Standard Table des matières—
Matièrecomestible Cahier interviews
Goûter spatial
Sébastien Tellier 16 Mondanité sans cocktail
MATIÈRE GRISE Dossier remue-méninges
David Lynch 20 Damn good coffee
Scout Niblett 22 En-cas de malheur
Alain Corneau
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v
TOUT À FÉE Entrée dans la danse Musique Mike Patton chez les Hopis 30 Ethnologie Chaman Returns 34 Analyse What the folk s goin’ on ? 38 Entretien Beirut vs Wovenhand 42 Magie Dark Side of the Magicien d’Oz 45 Syndrome Des seins animés 46 Cinéma Ça y est, je suis dedans 48 Portfolio Jen Ray 50 Société en transe Entretien Benoît Duteurtre 54 Loisirs Global parc 56 Chronique Patrick Williams 59 Tourisme littéraire Los Angeles 60 Zoologie Les Cryptides 64
M AT I È R E R E C Y C L A B L E Cahier rétro
V I E U X G É N I E
Jean-Pierre Kalfon 84 R E S T
I N
Norman Mailer
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P E A C E
Portfolio Jason Madara 68 Que la fée commence Psychologie And now le pays des merveilles 72 Art Bracadabra 74 Théâtre Unheilichkeit 78 Mode Giles & Fade 80 —
Directrice de la publication Magali Aubert. Standard est édité par Faites le zéro, SARL au capital de 10 000 euros et imprimé par Snel Graphics, Z.I des Hauts-Sarts – Zone 3, Rue Fond des Fourches 21, B-4041 Vottern, Belgique. Trimestriel. CP1107k83033. N°ISSN 1636-4511. Dépôt légal à parution. Standard magazine décline toute responsabilité quant aux manuscrits et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés. © 2007 Standard. 6—
Standard Table des matières (suite)—
M AT I È R E V I VA N T E Cahier Arts de vivre
Ecologie Brocéliande 90 Voyages Islande : l’affaire Elfe 92 Gastronomie Pieds de porcs et collagène 94 Sélection De l’ailleurs pour pas cher 96
M AT I ÈRE SYNT HÉT I Q UE « Les modes passent, le style jamais » Coco Chanel
C A H I ER MOD E
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Beauté par Lucille Gauthier 100 My Lady par Caroline de Greef et Ilanit Illouz 106 Towtom et les garçons par Sophie Rusniok 118 The Kingdom par Mike Kobal 126 Verfremdungseffekt par Patty Moussaly 136 Without Alice par Armelle Simon 146 Dans la forêt lointaine par Philippe Jarrigeon 152
MATIÈRE PREMIÈRE Cahier chroniques Mode
Belgrade fashion week, Sélection Or du commun 160 Art
Sots art, Erwin Wurm, Paul McCarthy, On fait le mur 164 Médias
Denis Robert 170 Musique
Radiohead, Yacht, Vampire Weekend, M83, Fugu, Welcome 174 Littérature
Irvine Welsh, Héléna Marienské, Julien Blanc-Gras 180 Cinéma
I’m Not There, No Country For Old Men, Douglas Sirk 186
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Standard Who’s who— 17 rue Godefroy-Cavaignac, F-75011 Paris T + 33 1 43 71 27 63 www.standardmagazine.com rédaction en chef Magali Aubert* & Richard Gaitet* direction artistique David Garchey*, assisté de Vanessa Titzé mode Ileana Alkistis Giannakoura Consultant Olivier Mulin Coordinatrice Marlène Giacomazzo* Accessoires Armelle Simon beauté Lucille Gauthier* musique Guillaume Leroyer* cinéma Alex Masson art Pierre-Yves Bronsart* livres Jean Perrier* secrétaire de rédaction Anaïs Chourin publicité et partenariats David Herman* *prénom.nom@standardmagazine.com rédacteurs Timothée Barrière, Julien Bécourt, Julien Blanc-Gras, Laurent Chalumeau, Guillaume Chérel, Estelle Cintas, Vincent Cocquebert, Jean-Emmanuel Dubois, Stéphane Duchêne, Arnaud Ducome, Valentine Faure, Mat Gallet, Linda Garcia, Marine-Emilie Gauthier, Adeline Grais-Cernea, Natalia Grgona, Eric Le Bot, Charlotte Maia, Patricia Maincent, Anna Maisonneuve, Leonardo Marcos, Frédéric Maufras, Wilfried Paris, Jean Soibon, Pacôme Thiellement, Delphine de Vigan, Patrick Williams stylistes Ana Dahlman & Star Lee, Patty Moussali, Jean-Marc Rabemila, Twotom photographes Eric Balaire, Richard Bellia, Jean-Luc Bertini, Marianne Carmen, Thomas Corgnet, Crapaud, Axel Dupeux, Sara Ghazi-Tabatabai, Hélène Giansily, Philippe Jarrigeon, Caroline de Greef et Ilanit Illouz, Mike Kobal, Jason Madara, Mélanie Magassa, Marianne Maric, Caroline Mauxion, Denis Mousty, Sophie Rusniok, Thomas TS74 illustrateurs Céline Bethléem, Tom Bucher, Sylvain Cabot, Estelle Dévé, Thomas Dircks, Thomas Gosselin, K.I.M., Steven Le Priol, Nan Na, Glwadys Rabardy, Jen Ray remerciements Le Bouclard, chezlecomte.com, Fany Rognogne (à vie), Lilas Seewald, Anne Vaudoyer en couverture Composition à partir d'une photographie de Sara Ghazi-Tabatabai et d'une illustration de Nan Na
Standard Edito—
ET SI TOUT ÉTAIT VRAI ? Il était dix-huit fois, un magazine qui, vaille que vaille, tous les trois mois depuis quatre ans et demis, se retrouve en kiosque. A-t-il cru en son étoile ? Les étoiles faiblissent-elles en vieillissant ? On raconte qu’elles s’illuminent de plus en plus. On raconte qu’un jour, à force d’avoir trop briller, elles explosent. En attendant l’éclatement : l’éblouissement. On raconte… Mais les légendes sont des grosses connes. On croit purs et fiers que tout est bien qui finit bien. Vous souvenez-vous du jour où vous avez découvert que les animaux ne parlaient pas humain ? Que l’acné attaquait votre miroir ? Que le prince charmant roulait en Polo ? Vous n’avez pas envie de faire un procès à Disney ? Ce serait ridicule. De toute façon, le conte de fée, ça se vit collectivement. Le virtuel de tout ce qu’on n’accomplit pas ou alors, ce qu’on se donne les moyens d’obtenir, avec contentement. Notre avatar, c’est l’antithèse de l’échec, c’est tout ce qu’on veut. Hey oh ! Pauvres ânes, réveillez-vous, vous êtes mortels ! Devenez votre double. Non loin de là, le pays des merveilles, c’est tout de suite. Leçon n°7 Le folklore éclot des peuples et la féerie des rois. Le conte, c’est quand le peuple devient roi. Quand la morale du plus faible devient celle du plus fort (dans un cheminement empreint d’une joyeuse honnêteté). La morale de ces histoires apprend à grandir de ses épreuves. Elle ne dit jamais : évoluer, pour aboutir où ? Des preneurs de parole témoignent d’une période chamboulée dans laquelle le bonheur serait impossible, du moins, pas sans culpabilité. Mais, depuis et pour la nuit des temps, les hommes d’une époque en parlent comme d’un instant charnière. Ce sont des ères, plus ou moins chastes, plus ou moins fastes. Celle-ci est la nôtre, c’est tout. Avons-nous les moyens d’en faire ce qu’on veut ? Suffit-il d’y croire ? Il était une fois l’humanité… Ecrit en l’an 2007, à Standard, royaume de la Reine Magaubert, du Grand Hermanitou et de la Gaitet Lyrique et de Gargouille la fripouille. Des protagonistes de la réalité qui ont cru à une même petite chose. Une petite chose qui se réalise. Magali Aubert
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La plus petite fable du monde Dans le monde oublié du folklore, le branle double est une danse dont l’origine remonte au Moyen Age. Moralité : il est des usages qu’on perd et d’autres qu’on réinvente.
Photographie Marianne Maric
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Cahier Interviews
La vie se passe à table
MatièreComestible Sébastien Tellier Goûter spatial 16
David Lynch Mondanité sans cocktail 20
Scout Niblett Damn Good Coffee 22
Alain Corneau En-cas de malheur 24
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Matière comestible Goûter spatial
SébastienTellier Salons du label Recordmakers, Paris 18e Mardi 30 octobre 2007
Barbu stratosphérique et musicien précieux, Sébastien Tellier, 33 ans, vient d’enregistrer l’excitant Sexuality, « du R&B chic » produit par la moitié de Daft Punk. Amoureux de sa « meuf », stone, Tellier se prélasse dans l’espace. Three, two, one : décollage. Il paraît que vous déjeunez généralement à 17h, 17h30. Je dérange ? Sébastien Tellier : Je viens de finir. Comme je me lève tous les jours à midi, je suis bien obligé. Aujourd’hui, j’ai pris des boulettes de veau sauce tomate accompagnées de tortellinis au pistou. C’était super. J’ai terminé avec un croissant à l’abricot, merveilleux [Il rit en caressant son ventre presque proéminent]… et un beignet à la framboise… Je ne mange plus de bonbons, mais j’adore tous les types de desserts. Et toute la bouffe, d’ailleurs. Grosse obsession. Vous venez également de terminer ce troisième album, Sexuality, avec Guy-Manuel de Homem-Christo de Daft Punk. C’était comment ? J’avais toujours voulu travailler avec Guy-Man, pour les textures des albums de Daft mais aussi pour son travail de remix avec son label Crydamour. Il a adoré mes maquettes et s’est mis à bosser sans s’économiser. L’album, on l’a enregistré dans le studio de Romain de Mojo. On a eu accès à du matériel d’exception, les synthés les plus recherchés, les reverb’ les plus belles, des conditions de travail hyper rares en Europe. Pour la première fois, un de mes albums a une production de tueur. En plus, je me sentais en confiance avec GuyMan : plus besoin de faire une centaine de prises de basse et de chant pour choisir les meilleures. Là, c’était hyper simple. Vous disiez l’an passé vouloir écrire de la « musique pour ville nouvelle, genre Cergy », une « BO de film intello, genre Rohmer » et le nouvel Atom Heart Mother… [Riant bruyamment] On est loin du compte, effectivement ! Je voulais faire de la musique érotique qui puisse exciter l’auditeur, tout en rajoutant une sensibilité italienne. C’est pour ça que j’ai fait appel au type qui faisait celle des pornos Marc Dorcel dans les années 80. Il joue de la basse synthétique et il a rajouté un parfait groove à l’italienne. Au final, l’album, c’est du R&B sérieux. Sans blague. Sans sous-entendu. Un peu comme si Bryan Ferry faisait de la musique de pointe aujourd’hui. 16—
Vous êtes-vous replongé dans les classiques érotiques des années 70, type Joe d’Amato ? L’esthétisme des vieux films érotiques italiens, j’adore, et les pornos, c’est toujours assez sympa à mater. N’empêche, je ne suis pas non plus un grand consommateur. Ce qui m’intéresse, c’est que tout s’y passe comme dans un rêve. On te fait croire que le bonheur, ce n’est pas être milliardaire ou champion du monde de moto, c’est d’être complètement épanoui au niveau de la baise. En plus, le sexe, c’est gratos (enfin, pour qui peut). En tout cas, je remercie la société de nous offrir autant de sexe, parce qu’en fait, j’aime bien ça. Quel arbitrage faites-vous entre musique arithmétique et grand n’importe quoi ? Cette schizophrénie, je l’ai toujours eue. Soit j’ai envie de faire ce qu’on attend de moi et je prends plaisir à être un bon chien, à faire mon devoir, soit j’ai envie de faire n’importe quoi. Je n’aimerais pas faire que de la musique contemporaine avec des bruits de casserole et des coin-coins, ni taper que dans la musique clinquante. J’essaie juste de me renouveler à chaque album. Pour Politics [2004], le concept tournait autour d’une grande réflexion dans le vide, l’absurdité de la rhétorique politique. Je sortais les grands moyens, mais ça dégueulait de partout, le paquet cadeau. Alors que le sexe, paradoxalement, est un concept beaucoup plus sérieux : tu ne peux pas faire le zinzin, c’est pas la fête à papa, c’est là que tu montres à ta meuf que t’es un rebelle cool ou pas. Pour les concerts, je ferai très attention de bien jouer l’album, en restant dans une posture de séduction. Et si, à l’avenir, je sors un album traitant de psychologie, je me raserais les cheveux et la barbe, je porterais des gilets marrons et je fumerais la pipe… Bien sûr. Sexuality est-il écrit pour quelqu’un en particulier ? [Il réfléchit] Effectivement, c’est avec ma nouvelle copine Amandine [de la Richardière, actrice] que tout s’est mis en place. Elle m’a fait croire qu’elle était une ancienne actrice porno. J’étais comme un fou, je ne
« Mon grand fantasme, c'est le survet'. »
SébastienTellier
Sexuality Record Makers Sortie en février 2008 Live ! Le mage humide tombe le jogging le 14 décembre à la Maroquinerie (Paris). —17
Matière comestible Sébastien Tellier (suite)
« Le sexe est un concept sérieux : tu ne peux pas faire le zinzin, c'est pas la fête à papa, c'est là que tu montres à ta meuf que t'es un rebelle cool ou pas. »
SébastienTellier savais plus quoi dire, la machine à fantasmes tournait à plein régime. Toutes les chansons contiennent des références à notre vie commune : c’est la vraie muse de l’album. Sur Sexual Sportswear, vous avez quand même une vision inquiétante de la sexualité Houlala, mais non… Sportswear, c’est tout simplement parce que mon grand fantasme, c’est le survêt’ : imagine, la fille se penche en avant, et tu fais glisser doucement son pantalon de sport. Mille fois mieux que soulever une jupe ! C’est la naissance du monde, de l’instinct sexuel. C’est pour ça que j’ai rajouté un bruit de tremblement de terre au début. Dans mon rêve, le survêt’, tu l’enlèves dans l’espace. 2001 L’Odyssée de l’espace version érotique, quoi. Pourtant, on pense plutôt à Phantom of the Paradise. [Riant] C’est un film qu’on adore tous les deux, GuyMan et moi. La musique, le style De Palma sont géniaux. Guy-Man, c’est une sorte de Swan [le producteur diabolique du film], mais un Swan gentil. Un petit saint. Toujours est-il que Sexual Sportswear, c’est juste l’apéritif de l’album, le morceau n’est pas vraiment représentatif. Il paraît que vous avez un mode d’écriture relativement « glandeur » ? Il faut toujours que je divertisse une partie de mon cerveau afin que l’autre se laisse aller. Dès que j’ai du temps, je branche la Playstation. Les jeux de golf ou de pêche, c’est parfait pour composer : tu es chez toi, tu jettes ta ligne et t’attends qu’un poisson morde, génial [riant très, très fort] ! C’est tellement soporifique que tu laisses vachement ton cerveau travailler. De toute façon, quand tu fais de la musique, c’est pour LEDISQUE
LIBIDOIDANDROID
Le disque
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avoir du temps, penser à soi, à sa meuf, emmagasiner de l’expérience pour avoir des choses à dire. On dit que vos week-ends commencent le mercredi car vous détestez Paris. Pas faux. Faut dire que les parents de ma copine ont un immense haras en Normandie. Comme j’habite à côté de la gare Saint-Lazare, en une heure et demie je suis au paradis, au milieu des chevaux… Il y a quelques années, je fantasmais sur la Californie, comme tous les musiciens français qui font de la musique sexy. Maintenant, l’Italie, plus exactement la Lombardie et la région des grands lacs, pas loin de Milan, l’ont remplacée. C’est là qu’il y a les plus grosses baraques, une sorte d'Hollywood italien. En plus, les Italiens sont vraiment classes, bien sapés, avec les plus belles chaussures. Mais le grand kif, c’est d’aller au restau en bateau à moteur avec sa meuf… Où en êtes-vous dans l’ambition de devenir « le mec le plus classe du monde » ? [Soupirant] Quand j’étais ado, je pensais que je ne me déplacerais qu’en 747. J’adore les mecs comme Bryan Ferry pour sa classe, Miles Davis, pour sa façon de se fringuer. Pour l’instant, il vaut mieux que je m’entoure de mecs classes qui me rendent moi-même classieux [se passant la main dans ses cheveux qui laissent découvrir de grandes golfes]. Faudrait aussi que j’arrête les pâtisseries. — Entretien Timothée Barrière Portrait L. Brancovitz
Deux idées différentes traversent l’album sexuel de Sébastien Tellier. Quand il susurre « les filles changent de peau au soleil » (Roche) avec des airs de chanteur de charme, on dirait du Daho ou de la variet’ italienne réenregistrés dans un studio d’aujourd’hui. Des basses rondouillettes et du groove eighties, traversés par les halètements de sa copine, que l’on écouterait dans une décapotable comme dans un film avec Guy Marchand. Mais quand il se fait sérieux, Tellier n’a jamais été aussi troublant : Manty, Sexual Sportswear ou L’Amour et la Violence voient ses talents de compositeur « néoclassique » filtrés par les vocoders et les arpeggiators de Guy-Manuel de HomemCristo, et le mélange est sublime. Quand l’homme s’accouple avec le robot, on pleure en boucle. — T. B.
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5 ELVIS PERKINS Ash Wednesday Vous l'avez découvert en première partie de “Clap Your Hands Say Yeah”. Il est la révélation folk New Yorkaise de l'année. En concert le 8 novembre à Angoulême / La Nef, le 9 au Havre / Cabaret Electric, +festival des Inrocks : le 10 à Lille / Aeronef, le 11 à Paris / La Cigale, le 12 à Nantes / Olympic et le 14 à Toulouse / Bikini 6 DEVENDRA BANHART Smokey Rolls Down Thunder Canyon Nouvel album. En concert le 12 novembre à Paris / L'Olympia (festival des Inrocks), le 14 à Lille / Le Splendid, le 16 à Bordeaux / Krakatoa, et le 17 à Toulouse / Le Bikini
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7 JEFFREY LEWIS 12 Crass Songs Le nouvel album du folk singer qui en trois albums s'est imposé comme l'un des artistes multicartes les plus talentueux de sa génération : 12 reprises du mythe punk Crass en version psyché-folk, dans un écrin grand luxe. 8 M.I.A. Kala L’album le plus attendu de la rentrée. Produit par Switch, Blaqstarr, Diplo, Afrikan Boy, Morganics et Timbaland, inclus "Boyz", "Birdflu" et "Jimmy" 9 EMMA POLLOCK Watch The Fireworks Le 1er album solo de la fondatrice des Delgados et du label Chemikal Underground, inclus "Adrenaline". En concert le 22 à Paris / La Maroquinerie
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1 THE LIBERTINES Time For Heroes Le seul groupe anglais vraiment majeur de ces dix dernières années sort son best of, alors que Pete Doherty est en pleine actualité BabyShambles et que les rumeurs de reformation vont bon train… Inclus “Don’t Look Back Into The Sun” et “What A Waster” pour la 1ère fois disponible sur un album 2 BEIRUT The Flying Club Cup Révélation surprise de 2006, Zach Condon délivre un magnifique second album qui est une lettre d'amour à la culture française ! 14 En concert le 12 novembre à Paris / Olympia et le 13 à Strasbourg / Festival des Inrocks, le 16 à Tourcoing, et le 24 à Lyon. 3 1990 Cookies Ce 1er album produit par Bernard Butler (Ex-Suede) regorge de chansons pop aux refrains entêtants, Cookies est un album frais, pétillant, accrocheur, du rock'n'roll qui donne la pêche ! S
4 JACK PENATE Matinée Le 1er album du jeune prodige de la scène pop/indie qui crée sensation en Angleterre, produit par Jim Abiss (Arctic Monkeys, Editors, Kasabian), et RJD2. En concert à Lille (Aéronef) le 9/11, Paris (La Cigale) le 10/11, Nantes (L’Olympic), le 11/11, et Toulouse (Bikini) le 12/11 (festival des Inrocks).
10 THE NEW PORNOGRAPHERS Challengers Le grand retour du super groupe mené par AC Newman et Neko Case. 11 SCOUT NIBLETT This Fool Can Now Die L'égérie folko-punk est de retour avec un 4ème album inclus 4 duos avec Will Oldham (Aka Bonnie “Prince” Billy). En concert le 17 décembre à Paris / Nouveau Casino 12 SUPER FURRY ANIMALS Hey Venus ! Retour en beauté du groupe avec un 8ème album produit par David Newfeld (Broken Social Scene) sur lequel on retrouve leur grâce mélodique et leur sens inné de la chanson pop-rock saupoudrée de psychédélisme. En concert le 23 décembre à Paris / La Maroquinerie 13 DIRTY PROJECTORS Rise Above Pour ce nouvel opus et 1er sur Rough Trade, David Longstreth, leader du groupe a voulu rendre hommage à l'un de ses albums fétiches, Damaged de Black Flag, Le résultat est un somptueux album atypique, sublimé par un trio d'harmonies vocales. 14 I WAS A CUB SCOUT EP Pratiquant une pop décompléxée, faite de guitares tantôt aggrésives, tantôt aériennes et de claviers inspirés, le groupe de teenagers venu d'outre manche, I Was A Cub Scout, délivre un 1er EP mélodiquement irréprochable, en attendant un 1er album en février 2008. En concert le 15 novembre à Paris / La Maroquinerie, le 16 à Rennes / L’Ubu
distribution
www.myspace.com/beggarsgroupfrance - www.beggars.com
Matière comestible Mondanité sans cocktail
DavidLynch Galerie du Passage, Paris 1er Mardi 30 octobre 2007
Accroché deux minutes lors du vernissage de son exposition de photos fétichistes, le cerveau de Twin Peaks, 62 ans, nous offre quatre abracadabrantes citations pour l’hiver.
