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Who’s who

Atelier 5 12 rue Dupetit-Thouars F-75003 Paris T + 33 9 53 52 82 19 prenom.nom@standardmagazine.com ou redaction@standardmagazine.com

RÉDACTION EN CHEF

RÉDACTION

PUBLICITÉ CULTURE & HORS CAPTIF

Magali Aubert & Richard Gaitet

Laure Alazet, Timothée Barrière, Gilles Baume, Louise Beretta, Julien Blanc-Gras, Giulio Callegari, Timothée Chaillou, Thomas Corlin, Antoine Couder, Jean-Emmanuel Deluxe, Sophie Dusigne, Ana Flamind, Tristan Garcia, Bertrand Guillot, Guillaume Jan, Eric Le Bot, Mathilde Menusier, AnneSophie Meyer, Wilfried Paris, Alice Pfeiffer, Nicolas Roux, Julien Taffoureau, Antranik Zékian

Arnaud Carpentier

DIRECTION ARTISTIQUE

David Garchey COORDINATION MODE ET MARKETING

David Herman RESPONSABLE PHOTO

Caroline de Greef MODE

Elisabeta Tudor Consultants Olivier Mulin & Jean-Marc Rabemila BEAUTÉ

Lucille Gauthier MUSIQUE

Eléonore Colin CINÉMA

Alex Masson THÉÂTRE

Mélanie Alves de Sousa

CARTES BLANCHES

Juliette Binoche, Tristan Garcia, Eley Kishimoto, Hubert Colas, Orelsan, Ida Tursic & Wilfried Mille, Pacôme Thiellement

publicite@arnaud-carpentier.fr M + 33 6 77 13 99 20 DISTRIBUTION / DIFFUSION

K.D. 14, rue des messageries F-75010 Paris T +33 1 42 46 02 20 F +33 1 42 46 10 08 kdpresse.com EXPORT

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STYLISME

Justine Allain, Mario Faundez, Olivier Mulin, Jean-Marc Rabemila, Stéphanie Vaillant

ART

Patricia Maincent MULTIMÉDIAS

François Grelet & Benjamin Rozovas LIVRES

François Perrin

PHOTOGRAPHIE

Blaise Arnold, Antoine Chesnais, Maeva Delacroix, Yvette Hammond, ioulex, Yannick Labrousse, Agnieszka Maksimik, Cristina de Middel, Daniela Reiner, Franziska Sinn, Kris de Smedt, Tom [ts74], Gilles Uzan, Cédric Viollet

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION

Anaïs Chourin

ILLUSTRATION

WEB MANAGER

Marion Boucard, Maite Catti, Cruschiform, Claire Duport, Amélie Fontaine, Théo Génnitsakis, Steven Le Priol, Maud Mariotti, Alexandre Morzy

Sebastian Waack ASSISTANT DE RÉDACTION

Victor Branquart RESPONSABLE ÉTUDES

Stéphane Vaz de Barros

CARACTÈRES CUSTOM P. 14, 22, 24 ET 26

Huz & Bosshard REMERCIEMENTS

Raphaële Baze, Djavid Rawat, Fanny Rognone (à vie), Hélène Serrano, Cathy & Myriam Suriam

EN COUVERTURE

Photographie : Tom [ts74] Stylisme : Mario Faundez Modèle : Edween chez Studio KLRP Robe Courrèges Veste sur les épaules G-star Raw Ceinture et bracelet Diesel Foulard porté en turban Club Monaco Lunettes Stetson Foulard de gauche Iceberg Foulard de droite Valentine Gauthier

Directrice de la publication Magali Aubert. Standard est édité par Faites le zéro, SARL au capital de 10 000 euros, 17 rue Godefroy Cavaignac 75011 Paris et imprimé par Imprimerie de Champagne, rue de l'Etoile de Langres, 52200 Langres. Trimestriel. CP1112K83033. N°ISSN 1636-4511. Dépôt légal à parution. Standard magazine décline toute responsabilité quant aux manuscrits et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés. ©2012 Standard. 8 — numéro 34

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Numéro 34

ABONNEZVOUS P. 39

MATIÈRE GRISE

DOSSIER EXODE

Table des matières MATIÈRE BRUTE

MATIÈRE VIVANTE

INTERVIEWS

MODES DE VIE

CINÉMA & MODE

p. 14

Brady Corbet « Ne cherchez pas à être sexy. » MUSIQUE

p. 22

BREF

p. 30

Consommons pendant qu’il est encore temps ENVIRONNEMENT

Soko

p. 38

Parrainer un veau

« Je me sens toujours menacée. » ANTIF**DING ART

p. 24

Théo Mercier © /HV VDFULÀFHV KXPDLQV PH IDVFLQHQW ª

VOYAGE

p. 42

Myanmar LITTÉRATURE

p. 40

Les yeux de chevaux

p. 26

Rafael Horzon « Ecrire un livre qui explique TOUT. »

Série de mode Safari p. 52 Cryptozoologie Camille Renversade p. 66 3RUWIROLR DUW Théo Mercier p. 72 Art Antti Laitinen p. 78 Art Laurent Tixador p. 84 3RUWIROLR SKRWR Cristina de Middel p. 86 Cinéma The Lost City of Z p. 90 DVD Antarctic Journal p. 93 Cinéma Andrew Stanton & John Carter p. 94 Comics Arvid Nelson p. 96 BD La Vallée des Bannisp. 98 Série de mode Fremdland p. 100 Exploit A l’assaut de la cordillère Darwin p. 110 Aventure Christian Clot p. 114 Histoire Le top des aventuriers poissards p. 116 Série de mode Blank Canvas p. 120 Mode Première Vision p. 128 Accessoires En route p. 132 Beauté A la recherche du temps perclus p. 134 Artwork Les Aventures de TwinTwin p. 136 Salon Bibliothèque des orteils gelés p. 142 Ecrivains-voyageurs Laurent Maréchaux p. 146 Featuring Gideon Defoe p. 148 Réédition Robinson Crusoé p. 151 Littérature Dominique Fortier p. 152 Géographie Six façons de découvrir son île p. 156 Tourisme Jouer à Christophe Colomb p. 158 Botanique Google Forest p. 160

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Numéro 34

ABONNEZVOUS P. 39

Table des matières (suite) MATIÈRE PREMIÈRE

MATIÈRE RECYCLABLE

CE QUI SORT

VIEUX GÉNIES

PIXELS – PHOTOGRAPHIE

p. 164

PLAYERS – JEUX VIDÉO

Jean-Paul Goude PAILLETTES – MODE & DESIGN

Rayman Origins, Gears of Wars 3, Rétrospectives 2011

p. 174

Nous avons les machines, Castor et Pollux, 2062, une expérience du temps et de l’espace Carte blanche à Hubert Colas PAPIERS – LITTÉRATURE

p. 222

Jean-Claude Vannier « Les gens célèbres sont hystériques. »

PELLICULES – CINÉMA

p. 198

Bullhead, Elles, Les Nouveaux chiens de garde, Alain Cavalier, DOC NYC Carte blanche à Juliette Binoche PARABOLES – MÉDIAS

p. 206

Philippe Garnier, Life’s Too Short Carte blanche à Pacôme Thiellement

p. 178

Leandro Avalos Blacha, Arnaud Dudek, Edward Gorey, Grisélidis Réal, Enrique VilaMatas, Chip Kidd Carte blanche à Tristan Garcia PALETTES – ART

MUSIQUE

p. 168

Niyazi Erdogan, Dévastée, Apparatus 22, Imprimé Carte blanche à Eley Kishimoto PLANCHES – THÉÂTRE

p. 194

PLATINES – MUSIQUE

p. 214

Jupiter, Jennifer Herrema, Rebolledo, Standard Fare, Django Django, Portico Quartet, Modular, Skrillex Carte blanche à Orelsan

p. 186

Gyan Panchal, Tacita Dean, Le Hangar à Bananes, Kempinas, Dominique Blais Carte blanche à Ida Tursic & Wilfried Mille 12 — numéro 34

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the big pink future this Retour du duo shoegaze londonien Inclus 'stay gold' and 'hit the ground (superman)'

Nouvel album le 17 janvier 2012

HOW L E R

LA SENSATION ROCK TOUT DROIT VENUE DE MINNEAPOLIS, INCLUS 'BACK OF YOUR NECK'

PREMIER ALBUM LE 17 JANVIER 2012 HOWLER EN CONCERT LE 8 FÉVRIER À PARIS / LA FLÈCHE D'OR distribution

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INTERVIEW CINÉMA & MODE

entretien Eric Le Bot photographie ioulex stylisme Masayo Kishi

Il a joué dans 24, tourné pour Lars von Trier et Michael Haneke mais son visage reste XQH pQLJPH FRXS GH ÀO j Brady Corbet, étrange beauté qui cherche à « s’oublier ».

« NE CHERCHEZ PAS À ÊTRE SEXY : SOYEZ PUR » A peine deux sonneries et il décroche, avenant. Brady s’excuse platement de proroger l’interview de quelques secondes pour s’allumer une cigarette. Il semblerait presque s’en vouloir d’être à Los Angeles plutôt qu’à New York, imposant un appel tardif, il est vingt-deux heures. 23 ans et déjà pro, « à l’américaine » comme on dit chez nous.

assistant stylisme Suong Phan mise en beauté Fumiaki Nakagawa remerciements Kaarin et Jay de Von bar, New York

Funny Games U.S., Mysterious Skin, et l’été dernier Melancholia WURLV JUDQGV ÀOPV LQGpSHQGDQWV Pourtant, personne ne vous connaît. Parce qu’à chaque fois, vous changez d’apparence ? Brady Corbet : C’est plutôt mon apparence qui, depuis dix ans, a beaucoup changé ! Mais c’est très important pour moi, je me sens mieux si je ne me reconnais pas. J’ai pris beaucoup de poids pour Funny Games U.S. [Michael Haneke, 2007], et c’était bien plus facile de s’oublier parce que je n’essayais pas d’être beau, ça ne pouvait pas tourner à la photo de mode car je n’étais pas

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INTERVIEW BRADY CORBET

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« JE ME SENS MIEUX SI JE NE ME RECONNAIS PAS. »

FILMO

PAS SAGE BRADY Le cinéma américain possède tout un catalogue d’it-girls, de Chloë Sevigny à Maggie Gyllenhaal, excellentes actrices naviguant entre productions low budget et blockbusters, mais aussi égéries jetables de magazines branchés. Curieusement, on dénombre assez peu d’it-boys. Brady Corbet, 23 ans, en est un spécimen. Tout Hollywood connaît son nom, sans avoir forcément vu ses films indépendants. Il faut dire que, comme sur nos photos, le jeune homme se métamorphose : qui fera le lien entre l’ado apeuré à lunettes de Mysterious Skin (Gregg Araki, 2004) et le psychopathe grassouillet de Funny Games U.S.

(Michael Haneke, 2007) ? Plus étonnant, il compte parmi ces comédiens qui savent se mettre en retrait, pour lesquels un bon second rôle – tel le stagiaire que Kirsten Dunst se tape au clair de lune dans Melancholia (Lars von Trier, 2011) – vaut mieux qu’un mauvais premier. Pour lesquels se retrouver side-kick peut créer une formidable synergie, comme face à Joseph Gordon-Levitt, Michael Pitt ou Kiefer Sutherland (dans la saison 5 de 24), sans souffrir de leur ombre, tout en leur volant au moins une scène. Brady suit donc un chemin très singulier : entre l’Autrichien Haneke et le Danois von Trier, il a fréquenté de près une it-fille

hexagonale (Roxane Mesquida, voir Standard n°28) et revient de plusieurs mois à Paris où il fut touriste dans Simon Killer de son copain Antonio Campos (Afterschool, 2008). En décembre, il était chasseur taciturne dans Two Gates of Sleep (Alistair Banks Griffin, 2008), fin février il sera membre d’une secte dans Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin. Deux œuvres en quête d’identités. Le puzzle de la sienne, qu’il compose pièce par pièce, est le plus passionnant depuis la comète River Phoenix. — Alex Masson numéro 33 — 17

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INTERVIEW BRADY CORBET

HQ OLHQ DYHF PD YDQLWp 8Q Ă€OP YRXV UHSUpVHQWH F¡HVW dur de ne pas penser Ă ce que ça donnera. Si vous ne cherchez pas Ă ĂŞtre sexy, alors vous serez plus pur. Etonnamment, dans Melancholia, Kirsten 'XQVW YRXV WURXYH VXIĂ€VDPPHQW VH[\ SRXU YRXV ÂŤ violer ‌ Vous savez, comme je fais partie intĂŠgrante GX Ă€OP MH IDLV GH PRQ mieux pour ne pas interprĂŠter ce qu’un rĂŠalisateur a voulu dire. J’ai bien sĂťr ma petite idĂŠe... Donc ? Je pense que Justine, son personnage, a juste besoin de prendre son pied, de baiser. Et il s’avère que je suis lĂ . Elle fait tout pour faire ce qu’il ne faut pas, aussi destructrice que possible. Pourquoi, Ă part votre rĂ´le dans 24, toujours choisir le cinĂŠma indĂŠpendant ? Ce n’est pas un but en soi, je fais mon maximum pour travailler avec de vrais auteurs rĂŠalisateurs. Le plus imSRUWDQW F¡HVW OD Ă€HUWp TXH j’en retire. Pourquoi les Ă€OPV H[LJHDQWV VRQW LOV indĂŠpendants ? C’est juste le manque d’argent. Et parfois je me dis aussi que je pourrais en gagner plus‌ 8Q WKqPH UHFRXSH YRWUH Ă€OPRJUDSKLH OD YLROHQFH intĂŠriorisĂŠe. C’est sans doute une obsession personnelle. Funny Games U.S. ĂŠtait proche de ce que j’aime donner, et mon prochain, Simon Killer [rĂŠalisĂŠ par Antonio Campos, sortie indĂŠterminĂŠe], encore plus : j’y interprète un touriste amĂŠricain qui essaye de surpasser sa GpSUHVVLRQ HQ YHQDQW j 3DULV PDLV LO D GHV GLIĂ€FXOWpV pour rencontrer quelqu’un. Il se sent de plus en plus isolÊ‌ jusqu’à croiser le chemin d’une jeune hĂ´tesse dans un bar de Pigalle. La moitiĂŠ de l’Êquipe est française, et le casting, lui, l’est totalement : Mati Diop

[35 rhums], Constance Rousseau [Tout est pardonnĂŠ]‌ LOV VRQW IDQWDVWLTXHV 1RXV DYRQV SUHVTXH WRXW Ă€OPp rue des Martyrs. 9RXV DVVXUH] SDUIRLV OH PRQWDJH GH YRV Ă€OPV N’est-ce pas un peu ĂŠtrange de se monter soi-mĂŞme ? Il n’y a que sur 7ZR *DWHV RI 6OHHS que je suis crĂŠditĂŠ comme monteur. Il y a peu de dialogues, ça facilite la donne : il est plus dur d’entendre sa voix que de voir son image. Pendant un montage, Ă force de regarder sans cesse les mĂŞmes plans, d’entendre les mĂŞmes mots, ils perdent leur sens, leur substance. Et cela aide Ă s’oublier. En plus, le fait d’avoir grandi Ă l’Êcran implique que je sois plutĂ´t dĂŠconnectĂŠ de mon image, ĂŠtrangement. Ce qui ne veut pas dire que je sois camĂŠlĂŠon. Avez-vous participĂŠ au montage de Simon Killer ? J’ai ĂŠcrit l’histoire avec Antonio – pas un scĂŠnario traditionnel, juste un traitement de dix pages – puis j’ai ĂŠtĂŠ très impliquĂŠ dans la postproduction. C’est pendant les rĂŠpĂŠtitions que les dialogues ont commençÊ j V¡pFULUH /H Ă€OP VHUD prĂŠsentĂŠ Ă Sundance en janvier, nous en sommes aux corrections des couleurs. C’est vraiment notre bĂŠbĂŠ. Ce sera mieux que Minuit Ă Paris [Woody Allen, 2011], hein ? Ça n’a rien d’une carte postale. C’est très rĂŠaliste, quotidien, sans ĂŞtre glauque pour autant. Venir Ă Paris, c’Êtait une façon de trouver l’amour ? J’ai une relation très romantique avec la France. Parfois ça a marchĂŠ, mais pas toujours ! — Two Gates of sleep G¡$OLVWDLU %DQNV *ULIĂ€Q HQ VDOOHV Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin, le 29 fĂŠvrier

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« J’AI GRANDI À L’ÉCRAN, ÇA IMPLIQUE QUE JE SOIS PLUTÔT DÉCONNECTÉ DE MON IMAGE. » ;gklme] ]l [`]eak] 9\Ye Caee]d :jg[`] =d]e]flYjq K]l ;`Ymkkmj]k :]jf`Yj\ Oadd`]de 9 _Ym[`] H]a_fgaj :]jf`Yj\ Oadd`]de HYflYdgf Bg`f NYjnYlgk

numéro 33 — 19

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INTERVIEW BRADY CORBET

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Lj]f[` ]f fqdgf ]l l%k`ajl <ja]k <ja]k NYf Fgl]f :jg[`] L`] + >Y[]k g^ E] NYf Fgl]f Bmh] Fa[`gdYk C ;`Ymkkmj]k N]jq 9 _Ym[`] N]kl] 9[f] ;`]eak] Bg`f NYjnYlgk ;jYnYl] <geafa[ Dgmak :abgmp haf_d] E]f\]\ N]ad

numéro 33 — 21

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INTERVIEW MUSIQUE

machines ont aussi ĂŠtĂŠ repassĂŠes dans ce logiciel, parce que ça sonnait trop clean et que j’adore sa reverb’ cheap. Retrouver une ĂŠmotion qui date parfois de quatre ans, c’est horrible. En concert, pourtant, tu es bien obligĂŠe de te reconnecter Ă ces ĂŠmotions, non ? Oui, c’est bizarre, mais en concert, je suis vachement moins timide et en mĂŞme temps dix fois plus sensible, très vulnĂŠrable. Ça m’arrive souvent de pleurer, sans le vouloir ni le prĂŠvoir, et donc de faire pleurer le public. J’adore ces moments-lĂ . Comme je trouve super le fait de poster sur Facebook que ÂŤ demain, je joue dans tel petit parc allemand Ă telle heure Âť et de voir dĂŠbarquer trois cents personnes. Je prĂŠfère ça aux clubs. Sauvage et surbookĂŠe, Soko soigne son image et Et jouer en Australie devant 15 000 personnes ? un premier album introspectif peuplĂŠ de morts Après ça, j’ai arrĂŞtĂŠ HW GH PRWV GRX[ HQWUH GHX[ Ă€OPV K\VWpULTXHV pendant un an. Ce n’est pas BientĂ´t le nervous breakdown ? du tout mon truc. Je me posais beaucoup de quesentretien It-girl dès ses premières dĂŠmos sur tions : ÂŤ Pourquoi les gens viennent me voir alors que Wilfried Paris internet, StĂŠphanie Sokolinski, 26 je n’ai rien sorti ? C’est du buzz ? C’est de la merde, photographie ans, a mis cinq ans Ă achever son ça ne veut rien dire ! Âť Antoine Chesnais premier album, I Thought I Was An I’ll kill her tournait beaucoup sur le net‌ Alien, collier de quinze perles lo-fi 0DLV F¡pWDLW GH OD PHUGH dD Q¡HVW MDPDLV VRUWL RIĂ€FLHOOHenregistrĂŠes sur GarageBand en mode couch-surfing ment, j’avais l’impression d’un petit gribouillage sur un entre Paris et Los Angeles, tournages (Bye-Bye Blondie bout de papier que quelqu’un, deux ans après, voulait de Virginie Despentes) et tournĂŠes (avec Adam Green, exposer au Guggenheim ! Hyper frustrant. Jeffrey Lewis). La jeune auteur-compositeur-interprète, Ton cĂ´tĂŠ ÂŤ do it yourself Âť est proche de Daniel ĂŠgalement comĂŠdienne (nommĂŠe en 2010 au CĂŠsar Johnston, avec qui tu as tournĂŠ. du meilleur espoir pour A L’Origine de Xavier Giannoli), Daniel travaille de manière très spontanĂŠe. Il enregistre pose sa pierre sur un chemin semĂŠ d’embĂťches et dans son garage sur tape-recorder, c’est brut, sans d’anges gardiens, de depressed-pop introspectivw et Ă€RULWXUHV -¡DL IDLW TXHOTXHV GDWHV DYHF OXL F¡pWDLW WURS amoureuse, dont le premier clip est signĂŠ Spike Jonze. bien, on a chantĂŠ quelques titres ensemble, dont Lousy Ces chansons de bric et de broc, inspirĂŠes par Daniel Week-end, ma prĂŠfĂŠrĂŠe. Daniel ne me parle pas de ma Johnston ou le Velvet Underground, dressent le portrait musique, il dit juste : ÂŤ Quand est-ce que tu viens Ă fragile d’une femme-enfant du siècle, entre no future et Austin enregistrer avec moi ? Âť tout, tout de suite, dans une lumineuse urgence. Ton disque est une sorte d’autoportrait psychologique, comme avec I’ve been Alone Too Long, Ta vie de globe-trotter ? oĂš tu ĂŠvoques ton père disparu. Soko : Ces dernières annĂŠes, j’ai squattĂŠ sur des Beaucoup de mes chansons sont comme des lettres, canapĂŠs Ă Londres, New York, Seattle ou Los Angeles. adressĂŠes Ă des gens. J’ai ĂŠnormĂŠment souffert de la C’Êtait super de jouer avec plein de gens et de vivre perte de mon père en grandissant, et j’ai ĂŠcrit plein de ma musique, mais je n’ai toujours pas de maison, de chansons pour lui, ou ma grand-mère. Je me sens et cette sĂŠcuritĂŠ me manque ; j’en ai encore pour un an toujours un peu menacĂŠe. Mon père est mort d’une comme ça. C’Êtait mon anniversaire en octobre et mes rupture d’anĂŠvrisme, en dix minutes, il n’avait aucune potes m’ont fait des cadeaux lĂŠgers. maladie. Ce souvenir est un poids, ça dicte presque ma C’est pour ça que tu as beaucoup enregistrĂŠ sur vie, et mes relations avec les gens sont souvent lourdes. GarageBand ? Je me dis toujours que je peux mourir demain en traOui, si je ne capture pas le truc tout de suite, j’ai versant la route, j’ai l’impression que j’ai plein de trucs l’impression que je ne retrouverai plus l’Êmotion du urgents Ă faire, qu’il faut que je fasse le plus de choses moment. Pour la première et la dernière chanson de possibles tout de suite‌ l’album, j’ai conservĂŠ beaucoup de voix d’origine que Tu as jouĂŠ dans Bye Bye Blondie de Virginie Desje n’arrivais pas Ă refaire en studio. Toutes les drumSHQWHV DGDSWp GH VRQ OLYUH ,O YD VRUWLU Ă€QDOHPHQW " 22 — numĂŠro 34

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 JE ME SENS TOUJOURS MENACÉE 

2XL RXL oD D pWp ORQJ HW FRPSOLTXp PDLV OH Ă€OP VRUW D SULRUL Ă€Q PDUV GpEXW DYULO -¡DGRUH 9LUJLQLH M¡DGRUH VHV bouquins. Après avoir lu King-Kong ThĂŠorie [2006], j’avais envie de frapper la terre entière, je me disais : ÂŤ -H VXLV IpPLQLVWH Âť Sur un tournage, elle est hyper gaie, hyper contente, elle porte toute son ĂŠquipe, c’est gĂŠnial. En mĂŞme temps, il y a des moments d’insĂŠcuritĂŠ, des gros doutes, des trucs noirs‌ Aujourd’hui, si j’ai besoin de conseils, je peux l’appeler. Elle a vĂŠcu des trucs très lourds et elle est Ă l’Êcoute. D’autres projets au cinĂŠma ? Je termine un tournage en IsraĂŤl [Friends From France, de Philippe Kotlarski et Anne Weil, sur deux agents secrets amateurs dans l’URSS de 1982] et j’en prĂŠpare un autre, assez lourd [Augustine, d’Alice Winocour] sur l’hystĂŠrie, dans lequel j’ai le rĂ´le principal, avec Vincent Lindon en professeur Charcot [1825-1893]. Quand j’ai

lu le scĂŠnario, j’ai eu le coup de foudre, la production a vu mille deux cents nanas, mon agent les a appelĂŠs SHQGDQW KXLW PRLV HW Ă€QDOHPHQW LOV P¡RQW SULVH dD QH me fait pas du tout peur, mais c’est un gros challenge : il y a trois scènes d’hystĂŠrie vraiment balèzes, je fais des mouvements pas du tout naturels, une manière de se tordre que mĂŞme un gymnaste ne peut pas reproduire : se relâcher, contracter d’autres muscles‌ c’est assez proche de la crise d’Êpilepsie. Ça va aller ? Tu vas tenir le coup ? Un mĂŠdecin du travail m’a dit rĂŠcemment : ÂŤ Vous sortez un disque, vous allez ĂŞtre en tournĂŠe, vous tournez deux Ă€OPV HQ PrPH WHPSVÂŤ QRQ PDLV Oj -( 9286 /¡$1NONCE, VOUS ALLEZ CRAQUER ! Âť Oh putain ! Merci ! — I Thought I Was An Alien

Because

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INTERVIEW ART

Les ambiguïtés colorées de Théo Mercier, on les adore, quitte à paraître lèche-couilles, puisque l’organe est présent dans certaines de ses sculptures à la folie généreuse.

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entretien Magali Aubert

Une première exposition il y a seulement deux ans, des articles dans Le Monde, Art Actuel, Beaux-Arts (huit pages et la couverture), le Los Angeles Times‌ Comment expliques-tu ce succès ? ThĂŠo Mercier : Je rassure parce que je ne parle pas d’art. Je fais des propositions accessibles avec plein d’accès possibles, dont la satisfaction visuelle. Elle passe par la forme, la couleur, la matière, et surtout le dĂŠploiement d’un imaginaire, ce qui se fait de moins en moins. La scène française propose plutĂ´t des questionnements, du recul‌ Le public te dĂŠcouvre en 2010 (nous bien avant, dans Standard n°29) avec Le Solitaire (ĂŠnorme ÂŤ Barbapapa Âť blanc sur une chaise). MĂŞme Martine Aubry, Fanny Ardant ou Sophie Marceau se sont fait prendre en photo devant‌ C’est ce que j’appelle une Ĺ“uvre touristique. J’aimerais les avoir, toutes ces photos. Cette pièce a fait parler [elle fait dĂŠsormais partie de la collection de la Maison rouge], car elle crĂŠe une ĂŠmotion avec le regard, avec sa masse en similispaghetti [des cordelettes enduites de silicone]. Le monumental qui parle de l’intime. Ce monstre peut ĂŠvoquer le travail de l’artiste. Mais ce n’est pas la plus marquante. Quelle pièce prĂŠfères-tu ? La BĂŞte Ă deux dos. Elle dĂŠcrit l’ambiguĂŻtĂŠ que j’aime : est-ce qu’on doit rire ? avoir peur ? est-ce que c’est gentil ? Des mains rĂŠalistes – fascinantes et dĂŠrangeantes parce qu’elles sont humaines et surdimensionnĂŠes – dĂŠpassent d’une boule de fourrure, on ne sait pas ce qui se cache dessous, si des personnes se protègent ou s’embrassent, ou si c’est un seul et mĂŞme monstre. Je l’ai faite pour la Fiac cette annĂŠe mais l’avais dessinĂŠe il y a quatre ans. Tu es très productif. Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter d’autre ? Rien. Après, c’est pas un boulot facile... Dans mes pĂŠriodes d’atelier, c’est six jours par semaine, Ă KHXUHV Ă€[HV GH KHXUHV j KHXUHV GHV KRUDLUHV GH bureau [rires]. Mais la grosse partie du travail est en dehors : la communication, l’organisation, le transport, les dessins, l’intendance‌ Financièrement, tu ne mènes plus une vie d’artiste ? Je l’ai menĂŠe Ă Berlin oĂš j’ai ĂŠtĂŠ serveur pendant deux ans, en vivant dans des squats. Maintenant je peux payer mon loyer, mais pour combien de temps‌ Ne te fais pas de soucis, tu es le seul Ă pouvoir rendre totĂŠmique un arbre Ă couilles ! Toutes roses, toutes molles, on dirait du chewing-gum alors qu’elles sont censĂŠes parler de virilitĂŠ. Il n’y en a plus dans ma dernière exposition [Le MusĂŠe des arts seconds, Galerie Gabrielle Maubrie en octobre dernier]. Non‌ mais il y a un nez-bite. On est bien d’accord, ce n’est pas des blagues, on est dans le jeu. MĂŞme s’il mĂŠprise l’humour, l’art n’est pas fait pour pleurer ! On peut rire, ĂŞtre ĂŠmu ou effrayĂŠ... Il n’y a qu’à voir la home de ton site : squelettes, pierres tombales et l’inscription DEATH qui rĂŠserve une surprise sanglante. Et j’avais le look gothique entre 16 et 19 ans. Le culte, l’effrayant, les vampires, les châteaux hantĂŠs, les sacriĂ€FHV KXPDLQV PH IDVFLQHQW

Les dessins animĂŠs, les sĂŠries B ? Je n’ai jamais eu de tĂŠlĂŠ. Je suis nĂŠ Ă Paris, mes parents sont dans le cinĂŠma, mon père dans la dĂŠco et ma mère costumière : pas de tĂŠlĂŠ. Je me faisais chier, alors je faisais des trucs. Je vais beaucoup au cinĂŠma. Dernièrement, que des dĂŠceptions : Contagion [de Steven Soderbergh], Hors Satan [de Bruno Dumont]‌ Le Tintin [de Steven Spielberg], une cata. Tu travailles avec la plus grosse ĂŠquipe d’effets spĂŠciaux de France‌ Oui, des gens qui m’aident depuis mes dĂŠbuts : No 0DQ¡V /DQG j 6DLQW 2XHQ ,OV IRQW WRXV OHV Ă€OPV GH Besson, Jeunet‌ Les pièces Ă ĂŠchelle humaine, je les fais Ă l’atelier avec mon assistant, et les grandes, celles qui nĂŠcessitent des rĂŠsines, des trucs chimiques un peu osĂŠs, ils s’en chargent. Te positionnes-tu dans l’hĂŠritage des surrĂŠalistes ? Pour le travail sur le rĂŞve, peut-ĂŞtre, c’est la dernière pĂŠriode Ă avoir travaillĂŠ sur l’imaginaire ; mais je ne le revendiquerais pas, je ne connais pas assez, et surtout : j’essaie de ne pas parler d’art. Comment en es-tu arrivĂŠ lĂ , alors ? J’ai fait des ĂŠtudes de design industriel spĂŠcialisĂŠ en ingĂŠnierie, un truc assez raide. Mes connaissances sur les plastiques, je pensais les appliquer Ă des bouteilles de shampooing. J’ai ĂŠtĂŠ stagiaire chez Matthew Barney, qui ouvrait des portes que j’Êtais loin de soupçonner ! C’est en le regardant que je me suis dit que c’Êtait super comme boulot. Alors, plutĂ´t que des objets design, je fais des sculptures en acrylique. Mes squelettes, je les recouvre, mĂŞme quand ils sont vrais. De vrais squelettes ? Tu es de la police ? J’ai mes petites adresses. Ça n’a jamais posĂŠ de problème. Dentiers, crânes, bananes, glands : sĂŠmantique assez variĂŠe, n’est-il pas ? Je ne suis pas un artiste conceptuel, le sens vient après. J’essaie d’apporter un regard dĂŠcomplexĂŠ sur ce qui peut paraĂŽtre obscène ou tragique. Les familles mexicaines picolent et jouent de la musique sur les tombes : des rires, des jeux, des musiciens... la mort rieuse, j’y crois vraiment. Pourquoi inclure des objets d’art africain dans tes nouvelles pièces [voir portfolio p. 72] ? Parce que les arts premiers ont une fonction usuelle, sans discours. Et qu’il y a quelque chose d’enfantin dans les masques ? Non. Je ne fais rien d’enfantin, tout est très maĂŽtrisĂŠ, le traitement des peintures (huit couches avec des dĂŠgradĂŠs) et des formes n’est pas naĂŻf. Rien de spontanĂŠ, aucun hasard, la moindre ouverture de bouche est calculĂŠe. Je suis un vrai maniaque, parfois j’aimerais avoir une gestuelle plus libre. ÂŤ Don’t make love if you have something better to do. Âť, cette phrase sur ton site, c’est ta devise ? Non, ça vient d’un album de hip hop, je les change rĂŠgulièrement en fumant des pĂŠtards. Tu n’as pas de phrase qui t’aide Ă rester droit dans la merde ? Puisque je dĂŠtourne des choses graves, en gĂŠnĂŠral, je prends celle-ci, elle est pas mal, merci : rester droit dans ma merde.—

ÂŤ LES SACRIFICES HUMAINS ME FASCINENT Âť

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INTERVIEW LITTÉRATURE

Fana de Derrida, le Berlinois Rafael Horzon publie Le Livre blanc, Êtrange autobiographie d’un entrepreneur absurde. Audit de gestion.

