPDLV WX FRQĂ€UPHV " Mon disque est typiquement anglais, mĂŞme s’il est ĂŠvidemPHQW SDUFRXUX G¡LQĂ XHQFHV JHUPDQLTXHV FRPPH &DQ RX Faust. Il a clairement une dette envers Van Der Graaf Generator ou la new wave anglaise de Wire par exemple, groupes euxPrPHV LQĂ XHQFpV SDU OD PXVLTXH DOOHPDQGH FHOD GLW 'LVRQV TXH je vais voir ailleurs sans sortir du bercail. C’est pour ça que tu rĂŠintègres Blur ? Le producteur de 13, William Orbit, n’arrĂŞte pas de tweeter pour te fĂŠliciter des guitares enregistrĂŠes au studio dans la journĂŠe‌ Faut se calmer et faire taire les rumeurs les plus extravagantes : QRXV QH VRPPHV QL HQ WUDLQ GH UpDOLVHU XQ Ă€OP HQ VHFUHW QL G¡pFULUH un grand Ĺ“uvre sur l’Êvolution de la nature ! Et mĂŞme si c’est le moment idĂŠal pour mettre en place certaines choses, Twitter est vraiment une stĂŠrĂŠo ridicule, une espèce de nuage dans lequel tout le monde croit lire des oracles... Un peu de patience et de mystère, bon sang. — A+E EMI

218 — numÊro 35

Š DR

Le guitariste nerd au timbre chevrotant poursuit sa psychanalyse alternative avec un disque pÊtri de saignÊes roboratives et de boucles hypnotiques, envoyant du bois dissonant jusqu’aux barbelÊs rouillÊs d’Allemagne de l’Est. En attendant le prochain Blur ?


platines Pionniers ĂŠlectro-rĂŠtro

SYNTH PĂˆRES, PRIEZ POUR NOUS par Jean-Emmanuel Deluxe

RAPACE LE OINJ Issus du bouillonnant vivier freak qui sĂŠvissait circa 1969 dans le quartier GH /DGEURNH *URYH j /RQGUHV ² GpSHLQW GDQV OH Ă€OP Absolute Beginners de Julien Temple avec David Bowie (1986) –, les mythiques HAWKWIND RXYUHQW HQĂ€Q OHXUV DUFKLYHV 'HV Weird Tapes (Hawk Records / Voiceprint) passionnantes pour comprendre Ă quel point le groupe space-rock ĂŠtait une matrice futuriste, aujourd’hui vĂŠnĂŠrĂŠe par Bobby Gillespie, Sonic Boom, 0RJZDL RX OHV $FLG 0RWKHUV 7HPSOH $XWHXU IRQGDWHXU GH VFLHQFH Ă€FWLRQ DGXOWH HW JUDQGH LQĂ XHQFH G¡$ODQ 0RRUH 0LFKDHO 0RRUFRFN Elric) participa aux explorations de ÂŤ l’Aigle du Vent Âť (adaptant ses romans en chansons), tout comme un certain Lemmy (Kilmister), futur MotĂśrhead. La machine cosmique est toujours en mouvement (Onward, leur nouveau bĂŠbĂŠ hallucinĂŠ, dĂŠbarque ces jours-ci chez Plastic Head), et on ne l’arrĂŞtera pas. —

INITIAL BEBEY En France, le Camerounais FRANCIS BEBEY (19212001) s’active dès le milieu des annĂŠes 70 Ă ĂŠcrire une page inĂŠdite des musiques ĂŠlectroniques. A la fois journaliste et fonctionnaire de l’Unesco avec plus de vingt albums Ă son actif, le bidouilleur (qui dĂŠclencha la carrière de Manu Dibango, auquel il apprit le jazz sur les bancs d’un lycĂŠe de Chartres) reste Ă dĂŠcouvrir. CompilĂŠs pour la première fois en CD, les titres d’African Electronic Music 1975-1982 (Born Bad) procurent un choc : vingt ans avant Beck, ce rĂŠtro-futuriste marchait dĂŠjĂ sur des chemins de traverse bricolos – avec drĂ´lerie, en plus. —