L’enfance « Toute l’enfance est emprunte de fétiches. C’est important, tout ce qu’on pouvait ressentir. Beaucoup perdent cette faculté de ressentir les choses comme un enfant. Cette innocence : voir sans porter de jugement, sans y trouver la moindre forme d’indécence. C’est si beau. Et tout devient grand, si vrai, superbe, lumineux. » L’inspiration « Plusieurs sortes de choses peuvent servir de déclencheur au fond de nousmêmes. Une image, une odeur, un son, un goût… Cela paraît normal à la personne concernée, et cela change dans la multitude, à partir du moment où l’on dénombre 6,5 milliards de personnes sur la planète. » Le mystère « L’étrangeté et le mystère font partie de la vie. Les films ne font que refléter le monde. Il suffit de regarder autour de soi pour se poser des questions. Regardez-là [montrant du doigt une personne au hasard] : à quoi pense-telle ? Que se passe-t-il ? Pourquoi sommes-nous sur terre ? Comment se faitil que les gens soient si malfaisants ? Que ces personnes soient si heureuses ? Mystère, mystère, mystère. » La beauté « La beauté est la beauté. Cela n’a rien d’étrange, c’est justement ce qui est beau. » — Propos recueillis par Léonardo Marcos Photographie Richard Bellia, février 2007, à l’avant-première d’Inland Empire, Institut Lumière de Lyon, à l’endroit même où furent tournés les premiers films en 1895
Twin Peaks
Coffret DVD saison 1 (TF1 Vidéo)
Inland Empire DVD (Universal)
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ÂŤ Comment se fait-il que les gens soient si malfaisants ? Âť
DavidLynch
Matière comestible Damn Good Coffee
ScoutNiblett Knoxville, Interstate Highway 40 (Tennessee) Vendredi 2 novembre 2007
En tournée américaine, nous avons localisé la tornade Scout Niblett, 36 ans, chanteuse rock et astrologue en pétard, blonde balance britannique plutôt proche de Bonnie Prince Billy. D’où venez-vous, Emma Louise Niblett ? Scout Niblett : De Rugeley, une petite ville minière dans le Staffordshire, à vingt miles au nord-ouest de Birmingham. J’y ai passé une enfance champêtre, des forêts et des champs comme terrains de jeux. Terrains de jeux ou territoires de musique ? Les deux. À 9 ans, j’ai joué pour ma mère une chanson que j’avais composée au piano qui s’appelait The Magic of May. Même si c’était dans notre salon, ça avait tout d’un vrai concert. J’étais tellement fière de ce moment ! C’est resté imprimé en moi, je suis encore capable de jouer cette chanson aujourd’hui. D’ailleurs, je crois que je vais l’enregistrer un jour. Devenir musicienne était une évidence ? Pas vraiment. Je faisais des films, des installations. J’ai même organisé des spectacles façon cabaret, au lycée. A vrai dire, je n’ai jamais eu d’autre activité. J’ai juste passé beaucoup de temps à étudier et pratiquer l’astrologie. Si je n’avais pas choisi la musique, je crois que je serais partie sur les routes, comme une tsigane, raconter aux gens la bonne aventure. Vous avez trouvé votre pseudo lors d’un rassemblement scout, hé hé ? En fait, Scout est le prénom de l’un des personnages du livre To Kill a Mocking Bird [de Lee Harper, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, 1960]. Je l’ai lu puis, adolescente, j’ai regardé le film [de Robert Mulligan, qui devient étrangement Du silence et des ombres, 1962]. Ça m’a vraiment marquée. Je me suis totalement identifiée au personnage de Scout Finch [fille d’un avocat américain des années 30 chargé de défendre un Noir accusé de viol], peut-être au point que j’aurais davantage souhaité être elle que moi-même. Certainement parce qu’elle avait un père incroyable… joué par Gregory Peck.
Votre musique oscille entre des moments doux, voix posée, et des élans de batterie tonitruante, de guitares appuyées et de hurlements. Calme, violence : difficile de choisir ? J’ai des colères tellement enfouies, refoulées, que mes chansons sont le meilleur moyen de les faire sortir. Je suis entière et passionnée, j’ai un caractère bien trempé, je ressens les choses avec force, parfois avec excès, au point que tout devient tout noir ou tout blanc. Le gris n’existe pas pour moi. Ce côté radical me fait me sentir en vie ; c’est très important, cette sensation. Les chansons sont l’outil d’une bonne santé mentale, psychique ou spirituelle, véhiculant un large éventail de flux émotionnels. This Fool Can Die Now est produit par l’impressionnant Steve Albini [ayant enregistré Nirvana, Pixies, PJ Harvey, Mogwai, Slint]. Comment vous êtes-vous rencontrés ? La toute première fois, c’était en 2002. Je travaillais sur l’album Magnolia Electric Company de Songs:Ohia [projet americana lumineux de Jason Molina, sur le label Secretly Canadian]. Jason voulait que je fasse les chœurs et que je chante sur l’un des titres produits par Steve Albini. J’étais nerveuse et très excitée. Mais c’est vraiment quelqu’un de simple qui sait vous mettre en confiance. D’autres passions ? Ce qui fonctionne le mieux, c’est l’astrologie. Je suis obsédée par le besoin de deviner ce qu’il va m’arriver, par la découverte de qui je suis vraiment. J’aime aussi jouer au football avec mon voisin Carlos. On est sur le même palier, il a 6 ans. On s’éclate bien tous les deux. — Entretien Guillaume Leroyer
« Je suis obsédée par le besoin de deviner ce qu’il va m’arriver. J’aime aussi jouer au football avec mon voisin Carlos. »
ScoutNiblett 22—
LEDISQUE
SCOUT TOUJOURS This Fool Can Die Now Too Pure/Beggars Banquet Live ! Scout piste les louveteaux le 17 décembre au Nouveau Casino (Paris)
Avec ce quatrième album, Emma Niblett continue de tracer ce chemin personnel que beaucoup lui refusent. Souffrant de comparaisons hâtives (à mi-chemin entre Cat Power et Nirvana), le projet de « Scout », souvent mal compris, maîtrise parfaitement les univers épurés, creuse les reliefs d’un panorama rock habité, entre moments de répit en feutre de voix, cascades de guitares distordues et fracas percussifs pesants. This Fool Can Die Now offre de beaux moments avec Let Thin Heart Be Warmed, Dinausor Egg ou encore Kiss, en duo avec Bonnie « Prince » Billy (son renard des fourrés). Une collection de titres dont l’évidente beauté vous ronge le cœur. — G. L. —23
Matière comestible En-cas de malheur
AlainCorneau Chez lui, Paris 3e Dimanche 21 octobre 2007
De Série noire à Tous les matins du monde, maître érudit, pluriel et voyageur du 7e art hexagonal, Alain Corneau, 64 ans, publie d'humbles Souvenirs. A trois jours de la sortie du crépusculaire remake du Deuxième Souffle, l’homme est anxieux. Il aura eu raison : malgré une distribution de premier ordre, son retour au polar ne dépassera pas la barre des 400 000 entrées. Une claque symptomatique de l’affection mitigée des Français pour une couleur : le noir. Au-delà du cercle polar. Alain, comment se porte le film noir, en France ? Alain Corneau : Le genre traverse une sorte de renouveau – apparent – depuis 36 Quai des Orfèvres [Olivier Marchal, 2004]. Mais est-ce que les gens vont revenir ? Tournant 1985, il y a eu un pépin, je le sais personnellement. D’abord une baisse de quantité (pas bon signe), ensuite, des essais de plus en plus naturalistes [L.627, Bertrand Tavernier, 1992 ; Le Cousin, Corneau, 1997], mais n’a-t-on pas évacué trop vite les grands mythes, les postures ? José Giovanni [cinéaste et auteur du roman original du Deuxième Souffle [1958] disait : « Vous oubliez de faire rêver ! » On verra bien. D’où vient cette tendance ? De battre mon cœur s’est arrêté [Jacques Audiard, 2005] – remake de l’admirable Mélodie pour un tueur [James Toback, 1978] – a réintroduit via le personnage de Duris un grand thème : la vengeance. Truands [Frédéric Schoendoerffer, 2007] préféra la voie de la violence et du réalisme. On voit des variations : le thriller comme Ne le dis à personne [Guillaume Canet, 2006], le casse comme Le Dernier Gang [Ariel Zeitoun, en salles]. Après, il y a des projets : les deux Mesrine de Jean-François Richet, le Spaggiari de Jean-Paul Rouve [Sans arme, ni haine, ni violence, prévu pour avril]. Des représentations mythiques, dynamitées ou pas, à voir. Et Marchal vient d’en refaire un [MR-73, sortie en février] avec Daniel Auteuil, très, très noir. C’est excitant. Les séries télé françaises se transforment, aussi. Les polars sont-ils meilleurs sous un gouvernement de droite ? [Riant] Ah ! Pas impossible ! Je suis effectivement un peu interpellé de noter que le film noir tombe en déshérence au moment où la gauche arrive au pouvoir. Le polar a plusieurs lectures : l’histoire, le destin des personnages, et une radiographie sociale. En allant filmer la banlieue, on accusait des tas de choses. Entre
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1975 et 1980, on parlait sans arrêt de députés véreux, de conditions de vie difficiles dans les cités, on voyait la banlieue se construire. C’est donc possible que la gauche ait désarçonné une partie de la charge sousjacente aux scénarios, et que les questionnements actuels de la gauche institutionnelle nous mobilisent, inconsciemment. Mais nous, cinéastes, ne devons pas trop intellectualiser : rester à l’affût, oui, mais ne pas écrire de scénarios bâtis comme des thèses. A moins que cela vienne d’écrivains, comme 90 % des films noirs. Quoiqu’à un moment, ces écrivains se sont tellement politisés qu’ils perdaient de vue le contenu dramatique. On ne voyait que des flics trotskistes ivres morts, la nuit. Guillaume Nicloux boucle avec La Clef sa trilogie policière entamée avec Une affaire privée (2002) et Cette femme-là (2003). Vous avez aimé ? Ah oui. Quand on aime le noir, on est le critique négatif des films qui se sentent supérieurs au genre, ironiques, où la gueule est plus importante que les personnages. Ou alors on fait une comédie : Les Tontons flingueurs [Georges Lautner, 1963]. Un minimum de modestie, voilà. Nicloux, il est dans le genre, il est sous influence, il a de l’influence. Quand on me demande quelle est mon ambition, je réponds : avoir une petit place dans cette histoire-là. Et c’est déjà extrêmement gratifiant. Comme quand Scorsese vous confie qu’il apprécie votre adaptation de Stupeur et Tremblements [2003]. Absolument. On est un peu surpris. Ou Im Sang-Soo, l’auteur du sublime The President’s Last Bang [2005], à qui j’ai avoué qu’il m’avait influencé sur un ou deux plans, et qui m’a répondu : toi aussi. On se parle par films interposés. Quel regard ont les médias sur le genre ? Il n’est pas toujours bien considéré au départ. Il faut attendre cinq, dix ans. Le Choix des armes [1981] est
« On ne voyait que des flics trotskistes ivres morts, la nuit. »
AlainCorneau
Matière comestible Alain Corneau (suite)
« Ceux qui disent que le cinéma, c’était mieux avant, je les laisse à leur détresse. »
AlainCorneau
devenu un classique, mais les critiques étaient à moitié bonnes. Melville a fait comprendre que le noir, ce n’était pas juste pour s’amuser [riant], que ce pouvait être noble. Pour mon Deuxième Souffle, c’est compliqué. En France [levant les yeux au ciel], il y a une sorte de « talibanerie » sur les remakes. Est-ce que ça vient de la politique des auteurs ? On peut toujours revenir aux grands textes. Le Deuxième Souffe, le livre est enraciné en France, parfait dans sa mécanique, dans les contradictions des personnages. José, dont je fus l’assistant réalisateur, m’encourageait à faire ce remake. J’espère que dans trente ans, un autre metteur en scène en donnera sa vision ; je crois que Melville disait la même chose. Quels étaient vos objectifs ? Je crois que le film s’équilibre à 1,5 million d’entrées France. On n’est pas sûr de les faire. Si le public ne vient pas, tant pis, personne ne force personne – de ce point de vue, le métier est très propre [riant]. L’échec sera dur, mais ça ne regarde que nous. Quand je vois les gens se plaindre, je trouve ça un peu obscène. Au cinéma, le succès, c’est l’exception. Comment avez-vous digéré l’influence du cinéma noir asiatique ? J’aime le cinéma noir parce qu’il est collectif, et le cinéma en général parce que tout film influence tous les autres. Les Asiatiques, en particulier les Japonais, les Hongkongais et surtout les Coréens ont constitué depuis peu un univers noir très nouveau, parallèle à Scorsese et Tarantino, qui n’est plus celui des années 70 comme je faisais moi, « bleu acier », qu’on pourrait qualifier de baroque, à l’image moins contrastée, dans les rouges, les verts dominants. « Quasi japonais, au niveau de l’épure », dites-vous de Daniel Auteuil... Daniel est devant les caméras depuis longtemps – enfant de la balle, ses parents étaient dans le coup. L’âge et l’expérience venant, il est arrivé naturellement à une très grande rigueur de jeu, une mise à l’écart de l’accessoire, jamais en pléonasme, de plus en plus pur. Avec, dans l’œil, ce qui est moderne par rapport au livre, un véritable doute qui nous ressemble.
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Un cinéaste mûrissant va-t-il automatiquement vers cette volonté d’épure ? J’ai l’impression que oui. Quand j’ai commencé, filmer des gangsters à Pigalle, c’était interdit, absurde : on allait en banlieue filmer Depardieu et Dewaere, évidemment. Il m’a fallu quarante ans pour affronter l’univers qui m’avait formé. Pour la première fois, on s’est permis d’aller assez loin dans le courage formel, cadres cassés, on ose le pourpre, pas pour décorer, hein, mais pour constituer dramatiquement le monde dont on a envie. Il y a une sorte de volonté d’épure appartenant au tragique, et la recherche d’un univers chaotique et baroque à nous. L’épure de Melville était totale, complètement abstraite, jusqu’au Samouraï [1967] où le mec ouvre et ferme des portes ! Dans son Deuxième Souffle [1966], l’équilibre entre l’enracinement de Giovanni et cette épure est parfait. Visez-vous le même dépouillement ? Je n’ai pas de mise en scène a priori. Je cherche la formule cinématographique qui me permette de filmer le sujet que je trouve avec mon équipe. Tous les matins du monde [1991], c’était que des plans fixes, voilà. De vos polars à Stupeur et Tremblements, avez-vous des thèmes récurrents ? Confusément, oui. À chaque fois, c’est quelqu’un qui va loin, qui cherche et parfois se trompe. Mais si un jour j’en avais une claire vision, je serais paralysé. J’aurais l’impression de les manipuler. Mon attachement aux genres vient de là : masqué derrière, c’est l’idéal pour parler de thèmes qui vous échappent. Les règles ne sont pas un obstacle, plutôt terriblement excitantes. Dans vos Souvenirs, vous évoquez celui de la « recherche de l’identité ». C’est marrant, ce matin j’ai lu le dernier Modiano, Dans le Café de la jeunesse perdue, qui me donne une partie de la réponse. Modiano est né pendant la guerre, comme moi, une époque totalement grise, satanique et en même temps pas. Qui sommes-nous exactement ? Cette recherche identitaire vient encore plus de ma cinéphilie. Voir un film, s’identifier à d’autres destins, est une façon de se poser des questions sur notre multiplicité. Quand j’étais ado et qu’on revenait d’un film, s’il était bien ou pas, on s’en foutait. C’était plutôt : y avait-il un personnage ambigu qui sait à la fin qui il est (et valait mieux pas) ?
L’ambiguïté est une obsession ? Oui, et au-delà il y a le thème des autres, de la communication, de l’étranger ; plus son regard est lointain, plus il nous constitue. Si, j’ai un combat : quand j’entends parler de « pureté intérieure », ça commence à me mettre en colère. Il faut accepter que nous soyons composés d’identités hétérogènes et contradictoires. Il faut accepter toutes les influences. L’ascèse intérieure, ça veut dire quoi ? On se ferme au monde, c’est de l’intégrisme. Et le retour des religions tend un peu vers ça. Exclure les autres, forcément. Ça me préoccupe beaucoup. Combien voyez-vous de films par jour ? Au moins deux. Trois, quelle merveille, c’est une bonne journée. Sans oublier de revoir les films, si possible en salles. Pour voir où on en est par rapport à Huston, Howard Hawks, Kurosawa. Prendre nos distances, voir où est la source. Quant aux films qui sortent, ceux qui disent que c’est moins bien qu’avant, je les laisse à leur détresse. J’ai revu 21 grammes [2004], ça m’obsède, c’est de plus en plus beau. Inàrritu, comme James Gray, trois films, trois chefs-d’œuvre. A Bittersweet Life [Kim JeeWoon, 2006], idem. Les Infiltrés [Scorsese, 2007], grand film. J’attends les deux prochains Johnnie To. Voilà un type exemplaire, un vrai artisan qui, à 50 ans, devient un maître, sortant d’un magma d’un nombre ébouriffant de films. Cinéphile, ça veut dire voir aussi de mauvais films ? Je n’ai qu’une seule règle : juger les films au regard de leurs intentions. Il se peut que j’aille voir Transformers. Toutefois, pour moi, un petit polar modeste qui atteint son but est un grand film. Tous les Don Siegel, par exemple. Peckinpah, Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia [1975], on était quatre dans la salle, très mauvaises critiques. Aujourd’hui, culte.
Alain Corneau, projection privée Robert Laffont
Le Deuxième Souffle en salles
Vous aimez les contes de fées ? Bof, je préfère Scarface [riant] ! Ou les grands textes racontant la création du monde : comment et pourquoi les hommes inventent Dieu, ça m’intéresse beaucoup. — Entretien Richard Gaitet Portraits Thomas TS74
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CAHIER RÉTRO L E PA S S É PA R T I C I P E
STANDARD 18 • Le passé participe
MATIÈRE RECYCLABLE VIEUX GÉNIES
Jean-Pierre Kalfon
bilan 84
REST IN PEACE
Norman Mailer hommage fissa 87
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UNE VRAIE
GUEULE
Le timbre est rauque et l’allure quasi serbe. Jean-Pierre Kalfon, 69 ans, figure de l’underground parisien des années 60-70 et comédien abonné aux rôles de fêlés, reçoit à domicile. A l’affiche du Professionnel, le Léaud rock'n'roll, tonton noceur du Dupontel des grands soirs, prolonge sur scène ses confessions d’espion repenti.
Et si je vous disais que je vous ai découvert dans Total Western [il interprète le terrifiant caïd psychopathe de ce film de flingues à la campagne d’Eric Rochant, 2000] ? Jean-Pierre Kalfon : Ça me fait d’autant plus rire que je viens d’avoir Eric au téléphone. Il tourne un truc sur les mafieux à Marseille, en décembre, pour Canal+, et veut que j’aie un gros rôle. Le problème, c’est que je serai encore au théâtre et en train de tourner la deuxième saison de Venus & Apollon [sur Arte]. Comment faire ? Total Western, c’était très amusant. Des méchants, j’en ai fait des sérieux. Dans Condorman [produit par Disney, 1981] je faisais le chef des tueurs d’élite du KGB, pas mal. Bon, j’aimerais qu’on me propose des rôles plus subtils – où il y aurait des sentiments, disons, moins négatifs. Je demande pas à faire l’abbé Pierre, hein, juste enrichir le personnage du voyou de service ou du chef d’entreprise effrayant, comme dans La Question humaine [de Nicolas Klotz, sorti en septembre]. Y a-t-il de bons côtés à jouer si souvent les salauds ? Les gens ne sont pas dupes, ça les amuse, en plus, ils aiment bien qu’un acteur incarne un rebelle, même si ça tourne au vinaigre. Mes personnages, ils y croient jusqu’au bout et ils se font exploser. On me tue beaucoup au cinéma, moi : j’aurai pas de surprise quand ça m’arrivera. Même dans Venus & Apollon, je vais y passer. Ah oui. Dans la pièce Le Professionnel, vous incarnez un espion gouvernemental serbe offrant à un éditeur dix-huit ans d’enregistrements de sa vie. Première réaction à la lecture ? J’ai trouvé l’écriture d’une simplicité magique, sans trucs de technocrate. Avec un fond politique qui n’embarrasse pas la pièce, pleine de distance et d’humour. Ces êtres sont ballottés par de grands idéaux qui s’écroulent, par des régimes totalitaires remplacés par d’autres. Mon personnage en a fait le tour, le lendemain, il ira à l’hôpital sans savoir s’il s’en sortira. Son fils, contaminé par les idées du dissident, s’est révolté, exilé en Australie, non sans convaincre le vieux —84
de récolter toutes ces pensées révolutionnaires oubliées. Alors, par honnêteté, je les ramène à leur auteur, pour lui montrer son inconséquence et, quand même, à quel point il a fait bouger les choses. Le Professionnel a été joué pendant douze ans en Serbie, et ne s’est arrêté que parce que l’acteur qui jouait mon rôle est mort. Cela appelle-t-il à un bilan personnel ? Cet auteur vous renvoie à vous-même. Comme dans La Vie des autres [Florian Henckel Von Donnersmarck, 2007], tout le monde surveille tout le monde, personne ne bouge une oreille. Qu’aurais-je fait sous un régime pareil ? On s’écrase, on se barre, on se révolte ? J’ai pas connu de guerre, impossible de savoir. Quelles évolutions observez-vous sur votre jeu depuis Les Idoles, en 1968 ? J’étais pas du tout un bon acteur. Plutôt un personnage. Ça dépendait avec qui, mais je fonçais n’importe comment dans les trucs, un peu léger, je travaillais pas trop, pffuit, allant à la facilité. Dans du classique, j’étais nul. En revanche, si on me prenait dans du moderne, comme Marc’O [metteur en scène avant-gardiste des années 60-70] ou Rivette, pour les dialogues de L’Amour fou avec Bulle Ogier [1969], ça faisait appel à de la spontanéité, plutôt qu’à une technique que je n’avais pas. Ça m’a pris une vie pour appréhender (un peu) certains auteurs. En quatrième, Racine, Corneille, les vers, j’étais pas préparé, rien compris. Mes parents avaient leur certificat d’études, basta. La lecture, c’est pas seulement les mots, c’est sentir leur sens. La sensation, c’est porteur d’éclaircissements. Ce métier m’a beaucoup cultivé. Il faut se remplir des choses avec grâce. Je me rejoue Le Professionnel deux petits coups tous les jours, chez moi, en entier, et je découvre encore des couleurs, les phrases s’isolent dans d’autres respirations. [Notre magnéto plante. Kalfon évoque les regards de son Louis XIV dans Saint-Cyr, sa façon de regarder marcher « les petites vieilles et les vieux messieurs, et d’écouter ce qu’ils se disent ». Qu’il a progressé en observant des comédiens « de haute volée, Jacques Dufilho, Pierre
« MES PERSONNAGES, ILS Y CROIENT JUSQU’AU BOUT ET ILS SE FONT EXPLOSER. » JEAN-PIERRE KALFON
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J’AI TOUJOURS RÊVÉ D’ÊTRE UN GANGSTER
de Samuel Benchetrit « Sur une bande de vieux voyous avec Rochefort, Terzieff, Roger Dumas et Venantino Venantini, qui sortent un copain de l’hôpital et tentent un dernier petit coup pour se renflouer. » PARC
d’Arnaud des Pallières « J'y joue un branque bien dingue, bien dur, un propriétaire louche de résidence surveillée. Jean-Marc Barr et Sergi Lopez s’y nomment "Clou et Marteau". »
Brasseur, Louis Jouvet », et qu’aujourd’hui il admire « Dupontel, totalement impliqué, les deux Depardieu, Jamel Debbouze. Des personnages, quoi. » Le magnéto reprend.] Si, comme dans la pièce, quelqu’un vous avait espionné toute votre vie, liriez-vous le résultat ? Non. On m’a déjà proposé d’écrire ma vie délirante, mais j’aime pas m’épancher. Je préfère avancer. Les films, la pièce, je prépare un disque, alors me retourner… quand je serai mort [sourire]. Quand j’étais jeune, je voyais tout en noir. J’ai fugué de chez mes parents, j’ai viré délinquant. La vie, c’était quelque chose de mortel. Je me disais « faut peut-être mourir vite, je pars de rien, j’ai le dos au mur, je suis tout seul, qu’est-ce que je vais faire ? » Beaucoup m’ont tendu la main, allez savoir pourquoi. Une bonne étoile. Une bonne constitution pour passer à travers des délires et toujours avoir ma tête sur les épaules, des envies et des rêves. Quels rêves ? Sur la musique, par exemple, j’aimerais bien aller au bout de l’histoire, faire de beaux concerts ailleurs que
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dans des petits clubs. Ecrire des chansons, ça m’a donné des opinions. Je me laisse porter. Des fois, je flippe, on m’appelle pas pendant des mois. J’essaie de faire mon métier partout, alors qu’avant, je préférais autant m’éclater, me défoncer, aller voir les petites femmes [léger rire]. J’ai été drogué, alcoolique, il faut savoir décrocher pour vivre d’autres expériences. Là, j’ai envie de me perfectionner – c’est un gros mot –, d’épurer, de me donner le plus de satisfactions et surtout d’aller au bout, au bout. — Entretien Richard Gaitet Portraits Axel Dupeux LE PROFESSIONNEL,
de Dusan Kovacevic, mise en scène de Stéphan Meldegg du mardi au dimanche jusqu’au 30 décembre. Théâtre Rive Gauche, 6, rue de la Gaîté (Paris). J’AI TOUJOURS RÊVÉ D’ÊTRE UN GANGSTER,
en salles le 5 mars.