Une galerie nippo-allemande sans artiste japonais, un magasin de meubles dĂŠdiĂŠ Ă une ĂŠtagère, une AcadĂŠmie des Sciences aux enseignements farfelus, dont la fabrication d’explosifs‌ Depuis 1996, la Torstrasse de Berlin accueille la plupart des entreprises de Rafael Horzon, 41 ans, petite moustache et pipe en bois. Dans son Livre blanc, premier roman, il revient sans se prendre au sĂŠrieux sur ces expĂŠriences, ainsi que sur son ĂŠtonnante trajectoire prĂŠalable. Lardon ou cochon ? Difficile de savoir, l’entrepreneur-romancier apprĂŠciant autant l’absurde qu’il dĂŠteste dĂŠfinir ses concepts – parmi lesquels la ÂŤ Nouvelle RĂŠalitĂŠ Âť, censĂŠe supplanter rĂŠalitĂŠ, art et religion pour faire accĂŠder l’HumanitĂŠ Ă une nouvelle ère. Tout simplement. entretien François Perrin photographie Franziska Sinn (Ă Berlin)

LE LIVRE

HOME-MADE IKEA Au commencement ĂŠtait le Rafael. Gamin attirĂŠ par Paris et les cours de Derrida, il prend une gifle en apprenant que le soleil est froid, et dĂŠcide de rĂŠdiger un ouvrage regroupant ÂŤ toutes les connaissances Âť du monde. De retour Ă Berlin, principe de rĂŠalitĂŠ, il devient livreur pour la poste et couche avec une mĂŠnagère affriolante : ÂŤ Pour la première fois de ma vie, il me fallait gagner ma vie. Sauf que je n’avais aucune idĂŠe de comment m’y prendre. Âť Parallèlement, il traĂŽne dans le milieu arty,

Pourquoi ce titre, Le Livre blanc, et une couverture vierge ? Rafael Horzon : J’ai toujours ĂŠtĂŠ un grand fan de 0RXDPPDU .DGKDĂ€ GH VHV YrWHPHQWV HW GH VRQ Livre vert [1975-1981] – publiĂŠ Ă plusieurs milliards d’exemplaires. Je voulais moi aussi ĂŠcrire un livre qui explique TOUT. Il y avait aussi Le Petit Livre rouge de Mao Zedong [Les Citations du PrĂŠsident, 1964] et celui de Carl Gustav Jung [Liber novus, 1914-1930], Le Cahier bleu de Ludwig Wittgenstein [1958], etc. Toutes ces couleurs sont concentrĂŠes dans Le Livre blanc. Cette couverture aux lettres poinçonnĂŠes et le livre entier ont ĂŠtĂŠ ĂŠlus ÂŤ livre le plus joli de 2011 Âť en Allemagne. Jacques Derrida vous a-t-il rĂŠellement appris personnellement que le soleil ĂŠtait froid ? Oui, quand j’Êtudiais Ă Paris, il avait consacrĂŠ un cours magistral Ă ce propos. Ce fut un choc profond pour moi. J’ai commencĂŠ Ă douter de toutes les vĂŠritĂŠs que je connaissais. Attitude fondamentale que j’ai gardĂŠe et qui constitue le point de dĂŠpart de tout ce que j’ai fait pendant ces vingt dernières annĂŠes. Une autre leçon de Derrida dont je me rappelle portait sur la diffĂŠrence entre le pain et la croĂťte. Celle-ci n’a cependant eu aucun effet sur ma pensĂŠe. 9RXV YRXV GpĂ€QLVVH] FRPPH XQ HQWUHSUHQHXU La faute Ă Derrida... Dans les annĂŠes 90, dans tout le quartier Berlin-Mitte, on ne trouvait personne qui ne souhaitait pas ĂŞtre soit artiste soit ĂŠcrivain. Pour ĂŞtre avant-gardiste, il y avait deux seules possibiliWpV GHYHQLU HQWUHSUHQHXU RX ELHQ VFLHQWLĂ€TXH &¡HVW pourquoi j’ai ouvert dès le dĂŠbut mon AcadĂŠmie, puis lancĂŠ toutes mes entreprises. Toutes partent d’une idĂŠe simple, qui contourne les codes. C’est vraiment aussi facile ?

frĂŠquente le surrĂŠaliste Bar du cintre et cherche l’avant-garde Ă tout prix – c’est-Ă dire une distanciation extrĂŞme vis-Ă -vis de l’art contemporain, prĂŠcisĂŠment. Il se lance donc dans le business, Ă ceci près que chacune de ses entreprises repose sur un concept tellement simple qu’il plaĂŽt immĂŠdiatement Ă un large public de branchĂŠs, qui ne lui achètent pas forcĂŠment grand-chose mais permettent la tenue de stupĂŠfiantes et courues soirĂŠes d’inauguration : ÂŤ En neuf mois, la boutique online de GelĂŠe Royale n’avait pas enregistrĂŠ la moindre vente. Âť Fort heureusement, coup de dĂŠbutant, coup

de maÎtre, son  magasin de meuble  (sans  s ) continue à fonctionner fort bien, ce qui lui permet de surnager... Et de prÊparer l’avenir de la pensÊe humaine, poursuivi sans cesse par Signora Sarasate, incarnation rÊcurrente d’une sorte de grain de sable dans les rouages de la narration – le lecteur luimême, probablement, qui vient taquiner l’objet-roman. Etrange ? Loufoque, plutôt. Et hilarant. — F. P.

/H /LYUH EODQF GH 5DIDHO +RU]RQ Attila 218 pages, 15 euros

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« JE VOULAIS ÉCRIRE UN LIVRE QUI EXPLIQUE TOUT »

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INTERVIEW RAPHAEL HORZON

Si quelqu’un dit ÂŤ oui Âť, je me sens contraint de dire ÂŤ non Âť. C’est un peu primitif, mais aussi intĂŠressant. Et quelquefois, cette attitude mène au succès. Prenez mon entreprise de meubles : j’ai changĂŠ le slogan ÂŤ Maintenant, encore plus de choix ! Âť en ÂŤ Maintenant, encore moins de choix ! Âť, et ouvert un magasin ne proposant pas des milliers de produits, mais un seul. Une simple ĂŠtagère. Ça a tout de suite ĂŠtĂŠ un succès immense. Votre personnage se lance dans des projets sans DYRLU QL TXDOLĂ€FDWLRQV QL FRQQDLVVDQFHV 3RXU GHYHQLU TXHOTXH FKRVH LO VXIĂ€W GH GLUH TX¡RQ O¡HVW " Oui. C’est la leçon la plus importante de ma vie. Modocom est la holding qui gère l’AcadĂŠmie, Separitas [agence de sĂŠparation], Moebel Horzon [magasin de meuble], Belfas [habillage de façades] ou GelĂŠe Royale [ligne de vĂŞtement]. D’autres projets ? Oui. Une lampe qui va me rendre très riche. Suite au grand succès de Moebel Horzon [la seule entreprise EpQpĂ€FLDLUH GX JURXSH@ MH YDLV RXYULU DX PRLV GH PDUV

IDÉE

AUTOROUTE Ă€ 3E VOIE Si vous demandez Ă Horzon de vous dĂŠfinir la ÂŤ Nouvelle RĂŠalitĂŠ Âť, il proposera un schĂŠma tordu Ă base de bulles de sable en forme de poisson, auquel vous ne pigerez que dalle : ÂŤ Cette bulle est très longue, on dirait une anguille. Elle reprĂŠsente la rĂŠalitĂŠ. Âť Ah, d’accord. En revanche, il a acceptĂŠ, en mars 2011 pour Arte creative, d’en dire un peu plus sur la ÂŤ Troisième Voie Âť qu’il a dĂŠcidĂŠ d’emprunter dans les annĂŠes 90. Prenons les deux premières, classiques : s’assurer un avenir professionnel confortable, y gagnant une bonne bedaine mais un cerveau atrophiĂŠ, ou bien opter pour la Nouvelle LittĂŠrature Allemande, avec pour consĂŠquences un fort renforcement cĂŠrĂŠbral et la famine. Lui a prĂŠfĂŠrĂŠ ne pas choisir, crĂŠant sa propre AcadĂŠmie des Sciences (pour le cerveau) et ses propres entreprises (pour l’argent). — F. P.

mon nouveau magasin, Lampen Horzon. Et votre maison d’Êditions / librairie, Verlag, qui ne vend que votre livre ? Un jour, j’ai remarquĂŠ qu’on gagnait très peu en tant qu’auteur. Alors j’ai ouvert ma ÂŤ librairie d’ouvrages pratiques Âť, dans la Torstrasse, pour que mon livre me rapporte plus, Ă la fois en tant qu’auteur et que libraire. Votre AcadĂŠmie dĂŠlivre des faux diplĂ´mes de valeur ĂŠquivalente Ă celle des universitĂŠs allemandes, hĂŠhÊ‌ Oui, pour montrer qu’il n’y en a pas besoin. Ce qu’il faut privilĂŠgier, c’est la formation personnelle. Une formation qui ne suit pas des règlements, mais des centres d’intĂŠrĂŞt. Pour cela, il faut se rĂŠserver beaucoup de temps libre, en dehors des salles de cours. J’ai rassemblĂŠ la plus grande partie de mon savoir immense en dehors de l’universitĂŠ. Pour la mĂŞme raison, il ne fallait assister qu’à quatre cours de mon AcadĂŠmie pour obtenir son diplĂ´me. Quelle est la part de vĂŠritĂŠ dans Le Livre blanc ? 100 %. Les photos insĂŠrĂŠes dans le livre sont lĂ pour prouver la vĂŠracitĂŠ des histoires incroyables que je raconte. Tout est vrai. J’ai ĂŠcrit un ouvrage pratique, car mĂŞme si j’avais voulu inventer des histoires, je n’aurais pas pu le faire, faute d’imagination. Qu’est-ce que cette ÂŤ Troisième Voie Âť ? La voie qui mène Ă la Nouvelle RĂŠalitĂŠ [voir encadrĂŠ]. Vous ĂŞtes ami, avec le Français Cyprien Gaillard. OĂš se place-t-il dans cette Nouvelle RĂŠalitĂŠ ? Cyprien est certainement un gĂŠnie. Il n’a commis qu’une seule faute : avoir choisi d’être artiste. S’il cessait d’être artiste, il pourrait faire partie de la Nouvelle RĂŠalitĂŠ. Je vais lui tĂŠlĂŠphoner pour le convaincre. Son prix Marcel Duchamp : un prix pour artistes. Ça ne m’intĂŠresse pas. Marcel Duchamp m’intĂŠresse beaucoup. Mais l’art, non. Vous avez dĂŠclarĂŠ qu’HĂŠlène Hegemann, accusĂŠe de plagiat pour son roman Axolotl Roadkill [2010], ĂŠtait le vĂŠritable auteur du Livre blanc. Pourquoi ? Parce qu’elle a ĂŠtĂŠ maltraitĂŠe en Allemagne. A-t-elle copiĂŠ ? On s’en fout. Gutenberg l’a fait avant elle. Elle est intelligente, très drĂ´le et, oui, c’est elle qui a ĂŠcrit mon roman. —

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« Une critique des médias tordante et parfaitement rythmée » PREMIÈRE

JACQUES KIRSNER PRÉSENTE

PRÉSENTE

UN FILM DE GILLES BALBASTRE ET YANNICK KERGOAT SCÉNARIO DE SERGE HALIMI, PIERRE RIMBERT, RENAUD LAMBERT, GILLES BALBASTRE, YANNICK KERGOAT

« C’est un film qui vous saisit, vous tient fermement du commencement à la fin. Et vous fait terriblement réfléchir. » COSTA-GAVRAS

ACTUELLEMENT AU CINÉMA UN FILM PRODUIT PAR JACQUES KIRSNER, JEM PRODUCTIONS AVEC LA PARTICIPATION DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE - MUSIQUE ORIGINALE FRED PALLEM - ANIMATION JORIS CLERTÉ, PETITE CEINTURE - PRODUCTION EXÉCUTIVE ANNE-MARIE MARSAGUET - UN FILM DISTRIBUÉ PAR EPICENTRE FILMS

WWW.LESNOUVEAUXCHIENSDEGARDE.COM WWW.EPICENTREFILMS.COM

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MODES DE VIE BREF

Une assiette C’est la petite voix du bon goĂťt qui parle. Aussi sĂťre d’elle qu’un sonore cor de basset dans une Ĺ“uvre de Strauss : ÂŤ Cette assiette ĂŠmaillĂŠe, peinte Ă la main est une pièce unique, de dimensions variables, vendues Ă la galerie Bendana-Pinel Art Contemporain, 4 rue du Perche, dans le 3e arrondissement de Paris. Âť Et les autres modèles du dessinateur Steven Le Priol sont tout aussi beaux. M. A. VWHYHQOHSULRO IU

Une paire de lunettes

sĂŠlection Jean-Marc Rabemila textes Magali Aubert, Jean-Emmanuel Deluxe, Anne-Sophie Meyer et Elisabeta Tudor

D’une collaboration avec Kostas Murkudis, crĂŠateur allemand d’origine grecque, ancien de chez Helmut Lang et maniaque du vĂŞtement minimaliste – ĂŠgalement le frère d’Andreas, du concept-store berlinois du mĂŞme nom – sont nĂŠs Elektra et Phinneas. Des modèles Mykita en acier inoxydable disponibles Ă partir de fĂŠvrier dans les magasins les mieux achalandĂŠs, qui arriveront juste Ă temps pour nous faire une belle marque de bronzage en terrasse du restau d’altitude. A.-S. M. mykita.com

Avec un nom qui fait pseudo MSN, Jojo Messenger n’en reste pas moins la marque qui redonne aux sacs Ă dos ses points de premier de classe. Sa collection d’accessoires fabriquĂŠs en France de façon artisanale, avec de la toile de cordura et du cuir labellisĂŠ Oeko-Tex tannĂŠ aux extraits vĂŠgĂŠtaux, est vendue en exclu chez Centre Commercial. Sur l’Êtiquette : VDF %HUWXV &DIp Jojo Messenger pour Centre Commercial, 395 euros. A.-S. M. jojomessenger.com

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Un sac Ă dos

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MODES DE VIE BREF

Une botte Ok, ok, ok. C’est salaud SDUFH TXH OHV ÀOOHV SRXYDLHQW SURÀWHU GHV MRXUV GH SOXLH SRXU abandonner les talons avec une excuse. C’est cruel parce que ça doit probablement bien glisser sur l’asphalte mouillé. Mais c’est chouette parce qu’une ligne de jambe, un fessier renforcé et une taille de gagnée, même sous un parapluie, ça s’apprécie. Donc on dit merci Dsquared . OK, ok, ok ? M. A. dsquared2.com

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Un headband Pauline Dröm, la marque parisienne au nom limite suédois de Pauline Sevenet et Pauline Motte, offre une alternative IDVKLRQ aux saccagées du ciseau, aux esseulées du brushing, aux loupées de la couleur, bref, aux victimes d’un ratage de coiffeur. Des bijoux de tête pour les femmes (celui-ci est une couronne double de plumes de faisan et pierres à facettes décoratives, à 150 euros) qui, pour une fois, ne seront pas vexées si leur amoureux ne remarque pas leur nouvelle coupe. A.-S. M. paulinedrom.com

Un artiste

Un coussin

Chacun des coussins de Baptiste Viry pour Yellow Velvet raconte une sieste à lui tout seul. On les imagine pFUDVpV VRXV GHV FRXGHV GDQV GHV GpFRUV GH ÀOPV SOXV ou moins champêtres dans lesquels l’érotisme de JeanPierre Marielle a encore un sens ; s’y adosser pour suivre l’histoire d’une romance contée avec un cigare. M. A. yellowvelvet.com

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Laurent le Deunff aurait pu faire partie de notre dossier, mais nous l’avons découvert en plein bouclage, en passant devant la galerie Semiose, 54 rue Chapon, dans le 3e arrondissement de Paris, non loin de la rédaction. Son exposition, La Grande Evolution comporte des dessins et des sculptures sur et dans la nature. Elle est présentée jusqu’au 4 février à la Chapelle du Carmel de Libourne. La Tête colossale ci-dessus est restée jusqu’au 2 janvier dans la Ménagerie du Jardin des plantes, dans le cadre de la Fiac 2011. Vraiment chouette. M. A. ODXUHQWOHGHXQII IU

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MODES DE VIE BREF

Un collier Est-ce le subconscient d’Anne Thomas qui a conçu sa collection Velvet, très art déco, au moment même où le commun des mortels découvre le talent excentrique de la New Yorkaise Iris Apfel et alors que disparaît Loulou de

la Falaise ? Aucune des deux créatrices n’aurait renié ce collier géométrique-chic en métal doré et velours rouge appelé Victoria. A.-S. M. annethomas-bijoux.com

Un livre Bible du cool, Steve McQueen: The Actor and his Films est un luxueux pavé de 492 pages et 1020 photos (nous avons recompté) qui couvrent l’intégrale de la carrière du type le plus cool d’Hollywood : de sa jeunesse délinquante, ses années dans la marine, ses débuts d’acteur à son statut de star mondiale à l’attitude über cool. Les auteurs, Andrew Antoniades et Mike Siegel, doivent être bien cool. J.-E. D. daltonwatson.com

3 Une silhouette

Les total looks sont bannis, oui, rassurez-vous, nous sommes au courant. Mais quand la Japonaise Tsumori Chisato allie les imprimés de Kenzo aux coupes Jean-Paul Gaultier dans un VRXIÁH GH VRLH TXL Q·DSSDUWLHQW qu’à elle, on ne peut que faire clap-clap. M. A. tsumorichisato.com

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Une boucle d’oreille

A défaut d’en avoir un en cristal Baccarat suspendu dans le living, n’est-ce pas, on pourra toujours porter des lustres aux oreilles pour 140 euros. Si, avec ces dormeuses en laiton plaqué or noir so baroque de Miss Bibi, la marque dont les bijoux « s’inspirent GX PRQGH GH O·HQIDQFH HW IRQFWLRQQHQW VXU le mode du rétro-nostalgique », on ne vous prend toujours pas pour une lumière, changez de cerveau. A.-S. M. missbibi.com

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Nova Records prĂŠsente

NovaTunes 1.1_2.0 Un Coffret de 10 CD / 146 titres

Radiohead + Beirut + Vampire Week end + Little Joy + The Dø + Seu Jorge + Moriarty + Ayo Erykah Badu + Feist + Amy Winehouse + Spleen + Astrud Gilberto + Arthur H + Tahiti 80 Sourya + General Elektriks + Eels + Wax Tailor + Femi Kuti + LCD Soundsystem + Herman Dune DJ Vadim + Emiliana Torrini + Little Dragon + JosĂŠ GonzĂĄlez + Staff Benda Bilili + Winston Mac Anuff + Munk + Asia Argento + Just Jack + Absynthe Minded + Zero 7 + Natty + Kenna + Dinah Washington + Alexis HK + Peter Von Poehl et bien d’autres‌

Le meilleur du Grand Mix de Radio Nova de 2005 Ă 2009

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MODES DE VIE BREF

Un blouson Parce que cet hiver ne serait pas le mĂŞme sans marrons chauds et sans collab’, après Feiyue et Agnès b., Carhartt + APC rĂŠitèrent leur tandem pour une collection limitĂŠe en quantitĂŠ mais pas en qualitĂŠ. A.-S. M. DSF IU

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Un festival

Une chaussure

Fred Marzo – de son vrai nom FrĂŠdĂŠrick Foubet Marzorati – a collaborĂŠ avec StĂŠphane KĂŠlian, Christian Louboutin et Sartore avant de lancer sa première collection d’escarpins, salomĂŠs et ballerines. Tout pour plaire Ă la it-dame : des matières prĂŠcieuses (agneau plongĂŠ, python, croco, serpent d’eau), des modèles ĂŠpurĂŠs, faits main et made in France. Celui-ci, Titine 100, coĂťte 625 euros. Les 20/20 en histoire de la mode remarqueront l’omniprĂŠsente ligne de couture rouge sur le contrefort et le talon, signature du crĂŠateur en hommage aux femmes des annĂŠes 40 qui affrontèrent les restrictions de la guerre en se dessinant un trait de crayon noir sur les jambes en guise de bas nylon. A.-S. M. IUHGPDU]RRQOLQH FRP

Les photographes Kourtney Roy (qui tape dans l’œil de pas mal de monde en ce moment, photo ci-dessus) et Emilie Chassary (qui est dans notre carnet d’adresses) seront prĂŠsentes Ă la deuxième ĂŠdition du festival Circulation(s). OrganisĂŠ par Fetart, association qui promeut la jeune photographie europĂŠenne, l’ÊvĂŠnement proposera sa sĂŠlection 2012 (quarante photographes) Ă la galerie CĂ´tĂŠ Seine et au Trianon du parc de Bagatelle Ă Paris du 25 fĂŠvrier au 25 mars. Il faut aller y circuler. M. A. IHVWLYDO FLUFXODWLRQV FRP

Les RA dĂŠbarquent Ă Paris. Le haut Marais est le quartier d’adoption du duo Belge Romain Brau et Anna Kushernova qui prĂŞte ses initiales Ă la boutique fondĂŠe Ă Anvers en YRLU 6WDQGDUG Qƒ 'qV Ă€Q MDQYLHU le nouvel espace de ces designers (diplĂ´mĂŠs de l’AcadĂŠmie Royale des Beaux-Arts d’Anvers) devenus acheteurs misera sur l’excentricitĂŠ de Charlie Le Mindu, Jean-Paul Lespagnard ou Iris Van Herpen... Avec des goodies design, des livres, des magazines, des installations artistiques et – on l’espère – les fabuleux mets dont est dotĂŠe la version belge. C’est au 14 rue de la Corderie, celle oĂš on gare la standardmobile après les shootings. E. T. ra13.be

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Une boutique

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Le rock, c’est comme les huîtres, c’est meilleur quand c’est vivant.

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MODES DE VIE ANTIF**DING

BARAKA BARBAQUE

Au Kazakhstan, le cerveau sans sauce et les yeux de chevaux en BESHBARMAK, ça ne se refuse pas. par Laure Alazet (à Astana)

NĂŠmĂŠsis proclamĂŠe de cette rubrique, le guide du Fooding faisait scandale il y a deux ans en proposant en entrĂŠe lors de sa Semaine des Incorrects un carpaccio de cheval – comme si dĂŠvorer du canasson devenait un acte militant contre l’uniformisation du goĂťt. MĂŞme la Bardot s’Êtait fendue d’une lettre de SURWHVWDWLRQ FRQWUH FHW DFWH EDUEDUH TXDOLĂ€p GH Š propagande Âť. Incorrect ? Bof. Petits joueurs ? SĂťrement. Car il existe un pays oĂš le cheval trottine dans les ĂŠcuries de la gastronomie. Le Kazakhstan. Ce qui frappe Ă Astana, la capitale, outre son architecture futuriste GDQV XQ SD\V GH WUDGLWLRQ QRPDGH F¡HVW OH IURLG ƒ& j OD Ă€Q GH l’automne, -45 °C au cĹ“ur de l’hiver. Rester dix minutes dehors relève parfois de l’exploit. Pour revigorer les siens, la babouchka sait mitonner des plats qui tiennent au corps. Parmi eux, en lieu et place de la fondue savoyarde, le fameux beshbarmak. Oreilles gĂŠlatineuses Beshbarmak VLJQLĂ€H Š FLQT GRLJWV ÂŞ HQ ND]DNK SDUFH TXH F¡HVW un plat convivial que l’on pose au centre de la table et que l’on mange Ă la main. Tout est bon dans le cheval, dĂŠcoupĂŠ entièrement, dessalĂŠ dans l’eau. Sa viande, souvent mĂŠlangĂŠe Ă l’agneau, bouille toute une nuit. Pendant ce temps-lĂ , les cuisinières

prĂŠparent de grandes pâtes, sortes de lasagnes gĂŠantes, armĂŠes d’immenses rouleaux Ă pâtisserie. Le moment idĂŠal pour apprĂŠcier un bon beshbarmak, c’est un mariage. Ça m’est arrivĂŠ Ă Almaty, au pied des montagnes Tien Shan oĂš, en octobre dernier, un ami français ĂŠpousait sa collègue de bureau, Kazakh du Sud. Et c’est au milieu des nombreux toasts portĂŠs par leurs proches que les beshbarmaks ont surgi, accompagnĂŠs de leur bouillon hyper salĂŠ et d’un verre de kumis – du lait de jument au goĂťt de vomi mais aux soit-disant propriĂŠtĂŠs mĂŠdicinales. En bouche, le cheval est tendre – voire excellent – et plein de protĂŠines. Mais Ă la table d’honneur d’un ambassadeur, oĂš je suis assise, une expĂŠrience plus intĂŠressante se prĂŠpare : manger de la tĂŞte. /HV RUHLOOHV JpODWLQHXVHV GLIĂ€FLOHV j PkFKHU DWWHUULVVHQW DXWRPDtiquement dans l’assiette de l’invitĂŠ le moins important (moi). Le cerveau, Ă avaler sans sauce, est partagĂŠ, et les yeux de l’animal, GpOLFDWHVVH VXSUrPH Ă€QLVVHQW GDQV OH JRVLHU GX GLSORPDWH 6RXV le regard approbateur des parents de la mariĂŠe (c’est le mets des invitĂŠs de marque, impossible de le refuser), un Ĺ“il, dont l’allure et la saveur se rapprochent plus ou moins de l’œuf dur, est dĂŠgustĂŠ – lentement, chaque bouchĂŠe ĂŠtant ponctuĂŠe d’un protocolaire Tak Vksuno, que c’est bon ! On raconte que la nuit qui suivit, l’ambassadeur n’aurait cessĂŠ de hennir. —

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MODES DE VIE ENVIRONNEMENT

TRAÇABILITÉ MAXI-MEUH

En Suède, PARRAINER UN VEAU de l’Êtable Ă l’assiette, c’est aussi cruel que possible. par Ana Flamind (Ă Brastad) illustration AmĂŠlie Fontaine

Au nord de GĂśteborg, entre forĂŞts et lacs, gĂŽt le domaine de SkĂśllungen GĂĽrd. Ing-Britt Hansson et son mari, deux ex-fonctionnaires sexagĂŠnaires, dirigent cette ferme biologique d’un nouveau genre. Pour environ 50 euros, je choisis parmi soixante nouveaux-nĂŠs un YHDX SRLOX SUHTXH RUDQJH TXH MH SUpQRPPH %REE\ 8Q FHUWLĂ€FDW RIĂ€FLDOLVH QRWUH UHODWLRQ MH VXLV PDLQWHQDQW VD PDUUDLQH MXVTX¡j ses 27 mois. ÂŤ Il n’y a pas d’obligation, mais le parrainage vous donne accès Ă nos ĂŠtables. La plupart des parrains sont curieux et UHQGHQW YLVLWH j OHXU DQLPDO 8QH IRLV SDU PRLV RQ OHXU HQYRLH GHV photos et un court rĂŠcit de notre vie Ă SkĂśllungen GĂĽrd. Âť Et après ? Après, c’est l’abattoir : je pourrai acheter la viande de mon veau devenu taureau 10 euros le kilo. ÂŤ Et si je m’attache Ă lui ? Âť demandai-je naĂŻvement. ÂŤ Je n’y avais jamais pensĂŠ, rĂŠpond Ing-Britt. J’imagine qu’on pourrait trouver une solution pour qu’il ne soit pas tuĂŠ. Que vous rachetiez Bobby, par exemple ? Âť Combien ça coĂťterait ? Elle n’en a aucune idĂŠe, ça dĂŠpend de son poids, de sa santĂŠ, de la façon dont on dĂŠciderait de le faire garder. Ça y est, je culpabilise. Hello Bouclette Une initiative similaire existe Ă Saint-Mard-de-RĂŠno, en BasseNormandie. La Ferme de la Vacherie voit gambader quatrevingt-cinq copines sur deux cents cinquante hectares de prairies. Sur leur site : ÂŤ 'pFRXYUH] OH IRQFWLRQQHPHQW G¡XQH H[SORLWDWLRQ agricole par le biais de newsletters mensuelles et de visites sur

place. Âť Les mĂŠthodes sont presque les mĂŞmes, le rĂŠsultat moins cruel. Pas question de vendre la viande : pour 15 euros minimum, vous participez aux frais alimentaires, aux soins vĂŠtĂŠrinaires et Ă la modernisation des conditions de vie d’une belle normande Ă taches noires. Je craque sur Bouclette, 5 ans, qui a produit plus de FLQT PLOOH OLWUHV GH ODLW HQ 8Q VHFRQG FHUWLĂ€FDW RUQHPHQWp GH ma photo devrait bientĂ´t complĂŠter ma collection. Ces dĂŠmarches se multiplient en Europe et rĂŠpondent Ă la tendance bobo-ĂŠcolo de mener une vie plus authentique Š. NĂŠanmoins, après toutes les analyses sur le pet polluant des vaches, en parrainer une, ne serait-ce pas comme acheter une voiture diesel ? —

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MODES DE VIE VOYAGE

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LÀ-BAS

MYANMAR

il y Akha... Peut-on revenir des régions les plus reculées de l’EX-BIRMANIE avec autre chose que l’exotisme habituel ? Oui. Avec des images originales et une nouvelle coiffe argentée.