Š DR

BOCHE DE DERRIĂˆRE De l’autre cĂ´tĂŠ du Rhin, ANDREAS DORAU composa Ă 15 ans le tube Fred vom Jupiter (1981), qui est un peu le Banana Split allemand. Avec son chĹ“ur MXYpQLOH 'LH 0DULQDV FLQT Ă€OOHV GH j DQV FHW HVFRJULIIH D MHWp OHV EDVHV d’une pop ĂŠlectronique faussement naĂŻve qui revisitait la bossa nova, l’exotica ou le disco. En compagnie de groupes tels que Fehlfarben, Der Plan ou D. A. F., il constituait l’avant-garde de la Neue Deutsche Welle (la new wave de RFA), dĂŠferlement d’iconoclastes tellement mal vu par le biz’ local qu’il fut dĂŠtruit Ă coup de formations caricaturales. OccultĂŠ par son ĂŠthique punk, Dorau attendit 1997 pour retrouver les charts avec Girls in Love. Qu’importe : les plages de Blumen und Narzissen (1981) et Geben offenherzige Antworten auf brennende Fragen (1983), tous deux rĂŠĂŠditĂŠs chez Bureau B/La Baleine, sont les hits de notre top ĂŠlectro-pop minimal-idĂŠal. — numĂŠro 35 — 219


musique platines Chroniques

CINQ DISQUES

EN PLUS DANS LE

JUKE-BOX

sĂŠlection Julien Taffoureau

1 On dirait du Connan Mockasin (chants de ventriloque pervers, moral dans les chaussettes Ă petits pois) fouinant dans ses Archive, changeant les fusibles grillĂŠs de Neon Indian ou lançant une tĂŠmĂŠraire battle de berceuses dĂŠtraquĂŠes avec Boards of Canada. Sur tous les tableaux de We Were Drifting On A Sad Song (Blood & Biscuits), de la beautĂŠ nightmare pop Ă consommer comme une barbe Ă papa, par poignĂŠes cotonQHXVHV /H FRQĂ€VHXU IULVHXU " %ULDQ %DW] DND SLEEP PARTY PEOPLE, lapinou danois qu’on suit dĂŠjĂ Ă la trace de jus de carotte. — XX PISTE

2 Est-ce sa relation fraternelle avec l’usineur de Rubik’s tubes Bibio qui fait tant de bien Ă CLARK ? Comme chez son sidekick superbuddy (qui lui prĂŞte en partie son studio), on trouve dans Iradelphic (Warp) des claviers freakazoĂŻdes jouant Ă touchepipi avec des entrechats de guitare sèche sortis de la tombe de Bert Jansch. En bourgeonne un pot-pourri loin d’être dĂŠgueu, faisant mĂŞme mumuse avec la glotte en or de Martina TopleyBird, adoucissant extra Ă ses micro-monstres ĂŠpileptiques. — XX PISTE

3 Imaginez les Black Keys avec des mamelles et la jaunisse (Joplin), vous verrez ces satanĂŠs ALABAMA SHAKES, parfaits SRXU SOHXUHU GDQV OHV MXSHV j Ă HXUV GH VD PqUH KLSSLH WRXW HQ VH roulant (dans) les plus hautes herbes de Nashville. C’est clair : avec le deuxième jeu bien amorti de Tennis (Young & Old, ATP Recordings), comme arrachĂŠ Ă un pan de mur de diner, et le premier tour de piste du soulman Michael Kiwanuka (Home Again, Mercury), produit par Paul ÂŤ The Bees Âť Butler comme une bande magnĂŠtique perdue de Lou Bond, le blues-rock de Boys & Girls (Rough Trade) est ce qu’il y a de plus pĂŠtillant, et de moins saumâtre, dans notre rĂŠtroviseur. — 220 — numĂŠro 35