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É C R I V A I N
E S T
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R.I.P. NORMAN
MAILER 31 janvier 1923 - 10 novembre 2007
« Si quelqu’un n’est pas assez talentueux pour être romancier, pas assez brillant pour être avocat et que ses mains tremblent trop pour pouvoir opérer, il devient journaliste. »
D E R N I E R
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UN CHÂTEAU EN FORÊT
Plon, 22 euros
Photo Jean-Luc Bertini, chez Norman Mailer, à Provincetown (Massachussets), en juillet 2007. —87
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Page 1
THE INTERNATIONAL REFERENCE FOR FASHION PHOTOGRAPHY ILLUSTRATION DESIGN PRODUCTION
WELCOME TO OUR WORLD
Erwin Blumenfeld © Adagp, Paris 2007
Projet7:Mise en page 1
Paris NewYork London WWW.LEBOOK.COM
s k n
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C AHIER ARTS DE VIVRE • PARTIR, DÎNER, CONSOMMER
MATIÈREVIVANTE ECOLOGIE
Brocéliande Un brin polluée 90 VOYAGES
Islande Ses volcans, ses Elfes, ses petits cailloux GASTRONOMIE
Mon cochon Viens par ici que je te découpe SELECTION
De l’ailleurs pour pas cher 96
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ENVIRONNEMENT • EN VERT ET CONTRE TOUT
MINUIT DOUZE DANS LE JARDIN DU BIEN ET DU MAL Au clair de la lune, notre reporter a prêté sa plume à la forêt de Merlin l’Enchanteur, sept mille hectares de chênes et de hiboux aujourd’hui menacés par une pollution pas réellement féerique. Fin octobre, nuit de la pleine lune dans la forêt de Brocéliande (Ille-et-Vilaine). A quarante kilomètres à l’ouest de Rennes, il est bientôt minuit et j’attends les fées depuis déjà deux heures. Couchée sur un tapis de sol, emmitouflée dans un duvet résistance -30 °C, les esprits du bois m’apparaîtront-ils ? Les visiteurs du Centre arthurien de Brocéliande sont chaque année plus nombreux, trente mille en 2007. Que cherchentils ? Claudine Glot, fondatrice du Centre et spécialiste des légendes locales, le devine : « Les gens viennent ici pour se ressourcer, retrouver leurs racines, se rattacher à une histoire très ancienne : le tombeau de Viviane, par exemple, est une sépulture mégalithique construite il y a 4 500 ans. A cet héritage celtique s’ajoute les Romans de la Table Ronde, écrits entre 1170 et 1190 par Chrétien de Troyes, dont une partie [notamment Yvain ou le Chevalier au lion] se passe dans cette forêt même, en "Petite Bretagne". » Le terrain de jeu de Merlin pourrait toutefois, et sans sortilège, disparaître : en 2006, la société Smictom a obtenu l’autorisation d’y construire une usine de broyage et compostage d’ordures ménagères d’une surface de plus de 11 000 mètres carrés, de vingt mètres de hauteur. Deux associations, SOS Brocéliande et Sauvegarde de Brocéliande, supportées par une cinquantaine de particuliers, ont déposé un recours au tribunal administratif de Rennes pour contester la légalité du permis de construire. Le 24 août dernier, les travaux ont été stoppés, les associations ayant réussi à prouver que le permis de construire n’était pas légal. L’Etat a été condamné à dédommager les associations. Jean-Pierre Le Thiec, président de SOS Brocéliande, commente cette levée de boucliers : « La forêt de Brocéliande est classée "zone naturelle d’intérêt écologique". Malgré cela, n’a été réalisée aucune étude sur les dégradations environnementales, aucune 90—
enquête auprès des habitants, aucun rapport sur les lieux avoisinant l’usine. » Smictom ayant déposé un deuxième permis de construire, les défenseurs du bois se retroussent les manches. Morgane, fée libérée Du haut d’un Moyen Age mythologique, Brocéliande l’épaisse s’est depuis presque domestiquée : furent extraits de ses entrailles des minerais de fer, furent brûlées ses branches pour faire du charbon. Ses plus grands arbres, plusieurs fois centenaires, se sont éteints avant 1850 dans les fourneaux des forges. Autour de moi, dans la clarté d’une lune pleine, je ne vois pas à dix mètres, dans la noirceur des taillis. Pourtant, j’écarquille les yeux au moindre bruit. Serait-ce Morgane, la fée guerrière, dont l’ancien nom celtique est « Morrigan » ? Morgane, qui fit construire son château au cœur de Brocéliande pour y étudier, dit-on, la magie et la nécromancie ? Depuis l’immémoriale époque celte, le folklore breton (également nommé « la Matière de Bretagne ») est imprégné de cette vénération de la mort. On raconte que sur les chemins de Brocéliande roule, la nuit, une charrette grinçante. Celui qui l’entend ou l’aperçoit ne revient pas vivant. Je tends l’oreille. Morgane, fée de la mort, n’était pas mariée et choisissait ses amants parmi de jeunes combattants. Le XIXe siècle puritain est passé par-dessus cette légende, faisant d’elle une femme corrompue et dangereuse, ayant couché avec son père. Dans le roman de Chrétien de Troyes, Morgane apparaît surtout comme une femme libre. Dans la forêt lointaine Un gland tombe à côté de moi. Mon cœur s’arrête. Il faut que je m’habitue car il pleut des glands toutes les deux minutes. Au loin, un long mugissement : le brame d’un cerf mâle marquant son territoire pendant
Brocéliande est imprégnée de cette vénération de la mort
la période des amours. Que disait Claudine Glot à propos de ce noble animal ? « Merlin l’Enchanteur avait la particularité de se déplacer très vite dans la forêt, qui lui obéissait. Il prenait l’apparence d’un cerf pour aller conseiller. » Merlin, moitié dieu, moitié homme, pouvait faiblir pour l’amour d’une femme. Pour celui de Viviane, dont il restera éperdument amoureux, il bâtit un immense palais sous les eaux d’un lac, où il se fera enfermer pour toujours. Est-ce alors le souffle de Merlin, dans le froissement des feuilles ? La nuit où l’Enchanteur entraîna Arthur et ses Chevaliers, de Grande-Bretagne jusqu’ici, était, paraît-il, celle de Noël. Merlin dévoila que le Saint Graal, cette coupe merveilleuse contenant le sang du Christ, avait été transporté en Petite Bretagne et qu’on avait perdu sa trace. Ainsi, Lancelot, Gauvain, Perceval, Yvain et tant d’autres partirent à sa recherche pour le ramener au
château de Carduel. « La forêt est le lieu du merveilleux, continue notre conteuse, à la fois magnifique et terrible. C’est un lieu de passage entre les vivants et les morts, entre les fées, les esprits et les humains. Dans les légendes arthuriennes, celui qui a le courage d’affronter la forêt – c’est le lieu de toutes nos angoisses, de nos peurs les plus profondes – trouvera la richesse et la fortune. » Il est 1h36. Cela fait cinq heures que je scrute tant de noir. Pas de fées pour ce soir mais d’effrayants bruits d’animaux. Je reviendrai guetter les fées au solstice d’été, près des cours d’eau. Sauf si, d’ici là, une décharge remplace la forêt. — Text e Estelle Cintas (à Brocéliande) Photographie Mélanie Magassa Claudine Glot et Marie Tanneux Contes et légendes de Brocéliande (Éd. Ouest France)
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V O YA G E S • L À - B A S
L’ A F FA I R E E L F E Parachuté trois jours dans la capitale islandaise, notre Rocambol a fouiné sous les pierres à la recherche des trolls poilus protecteurs de l’âme insulaire. 16 heures. L’avion qui nous emmène de Paris jusqu’en terre islandaise descend doucement vers l’aéroport de Keflavik. La nuit est presque tombée, mais on distingue du hublot quelques bribes de paysage. Des roches, des crevasses à perte de vue, une désolation à la beauté lunaire fascinante. Si je suis là, accompagné d’une fine équipe de journalistes, ce n’est pas pour ce type de considérations esthétiques, mais pour assister au festival musical Iceland Airwaves entre les murs de Reykjavik, la capitale. Un car nous y achemine. Rêvassant devant ces horizons vides, je songe à l’objet de mon reportage : enquêter sur les Elfes et les croyances associées, auxquels les Islandais témoignent un profond respect. A l’évocation de ces mystères devant mes confrères, quelque chose de troublant se produit : sourires, silences. Ai-je l’air de Oui-Oui chasseur de chimères ? Soudain, Magnea, notre accompagnatrice, vole à mon secours : « Tu sais, si la route sur laquelle nous sommes est si biscornue, c’est parce qu’on contourne les lieux des Elfes. On les appelle les Alfastadirs. » Me fixant de ses yeux d’institutrice sévère mais juste, cette quadra expatriée en France depuis une vingtaine d’années poursuit : « Beaucoup d’Islandais ont leur maison au milieu des champs de lave. On dit qu’un rocher dans ton jardin est une habitation elfique, et que tu ne dois surtout pas y toucher sous peine de grands malheurs. » Magnea, enfin, crois-tu encore à ces histoires de nains malveillants ? « Je n’ai jamais vu un seul Elfe. Ils nous servent de prétexte : dès qu’il y a des problèmes, forcément, c’est un coup des leurs. » Très potes avec les puffins Reykjavik. Sous l’œil des caméras de surveillance encerclant le centre ville, je découvre les lieux avec l’entrain d’un chien faisant sa promenade. Les Elfes sont partout. Dans les vitrines, sur le bord des fenêtres, à même la rue. Ils nous entourent, nous observent,
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m’obsèdent – j’en oublie presque mon objectif premier : me saouler en faisant mine d’apprécier des groupes totalement obscurs. Lancé dans ma croisade, j’entre dans la boutique officielle de souvenirs de Reykjavik. Et ils sont encore là, immondes statuettes, créatures grotesques aux sourires inquiétants. Mal à l’aise, je plonge dans la lecture d’un livre pour enfants qui m’apprend qu’ils se nourrissent exclusivement de poisson, qu’ils sont très potes avec les oiseaux puffins (proches de l’albatros) et passent la plus grande partie de leur temps à pioncer. Bigre. Direction Hafnarfjordur, en banlieue, célèbre pour concentrer le plus grand nombre d’Elfes au kilomètre carré. Moi, je ne vois toujours rien. Je tourne inlassablement dans cette ville portuaire qui semble désertée par les hommes. On y organise des Hidden Worlds Tours, balade touristique sur les lieux ancestraux où se cachent les esprits, à l’aide d’une carte très précise réalisée par la spécialiste nationale des Elfes, Erla Stefansdottir. Je passe près du rocher Hamarinn, siège de la famille royale elfique. C’est-à-dire : un amas de cailloux noirs. La nuit arrive vite. Pas le temps de passer au Ghost Center, le « musée des esprits » de Stokkseyri. Je viens de perdre une journée à errer pour rien. En fait, cette peuplade imaginaire commence à me gonfler. Des bébés obèses en garde-fou ? Le soir, Unndís, une Islandaise mutine au degré d’alcoolémie un peu inférieur au mien, me livre son rapport personnel aux Elfes : « Lorsque je perds quelque chose, je ne cherche plus, je sais que les Elfes me le rendront. Lorsque je vivais à Kópavogur, la ville a voulu construire une rue où se trouvait un habitat elfique, sous la forme d’une ruche de pierres. Les travaux ont commencé. Dès qu’il a fallu déplacer cette pierre, les ouvriers sont tous tombés malades ou se sont blessés. »
Je passe près du rocher Hamarinn, siège de la famille royale elfique. C’est-à-dire : un amas de cailloux noirs.
Vues de loin, ces croyances semblent tenir lieu de système symbolique, les Elfes jouant ici le rôle de gardefou. « Pour moi, les Elfes symbolisent les forces naturelles, continue Unndi, la nature est vivante, c’est une puissance quasiment surnaturelle qu’aucun humain ne peut maîtriser. Les Elfes nous aident à garder ça en mémoire. » Il est vrai que dans cet environnement instable aux manifestations sublimes mais déstabilisantes, on peut facilement être saisi de vertige. Mais quel rapport avec ces trolls aux traits de bébés obèses à la pilosité négligée ? Fixer les pierres Dernier jour à Reykjavik. Devant l’entrée de la Nasa (une salle de concerts où Björk a ses habitudes), deux
teenagers me font part de leur scepticisme : « Nous, on n’y croit pas. Nos parents nous ont raconté toutes ces histoires transmises d’une génération à l’autre depuis des siècles, mais ce n’est que du folklore. Si ces croyances perdurent autant, c’est aussi que nous ne sommes pas très nombreux. » Je ne sais plus quoi ni qui croire. Depuis trois jours, j’ai pris le réflexe de fixer chaque pierre comme si quelque chose allait en sortir. Je ne sais pas ce que j’attends. Je tourne en rond, je ne pourrai jamais conclure ce papier. Tant pis. Je dirai que ce sont les Elfes qui m’ont piqué la chute. — Texte Vincent Cocquebert (à Reykjavik) Photographies Thomas Corgnet (à Reykjavik)
GASTRONOMIE • A N T I F * * D I N G
TÊTE DE LARD Dans Greenwich Village, un restaurant japonais plutôt franco de cochon prépare uniquement des plats aux pieds de porc. It’s New York. Alors qu’on pensait que tous les habitants de Manhattan s’étaient mis au Global Warming Diet (le nouveau régime en vogue censé agir contre le réchauffement climatique) et n’avalaient que des burgers au tofu bio ou du café de fanes de radis équitable, les voilà qui s’enflamment pour un plat pour le moins imprévu : l’arpion de cochon. Oui, oui, ce bidule tout osseux et flasque que seuls une poignée de Bretons et Josiane Balasko ingèrent encore. On annonce l'ouverture, en septembre, d’Hakata TonTon, une cantoche de poche lancée par Himi Okajima, un cuistot japonais parfaitement monomaniaque, qui met des pieds de porc dans chacun des quarante plats de sa carte. De ses nems en passant par sa french ratatouille ou sa crème brûlée. « Il y a dix ans, j’aurais fait comme tout le monde : j’aurais monté un bar à sushis, constate le chef de 37 ans, arrivé aux States unifiés il y a seulement quelques mois. Sauf qu’aujourd’hui, c’est devenu complètement has been. Donc j’ai tout misé sur le pied de cochon. Il y a quelques décennies, on en mangeait beaucoup à Okinawa. Je l’ai juste remis au goût du jour. Au fait, tu savais que Louis XVI, alors qu’il fuyait la France en 1791, a été reconnu par un aubergiste alors qu’il mangeait des pieds de porc à côté de Varennes ? C’est un plat de roi. Ça va cartonner. » Groin de folie Et, en effet, ça cartonne. Sold out à tous les services et reportages élogieux sur les chaînes du câble, le New York Magazine ou chez les bloggeurs les plus influents de la foodosphère. Si le resto affiche complet, c’est avant tout parce que Himi Okajima – qui a visiblement bien saisi l’esprit new-yorkais – a eu la bonne idée de communiquer sur l’une des caractéristiques de la papatte : sa teneur high level en collagène, cette protéine responsable du tonus des muscles et de la peau, présente dans presque toutes les crèmes anti-rides. 94—
« En mangeant du collagène, vous aidez votre organisme à conserver son humidité, explique Himi Okajima, si vous en absorbez régulièrement, vos cheveux et votre peau se porteront mieux. Pas du jour au lendemain, certes, mais si vous commencez maintenant, vous semblerez nettement plus jeunes dans dix ans. » Bon pied, bon œil Un argument massue dans la ville qui compte l’un des plus forts taux d’intervention de chirurgie esthétique du monde libre. Un avis que ne semble pas partager Oz Garcia, le nutritionniste des stars d’Hollywood, qui n’a visiblement pas gardé les cochons avec Himi Okajima : « Cette histoire, c’est de la flûte traversière. C’est un vieux truc que l’on nous ressort régulièrement. Déjà dans les années 50, il y avait eu une mode. Demandez à votre grand-mère, il y a de fortes chances qu’elle ait avalé de la gélatine Knox. Du flan. ». Même son de cloche chez Hélène Gendler, une dermatologue d’Upper East Side : « Il n’y a aucune preuve tangible. Le collagène est efficace en injection. » Bon pied, bon œil, notre chef nippon n’en démord pas. Son premier resto, monté il y a une paire d’années à Fukuoka au Japon (où depuis dix ans, on trouve des sodas, des dentifrices ou des guimauves au collagène) a fait plein de petits. « Lorsque j’ai découvert le pied de porc, j’ai trouvé la mission de ma vie, s’enflamme-t-il, et je compte bien la faire découvrir au monde entier. Si mon resto marche à New York, j’en ouvre en Italie, à Londres et en France dans les cinq prochaines années. » C’est dit, Himi Okajima veut changer la face ridée du monde. Mais comme ne le cache pas Paula Begoun, gourou es cosmétiques outre-Atlantique, « même Estée Lauder est morte avec des rides ». — Mat Gallet (www.alimentationgenerale.org) Photographies Caroline Mauxion
Hakata TonTon 61 Grove Street, angle Bleecker Street et 7th Avenue South, New York (212) 242-3699
Sold out pour la french ratatouille et la crème brûlée aux pieds de porc.