© Antranik Zékian

par Antranik Zékian (à Kengtung) illustration Marion Boucard (à Kengtung)

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MODES DE VIE VOYAGE

On peut traverser la moitiĂŠ du globe pour quelques milliers d’euros, en une vingtaine d’heures d’avion. Partir Ă la dĂŠcouverte du lointain n’est plus un rĂŞve inaccessible, ni mĂŞme un luxe pour la plupart des Occidentaux. Et alors que la tĂŠlĂŠvision donne rendez-vous Ă des stars en ÂŤ terres inconnues Âť, peut-on encore, un sac sur le dos, ĂŞtre autre chose qu’un touriste ? En aoĂťt dernier, nous revenons Marion et moi pour la seconde fois en RĂŠpublique de l’Union du Myanmar (ex-Birmanie). Le pays n’est ouvert aux ĂŠtrangers que depuis les annĂŠes 2000 ; en 2010, dix mille Français s’y sont rendus. Pour autant, seule une partie du territoire est accessible. D’immenses zones incluant tout le nord et l’est du pays, ainsi que l’ensemble des zones frontières sont interdites aux curieux sauf dĂŠrogation exceptionnelle. Notre objectif est d’atteindre l’est, rĂŠgion ÂŤ sensible et faire connaissance avec les tribus reculĂŠes : les Paus, les Engs, les Akhas, les Palaungs‌ dans une partie du territoire Shan essentiellement rural oĂš cohabitent plus d’une centaine d’ethnies (voir encadrĂŠ). Derrière les sentiers boueux Nous entrons dans la partie birmane du cĂŠlèbre Triangle d’Or, l’une des principales zones mondiales de production d’opium depuis les annĂŠes 50, qui s’Êtend des FRQĂ€QV GH OD %LUPDQLH MXVTX¡DX[ H[WUpPLWpV GX /DRV HW GH OD 7KDwODQGH $X WUDĂ€F GH GURJXH LO IDXW DMRXWHU OHV JXpULOODV $ OD Ă€Q G¡XQH MRXUQpH FRPSOqWH DX SRVWH IURQWLqUH QRXV REWHQRQV HQĂ€Q XQ SHUPLV ,O IDXGUD VL[ KHXUHV de bus jalonnĂŠes d’innombrables arrĂŞts aux check points militaires pour parvenir Ă Kengtung, chef-lieu de l’Etat Shan, oĂš habitent quelques milliers d’âmes rĂŠparties sur une quinzaine de rues. A seulement 70 km de la frontière chinoise, cette ville s’Êtire autour d’un lac central. La citĂŠ est un lieu d’une grande diversitĂŠ ethnique, oĂš les coutumes s’entretiennent au rythme d’une quiĂŠtude caractĂŠristique des petites villes montagneuses du pays. Il nous faudra encore faire deux heures de jeep et quatre heures de marche sur des sentiers boueux dĂŠfoncĂŠs avant d’arriver lĂ oĂš vivent les tribus de l’Est. L’ex-gouvernement militaire, au pouvoir depuis 1962, a limitĂŠ les contacts de ces populations avec l’extĂŠrieur. Leurs traditions et leurs croyances sont demeurĂŠes intactes. Une Normande en Akha Alors que nous traversons un village, des enfants Ă moitiĂŠ nus courent après des cochons, tandis qu’un autre pousse devant lui un vieux pneu Ă l’aide d’un bâton. Les conditions de vie sont extrĂŞmement rudimentaires : pas d’ÊlectricitĂŠ, pas d’eau, pas de route. Les habitants ne descendent Ă Kengtung qu’une Ă deux fois par an pour vendre leur rĂŠcolte. Les drapeaux qui claquent au vent mènent Ă une hutte en bois. Nous apercevons, Ă travers les fenĂŞtres, de vieilles carcasses d’animaux au centre de la maison – qui s’avère ĂŞtre un temple animiste. Les autochtones sont aussi surpris et curieux de nous voir que

nous en les regardant travailler dans les champs. Les portes s’ouvrent et nous sommes invitĂŠs Ă boire le thĂŠ. /D FRPPXQLFDWLRQ VH UpYqOH GLIĂ€FLOH 0DOJUp O¡DLGH GHV deux Birmans qui nous accompagnent, personne ne parle le dialecte local qui diffère d’une tribu Ă l’autre. C’est avec mon appareil photo que j’Êtablis les premiers contacts. Les visages fermĂŠs s’illuminent dès que je montre aux enfants leur image sur l’Êcran LCD de ma FDPpUD /D SOXSDUW Q¡RQW MDPDLV YX OHXU UHĂ HW HW VRQW très excitĂŠs. En ĂŠcho aux sĂŠquences et aux clichĂŠs que je prends, Marion dessine les notables sur son carnet. L’ambiance se dĂŠtend lentement, la vie reprend son cours, notre prĂŠsence devient plus naturelle. Une vieille dame que Marion vient de croquer lui propose d’essayer sa coiffe argentĂŠe : une Normande se transforme en Akha sous des yeux rieurs – de couleur jaune, typique GX SDOXGLVPH 8Q JDPLQ Ă€QLW SDU VH MHWHU GDQV PHV EUDV en rigolant. La journĂŠe se termine sous un violent orage. Alors que nous regardons le dĂŠluge de la mousson s’abattre depuis une terrasse, la maĂŽtresse de maison nous offre un verre d’alcool de riz, fraĂŽchement distillĂŠ dans son sous-sol. Entre les poutres du plancher, les poules blotties les

L’ÉQUIPÉE

LE GARÇON

LA FILLE

Nom : Antranik ZĂŠkian alias Anto. Signe particulier : parcourt le monde sur sa moto depuis septembre 2010. Passion : immortaliser ses rencontres avec l’appareil photo qu’il a toujours en bandoulière. En savoir plus : lespassengers.com

Nom : Marion Boucard alias Miss Marion. Signe particulier : artiste performeuse au goÝt prononcÊ pour l’aventure. Passion : voir à travers son carnet de croquis et son Diana lomographique. En savoir plus : missmarion.fr

XQHV FRQWUH OHV DXWUHV DWWHQGHQW FRPPH QRXV OD Ă€Q GH l’averse ; au loin, deux hommes reviennent des champs VXLYLV SDU XQ EXIĂ H WLUDQW XQH FKDUUXH HQ ERLV KRUV d’âge. Depuis mon dĂŠpart de France il y a onze mois, c’est la première fois que j’ai cette sensation persistante d’être au bout du monde. Nous ne sommes pas les premiers ĂŠtrangers Ă venir ici, et nous n’avons pas explorĂŠ des terres nouvelles ; ces contrĂŠes furent dĂŠcouvertes par des missionnaires du XVIIIe siècle, mais Ă€QDOHPHQW OD QRWLRQ G¡H[SORUDWLRQ D W HOOH WRXMRXUV quelque chose Ă voir avec la destination ? N’est-elle pas davantage liĂŠe Ă ce que l’on vient y chercher ? —

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MYANMAR

© Antranik Zékian

La doyenne d’un village eng découvre son portrait.

Double page précédente : Le chemin que nous empruntons pour accéder aux villages tribaux. numéro 34 — 45

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MODES DE VIE VOYAGE

Faire rouler ce vieux pneu de vélo le plus longtemps possible en le poussant avec un bout de bois suffit à amuser les enfants dans ce village eng.

© Antranik Zékian

Des enfants jouent autour de l’abreuvoir faisant office de douche pour le village.

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MYANMAR

Une jeune mère de famille akha dans sa cuisine.

POLITIQUE

© Antranik Zékian

AUNG SAN SUU KI EN CAMPAGNE

Une grand-mère eng et sa petite-fille. Les Engs se teignent les dents en noir à l’aide d’herbes pour se distinguer des animaux.

Le président de la République, Thien Sein, élu le 4 février 2011, est un ancien général, Premier ministre sous la junte militaire – 25 % des sièges de la nouvelle Assemblée sont réservés à des militaires, mais le régime « civil » en place depuis mars 2011 a promis d’organiser des élections législatives partielles. Le parti de l’opposante Aung San Suu Ki, prix Nobel de la Paix en 1991, libérée en novembre 2010 après avoir passé quinze années en détention ou en résidence surveillée (depuis 1990) devrait y participer. Aujourd’hui autorisée à voyager à l’intérieur du pays, elle demeure une icône internationale et incarne le possible renouveau démocratique du pays, où plus d’un millier de prisonniers politiques sont encore derrière les verrous. — numéro 34 — 47

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MODES DE VIE VOYAGE

Une jeune fille de la tribu des Pau devant la marmite du déjeuner. Au menu : des crapauds.

© Antranik Zékian

Le chamane d’un village animiste eng devant l’entrée de sa maison, à côté de la doyenne. A l’intérieur, des herbes magiques, des animaux sacrifiés et un tambour pour apaiser les esprits.

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MYANMAR

La famille akha, qui nous a ouvert sa porte quand nous étions pris sous une violente pluie de mousson.

ETHNOGRAPHIE EXPRESS

© Antranik Zékian

PAGE GROUPE Les tribus birmanes se subdivisent entre les Tibéto-Birmans (grande majorité qui réunit trente autres groupes tribaux, généralement propriétaires riziculteurs et habitants des maisons sur pilotis), les Môn-Khmers (autrefois dominants, ils vivent principalement dans la région du golf de Martaban et dans le nord, également bouddhistes fervents), les Sino-Thaïs (très présents dans le nord, les Shans [« peuple libre »] en sont la principale ethnie, ils habitent les montagnes et produisent la majeure partie des fruits, fleurs et légumes du pays) et les Karens (trois millions de personnes, divisées en de nombreuses tribus autour des frontières avec la Thaïlande). — numéro 34 — 49

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Dossier

Le style colonial est-il de saison!?

Y a-t-il encore des endroits à découvrir, là où personne n’a encore préparé de barbecue"?

Savez-vous vous diriger en regardant les étoiles"?

Photographie Tom [ts74] Stylisme Mario Faundez Coiffure Stéphane Clavier Maquillage Tania Gandré Modèle Edween chez Studio KLRP

Est-ce que quelqu’un sait comment contacter Werner Herzog!?

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explorateurs Mode

PHOTOGRAPHIE KRIS DE SMEDT REPRÉSENTÉ PAR C’EST CHIC STYLISME JUSTINE ALLAIN RÉALISATION DAVID HERMAN ASSISTANTE STYLISME BIANCA GUIDONI TISSERAND COIFFURE FRANCK NEMOZ MAQUILLAGE CYRIL NESMON REPRÉSENTÉ PAR C’EST CHIC MODÈLE ODILE COCO CHEZ MARILYN AGENCY RETOUCHE ANTOINE MELIS

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explorateurs Cryptozoologie

20 000 LIEUES SOUS LES RÊVES Fossiles, empreintes de Basilic et Kelpi naturalisé sont savamment répertoriés dans le laboratoire de camille renversade, seul et unique chimérologue connu.

Jacques Dutronc ? Non, ça ne peut pas être lui, même si le jeune homme qui arrive est un spécialiste des phénomènes étranges, nous ne sommes pas en 1966. Camille Renversade avance vers nous, en copie jeune actuelle – « trop bien, oui, allons déjeuner ! » – du chanteur dont il connaît la ressemblance : « Ça se voit plus maintenant que sur les photos parce que j’ai perdu dix kilos cet été. » Probablement lors de sa dernière expédition, à bord de son bateau ivre avançant contre les rouleaux de carton-pâte, à la chasse aux mystères. Il est chimérologue. Un corps de métier qu’il a inventé et dont il est le seul pratiquant – ça plairait à Dutronc. par Magali Aubert

Camille Renversade est né (à Lyon) trop tard pour découvrir des trésors merveilleux : « J’aurais aimé faire partie de ces scientifiques, chercheurs, photographes, dessinateurs qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, partirent à la découverte de nouvelles contrées éloignées, à la recherche d’animaux ou de plantes inconnues. J’aurais aimé, au retour, organiser des conférences, exposer des échantillons dans les cabinets de curiosités. » Alors, il fait comme s’il avait pu mettre la main sur des êtres que personne n’a encore réussi à trouver : animaux fantastiques, monstres marins et autres dragons auxquels se consacre la cryptozoologie. Le Kraken (camard géant) ou le Bunyeep (le monstre du Loch Ness australien), ce spécialiste les fabrique, en résine la plupart du temps, et monte depuis ses 10 ans des voyages aux préparatifs laborieux, aux viatiques centenaires et aux destinations captivantes. Dans sa chambre d’abord, puis dans l’appartement qu’il investit après ses études de dessin à l’école Emile-Cohl. Sa passion pour le détail historique l’oblige à bricoler les objets et coudre les vêtements qu’il ne trouve pas en chinant : « Je n’ai encore jamais vu nulle part ces gants reliés par une lanière qu’on portait pour les expéditions polaires. » Quand un objet est indispensable pour

attraper des créatures mais n’existe pas, il le crée également ; c’est le cas du paralapidescoscope, très belle boîte à miroir qui permet de ne pas se laisser pétrifier face à un Basilic apeuré. Kraken et Bunyeep Avec l’« elficologue » Pierre Dubois, célèbre pour ses Encyclopédie des lutins, Encyclopédie des fées et Encyclopédie des elfes (Ed. Höebecke), Camille publie Dragons et chimères : carnet d’expéditions et reçoit le prix Imaginales d’Epinal (qui récompense la meilleure œuvre de fantaisie) en 2009. A 26 ans, il voit alors sa passion légitimée. Son grand-père, botaniste farfelu qui lui a donné ce goût pour la recherche, disons… surannée, n’est plus là pour apprécier. C’est de lui que Camille a hérité les bocaux, les grimoires ; et chez son autre grand-père, pharmacien et collectionneur d’ouvrages scientifiques anciens, qu’il a récupéré les vieilles fioles et les microscopes des années 1900. « Je me documente dans des ouvrages comme Mon expédition au Sud Polaire (1914-1917) d’Ernest Shackleton, j’ai même trouvé la première édition, un grand livre vert de 1928. Des films comme La Vie privée de Sherlock Holmes [Billy Wilder, 1970] ou 20 000 lieues sous les mers [Richard Fleischer, 1954] m’ont beaucoup inspiré, respectivement pour le sous-marin en forme de monstre et le calmar géant. » L’exposition itinérante Cabinet de curiosités s’est terminée en septembre au château de la Tour d’Aigues dans le Luberon. Elle présentait les aventures de l’érudit et son équipe (« mon père, mes oncles, et ma sœur qui a fait la femme à barbe dans mon dernier livre ») en quatre espaces : le campement des explorateurs, le laboratoire des monstres aquatiques, la mine des dragons et le cabinet de curiosités du Club des Chasseurs de l’étrange. Rien d’intrigant à lever, tout est scrupuleusement inventorié dans et légendé sur les pages suivantes… —

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Les Livres Monstres marins

Avec Frédéric Lisak, Ed. Petite Plume de carotte, 2011, 173 pages, 29 euros L’Herbier fantastique

Ed. Petite Plume de carotte, 2010, coffrets de dossiers, 29 euros Dragons et Chimères : carnet d’expéditions

Avec Pierre Dubois, Ed. Höebecke, 2008, 128 pages, 30,40 euros

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explorateurs Camille Renversade (suite) Il aura fallu deux ans à bord du voilier le Shenandoah pour venir à bout de ce tour du monde des monstres marins et lacustres, et rapporter la preuve de l’existence du Kraken et du Bunyeep.

Les membres de l’expédition autour d’un calamar géant de 8 m de long, fabriqué en latex et mousses.

1. Etude d’un poisson des abysses gracieusement offert par le taxidermiste du muséum d’Histoire naturelle de Paris 2. Croquis d’un Plesiosaure, reptile préhistorique retrouvé dans le ventre d’un cachalot. 3. Toute l’équipe dans le laboratoire océanographique installé dans le carré, en tenue mer chaude. Au premier plan, le harponneur Frédéric Lisak, co-auteur de Monstres marins...

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Le Limulus, sousmarin à la forme d’une limule, construit en résine.

Ci dessous Dissection d’un jeune spécimen du monstre du Loch Ness recréé selon les techniques de taxidermie à partir d’une peau de vache exotique.

Voyage en ballon pour tenter d’apercevoir du ciel le fameux Kraken.

Plongée avec un scaphandre inspiré de la baudroie, poisson des abysses avec antenne luminescente.

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explorateurs Camille Renversade (suite de la suite) Le cabinet de curiosités du Club des Chasseurs de l’étrange. Avec un Dodo, un crâne de Licorne et un œuf de Griffon, des empreintes de Bigfoot, une Mandragore, chinés ou fabriqués.

A droite, un fossile de Lindorm en plâtre, des fragments d’os de dragons des Carpates ; à gauche, un Basilic séché (en cire). L’animal est rare, il naît d’un œuf de coq âgé de sept ans et doit ête couvé par un crapaud. Il a la capacité de pétrifier du regard. Pour ne pas être changer en pierre, les membres du Club utilisent un Paralapidescoscope, lunette d’observation à miroirs.

Malette du chasseur de vampire.

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Le cabinet de curiosités botaniques du Professeur Irénée Cornélius, installé au Festival Rebrousse Poil en mai 2010 à Montlaur des Corbières, dans l’Aude. Exposition au chateau de la Tour d’Aigue : 1. Ouverture d’un œuf de Vouivre, en polystyrène et verre. 2. Dodo reconstitué. 3. Dans la mine des chercheurs de dragons. numéro 34 — 71

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LAST DAY ON EARTH

par

THÉO MERCIER (Lire entretien p.24)

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SUIVEZ-LE!! Creuser un trou pendant sept jours, partir nu dans la forêt ou se construire une île… le Finlandais antti laitinen vient-il d’inventer le body land art ?

De longs cheveux attachés, une personne essayant de survivre, seule. Je pense le regard fixé sur des horizons que la vie est ainsi. Une lutte misérable qui conduit à lointains lors de mises à l’épreuve la mort. Et ça peut être comique. » Dès le premier jour, absurdes qu’on ne saurait pourtant des douleurs au ventre sont apparues. Ses techniques qualifier sérieusement d’humorisde pêche et de sélection des aliments comestibles tiques, Antti Laitinen n’est pas un illuminé des mers laissant à désirer, quelques nuits de plus auraient arctiques. Ce spécimen de 36 ans, sorti des forêts de prouvé que la civilisation a perdu ses instincts de survie. pins et des grands lacs des plaines du Nord, compte Mais Antti Laitinen ne cherche pas à prouver quoi que à son actif une quinzaine de projets artistiques et ce soit : « Je ne veux pas faire d’analyse en énumérant autant d’expositions à travers le monde. Le visage et les mes intentions ou mes impressions. » œuvres de ce diplômé de l’école nationale supérieure des beaux-arts de Finlande mixent parfaitement douce Un but sans espoir candeur juvénile et froideur piquante du cercle polaire. Deux ans plus tard, l’artiste-explorateur réalise Three Son travail développe un puissant rapport entre le Stones, au sens pour le moins profond... « J’ai creusé corps et son environnement. On dirait des challenges. un trou à la pelle pendant sept jours, sept heures et Mais que défie-t-il en priorité : lui-même ? la nature ? sept minutes. A chaque palier temporel, j’ai ramassé l’art ? « Oui, je me lance des défis. Je me bats contre une pierre. On estime la valeur d’une chose à son la nature, mais je vois ça d’un œil amusé : un petit ancienneté ou au temps passé à l’obtenir. J’ai exposé homme tout seul, condamné à perdre le combat. En ces trois cailloux pour montrer qu’ils avaient la même revanche, l’idée que valeur, celle qu’on veut l’art puisse représenbien leur donner. » ter un défi n’a aucune Compte tenu de la «#Il est plus important importance pour moi. » quantité de travail Les images photografournie, la dernière de lutter pour ses rêves phiques ou filmiques pierre devrait avoir une que de réussir à les réaliser.#» extraites de ses valeur plus estimable. Antti Laitinen performances résonPourtant, ce n’est pas nent comme la trace vrai. Cette démonsdocumentaire d’une tration par l’absurde action éphémère. quasi poétique le plonge dans un univers aux notes ironiques où l’héroïsme est amusant tant il est vain : Lutte misérable et comique « La plupart du temps, j’entame mes réalisations de En 2002, Antti part, nu comme un ver, vivre Bare manière sérieuse, mais durant le processus, elles Necessities : un retour radical à la nature qu’il s’inflige prennent toujours un côté amusant. Leur but est sans durant quatre jours, dans les bois. L’homme civilisé espoir, c’est normal que ce soit drôle ! » Une mentalité peut-il trouver de la nourriture, un endroit où dormir qui le conduit dans les marécages de Self-portrait on et se prémunir contre le froid ? Une expérience que the swamp (2006), autoportrait pris du fond de la vase : l’artiste refuse de considérer comme extrême et qualifie « Il s’agit de ma seule œuvre improvisée ! Nous étions de romantique : « Beaucoup de mes œuvres montrent en train de jouer au foot-marécage à Haukipudas avec par Victor Branquart photographie Courtesy Nettie Horn, Londres

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Bark Boat, 2010 Photographie numéro 34 — 79

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A droite Walk the Line Newcastle, 2005 Giclee print + map image 90 x 70 cm + approx. 25 x 20cm Photographie #4 It’s my Island, 2007 The College of Wooster Art Museum USA (17 January-5 March) Ci-dessous Bare Necessities, 2002 115 x 140 cm – Photographie #6

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pondent souvent aux plus mes sœurs et des amis. « Je ne sais jamais touristiques, on peut se A un endroit, mes pieds ont si mes idées deviendront faire une bonne idée de la commencé à s’enfoncer. J’ai ville, les promenades les eu l’idée de la photo. J’ai des œuvres. » plus longues ont duré six pris une série de clichés Antti Laitinent heures, soit une trentaine de moi sombrant, mais je de kilomètres. » n’ai utilisé que le dernier. » Codes artistiques et autres conventions communément Les travaux récents d’Antti Laitinen sont consacrés admises, Antti nous les jette au visage. Et ça fait du à la mer et toujours à l’idée selon laquelle l’homme bien ! est d’une impuissance totale face à la nature. Tel un chevalier aveuglé par l’amour et la gloire bravant monts Proche des services de renseignement et tempêtes, en 2007, il se lance dans la construction Ses autres autoportraits, la série Walk the line (2004), d’une île au milieu du golfe de Finlande. Trois mois ont été dessinés au GPS et en ville. « De manière ont été nécessaires pour tirer quelques centaines de générale, mes idées sont liées à l’environnement rural. sacs de sable contre les vagues et voir émerger It’s my Mais pour cette fois, j’ai incrusté une photo de mon Island d’entre les flots. visage sur une carte et j’ai suivi l’itinéraire de ses « Le processus est bien plus intéressant que l’objeccontours, un GPS en main reconstituant un dessin. » tif. Je ne sais jamais si mes idées deviendront des Nous conseille-t-il de visiter Athènes, Helsinki ou œuvres. » En artiste ou pas, Antti a pu se proclamer Newcastle en suivant les traits de son visage ? « Oui, seul et unique citoyen de sa propre nation, libre et indépourquoi pas ! Les rues que j’ai parcourues corres82 — numéro 34

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A gauche (Three Stones) Untitled (7-7-7), 2004 115 x 115 cm – Photographie #6

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Ci-dessous Voyage on the Thames, 2008 Video 3:58 mn

pendante ; propriétaire d’un palmier dont auront raison les embardées météorologiques. Un nouveau Robinson est né, celui qui part volontairement construire les fondations de sa solitude. Un an plus tard, notre solitaire est immobilisé par la police fluviale de Londres. Embarqué pour son Voyage à bord d’un radeau aux allures d’îlot caribéen remontant la Tamise, il approche trop près le Parlement et le MI6 (service de renseignement britannique). L’embarcation en mousse est aimablement remorquée par les policiers jusqu’à son point de départ. « J’ai dû faire face à des échecs. Mais le non-aboutissement peut être très intéressant. » Une drôle de fin pour une drôle d’aventure. « Quand je commence, je ne sais pas comment ça se terminera. De ce point de vue, on peut dire que je suis un aventurier. » Autre performance et autre bateau, Bark Boat s’inspire de ses souvenirs : « J’ai pensé aux petits bateaux en écorce de pin que confectionnent les enfants finlandais. » Pendant près de vingt heures, sur un frêle amas

d’écorces, il a navigué sur une mer clémente. Si vous lui demandez à quoi il songe durant ce temps passé sur les eaux et dans les bois, ne vous attendez pas à une tirade philosophique sur la quête de spiritualité. Instable, sur deux mètres carrés de bois mouillé, il vous dira : « Dans ce type de situation, les pensées s’orientent plutôt vers des solutions pratiques. Elles ne sont pas très profondes. » Merci pour la réflexion. —

It’s my Island

The College Art Museum de Wooster, USA Du 17 janvier au 5 mars The Mutual Factor of Extremes

Wäinö Aaltonen Museum of Art de Turku, Finlande Du 27 janvier au 15 avril Fun!

Art Museum de Riihimäki, Finlande Du 27 janvier au 29 avril numéro 34 — 83

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«"L’OBJET DU VOYAGE!» Rencontre en surface avec un cartographe de l’inédit qui se coupe du monde, creuse un tunnel et organise une chasse à l’homme : l’artiste laurent tixador.

Longtemps accompagné de Vos sculptures, en relation à l’environnement votre complice Abraham Poindans lequel vous êtes, sont souvent réalisées cheval, on peut dire que vous sans électricité, avec un équipement réduit, avez creusé l’art littéralement [voir encadré]. quelque chose d’archaïque s’en dégage ! Qu’est-ce qu’une exploration pour vous ? Je cherche des endroits qui ne sont pas ordinaires. Je Laurent Tixador : Quelque chose qui fait rêver quand ne suis pas romantique ni contemplatif, donc la nature on est enfant. Aujourd’hui, c’est arriver vierge quelque ne m’intéresse pas particulièrement, mais un ensemble part, changer mon quotidien en fonction de la situation, de conditions peut m’amener dans ce contexte. m’insérer dans un milieu ou un mode de déplacement Vous n’avez jamais pensé à l’espace, beau inhabituel. Explorer, c’est ne jamais répéter les contextes domaine d’exploration, non ? ou les trajets. C’est un ensemble qui va de l’objectif Ça paraît trop civilisé. Tout est pris en charge. J’ai réagi donné aux moyens pour y arriver. de la même façon quand on m’a proposé de faire une Pourquoi êtes-vous devenu artiste ? C’est un pièce pour le parcours de sculptures au jardin des Tuilechoix par défaut ? ries à l’occasion de la FIAC 2009, ça ne m’intéressait Non, pas du tout. Le travail d’artiste consiste à chercher, pas car chaque centimètre carré du jardin est régi par donc je me place dans un lieu inconnu qui le permet. des lois, c’est une zone sans opportunité de découQuelle importance a verte. Puis je me suis la création d’objets ? dit, le seul endroit où Je les fabrique parce je peux faire ce que je « Gamin, je creusais sur la plage, veux, c’est à l’intérieur qu’on peut raconter des histoires avec. Ce que je d’une sculpture. Donc quand ça devenait profond, produis est très similaire j’ai travaillé à l’élaboraje me faisais engueuler » aux bouteilles avec des tion d’une tour avec, les Laurent Tixador bateaux à l’intérieur que frères Chapuisat [duo rapportent les marins suisse], dans laquelle revenus du Cap Horn, je suis resté enfermé ou les douilles d’obus gravées par les soldats dans les pendant la durée de la foire. Une semaine en complète tranchées pendant la Première Guerre mondiale. Ce autonomie : en dormant, mangeant des boîtes de sont des souvenirs, mais leur élaboration n’est pas un conserve, et quand je remuais, les spectateurs voyaient objectif. Les marins n’étaient pas là pour fabriquer des bouger la structure – intitulée Jumping Bean en réféminiatures, ces objets sont faits pendant leurs pauses, rence au pois sauteur mexicain. ils les aident à penser, à vivre. Le temps passé à les Il y a encore du rêve d’enfant dans vos travaux… élaborer leur confère une force d’évocation plus intense Oui, mais maintenant je peux les réaliser avec des qu’une photo. Mais c’est un à-côté. Il est fait dans la moyens. Gamin, je creusais sur la plage, mais lorsque matière même du voyage, il ne parle essentiellement ça devenait profond, je me faisais engueuler et sortir qu’à moi, habité par mon histoire. de là. Pour ma chasse à l’homme en mars dernier, entretien Patricia Maincent

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© Laurent Tixador

Jumping Beans Courtesy galerie in situ Fabienne Leclerc

j’avais lancé un appel sur mon blog, promettant 1000 euros à qui me capturerait entre Nantes et Paris. Il y a eu quarante inscrits. Le but était donc de me déplacer sans laisser de traces de mon passage, je me faisais passer pour un randonneur en mentant sur ma provenance et ma destination. J’ai plusieurs fois cru croiser des poursuivants, mais il s’est avéré par la suite que ce n’en était pas. Malgré tout, durant le mois qu’a duré le trajet, toutes mes décisions étaient guidées par leur potentielle présence sur ma route. La marche m’énerve dans son côté sportif, être traqué pendant un trajet change la vision des choses. Aucune rencontre n’était possible : rien à voir avec du loisir. Prochaine expédition ? Cet hiver, je passe trois mois aux îles Kerguelen, dans une base scientifique où travaillent une centaine de personnes [voir Standard n° 32]. Je vais me mettre à leur disposition pour les assister. Je ne sais pas encore sous quelle forme ça aboutira. C’est ce que je compte bien découvrir sur place. —

A CREUSER « Même si nous n’avons fait que 8,50 mètres en vingt jours, c’était un voyage énorme, hyper dépaysant, j’ai fait cent mille découvertes de choses très ténues, de petits plaisirs qui dans une vie en surface ne ressemblent à rien du tout, comme observer des couleurs de terre différentes. Pour ce projet de tunnel à Murcia en Espagne en 2008, on progressait en mettant la terre derrière nous. Nous étions comme dans une bulle qui se déplaçait. Une caisse de rationnement par jour. La terre était très dure, nos 50 centimètres de promenade journalière, nous ne les avons pas volés ! Personne ne l’avait jamais fait, donc il n’y avait pas de documentation. J’avais rencontré le spéléologue Michel Siffre, qui avait expérimenté des expériences de confinement, et un capitaine de sous-marin. A l’intérieur, je me suis rendu compte que je voyageais dans la mort. C’était terrible. Mais après les premières inquiétudes, à partir du moment où je savais que tout fonctionnait, les pensées deviennent plus métaphysiques. Là, on commence à délirer complètement. C’est ça que je recherche. » — P. M.