XX PISTE

4 AlertĂŠ par sa pochette gĂŠniale de 6XSHUĂ \ pris le nez dans le Big Breast Book, on a fourrĂŠ le nĂ´tre dans cette compilation goulue ĂŠditĂŠe par Al Kent. A l’intĂŠrieur, plus de quarante raretĂŠs disco-funk des seventies, carburant aux guitares grattoirs, violons hĂŠrissĂŠs, percussions frĂŠnĂŠtiques, lignes de basse torsadĂŠes et synthĂŠs la tĂŞte dans les ĂŠtoiles. Dans le tourbillon hot as hell de THE BEST OF DISCO DEMANDS (BBE), on jurerait croiser Herbie en cloque et Cerrone en rogne, et forcĂŠment, ça donne envie de faire la bringue aux braquemarts. DĂŠtachez vos ceintures : dĂŠcalottage imminent. —

XX PISTE

5 En 2002 naĂŽt VAMPISOUL, label madrilène dĂŠpoussiĂŠrant avec amour des trĂŠsors des quatre coins du monde. Hic : ce repère de gais lurons agit souvent dans l’ombre, sĂŠvèrement concurrencĂŠ par ses homologues anglo-saxons. Qu’à cela ne tienne : contre une poignĂŠe de cerises au LSD, l’enseigne offre aujourd’hui La Onda Vampi, concentrĂŠ furieux de son catalogue. Vingt bombes TXL Ă€OHQW GH O¡,UDQLHQ $EEDV 0HKUSRX\D DX[ BrĂŠsiliens Garotas Suecas, en passant par la princesse tchèque Marta Kubi ovĂĄ, avec des zestes bien frappĂŠs de cumbia libre, d’afrobeat-nik ou de cha-cha-cha Ă la chicha dans les pattes. A mettre entre toutes les mains pour ne pas perdre nos latins. —

Š DR

XX PISTE


CONTRIBUTEUR VIP

musique

CARTE BLANCHE Ă€ BERTRAND BURGALAT Non satisfait de publier via son label esthète Tricatel le dĂŠsosseur de claviers Chassol et la diva en simili-queer Jef Barbara, Bertrand Burgalat associe pour nous chaque chanson de son nouvel album Toutes Directions Ă une photo souvenir, lĂŠgendĂŠe d’un extrait de ses paroles. Le disque, lui, est une nouvelle dĂŠambulation onirique lisant les lignes de la main invisible dans les circuits imprimĂŠs d’une disquette d’Atari ST, entre le Katerine bĂŠat de 8e Ciel et un Laurent Voulzy dark qui noierait sa dĂŠprime dans le double-scotch, l’amour, le hasard, les purs-sangs, les voitures embuĂŠes, les albatros, les survĂŞt’ fluo, Brigitte Bardot et Ernest Hemingway.

 ON NE SAIT JAMAIS CE QUE LE PASSÉ NOUS RÉSERVE.  FRANÇOISE SAGAN

1. TOUTES DIRECTIONS

2. VOYAGE SANS RETOUR

3. DOUBLE PEINE

LOGAN’S RUN DE MICHAEL ANDERSON 1976

 Je n’emporte que mon corps, et que ma vÊritÊ.  GREATEST HITS LIVE DE JOURNEY 1993

Š ,QĂ€UPLqUH GH PHV UrYHV je sais que tu n'existes pas. Âť

5. BARDOT'S DANCE

DÉTOURNEMENT D’UNE CIBLE DU CLUB DE TIR DE LA POLICE NATIONALE.

 Je suis le pyromane des manies de mon siècle, une sorte de marchand de sable pour enfants grisonnants. 

4. TRĂˆS GRAND TOURISME 6. DUBAĂ? MY LOVE

IMAGE DU FILM VELOCITĂ€ MASSIMA DE DANIELE VICARI 2002

 J’entre dans la citÊ, par la radiale principale. 

7. TOO MUCH

IMAGE DU COURT-MÉTRAGE TOBY DAMMIT DE FEDERICO FELLINI 1968

ÂŤ T’as peur après coup, du coup du lapin dans le cou, de la vie qui blesse après tout. Âť

Š DR

8. BAR HEMINGWAY

REPRODUCTION DE LA PEINTURE RĂŠVE CLAUSTRAL DE CLOVIS TROUILLE 1952

 Too much avec tes yeux d’archange. 