SÉLECTION • CONTREBANDE ORGANISÉE
IMPORTS Samir, l’aîné du Trio Joubran lance un thème aérien, les yeux mi-clos. Wissam, le luthier, complète la séquence pendant que Adnan, le jeune, entoure cet incroyable mur de son à l’Oud (le luth arabe bombé). Trois ouds joués comme trois guitares qui dodelinent le long des maqamats, les gammes de la musique arabe. Et pourtant, dans Mâjaz (Randana/Harmonia Mundi), on entend autre chose que de la musique orientale. Plutôt du jazz défait, du post rock du souk, du flamenco sans rose dans la bouche. De quoi arracher des larmes au pire des tortionnaires. On n’a pas vu ça depuis Godspeed You ! Black Emperor, même si ça n’a rien à voir : les trois frères Joubran ont grandi à Ramallah et essaient de réenchanter le monde du bout des doigts, même si on entend, toujours trop fort, l’agonie de tout un peuple, les balles sifflantes ou les checks points.—Timothée Barrière
D’un musicien folk enregistré dans les rues de Lhasa à un rituel Animiste balinais, d’un groupe afrobeat saharien à d’obscures reliques pop Sixties thaïlandaises en passant par des enregistrements pirates de radio en Corée du Nord, en Irak ou en Thaïlande, le label Sublime Frequencies offre un panorama underground du folklore mondial, explorant des zones occultées aussi bien par l’industrie musicale que par l’ethnomusicologie, à mille lieues des affreux stéréotypes « dreadlock-djembé » de la world music. Entre sacré et profane, tradition et modernité, cérémonies mystiques et kitsch pop, chaque disque révèle l’incroyable richesse d’un patrimoine humain méconnu. Fondé par deux (frères) dissidents américains issus du groupe-culte Sun City Girls, le label fait collaborer une poignée d’oreilles éparpillées aux quatre coins du monde en quête de « jamais entendus ». Et si les pouvoirs surnaturels de la musique avaient un jour la peau de ce petit con d’Harry Potter ? —Julien Bécourt
Ecrit par Pete Willingham et dessiné principalement par Mark Buckingham, Fables, une création du label adulte de D.C comics Vertigo est un « fabluleux » plaisir. Willingham s’est amusé à ramener les univers des personnages de contes de fées dans le monde réel. Résultante : des conflits très divertissants. Mention spéciale à Pinochio qui, devenu un vrai petit garçon, est resté coincé dans une bien encombrante pré puberté. Traduction en France prévue via Panini comics.—J.-E. D. dccomics.com/vertigo
Venu de washington D.C, Geogie James est un duo mixte ayant beaucoup écouté la FM américaines des 70s. Deux oiseaux qui ne révolutionnent pas le genre mais nous offrent avec Places (Pias), un ballot franchement goûtu, une cantine remplie de présents ravissant les conduits auditifs. Si vous aimez Todd Rundgren et les Carpenters, vous aimerez ce groupe qui prouve que la grâce est encore de ce monde. —J.-E. D. saddle-creek.com
The white stripes sont fans des appareils photo lomo. Rudimentaire mais créative, la technique lomographique reste unique. Sensible à la tonalité très « snapshot » du rendu des clichés, et alors qu’on aurait pensé qu’ils étaient plus « métal », les musiciens ont redesigné le plastique légendaire des modèles Jack’ Holga et le Meg’ Diana+. Vu la réussite de cette étrange collaboration ( ?), on pourrait peut-être demander à des écrivains de redécorer des guitares de légende. Le numérique ne fait pas peur à tout le monde, lomographie ouvre en décembre sa première boutique en France (6 place Franz Liszt Paris 10e). Les modèles du groupe en vente à 150 euros chez colette, sur les sites lomography.com et whitestripes.com.—M. A.
Né cet été, http://poprave.co.nr est un blog qui liste des sélections vestimentaires colorées. Chasseur et recenseur de créateurs pour la plupart anglais et « pop et nu-rave », nous y avons découvert cette remuante robepeluches (myspace.com/chobopop), ce très bowisien t-shirt jaune (meandyu. com) et de quoi clignoter sur les pistes de ski (myspace.com/kidrobotrules) entre les vins chauds. Il faut dire que depuis la rentrée, la raréfaction des posts et la découverte du clip de Yelle le 10 novembre, nous a fait déchanter. D’ailleurs, le fluo nu-rave, il faut commencer à dire que c’est fini pour ne pas paraître ringard, mais bon, c’est chou quand même.—M. A.
L’Encyclopédie du mauvais goût aux éditions Hors collection, le nouveau bébé déviant d’Hervé Depoil et François Quenouille sous la haute autorité de Gilles Verlant sympathique trublion d’outre Quiévrain. Ce glossaire qui ne fait pas dans la dentelle et se roule avec délectation dans le trash et le kitsch le plus outré pourrait, pour 23 euros, dérider plus d’un gothique neurasthénique. —J.-E. D. horscollection.com
« When I die, I don’t want to go to heaven, I want to go to UPA » affirmait Friz Freleng en parlant des studios responsable de dessins animés mémorables (Mr Magoo ou Christopher Trumpet). Les locaux d’UPA en mettent pleins la vue architecturalement parlant et les amateurs de cartoons vintage devraient se régaler à l’évocation de ces artistes merveilleux et oubliés, recensés en images dans le livre Inside UPA.—J.-E. D. (upapix.com)
A Toronto, on commence à porter des escarpins peints. Est-ce une bonne intuition ? A votre appréciation. —M. A. myspace.com/ndeurr
Repetto Paris_CitizenK.indd 1
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— Cahier Mode
« LES MODES PASSENT, LE STYLE JAMAIS. » COCO CHANEL
BEAUTÉ PAR LUCILLE GAUTHIER « MY LADY » PAR ILANIT ILLOUZ & CAROLINE DE GREEF « TWOTOM ET LES GARCONS » PAR SOPHIE RUSNIOK « THE KINGDOM » PAR MIKE KOBAL « VERFREMDUNGSEFFEKT » PAR PATTY MOUSSALI « WITHOUT ALICE » ACCESSOIRES PAR ARMELLE SIMON « DANS LA FORÊT LOINTAINE » PAR PHILIPPE JARRIGEON
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Beauté Edito —
COSMIC COSMETICS
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LE CÔTÉ OBSCUR DE LA FORCE La technologie a envahi notre quotidien cosmétique, tout est contrôlé, prouvé, aseptisé… Loin de cet univers dogmatique du tout sécuritaire se dresse une nouvelle tendance : le magique. Une alternative nouvelle qui puise dans l’imaginaire, le fantastique voire l’irrationnel. Formules secrètes, élixirs ensorcelants ou rituels ancestraux, la beauté nous met en transe. L’ère de la nuit s’immisce dans le monde de la parfumerie : des fragrances comme des sortilèges aux effluves mystérieuses plongées dans des atmosphères obscures, entre envoûtement et enchantement. Des sillages puissants enfermés dans des flacons écrins aux teintes sombres et intenses. Dior revisite le mythe de Cendrillon avec le Midnight Poison composé de rose noire, charnelle et vénéneuse, et de patchouli ambré. Concrète céleste bleu nuit habillée de dentelle argentée pour l’Eau de Minuit de Lolita Lempicka. Fragrance carrément fatale pour le Black XS de Paco Rabanne, composée d’hellébore noir, une fleur surnommée autrefois rose des sorcières, à laquelle on conférait des pouvoirs hallucinogènes. Plus mystérieux, les flacons précieux de L’œuvre Noire de By Kilian sont ornés de gravures étranges ressemblant à des symboles tribaux. Chez Lancôme, la gamme make-up Mystery Game en autant de jeux énigmatiques, comme le Destiny Cube, une palette sous forme de dés à jouer, ou encore le vernis Magnétique, qui laisse apparaître des étoiles lorsque l’on approche ses ongles de l’aimant du pack. Véritable tendance de fond en cosméto : les gemmes. Utilisées pour leur richesse minérale, elles sont également reconnues pour leur pouvoir bienfaisant dégagé par leurs ondes magnétiques quasi magiques. Chez Stila, les palettes A Tale of Enchantment sont accompagnées d’un pendentif amulette en pierres semiprécieuses pour apporter amour, bonheur ou réussite. Potion, élixir, décoction... place à la sorcellerie pour soigner nos peaux meurtries mais aussi nos esprits. Herbes, racines, écorces venues de civilisations ancestrales intriguent et fascinent par leur mystère. La gamme Erborian, inspirée de la médecine traditionnelle coréenne, prend en compte les énergies du souffle vital, le Qi, et intègre du Yuzu, une plante médicinale rare ultra concentrée en vitamines C, à ses élixirs de longévité. Pour son nouveau soin anti-âge Fluide Temps Majeur, Yves Saint Laurent utilise le Ganoderma Lucidum, champignon de l’immortalité réservé en d'autre temps à l’empereur chinois. Plus bizarre encore, le venin de serpent du sérum Mystérieux de Garancia qui repulpe le visage tel un botox naturel. A la limite de l’ésotérisme, la bougie Rituel de Siam de Cinq Mondes rééquilibre les besoins énergiques du corps et diffuse un message d’équilibre et de stabilité. Entre voyage spirituel et rite initiatique. Par Lucille Gauthier Illustration Gwladys Rabardy
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Beauté Sélection —
MAGIC IN THE AIR Par Lucille Gauthier Illustration Gwladys Rabardy
Pétillantes, luxueuses, ultra racées, les nouvelles eaux s’annoncent lumineuses.
Eau de parfum Belle en Rykiel Sonia Rykiel, 75ml, 60 euros • Eau de Cologne Blue Agava & Cacao, Jo Malone, 100ml, 80 euros • Eau de parfum Vivara, Emilio Pucci, 50ml, 71 euros • Eau de toilette L’Interdit, Givenchy, 100ml, 80 euros • Eau de parfum Emporio Armani Diamonds, Giorgio Armani, 50ml, 55 euros • Eau de parfum The One, Dolce & Gabbana, 50ml, 60 euros • Eau de toilette Daisy, Marc Jacobs, 50ml, 55 euros • Eau de parfum Elle, Yves Saint Laurent, 50ml, 70 euros • Eau de parfum Palazzo, Fendi, 50ml, 70 euros • Eau de parfum Chloé, 50ml, 67 euros, disponible à partir de février 2008 • Eau de Cologne Colonia Intensia, Acqua Di Parma, 100 ml, 82 euros • Eau de parfum Gucci By Gucci, 50 ml, 94 euros. 102—
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Beauté Sélection —
CRÈMEDEVOLCAN L’île volcanique de Pantelleria, considérée comme la perle noire de la Méditerranée, regorge de trésors de la nature : sources thermales, terres fertiles… Giorgio Armani, habitant de l’île, a voulu transmettre tous ses bienfaits naturels dans une ligne de soin. La Crema Nera est formulée à partir de l’obsidienne : un complexe minéral « précieux » capable de régénérer en profondeur les cellules. Résultat, la peau est plus douce, plus lumineuse et plus jeune. Une petite merveille qui à un prix. 250 euros les 50ml.
Crema Nera Giorgio Armani
AVANTLANUIT Parce que le démaquillage est trop souvent négligé, L’Oréal lance Démaq’Expert une ligne de soins professionnels à prix démocratiques. Véritable rituel de beauté et de bien être, le lait 2 en 1 se transforme comme par magie en lotion tonique. Résultat, la peau est réoxygénée et prête à recevoir les soins. 7,99 euros
Lait devient tonique Demaq’Expert L’Oréal 104—
NAKEDSTAR Depuis que Demi Moore est devenue l’égérie de la marque, l’élégance et la modernité, chères à Helena Rubinstein, n’ont jamais été mieux incarnées. La collection Naked Beauty s’inscrit dans cet élan : Des teintes nudes, subtiles et raffinées, qui subliment et illuminent avec naturel les lignes du visage. 42,90 euros
Fond de teint Color Clone Hydrapact Helena Rubinstein
LIPSTICK TRACES Duo Scrub & Baume de Bourjois, un soin astucieux en deux étapes pour lèvres glamour. On commence par éliminer les peaux mortes grâce à l’embout gomme qui exfolie tout en douceur puis on applique le baume embellisseur, à la teinte nacrée, pour adoucir et hydrater les lèvres pendant 8H. 12,50 euros
Duo Scrub & Baume Bourjois
SOYOUNG Après avoir cartonné outreatlantique, SkinCeuticals débarque en France. Le concept : les plus fortes concentrations d’actifs réunies pour prévenir et corriger des signes du vieillissement. Une gamme de 16 références dont le fameux sérum CE Férulic, l’antioxydant le plus puissant du marché. Des soins dermoprofessionnels disponibles en pharmacie mais également dans des spas et instituts triés sur le volet. A partir de 30 euros
Gamme SkinCeuticals —105
My
lady Une série de Caroline de Greef et Ilanit Illouz stylisme Olivier Mulin assisté de Marlène Giacomazzo Coiffure Patrice Graf Maquillage Audrey Miché Modèle Agathe Max Remerciements Vincent
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Chemise Sinéquanone, Veste Paul & Joe, Jupe Morgan, Chaussures Pedro Waterland, Boucles d’oreilles Vivienne Westwood, Bracelet Vintage, Sac Lady Dior de Dior, Collants Wolford.
Pull Eurythmic, Veste Lemaire, Kilt Olivier Mulin Vintage, Bottes Aigle, CamĂŠe Agathe Max, Collants Wolford, Pochette Upla.
Blouse Paul & Joe, Boucles d’oreilles Vivienne Westwood, Collier & bague Olivier Mulin Vintage.
Robe PP From Longwy, Chaussures Mellow Yellow, Boucles d’oreilles Metal Pointu’s, Sac Lady Dior de Dior, Collants Wolford.
Sweat Vintage, Cycliste Repetto, Baskets Reebok, Sac Lady Dior de Dior, Lunettes Olivier Mulin Vintage, Chaussettes Vintage.
Robe et serre-tête Yesim Chambrey, Plumes Vintage, Boucles d’oreilles Vivienne Westwood, Collier et broche Olivier Mulin Vintage.
Veste SinĂŠquanone, Jupe Pedro Waterland, Plumes Indress, Collier Dior, Pochette & bague Olivier Mulin Vintage.
Chemise Tuvanam, Tailleur Vivienne Westwood, Chaussures Prairies de Paris, Chapeau Dior, Boucles Vivienne Westwood, Collier Agathe Max, Collants Wolford.
Robe Paul & Joe, Diadème, bague et bracelet Olivier Mulin Vintage, Boucles d’oreilles Vivienne Westwood, Pochette Cosmo.
Robe Paul & Joe, Chaussures Morgan, Boucles d’oreilles et broche Vivienne Westwood, Noeud Olivier Mulin Vintage, Sac Mouton Collet, Collants Wolford.
TwoTom
et les Garçons
Stylisme et dessins
TwoTom
Photographies
Sophie Rusniok Réalisation
David Herman Modèles
Antoine et Anthony Remerciements
Ucn Communication, Surface To Air et Philip Wiegard Le festival de mode et de photographie de Hyères
Chapeau TwoTom
“ Par la fenêtre 1 ” TwoTom 2007
A gauche
Sous-pull Romain Kremer Salopette et collier portĂŠ sur la tĂŞte TwoTom Collier Marjan Pejoski A droite
Chemise TwoTom Culotte Romain Kremer
Chemise, pantalon Ă bretelles et chaussures TwoTom
Capuche en dentelles et chaussures TwoTom Culotte Romain Kremer
Broche sur barrette et chemise Marjan Pejoski Blouson Vava Dudu vintage
“ Par la fenêtre 2 ” TwoTom 2007
Photographies Mike Kobal Stylisme Ana Dahlman & Star Lee Assistant stylisme Jung In Kim Modèle Vanya, IMG, nyc Make-up Jordy Poon pour NARS Cosmetics Hair Deycke Heidorn
TheKingdom
Boa en plumes Albright Robe Linea O
Robe boule en tulle Kenzo, Manteau Twan Meijerink Bandeau et bracelet Subversive Jewelry by Justin Giunta
Robe kimono A la Disposition
Page de droite Robe Michon Schur, Gants Carolina Amato Chaussures Nicholas Kirkwood, Bracelet Subversive Jewelry by Justin Giunta
Veste A la Disposition
Robe Gucci Tiare et bracelet Subversive Jewelry by Justin Giunta
Robe Sretsis, Cape vintage 1920’s velvet and lame Bottes Casadei, Collants Wolford
Remerciements Vintage : Zohaer Majhadi chez La-Robe Berlin, Danielle chez Agentur V
Make up Svitlana Donez chez MU Berlin, Hair Jeremie Rinaldi & Una Auzina chez MU Berlin Models Laetitia & Dascha
Photographies Patty Moussali Stylisme Estelle Dévé
Pull Bless Leggings American Apparel Collier en maille noir et argent Star Styling Echarpe crème Rike Feurstein Chaussures vintage stylist’s own
Collants American Apparel Robe-pull Henrik Vibskov Chaussures Dior vintage
Cape Star Styling Cardigan Wood Wood Leggings en crochet Cneeon Leggings portĂŠs en ĂŠcharpe American Apparel Chaussures Valentino Couture vintage
Robe Balmain vintage Cape Henrik Vibskov Leggings American Apparel Chaussures Valentino Couture vintage
Robe Emmanuel Khan vintage Leggings American Apparel Chaussures vintage stylist’s own
Robe C.neeon Top Gail Sorronda Chaussure Valentino Couture vintage Leggings American Apparel
WITHOUT ALICE Accessoires par Armelle Simon
Sabot VICTOR & ROLF, bottine CHANEL Page précédente : Escarpins MIU MIU, richelieus MICHEL VIVIEN, MARC JACOBS AU PRINTEMPS, YVES SAINT LAURENT
De gauche à droite : Sandale CHANEL, escarpin MIU MIU, botte VICTOR & ROLF, bottines CELINE, COSTUME NATIONAL, MICHEL PERRY, LE MONT SAINT MICHEL, chaussure KARINE ARABIAN et GIVENCHY.
Dans la forĂŞt lointaine
Tricolore est un projet à la croisée de la mode et de l’art dirigé par le styliste Jean Marc Rabemila. De jeunes artistes internationaux créent sur commande des dessins exclusifs destinés à être imprimés sur des vêtements basiques. Par cette approche, la collection devient un support de promotion artistique à part entière, les coupes des modèles étant avant tout pensées pour valoriser les oeuvres. Photographie : Philippe Jarrigeon Stylisme : Jean Marc Rabemila Coiffure : Kiyoko Takeuchi Make up : Junko Modèles : Pauline, Yves Alexandre, Stéphanie Remerciements : Christian Rabemila
Avec des illustrations de YU MATSUOKA (Japon) FEDERIKA FUMAROLA (Italie) BABYSCOTCH (France) MARIE EL-AHMAR (Finlande) JAMIE STERNS (USA) MARIE CAUDRY (France) KARIN SÖDERQUIST (Suède) NINE (France) JEANNE DETALLANTE (France) STEVEN LE PRIOL (France)
CAHIERCHRONIQUES Paillettes
Mode Belgrade Fashion Week, Sélection Or du commun 160
Palettes
Art Sots Art, Erwin Wurm, Paul McCarthy, On fait le mur... 164
Paraboles
Médias Denis Robert 170
Platines
Musique Radiohead, Yacht, M83, Vampire Weekend, Fugu 174
Papiers
Littérature Héléna Marienské, Irvine Welsh, Marie-Hélène Lafon
180
Pellicules
Cinéma I’m Not There, La Graine et le Mulet, No Country For Old Men, Sirk 186
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Mode Paris et le reste du monde
MADAMEESTSERBIE Bali, Dakar ou Maputo : les semaines de la mode poussent comme les bolets au village des Schtroumpfs. Celle de Belgrade existe depuis quinze ans et personne n’était au courant. Nous y avons pris l’air pour savoir si Paris a du souci à se faire. Se faire accueillir au champagne en juillet à l’espace Pierre Cardin entouré d’un microcosme gratiné d’invités blasés n’a rien à voir avec une arrivée à la fashion week de Belgrade. Après un vol sur lequel le stewart ressemble à Harvey Keitel avec un gros ventre, des transbahutages en taxis rouges dont l’odeur du pot donne le même mal de mer qu’un canot à moteur, et un hôtel (pourtant haut de gamme) dont on espère de l’extérieur que la rénovation aura bien lieu avant l’effondrement, ouf, atterrissage en terrain connu : un défilé. Spots de pub et bière à 50 dinars Enfin, connu, pas vraiment. Quarante-cinq ans de communisme et de dynamique de rassemblement ont laissé place à quinze années de nationalisme milosevicien. Troublé de guerres de voisinage et de renversements politiques, le fraîchement indépendant (2003) Etat serbe a eu d’autres occupations qu’investir dans une fédération de la couture. D’où, première surprise : des spots de pub avant chaque défilé. Entre les shows, deuxième étonnement, le cocktail (bière ou jus de fruit) est payant. Mieux encore, à part les invités du premier rang, les spectateurs ont acheté leur place. Une autre ambiance, donc, que les parades au Carrousel du Louvre. Standard guest star Ce qu’il y a de bien quand on va loin, c’est que nous sommes, journalistes étrangers, les chouchous des organisateurs. Au nombre de quatre, choyés comme des Anna Wintour, homologues français et espagnols ont été reçus en invités de grande marque. Posant aux côtés des stars serbes : la gagnante de l’Eurovision, mais surtout le tennisman Novak Djokovic – 3e joueur mondial à l’ATP – et l’actrice Mirjana Karanovic – Papa est en voyage d’affaires* de Kusturica, Palme d’Or 1985, et Sarajevo, mon amour de Jasmila Zbanic, Ours d’Or 2006 ; et quotidiennement interviewés pour les « Fashion week reviews » de la télévision nationale. Personne, sur place, n’aurait songé, nous voyant ainsi accompagnés et encadrés, que nous étions d’humbles représentants de H magazine (très bon 160—
gratuit barcelonais) et Standard (somme toute encore intimiste). Les défilés ne débutant là-bas qu’en fin de journée, les RP dépêchés étendent leur programme à des rencontres plus ou moins surprenantes. Ainsi firent-ils appel à une traductrice pour nous aider à trinquer au rakija (le raki local) dès 12h30 avec Peak Neskovic, artiste « new dandy » que ses 80 ans n’empêchent ni de se déguiser, ni de dessiner d’extra risibles lunettes. Ainsi firent-ils en sorte que nous nous retrouvions à admirer Bogomir Doringer, beau gosse surgi d’entre les pages de Dostoïevski et s’apprêtant à devenir une star. Revenu de ses études à Amsterdam pour exposer un honorable travail photographique sur les murs froids des palais et une vidéo (s’échinant à reproduire une étrangeté désuète), utilisée en clip officiel de la BFW, Bogomir aime parler de son travail. Tout au moins aura-t-on retenu de son flot volubile que le titre de son exposition Risjk, signifie « royaume, richesse et monde ». Fiertés enfouies La rumeur et les gestes nocturnes maquent certains de nos amis-de-deux-jours avec des garçons, mais ici, mieux vaut cacher ses préférences tant les homos sont encore mal considérés. Depuis qu’en 2004 la Gay Pride a fini dans le sang, le pays ne tente plus vraiment de s’affranchir de ces hontes que l’Ouest européen a transformé en fierté. Les fiertés belgradoises sont enfouies sous le goût de la liberté, la force de l’indépendance et la chaleur de la fête. Les chants populaires, les regrets du Kosovo, les questions concernant notre avis sur leur pays : tout ce qui sort de la bouche de nos voisins de table (on monte facilement dessus) et de taxi (on monte facilement devant) est un fluide aussi apaisant qu’une lave au repos. La prochaine éruption des volcans slaves sera celle de l’ouverture. Et la mode ? Locomotive des jeunes créateurs serbes, Slobodan Mihajlovic, 32 ans, de retour au pays après quatre ans à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers (la même
école que Martin Margiela, Bernhard Willhelm, Walter van Beirendonck), habille Jeff Mills et Róisín Murphy, la chanteuse de Moloko. En vente à Paris chez Maria Louisa, ses vêtements (au devant desquels le tricot et la broderie se chamaillent les détails) sont inspirés des costumes antiques, un univers d’héroïnes pour grands enfants, parmi lesquels cet ancien assistant de Roberto Cavalli se compte. Pourtant conquis par nos hôtes et leurs démarches – « Tous les débuts sont difficiles, l’avenir nous dira si, dans la continuité de quinze ans de shows, la mode a sa place à Belgrade », témoigne Nenad Radujevic, fondateur de la fashion week et du magazine Faar –, difficile de se faire un avis sur les défilés. Les créateurs serbes semblent être à la couture ce que les offices de tourisme suisses sont à l’hospitalité : pleins d’entrain mais hors du train. Ou alors si, mais dans le dernier wagon, celui qui s’accroche dans les virages, qu’on observe de devant quand ça tourne. Un wagon bienvenu parce que plus on est à voyager, plus il y a de chances de trouver des gens intéressants à l’arrivée. Nous raccompagnant et claquant la portière avant de retourner dîner avec ses compatriotes – pohovano povrce
(viande plate, grillée mais pas cuite à l’intérieur) et cevapcici (viande en forme de doigts, grillée aussi mais pas cuite non plus) – jusqu’au petit matin un mardi, Nenad justifie la longueur des nuits : « On sait ce qu’est la peur, alors dormir ne nous intéresse plus tellement. » Le quartier que nous quittons a été longtemps déchiré entre les Turcs et les Autrichiens, puis cible privilégiée des terroristes. De ces côtes ensablées de la Sava, le taxi nous ramène à l’hôtel, trois heures avant celui qui nous emmènera à l’aéroport. Chargés de l’énergie de ceux qui ont grandi sur des débris et qui savent que l’avenir compte sur eux. — Texte et Photographies Magali Aubert (à Belgrade) * Réédition exclusive en copie neuve, sortie le 5 décembre. (01 42 77 01 24) belgradefashionweek.com myspace.com/slobodanmihajlovic Art ! myspace.com/bogomirdoringer www.o3.co.yu
Mode Sélection
VEAU D’OR
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Art Goodbye Lénine
LE COMMUNISME SOLUBLEDANSL’ART ? Cent cinquante œuvres liées au Sots Art, mouvement subversif né dans les années 70, ont fait le voyage de Russie pour une exposition à La Maison Rouge, qui n’a jamais aussi bien porté son nom.