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En 1964, essayant de prolonger la victoire de sa récente indépendance, la Zambie veut concurrencer les Etats-Unis et l’Union Soviétique en démarrant un programme spatial qui enverra le premier Africain sur la lune. Quelques optimistes rejoignent l’ambitieux projet d’Edward Makuka, instituteur en charge du financement. Mais les Nations Unies refusent de le soutenir, aucune aide n’est engagée et l’une des astronautes, 16 ans, tombe enceinte. Cette initiative héroïque devint un des épisodes les plus cosmo-exotiques de l’histoire africaine, sur

fond de guerres, de violences, de sécheresses et de famines. La série de photographies Afronauts signée cristina de middel, 36 ans, est basée sur les documents de ce rêve impossible. Un fait réel que cette Londonienne née en Espagne, lauréate du concours national de photojournalisme Juan Cancelo, adapte à son imaginaire. De quoi brouiller la frontière entre la fiction et cette réalité qu’elle connaît bien, pour avoir répondu aux commandes documentaires de divers journaux et ONG. Cristina accepte les missions ratées et c’est une réussite.— M. A. et C. d. G. numéro 34 — 87

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DIAMANT

SUR CANOPÉE Brad Pitt et James Gray dans la jungle amazonienne : après deux ans de préparation, le projet the lost city of z est jeté aux oubliettes. Récit du grand film d’aventures qui nous aura fait baver comme des grenouilles Dendrobates.

par Julien Taffoureau illustration Alexandre Morzy

Quelque part en Amérique du Sud, au pied d’une cascade du monstre Amazone. Des corps inertes émergent des rochers, transpercés de flèches, leurs membres boursouflés réduits en Knacki balls par les assauts incessants de piranhas XXL. Sur la rive, une embarcation de fortune, taillée au canif dans un tronc d’arbre. A son bord, un homme mystérieux aux allures de spectre. Sous son stetson mal en point, des yeux clairs perçants et une barbe drue, autour de laquelle volettent des papillons sublimes. Sous sa peau, des asticots grouillants, inoculés par des mouches pondeuses parasites. Il leur joue de la flûte, espérant à demi-fou les déloger comme on charme les serpents, sous le regard fuyant d’un troupeau de cervidés que la faim dessine en mirage au milieu des lianes... Cette scène aurait pu être l’ouverture du nouveau film de James Gray (The Yards), et ce héros perdu, prendre les traits de Brad Pitt. Cela se serait appelé The Lost City of Z. Le projet était pré-vendu. Il aurait prouvé que Brad Pitt est définitivement l’acteur le plus aware de sa génération, enquillant les signatures Fincher (Fight Club), Tarantino (Inglourious Basterds) ou Malick (The Tree of Life) avec une facilité presque insultante. Il aurait démontré que le chouchou Gray peut sortir ses lunettes des banlieues ricaines et se la jouer Herzog défroqué sous l’Equateur, oublier le maniérisme noir en plongeant tête (brûlée) la première dans l’obsession centenaire d’un aventurier illuminé qui a inspiré pas moins qu’Indiana Jones. Les pieds dans le tapir Pas de bol : à l’automne 2010, alors que James Gray est fin prêt à perdre ses petites roulettes en s’enfouissant dans la forêt moite, la Paramount retire ses billes et Brad se fait la malle chez Andrew Dominik – pour tourner Cogan’s Trade, énième film de mafia vendu aux studios frileux, en capitalisant sur le succès de L’Assas-

sinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007). L’avortement à la machette ne fait pas grand mystère : à Hollywood, Gray n’est rien. A l’exception notable de La Nuit nous appartient (2007), qui a pu compter sur sa course-poursuite torrentielle pour obtenir une sortie nationale, ses films sont condamnés au marché vidéo. Et être la coqueluche de nos Cahiers du cinéma ne suffit pas à rassembler 80 millions de dollars autour d’un cinéaste de chambre qu’on lâcherait dans la nature pour faire sa révolution épique. C’est pourtant bien cela qui fascinait même les détracteurs de son postclassicisme. Comment Pitt, qui avait acquis les droits des foisonnantes recherches de David Grann (journaliste au New Yorker) sur l’explorateur-star Percy Fawcett (1867-?), a-t-il pu avoir l’audace de mettre Gray sur le coup ? Comment le réal’ a-t-il su transformer la commande en obsession ? Heureusement pour ceux qui attendent ça depuis Two Lovers (2008 !), on en sait aujourd’hui un peu plus sur les intentions de James Gray grâce à ses précieux Entretiens avec le critique Jordan Mintzer, réalisés au moment même où, ses objectifs armés, il a appris que tout le monde le laissait en plan. Quand il parle de Z, un feu sacré s’illumine malgré la douloureuse désillusion. Il croit toujours que le film va se faire, il doit le croire. Il persiste à promettre une œuvre « complexe », un « film d’aventures moral », un « choc de civilisations » qui interrogerait la notion même, en faisant du parcours incroyable de Percy Fawcett, extraordinaire entrelacs de faits historiques majeurs, d’images mentales puissantes et de luttes contre les conventions, un vecteur privilégié d’idées et d’émotions en tous genres. Crocodile dandy Dans l’explorateur britannique, tiraillé entre le code d’honneur de la société victorienne et sa sympathie dévorante pour les tribus qui vont nues, égaré entre là d’où il vient et là où on l’empêche d’aller, on reconnaît aisément les motifs habituels du cinéaste : la tension

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ombre, dont l’apparition violente entre ce qui « The Lost City of Z sera et les charmes lui font nous précède – la un film d’aventures moral, manquer une renfamille, la société, les contre au sommet avec mœurs – et ce qu’on un choc de civilisations. » l’archiduc d’Autriche décide de faire de sa James Gray Franz Ferdinand, dont liberté. Pur produit l’assassinat propulsera de l’aristocratie et en bientôt Fawcett, comme même temps plutôt le monde, dans la Grande Guerre. Oui, il y a bien aussi fauché, partie prenante du colonialisme à Ceylan (Sri dans cette histoire, à la faveur de cette « effrontée » Lanka) et militant anti-esclavage, scientifique biberonné (« Cheeky », son surnom), une belle pelletée d’amour. aux thèses racistes et participant actif à l’avènement Une alliance incorruptible même, bizarrement scellée de l’anthropologie moderne, Fawcett est à lui seul un par une passion partagée pour le bouddhisme et chapelet de paradoxes « anacondesque » des meilleurs l’occulte, héritée du grand frère de Fawcett, nègre de twists de Breaking Bad. la médium-gourou Helena Blavatsky. Plus, Nina est le Les persos secondaires ne sont pas en reste. Des personnage de femme qu’il manquait à Gray : proto-fédarwiniens l’adulent, des rivaux cherchent à lui subtiministe battante, assoiffée d’aventures mais condamnée liser ses découvertes. Et puis Nina, sa dulcinée, son numéro 34 — 91

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explorateurs Cinéma (suite)

à la sphère domestique par des conventions stoïques, mettant bas la marmaille seule dans la campagne anglaise, abandonnée par un mari génial mais irrémédiablement égoïste, dont elle défendra malgré tout les allers-retours maladifs.

Ont-ils trouvé asile, et en quel sens ?

Le script du sorcier On ne sait pas comment Gray a imaginé précisément le récit, mais il y a tout lieu de penser que, pendant les deux ans qu’il consacra corps et âme à l’adaptation (se baladant même dans la région hostile), il était Père fouetteur persuadé d’avoir trouvé son Car Fawcett est bien Apocalypse Now (Francis frappé de bougeotte Ford Coppola, 1979) – ce irresponsable, celle joyau, découvert enfant au d’un soldat qui un jour Ziegfeld Theater de Mans’enticha de cartographie hattan, qui l’a convaincu avec un talent impresde son destin de cinéaste sionnant, lui valant –, baignant dans une d’être fait espion au Comment Pitt, qui a acquis trame toxique de voyages Maroc (où il produit des les droits des recherches exténuants et de visions halnotes dignes de Wilucinées (chevaux portant kiLeaks) ou choisi par sur l’explorateur-star des masques à gaz lors de les autorités boliviennes Percy Fawcett, a-t-il eu la guerre de 14, ubuesque et brésiliennes comme opéra de marbre italien l’audace de mettre Gray expert impartial pour monté en kit en pleine fixer leurs frontières, sur le coup ? jungle par des magnats rendues stratégiques bling-bling, etc.). par le juteux commerce Une fantasmagorie, un mythe truffé de détails concrets, du caoutchouc. C’est là, le sextant en bandoulière, que comme Moby Dick de Melville (1851), que Gray a lu naît son idée fixe : il y a (eu) une civilisation avancée en préparant son scénario. Script-puzzle qu’on ne peut (qu’il appelle « Z »), quelque part dans le Mato Grosso, qu’on aurait découverte si on avait pensé à trancher à vif s’empêcher de fantasmer en mash-up délirant, rejouant Le Nouveau Monde de Malick au carrefour de la littédans le poumon vert. Quand il réunit enfin les preuves rature utopique et de Man Vs. Wild, des rêves éveillés pour monter l’expédition de choc vers la cité fantôme, la d’Apichatpong Weerasethakul et de la gourmandise Première Guerre mondiale éclate. Obligé de tout laisser haletante de Jules Verne. En traversée mélancolique en friche, l’ex-officier de qualité prend la tête d’une aussi, rappelant, entre valse engoncée et transe chamacentaine d’hommes en Belgique, où il rencontre, au nique, qu’à l’aube de ce siècle ayant dissipé le mystère détour d’un sentier, noyé dans un étrange manteau de du monde avec les pixels de Google Earth, le summum fourrure, Winston Churchill, qu’il prend pour un Teuton du cool était d’apprendre le portugais, de manier les mal déguisé. A l’issue du conflit, qui l’a sévèrement pétroglyphes et de lire dans les étoiles, émerveillé par affaibli, la médecine veut l’empêcher de repartir. cette seule idée que, peut-être, ailleurs, il ferait enfin Pas question, évidemment : trouver Z est sa quête bon vivre. — d’absolu, son pèlerinage identitaire, son chemin intérieur. Il trouve une idée de génie qui annonce notre information mondialisée : se faire financer par les médias, qui aux quatre coins du monde relayeront ses télégrammes, tenant en haleine et en songe des milliers Jordan Mintzer, Entretiens avec James Gray de chaumières. L’expédition est par choix réduite, Synecdoche, 2011 intime, insolite, avec seulement son fils aîné Jack et son meilleur ami d’internat Raleigh Rimmel. Au bout de David Grann quelques semaines, au printemps 1925, le trio sans La Cité perdue de Z Robert Laffont, 2010 peur s’évapore à jamais dans la brume. Sont-ils morts ? 92 — numéro 34

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explorateurs DVD

HOLIDAY ON ICE On sort les raquettes devant le DVD d’antarctic journal, puissant thriller psychologique sud-coréen. « Les gens comme nous ne se Quelque chose de The Thing sentent vivre que quand ils font Tout bascule via la découverte du journal d’un explodes choses hors du commun. » rateur britannique, disparu quatre-vingts ans auparaAinsi s’exprime le charismatique Choi Do-hyung, chef vant. Une série d’événements troublants, répliquant d’une expédition en Antarctique. Avec six compagnons, ceux décrits dans ces notes, délitent complètement le il essaie « d’atteindre le point qu’aucun homme n’aura groupe, partagé entre leur devoir et la possibilité d’une jamais atteint » à travers une sourde randonnée au beau retraite honorable. La malédiction s’incarne à travers milieu du continent de glace. C’est le départ d’Antarcdes hallucinations, des maladies et des crises de folie. tic Journal, premier long-métrage du Sud-Coréen Yim Seul Choi Do-hyung, interprété par Song Kang-ho Pil-sung, coécrit avec Bong (Thirst, The Host), semble Joon-ho (Memories of Murder, résolu à poursuivre cet objectif Mother), sorti en 2005 et absurde, en écho à ses échecs Un paradoxal toujours inédit dans les salles personnels. La fin verra cette huis clos françaises. Un paradoxal huis perte de repères tirer vers le fandans l’immensité clos dans l’immensité blanche, tastique, sans y adhérer. D’où le filmée avec sensibilité et rapprochement avec The Thing blanche. fascination, à peine troublée de John Carpenter (1982), par le grincement de la neige qui montrait déjà les peurs de sous les chariots rouges – extension symbolique des l’isolement dans l’enfer antarctique, sous la forme d’une hommes – qui renvoie l’équipe à ses angoisses. Dans créature insaisissable. Yim Pil-sung n’assume jamais un premier temps, le traitement est purement réaliste, totalement le film de genre, et pour une bonne raison : presque documentaire : les plans majestueux ne feraient seule la question de la résistance à l’adversité l’intépas tache sur National Geographic. Chaque procédure resse. Ce qui fait de ce Journal l’une des plus belles répartie scientifiquement est décrite avec précision, tout études psychologiques sur le dépassement de soi (ou juste ponctuée par quelques états d’âme : « Il paraît que non). — c’est le Nouvel An demain. Je ne me rappelle même Yim Pil-sung : Antarctic Journal plus de ces festivités. » Elysées Edition par Timothée Barrière

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explorateurs John Carter : cinéma

TAYLOR KITSCH,

KITSCHISSIME!? Les premières images de John Carter, le film, font frémir : exit l’explorateur Yankee, place à Conan remixé Star Wars. Et pourtant, le réalisateur andrew stanton exulte.

Début novembre, les studios Disney Parcs, mis à part ce Dark Vador grandeur nature et invitaient une poignée de journaune incroyable collection d’affiches de grands claslistes à San Francisco à découvrir siques américains, européens ou japonais. Le barbu vingt minutes de John Carter of Mars, le premier film de Modesto avait visiblement sur sa table de chevet Le live d’Andrew Stanton (Wall-E, Le Monde de Némo), Cycle de Mars d’Edgar Rice Burroughs, car il semble prévu dans nos salles en mars. John Carter ? Ce nom impossible de ne pas voir l’explorateur Yankee comme ne dit rien au public français, et même aux Etats-Unis, l’une des influences souterraines de Star Wars : les les ados ont oublié ce soldat de la guerre de Sécession images de Carter ressemblent à s’y méprendre à des téléporté sur la planète rouge qui dirigera la lutte de séquences coupées de l’épisode IV, Un nouvel espoir ! petits hommes verts contre un tyran, tout en fouillant de (1977). Pas de C-3PO ou de R2-D2 à l’horizon, mais fond en comble sa nouvelle terre d’accueil (voir pages le même environnement désertique que sur Tatooine, suivantes). et un bestiaire qui n’aurait pas dépareillé dans la scène On parle S-F à SF, dans de la Cantina, d’un un hôtel tout à fait quelMartien gigantesque à conque, avec Andrew quatre bras à un drôle «#Dès que j’ai vu Jar Jar Binks, Stanton, geek avenant de cabot, vrai Jabba avec sur les épaules un miniature. j’ai su que le film dont je rêvais budget de 170 millions « J’ai découvert les était techniquement faisable.#» de dollars : « On peut livres d’Edgar Rice Andrew Stanton considérer Carter Burroughs en même comme le premier temps que Star Wars personnage de scienceau cinéma, raconte fiction américain. A sa création en 1911, on connaissait Stanton. J’espérais depuis, encore et encore, que John Jules Verne et H.G. Wells, mais c’est une pierre de Carter soit adapté à l’écran. A la fin des années 90, Rosette pour de nombreux romanciers et cinéastes des Robert Rodriguez [Planète Terreur, Sin City] a failli générations suivantes. » le faire, comme John McTiernan [Predator, Piège de Cristal] ou Kerry Conran [Captain Sky et le monde de demain, voir Standard n° 7]. A chaque fois, mon cœur Merci Jar Jar Binks ? de fan exultait ! Et puis est arrivé en 1999 l’épisode I L’amusant, c’est que ces extraits sont projetés dans les de La Guerre des Etoiles. Dès que j’ai vu Jar Jar Binks, bureaux d’ILM, la société d’effets spéciaux de George j’ai su qu’on pouvait rendre crédible le personnage Lucas, aussi dépaysants que les guichets de Center par Alex Masson (à San Francisco)

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de Tars Tarkas [joué de manière caoutchouteuse, en performance capture, par Willem Dafoe]. Le film dont je rêvais était donc techniquement faisable. » Toge péplum Comment lui rétorquer que c’est à partir de La Menace fantôme qu’on a tous compris que Lucas se foutait de notre gueule ? Et pour tout dire, que la même crainte était nourrie par la première bande-annonce (featuring une reprise molle d’Arcade Fire par Peter Gabriel, My Body is a Cage) et ces extraits, peu convaincants. A déplorer : le manque de charisme de Taylor Kitsch (Gambit dans X-Men : Au commencement), musculeux huilé style Conan, avec cimeterre et toge rappelant plus le remake façon péplum Z rital de Prince of Persia (Mike Newell, 2010) que le ténébreux personnage se découvrant noble guerrier au contact de la rébellion. Et cet aspect cheap forcément désuet à l’ère des blockbusters technos de Michael Bay (Transformers). D’autant que le côté explorateur de Johnny, ici, passe totalement à l’as. L’aventurier, ici, c’est Stanton lui-même, en pèlerinage affectif dans ses souvenirs d’adolescence cinéphile,

comme J.J. Abrams cet été avec Super 8, spielbergerie vintage. Quelques semaines après cette entrevue, une seconde bande-annonce est apparue en ligne. Le titre, entretemps, a été raccourci : « Disney a lancé des sondages d’opinion, Stanton expliquait. Peu de gens avaient envie de voir un film intitulé John Carter of Mars. En y réfléchissant, j’ai constaté que ce film racontait comment ce personnage devenait lui-même, trouvait son identité dans ses aventures. Le titre John Carter devenait alors plus approprié. » Plus épique (musique : Kashmir de Led Zeppelin), laissant deviner des enjeux dramatiques plus subtils, elle est bien plus alléchante, voire crédibilise une inattendue déclaration d’intention émise par Stanton : « En fait, John Carter, ce sont mes Hauts de Hurlevent. » Heathcliff en slip rouge, tous pectoraux dehors ? De la pure science-fiction. — John Carter

D’Andrew Stanton Le 7 mars numéro 34 — 95

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explorateurs John Carter : comics

«"CERTES, C’EST UN PEU

RIDICULE!» Avant le film, le confédéré spatial John Carter était déjà le champion d’une série de comics décontractés. Le scénariste arvid nelson tourne les pages. Tandis que le robot Curiosity romans, mais j’en suis tombé raide dingue. Certes, c’est lancé fin novembre par la NASA un peu ridicule, mais c’est ce qui fait leur charme. vole vers Mars pour prélever Comment le décririez-vous ? des échantillons de roche et dé- Carter est un guerrier doté d’une jeunesse éternelle, terminer s’il y existe des zones mais également un gaffeur. Il doit sans cesse voler au habitables, souvenons-nous d’un explorateur immortel secours de la noble Dejah Thoris, capturée par des – et maladroit – de la planète rouge. Sans peur et sans hordes lubriques de seigneurs de la guerre. Je l’ai reproche, John Carter, né en 1911 et exploité jusqu’en qualifié d’« andouille » une fois. L’humour du Cycle 1947 dans des fascicules populaires sous la plume provient notamment de son incapacité à communid’Edgar Rice Burroughs (Tarzan), fut d’abord capitaine quer avec les femmes. Il n’a rien à voir avec James de cavalerie de l’armée confédérée plongé dans l’horBond, c’est une évidence ! reur de la Guerre de Sécession, puis chercheur d’or, Que découvre-t-il sur Mars ? avant d’être abattu… et de ressusciter (par le biais d’un La première découverte, ce sont les Martiens verts, rayon cosmique !) sur Mars, surnommée « Barsoom » mais ils disparaissent très vite. Dans le second livre, Les par ses verts autochtones. Ni réalisme ni profondeur Dieux de Mars [1913], mon préféré, Carter visite le pôle psychologique, il est question de fun, d’érotisme et Sud de Mars, région interdite, et prend conscience de d’évasion, de décors baroques, d’aliens sanguinaires l’horrible vérité que renferme la religion cachée. Plus et de batailles épiques. Et aussi d’exploration de terres il avance, plus il explore ! C’est le cœur de ses aveninterdites ! tures, et une constante chez Edgar Rice Burroughs, qui A l’heure où Disney s’apprête à transposer ces avensemble davantage intéressé par des choses nouvelles, tures spatiales sur grand écran (voir page précédente), étranges donc merveilleuses, que par un retour à ce un duo s’était déjà prêté au jeu de l’adaptation, « pour qu’il a vu précédemment. s’amuser, en réaction à l’atmosphère globalement Carter fut créé à une époque où des pans entiers lugubre des comics contemporains ». Soutenu par les de notre planète demeuraient inconnus. Burdessins superbes de Stephen Sadowski (Starman, roughs était-il influencé par les aventuriers de Wonder Woman), le son temps ? scénariste Arvid Nelson Aucun doute là-dessus. Mais « Qui peut dire (X-Men Unlimited, Joker’s Le Cycle fut d’abord inspiré qu’il n’existe pas Asylum), fan de Conan, a par un astronome américain, reçu carte blanche pour Percival Lowell [1855un monde secret caché traduire en BD, à raison de 1916], qui explora la planète au plus profond vingt-deux pages par mois rouge grâce à son télescope depuis presque deux ans, le et à qui doit la découverte de la croûte terrestre#?#» volumineux Cycle de Mars. de Pluton. Aujourd’hui, le Arvid Nelson Décollage immédiat, à la monde n’a jamais semblé dynamite. aussi réduit. Mais qui peut dire qu’il n’existe pas un monde secret caché quelque part, une île éloignée de tout en Indonésie, ou au plus Comment avez-vous découvert « ce héros positif, profond de la croûte terrestre ? Quant à la NASA, elle plein d’enthousiasme et d’énergie » ? vient de lancer vers Mars un robot de la taille d’une Arvid Nelson : Comme surgissant de nulle part, j’ai voiture ! L’exploration du système solaire ne fait que reçu un appel de Nick Barrucci, le cerveau des éditions commencer. La joie de la découverte ne disparaîtra Dynamite. Il m’a proposé d’adapter Le Cycle de Mars. jamais. — J’ai dit oui, j’ai raccroché, et je me suis lancé dans une série de pas de breakdance ! Je n’avais jamais lu ces par Jean-Emmanuel Deluxe illustration Stephen Sadowski

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L’AUTRE BD

RÉÉDITION EN OR DES PÉRIPÉTIES DE DOC SAVAGE, SURHOMME DE BRONZE Né dans les pulps des années 30, Doc Savage est physicien, chirurgien, imitateur, musicien, inventeur – et bien sûr, explorateur. Doté de capacités quasi surhumaines de par son père qui, via une équipe de scientifiques, l’a entraîné à toutes les disciplines, Clark Savage Jr. est surnommé « l’homme de bronze ». Créé entre 1933 et 1949 par l’Américain Lester Dent – qui en parlait comme d’un mélange entre « Sherlock Holmes, Tarzan, [le criminologue] Graig Kennedy et Abraham Lincoln » –, il réside au quatre-vingt-sixième étage de ce qui semble être l’Empire State Building et ne se déplace jamais sans son équipe, composée d’un archéologue-géologue, d’un chimiste, d’un juge et d’un employé du bâtiment très costaud, sans oublier sa cousine, Patricia Savage, qui possède également des yeux d’or, une peau et des cheveux de bronze – mais, macho, le Doc la verrait mieux à la maison. Sujet de cent quatre-vingt-un romans, Savage fut plusieurs fois adapté au cinéma (voir ce navet de 1975, Doc Savage arrive !, hilarant en VF puisque le Doc y zozote !). On retrouve ainsi ses gadgets visionnaires (lunettes à vision nocturne, fusée dorsale), ses terres inhospitalières et ses psychopathes dictatoriaux dans First Wave de Brian Azzarello (100 Bullets) et Rags Morales (Hawkman), traduit cet automne. Savage y rencontre Batman, The Spirit et d’autres persos « cultes » tels Rima la fille de la jungle ou les aviateurs des Blackhawks. Le résultat est enlevé, avec ce qu’il faut de second degré façon Indiana Jones. Qu’est-ce que j’ai fait de mon lasso, moi ? Tu viens, cousine ? — J.-E. D.

Arvid Nelson, Stephen Sadowski & Lui Antonio : Warlord of Mars – Volume 1 et Arvid Nelson & Carlos Rafael : Warlord of Mars, Dejah Thoris: The Colossus of Mars

First Wave Brian Azzarello & Rags Morales

DC Comics / Ankama

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explorateurs BD

LIVIDE GROOM

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En 1989, dans l’enfer vert de La Vallée des Bannis, spirou & fantasio apprenaient une leçon essentielle. par Tristan Garcia

vers la frontière toubouttcho-népalaise par Gorpah, un guide qui jure en criant « Mille sabords ! » et affirme avoir connu un jeune Européen à houppette, en pantalons de golf. Entre Spielberg et Hergé, Tome et Janry ne cachent pas leurs influences. Les auteurs lancent les deux reporters dans une mission improbable : retrouver les traces de l’expédition Maginot et Siegfried, disparus depuis 1938 (date de naissance de Spirou). On n’est pas loin de Sept ans au Tibet, version gag. Spirou et Fantasio sont financés par un certain Docteur Camemberg, médecin binoclard qui prétend guérir par la peur un hoquet permanent dont sont atteints un milliardaire arabe, un tueur à gages, un lanceur de couteaux et un « Mister Mystère ». Dans l’espoir fou d’une frousse thérapeutique, nos compères évoluent au péril de leur vie sur des routes escarpées. Comme eux, le lecteur devrait frissonner d’angoisse. Pourtant, tout est au second degré dans cette Asie de pacotille, peuplée de militaires chinois qui baragouinent un langage invraisemblable. On rit, on ne tremble pas.

« Une journée s’achève sur la ville. Et pourtant… » Ainsi débutent les formidables aventures de Spirou et Fantasio au Touboutt-Chan, contrée fictive coincée entre la Chine et le Népal comme entre le marteau et l’enclume. On aura plus ou moins reconnu le Tibet. A 7 ans, un lecteur pouvait trouver dans le groom belge un modèle taille réduite de ses fantasmes de l’Asie, entre « Croisière jaune » (traversée du continent en Citroën) ou descente du Mékong avec l’officier Francis Garnier. L’aventure, c’était la conquête de territoires inconnus par d’héroïques francophones, bien coiffés, bien habillés. On tremblait devant les tribus sauvages des Thaïs, des Lolos, les pirates impitoyables sur les Tomber dans l’oubli jonques de la mer Jaune, les cruels Mongols et les La vraie peur, l’enfant qui dévore les pages de cette Mandchous pervers. Tout cela nous était raconté avec virée héroïcomique la connaîtra plus tard, dans le force détails par l’Oncle Paul dans les bandes dessisecond tome, La Vallée des bannis (1989). L’encrage nées éducatives du Journal de Spirou. de Janry s’est fait plus fin, les couleurs de Stuf plus Mais dans les années 80, difficile de croire encore aux éclatantes. Tout est bleu comme vertus de l’explorateur blanc, le ciel, vert comme la jungle. en casque colonial, qui serre Environné d’une faune ridicule, la main du chef de la tribu et Tout est bleu comme prétexte encore à des plaisanpacifie les vallées barbares du le ciel, vert comme teries potaches, Spirou perd Siam. Depuis une vingtaine la jungle. Environné Fantasio, piqué par un mousd’années, toutes les nations tique qui rend méchant. Le bon d’Asie du Sud-Est sont indépend’une faune ridicule. compagnon, les yeux rouges dantes. Les baroudeurs d’antan, exorbités, crache sa haine de ceux des pages jaunies des faire-valoir contre « Môssieur Spirou », essaie de tuer magazines catholiques pour la jeunesse d’Occident, ne sont plus les gentils de l’histoire – ce sont les méchants, son copain, rêve d’un Fantasio Magazine. L’amitié idéale a laissé place à la jalousie. Finalement, dans une les envahisseurs. En 1982, Yves Chaland avait proposé planche qui en a fait pleurer plus d’un, Fantasio retient une vision grinçante d’un Spirou fifties débarquant au la main de Spirou dans l’obscurité, alors que celui-ci « Bocongo », tel « bwana » dans les colonies de papa, s’apprêtait à chuter dans des rapides – à tomber dans et se comportant comme Tintin au Congo – un beau l’oubli, comme ses prédécesseurs. salaud. Avec Aventure en Jaune, Yann et Conrad invenQuelle est la leçon, au bout du bout du Touboutttent la même année les premiers antihéros du Journal Chan ? L’aventure, ce n’est pas de parcourir l’Orient de Spirou : un trio de gros dégueulasses sentimentaux avec un chapeau, une machette et un fouet. Ce n’est dans les tripots de Hong-Kong. Fini les naïfs : Tif, Tondu pas de croire poser le pied le premier sur des plaines et Kiki dans Aventure birmane (Will & Maurice Tillieux, habitées depuis des milliers d’années par d’autres 1957), ou Gil Jourdan, Libellule et Crouton dans Le Chinois à deux roues (Maurice Tillieux, 1967) font partie peuples. Ce n’est pas asservir. Maginot et Siegfried, les vieux baroudeurs, sont morts et enterrés. Spirou a du passé. Après la mort de Fu Manchu et la décousurvécu. Parce que la seule aventure qui vaille, c’est verte de l’Asie réelle, il ne reste à l’enfant que les zones d’affronter la possibilité de mourir seul, au bout du reculées de l’imaginaire. Et le Touboutt-Chan en est le monde, et de revenir vivant avec quelqu’un d’autre. Avec royaume. Fantasio. — Sept ans au Tibet, version gag La Frousse aux trousses Dans les premières cases de La Frousse aux trousses et La Vallée des bannis (1988), Spirou est sapé comme Indiana Jones. Une Tome & Janry dizaine de pages plus tard, lui et Fantasio sont conduits Dupuis numéro 34 — 99

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MODE

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PHOTOGRAPHIE DANIELA REINER ASSISTÉE DE PABLO FREDA STYLISME STÉPHANIE VAILLANT RETOUCHE VALÉRIE COLLART REMERCIEMENTS CATHY & MYRIAM SURIAM, LA BALEINE * Le « dépays », d’après Chris Marker

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explorateurs Exploit

Début octobre, six militaires de Chamonix ont ouvert une voie dans l’escarpée cordillère darwin, au Chili. Récit de glace bleue en compagnie du capitaine Lionel Albrieux.