PHOTO DE LA BURJ DUBAĂ?, PLUS HAUTE TOUR DU MONDE.

ÂŤ Des hommes tombent des nuages, sous les yeux de femmes sans visage. Âť

9. SOUS LES COLOMBES DE GRANIT

PHOTO DE LA PANCARTE QUI INDIQUE LE BAR DANS L’HÔTEL RITZ, PARIS

PHOTO DU PORTAIL DU CIMETIĂˆRE DE LA BASILIQUE SAINT-JUST DE VALCABRĂˆRE

ÂŤ Dans le visage de la statue, tu me reconnais. Âť

 Toujours aimer toujours souffrir, ne pas le graver mais le vivre.  numÊro 35 — 221


vieux gĂŠnie

interview CinĂŠma

Dans la brume ĂŠclectique de sa cinĂŠphilie, BERTRAND TAVERNIER, 71 ans, fait valser classiques et modernes et s’interroge sur le crĂŠpuscule des gĂŠnies. Que la fĂŞte commence ! Mon père, flic lyonnais Ă la retraite, dit souvent que L.627 (1992) est le meilleur film français sur sa profession – le plus prĂŠcis, le plus juste. Le père de Tavernier, chroniqueur littĂŠraire au Progrès de Lyon, ÂŤ lisait un livre par jour, aussi bien un policier de la SĂŠrie Noire qu’un ouvrage historique Âť, dont il faisait Ă son fils le rĂŠsumĂŠ au petit-dĂŠjeuner. Un indice pour saisir cette ĂŠrudition compulsive, irriguant un livre d’entretiens – Le CinĂŠma dans le sang, avec NoĂŤl Simsolo – et une filmo ĂŠclectique : L’Appât (1995) juste avant Capitaine Conan (1996), Coup de torchon (1981) aussi soignĂŠ que La Princesse de Montpensier (2010). C’est le dĂŠbut de l’après-midi, Bertrand s’avance silencieux près du bar de l’hĂ´tel Normandy, deux mètres d’homme coiffĂŠs d’une drĂ´le de casquette molle et mouillĂŠe aux couleurs du shĂŠrif Dave Robicheaux, hĂŠros mĂŠlancolique des romans de James Lee Burke dont il tira un polar fantastique, Dans la brume ĂŠlectrique (2009), que ferait bien de regarder mon père. entretien Richard Gaitet photographie Yannick Labrousse remerciements Victor Branquart

Paul [son premier, 1974], j’utilisais dĂŠjĂ du son direct (pour la vĂŠritĂŠ des voix, des ambiances) ainsi que des dĂŠcors et une lumière naturels. Dans Autour de minuit [1986], LO \ D GHV Ă DV IRUZDUGV HW GHV Ă DVK EDFNV GDQV OH PrPH SODQ VDQV IRQGX enchaĂŽnĂŠ. Laissez-passer [2002] est le contraire d’une narration classique : les deux hĂŠros ne se rencontrent jamais. J’essaye de WRXUQHU FKDFXQ GH PHV Ă€OPV FRPPH VL F¡pWDLW PRQ SUHPLHU HW MH PH PpĂ€H GHV UqJOHV 3OXV oD YD PRLQV MH VDLV Plus vous tournez, moins vous savez ? Les doutes sont de pire en pire. Il ne faut pas jouer au petit malin. Je peux avoir des rĂŠponses rapides liĂŠes Ă mon expĂŠrience, mais je veux continuer Ă me poser des questions. J’ai vu trop de gens pĂŠtris de certitudes qui refourguent une scène GpMj YXH GDQV FLQT RX VL[ GH OHXUV Ă€OPV -H YHX[ SORQJHU j FKDTXH IRLV GDQV XQ PRQGH LQFRQQX 8Q Ă€OP GRLW SHUPHWWUH GH dĂŠcouvrir un pays, une ĂŠpoque, un milieu social, un moment de l’Histoire via un principe de mise en scène. Et il faut casser OHV FDGUHV 6L MH IDLV XQ Ă€OP VXU XQ SHLQWUH OHV SODQV QH GRLYHQW pas avoir l’air de tableaux, la camĂŠra doit bouger, tout le temps.