Leonid Sokov, Staline et Monroe, 1991, Courtesy Galerie Tretiakov, Moscou
SOTS ART
Art politique en Russie de 1972 à aujourd’hui
A La Maison Rouge jusqu’au 21 janvier www.lamaisonrouge.org
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Lénine et Staline ? Non, un Double Autoportrait de Vitaly Komar et Alexandre Melamid, peint en 1973, où les fondateurs du mouvement Sots Art se représentent en profil de médaille, à la manière des portraits officiels. Première utilisation d’une longue série des symboles de la propagande soviétique qui, vidés de leur substance, deviennent les emblèmes d’une autre revendication : le droit à une relation véritable avec le public. En 1930, la politique culturelle russe se résumait à ceci : période de vaches maigres ? Peignons des grosses vaches. Ces artistes-là veulent la liberté enlevée à ceux du réalisme socialisme. Art engagé ? Les artistes s’attachent à montrer l’envers d’une politique et d’un parti, quitte à jouer avec des clichés, comme dans cette œuvre d'Ilya et Emilia Kabalov de 2005. La Tribune du congrès du Parti cache une quantité impressionnante de bouteilles d’alcools forts... vides ! L’ivresse du pouvoir… Ils pointent également du doigt les contradictions du modèle soviétique qui veut vivre en autarcie tout en se lançant dans une course à l’espace et aux armements avec son ennemi. Alexandre Kosolapov invente le McLenin en 1999, une enseigne lumineuse, et rêve d’installer son Lenin Coca Cola (1980)à Times Square. En 1985, Leonid Sokov peint à la manière d’une icône Staline et Monroe. Le spectateur est invité à réagir, appelé à aider Hitler et Staline (Leonid Sokov, 1983) à donner des coups de marteau sur une planète Terre déjà bien ratatinée ; ou éditer des tracts à caractère politique grâce à La Presse à imprimer d’Alexandre Sokolov (1993). Moqueries envers le régime à laquelle vient s’ajouter la caricature de la faucille et du marteau, du point-levémanches-retroussées, des décorations militaires, de la monumentalité, des étoiles rouges… A force, la rétine du regardeur se laisse piéger par tous ces signes et irait jusqu’à adhérer aux thèses marxistes au premier degré. C’est toute la subtilité de ce mouvement qui sait créer une douce tension entre sérieux et dérision. Cette exposition interroge également « l’écho du Sots Art dans la création contemporaine ». Car la date de naissance de ce mouvement n’est pas anodine. Les années 70-80 sont une période de doute, de crise économique. Mais en 2007 ? Quel peut être le propos d’artistes vivant dans l’actuelle Russie ? Comme leurs aînés, une prise de distance avec le pouvoir. Toutes les œuvres n’ont d’ailleurs pas passé la frontière, retenues par l’Agence fédérale russe pour la culture. Une mauvaise surprise de dernière minute qui n’empêche pas l’exposition d’être dense et très réussie. Et qui fait d’autant plus sens dans une Russie qui se ferme tous les jours un peu plus. — Marine-Emilie Gauthier
Art Exposition
APOCALYPSEKETCHUP Quand Paul McCarthy, 62 ans, s’installe au musée, il ne le fait pas en douceur. C’est au tour du SMAK, le musée d’art contemporain de Gand, mutilé avec rage, de se présenter tel un champ de bataille. Paul McCarthy
Head Shop/Shop Head, Works 1966-2006
Au SMAK à Gand (Belgique), jusqu’au 17 février www.smak.be
Le Pirate Project, installation inspirée d’une attraction de Disneyland (qui inspira elle-même le film Pirates des Caraïbes) ouvre les hostilités. C’est l’invasion d’un village mis en scène dans une performance burlesque et brutale, ou encore un immense bateau en fibre de verre submergé par une multitude de projections vidéo plus oppressantes les unes que les autres. McCarthy montre, de façon allégorique, tout ce qui pirate les yeux, les désirs, la vie, comme la violence, le porno omniprésent… tous les excès et abus de la société de consommation, en insistant sur les figures populaires américaines, puisqu’il est américain. Ainsi en prennent pour leur grade les Mickey, Michael Jackson, Bush et les séries TV pleines de bons sentiments. Ces idoles sont sublimées par l’utilisation de têtes carnavalesques ou de masques derrière lesquels toutes les transgressions sont possibles. Le nez grotesque devient une prolongation libidinale, incarnant également un reste pathétique d’intuition face au surplus d’une civilisation occidentale qui étouffe. Le seul et dernier radar qui reste à l’homme pour ressentir son humanité ? Nos laideurs individuelles McCarthy aime avaler la culture de masse pour mieux la vomir en orgie pop sur fond de ketchup, de mayonnaise, de chocolat liquide industriel, avec lequel il joue à asperger tout ce qui bouge. Parce que McCarthy n’épargne personne. À coup de vidéos projetées sur tous les murs, de bandes-son agressives aux cris étranges et inhumains, à coup de sculptures figuratives (limite kitsch) et d’installations géantes sorties de ses plus beaux cauchemars.
Caribbean Pirates, 2001-05 Courtesy de l’artiste Hauser & Wirth, Zürich/London
En insistant sur la face violente et perverse de la société, il (sur)joue des performances grand-guignolesques les plus laides et répugnantes. Et quand tout le monde s’accorde sur une beauté surréelle et formatée, il nous renvoie à nos laideurs individuelles. Malgré tout, il faut bien avouer que la fascination du monde de McCarthy est plus irrésistible que tous les « courage, fuyons » qu’on pourra proférer par temps d’apocalypse. — Charlotte Maia
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Art Dailies
SCULPTUREPHYSIQUE Rétrospective nantaise pour une des grandes stars de la scène artistique internationale : Erwin Wurm, 53 ans. L’Autrichien continue de questionner le statut des objets dans notre société, mais le travail sculptural de plus en plus classique de ses derniers travaux pourrait bien être taxé de facilité. « L’artiste qui a avalé le monde », comme il se nomme lui-même dans une sculpture-autoportrait qui donne son nom au catalogue, Erwin Wurm, au corps grossi d’un énorme globe terrestre allant du menton aux pieds, se tient un peu raide, voire constipé, au milieu de la pièce. D’avoir englouti le monde l’embarrasse au point de perdre l’usage de ses membres. Cette digestion difficile contrebalance l’image poétique du titre, où l’acte vorace sous-entend une compréhension globale de notre société. Cette posture de l’artiste le présente handicapé par l’objet-monde qui l’habite, un trop-plein qui le rend inadapté. Allongez-vous sur des oranges, ou remplissez les orifices de votre visage d’un outil de bureau et vous voilà transformé en une sculpture d’Erwin Wurm. Cet Autrichien questionne le quotidien, comme s’il ne connaissait pas la place des choses et de son corps. L’usuel devient le lieu d’une prospection sculpturale où chaque élément est utilisé pour des fonctions impropres. Dans le protocole des one-minute sculptures, le corps humain, exploité pour ses capacités de résistance et de souplesse, au même titre que n’importe quel objet, tente de trouver un point d’équilibre avec différents éléments pour une durée déterminée. La chute inévitable déclenche éclats de rire ou malaises face à la fragilité du corps impliqué. Cette conscience de l’échec, aussi bien source de la comédie que de la tragédie, donne toute sa tension à la proposition et fait entrer une part sensible dans une proposition sculpturale minimale. La notion de sculpture devient éphémère, uniquement attestée par la photographie. Cet échec de la pérennité souligne le statut très particulier des objets de consommation impliqués. Notre société ne construit non plus pour durer mais pour consommer et ce jeu de sculpture à faire soi-même place l’homme au sein de ce système précaire qu’il s’est aménagé.
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Des objets gourmands... L’utilisation absurde et décalée des objets est aussi la marque d’une société capitaliste qui ne sait plus quoi faire de sa production. La Fat house ou la Fat car, une maison et une voiture gonflées au point de perdre leurs fonctionnalités, sont reflet d’une surconsommation, où la nécessité a cédé le pas à la surenchère de possession et de faire-valoir. L’aspect anthropomorphique donné à ces objets caractéristiques d’une position sociale marque cette place où l’objet possédé nous raconte et même nous remplace. Devenus des objets nécessiteux et gourmands, nous génèrons nos propres besoins et envies. C’est en même temps un travail de sculpteur qui, à la suite du minimalisme des premières propositions, poursuit un travail plus proche du biomorphisme. La forme explosée remplit littéralement l’espace d’exposition, véritable sculpture physique. ... avalant l'homme Son œuvre transforme les statuts en proposant de nouvelles hiérarchies. Dans l’historique de l’œuvre de Wurm, au début il y avait les hommes et les objets qui partageaient une place dans un monde désincarné, sans place déterminée. Puis les objets ont pris tellement de place qu’ils ont avalé l’homme et ses désirs. Leur importance les a rendus capricieux et omniprésents. Et là seulement l’artiste construit des pièces uniques. Dans cette farce tragique, l’homme a perdu sa place dans le monde au profit des objets. Depuis quelques années, Erwin Wurm poursuit son œuvre en détournant les moyens de locomotion. Comme dotés de désirs propres, une voiture, un bateau ou un camion s’animent d’une volonté qui transforme leurs caractéristiques physiques pour assouvir une envie. Un voilier blanc et bleu, posé sur le quai d’un estuaire, se tord en un mouvement souple comme prêt à plonger dans le canal de la Martinière, à proximité de Nantes. Animé d’une pulsion, le bateau nous révèle son « âme »
Erwin Wurm Le Lieu unique, scène nationale de Nantes Du 16 décembre au 16 mars www.lelieuunique.com Ci-contre One Minute Sculpture, 1997 Ci-dessous Misconceivable, 2007
dans ce geste naturel qui anime son corps pour rejoindre l’eau. Cette inversion du statut est cette fois-ci dans la relation objet-sujet. L’ennui de la fable, c’est sa morale trop prévisible. Erwin Wurm manque un peu de fantaisie dans le développement de son œuvre, c’est que son système a la logique d’une démonstration philosophique. Ses fascinantes premières propositions sculpturales, qui repensaient la sculpture, notamment par rapport
aux minimalistes avec une touche sensible qui lui était propre, ont cédé la place à une sculpture plus illustrative. Cependant, malgré la déception des derniers travaux, l’ensemble mérite le détour pour la poésie absurde qui s’en dégage et pour la scène ouverte où sont jouées les one-minute sculptures, qui renouvellent constamment le lieu d’exposition. — Patricia Maincent
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Art Dailies
MURSMÛRS L’invitation est claire, c’est dans toute la ville de Mouans-Sartoux : on visite l’exposition de l’espace de l’Art concret, hors les murs. Une volonté ici pertinente, puisqu’il s’agit de réfléchir la notion de territoire. Le territoire évolue, change d’échelle. Ce sont de nouvelles forces qui l’englobent désormais : l’information, la finance, l’économie, les populations… Autant de notions qui sont aussi caractérisées par des flux que la vitesse, la quantité et le débit viennent décrire. On fait le mur… convoque également le multimédia, dont sa virtualité gêne les aspects prosaïques du territoire. C’est au regard de l’art conceptuel que Jean-Marc Avrilla, commissaire de cette exposition et directeur de l’EAC, met en scène cette réflexion. Vingt-trois artistes sont invités à penser le territoire dans ce qu’il peut, encore, générer. Vaste champ d’étude polysémiques qui se résume difficilement. Notons les pratiques conceptuelles qui résonnent merveilleusement dans le travail de Christoph Weber : des moulages en cire de surfaces murales sont repliés en cubes, distordant ainsi le langage de la représentation. Les aspérités ou reliefs de ces habituelles séparations architecturales se retrouvent magnifiés à nos pieds, contemplés… Une œuvre qui rend aux enjeux conceptuels une sensibilité débordante. On fait le mur… retrace également le travail de l’illustre Space Invader, envahissant la Côte d’Azur de ses effigies mosaïquées. L’occupation du territoire est ici le fait d’un système élaboré d’indexations qui permet cette transposition du virtuel (le jeu vidéo) vers un espace physique. Une stratégie d’occupation se mue alors en sculpture. Il s’agit ainsi, tour à tour, de langage, de représentation, de glissement d’un espace vers un autre. On revient
AGENDA Douce France Olga Kisseleva Abbaye de Maubuisson, Saint Ouen l’Aumône valdoise.fr Jusqu'au 25 février
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également à des enjeux plus « traditionnels » de l’art conceptuel, avec les questions de la place des œuvres au sein d’une société : mobilité, légitimité, mais aussi mémoire. C’est aussi ce que Jean-Marc Avrilla questionne pertinemment par la forme de son exposition, autant que son titre… Au-delà de l’actualité de l’EAC, le dynamisme hérité du donateur Gottfried Honegger varie autour de la riche collection d’art concret (une visite s’impose à la donation) : une succession d’expositions temporaires est l’occasion d’actualiser les enjeux qu’il convoque, mais aussi de s’aventurer hors de ses frontières. La scénographie originale de cette exposition offre par ailleurs l’opportunité de découvrir Mouans-Sartoux plus intimement. Car, outre l’espace de l’Art concret, dont les jardins sont aménagés par Gilles Clément, on appréciera au gré du parcours les quelques perles architecturales de Barani, Hodebert, Gazeau, Fauroux et Gigon & Guyer, également concepteurs dudit lieu. Un dynamisme qu’on retrouve donc dans toute la ville. A 10 km au Nord de Cannes, dix mille habitants profitent ainsi de leur médiathèque, de leur cinéma, de l’excellent festival du livre, de ses quelques brillantes constructions. Mouans-Sartoux parvient à concentrer une quantité impressionnante d’événements culturels. Est-ce pour cela qu’André Aschieri justifie sans trop de difficultés son mandat reconduit depuis plus de 30 ans ? — Pierre-Yves Bronsart
Art Qui voir ? Où ça ? Mais quand ?
The Third Mind Carte blanche à Ugo Rondinone Palais de Tokyo, Paris palaisdetokyo.fr Jusqu'au 3 janvier
Philippe Ramette Domaine de Chamarande chamarande. essonne.fr Jusqu'au 3 février
Under My Skin Video-show Galerie Magda Danysz, Paris magda-gallery.com Du 12 janvier au 9 février
Joie de construction Photographies Galerie GanaBeraubourg, Paris peepingtomgalerie.com Du 21 décembre au 12 janvier
Christoph Weber, Objets externes, 2005-2007 Cire, pigments. Dimensions variables Courtesy Galery Jocelyn Wolff
On fait le mur… Espace de l’Art concret, Mouans-Sartoux www.espacedelartconcret.fr Jusqu’au 6 janvier
Vue de la donation Albers-Honegger Annette Gigon et Mike Guyer, 2004 (photo Serge Demailly)
Kelley Walker Magasin, Grenoble magasin-cnac.fr Jusqu'au 6 janvier
Pleins phares Seduced L’art contemporain Art & Sexe, et l’automobile de l’antiquité Cité de l’automobile, à nos jours Mulhouse Barbican Centre, collection-schlumpf.com Londres Jusqu'au 31 janvier barbican.org.uk Jusqu'au 27 janvier
The Unilever Series: Doris Salcedo Tate Modern, Londres tate.org.uk Jusqu'au 6 avril
Andreas Gursky KunstMuseum, Bâle kunstmuseumbasel.ch Jusqu'au 24 février
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Médias Les meilleurs d’entre nous
L’INCORRUPTIBLE Depuis l’arrivée du nouveau locataire de l’Elysée, la connivence entre le pouvoir et nos médias paraît sujet de plaisanterie populaire. Pourtant, des pros, des costauds, proches d’un idéal d’indépendance, honnêtes, impertinents, rieurs, avec du style et du sang-froid, ils en restent. Premier challenger d’une série d’entretiens nécessaires sur les pratiques journalistiques : Denis Robert, 49 ans, enquêteur, romancier, ancien de Libé, 22 procès sur le dos, révélateur de l’affaire Clearstream et prolixe adversaire des vendus de tous bords. Partagez-vous cette impression de défiance des Français vis-à-vis de leurs journalistes ? Denis Robert : Non, car je connais le système de l’intérieur et je sais que certains journalistes essaient vraiment de faire leur travail. Maintenant, effectivement, il y a un constat d’obéissance, ainsi qu’une longue et inexorable dérive, qui tient à une trop grande concentration du pouvoir – les propriétaires des grands médias se comptant sur les doigts d’une main – et au fait qu’il n’y ait plus vraiment de presse indépendante, à part Le Canard Enchaîné, éventuellement Marianne. Les journalistes ont du mal à s’en émanciper de l’arrogance de Sarkozy et ses proches, et. Dernier exemple : l’affaire des dix-sept millions d’euros qui auraient été détournés par le président de l’Union patronale de la métallurgie est absolument sous-traitée. Ce trafic d’influences devrait faire l’ouverture de tous les journaux de 20h, au lieu de ça, on trouve une sorte de fatalité, d’acceptation générale, qui tient, je crois, au renoncement de la plupart des journalistes.
Cantat, etc. Il y a une méprise de la part de l’équipe dirigeante : on achète d’abord les journaux pour les informations originales ; les commentaires, les grands débats, viennent après. S’ils veulent s’en sortir, il faut sortir des affaires, investir l’investigation.
Quels médias consultez-vous ? Je suis beaucoup sur le Net. Le matin, je surfe sur plusieurs sites, Rue89, Libé, le Nouvel Obs, Rezo, Bakchich, à peu près tous les jours. Je suis abonné à tous les hebdos, Le Point, L’Express, Le Nouvel Obs, j’achète Libé un jour sur deux, parfois Paris-Match.