« Ô altitudo ! Avez-vous quelquefois, calme et silencieux, monté sur la montagne, en présence des cieux ? » Victor Hugo, Ce qu’on entend sur la montagne (1831) par Louise Beretta

Aucune visibilité à plus de quinze mètres. Ils ont été pris dans la tempête en cours d’ascension et creusent à même l’escarpement une niche pour se protéger des rafales cinglantes qui soulèvent des nuages de poudreuse. La bise mauvaise plaque sur eux une humidité aussitôt transformée en glace. Mouvements entravés par cette armure de gel, ils combattent seuls dans le cri du vent : six hommes du groupe militaire de haute montagne (GMHM) de Chamonix, minuscules points saupoudrés sur l’infini de l’éternel hiver. Aucune ville, aucune route alentour. Aucune autre vie que la leur, qu’ils tentent de sauver. Comme en d’autres époques le capitaine britannique Robert Falcon Scott ou le Norvégien Roald Amundsen, explorateurs du grand froid, ils sont venus pour réaliser une première mondiale : traverser d’est en ouest l’un des massifs montagneux parmi les plus hostiles de la planète. Le doute, ce poison Nous sommes au Chili. A l’ouest de la Terre de Feu, tout près d’Ushuaia. Ici s’étire la cordillère Darwin : une presqu’île hérissée de crêtes glacées, battue par l’impétueuse météo du Cap Horn. Aucune carte ne recense précisément les sommets vierges aux flancs dévalant jusqu’à la mer. Car toutes les expéditions ayant tenté la

traversée ont jusqu’alors échoué. Terra incognita longue de 150 kilomètres, labyrinthe d’arrêtes et de précipices. Citadelle imprenable. Ce matin, la tempête est arrivée alors qu’ils se trouvaient dans une section techniquement difficile : raide et très enneigée. En quatre heures, ils ont parcouru 800 mètres. Cela fait plusieurs jours qu’ils évoluent dans de rudes conditions. Mais aujourd’hui, brutalement, les vents ont atteint 120 km/h. Ils ont creusé la neige durant deux heures. Ils sont à présent accroupis dans leur trou. A quoi pensent-ils ? A l’expédition. A préserver une volonté que le doute empoisonne. Partis voici une semaine, ils disposent d’une autonomie de trente-cinq jours pour réussir la traversée. Du matériel, des médicaments et de la nourriture répartis dans six luges accrochées à leurs sacs à dos et qu’ils hissent à leur traîne. 75 kilos par personne. C’est lourd lorsqu’on s’enfonce parfois jusqu’à mi-cuisse, lorsqu’il faut franchir les chaos de glace bleue, remonter les pentes à ski. Enfin, c’est l’accalmie. On s’empresse de trouver une étendue plate, de monter le camp, construire des murs de neige pour se protéger du vent, déplier les trois petites tentes jaunes dans lesquelles on fera fondre de la neige pour se préparer à manger, se sécher, s’abriter, enfin. Quitter la survie, regagner la vie. Dehors la bise souffle encore, qui fait claquer la toile légère. Dedans, il fait -10 °C et cela semble être un âtre. « La notion des choses s’adapte au milieu », raconte le capitaine Lionel Albrieux, qui commande l’expédition.

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alors un océan de sommets à franchir. Demain et le jour Tout avait pourtant bien commencé d’après, suivant un itinéraire incertain, l’œil vissé aux Les deux premières journées furent anticycloniques. cartes imparfaites qu’ils ont toutes empilées dans la Du soleil donc, peu de vent. « Darwin, c’est surfait. mémoire d’un smartphone, qui leur sert aussi de GPS. Ce n’est pas du tout comme on dit », se réjouissent Pour le premier de cordée, chaque décision prise les alpinistes. Vexée, la cordillère réplique. Au cours engage la vie des autres. Il décide de l’itinéraire à suivre des trois semaines suivantes, la visibilité ne dépassera dans un univers où menacent à chaque instant les avajamais les trente mètres. Chaque soir, épuisés, les lanches, les éboulements de séracs – blocs de glace hommes s’interrogent. Faut-il attendre une amélioration formés aux ruptures des pentes – ou encore l’effonpour continuer ? Une décision est finalement prise : drement d’un pont de neige qui entraînerait l’équipe au chaque matin on se préparera à lever le camp aux fond d’une crevasse. Mais ces hommes se connaissent premières lueurs du jour. Quitte à décider ensuite de bien. « Je vous ai parlé de la qualité des rester. « Après ce momentrelations dans notre groupe, n’est-ce là, on est parti tous les pas ? » Le capitaine Albrieux parle matins, quelles que soient de l’esprit de cordée, de discusles conditions », se Ils avancent comme sions vraies où chacun accepte souvient le capitaine. des funambules, jaillissant de remettre son jugement en Ils marchent dès des nuages sur une arrête ardue, cause et écoute les arguments lors tête baissée, qu’on lui oppose. Il dit que dents serrées, les figures bibliques défiant le vertige. lorsque des gens s’aiment lèvres brûlées depuis si longtemps, par le froid, le cela les rend capables regard freiné d’accepter les défauts des autres. Il parle d’osmose et par le brouillard, les oreilles pleines du hurlement des c’est émouvant. vents. De l’ouest vers l’est, chaque jour ils s’agrippent aux murs de neige pour les franchir, les descendent en Prêts à affronter une mission impossible rappel, avancent comme des funambules sur la crête Ensemble, ils ont achevé l’an dernier un challenge : sept des monts, jaillissant des nuages sur une arrête ardue, continents, sept alpinismes. Les alpinistes définissent figures bibliques défiant le vertige. Face à eux s’étend 112 — numéro 34

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le monde en fonction des caractéristiques des massifs montagneux. Pour eux, l’Amérique du Nord et celle du Sud forment deux continents. Et l’Antarctique en est un autre. Sept continents donc, et autant d’explorations réalisées. Leur mission pour l’armée de terre est d’acquérir les connaissances et développer les savoir-faire pour survivre, vivre et se déplacer en milieu montagneux de haute altitude et en région polaire. Ainsi ces hommes de la vingt-septième brigade d’infanterie de montagne ont-ils, en cinq ans, gravi un sommet vierge de 7 000 mètres aux confins de l’Inde et du Tibet, franchi des massifs en Patagonie, d’autres aux alentours de Hombori au Mali, escaladé des pitons rocheux en Antarctique, des puits de glace au Groenland, développé des techniques d’ascension en Alaska, descendu à skis des zones reculées des Alpes néo-zélandaises. A leur retour, ils se sentent prêts à affronter une mission impossible. La cordillère Darwin est un rêve ancien. Des huit personnes du GMHM qui partent en expédition (sept hommes et une femme, tous guides de haute montagne), six seulement réaliseront celle-ci : le capitaine Lionel Albrieux, l’adjudant-chef Sébastien Bohin, le lieutenant Didier Jourdain, le sergent de réserve Dimitry Munoz, le caporal Sébastien Ratel, le sergentchef François Savary. Ils ont 35 ans en moyenne et des curriculums où se succèdent les ouvertures de voies nouvelles.

en cas de problème. Parfait. Les risques sont acceptés. Chacun est d’accord pour partir vers le pire. Le poids : l’ennemi numéro un Il faut ensuite définir une stratégie générale, c’est-à-dire choisir de traverser en autonomie totale ou envisager des ravitaillements par la mer. L’autonomie est retenue. « Dès lors, nous avons démarré la chasse au poids, reprend le capitaine. La partie la plus importante de notre préparation. » Pour le combattre, le groupe se réunit deux fois par semaine, durant un an. De discussions en expérimentations, on scelle des décisions. Des choix audacieux : « Nous avons par exemple décidé de ne prendre aucun matériel de rechange. Nous sommes partis avec moins de matos pour six et pour trente-cinq jours que ce qu’on emporte habituellement pour deux lors d’une ascension de deux jours dans les Alpes. » Aucun matériel n’existe pour ce type d’expédition. Les chaussures, avec lesquelles ils doivent pouvoir marcher, escalader et skier, sont bricolées, chimères auxquelles on ajoute une coque, un chausson étanche et une surbotte en gore-tex®. . Pour perfectionner le harnais qui retient les luges aux paquetages, le GMHM s’adjoint les services d’un fabricant de sacs à dos. Les méthodes de progression sont également revisitées. Les techniques d’alpinisme sont adaptées à un équipement se rapprochant plutôt de l’expédition polaire, longue et en itinérance. Pour affronter la cordillère, les hommes seront encordés par trois. Que l’un d’eux chute dans une crevasse, la force des deux autres le retiendra.

Aucun secours n’est envisageable Ils s’accordent un an pour préparer l’expédition. Première étape : collecter toutes les sources cartographiques existantes, les livres disponibles sur la région, les informations livrées sur internet, rencontrer A l’arrivée, la presse ? les personnes qui ont tenté la traversée (voir entretien Puis vient le jour du départ. Le 6 septembre, le groupe avec Christian Clot page suivante). Il y a des Canadiens démarre l’ascension. Le 5 octobre, au terme d’une et des Français, dont un groupe de guides de haute journée ininterrompue de trente jours au cours de montagne dirigé par Yvan Estienne. S’ils ont échoué laquelle ils ont parcouru 250 à traverser la cordillère, kilomètres et 17 400 mètres de les guides ont néanmoins dénivelée, ils gagnent la baie rapporté un film : Darwin, de Yendegaya. Ils viennent de la cordillère secrète. Les Chacun est d’accord réaliser une première mondiale. hommes du GMHM le visionpour partir vers le pire. Personne pour sabler le chamnent. « Cela faisait partie pagne pourtant. Des sponsors ? de la préparation psycholoLa presse ? « Les options que gique. Ça donnait tout sauf nous avions choisies étaient si envie d’y aller ! » s’amuse le saugrenues que si nous avions échoué, nous aurions capitaine Albrieux. Mais les infos sont peu nombreuses été ridiculisés. On a décidé d’être discrets. » Ils seront et les seules cartes existantes reproduites au 250 cependant accueillis par… un habitant du bout du millième, dix fois moins précises que celles habituelmonde, gardien d’un parc national en devenir, qui raplement utilisées – l’emplacement des sommets y est portera de son sellier un quart de vache pour célébrer approximatif. Aucune ville, route, aucun port ni aéroport l’exploit. Ce qui tombait plutôt bien : les héros avaient ne sont accessibles. La météo y est l’une des plus exécrables de la planète. Aucun secours n’est envisageable faim. —

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En 2006, au Chili, le Suisse christian clot fut le premier à ausculter le cœur inexploré de la cordillère Darwin. L’œil perçant et les envolées précises, ses souvenirs soufflent fort.

entretien Sophie Dusigne

Un groupe militaire de Pourquoi partir seul ? Chamonix vient de traverser inAvec un groupe, on perd du temps pour s’équiper. Il tégralement « votre » cordillère faut être rapide. Et il faut aussi avoir du temps devant [voir pages précédentes]. Vous y êtes resté seul soi, sans contraintes. C’est pourquoi j’ai décidé d’y pendant trois mois, réaction ? accoster seul en kayak afin de ne pas dépendre d’un Christian Clot : J’ai partagé avec eux mes connaisrendez-vous avec un bateau pour une date de retour sances du terrain. C’est une belle expédition, la contidéfinie. Pour être en totale autonomie. Et globalement, nuité logique, ils ont pu réunir et affiner les données, les dangers de cette montagne font que je n’ai pas comme un puzzle. envie d’y amener des gens. Je suis donc parti avec des Pour vous, tout commence raquettes, des sacs à dos, en 2001, lors d’un tour deux tentes – bref, cent vingt en voilier sur le canal de « Le vent fait parfois plus kilos de matériel. Beagle, en Terre de Feu ? Comment se déplace-t-on, de bruit qu’un avion qui seul, avec cent vingt kilos Oui. C’est là que j’ai vu ces montagnes pour la première de matériel ? décolle.#» fois. Un williwoo, une rafale Pour chaque avancée, il faut Christian Clot de vent coup de poing de 200 faire quatre allers-retours : km/h, a complètement dégagé le premier, sans charge, les nuages. J’ai eu envie d’y aller. Toutes les tentatives, pour ouvrir le chemin. Et ensuite trois allers-retours de une soixantaine, avaient échoué. Quelques sommets quarante kilos à chaque fois. La distance réelle parcouavaient été atteints, mais toute la partie centrale, rue, entre quinze et vingt kilomètres au quotidien, est 3 600 km, n’avait jamais été touchée. Ça m’a fasciné... donc multipliée par quatre. Sans parler des repérages, j’ai entamé une méticuleuse préparation, et lancé pludes moments où je me trompe, où je tente un col et où sieurs explorations. Au bout de trois assez éprouvantes, ça ne passe pas... ça fait beaucoup de circonvolutions. j’ai compris que la problématique de Darwin, c’est la Mais c’est ça l’exploration : tâtonner, chercher le bon vitesse : les conditions climatiques changent trop vite. passage... 114 — numéro 34

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« Dans la région des cinquantièmes hurlants, en Terre de Feu chilienne, au point de rencontre de deux océans, l’Atlantique et le Pacifique, et des vents venus d’Antarctique… » Y-a-t-il un son particulier dont vous vous souvenez ? De toutes les montagnes que je connais, la cordillère Darwin est clairement la plus dure, la plus violente au niveau des masses d’air et des mouvements de la terre. Donc il y a toujours du bruit. Et celui du vent est très impressionnant, parfois plus puissant qu’un avion qui décolle. Mais le plus particulier, c’est encore le silence. Il est tellement rare qu’il en devient étrange. C’est lorsque le vent tombe enfin, qu’il n’y a plus de bruit d’avalanche, plus de glace qui craque, plus de crevasse qui s’ouvre ou qui se ferme. Quand ce silence survient, on se demande vraiment ce qui se passe. Comment décrivez-vous cet « enfer blanc » ? On a l’impression que tous les titans du monde se sont donné rendez-vous en un seul lieu. Et nous, on est juste une entité infime au milieu de tout ça, qui essaie de se découvrir. C’est un endroit émouvant dans sa dureté, sa violence. En permanente mutation. La cordillère semble se chercher, sans répit. Les sommets se transforment sans cesse, la montagne change de visage et bouge perpétuellement, comme une mer de neige déchaînée... En une nuit, autour de ma tente, le paysage pouvait devenir méconnaissable. On est catapulté dans un monde brut, terrifiant, mouvant... mais assez envoûtant. Et quand on est bloqué une semaine dans son duvet, à attendre qu’une tempête se calme ? J’ai la chance d’avoir une capacité virtuelle forte. Je voyage très facilement dans mon imaginaire, je peux

penser à mes proches ou m’inventer des mondes inconnus. Mais j’étais aussi obnubilé par la toile de tente qui ne devait surtout pas se déchirer... Dans Ultima Cordillera, vous dites vouloir « tout connaître d’elle [la cordillère] pour devenir quelqu’un de vraiment particulier à ses yeux »... Il y a une histoire d’amour forcément, avec une volonté d’appropriation, fait de ce désir de savoir, de protéger... et de se sentir grandi, parce qu’on est quelqu’un d’unique pour ce lieu. Mais après il y a le danger de la jalousie... Evidemment, par rapport au groupe militaire de Chamonix, c’est compliqué, une part de moi aurait voulu être à leur place ou à leurs côtés. Mais c’est ainsi. Au fond, j’aimerais que tout le monde ressente ce que j’ai éprouvé là-bas : cette sensation d’aller au bout de soi, de faire partie d’un tout, ressentir ce qui provient de là, en dessous... Prochaine expédition ? La descente intégrale du Nil, de ses différentes sources – Rwanda, Burundi, Ouganda, la plus haute étant à 5 000 mètres d’altitude – jusqu’à son estuaire, l’année prochaine. En tout, 9 000 km, à pied ou en kayak. — Christian Clot lance aux éditions Glénat une collection de bandes dessinées sur les grands explorateurs. Les deux premiers tomes, consacrés à Magellan et à Mary Kingsley, et dont il signe le scénario, sortiront en avril.

Ultima Cordillera, la dernière terre inconnue

Arthaud, 2007

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explorateurs Histoire

LA MALCHANCE

À LA MACHETTE Certains trouvent l’eldorado, d’autres se font piquer leur pantalon par des Massaïs, assassiner en Syrie ou mangent de la purée de chameau. le top des aventuriers poissards.

par Tristan Ranx*

La malédiction de la gourde à plumes

Oasis-oasis c’est bon c’est chaud

ESTEBANICO LE MAURE (1503-1539)

LE COLONEL VINCENT-YVES BOUTIN

Né en 1503 dans la ville portuaire d’Azemmour au Maroc, capturé par les Portugais, Estebanico fut vendu comme esclave à Andres de Dorantes. Devenus amis en 1527, Dorantes et Estebanico se joignent à une expédition chargée de découvrir la Fontaine de Jouvence en Floride. Le 12 avril 1528, leurs navires font naufrage près des côtes et trois cents conquistadors se perdent dans des jungles impénétrables, décimés par les attaques des Séminoles, dont les grands arcs percent les cottes de mailles. Les survivants fabriquent de grandes barques pour rallier le Mexique. Après une dérive de cauchemar, quatre-vingts d’entre eux arrivent au Texas, près de Gaveston. « Chaleureusement » accueillis par les Indiens, quatre en réchappent en 1534 : Estebanico, Dorantes, Cabeza de Vaca et Alonso Castillo. Ils deviennent hommes-médecine itinérants, « les fils du soleil ». Spécialiste des dialectes indiens, Estebanico reçoit d’un chef une gourde de cuir à plumes – un symbole de chance qui devient son emblème. En 1536, ils arrivent enfin à Mexico.

Près de l’oasis de Syouah (l’actuelle Siwa, en Egypte) se trouverait un lac salé, « Araschié », qui entourerait une île mystérieuse et que William George Browne n’est jamais parvenu à atteindre en 1792. Pas plus que, quatre ans plus tard, un Allemand de 24 ans, Friedrich Hornemann, repoussé par les tribus issiwanes. Le colonel Vincent-Yves Boutin, archéologue et espion de Bonaparte, s’y essaie en 1811 avec un mamelouk du nom de Saladin. On évoque devant lui les vestiges d’un temple sacré sur l’île, inaccessible aux musulmans terrifiés. On dit aussi que l’endroit renferme le sabre du Prophète… A-t-il réussi son pari ? Nous ne le saurons jamais, car Boutin fut tué en Syrie par la secte des assassins en 1815. Il semble aujourd’hui que son objectif était une oasis du désert libyen, celle d’Ouanous-en-Namous, qui possède un lac salé dû à l’effondrement d’une caldera volcanique, abritant autrefois le sanctuaire d’Amon et inhabitable… à cause de millions de moustiques. Ça pique, la curiosité. —

(1772-1815)

Leur retour miraculeux échauffe les esprits, on parle des mystérieuses « sept cités de Cibola », d’eldorado nord-américain. En 1539 se monte une nouvelle expédition à la recherche des cités d’or, avec Estebanico comme guide. En territoire zuñi, le Maure est capturé : sa gourde porte-bonheur est décorée de plumes de chouette, symbole de la mort chez les Zuñis… Il est immédiatement abattu. —

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Bien accompagné

SAMUEL WHITE BAKER (1821-1893)

Quel chameau

PETER EGERTON WARBURTON (1813-1889)

En 1873, ayant parcouru 1500 kilomètres depuis Adelaïde, cet Australien entre à Alice Springs avec son fils, un cuisinier, un contremaître, deux chameliers afghans, dix-sept camélidés et un jeune Aborigène nommé Charley. L’objectif était d’atteindre l’océan Indien, ce qui n’avait jamais été tenté. Ils durent traverser la terrible plaine de spinifex (Triodia), couverte de plantes vivaces parfois si dures et si sèches qu’elles peuvent, de nos jours, percer le réservoir d’une voiture. Les chameaux meurent empoisonnés et, le 5 novembre, rendue squelettique par la soif et la famine, l’équipe est au bord du désespoir et Charley part chercher de l’aide, seul. Le croyant perdu, ils repartent vers leur destin, abandonnant le garçon dans l’immensité. Peu susceptible, il revient avec une tribu aborigène et de l’eau, ayant parcouru plus de 30 kilomètres pour les retrouver et les sauver d’une mort certaine. Comme l’explique Warburton dans ses mémoires, la recette de viande de chameau est simple : il faut gratter la chair qui reste sur la peau, plonger le tout dans l’eau bouillante et attendre qu’elle se transforme en une pâte ayant la consistance, le goût et l’odeur d’une colle de menuisier. Cette spécialité du grand désert de sable, très prisée, est malheureusement toujours absente des manuels de cuisine. —

Touche-à-tout de génie, à la fois officier, naturaliste, chasseur, ingénieur, écrivain anti-esclavagiste et général de l’Empire ottoman, ce Britannique se déplaçait toujours avec sa superbe maîtresse transylvaine, Florence von Sass, qu’il acheta à un marché aux esclaves à Vidin en Bulgarie en 1859, à la barbe du pacha local, se dépêchant de mettre de la distance entre la Bulgarie et sa carotide. En 1862, il entreprit une expédition en Afrique centrale dans le but de découvrir les sources du Nil… qui venaient justement d’être trouvées, les nouvelles ne parvenaient pas vite à l’époque, par l’Anglais John Hanning Speke et l’Ecossais James Augustus Grant dans les environs du lac Victoria. Voyager avec une belle femme permit cependant à Baker de se consoler d’être parti pour rien. —

OTTO RAHN A-T-IL INSPIRÉ INDIANA JONES ? En 1933, un jeune homme du nom d’Otto Rahn relate dans son livre La Croisade contre le Graal son exploration des Pyrénées à la recherche du trésor des cathares à l’aide de sociétés secrètes telles que les Polaires ou la White Eagle Lodge. Il est vite remarqué par l’Ahnenerbe, nouvelle organisation archéologique SS ; Heinrich Himmler, ex-éleveur de poulets aux rêveries mystiques, aurait dit à son sujet : « Nous pouvons utiliser cet homme, amenez-le à Berlin ! » Recruté, Otto Rahn est envoyé en Islande pour trouver l’entrée de la mystérieuse « terre creuse » – selon des théories très en vogue, comme on le voit dans Les Mondes engloutis, notre planète posséderait des surfaces internes habitables. Naturellement, Otto fait chou blanc. Il en profite pour rédiger La Cour de Lucifer (1937), dans lequel les cathares sont des crypto-nazis persécutés par l’Inquisition. Puis Rahn découvre qu’il est juif, et s’avère incapable de prouver son aryanité auprès de l’administration allemande. Himmler est extrêmement fâché du fait du haut grade d’Otto (Obersturmführer, lieutenant), même si le bel archéologue est idéologiquement un vrai nazi. Son homosexualité fournit l’excuse pour l’envoyer à Dachau. Libéré, il démissionne de la SS et, en 1939, est retrouvé mort congelé sur le Kaisergebirge, le glacier de l’Empereur dans le Tyrol autrichien. Même si Steven Spielberg et George Lucas ne l’ont jamais admis ouvertement, on considère généralement qu’Otto Rahn a servi de

modèle au personnage d’Indiana Jones dans Les Aventuriers de l’Arche perdue (1981), au cours duquel Harrison Ford doit déjouer les pièges tendus par l’Ahnenerbe. Steven et George étaient pourtant bien renseignés : lors de fouilles en Egypte, le film montre un combat autour d’un prototype allemand qui ne fut jamais construit, l’aile volante Horten H IX VI. Jones est un homme téméraire et bagarreur, la version positive d’Otto Rahn, tout ce que ce dernier ne fut jamais. Le professeur Paul Ladame, de l’université de Genève, l’affirme dans le reportage Secret Glory réalisé par Richard Stanley en 2001 : « Otto Rahn était avant tout un grand poète ! », un rêveur. Pas étonnant que ce soit Indy qui ait trouvé le Graal : il fallait chercher en Turquie, pas dans les Pyrénées. — T. R. numéro 34 — 117

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Doigts de pied tordus

JOSEPH THOMSON (1858-1895)

Espion de lui-même

FREDERICK MARSHMAN BAILEY (1882-1967)

Si vous vous rendez dans la vallée de Rong Chu, une région reculée du Tibet, sachez que la petite fleur qui pousse sur ces rives n’est autre que la Meconopsis baileyi, le pavot bleu de l’Himalaya, qui doit son nom à l’Anglais Frederick Marshman Bailey. Armé d’un filet à papillons, il collecta plus de deux mille spécimens d’insectes et de flore dans des vallées inconnues du Tibet. C’est en 1913, avec compagnons, qu’il évolue dans le dangereux nord de l’Inde où les tribus sauvages, les bandits et les espions font peser un climat d’insécurité. Gentil naturaliste en apparence, Bailey était en réalité le plus grand agent secret de Sa Majesté, chargé de récolter des informations pour le « Grand Jeu », une lutte que se livraient l’Empire britannique et son concurrent russe pour le contrôle de l’Himalaya. En 1918, en mission dans le Turkestan, il se fit accréditer comme commissaire de la Tchéka, la police secrète soviétique, pour arrêter un terrible espion anglais, c’est-à-dire : lui-même. —

Cet Ecossais fut commissionné par la Royal Geographical Society en 1883 pour découvrir la route qui traversait le pays Massaï vers le lac Victoria. A partir de Zanzibar, il monte une expédition de cent trente porteurs. Inventeur de l’exploration lente, sa devise était : « Celui qui va doucement, va en toute sécurité, celui qui va en toute sécurité, va loin. » Cette traversée downtempo ne fut pourtant pas une partie de plaisir : les grands guerriers de l’Est africain essayèrent de lui enlever son pantalon sans y parvenir, puis l’obligèrent à retirer ses bottes pour lui tordre les doigts de pied en le pinçant jusqu’au sang. Il fut sauvé par la magie occidentale, une poudre proche du Tang, le Eno’s Fruit salt, qui pétillait mélangé à l’eau. Ceci impressionna ses tortionnaires, mais pas autant que son arme secrète : un faux dentier qu’il brandissait et qui claquait des dents. Clac, clac, clac... —

« Celui qui va doucement va en toute sécurité, celui qui va en toute sécurité va loin. » Joseph Thompson

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Fort comme un poney

FREDERICK GUSTAVUS BURNABY (1842-1885)

Géant affublé d’une voix de fausset, ce soldat britannique était capable de soulever un poney. Son plus célèbre exploit fut sa chevauchée fantastique en Asie centrale : il fut le premier Occidental à pénétrer la ville interdite de Khiva. Les peuples de la steppe se souviennent encore de ce monstrueux cavalier aussi discret qu’un éléphant, régulièrement vainqueur des concours de vodka avec des Cosaques. En 1885, après avoir traversé la Manche en montgolfière, il se rend au Soudan avec le corps expéditionnaire anglais censé sauver le général Gordon Pacha, assiégé dans Khartoum. Dans son poème Vitaï Lampada, le poète Sir Henry John Newbolt a immortalisé « Gustavus » lors de la bataille d’Abu Klea avec ce vers aussi concis que définitif : « La Gatling s’est enrayée et le colonel est mort. » —

Sources : anthologie d’Eric Newby, A Book of Travellers’ Tales (Picador, 1985), compilation d’extraits de centaines d’ouvrages sur les explorateurs. * Auteur de La Cinquième Saison du monde (Max Milo, 2009), Tristan Ranx prépare pour 2013 un second roman sur les services secrets anglais dans les années 30. numéro 34 — 119

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explorateurs Mode

BLANK CANVAS Réalisation maite catti Photographie Agnieszka maksimik Créateurs sissi Goetze, tze goh, william hamil, christopher shannon, Claire zeng Coiffure juusso Maquillage rosie kor, vaishali parmar using by terry Modèles axel chez elite, ben, minnie, harry chez premier, georgie chez profile Retouche irene van herten Traduction victor branquart

LA CRÉATRICE

Sur ces photos, des modèles et des créateurs qui font leurs premiers pas dans le métier, débusqués à Londres, où ils ont fait leurs classes. Deux d’entre eux, Christopher Shannon et Tze Goh, sont présents à la London Fashion Week et à l’international. Tous ont accepté de disserter sur le look aventurier et son iconique gilet multi-poches.

A 22 ans, la Chinoise Claire Zeng a deux collections à ses aiguilles et rêve d’inventer des techniques de confection pour séduire des maisons cotées avec des A. Quels sont vos terrains d’exploration ? Claire Zeng : De nouveaux matériaux qui sont habituellement laissés de côté, comme la silicone. Et si on m’en ouvre les portes, j’irais volontiers voir à ce qui se passe et collaborer avec les grandes maisons que sont Balenciaga et Prada. Quelle découverte avez-vous faite depuis que vous vous êtes lancée dans l’aventure ? Que la silicone est la parfaite touche minimaliste dans ma méthode de conception. Mais je ne suis pas encore complètement lancée, mes deux collections sont mes rendus de diplômes, bachelor et master à l’University for the Creative Arts ici, à Londres.

Pensez-vous qu’il y aura toujours des choses à découvrir ? Oui, je suis très optimiste et passionnée. Techniquement, on a l’impression qu’il n’y aura aucune limite. Le progrès nous porte vers l’avenir. Que pensez-vous du gilet multipoche ? Contrairement à sa fonction utilitaire, ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique à porter. Avec le mien je pense avoir atteint un certain niveau d’exploration : aucune couture, que des surfaces lisses, des poches industrielles soudées. Que feriez-vous pour une collection « explorateur » ? J’utiliserais des techniques jamais utilisées par personne en les faisant miennes, comme une signature. —

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LE MODÈLE

MINNIE, 17 ANS « J’assistais au défilé de Vivienne Westwood, une femme est venue me voir aux toilettes et m’a demandé si je voulais rejoindre son agence. J’avais déjà été repérée à 13 ans. Ça ne m’intéressait pas à cette époque. Mon premier shooting s’est mal passé, je suis tombée deux fois ! Je devais porter plusieurs couches de vêtements, un énorme chapeau et un immense bol en verre dans les mains. Je n’ai jamais voulu voir ces clichés. Mais depuis, j’adore me voir incarner différentes personnes ! » numéro 34 — 121

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LA CRÉATRICE

Simplicité, unité et modestie définissent Sissi Goetze, créatrice allemande de 30 ans que « les règles strictes » aident pour penser une mode masculine combinant les époques et les styles. Quels sont vos terrains d’exploration ? Sissi Goetze : Les règles strictes. Je me suis imposé de n’utiliser que du tissu à chemise pour l’intégralité de ma deuxième collection. Cela m’oblige à trouver des alternatives, des solutions. Je me suis aussi limitée à une couleur : le blanc. Quelle découverte avez-vous faite depuis que vous vous êtes lancée dans l’aventure ? Que la solution la plus simple est toujours la meilleure, et la plus belle ! Une citation de l’artiste américain Robert Morris m’avait marquée à l’université : « La simplicité de la forme n’est pas nécessairement la simplicité de l’expérience. »

Pensez-vous qu’il y aura toujours des choses à découvrir ? Tout a été fait, c’est la manière dont vous interprétez les choses et le contexte dans lequel vous les placez qui les rendent différentes. Que pensez-vous du gilet multipoche ? Il faut l’utiliser hors contexte. Porté par un pêcheur, ça reste utilitaire mais un par un artiste comme Joseph Beuys, c’est intéressant ! Que feriez-vous pour une collection « explorateur » ? Je resterais loin des vestes kaki et pratiques. Parce que justement l’aventure commence quand on n’y est pas préparé.