 MADAGASCAR, ÇA VAUT LE COUP ?   Un professionnel, plus il vieillit, plus il devient classique, plus il a envie de respecter la forme. S’il ne le fait pas, ce n’est pas un professionnel.  La phrase est de Jean-Pierre Melville, dont vous fÝtes l’assistant sur LÊon Morin, prêtre [1961]. En vieillissant, êtes-vous de plus en plus pro ? Bertrand Tavernier : Melville a raison. On doit toujours se SRVHU XQ SUREOqPH GH IRUPH 3RXU ÀOPHU OD YLROHQFH GRLV MH suivre le personnage camÊra à la main ? A quel moment couper ? N’est-ce pas mieux d’être loin ? Tout cela a plutôt augmentÊ – PrPH VL HQ YLHLOOLVVDQW PHV ÀOPV VH VRQW WRXUQpV GH SOXV HQ plus dans l’urgence. Et puis, faire attention à la forme ne veut pas dire qu’on devient classique. Dans L’Horloger de Saint222 — numÊro 35

Donc ça vous ĂŠnerve qu’on vous considère comme un cinĂŠaste classique ? On a traitĂŠ Claude Sautet de classique, notamment par rapport Ă la Nouvelle Vague. Pourtant Classe tous risques vieillit mieux qu’$ ERXW GH VRXIĂ H [tournĂŠs en 1960], dont les innovations ont ĂŠtĂŠ tellement reprises que beaucoup se dĂŠmodent. Dans L.627, on part dans soixante directions, narration brisĂŠe, alors que les WURLV TXDUWV GHV Ă€OPV SROLFLHUV REpLVVHQW j OD GLFWDWXUH GH O¡LQtrigue ! On applique souvent le mot ÂŤ classique Âť pour diminuer un rĂŠalisateur. Chabrol disait que dès que vous tournez avec des bougies ou une lampe Ă huile, vous le devenez, mais si vous faites pareil avec une lampe torche dans l’angle de la camĂŠra, vous ĂŞtes moderne.


numéro 35 — 223


vieux gĂŠnie bertrand tavernier Interview

Melville se disait ÂŤ opposĂŠ Ă la mode Âť. Et vous ? 6L F¡HVW Ă€OPHU XQ SD\VDJH GpVHUW SHQGDQW VHSW PLQXWHV PRL aussi. Parler Ă la camĂŠra, Guitry l’a dĂŠjĂ fait. Il faudrait ĂŠviter le champ/contrechamp ? Ça me paraĂŽt aussi ridicule que d’Êcrire sans ponctuation, comme Guyotat. Cela donne-t-il un meilleur livre que ceux de CĂŠline ou Philip Roth ? Non. Vous ĂŠcrivez : ÂŤ 6L RQ pWXGLH OHV PHWWHXUV HQ VFqQH TXL WHUPLQHQW OHXU FDUULqUH DYHF GH JUDQGV Ă€OPV LO \ HQ D PRLQV que l’on pense‌ Âť Le Titien a fait ses plus beaux tableaux passĂŠ 70 ans. Quand, dĂŠbutant, j’avançais dans la cinĂŠphilie, on croyait que le talent GHV PHWWHXUV HQ VFqQH pWDLW SOXV IRUW j OD Ă€Q GH OHXU FDUULqUH C’Êtait pour dĂŠfendre Renoir, Hitchcock. Mais les derniers Renoir‌ Elena et les hommes [1956] n’est pas très bon, Le DĂŠjeuner sur l’herbe [1959] insupportable, et les derniers Hitchcock [Frenzy, 1972, Complot de famille, 1976] ne sont pas les meilleurs. Tout comme l’avant-dernier Howard Hawks [El Dorado, 1966], très dĂŠcevant, et le dernier [El Lobo, 1970], quasiment nul. Il y a des contre-exemples : John Huston, Gens de Dublin [1987], PDJQLĂ€TXH &RPPH OH GLW +HQU\ +DWKDZD\ dans mon livre Amis amĂŠricains > @ IDLUH GHV Ă€OPV HVW WHOOHPHQW GLIĂ€FLOH TX¡j XQ PRPHQW OH UHVVRUW FDVVH