D’où vient-il ? Le noyau dur, ce sont des personnes aussi diverses que des amis peintres, des dessinateurs, un réalisateur, un professeur de sociologie, un directeur de MJC ou un pote qui travaille à la Poste. Fin 2006, un peu avant ma mise en examen ignoble, mes copains ont vu que Clearstream, l'enquête était interdit – retiré de la vente par paquets et dans le silence le lendemain de sa sortie – et que Le Monde, Libé et Le Figaro publiaient des papiers assez dégueulasses sur moi, en expliquant que j’étais juge et partie, un Machiavel, sous-entendant même que c’était moi le corbeau de l’affaire. Le comité a lancé beaucoup d’actions, d’abord des dons puis des manifestations à la Cigale ou ailleurs. A chaque fois, c’est
Content de la nouvelle formule de Libération ? Pas tellement. Sur le coup, je trouvais que ça l’aérait, c’est devenu un journal de commentaires plus que d’informations. C’est normal, ils ne sont plus que 80 alors qu'ils étaient 200 en 1995. Le type qui fait les enquêtes, Renaud Lecadre, est tout seul pour s’occuper de Clearstream, des scandales du patronat, de Bertrand 170—
De quoi vivez-vous aujourd’hui ? Le succès de vos ouvrages suffit-il à payer vos frais judiciaires ? Je ne vis que de mes droits d'auteur, je gagne bien ma vie, à peu près 100 000 euros par an. C’est une moyenne : en 1996, quand Pendant les affaires, les affaires continuent ou La Justice et le Chaos se vendent à 100 000 exemplaires, ça me rapporte entre 150 000 et 200 000 euros. L’année suivante, vendant moins, je ne gagne que 20 000 ou 30 000 euros. En 2006, j’ai écrit cinq bouquins et fait une exposition de peintures, ce qui fait qu’en 2007, je ne publie rien. J’ai passé la moitié de mon temps à me défendre. Aujourd’hui, c’est moi qui suis attaqué, je ne suis pas agressif envers Clearstream ou le groupe Fortis. Ce qui me sauve, c’est le comité de soutien.
une victoire de la démocratie. Si mes amis ne s’étaient pas mobilisés, je serais dans une situation beaucoup plus critique. Au moins je peux m’exprimer, encore. Dès que je dis des choses fortes sur Clearstream, des plaintes sont déposées. Je gagne souvent, mais sans eux, je ne m’en sortirais pas, financièrement des marathons judiciaires. En ce moment, les justices luxembourgeoise et française me réclament 100 000 euros pour diffamations supposées, et j’ai été condamné à verser 8000 euros pour une interview que je n’ai jamais donné à VSD. Se battre est assez harassant. J’aurai des procès jusqu’en 2013 minimum. Mais, bon, je garde le moral, je ne regrette rien et si c’était à refaire, je referais absolument pareil. Ce n’est parce qu’il y a davantage de dégonflés qui courbent l’échine que moi, je dois céder. Dans les médias, sur qui pouvez-vous compter ? Sur le site jesoutiens.blogspot.com, presque 500 journalistes ont envoyé une photo de leur carte de presse, souvent de la presse locale, spécialisée, ou alors quelques individualités de Libé, Match, des Inrockuptibles, France 3, Inter. La presse d’où je viens me soutient assez peu. Libé me prend avec des pincettes, Le Monde, n’en parlons pas – heureusement que Colombani et Plenel ont dégagé. Ces gens-là me présentent comme un romancier, certains me donnent des leçons. Car je ne suis pas un journaliste d’investigation au sens où ils le sont. Je ne fais pas commerce de procès-verbaux d’instruction, je ne drague pas dans les couloirs des tribunaux. Aujourd’hui, je me suis rendu compte que la fiction est sans doute le meilleur moyen de dire le réel. Je me suis peut-être trompé sur des détails, pas sur l’essentiel : la liste des comptes, leurs ouvertures dans des paradis fiscaux, l’effacement de traces de transactions, tout ça, je l’ai prouvé, les tribunaux m’ont donné raison.
Ecrirez-vous encore pour des rédactions, ou vous considérez-vous auteur ? Je suis écrivain. Depuis douze ans. Pour les journaux, j’ai fait un grand papier pour L’Equipe Magazine cet été. Le reste, j’ai pas envie : j’ai envoyé des « rebonds » à Libé qui m’ont été refusés. Pareil au Monde. Pourtant, quand certains textes de mon blog sont repris par Yahoo et AgoraVox, je reçois une centaine de réactions. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’expérience Clearstream me donne de l’énergie. Comment avez-vous appris ce métier ? J’étais destiné à la psychosociologie puis il y a eu rupture : j’ai décidé d’être plus un acteur qu’un interprète de la société. Il y a eu des lectures, aussi : Truman Capote, Albert Londres, Zola. Puis des rencontres. La première, c’est sûrement Jean-François Bizot, qui m’appelle chez mes parents pour venir à Actuel. Puis à Libé je rencontre Lionel Duroy qui me présente Bernard Barrault, mon premier éditeur. Ensuite Laurent Beccaria, l’éditeur de mes gros essais. Je passe pour une espèce d’icône, alors que je n’ai fait que refuser d’écrire à contrecœur. Mon indépendance avant tout : c’est pour ça que j’ai quitté Libé. Quelle vision en aviez-vous en démarrant ? Au départ, ce qui me fascinait, c’était les journalistes voyageurs. J’avais les bouquins de l’écrivain polonais Ryszard Kapuscinski, comme Ebène, sur l’Afrique [1998]. Puis, dans les années 80, à Libé, après les faits divers, j’ai compris qu’il fallait mettre la plume dans la plaie : la corruption, le trafic d’influence, la démocratie malade, les principaux partis politiques et leurs comptes en Suisse ou au Luxembourg. J’ai voulu dénoncer, puis, en 1996, j’ai créé [avec sept magistrats] « l’Appel de Genève » [espace judiciaire européen luttant contre le crime financier]. Ce qui m’a fait démissionner, pour écrire des livres, dans la continuité. De Pendant les
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Médias « Je suis parti pour avoir des procès jusqu’en 2013 minimum. » Denis Robert
affaires... à Clearstream, l’enquête, je me pose toujours les mêmes questions : comment notre société peut-elle produire autant de pauvreté, et comment se fait-il que les hommes et les journalistes l’acceptent ? Optimiste ? C’est comme un biorythme. Là, on est au creux d’un truc. Internet peut booster notre manque de presse libre. Que retenez-vous de vos six mois à Actuel en 1983 ? Pourquoi si peu ? Parce qu’avec Bizot, c’était franchement le bordel. On était payés au lance-pierres et j’aimais plus l’ambiance. J’avais 22 balais, je me suis retrouvé au Palace ou à fumer des pétards dans son bureau, à écouter de la musique, j’ai tout pris à haute dose. J’avais besoin de retrouver mes amis, et le silence, aussi, de l’écriture. Et de vos douze ans à Libération entre 1983 et 1995 ? Beaucoup de plaisir. Signer de grands papiers, déclencher des démissions de ministres [Gérard Longuet, Alain Carignon, Michel Noir], être au cœur d’une actualité brûlante. Meilleurs souvenirs de reportages ? Un reportage en Afrique sur un boxeur, « l’Araignée noire », ou celui sur l’assassinat d’un militaire dans une caserne, trente feuillets, pour Rolling Stone. Et concernant les enquêtes, celle sur les finances du Parti Républicain, les mensonges de Longuet, Madelin. Il fallait tenir bon.
Quelles sont vos règles, dans ce métier ? Un journaliste, c’est quelqu’un qui doit raconter le monde, douter tout le temps de ce qu’on lui dit, rendre compte d’une vérité maltraitée et difficile à approcher. C’est quelqu’un qui doit être très fort à l’intérieur, avoir une idée très élevée de l’information, comprendre, vérifier, recouper. Les grosses infos finissent toujours par passer. C’est un métier à la fois facile (il suffit d’être curieux et un peu pugnace) et compliqué (il faut savoir résister). Quand je lis les journaux, c’est souvent des sources uniques, des renvois d’ascenseur. Faut-il lutter contre le google journalisme ? Google, c’est un bien. Comme de plus en plus de gens y ont accès, c’est de moins en moins possible de faire du pisse-copie. Je ne suis pas très inquiet. Enfin, quelle est votre opinion sur le nouveau célibataire de l’Elysée ? [Soupirant] Une éditrice m’a demandé d’écrire une lettre à Nicolas et j’y pense depuis un moment. J’ai deux trois choses nuancées à lui dire. Bon, il s’en sort plutôt bien – je pensais que ce serait pire. Après, si on enlève les effets d’annonce, on voit bien qu’il est le président des riches et des pouvoirs financiers. Il est populaire, il a réussi à exploser le PS et c’était tout ce que le PS méritait. C’aurait été Ségolène Royal, je ne suis pas sûr que la politique aurait été très différente – il n’y aurait pas cette histoire d’ADN, les impôts auraient été traités de façon plus juste, mais sinon… — Entretien Richard Gaitet Portrait Denis Mousty
«MULTICARTE, QUOI» Joue dans la pièce de théâtre d’un copain chorégraphe, Thierry Baë : Thierry Baë a disparu. Expose ses peintures à Montpellier avec Philippe Pasquier, à partir de tags des listings de Cleartream, qui furent exposées à Paris en janvier 2006, sous le titre La Banque. Rappe avec Voleurs de foule, dont il est l’auteur. Morceau téléchargé « des dizaines de milliers de fois ». Cherche un label. Au générique de Louise Michel, le prochain de film de Gustave Kervern et Benoît Delépine ; dans le rôle d’un garde 172—
de corps du milliardaire responsable de la fermeture d’une usine. Se fait descendre par l’ouvrière Yolande Moreau. Programme Une ville [2004] en série télé sur France 2, en douze épisodes d’une heure. Travaille avec un ami américain sur une autre série. Adapte La Domination du monde au cinéma. Ecrit la suite de Une ville, pour Julliard. Publie Le Lièvre absolu en mars chez Flammarion, à la fois autobiographie, enquête et essai sur la censure. S’exprime chaque jour sur ladominationdumonde.blogspot.com
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Photos Lionel GUERICOLAS
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Musique Analyse
GRAVITÉDEL’ARCENCIEL 1,2 million d’internautes se sont procuré In Rainbows, le septième album de Radiohead pour le moment uniquement disponible en ligne. Leur plus poétique ? Le problème de la chanson engagée, c’est que, la plupart du temps, elle parle politique sans en faire. Elle nous enrobe de belles paroles militantes pour mieux nous payer en monnaie de singe. Radiohead a durablement souffert de cette situation : exprimant une émotion qui part de l’opposition à son époque, et tout d’abord sous l’angle de la dépression comme état naturel de l’homme contemporain (leurs deux premiers albums). A partir de OK Computer (1997), ses membres n’ont cessé de chercher des alternatives à cette situation, des soins qui soient poétiques et politiques, même si, en fin de compte, ils échouaient toujours, ou disaient échouer et achevaient leurs épopées sur une note pessimiste (« Cheap sex and sad films / Help me get (back) where I belong / I will see you in the next life / Beautiful angel », sur Motion Picture Soundtrack). La mutation, les noces de l’homme et de la machine, faisant déraper les deux vers l’inconnu, étaient au cœur de Kid A (2000) et de Amnesiac (2001). Sur Hail To The Thief (2003), suite à l’accélération de la catastrophe présente et ses dommages en termes de vies humaines, Radiohead a préféré compenser la lenteur de l’expérimentation par la rapidité de l’exécution ; témoin l’urgence qui traverse tout le disque, de 2+2=5 à A Wolf At The Door (peut-être leur plus belle chanson). Avec In Rainbows, il semble que Radiohead passe par une nouvelle transition, ce qui fait du disque un petit frère de OK Computer, soit un album tourné à la fois vers ce que le groupe a été et vers ce qu’il pourrait être. Ce qu’il a été : un groupe à la fois extrêmement inventif et terriblement autodépréciatif (« How come I end up where I started / How come I end up where I went wrong »). Ce qu’il pourrait être : une arme efficace pour sortir d’un état apathique, comme sur Faust Arp ou Videotape, un vecteur d’autorisations, qui marie la responsabilité (politique, écologique, économique) à l’énergie sauvage du guerrier : « No matter what happens now / I wont be afraid / Because I know today has been / The most perfect day I’ve ever seen »
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De Pynchon à Rimbaud Une des inspirations principales du disque est le dernier roman de J. G. Ballard, Que notre règne arrive (2006, voir entretien, Standard n°16). Mais on pense évidemment au Gravity’s Rainbow de Thomas Pynchon (1973), toujours aussi pertinent dans sa vision d’une destruction intégrale de l’espèce humaine – l’avènement du posthumain, thème constant de Radiohead, « I’m trapped in this body and can’t get out » – comme le développement de la « Zone », où habitent tous les exclus de l’Histoire. Pynchon y anticipait l’espace du Web, dans lequel désormais Radiohead a décidé de s’installer : cette zone grise du mp3 que l’on peut télécharger en donnant ce que leur cœur vous dit, ma bonne dame. Alors que le grand roman de Pynchon échoue dans un cinéma tentaculaire, « l’Orpheus Theatre », où Nixon s’apprête à lâcher l’ultime fusée-bombe, faisant le grand saut et fondant sur la planète avec la violence technologique d’un ange exterminateur, Thom Yorke, ange à l’envers, achève le disque en chantant I’ll hit the bottom and escape – ce qui rappelle également Rimbaud (« J’ai eu raison dans tous mes dédains : puisque je m’évade ! »), dont la première illumination commence, on s’en souvient, par la prière d’un lièvre à l’arc-enciel : « Aussitôt après que l’idée du déluge se fut rassise ». In Rainbows accentue encore davantage le côté « groupe de transition » de Radiohead : ils sont « dans l’arc-enciel ». Ce qu’il y a de l’autre côté, nous ne le savons pas encore. Son auditeur serait l’idéal barbare au grand cœur, le pirate à l’âme noble qui conduirait l’arche de notre époque déprimante, égocentrique et malveillante, jusqu’aux vertes vallées de la suivante, dont les trois maîtres mots seront : curiosité, désintéressement et bienveillance. — Texte Pacôme Thiellement Illustration Sylvain Cabot & Thomas Dircks
RADIOHEAD In Rainbows Disponible sur inrainbows.com et bientôt distribué par XL/Beggars
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Musique Les jeunes pousses en poussent une
«LESPROBABILITÉSSONT CONTRENOUS!» Perpétuellement en concert, Yacht, soit l’Américain Jona Bechtolt, 27 ans, multiplie les projets (The Blow), les collaborations (Boobby Birdman, Devendra Banhart, The Microphones) ou les remixes (Architecture In Helsinki, Tussle, Lucky Dragon). Prenant toute la lumière avec la pop électronique pétillante de I Believe In You. Your Magic Is Real, ça chauffe un peu. Depuis quand ne jouez-vous plus dans votre cave ? Jona Bechtolt : J’ai commencé la batterie dans un groupe punk avec mon frère, à 13 ans. On est parti en tournée à travers les Etats-Unis l’année d’après. J’ai arrêté les petits concerts, par exemple en appartement, mais je continue de chercher les lieux les plus inhabituels. Je prévois une tournée des endroits bizarres aux USA pour 2008. Je veux sortir Yacht des clubs rock. Donnez-nous une raison de penser que vous serez encore là l’an prochain. Donnez-moi une bonne raison de croire que qui que ce soit sera là l’an prochain ! Les probabilités sont contre nous ! Nous allons tous, les uns et les autres, fondre dans la chaleur du soleil ou devenir trop dépressifs pour bouger ! Est-ce que Standard sera là l’an prochain ? Estce que notre planète sera encore là ? En tout cas, Yacht sera là jusqu’à la fin de ma vie, tant que ça restera fun. Avec un million d’autres projets. Vous pensez produire combien de disques ? Les disques sont morts ! Je vais produire des tonnes et des tonnes de vinyles, de supports numériques et toutes
sortes d’objets artistiques. Je m’attèle à un livre et deux DVD’s pour l’année prochaine. Qu’allez-vous faire ensuite ? Mourir. Qu’est-ce qui vous fait croire que vous êtes original ? Sérieusement ? Tout le monde n’a-t-il pas envie d’être original ? Chacun des milliers de groupes de rock garage se croit différent. C’est faux la plupart du temps, mais je doute que ce soit à cause d’une recherche consciente de la banalité. On vous a déjà confondu avec un autre groupe ? Mes cheveux sont plus longs que d’habitude, et plusieurs personnes m’ont confondu avec Mika récemment, dans la rue. Musicalement, je n’ai jamais été confondu qu’avec Yacht. — Entretien Guillaume Leroyer
YACHT I Believe In You & Your Magic Is Real
Mariage Records
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DISQUES
Musique Chroniques
VAMPIRE WEEKEND Demos XL / Beggars Banquet
Vampire Weekend n’est pas un widget de Facebook. Oscillant entre miracle de la globalisation et naïveté charmante, c’est un peu Tintin qui fait du rock au Congo. Sensation montante américaine, les suceurs de sang éclatent le cadre et convoquent Talking Heads en Jamaïque, Fela à Brooklyn et hybrident tout azimuts, façon Architecture in Soweto, laissant la blogosphère en émoi. Rock fruité d’un Paul Simon génétiquement modifié, la musique de Vampire Weekend sonne vrai. Ezra Koenig, Rostam Batmanglij, Chris Tomson and Chris Baio, quatre garçons échevelés, se sont rencontrés à l’université de Columbia. Ils n’ont pour l’instant qu’une poignée de démos et de rares concerts à offrir, mais tout laisse supposer un rendezvous important : l’album est annoncé pour février. — Jean Soibon
GRIZZLY BEAR Friend EP Warp
THE DAGONS
Reverse Blow The Fuse Records / Griptape Peu connus de ce côté-ci de l’Atlantique, les Californiens Karie Jacobson (voix, guitares) et Drew Kowalski (batterie, sitar, claviers) cosignent un quatrième album sobrement intitulé Reverse. Les amateurs de H.P. Lovecraft auront noté l’hommage au maître de la littérature fantastique. Dagon fait référence à une ancienne abomination sous-marine du Mythe de Chtulu, ainsi qu’à un important dieu des populations sémitiques du nord-ouest de l’Amérique. Par le troisième œil de Crowley, le ton est donné ! Mysticisme, onirisme, sonorités hypnotiques et poisseuses se partagent la vedette dans ce barnum bizarre. Karie s’inspire librement de ses rêves pour la majorité des textes et des mélodies. Au centre de Reverse, la fascination du couple pour l’océan. Si on n’échappe pas à quelques tics rock US et un clin d’œil appuyé à Sonic Youth, le duo joue la carte d’un surf-punk-garage des plus réussis. Reverse navigue en eaux troubles et suggère un sentiment d’étrangeté tout au long de la traversée de ses plages, grâce au décalage entre la voix quasi enfantine de Karie et la noirceur du garage. Version destroy du chant des Sirènes, The Dagons garde le cap. — Arnaud Ducome
DIRTY PROJECTORS Rise Above Rough Trade Nous vous parlions précédemment, avec espoir et gourmandise, de Grizzly Bear, Dirty Projectors et Beirut (voir entretien p. 42). Et voici qu’une interjection sonore rend justice à nos repérages, comme une réponse inattendue à une requête jamais vraiment formulée : nos compères sur un seul et même morceau, à l’occasion de Friends, le nouvel EP du Grizzly. Une rencontre au sommet au relief très contrasté, dévalant les cimes sucrées des envolées vocales du Grand Ours, se frottant aux évanescentes retenues pierreuses de David Longstrenght (Dirty Projectors), jusqu’aux plaines assagies et grasses du pavillon cuivré d’un Beirut trompettiste. Pour le remaniement dream team d’un des tout premiers titres de Grizzly Bear (tiré de Horn of Plenty), voyage épique, ouvrant ces dix nouveaux titres composés de reprises (CSS, Band of Horses, Deerhunter), remixes (Nonhors) et versions alternatives (par un Daniel Rossen très en forme). Pendant ce temps, Dirty Projectors dévoile comme prévu Rise Above, stupéfiant projet de reprises intuitives de Black Flag, relecture de punk hardcore à la transe rugueuse d’un afro-Prokofiev à la voix de Prince. Moins digeste, mais franchement savoureux. — J. S.
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DISQUES WELCOME Sirs Fat Cat
Basé à Seattle, Welcome aura pris son temps. Malgré une instabilité chronique, le groupe se développe depuis 1993 et survit de façon débonnaire au milieu des autres projets de membres qui n’arrêtent pas d’aller et venir. Et puis soudain, en 2005, Welcome accouche en un week-end de l’étourdissant Sirs. Franchement spontané et plutôt frais, Sirs fleure bon le salpêtre des caves rock’n’roll américaines. Entre pop sixties gentiment idéaliste et avant-rock américain déviant, les chansons de Welcome enluminent. Disponibles sur le label Fat Cat, ces petits moments de béatitude pop relient à gros traits des pans entiers de nos panthéons musicaux (du rock qui tape, des guitares qui grincent, des voix qui claquent et des mélodies dans la tête). En invitant le fantôme de Syd Barrett à danser avec Unwound sur les riffs des Pixies, c’est un peu comme si Deerhoof avait mangé les Beatles. De quoi remettre le cannibalisme au goût du jour. — Jean Soibon
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Musique Chroniques (suite)
M83 Digital Shades Volume 1 EMI
Pour beaucoup, dont votre humble décideur, le nouveau M83 était attendu tel le fils du charpentier. Il faudra patienter jusqu’à janvier pour découvrir le véritable successeur à Before The Dawn Heals Us, sorti en 2005. Digital Shades Volume 1 n’est pas un album, mais un projet parallèle, premier venu, comme son nom l’indique, d’une collection d’expérimentations et de plages ambiantes. M83, réduit au seul Antony Gonzales, développe 35 minutes de musique planante qui reflète un amour éthéré pour le Krautrock et Brian Eno. Et, effectivement, à l’écoute de ces dix petites perles électro pop, on pense sérieusement à Another Green World (1975). Rêve éveillé, trip sous acide, Digital Shades convoque Barrett et My Bloody Valentine au chevet de Vangelis. Elégiaque, franchement mélancolique mais surtout cinématique, ce projet sonore s’impose comme la bandeson du prochain film de Gregg Araki. Assez de superlatifs, place à l’amusegueule de luxe, 1 place la barre très haut pour l’Antibois. — Arnaud Ducome
FUGU La France Third Side / Discograph
On ne dira rien de La France, film sur la Première Guerre mondiale, avec Sylvie Testud et Pascal Grégory, signé Serge Bozon, auteur du précédent et fumeux Mods (2003). Sa BO, elle, alterne chansons de Medhi Zannad (Fugu) et compositions de Fugu with Benjamin Esdraffo. Le disque, mélange incongru et sensible d’instrumentations 1914-18 et de mélodies sixties, tient du canular : de nombreux journalistes ont cru dur comme fer à l’existence de « John Pantry », brillant mirage musical inventé par Fugu (jeune homme d’obédience Beach Boys) et Esdraffo, réalisateur et prof à la Fémis, amateur de sucreries psychédéliques certifiées 1966-68. Egalement inclus, des groupes de la compilation British Psychedelic Trip Records de See for Miles à la fin des années 80. Riche idée. — Jean-Emmanuel Dubois La France de Serge Bozon, en salles
KINGSAUCE JUPITER APPLE Uma tarde na fruteira Elefant /Abeille musique
Cocktail fruité et revigorant de tropicalisme et de pop anglo-saxonne, le binôme brésilien Jupiter (un gars) et Bibmo (une fille) dépasse l’écueil parodique. Un disque appréciable sans culture brasileira (c’est quand même le plus important) et une pochette en clin d’œil aux disques Elenco. Jupiter Apple fond dans le cortex, apporte la paix et un sourire béat, proche du vôtre quand on vous offrit, pour votre anniversaire, des poupées articulées « Mégo » de Batman et Superman. Jupiter Apple, c’est un Rosebud. « Love and bossa nova, plastic soda », chantent les pommes en pleine crise bubblegum. Mâchouillons-les. — J.-E. D.