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Christopher Shannon en a beaucoup dans les valises : à 29 ans, sept collections, deux déclinaisons pour l’étranger et une collab’. Pour le suivre, facile, il twitte tout. Quels sont vos terrains d’exploration ? Christopher Shannon : Ce travail est un prétexte pour explorer les films, l’art et les domaines qui m’attirent. Quelle découverte avez-vous faite depuis que vous vous êtes lancé dans l’aventure ? Que je peux être très débrouillard et que j’avais la tête pleine d’idées qui ne demandaient qu’à être utilisées. J’ai appris aussi que la meilleure façon d’apprendre est la pratique : vous devez sans cesse penser à toute vitesse, ça peut être épuisant, mais vous ne pouvez que progresser. Pensez-vous qu’il y aura toujours des choses à découvrir ? Oui, la mode est une constante au sein de la société. Même si nous n’avons pas été les témoins de changements radicaux cette dernière

décennie, elle reste très réactive et je la compare au photojournalisme, qui reflète l’instant présent. Que pensez-vous du gilet multipoche ? Retravailler un élément basique est un défi classique. Comme le fameux t-shirt blanc, avec lequel j’ai rappelé le style du skateur aux fringues déchirées avec une touche plus raffinée (celui que vous voyez sur la photo). Le tombé est délicat quand on fait de grands trous. Que feriez-vous pour une collection « explorateur » ? En y pensant… toutes mes collections dégagent un côté explorateur, car j’utilise toujours des tonnes de sacs pleins de finitions qui leur donnent une note d’aventure.

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LE MODÈLE

AXEL, 21 ANS « J’ai commencé en mai dernier. J’ai d’abord refusé les premières offres et puis j’ai vu que c’était une opportunité de se faire de l’argent et aussi des contacts pour ma carrière – je fais des études de cinéma... La mode ne m’intéresse pas du tout, mais j’apprends des choses quand même : un ami à moi, modèle pour Gucci, me dit que moins les maisons de couture te voient et plus elles ont envie de toi. Amusant. Après les défilés, ça ne sert à rien de rester, mieux vaut partir vite. Ma vie n’a pas changé, à part que je voyage et que je dois boire moins de bière pour ne pas devenir bouffi. » numéro 34 — 123

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LE MODÈLE

BEN, 19 ANS « Ma famille me disait que j’avais l’allure pour être mannequin, mais je n’y avais jamais pensé. Je travaille dans le bâtiment. Un jour, j’ai eu le bras accidenté et j’ai dû me rendre aux urgences. Il y avait six heures d’attente alors je suis allé faire du shopping. Dans le magasin, un homme me regardait. Il m’a dit qu’il bossait pour l’agence Premier. Je continue les chantiers, les rénovations de granges et je prends l’argent comme il vient. Je ne me sens pas différent d’avant, si ce n’est que j’ai plus confiance en moi. » 124 — numéro 34

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LE MODÈLE

GEORGIE, 17 ANS « Tout est parti des six cents « like » sur les photos d’anniversaire de mes 16 ans sur Facebook. Je suis un peu trop petite, mais ne le dites à personne ! Je bois beaucoup de lait en espérant que ça m’aide à grandir encore. Si j’arrive jusqu’à l’université, j’aimerais étudier l’histoire de la mode. J’ai travaillé avec le grand photographe Rankin et il m’a posé des questions vraiment bizarres, ne l’écrivez pas ! » numéro 34 — 125

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Né à Singapour il y a 32 ans, Tze Goh attend beaucoup de la technologie. A commencer par l’iPad 2 pour remplacer le 1,trop lourd. Quels sont vos terrains d’exploration ? Tze Goh : Je ne considère pas la mode comme une aventure, j’essaie juste de faire des vêtements qui s’adaptent à la vie des femmes, de rendre leur look sophistiqué en utilisant les dernières nouveautés. Quelle découverte avez-vous faite depuis que vous vous êtes lancé dans l’aventure ? En quatre collections, je me suis aperçu de la vitesse incroyable à laquelle évoluent les tissus et les techniques de production.

Pensez-vous qu’il y aura toujours des choses à découvrir ? Je suis sûr que j’en découvrirai, ça fait partie du métier, de l’industrie de la mode. Que pensez-vous du gilet multipoche ? Comme pour tous les autres produits : comment va-t-il s’intégrer dans la vie du consommateur ? Peut-il améliorer la qualité de vie des gens ? Que feriez-vous pour une collection « explorateur » ? Comme je n’y ai jamais pensé, il faut me laisser le temps d’explorer la question.

LE CRÉATEUR

Sans peur du futur, le Britannique William Hamil, 28 ans, posé à Stockholm, vient de terminer sa première collection, Apocalyptic Traveler. Quels sont vos terrains d’exploration ? William Hamil : Les cultures, anciennes et actuelles. J’aime imaginer comment se comporteraient les gens si des changements apocalyptiques survenaient, et ce qu’ils porteraient. Quelle découverte avez-vous faite depuis que vous vous êtes lancé dans l’aventure ? Depuis que je travaille pour une grande compagnie commerciale, je me suis rendu compte à quel point la conception de vêtements peut être ennuyeuse. Ça me rendu un peu triste. Mais ce qui la rend excitante, c’est l’espoir de parvenir à toujours trouver quelque chose d’inattendu. Pensez-vous qu’il y aura toujours

des choses à découvrir ? Je l’espère de tout cœur. Si vous commencez en sachant ce que sera le produit fini, c’est ennuyeux. J’aime observer la tournure et les directions que peuvent prendre un projet. Que pensez-vous du gilet multipoche ? En fait j’aime ça… Un gilet de pêche ou un truc usé que l’on porte au quotidien, ça peut être vraiment cool. Que feriez-vous pour une collection « explorateur » ? Je l’ai déjà faite. Pour Apocalyptic Traveler, j’ai regardé du côté des voyageurs du désert et des nomades, en plaçant ces gens, qui ne se sont jamais installés nulle part, dans une aventure vibrante à la Mad Max.

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LE MODÈLE

HARRY, 21 ANS « J’ai été repéré dans la rue. Depuis, je travaille pour Marc by Marc Jacobs, DKNY, Vogue Italie, Diesel, et pas mal pour Teen Vogue. C’est mieux pour un modèle d’être détaché de la mode. On ne représente pas grand-chose. Pour s’amuser d’un ami qui prenait ce métier trop au sérieux, on a collé une page de magazine érotique dans son book avant le casting Dior, à Paris. Il m’a viré de chez lui. P.-S. : Il n’a pas eu le job. Hedi Slimane a photographié mes tatouages un jour où il m’a croisé avec mes potes, c’est un génie. J’étudie la politique et j’aime écrire, des fictions courtes. C’est un passe-temps, j’aimerais que ça devienne mon job. » numéro 34 — 127

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explorateurs Mode

DEMAIN, LE JEAN D’INDIANA JONES SERA BLEU COMME UNE ORANGE Barbarella se lance dans la mode ? Allan Quaterman revend ses pantalons ? Presque. Le salon première vision dévoile les trouvailles de la recherche ES denim.

par Alice Pfeiffer photographie Gilles Uzan

Un hélicoptère écrasé, des squelettes enfouis dans des cercueils pleins de terre, des hommes scaphandres errant sonde en main. Au centre d’un désert de ciment à l’ambiance dystopique, des huttes bâties en rangs d’oignons abritent des hommes qui découpent, auscultent et accrochent de minuscules morceaux de tissus multicolores… Cet étrange théâtre n’est autre que la 38e édition du salon Première Vision, spécialisé dans le jean. PV, pour les avertis, étudie cette année l’avenir du tissu en stimulant son envolée scientifique. Dédié à la néo-toile de Nîmes, il nous introduit dans un univers futuriste mi-Claude Lévi-Strauss des grandes surfaces, mi-2012 L’Odyssée de l’espace couvert. Le décor sublime l’approche prospectrice de la foire. Sans lampe frontale, nous voilà éclairés sur le pouvoir du textile non pas comme un aboutissant mais un générateur de tendances. Ici, les stylistes ne s’entourent pas de modélistes mais de chercheurs, de mathématiciens et autres scientifiques. « Vous croyez que sans ce néoprène nouvelle génération, élastique, super léger, Balenciaga aurait pu faire tout ça ? » s’exclame Pascaline Wilhelm, directrice de la mode chez Première Vision (et cousine de Bernhard), se référant aux iconiques sil-

houettes à la fois rigides et légères de la grande maison de couture. Versace ne serait pas allé bien loin non plus avec sa dernière collection cloutée et olé-olé. Chiffons mutants aux multipouvoirs L’imitation de matières n’a rien de neuf : depuis le XVIIIe siècle, divers rationnements et difficultés financières ont poussé les tisseurs à développer des reproductions de soie, puis de laine. « Rapidement, on s’est rendu compte que ce n’étaient pas des copies ; on leur découvrait au contraire des propriétés en plus », poursuit Pascaline. Aujourd’hui, ce sont précisément ces nouvelles propriétés, ces chiffons mutants aux multipouvoirs, qui nous entraînent vers de nouveaux horizons et que l’on voit apparaître sur les catwalks : de la presque soie qui ne froisse pas ou de l’organza jamais effiloché. Nicola Formichetti et son PVC ultra-léger qui ne colle pas à la peau, Stella McCartney et son cuir végétal qui

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permet de porter du daim été comme hiver… l’innovapresse, à cause des produits chimiques et des techtion s’avère être de plus en plus souvent le fil d’Ariane niques de délavage qui nécessitaient des quantités entre les collections. d’eau quasi criminelles. On racontait même que le port Sur les quatre-vingt-un stands du salon, le travail de d’un pantalon éclairci pouvait nuire à la santé de son peintres, chimistes, acheteur. biologistes se mêle à Eh bien tout ça, c’est du celui de producteurs de passé. Isko, un des plus fibres, tisseurs, spéciacélèbres producteurs « Chaque progrès listes de finitions, accesturcs, présent sur le donne un nouvel espoir, soiristes. Un savoir-faire salon, a développé une suspendu à la solution d’une complémentaire ouvrant technique de rinçage sur l’écologie, l’art utilisant 40 % d’eau en nouvelle difficulté. plastique ou la « denim moins, et un délavage Le dossier n’est jamais clos. » thérapie ». trompe-l’œil fait à la peinture. « L’aspect Claude Lévi-Strauss, écologique est une Un laboratoire de Le Cru et le Cuit, 1964 des préoccupations recherche propose sur majeures à l’heure place différents tests et actuelle, explique Banu expérimentations : « Le Yenici, directrice du marketing de l’entreprise, cependenim est un terrain d’exploration particulier, continue dant, il faut allier ça à une fraîcheur visuelle aussi. » Pascaline. Pour chaque essai, il faut un kilomètre de tests. » Des recherches coûteuses et quasi impossibles pour les jeunes créateurs. Nous sommes alors ravis Un croisement entre jean et pull-over que les grands producteurs de denim s’en chargent. Parmi leurs dernières expérimentations, les designers Surtout que jusqu’à récemment, ils avaient mauvaise textile de Isko ont développé un tissage permettant numéro 34 — 129

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Vues du salon Première Vision, une ambiance de dingo pendant trois jours, à retrouver du 14 au 16 février.

d’appliquer tous genres de mailles (utilisées pour la laine) sur du denim afin de créer une épaisseur et un look hybride. « On vient de créer un croisement entre jean et pull-over », s’enthousiasme Banu, qui présente une autre nouveauté : une fibre ultra stretch pour leggings, pouvant s’accommoder des cuisses de jeunes filles de 40 à 140 kilos sans perdre jamais leur forme. La « denim thérapie », de l’espagnol Tavex, propose des pantalons qui remontent le moral. Leur gamme de fibres, à base de bambou ou aloe vera, hydrate la peau et stabilise l’humeur. « Le jean, c’est de la science pure. », assure Laura Gonzales, chargée de communication. De la science oui mais de la mode aussi. Pour le rappeler aux clients plus haut de gamme et anoblir cette matière originellement développée pour les travailleurs, Tavex a lancé Denim Couture, une ligne de luxe, fine, proche de la soie brute. Une marque comme Acne, qui défile et cartonne de surcroît, prouve que le jean allie toujours science et avenir à l’émotion. « Il s’épure, se densifie, se raffine, conclut Pascaline Wilhelm en montrant une toile bleue nuit tirant sur l’indigo. Le tissu, c’est une quête sans fin. » —

NEW MAN’S LAND Dans la lignée des salons prospectifs de mode, Antoine Floch (organisateur de feu Rendez-Vous), Romain Bernardie-James et Olivier Migda (de l’agence créative The Imaginers) se sont associés pour fonder Man. Il s’oriente vers un territoire de griffes à l’identité forte et singulière, made in, généralement près de chez soi, garantissant leur niveau de qualité, suffisamment aventureuses artistiquement pour rompre avec le casual wear masculin qui revisite en boucle la notion d’héritage. Parmi les marques représentées :

Le Mont Saint Michel, Fred Perry et sa ligne sélective Laurel Wreath, ou le créateur maroquinier espagnol Steve Mono. Sa démarche exploratrice, Man l’exprime sur ses supports avec une série de photos prises à la fin des années 60 par le père d’Antoine Floch, Jean-Marie Floch, chercheur sémioticien disparu en 2001, qui avait pour hobby d’emmener ses amis à l’assaut du mont Blanc. — D. H. Man

Du 21 au 23 janvier 5 bis rue Froissart, Paris 3e

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explorateurs Accessoires

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EN

ROUTE sélection Jean-Marc Rabemila illustration Steven Le Priol

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1 FRED PERRY 2 LACOSTE L!VE 3 CAMPER BY BERNHARD WILLHELM 4 PAUL SMITH 5 NATURE ET DÉCOUVERTES 6 SCHOTT 7 O’ NEILL 8 18CRR81 CERRUTI 9 QUO VADIS 132 — numéro 34

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14 10 BERNARD DELETTREZ 11 PUMA BY HUSSEIN CHALAYAN 12 APC 13 MILLET 14 STEFFIE CHRISTIAENS 15 18CRR81 CERRUTI 16 CASIO 17 SEBAGO 18 GAASTRA numéro 34 — 133

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explorateurs Beauté

A LA RECHERCHE DU TEMPS RECLUS La peau délaissée par mille aventures, foulées aux pieds, il est bon de rentrer chez soi avant de repartir de plus belle grâce aux formules high-tech, élixirs magiques, molécules pures nés des plus belles recherches en matière des laboratoires. Ou alors est-il possible de conserver une jeunesse éternelle en explorant… l’imaginaire. Comme Alice. —

par lucille gauthier illustration maud mariotti

Sérum libérateur jeunesse Forever Youth Liberator Yves Saint Laurent, 90 euros Soin Cellular Power Infusion La Prairie, 390 euros Sérum concentré reconstituant Algenist, 82 euros chez Sephora Soin sur mesure après diagnostic cutané Codage à partir de 30 euros Actif pur d’acide salicylique 300 mg Etat Pur, 12,90 euros Sérum générateur de jeunesse Regenessence Giorgio Armani, 95 euros

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Sérum source régénérateur tissulaire E.V.E Esthederm, 82 euros Soin anti-âge premiers signes Biomimetic, 70 livres chez Harrods Sérum extrême infusion intense Tom Ford, 220 euros Sérum Visionnaire [LR 2412 4 %] Lancôme, 82 euros Soin rétinol 1 % Poetry in lotion Dermadoctor, 58 euros Sérum Vital Essence Chantecaille, 84 euros

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LES AVENTURES DE

TWINTWIN

photographie et artwork Théo Génnitsakis stylisme Olivier Mulin mise en beauté Carole Fontaine remerciements Marie Audigier, Lucie Leguen et Lamia Lagha

Attaques de steaks volants, leggings bariolés et kermesse en technicolor, Twin Twin dégage la morosité à grands coups de Stabilo. Quand on leur demande d’où sort leur pop électro-rap, les Jumeau Jumeau François Djemel (basse) et Lorent Idir (guitare, voix) associés à Patrick Biyik (beat box et toms basse) citent Joy Division et Mario Bros. Une façon de revendiquer une image aussi importante que la musique. Le trio, foudroyé par une joie de vivre synthétique, se laisse habiller par les proches de Standard : Andrea Crews, Vava Dudu et Olivier Mulin. Pour leurs photos officielles, Olivier leur a choisi des dégaines d’aventuriers acidulés qui leur a fait gagner six dans ce dossier. Cette série est une 136 — numéropages 34

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adaptation exclusivement sauvage de leur artwork. « Trop crasse, trop vénère ! », l’énergie de leurs performances scéniques se décline en vidéo puisqu’ils réalisent des courts-métrages avec la maison de production de Jacques Audiard (Un Prophète) et d’Arnaud Desplechin (Un conte de Noël). Des images qu’ils tournent, comme leurs clips, avec des amis danseurs, graphistes ou stylistes. Suite à By my Side, l’EP de cet automne, leur premier album nous donne envie – même si les textes mériteraient une petite touche de maturité (oui, on sait, ça fait partie du délire) – de rester un moment by leur side. — Victor Branquart

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François Salopette Lee Casquette New Era Sneakers Reebok’s Pump Lorent Chemise Agnès b. Jean’s Lee 101 Sneakers Reebok’s Pump Patrick Pantalon de jogging Adidas Originals Bonnet et bretelles Noir Kennedy Sneakers Tennis Ball Airwalk

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A LA CONQUÊTE DE L’UNIVERS François Training suit résille et argent Freddy Tunique portée en bandeau Vava Dudu Sneakers Reebok’s Pump perso Patrick Coupe-vent Adidas SLVR Casque audio perso Lorent Chemise Vivienne Westwood Pantalon Pal Zileri Veste Agnès b. Sneakers Springcourt Cravate Noir Kennedy numéro 34 — 139

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explorateurs Xxx

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A LA RECHERCHE DU DISQUE D’OR Patrick Casque et pectoral And-I Pantalon de jogging Adidas Originals by Jeremy Scott Lorent Débardeur Adidas Originals by Jeremy Scott Pantalon et ceinture G-Star François Costume Gaspard Yurkievich Casquette New Era

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explorateurs Littérature

Trouvé dans la végétation corrézienne, ce carnet d’expédition rapporte les propos de neuf écrivains parlant d’îles polaires, de trésors faramineux et de cannibalisme.

exégète François Perrin (à la Foire du Livre de Brive-la-Gaillarde)

Quel est selon vous le plus grand « roman d’exploration » ? François Beaune : Le récit d’Ernest Shackleton de son Odyssée de l’Endurance pour tenter de traverser l’Antarctique [entre 1914 et 1917] est particulièrement poignant. Béatrice Bottet : L’Epopée du Far West, un gros livre documentaire de ma jeunesse, qui comportait même un disque de chansons. Je le connais encore par cœur ! Isabelle Kauffmann : Eloge des voyages insensés de Vassili Golovanov [2008], l’autofiction d’un journaliste moscovite à la recherche d’une île polaire dont il manque les légendes sur une carte de l’océan Arctique. Il s’agit en réalité de la quête de l’île absolue. A Kolgouev, seul l’élevage des rennes donne un sens à la vie des Nénets, perdus entre les esprits des ancêtres et une réalité moderne sinistrée. Philippe Jaenada : Don Quichotte [1605-1615], sans hésitation. C’est l’exploration du monde extérieur en général (or, le monde extérieur fout la trouille, quand même, non ?). Fouad Laroui : Voyage au centre de la Terre de Jules Verne [1864]. Je me souviens que je le lisais à plat ventre sur mon lit, complètement sourd à ce qui m’entourait. Bertrand Latour : Un roman pour ados dévoré à 13-14 ans qui avait pour héros une sorte d’Indiana Jones avant la lettre qui découvrait des tombes de pharaons. Malédictions millénaires, mysticisme de paco-

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tille, trésors faramineux : c’était magique. Sébastien Marnier : Sans aucun doute Les Jardins statuaires de Jacques Abeille [1982]. Un roman d’aventures, mais aussi une réflexion philosophique sur un monde « merveilleux » où des jardiniers font pousser des statues. Le voyageur narrateur nous fait découvrir une société idéale, mais dont la perfection cache un sousmonde où les exclus se muent en barbares et préparent leur révolte. Arthur Dreyfus : L’Age d’or, de Pierre Herbart [1953] – un jeune garçon explore l’amour et la fragilité du monde dans les paysages variés de la France des années 20. Xabi Molia : Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, écrit par Jean de Léry et publié en 1578. De l’anthropologie avant l’heure, un texte plein de curiosités, une imparable réhabilitation du cannibalisme. Qui est le plus grand explorateur ? Philippe Jaenada : Don Quichotte, donc. Parce qu’il s’aventure dans un monde qui lui est absolument étranger, le vaste monde, un monde qu’il n’a aucune qualité ni aucune arme pour affronter – mais il est persuadé du contraire, ce qui rend le périple encore plus dangereux. Sébastien Marnier : Jules Verne, évidemment, mais tout le monde va répondre ça ! Béatrice Bottet : Les astronautes d’Apollo, qui nous font quasiment entrer dans la science-fiction, en tout cas dans un autre imaginaire. Bertrand Latour : Sans hésiter, Neil Armstrong. Certes, il avait tout un pays, toute une époque derrière

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une interminable tempête de neige et il mourut de lui. Mais on dit que l’expertise et le sang-froid dont il fit froid en écrivant quelques phrases sur la grandeur de preuve au moment de l’alunissage, lequel faillit capoter l’Empire britannique. La lose absolue, le chic ultime. tragiquement, furent dignes du film L’Etoffe des héros. François Beaune : Jack London, Roald Amundsen. Fouad Laroui : Ibn Battûta [1304-1369], et pas Pour moi, les vrais ont froid avec leurs chiens. Les danseulement parce qu’il est parti de Tanger… Mais tout seuses qui font l’Amazonie sur des pirogues ne peuvent de même : vingt-neuf ans de tribulations, 120 000 rien entrevoir de la beauté d’un orteil gelé. km parcourus à pied, à dos de chameau, à cheval, en bateau, un périple qui inclut Tombouctou, la Volga et Existe-t-il encore des terres à explorer ? Quanzhou… c’est spectaculaire. Le plus amusant, c’est Quelle expédition aimeriez-vous mener ? qu’il a encore trouvé le temps de se marier plusieurs François Beaune : Ça y est, j’ai tout le financement fois en chemin, sans même s’arrêter, si j’ose dire. Et il nécessaire. Je vais faire toute l’année 2012 le tour de la décrit, analyse, explique tout ce qu’il voit d’Ephèse à Méditerranée pour collecter des histoires vraies. Sumatra, de la Mongolie aux Maldives, les Pyramides… Béatrice Bottet : Il en reste sûrement beaucoup, Et tout cela en plein Moyen-Age ! Insurpassable. découvertes une fois, puis ré-oubliées. J’hésite entre Arthur Dreyfus : Toute personne qui considère sa vie une ville fantôme du Far comme une matière à West, un château fort explorer ; non comme un train-couchettes « C’est le 30e anniversaire de la mort du Moyen-Age en ruine ou un temple perdu à emprunter jusqu’au d’un des plus grands dans une jungle d’Asie. terminus. explorateurs du XXe siècle, Philippe Jaenada : A Isabelle Kauffmann : qui proposa de découvrir part le fond des océans Léonard de Vinci, ou quelques cœurs génial découvreur de la l’infra-ordinaire : Georges Perec. » de jungles, je ne vois vie, de l’espace, de la Xabi Molia pas. Or, je n’ai pas la nature sous toutes se moindre envie d’aller au formes. fond des océans ou au Xabi Molia : Robert cœur de la jungle. Je n’ai pas de goût pour la nature, les Falcon Scott. Parti à la conquête du pôle Sud en 1911, grands espaces, le vide humain. Si on m’en donnait la il découvrit en l’atteignant, au terme d’une expédipossibilité, j’irais explorer tous les bistrots de la planète. tion homérique, un petit drapeau norvégien. Roald Ce sont des tas de micro-mondes qui, assemblés, Amundsen l’avait devancé de quelques jours. Sur le constitueraient je pense le plus riche et le plus intéreschemin du retour, Scott fut bloqué sous sa tente par

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LEURS LIVRES François Beaune Un Ange noir Verticales

Bertrand Latour La Deuxième Vie de Victor Hurvoas Le Passage

Isabelle Kauffmann Grand huit Le Passage

Arthur Dreyfus Le Livre qui rend heureux, Flammarion Belle famille, Gallimard

Philippe Jaenada La Femme et l’Ours Grasset

Fouad Laroui La Vieille Dame du riad Julliard

Béatrice Bottet Le Grimoire aux rubis Tome 8 Casterman

Sébastien Marnier Mimi Fayard

Xabi Molia Avant de disparaître Le Seuil

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explorateurs Petite bibliothèque (suite)

seule seconde sant des mondes. «#Si on m’en donnait coincé dans une Isabelle Kauffla possibilité, j’irais explorer fusée, ou dans une mann : En dehors tous les bistrots de la planète.#» quelconque sonde de quelques spatiale. particularités minoPhilippe Jaenada Arthur Dreyfus : ritaires, le potentiel Si j’avais le choix, je d’exploration de la partirais n’importe Terre est largement où avec quelqu’un que j’ai envie d’explorer dans n’imépuisé. Photos, récits, films, impossible d’échapper à porte quel décor. l’exhibition des zones les plus reculées. Mon expédiXabi Molia : Par ordre de préférence, en Belgique, à tion rêvée nécessite donc un grand bond en arrière. Dijon et dans le quinzième arrondissement. On célébreLe financement se ferait en temps non pas ajouté mais ra cette année le trentième anniversaire de la mort d’un soustrait : je partirais en Asie à la fin du XIXe siècle des plus grands explorateurs du XXe siècle, qui proposa pour découvrir avec stupéfaction des paysages et des cultures qui me seraient, enfin, totalement inconnus. le concept d’infra-ordinaire : Georges Perec. Ce qui Fouad Laroui : Il n’y a plus de terres vierges, malheurestait selon lui à découvrir, c’était le banal, le quotidien, reusement. Je suis un passionné de Discovery Channel le proche. Or, ces continents-là sont inépuisables – et et des programmes de David Attenborough sur la BBC, moins chers. et j’ai l’impression qu’ils sont vraiment allés partout. S’il y avait des territoires non conquis (ou mal conquis), il Pourquoi les explorateurs se lancent-ils dans serait urgent de les entourer d’une grande barrière et des explorations ? d’interdire à tout homme d’y entrer. Aux explorateurs François Beaune : Les explorateurs sont tous de succéderaient des aventuriers, puis les machines de grands obsessionnels : ils ont un objectif, ou du moins forage pour chercher du pétrole, puis les premières un prétexte aveuglant qui ne leur permet pas de voir villes, puis les premiers McDonald’s et Starbucks. grand-chose, et c’est toujours par coïncidence qu’ils Bertrand Latour : Tout ayant été cadastré ici-bas, la découvrent finalement quelque chose d’intéressant nouvelle Frontière est à chercher ailleurs : au-dessus de au milieu de leur brouillard. J’admire énormément les nos têtes (Mars et plus loin...), sous nos pieds (la terre obsessionnels. Ce sont des gens concentrés et traet la mer), sous nos yeux (l’infiniment petit) ou en nous vailleurs. (le corps, le cerveau). Béatrice Bottet : Il y en a de deux sortes. Ceux Sébastien Marnier : A partir du moment où je suis qui aiment l’exploit, le défi impossible et ont besoin malade en bateau et en avion, je ne m’imagine pas une de repousser les limites. Et ceux qui ont la curiosité

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d’apprendre ce qui existe au-delà de nos connaissances balisées. Philippe Jaenada : Simplement parce que l’herbe est plus verte ailleurs. Les explorateurs sont des insatisfaits avec qui il ne ferait pas bon vivre. Isabelle Kauffmann : Ils sont atteints d’une curiosité extrême qu’ils ne peuvent assouvir sur leur lieu de naissance ou de résidence ordinaire. Leur volonté de distanciation me paraît plus forte que celle d’arriver quelque part. Fouad Laroui : Christophe Colomb ne cherchait pas un passage à l’Ouest vers la Chine mais plutôt le paradis terrestre… Quand on demanda à Sir Edmund Hillary [1919-2008] pourquoi il avait conquis le Mont Everest en 1953, il répondit : « Parce qu’il était là. » Bertrand Latour : Pourquoi Keith Richards a-t-il choisi la guitare plutôt qu’un boulot pépère aux impôts ? La bougeotte et l’envie d’ailleurs, on a ça dans le sang. Ou pas. Sébastien Marnier : Voyager dans l’espace, comprendre le Big Bang, faire des fouilles archéologiques… Les explorateurs s’interrogent sur nos origines. Xabi Molia : Parce qu’ils ne font pas semblant, comme nous, d’avoir de bonnes raisons de rester là. Nicolas Bouvier écrivait dans L’Usage du monde [1963] : « A mon retour, il s’est trouvé beaucoup de gens qui n’étaient pas partis pour me dire qu’avec un peu de fantaisie et de concentration, ils voyageaient tout aussi bien sans lever le cul de leur chaise. Je les crois volontiers. Ce sont des forts. Pas moi. J’ai trop besoin de cet appoint concret qu’est le déplacement dans l’espace. » —

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ETONNANTS VOYAGEURS, L’AUTRE FESTIVAL Il y a Brive, en novembre. Paris, en mars. Et Saint-Malo, en juin. Depuis 1990, le festival Etonnants Voyageurs rassemble des auteurs du monde entier. « Se laisser traverser par le poème du monde, pour une chance enfin de retrouver la pointe vive de la littérature », écrit son créateur Michel Le Bris. Voyageur, auteur, il a publié les récits de nombreux explorateurs qu’il se « refuse de hiérarchiser » (Marco Polo, meilleur que Richard Burton ?), même s’il a « de la tendresse pour les journaux de l’expédition Lewis et Clark, la première à traverser les Etats-Unis, de 1804 à 1806 ». Vient de paraître : Rêveurs de confins (André Versaille Editeur). — F. P. & B. G.

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explorateurs Littérature (suite)

Quand t’es en mer depuis trop longtemps, où trouver un crayon ? Mettons les voiles avec laurent maréchaux, auteur érudit de dix-neuf portraits d’Ecrivains voyageurs.

entretien Bertrand Guillot photographie Maeva Delacroix

A quand remonte la littérature d’exploration ?