Fields d’Ami Canaan Mann, Le Havre G¡$NL .DXULVPlNL HW Les Crimes de Snowtown de Justin Kurzel. 9RXV YRXV GpĂ€QLVVH] FRPPH Š un cinĂŠphile intrĂŠpide, bienveillant, hospitalier Âť. 0rPH VL M¡DL GX PDO j VXLYUH ,O VRUW YLQJW FLQT Ă€OPV SDU semaine ! Pour les dessins animĂŠs, j’ai un peu renoncĂŠ, toutes ces suites, n° 2, 3, 4‌ Comment savoir quelle sĂŠrie est la bonne ? Madagascar, ça vaut le coup ? Le 3 a l’air bien. Mais dans les 1 et 2, seuls les pingouins sont rigolos. Il y a trop de comĂŠdies. J’essaie de varier. Quand je vois Winter’s Bone de Debra Granik [2010] ou Millenium par David Fincher, c’est assez brillant. Drive de Nicolas Winding Refn m’a ĂŠpatĂŠ. Et Les Marches du pouvoir de George Clooney m’a surpris. Très bien tenu ! 9RLU XQ PDXYDLV Ă€OP oD QH YRXV UHQG SDV FRPSOqWHPHQW maboul ? La nullitĂŠ peut devenir cocasse. Mais quand le rĂŠalisateur capitule dès le dĂŠpart, ça m’enrage ; je reste pourtant toujours jusqu’au bout, en me disant qu’il est peut-ĂŞtre dans la salle. Le pire, c’est quand c’est prĂŠtentieux. Je suis devenu allergique DX[ Ă€OPV TXL VH SUHQQHQW SRXU GHV FKHIV G¡¹XYUH FRPPH

ÂŤ PLUS JE TOURNE, MOINS JE SAIS. Âť Bertrand Tavernier Amis amĂŠricains contient un entretien avec Quentin 7DUDQWLQR TXL GLW DGPLUHU OHV DXWHXUV GRQW OHV Ă€OPV ÂŤ font leur âge Âť, comme John Ford. C’est marrant, c’est un truc de mec obsĂŠdĂŠ par la postĂŠritĂŠ. 4X¡HVW FH TXH oD YHXW GLUH G¡DSUqV YRXV TXH OHV Ă€OPV trahissent l’âge du metteur en scène ? 4X¡LOV UHĂ qWHQW VRQ H[SpULHQFH Mais pas forcĂŠment leur ĂŠpoque. Or, Tarantino l’entend dans les deux sens, parce que les derniers Ford, aussi dĂŠcevants que Les Cheyennes [1964], traduisent l’Êtat d’esprit d’une autre AmĂŠrique. C’est ce qui rend L’Homme qui tua Liberty Valance [1962] si bouleversant. Est-ce que Dans la brume ĂŠlectrique et La Princesse de Montpensier font votre âge ? Les deux sont assez expĂŠrimentaux, et passer de l’un Ă l’autre tĂŠmoigne d’une ouverture d’esprit. Tommy Lee Jones a dit que j’ai rĂŠussi avec La Brume Ă capter l’essence de la Louisiane du Sud – ce qui n’Êtait jamais arrivĂŠ, selon lui. La Princesse a ĂŠpatĂŠ plein d’historiens : j’aurais rendu le XVIe siècle ÂŤ proche Âť. &HV Ă€OPV PH UHVVHPEOHQW GDQV OD PDQLqUH GRQW LOV VH UpSRQGHQW et dont ils ont l’air de s’opposer. Alors, les deux nous parlent de l’importance du passĂŠ, dans ce qu’il nous dit du prĂŠsent. InterrogĂŠs dans Standard, Alain Corneau et Jean-Pierre Dionnet vous dĂŠsignent comme le ÂŤ plus grand bouffeur de pellicule jamais rencontrĂŠ, avec Scorsese Âť. Après ÂŤ Ă€OPV YLVLRQQpV Âť, comment nourrissez-vous votre cinĂŠphilie ? C’est variable. RĂŠcemment, j’Êtais en Bretagne, et comme le soir il y a peu de choses Ă faire, j’ai vu beaucoup, beaucoup de DVD. Mais quand je travaille sur un scĂŠnario, pendant trois VHPDLQHV MH QH YRLV SDV XQ VHXO Ă€OP ² MH YDLV DX WKpkWUH MH bouquine, j’Êcoute de la musique. Parfois, j’ai des envies folles : revoir Lone Star [John Sayles, 1996], Boogie Nights [Paul Thomas Anderson, 1997]. Cette semaine, j’ai vu Killing 224 — numĂŠro 35