DORIAN Postcard Imperial Bedroom
Ornée par une pochette de l’excellent Emmanuel Kerner, et adoubée par un texte d’introduction de Pierre Mikaïloff, la compilation de Dorian (label Imperial Bedroom) est extrêmement sympathique. On y retrouve les très bons Cristal Palace, Nina Bobsing (à qui on dira quand même qu’il y a une vie après la new wave), les marrants Signal Electrique, The Speak(e)rine & Dorian Gray, Frankeinsound, Underlocks and Keys et son punk primitif arty, les excellents The Painted World Steeple Remove (changez d’accords les mecs), Human Toys (du gros tatapoum à 40 ans). Et une vraie faute de goût : Alice The Goon, qu’on verrait mieux en première partie de Dionysos (et c’est déjà fait). — J.-E. D.
Cancelled Litlle Pocket Records, Import
Avec ce qu’il faut de bon et de mauvais goût, de fulgurances laides et belles en même temps, l’Américain Richard Chode cite Gilbert O’ Sullivan, Todd Rundgren, 10 CC, les Rasperies et tout un tas d’autres mignardises FM. Ce fameux middle of the road de la chanson mérite notre respect. On dirait, pour rire, que ce roi de la sauce serait DJ sur une station qui ne passerait que du Steely Dan, du Paul Williams et du Badfinger. Bouclant des histoires sur des thèmes peu visités comme The Three Stooges (comic’s US ringard des années 50), sa grandmère yiddish ou les marionnettes de la télé de son enfance. C’est bien simple, depuis que j’ai écouté ce disque, j’ai juste envie d’être un Juif américain du New Jersey vivant dans un petit pavillon de banlieue, bossant le jour dans un morne bâtiment et enregistrant la nuit sans réveiller sa femme. — J.-E. D.
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Littérature Entretien
LALANGUEDES PASTICHES Un an après Rhésus, son très remarqué premier roman, Héléna Marienské publie Le Degré suprême, recueil de pastiches parodiant quelques grands noms de la littérature. Montaigne, Pérec, Houellebecq ou Christine Angot, réunis autour d’un thème fleuri : la castration. Interview non coupé.
Pourquoi un recueil de pastiches autour de la castration ? Franchement, rien ne me prédisposait à consacrer un roman entier à la castration. Contrairement à ce que m’a assuré mon analyste, je ne me souviens pas (mais il paraît que je refoule) m’être sentie dépossédée du pénis lorsque j’ai découvert, enfant, que les garçons avaient quelque chose qui sortait et dont j’étais dépourvue. Je trouvais leur petit bidule plutôt amusant. Le Degré suprême est donc un roman à thèse (rien de moins) : le temps n’est plus où les hommes clouaient le bec aux femmes. Les femmes ont pris la parole, et ce qu’elles disent m’intéresse. Comment avez-vous procédé ? Le pastiche tel que je le conçois est la contrainte maximale. Comment surprendre tout en restant aussi fidèle que possible non seulement au style, à la syntaxe, à la musique d’un auteur, mais aussi à ce qui sous-tend son texte : ses valeurs, sa vision du monde, son imaginaire. Le but ultime, c’est de comprendre pourquoi un auteur écrit. Il faut le sonder, l’installer sur un divan et lui donner la parole. Le pastiche comme une psychanalyse sauvage. Evidemment, j’ai lu et relu les auteurs, des biographies, des interviews, des thèses, et visionné des vidéos. Ensuite : improvisation. Quel fut le plus laborieux à écrire ? Le plus amusant ? Montaigne. Il n’écrit comme personne au XVIe siècle. Son père avait exigé que tous ceux qui approchaient l’enfant s’adressent à lui en latin – nourrices comprises.
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Il tétait du Cicéron ! Le français n’était donc pas sa langue maternelle. Tallémant s’écrit tout seul, comme Angot ou Ravalec. Les plus drôles ? Pérec, pour les trouvailles auxquelles contraint le lipogramme ; Houellebecq, pour les joies de la provocation. Comment le choix des auteurs s’est-il fait ? Il fallait d’abord que le motif de la castration soit cohérent avec leur univers. Houellebecq s’est imposé : il y a une peur de l’émasculation récurrente dans ses livres. La Fontaine est assez libertin, Angot s’attache fréquemment aux scènes traumatiques, etc. L’autre impératif : que l’auteur pastiché ait de l’humour. En fait, ce n’est pas moi qui les ai choisis, ce sont eux qui se sont invités. Vous attendez-vous à des réactions des contemporains que vous parodiez ? Il me semble que l’hommage l’emporte sur l’outrage. Je vois mal Houellebecq ou Angot se fâcher tout rouge. J’espère qu’ils seront honorés de côtoyer des auteurs aussi talentueux que La Fontaine ou Pérec – mes seuls maîtres en ce monde. — Entretien Jean Perrier
Le Degré suprême de la tendresse Editions Héloïse d’Ormesson, sortie en janvier
LIVRES
Littérature Chroniques
THOMAS BRAICHET MARIE-HÉLÈNE LAFON
CONTE DE F____
LES DERNIERS INDIENS
P.O.L, 80 P., 18 euros
BUCHET CHASTEL, 13,90 euros
Conte de F____ est un livre qui se vit, un « roman » poétique qui se lit, se voit, s’écoute. Accompagné d’un CD audio, on peut : lire en continu puis écouter le CD, lire et écouter (difficile mais quand même intéressant pour les effets de court-circuit mental) ou encore écouter en premier les pistes audio puis redécouvrir l’histoire du livre. Creusant son approche synesthésique de la littérature, Thomas Braichet, notamment auteur de On va pas sortir comme ça, on va pas rentrer, élabore un conte de fées moderne. C’est l’histoire somme toute banale de Phil, dont on suit, à l’instar de Martine, les aventures quotidiennes : Phil au travail, Phil dans la rue, Phil chez lui devant la télé. Il y est question de rats d’appartement, de murs creux, d’un job de développeur/tireur photographique dans un centre commercial. Une vie heureusement sublimée par le travail métatextuel d’un auteur maniant aussi bien la PAO, pour des jeux typographiques expressifs, que le son (le bruit) ponctuant la musique de samples pris sur une plage, dans la rue ou extraits de la télé (qui prend trop de place dans la vie de Phil, forcément). Ce sont « divers tissages, divers tissus, divers tissants », qui opèrent en réseau dans le crâne du lecteur/auditeur au fur et à mesure du dévoilement narratif. Emerge au final un récit (roman poétique donc ?) intime, lyrique, angoissant et souvent drôle. Ah, on oubliait, ici aussi tout est bien qui finit bien. — Jean Perrier
Chère Marie-Hélène Lafon,
159
P.,
Un soir au fin fond de la Belgique, après une rencontre avec des lycéens, une présentation de nos ouvrages respectifs dans une bibliothèque et une interview inénarrable menée sans conviction par un journaliste dépressif, nous nous retrouvâmes à partager la même chambre dans un genre de maison d’hôtes pour auteurs intrépides. Il n’était pas loin de minuit et je découvrai avec stupéfaction que j’avais oublié ma brosse à dents. Sans chichi, vous me prêtâtes la vôtre. J’en conçois à votre égard une reconnaissance éternelle : nous n’avions pourtant pas gardé de cochons. C’était le temps de nos premiers romans. Depuis, j’écris des livres et vous écrivez une œuvre. Parlons-en, chère Marie-Hélène, puisque j’ai eu la chance de lire en avant-première vos Derniers Indiens, à paraître le 10 janvier. Marie et Jean Combes sont sœur et frère. Dans la maison familiale ils vivent côte à côte, sans paroles, depuis la nuit des temps. Ils ont vu mourir leur frère, celui qui avait quitté la ferme pour vivre avec une femme divorcée, puis le père et la mère. Quelque part, pas très loin de là, il y a longtemps, une fille de rien aux cheveux jaunes a été retrouvée dans un bois, étranglée. Et puis le temps est passé. Marie et Jean vivent des rentes de leurs terres qu’ils ne cultivent plus. Ils sont les derniers Indiens, fragiles survivants d’un monde paysan en voie de disparition, ils attendent que vienne leur tour, ils regardent par la fenêtre une réalité qu’ils ne comprennent plus. En face, il y a les voisins. Ceux
qui ont pris le train en marche, « un peuple de mutants », qui font des emprunts au Crédit Agricole, achètent terres, granges et étables, font venir pour les bêtes des aliments déshydratés aux noms compliqués, et appellent leurs enfants Jonathan et Jennifer. Les voisins bruyants, proliférants, omniprésents, qui font de l’agriculture comme en Amérique. Les voisins qui étendent linge et lingerie à tout vent, mangent dehors et fabriquent des enfants. Les voisins qui dansent, crient, chantent, qui ont des corps dont ils savent se servir. De l’autre côté, Marie et Jean sont « lents et minuscules ». Secs. Invisibles. Vous leur rendez hommage de la plus belle manière, chère Marie-Hélène, avec cette écriture singulière qui est la vôtre, exigeante, précise, admirable. Vous faites parler le silence et la mémoire, tendus par désastre feutré qu’on devine peu à peu et que la fin du livre confirme, comme un coup de massue. Ce monde d’où vous venez et que vous n’avez pas tout à fait quitté. — Delphine de Vigan
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LIVRES
Littérature Chroniques (suite)
JULIEN BLANC-GRAS
COMMENT DEVENIR
UN DIEU VIVANT
AU DI A B L E VAU V E RT, 2 6 7 P. , 15 euros William Andy est un branleur qui, en guise de métier, distribue les journaux dans la rue en clamant les catastrophes qui y sont relatées. Un jour, Will a une idée : inventer de nouveaux drames. Rejoint dans son entreprise de subversion absurde et totale par deux compères et sa future Yoko à lui, il est approché par une chaîne de télé pour adapter son savoir-faire à l’antenne. OK, il fonce et défonce la bienséance de mise dans la lucarne médiatique. Viré, il monte alors un show sur le Net dans lequel tous les anonymes qui le souhaitent viennent confier un sentiment sur leur vie. Il va sauver le monde. L’empire d’Andy grandit, il devient une star. Mieux, l’homme le plus puissant de la planète. L’objectif final de ce stoïque hédoniste anar d e ga u c h e : mo n t r e r a u x g e n s qu’on peut attendre l’apocalypse en restant cool. Et le pire dans tout ça, c’est qu’il parviendra finalement à imposer un trip délirant au monde qui périclitera dans un orgasme planétaire et orgiaque. Foutraque, malin, déconnant, pop, au plus près des considérations de l’époque, ce roman fait éprouver aux personnes de moins de 40 ans un sentiment de jubilation assez rare. Julien BlancGras ose tout, se moque de tout, assumant avant tout un principe de plaisir bien partagé. Alors, par éthique*, on ne se privera pas de dire que son livre est une tuerie. — J. P. * L a ré d a c t i o n sa i s i t l’ o c c a s i o n de préciser que Julien est un des
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collaborateurs de Standard cela n’ajoute ou n’enlève rien aux propos de Jean Perrier. Pour vous donner une idée du personnage, il a eu l’idée, pour ce numéro, d'interviewer un ami devenu ermite. Il n’a, à ce jour, toujours pas pu le joindre.
ASSISES DU ROMAN « ROMAN ET RÉALITÉ » CHRISTIAN BOURGOIS, 464 P., 10 euros
Saluons l’initiative conjointe de la villa Gillet et du Monde des Livres d’avoir organiser des premières Assises internationales du roman, regroupant, au printemps 2007, de grands noms de la littérature mondiale contemporaine. Sort aujourd’hui le rendu théorique, ainsi que l’évidence assez pénible que les écrivains sont des gens qui, parfois, n’ont pas grand-chose à dire. On ne leur a pas forcément facilité la tâche en choisissant comme thème « roman et réalité » à travers des angles tels que l’engagement, le réel, la littérature et le trauma, ou encore les limites du roman. Quelques-uns, comme Eric Reinhard, s’en sortent très bien, mais pour la plupart (cf. le numéro d’ego-trip dépressif/déprimant de Christine Angot), l’exercice théorique se résume à narrer des souvenirs de lectures fleurant bon le sujet de cinquième, à citer des grands noms ou alors à simplement botter en touche. On se permettra alors juste de recueillir un petit florilège des meilleures phrases. Dans l’ordre d’apparition : « un roman n’est pas un bulletin de vote », Russel Banks ; « pour l’écrivain comme pour tout être qui parle, le verbe est chair. », Lydie Salvayre ; « le détail est un éclat de réel », Leslie Kaplan ; « écrire c’est se multiplier », John Banville ; « dès le tout premier mot je pense au dernier »,
Charles d’Ambrosio ; « le roman, fils de la fiction et de la langue. », Chloé Delaume ; « le poète est un simulateur qui simule constamment, qui va jusqu’à simuler que la souffrance qu’il ressent vraiment est une souffrance », Enrique Vila-Matas. Le livre vaut pour ces interventions, sinon l’ennui pointe régulièrement (la deuxième édition sera peut-être plus audacieuse). Une dernière citation, pour la blague cette fois : « poésie, genre aristocratique dans lequel chaque poème voudrait simultanément être le premier et le dernier de l’histoire ». Quelle mouche a bien pu piquer Alan Pauls ? — J. P.
MATTHIJS VAN BOXSEL
L’ENCYCLOPÉDIE DE
LA STUPIDITÉ PAYOT, 264 P., 20 euros
Matthijs Van Boxsel est le genre de type qui manie le paradoxe jusqu’à la névrose. Fondateur de l’Institut néerlandais de pataphysique, il a passé les vingt-cinq dernières années de sa vie à étudier sérieusement la stupidité, pour finalement compiler ses brouillons dans cette drôle d’Encyclopédie, publiée en 1999 et enfin traduite, qui n’a d’encyclopédique que le nom. A travers une succession d’exemples hilarants – l’iconographie du Moyen Age, les contes de fées, les jardins paysagers, le Prix Darwin, Kant (oui, on peut en rire), Asimov ou Bugs Bunny – ce « fou-sage » cherche à prouver la thèse de vie : la stupidité est le propre de l’homme. « L’ensemble de toutes les stratégies pour dominer la stupidité forme notre civilisation. » Et à voir la sagesse inhérente des « malentendus fructueux », « aveuglements productifs » et autres « sauvageries civilisatrices », on se dit que l’Encyclopédie de la stupidité, ce n’est pas idiot. — Timothée Barrière
THÉA ET CHARLES
ROJZMAN
LA RÉCONCILIATION JC LATTÈS, 159 P., 14,50 euros
Le roman graphique est à la mode. Il fleurit dans les librairies, entre littérature et BD, tellement entre les deux qu’on ne sait jamais dans
quel rayon le trouver. Mais La Réconciliation vaut bien la peine qu’on le cherche un peu. Un livre écrit à quatre mains par un père et sa fille, une autofiction dessinée au fusain, dont les thèmes résonnent bien au-delà du singulier. D’abord, on est fasciné par les dessins de Théa Rojzman, dont les nuances de couleur (gris-bleu-nuit) semblent tout droit sorties des profondeurs de l’âme. Un dessin faussement naïf, expressionniste sûrement, oscillant sans cesse entre sa part d’enfance et sa part de violence. Sombre. On est au cœur du sujet : une histoire d’amour et de haine entre un père et sa fille, et le regard qu’ils portent tous les deux sur le monde qui les entoure, un monde traversé de réconciliations impossibles. Le livre est découpé en six parties (des désordres d’enfance à la réconciliation), alternant la voix de Théa et celle de Charles. Elle commence par raconter son histoire, ce père dont elle a mille fois souhaité la mort, avec lequel elle est aujourd’hui en paix. De leur trajectoire intime chargée de violence (des mots, de l’absence, violence retournée contre soi) naît une réflexion noire et profonde sur la haine et la peur, ces peurs qui hantent les familles. Un jour peut-être le monde saura-t-il se réconcilier avec lui-même, comme Charles et Théa, pour peu qu’il accepte son histoire, ses doutes et sa culpabilité. — D. d. V.
LIVRES
Littérature Chroniques (suite)
DANS MA POCHE : Modiano encore et toujours
PATRICK MODIANO LES COLLECTORS, POINTS SEUIL, 348 P., 10 euros Cet automne, la magie Modiano était de retour Dans le café de la jeunesse perdue. Cet hiver, les afficionados pourront relire leurs classiques.Remise de peine, Fleurs de ruine et Chien de printemps, publiés à quelques années d’intervalle, sont réunis sous une même couverture. Attention : édition spéciale, tirage limité. L’occasion de découvrir les « collectors » de Points Seuil, ravissants livres de poche façon Pléiade, le tout enrichi d’une sélection d’articles de presse. —
Autres titres en habits de lumière à glisser sous le sapin :
UN BEAU LIVRE :
LE POÈTE
EDITIONS DU PANAMA, 288 P., 45 euros
de Michael Connelly
Les bonus : grand entretien de l’auteur avec François Busnel, préface de Stephen King. —
LA COURSE AU MOUTON SAUVAGE de Haruki Murakami Le bonus : galerie des couvertures du livre paru dans le monde entier. —
CONTES AMOUREUX de Henri Gougaud Le bonus : les illustrations originales de Laura Rosano. —
NEW WAVE
Sur la couverture, c’est l’air goguenard du bègue synthétique Max Headroom (icône eighties MTV cheap et plutôt marrante), qui invite à un retour en arrière pointu et surtout salutaire sur cette décennie (les 80s, donc) qui revêt des atours subitement bien plus séduisants en ces années 00 qui portent si bien leur nom. Un beau collage éditorial 100 % vint age qui fait le tour d’un mouvement, la new wave, devenu une époque à lui tout seul. Malgré une maquette incongrue, un bien bel objet et surtout le dernier du regretté JeanFrançois Bizot. Carpe Diem. — D. G.
UN DRÔLE DE LIVRE :
DOUBLEZ VOTRE
MÉMOIRE de Philippe Katerine EDITIONS DENOËL, 20 euros
L’attachant Petit Philippe, après avoir délaissé la guitare bossa pour la TB303, la laisse à son tour tomber pour éclairer son capharnaüm dada sous un nouveau jour, celui du dessin et de l’anecdote intimiste. Et l'on retrouve avec plaisir le Katerine qu'on avait quitté juste avant la Star Ac'. Sens aigü de l’observation, escapism systématique, références inattendues, p oésie café-ca ca... Chaleureux. On l'aiderait bien à choisir son prochain canapé. — D. G.
Littérature Le questionnaire de Bergson
UNJOUR,JETOMBERAIJUSTE Publiée en 2002, enfin traduite et maybe soon sur grand écran, Porno, suite épaisse de Trainspotting, remet le nez dans le saladier et propulse Begbie, Sick Boy, Spud et Renton dans les coulisses du hard à l’écossaise. Ce qui ne nous a pas empêchés de soumettre Irvine Welsh, 46 ans, à notre bientôt célèbre questionnaire de Bergson.
Comment vous représentez-vous l’avenir de la littérature ? Irvine Welsh : impossible à dire. Elle est cousue de différents modes. Je pense (et j’espère) qu’il y aura une réaction à cette tendance faisant de la fiction littéraire un autre genre marketing aux côtés, disons, du crime et de la romance. Cet avenir possède-t-il même une quelconque réalité, ou est-il un pur possible ? Non. Vous-même, où vous situez-vous ? Je ne conceptualise pas ma place, ou mon avenir, dans tout ça. J’écris chaque livre en pensant qu’il s’agit du dernier, convaincu qu’un jour, je tomberai juste.
LOVELETTERS Extraits
« Je suis (enfin) de retour dans ma ville natale. Un voyage en train qui prenait quatre heures et demie, mais qui en demande sept aujourd’hui. Le progrès, mon cul. La modernisation, mes couilles. Et les prix augmentent en étroite corrélation avec le putain de temps de trajet. Je poste mon petit paquet adressé à Begbie dans une boîte aux lettres de la gare. Branle-toi là-dessus, pauvre taré. » « Un des premiers trucs que je vais faire, putain, c’est trouver ce putain de taré qui m’envoyaient ces sales magazines pornos de tapettes quand j’étais en taule. »
Si vous pressentez l’œuvre à venir, pourquoi ne la faites pas vous-même ? Trop occupé par la vraie vie. Question subsidiaire : les drogues, le porno — vous avez un problème avec les contes de fées ? Les drogues et la pornographie sont des contes de fées modernes. Les récits ne changent pas, à part au niveau du contexte que nous mettons dedans. On dirait que tout le monde veut du conte de fées ou des histoires de mioches ces derniers temps. C’est évidemment dû à notre peur des changements qui se mettent en place dans le monde moderne. Je trouve cette réaction triste et dépressive, aucun problème n’a jamais été résolu par l’évasion et l’infantilisme. — Entretien Richard Gaitet
Porno Au Diable Vauvert Live ! The bloody scottish words dealer lira ses textes en personne lors du lancement de Standard. 185—
Cinéma Under underground
GRANDEZZA,DEKADENZ En 1972, Visconti ajoute une pièce maîtresse à son art d’embrasser splendeur et déchéance : Ludwig, Le Crépuscule des dieux. Inspiré de la vie de Louis II de Bavière, pratiquement introuvable, le film ne dit pas lequel, du réalisateur ou du personnage, atteint le premier les sommets du post-romantisme délirant. Qualifié de « Socrate des cinéphiles »,* pour son prosélytisme au sein des Cahiers du cinéma, Jean Douchet, 78 ans, nous aide à sonder ces bas-fonds étincelants. Comment Ludwig est-il devenu culte ? Jean Douchet : Se sont bâties sur ce film plusieurs histoires et donc une légende. A partir du moment où vous faites un film extravagant, à gros budget, qui plus est qui ne soit pas une fiction, vous pouvez vous attendre à beaucoup de difficultés, et ça donne naissance à des « on-dit ». De plus, ce film n’était pas fait directement pour plaire : Louis II de Bavière était un personnage éminemment fou, à la fois touchant et exaspérant, et le pavé dure trois heures. Lorsque la production veut couper un film, c’est souvent catastrophique. La version courte a été diffusée en premier et le film n’a pas marché.
une famille royale, les rapports de cousinage etc., qui ont une telle importance politique. Visconti et Louis II de Bavière ont un point commun : ils ont rejeté leur statut social pour se perdre dans un délire esthétique. Sauf que Visconti a toujours été maître de son destin… Effectivement, Ludwig est un film confession, il y a symbiose et en même temps, c’est là où le grand artiste est présent. On a un point de vue critique, de compassion très profonde. Il réussit à montrer un personnage malade en faisant entrer les spectateurs dans un état maladif, dû autant à Visconti lui-même qu’à l’histoire qu’il raconte.