Laurent Maréchaux : Les premiers récits sont mythologiques. D’abord Homère : la bible des explorateurs, c’est L’Odyssée ! Ensuite Sinbad le marin, des Mille et une nuits, vers le IXe siècle. Les sources se multiplient à la fin du XVe siècle : l’époque des grandes découvertes… et de l’invention de l’imprimerie. Hormis Christophe Colomb (dont on connaît des lettres et un journal), les navigateurs n’ont presque pas écrit. N’oubliez pas qu’ils étaient d’abord des marchands, dont le premier souci était de trouver des commanditaires. Pour les appâter, ils proposaient d’embarquer avec eux un scribe pour écrire le journal du

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voyage – comme aujourd’hui on prend un vidéaste pour tourner le making of ! Ces manuscrits étaient ensuite remis au Roi et faisaient partie du trésor. Le plus connu de ces scribes est un Italien, Antonio Pigafetta. Il accompagna Magellan dans sa première tentative de tour du monde (1519-1522) et compte parmi les dix-huit survivants. Son journal de bord [publié en 1525] raconte tout : mutineries, épidémies, rats dévorés à pleines dents, îles rencontrées. Il existe aussi quelques récits de pirates. Les pirates ont-ils eux aussi découvert des terres nouvelles ? Leur objectif était d’abord de briser le monopole maritime de l’Espagne et du Portugal. Mais certains sont devenus explorateurs de fait, comme Francis Drake, le premier à rentrer vivant d’un tour du monde en 1580. Et Olivier Misson, bien sûr. C’est lui qui, échoué à Madagascar à la fin du XVIIe siècle, a fondé Libertalia – une République utopique où tous les hommes ont vécu égaux pendant vingt-cinq ans. Il est mort en mer, mais un survivant a ramené son journal. Lequel aurait été « trouvé » dans la malle d’un mort à La Rochelle par un ami du capitaine Charles Johnson, auteur d’une Histoire générale des plus fameux pyrates… et qui n’était autre que Daniel Defoe. Misson serait ainsi l’inspirateur de Robinson Crusoé [publié en 1719] ! Robinson, livre fondateur ? Et comment ! Defoe est le premier de ces aventuriers à écrire pour un public. L’exactitude des faits devient secondaire : l’important est de faire voyager le lecteur, en lui donnant à voir, à sentir, à toucher. Ce « mentir-vrai » deviendra la base toute la littérature de voyage et des récits d’exploration du XIXe siècle.

«#Je voyage pour vérifier mes rêves.#» Gérard de Nerval

Que se passe-t-il donc à ce moment-là ? C’est un nouveau siècle d’exploration, soutenu par le commerce international et les missions religieuses. Avec les progrès de la topographie, c’est l’intérieur des terres que l’on explore, en Asie et en Afrique. Arrive alors une nouvelle génération, dont le représentant le plus brillant est l’Anglais Richard Burton [1821-1890], qui publiera plus de quarante récits et partira à la recherche des sources du Nil [il se trompera et découvrira le lac Tanganyika] tout en traduisant les Mille et une nuits et le Kâma-Sûtra. C’est aussi un siècle d’écrivains aventuriers, comme Joseph Conrad [Au cœur des ténèbres, 1899] ou Robert Louis Stevenson [L’Ile au trésor, 1883]. Un peu plus tard, le Canadien Joshua Slocum réussira le premier tour du monde en solitaire sur un voilier [1895-1898]. Il en tirera Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres, en 1900. Un livre toujours culte ! Qu’est-ce qui rassemble tous ces écrivains ? A-t-on identifié le virus de l’exploration ? « Je voyage pour vérifier mes rêves », écrivait Gérard de Nerval. Le grand dénominateur commun, c’est la lecture. Sans elle, il n’y aurait ni écrivains qui voyagent, ni voyageurs qui écrivent. Stevenson et Conrad ont passé leur

jeunesse à rêver en lisant Walter Scott [Ivanhoé, 1819] et Jules Verne – lesquels s’étaient nourris de Defoe et de biographies d’explorateurs du XVIe. C’est une sorte de dette dont l’écrivain voyageur doit s’acquitter auprès de ses grands prédécesseurs. Tous se retrouvent dans un profond refus de la médiocrité, mais aussi dans une grande mélancolie. Ils sont terrifiés à l’idée de ne pas être à la hauteur de ce qu’ils voudraient écrire. D’où l’angoisse de la page blanche, l’alcool et, souvent, la tentation du suicide. Reste-t-il aujourd’hui des écrivains explorateurs ? Le dernier à entrer dans cette catégorie stricto sensu est peut-être Wilfred Thesiger, qui a parcouru à pied les dernières « zones blanches » du désert éthiopien entre 1945 et 1947. Par la suite, la littérature de voyage s’est renouvelée, notamment avec Nicolas Bouvier [L’Usage du monde, 1963] ou Bruce Chatwin [En Patagonie, 1977], mais il n’y a plus de terres à découvrir. Certains auteurs deviennent explorateurs par procuration : ils voyagent comme s’ils partaient à la découverte d’un nouveau monde. Ils vont vers le silence, la solitude, les conditions extrêmes (froid ou chaleur), visent le dépouillement pour mieux être en osmose avec le monde parcouru. Sylvain Tesson, via son récit Dans les forêts de Sibérie [2011], s’affirme comme l’un de leurs héritiers. —

LE LIVRE

L’ANCRE ET LA PLUME « Ils font de leur vie un roman, puis font un roman de leur vie. » Certains sont partis puis ont raconté leurs aventures, d’autres ont pris la route pour nourrir leurs pages blanches. En dix-neuf portraits illustrés d’écrivains voyageurs, de Joseph Conrad (« l’aventurier de la lucidité ») à Bruce Chatwin (« l’esthète nomade ») en passant par Pierre Loti (« le magicien de l’évasion »), Laurent Maréchaux donne envie de boucler son sac. L’auteur lui-même est aventurier et romancier (Les Sept Peurs, 2005)… On s’inscrit toujours dans les pas des plus grands. — B. G.

Ecrivains voyageurs – ces vagabonds qui disent le monde

Arthaud 192 pages, 40 euros numéro 34 — 147

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explorateurs Featuring

LES PIRATES"!

DANS : UNE AVENTURE AVEC LES ROMANTIQUES

Créateur absurde d’un équipage hirsute, l’Anglais gideon defoe nous livre en exclusivité les premières lignes hilarantes du nouvel épisode de sa série Les Pirates ! « – Pour moi, dit le pirate albinos, la manière la plus excitante de débuter une aventure, ce serait de s’introduire dans le sinistre repaire de la Ligue Internationale du Crime et d’espionner ses membres en train de préparer leur coup le plus audacieux : le vol du cerveau de la reine ! – Ridicule ! s’écria le pirate avec de la goutte. La manière la plus excitante de débuter une aventure, c’est de se réveiller dans une chambre, à côté d’un cadavre, de deux morceaux de charbon et d’une carotte et de s’apercevoir qu’il n’y a aucun moyen visible de sortir de la pièce ! – Et qu’est-ce que vous diriez si vous vous retrouviez dans un banal café… et soudain, vous ouvririez la porte et vous découvririez que vous êtes dans l’espace ! – Et imaginez qu’au cours de la nuit, les plantes se mettent à marcher en arrière.

rouvrit son magazine et reprit sa lecture d’un article sur les dividendes. Le pirate avec une écharpe jeta un coup d’œil par la fenêtre en direction du bateau pirate qui mouillait près du rivage monotone et détrempé par la pluie du lac Léman. Il songea un instant à l’ironie des choses et bâilla.

A l’intérieur du bureau du directeur de la banque, le capitaine pirate se renfonça dans son fauteuil, posa ses bottes sur le grand bureau en acajou et se fendit de son sourire le plus engageant, celui qui lui demandait de montrer toutes ses dents, y compris les molaires. Toutes ces années passées en mer lui avaient tanné la peau du visage, mais tanné d’une manière positive, comme un globe ancien ou une cheminée classée et non comme l’acteur Val Kilmer ou une tasse à café toute crasseuse – et si on avait dû le comparer à un type de gastéropode, ce que l’équipage s’efforçait de ne pas faire Imaginez trop souvent, il aurait fallu opter pour une conche à la qu’au cours barbe luxuriante ou peut-être de la nuit, un bulot au visage agréable les plantes et ouvert. […]

Bientôt tous les membres de l’équipage se joignirent à la discussion sur la manière la plus excitante de débuter une aventure. D’habitude les débats commençaient poliment, se mettent – Donc, je me disais puis le ton montait et l’on à marcher en arrière. qu’un millier de doublons passait aux vociférations ferait l’affaire, dit le capitaine avant d’avoir eu le temps en évitant ostensiblement de ne pas gratter sa coquille, de dire « Il y a des tripes partout ! », « Giclée artérielle » vu qu’il n’avait pas grand-chose en commun avec un ou « Horribles éclaboussures » mais, ce jour-là, vu que bulot. Je me rends bien compte que ça paraît beaucoup, les pirates étaient assis sur un banc dans le vestibule mais vous savez comme les dépenses journalières d’une banque suisse et que l’un des employés venait s’accumulent vite. D’ailleurs, j’ai dressé une liste au cas de leur lancer un regard noir, ils jugèrent préférable de où vous ne l’auriez pas fait. baisser la voix. Le pirate albinos s’arrêta d’agiter son Il tira une serviette de la poche de son manteau. sabre sous le nez du pirate aux yeux de velours, et il se – Voyons… Cordages de rechange : trente-cinq mit à fixer une plante verte. Le pirate avec de la goutte 148 — numéro 34

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« C’EST VERS TITAN QU’IL FAUT REGARDER#!#»

© Luke Smith

Toujours aussi non-sense, Gideon Defoe aime les tatouages et Youri Gagarine. Que sont allés faire, cette fois, vos pirates avec les romantiques ? Gideon Defoe : Byron, Mary et Percy Shelley, qui s’ennuient dans la terne et pluvieuse Suisse, s’attachent les services des pirates pour vivre une aventure excitante. Or, aucune aventure ne pointe à l’horizon. Ils finissent donc par essayer de déchiffrer le sens de l’un des tatouages du Capitaine (hérité d’un vieux mentor pirate qui avait l’habitude de traiter ses élèves comme des bloc-notes). Ce qui les entraîne à Oxford, à la Bodleian Library, puis dans un château en ruine de Roumanie. Oh, et Charles Babbage [1791-1871, mathématicien anglais, précurseur de l’informatique] est aussi de la partie. Comme les quatre premiers épisodes, c’est assez stupide, pour être honnête, mais on y trouve une belle représentation d’une créature mi-homme/mi-algue. Vous préférez l’aventure avec

les savants (2004), les baleines (2005), les communistes (2006), Napoléon (2008), ou celle-ci ? J’aurai toujours un petit faible pour les Savants : mon premier livre, facile à écrire puisque je ne visais absolument pas la publication. Mais j’ai apprécié ma relecture des romantiques l’autre jour – étrange, dans la mesure où depuis un an je déteste tout mon travail. Mes standards doivent s’effondrer, ou bien j’ai été rassuré d’y avoir fait une vraie fin, ce qui n’était pas le cas dans Napoléon. Si vous étiez un personnage des Pirates !, lequel seriez-vous ? Ma petite amie répondrait sans doute quelque chose comme Le-Pirate-Qui-Procrastine-En-RegardantTrop-America’s-Next-Top-Model, ou Le-Pirate-Qui-Elève-Des-Moisissures-Dans-Cette-Tasse-A-CaféCroyant-Mener-Une-ExpérienceScientifique. Ma mère dirait juste : « Oh, non, pas encore le truc des pirates, vous ne pouvez pas parler d’autre chose ? » Pensez-vous qu’il reste des territoires à conquérir ? Titan ! C’est par là qu’il faut regarder, aujourd’hui. J’en ai marre

des sondes pour Mars, même si ces missions factices où des gens restent assis dans une boîte au NouveauMexique ou ailleurs pendant trois ans, quelle belle anecdote de vie : « J’ai passé les trois dernières années à prétendre être en voyage vers Mars. » J’aimerais vraiment pouvoir faire ça, sûrement plus qu’y aller réellement. Quel serait le plus grand explorateur de tous les temps ? Dans la fiction, Arthur Dent [héros du Guide du Voyageur galactique de Douglas Adams] parce qu’il ne veut pas en être un ; Astérix, qui m’a inculqué la majorité de mes connaissances historiques et géographiques actuelles ; Dr. Who, pour être le seul à sembler ériger la curiosité en valeur (si les gars de Star Trek sont censés être en mission d’exploration, à quoi s’intéressentils vraiment ?). Dans la réalité, Youri Gagarine : sur le point de devenir le premier homme dans l’espace, son souci principal était d’emporter suffisamment de saucisses à bord. On doit le respect à quelqu’un qui aime à ce point les saucisses. — entretien François Perrin numéro 34 — 149

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explorateurs Gideon Defoe (suite)

n

uré

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doublons. Racolage : cinquante. Nouveaux chapeaux : encore cinquante… Le capitaine tapota son tricorne. – Ça vous semblera peut-être frivole, mais il est important de se tenir au courant des dernières tendances de la mode si on veut être respecté de ses gars. Ce respect-là est inestimable. Où en étais-je ? Ah, oui ! Les cadeaux de Noël de Scorbut Jake : vingt-cinq… Le nouveau barbecue : quarante… et le reste est consacré aux « articles divers ». Le directeur de la banque, un homme tout en bajoues, comme la plupart de ses confrères, le dévisagea par-dessus ses lunettes en demi-lunes. – Huit cents doublons d’articles divers ? – On ne peut pas se passer des articles divers. Répétez le mot plusieurs fois, c’est très plaisant. « Articles divers ». – Capitaine pirate, le monde de la finance est entré dans une période hivernale : le crédit n’est plus aussi accessible que par le passé. – Ah non, bien sûr ! Le marché, chuchota le capitaine pirate sur un ton de conspirateur. Il s’était récemment mis à placer des mots comme « le marché » dans la conversation pour donner l’impression qu’il comprenait les problèmes économiques. Le directeur de la banque prit une expression aussi sobre que son costume.

e »

Le capitaine prit un bonbon à la menthe dans le petit plateau posé sur le bureau du directeur, puis il se remit à sourire de toutes ses dents. – Je vous refais mon sourire engageant, expliquat-il. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais si vous regardez attentivement, vous vous apercevrez que j’ai des petits visages souriants gravés sur certaines de mes dents en or pour rendre encore plus engageant mon sourire engageant. Alors, ce prêt ? – Désolé, capitaine pirate, répondit le directeur de la banque. Je crains que, cette fois-ci, nous ne puissions répondre favorablement à votre requête. » — Les Pirates ! Dans : Une aventure avec les romantiques

Editions Wombat Parution le 8 mars

CINÉMA

LES PIRATES DANS LE NOIR

é

ce,

– Et votre compte est dans le rouge… de neuf mille doublons, à présent. – Le rouge est la bonne couleur ? Je ne me rappelle jamais. – Non, capitaine. Le rouge n’est pas la bonne couleur. Cela fait plusieurs mois que nous essayons de vous contacter à ce sujet, mais il semble que vous n’ayez répondu à aucune de nos lettres de relance. – Ah, si vous croyez que je les évitais, vous vous trompez lourdement. Si je ne les ai pas ouvertes, c’est parce que j’étais persuadé qu’il s’agissait de cartes d’anniversaire. Je me suis dit qu’une erreur d’écriture avait dû vous amener à penser que mon anniversaire avait lieu deux fois par mois.

Parallèlement à la parution de leur Aventure avec les romantiques, les corsaires de Defoe attaquent sabre au clair les salles obscures, via l’adaptation libre du premier roman de la série. « Peu de gens ont lu ce livre, confie Gideon, mais parmi eux, il y avait Peter Lord, cofondateur avec Nick Park des studios Aardman [Wallace et Gromit, Chicken Run]. Un coup de chance à la limite du ridicule : si vous devez avoir un fan, choisis-

65 millions de dollars, cofinancé par Sony : « Rien que pour concevoir le mécanisme planqué à l’intérieur de la barbe luxuriante du capitaine pirate [auquel Hugh Grant a prêté sa voix], il a fallu six mois et des dizaines de milliers de livres. Je n’y croirai pas avant de le voir diffusé dans une salle. » — F. P. sez le propriétaire d’un studio de cinéma. » Grand seigneur, Lord invite Defoe à travailler sur le scénario, pour un budget total de

Les Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout

De Peter Lord, Au cinéma le 28 mars

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explorateurs Réédition

PAS SI PACIFIQUE robinson crusoé, explorateur ou touriste ? Jugeons-le grâce à sa nouvelle traduction.

« Troisième fils de la famille, écrit Robinson dès la première page de son journal fictif, je n’avais appris aucun métier et eus très tôt la tête emplie de pensées vagabondes. » Pour finir coincé vingt-huit ans sur une île de la Désolation, il faut bien commencer par prendre la mer. Le gamin quitte très jeune le bourgeois giron familial, « contre la volonté et les ordres de [s] on père » – qui l’aurait bien vu scribouillard ou baveux – « vers [s]a vie de malheurs à venir. » Passager sur un bateau pris dans une tempête, puis d’un autre attaqué par un pirate maure qui en fait son esclave, il finit par s’enfuir du Maroc, longe les côtes africaines, puis s’associe à des négriers portugais pour rejoindre le Brésil, où il devient propriétaire terrien. Voyageur galérien. Entretemps, il a appris un peu la navigation et la pêche, et fini par rejoindre le troupeau de traqueurs d’esclaves qui le conduira, seul rescapé, sur un bout de terre désert au large du Venezuela. Un explorateur ? Non : marin autodidacte et poissard, tout au plus. Curieux, croyant, pas idiot, mais aucunement capitaine d’expédition vers l’Inconnu.

© DR

par François Perrin

Un point plus qu’une trajectoire Quand l’écrivain et agent secret anglais Daniel Defoe (1659-1731), sans rapport avec le Gideon du même nom (ci-contre), publie Robinson Crusoé en 1719, son compatriote John Taylor prépare les deux plus beaux coups de l’histoire de la piraterie : prise des navires Cassandra en 1720 et La Vierge du Cap l’année suivante. Et si Colomb, Magellan et Cartier ont déjà fait leurs petites affaires, Cook et Béring n’ont pas encore respectivement débarqué en Australie ni découvert le détroit

du même nom. La surface de la mer recèle encore bien des secrets, qui font frémir les aventuriers et rêveurs issus des meilleures maisons. De vrais voyageurs Defoe s’est inspiré, parmi lesquels Olivier Misson, fondateur de l’utopie Libertalia à Madagascar (voir notre entretien avec Laurent Maréchaux p. 146), et surtout Alejandro Selkirk, bosco écossais débarqué à la hussarde par un capitaine soupe au lait sur une île du Pacifique, qui depuis 1966 porte son nom (dans l’archipel chilien Juan Fernandez, à côté de l’île… Robinson Crusoé), où il restera

quatre ans, seul – sept fois moins longtemps, OK, licence romanesque. Pour autant, l’île de la Désolation, située dans le roman aux Caraïbes, constitue plus un point qu’une trajectoire – qu’il sera bien contraint d’explorer, certes –, un point de chute plutôt qu’un mouvement transitoire. Crusoé s’installe, bâtit son fort et attend la quille. Explorateur, ça ? Pas même le vendredi. — Daniel Defoe Robinson Crusoé

Nouvelle traduction de Françoise du Sorbier Albin Michel, 350 pages, 22 euros numéro 34 — 151

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explorateurs Littérature

«"REGARDER POUR LA PREMIÈRE FOIS!» Parce qu’un explorateur n’atteint pas forcément son but, la Québécoise dominique fortier narre dans Du bon usage des étoiles un naufrage épique en mer Arctique.

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Du Bon usage des étoiles décrit ment le récit des écueils qui transforment le héros et, dans le meilleur des cas, la perspective du lecteur. Ici, la tentative manquée par John l’arrogance et la suffisance du Franklin que j’ai imaginé Franklin, en 1845, de découvrir le condamnent dès le le départ ; s’il part en triompassage du Nordphateur, il doit revenir en Ouest, qui relie «#Le récit des écueils vaincu, ou ne pas revenir l’Atlantique au Pacitransforment le héros et, du tout. Le contraire est fique. Pourquoi ne pas dans le meilleur des cas, vrai de Francis Crozier traiter d’une expédition la perspective du lecteur.#» [son second], qui ne réussie ? partage pas l’enthouDominique Fortier : Dominique Fortier siasme général et quitte Aucun roman n’est l’Angleterre à contrecœur, construit sur le modèle inquiet et morose. Après le décès de Franklin, il se « il était une fois un homme qui rêvait de découvrir le retrouve avec charge d’âmes. Ainsi, dans la dernière passage du Nord-Ouest (ou de harponner une grande partie, il marche vers la mort avec ses hommes et le sait, baleine blanche, ou de retrouver le temps perdu) et qui mais il le fait avec toute la dignité dont il est capable. y réussit sans difficulté ». Ce qui fait le livre est justeentretien François Perrin illustration Claire Duport

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explorateurs Dominique Fortier (suite)

Quelle marge d’invention vous êtes-vous accordée ? Je ne crois pas écrire des romans historiques au sens strict, même si pour moi la fiction est souvent enracinée dans le passé. En présentant pêle-mêle ce qui relève de l’Histoire et de l’invention, on amène le lecteur à accorder à la fiction la crédibilité qu’il réserverait normalement à la réalité. Passé et fiction sont deux fenêtres ouvertes dans le présent, qui nous permettent d’apercevoir des pans d’un monde autre, à la fois vrai et faux – le domaine du roman [voir encadré]. Quels explorateurs suscitent chez vous le plus d’intérêt ? Comme Lady Jane Franklin, épouse de Franklin, je suis fan d’Alexander von Humboldt [naturaliste allemand, 1769-1859] qui, en compagnie de son fidèle Aimé Bonpland, a sillonné une grande partie du continent sud-américain, publiant des dizaines de volumes de ses voyages. Son compatriote allemand Daniel Kehlmann en a fait l’un des personnages du roman Les Arpenteurs du monde [2005]. J’aime aussi ces anecdotes rapportées par le journaliste canadien Mark Abley dans Parlez-vous boro ? [2004] : arrivant dans le village de Maypures, dans ce qui est aujourd’hui le Venezuela, Humboldt découvre que les habitants possèdent des perroquets

HISTOIRE

BALS COSTUMÉS, SCORBUT, SAVONNETTES : DÉTAILS DE LA DERNIÈRE EXPÉDITION DE JOHN FRANKLIN, DONT CERTAINS ASPECTS SONT « À LA DÉMESURE DU TITANIC ». « Au moment du départ, en 1845, John Franklin jouissait déjà du statut de héros en Angleterre. Nous disposons d’une assez vaste documentation, notamment des rôles d’équipage, des instructions détaillées de l’amirauté britannique, des listes de provisions (15 672 livres de bœuf salé, 7 839 livres de légumes en conserve, 1 143 livres de thé, 500 livres de moutarde, etc.) embarquées à bord du Terror et de l’Erebus. Comme les marins s’attendaient à devoir passer au moins un hiver englacés, ils apportaient aussi, entre autres divertissements, des déguisements afin de pouvoir organiser des bals costumés et des pièces de théâtre, une bibliothèque de quelque mille volumes et un orgue de Barbarie.

aux couleurs chatoyantes, à la fois comme ornements et animaux de compagnie, et dont la majorité ont un vocabulaire de plusieurs dizaines de mots. Or, les villageois sont incapables de comprendre le plus vieux de ces oiseaux. Quand Humboldt demande pourquoi, ils lui expliquent que le perroquet est le dernier locuteur de la langue d’un peuple disparu, l’unique témoin d’une civilisation oubliée sur un continent encore largement inexploré (par les Européens, s’entend). C’est poignant. Un explorateur peut-il redécouvrir un territoire ? On pourrait croire que l’âge de l’exploration a pris fin maintenant que les derniers recoins de la planète ont été cartographiés et qu’il est possible, grâce à Google Earth, d’aller scruter à la loupe le moindre coin de rue sans quitter son canapé [voir p. 160]. Pourtant, la Terre recèle encore bien des mystères – on connaît très mal la faune et la flore de certaines forêts qui malheureusement disparaissent comme peau de chagrin, et on ignore presque tout de la vie qui se tapit dans les grandes profondeurs des océans. Mais même les territoires les plus rebattus, les pays qu’on ne cesse d’arpenter depuis des siècles possèdent aussi leurs mystères. On devient explorateur quand on regarde vraiment pour la première fois une ville, une forêt ou un arbre.

C’étaient de véritables petites villes qui levaient l’ancre, et le luxe dans lequel vivaient les officiers, dont la plupart mangeaient dans des couverts frappés à leurs armes, rappelle par certains aspects la démesure du Titanic. Nous connaissons aussi, grâce aux missives écrites par l’équipage et confiées au navire de ravitaillement, qui a escorté le Terror et l’Erebus jusque dans l’Arctique, le déroulement des premières semaines du voyage. » « A partir de ce moment-là, toutefois, il n’est plus guère de témoignages écrits. On a retrouvé sur l’île de Beechey la sépulture de trois hommes d’équipage, et sur l’île du Roi-Guillaume un cairn où avait été laissé un message double. La première partie, rédigée au printemps 1847, statuait que l’équipage était en bonne santé et que tout se déroulait comme prévu ; la seconde, tracée sur la même feuille de papier un an plus tard, mais d’une écriture tremblée, curieusement enroulée sur elle-même, fait état de la mort de Franklin et présente le projet de son second, qui prévoit de se mettre

en marche le lendemain en compagnie des survivants pour tenter de rejoindre Back River, à plusieurs centaines de milles de là. On a aussi retrouvé deux squelettes sur l’île du Roi-Guillaume, près d’une chaloupe de sauvetage remplie de livres, de savonnettes parfumées, de mouchoirs de soie et autres colifichets, qui ont quelque chose de stupéfiant dans ce pays de glace. A quoi tout cela pouvait-il servir, pourquoi ces hommes qui avaient pourtant quitté l’Angleterre depuis plus de deux ans se refusaient-ils à la quitter tout à fait ? On s’entend généralement à dire que la totalité des membres de l’expédition ont dû périr – de faim, de froid, du scorbut – au cours des semaines ou des mois suivants. Voilà pour les faits. Je me suis appliquée, dans le roman, à respecter scrupuleusement ce que l’on sait de l’expédition Franklin – et, pour le reste, à inventer sans vergogne. Les renseignements factuels et divers témoignages offrent un point de départ et un point d’arrivée fixes, entre lesquels j’ai pris la liberté d’explorer à mon tour. »

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SES AUTRES ROMANS

En juin dernier, Du bon usage des étoiles a reçu le prix Gens de mer du festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo. Ça brasse ? J’ai eu, la première fois que je suis arrivée intra muros, le sentiment d’être à la fois très loin de chez moi – il y a des palmiers à Saint-Malo ! – et à la maison. Certaines perspectives de la ville de Québec, dont je suis originaire, y ressemblent beaucoup ; et puis, bien sûr, c’est

« On a retrouvé deux squelettes près d’une chaloupe de sauvetage remplie de livres. » Dominique Fortier

de là qu’est parti Jacques Cartier pour découvrir la Nouvelle-France au milieu du XVIe siècle. Petite, j’habitais à l’autre bout de ce voyage : Cap-Rouge, lieu du tout premier établissement français dans la vallée du SaintLaurent. En plus, à Saint-Malo, le jury est constitué de gens dont le premier vrai pays est la mer. — Du bon usage des étoiles

La Table Ronde 357 pages, 20 euros

DU BON USAGE DES LIBRAIRES Si Du bon usage des étoiles (Standard n°32) était son premier roman – et le seul paru en France pour le moment –, Dominique Fortier a publié en mai 2010 au Québec, aux éditions Alto, Les Larmes du Saint-Laurent, qui « traite des volcans et des tremblements de terre », de l’éruption de la montagne Pelée en Martinique en 1902 aux amours anglaises d’Edward Love (inventeur des destructrices Love waves sismiques), en passant par le Mont Royal. En 2011 paraissait également La Porte du ciel, roman « inspiré des fabuleuses courtepointes des femmes de Gee’s Bend, en Alabama, un petit village peuplé de descendants d’esclaves dont les habitants ont longtemps vécu coupés du monde dans un méandre d’un fleuve ». Récit qui « se déroule en Louisiane à l’époque de la guerre civile américaine : il y est question de liberté, de fraternité, d’églises, de broderie et de labyrinthes. » — F. P. numéro 34 — 155

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explorateurs Géographie

Là où Robinson a échoué, d’autres ont plus ou moins réussi... cinq façons improbables de découvrir son île.

par Sophie Dusigne Mappemonde Cruschiform

En déprimant

En hallucinant

En se révoltant

ILES DU DÉSAPPOINTEMENT (NAPUKA) FRANCE

ILE BÉRING

ILE PITCAIRN

2160 km / 700 hab.

4,5 km2 / 48 hab.

8 km2 / 277 hab.

1741 Avant d’y mourir rongé par les fièvres, Vitus Béring, explorateur danois au service de la marine russe, aurait eu une vision : il entraperçoit « la Vache des mers », ou rhytine, mammifère marin long de six à neuf mètres, jadis chassée pour l’excellence de sa chair, de sa graisse et de son lait. Le chirurgien et naturaliste Georg Wilhelm Steller, membre de l’expédition, prétend que c’est lui qui a découvert et étudié l’île, mais l’Histoire, un peu vache, lui préférera le fiévreux.

1790 L’équipage du Bounty, le célèbre navire de la Royal Navy qui inspira Jules Verne, se soulève contre la discipline de fer de son capitaine, l’abandonnant sur une chaloupe avec ses fidèles. Les mutins se planquent sur l’îlot vierge de Pitcairn, inconnu des cartes de la flotte anglaise, avec de belles Tahitiennes embarquées au passage. Quand accoste en 1808 un bateau américain, il ne reste qu’un survivant, entouré d’une flopée de femmes et d’enfants – l’alcoolisme et les combats ont décimé la communauté. Il sera amnistié.

1521 Magellan et ses hommes sont surexcités. De nouvelles îles à épices sont là, toutes proches, ils v en sont sûrs. Mais ils errent des semaines, sans le moindre vent, et sans la moindre terre dans l’immense océan ! Pour survivre, ils mangent de la sciure de bois et des rats. Quand, enfin, des côtes, à bâbord ! Mais c’est le vide sidérant. Rien à boire, rien à cueillir. Ils les baptisent les îles du Désappointement, et poursuivent leur route en ruminant.

RUSSIE

2

ROYAUME-UNI

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En n’y mettant pas les pieds

En naufrageant

ILE SURTSEY

ILE TROMELIN

2,7 km / 0 hab.

0,8 km2 / 4 hab.

1963 L’île la plus jeune du monde voit le jour après une éruption volcanique sous-marine. Trois ans plus tard, la première araignée débarque par un bois flotté. Puis c’est le tour de quelques oiseaux. La première plante proviendra d’un pollen d’Ecosse, à plus de mille kilomètres de là ! Sanctuaire réservé aux botanistes et biologistes en habits stérilisés, Surtsey est un trésor d’écosystème... interdit aux hommes.