Shame [Steve McQueen, 2011], qui pourtant contient des plans de mĂŠtro très beaux et une Carey Mulligan comme toujours JpQLDOH PDLV OH Ă€OP HVW K\SHU VROHQQHO ² *XLWU\ GLVDLW TX¡j IRUFH de vouloir ĂŞtre profond, on devient facilement creux. Idem pour A Dangerous Method [David Cronenberg, 2011] : du thÊâtre de boulevard dissimulĂŠ derrière des alibis de personnages controversĂŠs, cinquante ans de retard, bien que Viggo Mortensen soit impeccable et Keira Knightley tout Ă fait crĂŠdible. Vous dites que la cinĂŠphilie est ÂŤ compensatoire de solitude Âť ? 'DQV PHV JUDQGV PRPHQWV GH EOXHV TXDQG PHV SURSUHV Ă€OPV n’avancent pas, ça me remonte de voir un Michael Powell. Beaucoup de cinĂŠphiles sont très, très seuls. Et dingos. Ma première femme les dĂŠtestait, et celle avec qui je vis s’ennuie vite quand une dizaine d’Ênergumènes ĂŠgrainent des titres Ă la vitesse d’une mitraillette : ÂŤ T’a vu ça ? GĂŠnial ! Et ça ? Pas terrible ! Âť Par contre, avec BenoĂŽt Jacquot ou Nicolas Saada, les ĂŠchanges sont riches. Vous avez souvent ce fantasme de ÂŤ YRLU WRXV OHV Ă€OPV Âť. N’abĂŽme-t-on pas son goĂťt, son Ĺ“il, par le trop ? L’Êrudition de Victor Hugo ou celle de Raymond Queneau ĂŠtaient phĂŠnomĂŠnales ; ça ne les a pas gĂŞnĂŠs. Mais voir trop de Ă€OPV SHXW IUHLQHU Heat [Michael Mann, 1995] est un hommage Ă Melville et ça l’empèse complètement, malgrĂŠ cette fusillade spectaculaire. Quand, plus jeune, je vais voir trois ou quatre fois dans la mĂŞme semaine Le RĂŠveil de la Sorcière rouge [Edward Ludwig, 1948] – que j’adore revoir, encore et encore, et dont j’ai trois DVD diffĂŠrents –, Moi, un Noir [Jean Rouch, 1958] ou Hiroshima mon amour [Alain Resnais, 1959], ça rappelle l’enfance. Ce qui compte, c’est la manière de voir ce qu’il y a autour, les parentĂŠs, le dĂŠcalque de certaines scènes dans d’autres Ĺ“uvres. ÂŤ 4XDQG MH YRLV XQ Ă€OP TXL PH WRXFKH M¡DL HQYLH GH OH GLUH Ă son auteur, de questionner ses motivations, d’obser-