Enfin, Howard Hugues, s’en sortait pas mal au montage… Même si le metteur en scène d’un film d’Howard Hugues, c’était Howard Hugues, on n’est pas dans le cas de figure du producteur américain qui s’empare du final cut. Hugues ne coupait pas lui-même ! Toujours est-il que l’échec prédit par la production s’est produit. Deux à trois ans plus tard, Visconti exige qu’on lui restitue la version longue, et là, ça marche ! Ça prouve qu’on doit respecter la pensée d’un grand cinéaste. La production en a fait un film blessé qui n’aura jamais eu la carrière retentissante qu’il aurait pu avoir, presque maudit.
Le sous-titre Le Crépuscule des dieux évoque Wagner… Wagner fait partie intégrante de Louis II [protecteur des arts, le monarque a permis au compositeur de réaliser ses plus belles œuvres]. Mais il était un artiste réaliste – Mon vieux tu m’aimes, d’accord, tu es gay, d’accord, je ne le suis pas mais n’empêche que si tu veux jouer à ce jeu là, je le joue et puis en fin de compte je te couillonne. Visconti montre comment l’autre se fait embobiner par Wagner.
Il est très ambigu, rempli de clichés renforcés par la présence de Sissi… Sissi/Romy Schneider jouit d’un triomphe mondial, cela rassure les financiers. Une astuce du metteur en scène. Comme ce personnage était une nécessité, utiliser l’image de Romy était une richesse supplémentaire. Sissi [1955], grand succès populaire d’une niaiserie absolue sur le plan historique devenait un élément capital pour que le film de Visconti puisse voir le jour. Etant le seul cinéaste issu d’une famille princière, il sait comment ça se passe dans
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Quelle est la dimension mystique du film ? Visconti est athée, la non-croyance est très présente. Dans son dernier film, L’Innocent [1976], Dieu n’existe pas, il est le pouvoir absolu que n’importe quel homme peut obtenir. Mais Louis II se trompe de pouvoir. Il croit au pouvoir de l’art, de l’union de tout le monde dans une vraie transe et dans l’émoi absolu, alors que le pouvoir est en train de prendre toute son importance à côté, avec les Prussiens qui s’emparent de sa Bavière. On dit pourtant qu’il a été un roi efficace et pragmatique, notamment pendant la guerre… C’était un roi par affinités. En tant que romantique, il avait une certaine idée de la liberté.
c’est une fanaison. » Jean Douchet
Le folklore bavarois a-t-il quelque chose de féerique ? La Bavière est un land historiquement très riche, un peu à part, pas vraiment autrichien, indépendant pendant longtemps. Encore maintenant, il suffit d’aller à Munich pour se rendre compte que les Bavarois sont bavarois avant d’être allemands. Le rapport de Louis II avec son peuple était très sentimental, c’est ce qui a donné cette singularité, dans des paysages montagneux qui renvoient à la représentation d’un imaginaire germanique développé par la peinture du XVIe siècle. Visconti connaît très bien l’univers pictural de cette époque et rejoint en ça un Louis II voulant bâtir à la Louis XIV. Construire des châteaux pour construire des châteaux. Dans un pur délire architectural, avec des audaces très kitsch et quelquefois bénéfiques. Mais c’est un roi qui s’est retiré, pas directement en action comme Louis XIV. Donc l’univers que filme Visconti se restreint au château, on ne voit quasiment pas Munich. Ludwig est-il un film féerique ? Oui, grâce à Sissi qui est une femme romantique, grave, généreuse, spontanée, simple. Mais le marxisme de Visconti, absolument idéaliste, forcené, ne peut être que destructeur : tous les moments où Louis découvre son homosexualité, où il se paie des paysans, les dents si pourries qu’il est obligé de les cacher et dont l’odeur ne doit pas être agréable. On sent bien l’importance des costumes et de la lumière. Déjà en 1948, quand il tourne son polémique deuxième film La Terra Trema, Visconti choisit une structure documentaire. Dans Mort à Venise [1971] et Les Damnés [1969] aussi. Dans un film historique, la moindre des choses est le respect pour la vérité et la première vérité de l’histoire à l’écran est celle des costumes. Dans Le Guépard [1963], lorsque le futur beau-père du prince arrive au bal en bourgeois avec ses médailles, l’assemblée est choquée.
Porter ses médailles est d’une vulgarité totale. Trop de films historiques n’ont pas conscience des costumes. De même, le mouvement de la caméra chez Visconti est très savant. Il ne s’agit pas de sombrer dans la vulgarité bourgeoise. Il existe une « caméra aristocratique » ? Oui, on peut dire ça, mais en même temps métaphysique. La dégradation, l’effet du temps, la temporalité sont prises en charge dans son mouvement. Un déplacement un peu obscène, qui entre, s’approche d’un visage qui devient beaucoup plus volontaire, transforme le travelling en zoom. Les travellings ou les zooms de Visconti sur un personnage se font toujours avec l’idée de la mort. Vous parliez de personnages en putréfaction… La force d’un conte est de nous introduire dans une sorte de frayeur merveilleuse face à une chose qu’on ne connaît pas, mais qu’on pressent. Le personnage a un côté enfant qui fait que le film devient un conte banal et prosaïque. C’est justement ce qui est beau : une immense grandeur à cette déchéance. Ludwig est homosexuel et aussi asexué… C’est-à-dire que c’est un personnage princier… A l’époque, l’homosexualité était très dure à assumer, il ne peut l’accepter et va la sublimer. Sa vérité va lui apparaître à la fin avec un brave péquenot. Au moins, là, il ne risque rien : ce brave paysan le caresse pour environ trois florins… C’est d’une tristesse absolue, il n’aura absolument pas vécu. Il est en fuite constante. Qui ne saura jamais qui est Louis II de Bavière ? Même dans la mort, il n’aura jamais été. — Entretien Léonardo Marcos Photographie DR •Alain Corneau dans Projection privée (lire p. 24)
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Cinéma Chroniques
L’HOMMEQUIN’ÉTAIT PASLÀ Fausse biographie best of de Bob Dylan par le réalisateur de Velvet Goldmine : le Transformers du cinéma indépendant ? Pendant longtemps, le nouveau Todd Haynes eut un titre plus long que celui retenu. Il s’intitulait I’m not there (suppositions in a film concerning Dylan). La parenthèse disparue donnait les clés de ce vrai-faux biopic à l’image de Bob Dylan, énigmatique puzzle. Six acteurs, pour autant d’incarnations et d’histoires distinctes, s’imbriquent sans souci de linéarité ou de temporalité. I’m Not There tient plus de la rêverie que de la biographie. Dylan est tour à tour poète, rock star, prophète, hors-la-loi, célébrité en crise ou Born Again Christian. I’m Not There résonne comme une compilation, un best of. Dans lequel il ne faut pas forcément chercher à comprendre, juste piocher les morceaux qu’on préfère. L’œuvre dissout l’idée de trame directrice pour concentrer le parcours du chanteur, focalisé à la fois sur les moments purement iconiques pour ceux qui ne le connaissent pas, et sur des clins d’œils ultra cryptés pour ses fans les plus dévots. Plaisir ludique de la déconstruction Comme dans le précédent Todd Haynes, Velvet Goldmine (sur la période glam d’Iggy Pop et David Bowie, 1998), I’m Not There ne fonctionne qu’en tant qu’hypothèse poétique, tentant de décrypter non plus l’homme mais ce qu’on en a retenu : la légende. Au travers de deux prismes : l’un est social – récurrent chez un auteur dont tous les films racontent comment l’identité est avant tout un rapport aux autres –, l’autre est purement cinématographique. Plus encore que les vies de Dylan, I’m not there égrène celles du 7e art, en citant autant Godard que Fellini, D.A. Pennebaker que Truffaut, Hal Ashby que Sam Peckinpah, ou même Buñuel (l’incarnation d’un seul personnage par plusieurs acteurs). I’m Not There est effectivement toujours ailleurs que là où on l’attend. Mais toujours aux côtés du cinéma : on peut d’ailleurs très bien le considérer comme le Transformers du cinéma indépendant. Comme dans le blockbuster post-moderne de Michael Bay, il n’est question que de déstructuration, de ce qui se cache derrière ce qu’on prend pour une réalité. Tout en reconnaissant un avantage cérébral à Haynes, qui ne décortique pas les robots, mais un mythe à dimension humaine. — Alex Masson
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I’M NOT THERE de Todd Haynes en salles le 5 décembre
COUSCOUS BOULETTES Chronique naturaliste et opéra méridonial selon l’auteur de L’Esquive menant à l’indigestion, malgré des interprètes épatants. La graine, c’est celle qui fait la semoule du couscous. Le mulet, c’est un poisson qu’une famille maghrébine sétoise associe à une recette inédite. Les deux forment une métaphore culinaire au cœur du nouveau film d’Abdellatif Kechiche. Son troisième long métrage continue de creuser le sillon des précédents (La Faute à Voltaire, 2001, L’Esquive, 2004) : choper la France actuelle sur le vif. Avec un évident talent pour faire fusionner regard sociologique et chronique naturaliste. Après les ados des barres HLM de L’Esquive, son panel du jour est une famille plus vraie que nature : Slimane, ouvrier naval viré avant la retraite parce que plus assez rentable, son ex-femme, mère au foyer discrète, et leurs enfants, héritiers des cultures du bled et de la France. Crédibles, car Kechiche leur laisse du temps. Peut-être un peu trop. Une heure trente d’exposition est peut-être nécessaire pour introduire la diaspora familiale, mais ne facilite pas la digestion. Surtout quand le ressort de l’intrigue (Slimane achète un bateau pour en faire un restaurant afin de réunir sa famille de sang et celle de cœur) se retrouve comprimé par un final tout aussi expansif. A moins de pratiquer cette vision comme on le ferait d’un couscous au poisson : picorer, y revenir, faire une pause, se resservir.
LA GRAINE ET LE MULET d’Abdellatif Kechiche en salles le 19 décembre
Caricature maladroite La Graine et le Mulet est copieux et convivial. Au risque de ne plus avoir très faim quand le plat de résistance arrive. Fantastique quand il dessine cette communauté dont il capte avec une renversante vérité le quotidien via des comédiens inouïs de naturel, le film se gâte quand il s’attable pour son final très « café du commerce ». Le grand mezze humaniste se noie un peu sous une couche de folklore, pointant du doigt les Français de souche comme de « méchants racistes ». Certes, c’est sans doute une réalité dans le Sud (et ailleurs), mais l’acharnement à les stigmatiser est embarrassant. Après avoir évité brillamment tous les stéréotypes, il sombre dans une caricature maladroite empêchant La Graine et le Mulet de devenir le vibrant opéra méridional, tragique, qu’il avait tout pour être. En cessant de défricher les terres d’un Pagnol contemporain pour se réfugier dans des thèses réductrices à la Guédiguian, Kechiche finit par camisoler le plus grand mérite de son film. La Graine et le Mulet échoue à être une pierre fondatrice d’un cinéma populaire, rompant avec les clichés. A force de ricochets sur une eau populiste, ce couscous a beau être savoureux, une grosse boulette le rend malheureusement un peu lourd à l’estomac. — A. M.
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Cinéma Chroniques (suite)
HAUTSBROTHERS Retour en grâce des frères Coen, via un néo-western solennel et salutaire. Pour combien de temps, doc ? On les croyait perdus. No Country For Old Men recentre, après une poignée de films hasardeux – voire catastrophiques – le cinéma des frères Coen. Rien de nouveau sous le soleil (du Texas) pour leur dernière livraison : des airs de check-list de leur univers de base. Un anti héros involontairement paumé au cœur de grosses embrouilles est poursuivi par un bad guy dégénéré, envoyé à ses trousses pour récupérer une mallette de dollars. Le tout dans un environnement enraciné dans l’americana la plus profonde. La différence entre No Country For Old Men, Fargo (1996) ou The Barber (2001) ? Une caution littéraire qui oblige les deux réalisateurs à renoncer à leur plus mauvaise habitude : l’éparpillement. La rencontre entre l’écriture de Cormac McCarthy, ici adaptée, et le cinéma des brothers, ne pouvait aboutir qu’à un status quo. Autant la littérature de McCarthy a quelque chose de purement pragmatique, jusqu’à se passer de ponctuation, autant les films des Coen aimaient de plus en plus la digression. Le point de rencontre se fait sur ce touffu récit de néo-western, où peu de place reste pour les embardées buissonnières. De quoi ramener aux fondamentaux : No Country For Old Men met en scène un quidam espérant prendre en main son destin avant d’être rattrapé par le sort sous les traits d’un hallucinant Javier Bardem, implacable
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machine à tuer terminatoresque coiffé comme Jeanne d’Arc. En revenant ainsi à l’os de leur cinéma, les Coen se régénèrent, dégraissent de la surcharge pondérale qui engloutissait leurs films depuis longtemps. Et pas uniquement leur éternel penchant pour de verbeuses palabres, ni depuis le je-m’en-foutisme à l’œuvre dans Intolérable cruauté (2003) et Ladykillers (2004). Brillante parenthèse ? No Country For Old Men est débarassé de tout cynisme pour revenir à une belle solennité, où noir humour absorbe le rouge sang. La roublardise se retire devant une mélancolie méditative, pas éloignée de celle d’un Sam Peckinpah. Pour autant, on n’ira pas jusqu’à proclamer les Coen tirés d’affaire ou, comme la meute critique à Cannes, crier au chef-d’œuvre. Pour aussi brillant qu’il soit, No Country For Old Men a malgré tout des airs d’exercice de style. On attendra donc le suivant, Burn After Reading, où deux employés d’un club de gym essaient de revendre un disque contenant les mémoires d’un agent de la CIA, pour avoir confirmation que celui-ci est bien le signe d’une belle rémission et non une remarquable parenthèse. — NO COUNTRY FOR OLD MEN A. M.
de Joel & Ethan Coen en salles le 23 janvier
DVD
Cinéma chez soi Chroniques
COFFRET DOUGLAS SIRK 1954-1959 (Carlotta) « La cause n’est jamais perdue et le combat toujours à mener », disait Gilles Deleuze de ses films. Saisi par la maladie, Douglas Sirk réalise son dernier film en 1959, mais ne s’éteint que 28 ans plus tard, à 90 ans : de ses personnages il aura gardé l’obstination. Morte au même âge, en septembre dernier, Jane Wyman (photo) fut son héroïne butée du Secret magnifique (1954) et de Tout ce que le ciel permet (1955). Le Secret magnifique ouvre la parenthèse enchantée du technicolor, mais s’avère un peu trop archétypal : baigné de violons, de coïncidences et de miracles. Peu d’émotion, mais une belle idée qui commue l’égoïsme d’un homme en bonté infinie, à l’image de tous les personnages de Sirk, ayant avec Capra le point commun d’être exemplaire dans un monde qui ne l’est pas. Dans Tout ce que le ciel permet, le poids de la société remplace celui du destin, et ce contre-champ ainsi exposé nous fait croire terriblement aux coïncidences et à la fatalité qui s’acharne, comme l’avait réussi Loin du paradis (Todd Haynes, 2002), son quasi-remake. Dans la douleur comme dans la douceur Puis viennent ses deux derniers films, plus pessimistes. Le Temps d’aimer et
le temps de mourir (1958), c’est en 1944, pendant les trois semaines de permission d’un jeune Allemand de retour du front. A la fois sereine et intense, cette œuvre exemplaire offre l’une des plus belles dernières scènes du cinéma et rappelle, par son thème et son ampleur, le Titanic de James Cameron (1998). Sirk ne retrouvera pas la même magie avec Le Mirage de la vie (1959), trop désireux de se concentrer sur ses sujets (le racisme et le succès), oubliant les sentiments en chemin. Il laisse surtout ses extraordinaires actrices incarner sublimement la fatalité, ainsi résumée par cette femme noire parlant de sa fille blanche : « Comment expliquer à sa fille qu’elle est née pour souffrir ? » Le déchaînement de la couleur, le cadre, le jeu, tout est élégant et apprêté chez Sirk, dans la douleur comme dans la douceur. Guimauve peut-être, mais juste. Et si vous n’êtes pas sensibles à cet univers
que d’autres ont exploré (Ozon, Honoré), il y aura bien un jour où vous aurez envie qu’on vous rassure sur le monde, sans tout à fait mettre au placard votre lucidité. Ce jour-là, n’oubliez pas ce coffret magnifique. — Eric Le Bot
ELECTROMA de Thomas Bangalter & GuyManuel de Homem-Christo, 2006 (Wild Side) Pas un seul morceau de Daft Punk dans cet Electroma crépusculaire, première réalisation du duo. Mais Curtis Mayfield, Brian Eno, Chopin ou le Miserere pour agrémenter l’odyssée des deux robots Hedi Slimane, impuissants à devenir humains. Tour à tour planant, rigolo, touchant, chirurgical et poétique, ce premier film est un miracle. Ne vous
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DVD
Cinéma chez soi Chroniques (suite)
y trompez pas : si la mise en scène est plutôt léchée, c’est surtout le récit qui s’avère poignant. Il n’y a pourtant pas un mot. Ne déflorons pas ses secrets, sauf peut-être ce moment où vous découvrirez le visage éploré de l’un des deux androïdes… 25 euros, un peu cher ? Depuis six mois, le film est tous les samedis à minuit au cinéma Le Panthéon à Paris. Bon horaire. — E. L. B.
COFFRET LUBITSCH MUET
SUNSHINE
1918-1921 (MK2)
de Danny Boyle, 2006 (Fox)
« Si le cinéma avait commencé par être sonore, c’est le muet qui aurait été son accomplissement », nous dit Didier Blonde dans Les Fantômes du muet (Gallimard, 2007). Ernst Lubitsch fut l’un des rares à réussir
Dernière inventaire avant fermeture : huit astronautes sont envoyés dans l’espace afin de « rallumer le soleil » mourant, ayant plongé la planète dans un hiver nucléaire septennal, à deux doigts de s’éteindre. De cet enjeu vertigineux, l’Anglais Danny Boyle (Trainspotting, 1996) et son scénariste Alex Garland (avec lequel il avait copieusement échoué sur La Plage (2000), mais aussi régénéré le film de zombies via le percutant 28 jours plus tard (2003), composent un fascinant thriller métaphysique, tirant sur le fantastique dans sa dernière partie. Personnages suicidaires, silences, beauté termi nale et mise en scène maîtrisée, ce modeste Sunshine perturbe autant qu’il interroge : presque aussi fort qu’Alien rencontrant 2001 L’Odyssée, auquel Boyle et Garland adressent un clin d’œil dans un ultime panneau, solaire. — Richard Gaitet
CHARLES, MORT OU VIF d’Alain Tanneur, 1969 (MK2) L’anti-Itinéraire d’un enfant gâté. Avec son premier film (1969), le Suisse Alain Tanneur raconte l’histoire d’un enfant à plaindre, PDG interprété par François Simon (fils de Michel), quittant l’entreprise familiale et sa vie minable sans espoir de retour, de transmission ou de solution. Dans la lignée des films politiques de l’époque, Charles, mort ou vif est davantage qu’un discours : une démonstration par l’action qui renvoie au situationnisme de Guy Debord. Comme lors de cette scène parfaite où Charles Dé explique en quoi l’automobile oppresse nos existences avant que la sienne ne soit jetée par son nouvel ami dans le ravin. Mais l’impasse ne tarde pas à se faire jour : un grand film lucide et délicatement engagé qu’on aurait aimé moins définitif. Et si vous n’êtes pas gauchiste dans l’âme, regardez-le au moins pour l’indocile MarieClaire Dufour : elle ressemble à s’y méprendre à Cécilia Sarkozy, autre indocile. — E. L. B.
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son examen de passage de l’un à l’autre et, même s’il nous est donné aujourd’hui de découvrir trois de ses comédies muettes (19181921), il est bien plus marrant de ne pas y chercher l’ébauche d’Haute Pègre (1932) ou To Be Or Not To Be (1947), ses chefs-d’œuvre. Ce sont là simplement des pochades aux confins de l’absurde, jouant avec l’identité et une morale légèrement licencieuse. Dans Je ne voudrais pas être un homme, on découvre Ossi Oswalda, irrésistible travestie, de tous les plans, dont on aimerait voir les quarantesept films ! Pourtant, La Princesse aux huîtres est moins sexy, moins rigolote dans son rôle de petite emmerdeuse riche qui se trompe de prince. Quant à La Chatte des montagnes, ceux qui y voient une satire de l’armée ont dû laisser leur humour en chemin. Si ces comédies étaient un aboutissement, elles seraient surtout celui d’un rire réduit à sa plus simple expression. — E. L. B.
Ci-dessus Charles, mort ou vif Ci-dessous Sunshine
THE EMBASSY « Entre Happy Mondays et Field Mice, New Order ou The Beloved : les suédois de The Embassy claquent une electro/pop de slackers clubbers.
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