Š Yannick Labrousse

ver comment il travaille, ce qui peut m’ouvrir les yeux. Âť En France, qui vous touche ? Vous ne citez qu’Olivier Assayas, pour Carlos. Xavier Giannoli [Quand j’Êtais chanteur], on se tĂŠlĂŠphone, on s’Êcrit – lĂ , il veut m’initier au sakĂŠ. J’aime aussi Philippe Lioret [Welcome], qui sait parler des gens ordinaires, Christian Rouaud [Tous au Larzac], Emmanuel Mouret [Fais-moi plaisir], MaĂŻwenn [Polisse], Olivier Marchal [36 quai des Orfèvres], Xavier Beauvois [Le Petit Lieutenant], JosĂŠ Alcala [Coup d’Êclat] et Michel Hazanavicius : passer d’OSS 117 Ă The Artist F¡HVW JRQĂ p Vous ĂŞtes en train d’adapter Quai d’Orsay, de Christophe Blain et Abel Lanzac ?

Cette BD parle de politique sur un ton de farce mais avec justesse – ces gens n’arrĂŞtent pas de bosser, les portes claquent, les feuilles volent, il faut refaire cinquante fois les discours, entre le bordel noir d’Alexandre Taillard de Worms et des gens impassibles comme Claude Maupas qui, dans la tornade, sait recoller les morceaux de compote diplomatique. J’ai respectĂŠ O¡HVSULW /H VFpQDULR FRUUHVSRQG DX SUHPLHU WRPH HW j OD WRXWH Ă€Q du deuxième. On a terminĂŠ le scĂŠnario Ă trois. J’ai deux acteurs HQ YXH ² WUqV RSSRVpV ² HW VL O¡XQ DFFHSWH M¡REWLHQGUDL OH Ă€QDQcement nĂŠcessaire‌ Le CinĂŠma dans le sang entretiens avec NoĂŤl Simsolo

Ecriture numÊro 35 — 225


numéros lecteurs

9 :

; < Carine Gilson carinegilson.com Cartier 01 42 18 43 83 Carven 01 40 41 93 06 Causse causse-gantier.fr Chanel 08 20 00 20 05 Chantal Thomass chantalthomass.fr Charvet 01 42 60 30 70 Christophe Lemaire 01 44 78 00 09 Converse 02 99 94 82 94 Damir Doma damirdoma.com Dice Kayek dicekayek.com Diesel 01 40 13 65 55 Dior 01 40 73 73 73 Dolce & Gabbana 01 53 53 40 58 Dries Van Noten driesvannoten.be Dsquared2 01 47 03 16 70

= > Ek Thongprasert 01 42 76 00 00 Elie Saab 01 42 56 77 00 Emanuel Ungaro 01 53 57 00 00 Eres 01 55 90 52 90 Essentiel 01 42 21 30 06 Falke 01 40 13 80 90 )LÀ &KDFKQLO ÀÀFKDFKQLO FRP Filippa K 01 42 82 34 56 226 — numéro 35

? @ A Gas gasjeans.com Go Sport go-sport.com Gucci 01 44 94 14 70 H&M 08 10 22 24 44 Hache 01 42 96 43 83 Heaven Tanudiredja 01 49 23 79 79 Hélène Zubeldia 01 44 88 25 25 Hermès 01 49 92 38 92 Hugo Boss 01 53 57 35 40 Ikat 01 48 04 53 34 Iris Van Herpen 01 49 23 79 79

B C D Jean Paul Gaultier 01 42 86 05 05 Jean-Charles de Castelbajac 01 55 34 10 10 Just Cavalli justcavalli.robertocavalli.com Kimonoya 01 48 87 30 24 Kiwi kiwi.fr Koonhor 01 42 76 00 00 Le Mont Saint Michel 01 53 40 80 44 Limi Feu 01 42 78 94 11 Liquidoma liquidoma.com Louis Vuitton fr.vuitton.com

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H J Pal Zileri 01 44 94 00 20 Paul & Joe 01 42 22 47 01 Paul Smith 01 42 84 15 30 Paule Ka 01 42 97 57 06 Peachoo+Krejberg 01 49 23 79 79 Pepe Jeans pepejeans.com Petit Bateau 01 44 76 93 93 Ray-Ban 01 47 03 16 26 Ricardo Dourado +77 033 449 99 Roberto Cavalli robertocavalli.com Roeckl roeckl.com Royalties Paris royalties-paris.com

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