1760 Le vaisseau français L’Utile embarque soixante esclaves à Madagascar. Tempête. Le bateau se brise sur les récifs de ce minuscule îlot. Les rescapés de l’équipage français construisent un radeau avec les restes de l’épave et reprennent le large. Les esclaves, eux, y sont abandonnés. Libres... Seize ans plus tard, la corvette du capitaine Tromelin découvre les survivants, sept femmes et un enfant, qu’elle emmène avec elle, loin de ces sables mouvants.

ISLANDE 2

FRANCE

Atlas des îles abandonnées

Julie Schalansky (Arthaud, 2010). numéro 34 — 157

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explorateurs Tourisme

TWIST TROPIQUES Comment jouer à Christophe Colomb aux îles Fidji ? Premièrement, en s’échappant d’un put*** d'hôtel en zodiac. Je suis aux Fidji sans argent. Ne me J’en profite pour lui demander why il n’y a pas plus de demandez pas pourquoi. Je suis allé Fidjiens dans l’eau turquoise. « Les vêtements collent au plus près du paradis pour ne pas à la peau, on se baigne assez peu ici. » Sorry ? « Nous pouvoir me l’offrir, c’est tout. Nous sommes le lendemain n’avons pas le droit de nous mettre torse nu, sauf au de trois jours d’avion. Le petit déjeuner de l’hôtel Accor lit (clin d’œil complice universel). » I see I see… je vois de Suva est « continental », mais à des miles marins pas. J’imagine un peuple tout entier avec un débardeur d’un quelconque continent, l’archipel aux trois cent de peau blanche sous le textile. J’étouffe un petit rire, vingt-deux îles, dont seulement un tiers sont habitées, mais je me dis que c’est peut-être une coutume née ne m’offre que du coco, des mangues, quelques d’un chef de village complexé par un troisième téton conques. Le transit mobilisé, je retourne dans ma suite. et que, depuis, tout un pays galère pour profiter de sa A l’accueil, je tombe sur un bus complet de cadres flotte paradisiaque. La colère m’anime. En plus, j’ai lu d’un groupe pharmaceutique australien, en séminaire sur un forum qu’ils sont cannibales. Adventure. Ils ont des colliers de fleurs et des chemises à fleurs. A leurs bras, des Vahinés en fleurs avec des Maire de l’île ? colliers de fleurs. Pendant les dix minutes d’un trajet rebondissant sur Je suis à fleur de peau. Jet-laged. La pollinisation de chaque vaguelette, je m’imagine établir une micro-nation ces Polynésiennes par des gros Australiens spécialisés dans la constellation Fidji. Je suis l’homme qui voulait dans les problèmes de dard être roi version mélanéet de côlon, ça me dégoûte. sienne. Je suis Robinson, Il me faut mon mythe du autocrate de bac à sable fin. bon sauvage, des confettis Je le vois mon Vendredi, une « La femme est une île, d’îles désertes, de la nature superbe plante locale 95C Fidji est son parfum. » pur jus, des Fidjiens non sortie toute droite d’une pub pasteurisés. Et un yaourt Tahiti, sans les limbes du Guy Laroche nature. Pacifique. Je m’imagine guide d’un resort lune de miel, où « Tu veux aller sur une île j’aurais droit de bunga-bunmais t’as pas d’argent ? ger les jeunes mariées. Je Va sur l’île Moustique », me conseille-t-on à la réception m’affole de ma dérive autoritaire et me veux désormais du Novotel. Waou, ça sonne villégiature incognito de démocratique : maire de l’île, comme Martine Aubry. Je Mick Jagger, hydravion VIP, paradis perdu et parfum me contente cinq minutes de ce super jeu de mots et de Guy Laroche ; au pire, Jules-Edouard, mais Groland finis par me rêver Prince du Pacifique, comme le film c’est toujours mieux que mon put*** de trois-étoiles à avec Patrick Timsit. Je me réveille en sursaut quand la conventions en matière de dépaysement. Moyennant proue de Pita cogne Moustique. cinq dollars fidjiens – deux euros –, le seul habitant de l’île Moustique, Pita, passe me prendre en zodiac. Je ne vais rester qu’un quart d’heure. Dès que je pose Texte & photographie Giulio Callegari (à Suva) *

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le pied sur le Nouveau-Monde, je tombe à genoux pour jouer à Gérard Depardieu dans 1492 Christophe Colomb (j’adore le cinéma). Et puis je fais un bisou dans le sable mouillé comme Kevin Costner de retour en Angleterre dans Robin des Bois, Prince des voleurs (c’est ma passion n°1, vraiment). Mais c’est un emballage plastique déchiré que j’embrasse. Je le jette dans la poubelle, puisqu’il y en a une, clouée à un panneau BAIGNADE INTERDITE, à côté de la table de pique-nique en métal. Je m’enfonce dans la forêt pour oublier le mobilier urbain et trouver la source d’eau douce avant la tribu des Koror. Je gagne l’épreuve d’immunité en restant plus de deux minutes debout sur la souche d’un palmier hyper fin. Finalement, au bout de quelques pâtés de sable, je réalise que je suis en train de me faire Ci-contre le trajet emprunté par notre reporter pour découvrir le Nouveau Monde. Pas trop long finalement.

les déchets jusqu’à la forêt. J’ai la peau varicelle. Les piqûres dessinent un archipel complexe. Las, but not lisse, je lis sur cette carte très Prison Break une envie épidermique de m’échapper, ce désir comme mes ancêtres Vasco de Gama et Moundir de repartir écumer les océans. Pita ? — * Giulio Gallegari s’occupe d’un tas de trucs sur Radio Nova, développant des blagues en forme d’article sur novaplanet.com et squattant l’antenne avec ses Théories du complot dans La Matinale, du cinéma en chroniques et des propositions de loi pour Nova Présidente. Il était aux Fidji pour les 30 ans de l’antenne, à écouter sur nova30ans.com.

A droite Ça bronze tranquillement au milieu des déchets.

L’ANTISÈCHE

coloniser par des caravelles entières de moustiques énormes. LE NOM DE L’ÎLE, je me crie. Difficile de combattre les insectes, j’ai perdu ma lentille sur l’atoll en jouant à Koh-Lanta. Je cours me réfugier de l’autre côté de cet îlot pour découvrir une décharge à ciel ouvert… Il se met à pleuvoir. C’est le seul endroit des Fidji, Suva et ses alentours, où il pleut presque toute l’année. Ces gouttes d’eau font déborder la vase, j’avance difficilement dans la boue et

L’île Moustique (latitude : -18.1166667°, longitude : 178.4°) est une aire de pique-nique par la municipalité de Suva, capitale des Fidji, peuplée depuis trois mille ans et « découverte » en 1643 par le navigateur hollandais Abel Tasman, à qui l’on doit également l’invention de la Tasmanie. Ces petits 1000 m2 font partie de l’agglomération depuis l’ordonnance de 1910 définissant les contours de cette mégalopole de deux mille habitants – Moustique ne devient une subdivision que lorsque Suva est proclamée « ville » et non plus « village », en 1952, devenant un morceau officiel de la Greater Suva Aera sous domination britannique. Moustique compte un habitant, Pita, agent municipal, et semble avoir été abandonnée depuis le putsch de l’amiral Frank Bainimarama en 2006, dirigeant un gouvernement civil sans aucune légitimité démocratique. — G. C. numéro 34 — 159

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explorateurs Botanique +Vous Web Images

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Depuis la découverte, grâce à Google Earth, d’une parcelle de jungle inhabitée au Mozambique, le botaniste jonathan timberlake chasse le papillon numérique.

Tout comme la Dharma Initiative dans la série Lost, la Darwin Initiative est une société scientifique. Bien moins ésotérique que sa sœur fictionnelle, elle s’emploie depuis 1992 à préserver la biodiversité de pays financièrement démunis comme le Mozambique. C’est ce que nous explique Jonathan Timberlake, botaniste et chef de l’expédition de vingt-sept membres envoyés, en 2008 par les Jardins botaniques royaux pour explorer la forêt du Mont Mabu, révélée grâce à Google Earth en 2005. Au cœur de soixante hectares compacts et humides, notre expertum plantea et ses confrères sont les seuls êtres humains à batifoler parmi des dizaines d’espèces par Nicolas Roux

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Plan Photos

jamais recensées – papillons, caméléons pygmées ou orchidées : « Autant que l’on sache, personne ne vit dans cette forêt aujourd’hui, même si elle a été utilisée comme refuge en période de guerre et qu’un petit nombre de chasseurs s’y aventurent. Aucune législation ne la protège encore. Il y a le projet de travailler avec des villageois et les autorités locales. Il sera dirigé par une ONG mozambicaine, Justice Ambiental, avec le soutien d’une société internationale de conservation, Fauna and Flora International. » Munissons-nous d’un bâton de marche et enfonçonsnous dans les bois. Déjà sur les cartes ? Aux quelques zones planes où se déploient d’immenses arbres, succèdent des pentes accidentées qui rendent la progression de l’équipe difficile. Parfois, les chercheurs atteignent le sommet d’une colline entourée de touffes d’herbe jaunie et mesurent ainsi l’étendue qu’il leur reste à examiner. Malgré sa faible superficie, seulement un quart de sa surface sera passé au peigne fin en deux mois. La faute aux divinités animistes, Jonathan ? « Les autochtones ne veulent pas s’aventurer longtemps dans une forêt haute et dense, car ils croient qu’elle est habitée par des esprits. » Cette terre vierge, on la doit à un collègue de Jonathan, le biologiste Julian Bayliss qui, confortablement installé devant son ordinateur de bureau, aperçoit une immense étendue d’arbres. « Julian utilisait des images de Google Earth pour chercher des zones à plus de 1500 mètres d’altitude dans la province de Zambézie qui auraient pu abriter la même biodiversité que les montagnes au sud de la Malawi. » L’histoire ne raconte pas si, deux minutes auparavant, il avait enchéri sur eBay pour s’acheter le DVD d’A la poursuite du diamant vert.

Aussi sobre que modeste, Jonathan relativise la surprenante trouvaille. « Nous avons seulement été les premiers à l’explorer d’un point de vue biologique. Le Mont Mabu apparaît clairement sur des cartes mozambicaines. Même si rien n’a été écrit sur la forêt, elle était connue des villageois et des employés des colons portugais qui exploitaient le thé sur ses pentes. » Pour J. Timberlake, dont le nom évoque irrésistiblement celui d’un des plus grands chercheurs du R’n’B contemporain, les terres qu’il reste à explorer sur le planisphère sont essentiellement « de larges régions montagneuses peu connues, des déserts, et potentiellement de grandes étendues de forêt pluviale ». Et tous ceux qui se précipitent déjà sur leur Mac en quête d’un territoire inconnu pour lui donner leur patronyme devraient savoir que c’est possible mais « ça n’a pas beaucoup de sens si les locaux en utilisent déjà un autre. Qui va se servir du vôtre ? Ce n’est pas comme s’il y avait des blancs sur les cartes qui attendaient d’être remplis. » Plus de cent nouvelles espèces sont toutefois en attente d’un nom. Pourquoi pas une orchidée Timberlake, pour une Saint-Valentin de lover ? —

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WELCOME TO OUR WORLD

! LE BOOK !

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All Basquiat Works © Estate of Jean-Michel Basquiat. Used by permission. Licensed by Artestar, New York

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LOS ANGELES THURS. 26TH JANUARY LONDON WED. 18TH THURS. 19TH APRIL 2012 NEW YORK WED. 6TH THURS. 7TH JUNE 2012 PARIS FALL 2012

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Cahier Chroniques « En général, nos jugements nous jugent nous-mêmes bien plus qu’ils ne jugent les choses. » Sainte-Beuve in Correspondance 1845

P

contributeurs VI

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photo pixels Very Goude

Goudemalion : Twilight version Derrida Il est toujours aussi beau gosse mĂŞme si ce matin de novembre, il ne s’est pas reveillĂŠ. Peut-ĂŞtre parce que la veille, il a ĂŠtĂŠ maltraitĂŠ par la camĂŠra de France 3 qui l’a eu par surprise et en gros plan. On anticipe alors une humeur grinçante et paranoĂŻaque‌ Eh ben non. par Antoine Couder

Jean-Paul Goude est souriant, concentrĂŠ, et nous accueille aux Arts dĂŠco, dans la loge de ses deux danseuses russes qui apportent un peu de chaleur Ă cette rĂŠtrospective qui fait plutĂ´t l’unanimitĂŠ. ÂŤ J’ai voulu organiser une sorte de ballet spectral autour de l’apparition et de la disparition de mes petites Beriozka Âť, ces jeunes femmes qu’il est allĂŠ chercher en Russie, et qu’il affuble du nom de ces ballets soviĂŠtiques qui arrosaient l’Occident du temps de la Guerre froide. Des dĂŠtails qui amusent le Goude ÂŤ ethnique Âť HW SHXW rWUH DXVVL OH YHQJHQW GH VRQ IDPHX[ GpĂ€Op GX MXLOOHW HW GH FHWWH FDQGHXU GURLWV GH O¡KRPPLVWH dont il confesse ĂŞtre un peu revenu. Aux Arts dĂŠco, dans ce sanctuaire pop de l’expo Goudemalion, on a ressorti la vieille locomotive de la parade, qui fait toujours grosse impression mais qui reste un dĂŠcor de bois dans ce XXIe siècle oĂš la rĂŠalitĂŠ multiculturelle est plutĂ´t devenue un ÂŤ problème Âť, comme en convient ce père GH WURLV HQIDQWV PpWLVÂŤ 0DLV HQĂ€Q *RXGH HVW LFL HQ son palais, qu’il hante Ă sa guise dans ce style qui a – selon WikipĂŠdia – ÂŤ impressionnĂŠ l’imaginaire du XXe siècle Âť. Et si ce septuagĂŠnaire vĂŞtu de pantalons spĂŠcialement courts et fabriquĂŠs sur mesure est aujourd’hui classĂŠ dans la catĂŠgorie des revenants, ce n’est pas tant au sens de la presse people mais plutĂ´t dans son acception propre. Un vrai fantĂ´me Ă la Twilight incarnant ce mouvement que dĂŠcrivait Derrida pour parler de ce qui ne cesse de revenir. Comme une promesse qui, chaque fois, se rĂŠalise.

Corps ĂŠlastiques '¡DLOOHXUV OH UHYHQDQW FRQĂ€UPH HW H[KXPH VRQ SUHPLHU FKRF FLQpPDWRJUDSKLTXH HQ OH 0L]Rguchi des Contes de la lune vague après la pluie R OHV KRPPHV WRPEHQW DPRXUHX[ GH spectres. ÂŤ C’Êtait Ă la CinĂŠmathèque, j’Êtais aux Arts dĂŠco. Âť Soixante ans plus tard, l’artiste caresse quelques rĂŞveries autour de Min, dernière reine d’une CorĂŠe asservie dont le fantĂ´me tourmente l’occupant MDSRQDLV GH *RXGH \ YRLW XQH KLVWRLUH SDUIDLWH pour son ĂŠpouse Karen, styliste amĂŠricano-corĂŠenne avec qui il coule aujourd’hui des jours heureux près des Buttes-Chaumont. Tranquillement amoureux ? PlutĂ´t en quĂŞte de l’apparition de ÂŤ la Âť femme qui devient alors encore davantage la sienne et dont il n’a de cesse d’Êlargir la surface plastique et par lĂ mĂŞme biographique‌ J’aime le sexe fĂŠminin encore aujourd’hui ÂŞ GLW LO DYHF XQH SRLQWH GH Ă€HUWp HQIDQtine. C’est sa grande affaire : ÂŤ documenter Âť le sujet fĂŠminin pour en faire un objet d’admiration. TĂŠmoin, ce

SON PREMIER CHOC CINÉMA : EN 1962, LE MIZOGUCHI DES  CONTES DE LA NUIT VAGUE  OÙ LES HOMMES TOMBENT AMOUREUX DE FANTÔMES.

mannequin croisĂŠe quelques jours plus tĂ´t et racontant l’ambiance des shootings : ÂŤ Etire-toi encore, vas-y, encore, ĂŠtiiiiire ! Âť Comme si le corps d’une femme dans sa gracieuse ĂŠlasticitĂŠ dĂŠpassait la biensĂŠance des arts plastiques ; comme si l’on pouvait prendre le Quatrocento Ă revers‌ d’une façon charnelle et pourtant totalement dĂŠsincarnĂŠe ; Ă mi-chemin entre HergĂŠ et Basquiat. 164 — numĂŠro 34

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Š Jean-Paul Goude

ÂŤ C’est une honteuse Âť Sa vie d’artiste, il l’a mise au point en photographe, dans le New York seventies de Warhol avec qui le FRSLQDJH EUHI IXW FUXFLDO *RXGH V¡LQYHQWDQW XQH posture mĂŠtrosexuelle avant l’heure, entre mouvements disco et exercices physiques, dans le monde ultra macho de l’art department GX WUqV OLWWpUDLUH PDJD]LQH Esquire, dont il assure la direction artistique. ÂŤ Beaucoup de mes meilleurs amis sont gays. Au dĂŠbut, on disait de moi :

“C’est une honteuse, elle va bientĂ´t sortir du placard.â€? Avec Grace [Jones, qui fut sa compagne et muse entre HW @ il y a eu des polĂŠmiques, qu’est-ce que j’ai pas entendu ! Moi, je m’en fous, du moment que je ne passe pas Ă la casserole. Âť Sur la question homo, Jean-Paul restera fantomatique, et tellement second degrĂŠ que l’on ne comprendra SDV WRXMRXUV OD SRUWpH GH VHV FKRL[ &KH] Esquire, il maquille ses modèles avec des cicatrices autocollantes numĂŠro 34 — 165

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photo pixels Jean-Paul Goude (suite)

French Correction Goude est un fantĂ´me parce qu’il est loin du rĂŠalisme, loin des transformations physiques Ă la Orlan (ÂŤ Pas du tout mon truc, ça manque tellement d’humour ÂŞ HW ELHQ en deçà d’une quelconque fascination pour la marginalitĂŠ (ÂŤ Larry Clark a une force inouĂŻe, mais quelque part ce qu’il fait me gĂŞne ÂŞ ,O HVW GH FHX[ TXL UHORRNHQW Oscar Wilde en Sacha Guitry. Un esprit caustique, qu’il appelle ÂŤ French Correction ÂŞ SRXU TXDOLĂ€HU FHW exercice de trompe-l’œil annonçant ce ÂŤ thÊâtre musical Ă€OPp Âť qui l’imposera dans la publicitĂŠ au dĂŠbut des DQQpHV 3DUPL VHV Ă€OPV OD VpULH GH SXEV .RGDN HVW sans doute la plus aboutie, avec son trio de gosses Ă

LA ÂŤ FRENCH CORRECTION Âť : CE TROMPE-L’ŒIL ANNONÇANT LE ÂŤ THÉÂTRE MUSICAL FILMÉ Âť QUI L’IMPOSERA DANS LA PUBLICITÉ AU DÉBUT DES ANNÉES 80. croquer courant presque plus vite que la lumière, un entonnoir sur la tĂŞte, pour ÂŤ voler les couleurs Âť ; revenant ainsi Ă un monde photographique fondateur, en noir et blanc. Issus d’un monde imaginaire oĂš la pĂŠdophilie n’existait pas, les petits voleurs de Kodak mettent du Groucho Marx dans Mort Ă Venise HW DIĂ€FKHQW XQH attitude punk croisĂŠe Belle Epoque, un baroque futuriste TXL LQWULJXH OD )UDQFH GH 0LWWHUUDQG HW Ă€QLUD GDQV OHV cahiers des bureaux de tendances. L’inspiration vient du thÊâtre de rue, entre fĂŞte foraine et music-hall, en lien direct avec Irène, sa mère danseuse pour laquelle

il nourrit une passion dĂŠvorante : ÂŤ Ça a toujours ĂŠtĂŠ la number one, bien sĂťr. Âť Une artiste française qui s’illustre Ă Broadway dans ces Minstral shows des DQQpHV TXL PHWWDLHQW HQ VFqQH GHV %ODQFV JULPpV en Noirs. Un genre qui connaĂŽtra un âge d’or dans les DQQpHV JUkFH j OD WpOpYLVLRQ SXLV GDQV OHV DQQpHV JUkFH DX Ă€OV FKpUL TXL SDUYLHQGUD j SpWULU FHWWH KLVWRLUH culturelle de la cĂ´te Est des Etats-Unis dans ce drĂ´le d’africanisme europĂŠen qui mĂŠlange proximitĂŠ et promiscuitĂŠ, et pointe ce qui soudainement dĂŠrange : la sĂŠduction et la domination sexuelle. Tout sur Robert ÂŤ Regardez les images de l’Exposition coloniale, les visages de ces braves gens venus observer ces ĂŞtres primitifs que l’on prĂŠsentait Ă cĂ´tĂŠ des animaux‌ On n’aime pas trop se rappeler de tout ça. Âť* C’Êtait en 3RUWH 'RUpH j 3DULV WRXW SUqV GH 6DLQW 0DQGp lĂ oĂš dix ans plus tard Jean-Paul verra le jour (comme Vanessa Paradis qu’il mettra en cage pour Chanel en 7RXV OHV pOpPHQWV GX SX]]OH VRQW Oj GDQV FH Ă RX darwinien entre l’animal et l’obscure humanitĂŠ. Mais il reste un fantĂ´me dans le placard. Ce personnage multiforme dont Goude ne capte qu’une ĂŠtrange apparition, c’est son père, Robert. ÂŤ Je ne savais pas qui il ĂŠtait‌ Peut-ĂŞtre parce que les enfants ne savent pas ĂŠcouter leurs parents ÂŞ FRQĂ€H W LO VRXGDLQHPHQW WULVWH 3HQVH W LO j VRQ Ă€OV DvQp FHOXL TX¡LO D HX DYHF *UDFH HQWUDSHUoX lors du vernissage, immense jeune homme mal Ă l’aise sur la photo de famille entre son père et Jean-Marie Perier ? Longtemps, Goude est restĂŠ dans l’ignorance des dĂŠtails essentiels de la vie de son père, connu pour VD FDUULqUH IXOJXUDQWH FKH] ,%0 HQ SDUWDQW GH ULHQ HW Ă€JXUDQW GH FL GH Oj VXU %URGZD\ÂŤ 9UDL IDQW{PH GX music-hall. C’est une cousine qui lui rĂŠvĂŠlera tout, le jour de l’ouverture de la rĂŠtrospective, dans le style savoureux du thÊâtre de boulevard : ÂŤ Tout le monde le savait

Š Jean-Paul Goude

FRPPH XQ FOLQ G¡¹LO j OD VFDULĂ€FDtion qui sied Ă la black culture de l’Êpoque. C’est tellement bien fait que le manager des -DFNVRQ VH SRLQWH DX e pWDJH GX 0DGLVRQ $YHQXH en espĂŠrant relooker le band of brothers.

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L’EXPO

DÉTAILS RÉVÉLATEURS Difficile d’y ĂŠchapper, Goudemalion c’est d’abord le dĂŠfilĂŠ orchestrĂŠ par l’artiste pour le bicentenaire de la RĂŠvolution française. Goude y rĂŠalise le tour de passe-passe que l’on sait ; exhaltant la particularitĂŠ locale dans une ode joyeuse au vivre ensemble. On y entre Ă la Pierre Nora, comme dans un lieu de mĂŠmoire. Mais on aurait tort de s’arrĂŞter lĂ . Le parcours regorge de surprises goudiennes. Parmi elles, une crĂŠature vivante vous parle une langue inconnue, les cheveux en feu et une dizaine de cabinets de curiositĂŠs, installĂŠs en lumière basse comprenent les dessins et les photographies qui dĂŠvoilent les secrets de fabrication du maĂŽtre. A force de dĂŠtails, cet univers qu’on pensait familier continue de nous intriguer. — A. C.

sauf toi. Ton père ne voulait pas que tu saches, ni que tu racontes ses aventures. Âť Il apprend alors l’ÊpopĂŠe amĂŠricaine de son père pour l’amour de Jeanne Aubert, cĂŠlèbre chanteuse d’opĂŠrette française (La Veuve joyeuse TXL OH SODTXHUD Ă€QDOHPHQW SRXU XQ PLOliardaire. Il repensera alors diffĂŠremment Ă ce gĂŠniteur Ă€HU GH YHQLU GH O¡$VVLVWDQFH 3XEOLTXH TXL Ă€QLUD SDU UHtrouver ses parents biologiques dans une petite boutique de passementerie dĂŠclarĂŠe en faillite pour avoir eu la mauvaise idĂŠe d’être installĂŠe en face des Galeries /DID\HWWH 'HV FRQĂ€GHQFHV TXL SRXVVHQW j FRQVLGpUHU G¡XQ ÂąLO QHXI FHWWH FUpDWLYLWp JRXGLHQQH TXL V¡DIĂ€FKH aujourd’hui sur les façades du boulevard Haussmann et les panneaux publicitaires de toute la capitale : la freak attitude d’Iggy Pop ou cette perpĂŠtuelle hystĂŠrie Laetitiacastienne tranchant volontairement sur le branding rigoureux des Galeries Lafayette. Joli pied de QH] HW MROLH VLJQDWXUH SRXU FH OXWLQ ULHXU TXL Q¡RXEOLH SDV sa vraie famille‌ Ses petits fantĂ´mes nous regardent PDLQWHQDQW SRXU O¡pWHUQLWp 6RXULH] Âł

Š Jean-Paul Goude

* On s’en souvient tout de mĂŞme un peu au quai Branly avec l’exposition L’Invention du sauvage MXVTX¡j Ă€Q MXLQ Goudemalion

MusÊe des Arts dÊcoratifs, Paris Jusqu’au 18 mars Catalogue

Editions de La Martinière 432 pages, 40 euros numĂŠro 34 — 167

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mode paillettes Révolution arabe

Niyazi Erdogan,

© DR

fleur du printemps turc

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Bourgeon de 34 ans ĂŠclos Ă la dernière fashion week d’Istanbul, Niyazi Erdogan contribue Ă la floraison crĂŠative de la Turquie. Sa quatrième collection de prĂŞt-Ă -porter se dĂŠtache de celles de ses compatriotes en ce qu’il ne copie-colle pas ce qui se fait Ă Paris ou Londres. Ses vĂŞtements comprennent l’histoire de son pays, en ĂŠtant... portables. Nous avons rencontrĂŠ cet homme charmant et d’allure discrète après son dĂŠfilĂŠ de septembre dans un cafĂŠ du quartier de Galata, au cĹ“ur de la ville. pour parler de chapeaux ottomans, d’architecture...

entretien Elisabeta Tudor

Merhaba, Niyazi. Tu te prĂŠsentes ? Niyazi Erdogan : Je suis venu du sud-est de la Turquie pour passer une maĂŽtrise d’architecture Ă l’UniversitĂŠ Technique d’Istanbul. Cette ville m’a fascinĂŠ dès mon DUULYpH j DQV 3XLV M¡DL SURĂ€Wp GH SOXVLHXUV pWpV j Paris pour prendre des cours de mode Ă la Parsons School of Design. Me lancer me faisait un peu peur, PDLV F¡HVW DSUqV DYRLU pWp Ă€QDOLVWH G¡XQ FRQFRXUV RUJDQLVp SDU O¡,7.,% >DVVRFLDWLRQ WXUTXH GX WH[WLOH@ HQ TXH M¡DL SULV PRQ FRXUDJH j GHX[ PDLQV HW TXH j’ai quittĂŠ mon agence d’architecture. J’ai commencĂŠ la mode sans faire trop de folies : en tant qu’assistant. Pourquoi avoir choisi de rester Ă Istanbul ? L’ampleur de l’industrie textile en Turquie est très favorable aux jeunes crĂŠateurs. On peut produire sur place, sans envoyer ses patrons Ă l’autre bout du monde en attendant qu’on nous retourne la collection, prĂŞte Ă ĂŞtre vendue. Je peux suivre toutes les dĂŠmarches de production, le rĂŠsultat en devient plus personnel. &¡HVW WRQ SUHPLHU GpĂ€Op VROR 8QH pWDSH LPSRUWDQWH " Oui, c’est comme passer de l’adolescence Ă l’âge adulte. J’ai crĂŠĂŠ une collection Ă cette image : quelque chose de très portable, mais qui reste naĂŻf dans le choix GHV FRXOHXUV YLEUDQWHV MH Q¡DLPH SDV OH QRLU /HV coupes tayloring et les imprimĂŠs très graphiques, voire WHFKQLTXHV VRQW LQĂ XHQFpV SDU PRQ SDVVp G¡DUFKLWHFWH

Et puis le chapeau turc ottoman avec un twist moderne, F¡HVW PRL WRXW FUDFKp 0RQ EXW HVW GH UpLQWHUSUpWHU OHV codes vestimentaires de la famille très traditionnelle dans laquelle j’ai grandi, en contraste avec le style urbain. J’aime la mode qui n’a pas d’effet costume, qui se dĂŠvoile et ĂŠvolue dans la rue. Comment traduis-tu ton identitĂŠ d’architecte, sans glisser dans le clichĂŠ des coupes gĂŠomĂŠtriques ? Je pense Ă des coupes simples et portables. Il s’agit de trouver un juste milieu entre l’utilitaire, l’objecWLI O¡DUFKL HW OD VXEMHFWLYLWp O¡pPRWLYLWp OD PRGH J’essaie de fusionner les deux disciplines grâce Ă des lignes de couture très symĂŠtriques et ordonnĂŠes, des imprimĂŠs aux allures de dessins techniques et art dĂŠco, qui se mĂŠlangent Ă mes rĂŠfĂŠrences personnelles traditionnelles. C’est facile de s’adapter au rythme de l’industrie ? Il faut respecter les dĂŠlais sans se faire happer par la machine, qui tourne beaucoup trop vite. Je prĂŠfère me limiter aux vĂŞtements pour l’homme pour ne pas me surcharger de travail. D’autant que le prĂŞt-Ă -porter masculin reste un petit challenge, les contraintes peuvent ĂŞtre très inspirantes. Pour la femme, on peut puiser dans l’excentricitĂŠ, alors que la garde-robe de l’homme doit rester commerciale, avec une patte qui distingue les crĂŠateurs. C’est une esthĂŠtique subtile. (W j ,VWDQEXO FH Q¡HVW SDV JDJQp /¡LQGXVWULH FRPPHQFH Ă s’y intĂŠresser peu Ă peu, mais ce n’est pas facile de dĂŠvelopper un business. Je m’adapte pour me faire une place, comme l’architecte que j’Êtais. Quand tu SODQLĂ€HV XQ EkWLPHQW GHV FRQWUDLQWHV WH YLHQQHQW GH OD ville, l’espace est limitĂŠ, tu as droit Ă un certain nombre d’Êtages, de matĂŠriaux, etc. C’est un challenge d’imposer sa vision Ă Istanbul ? Non, les gens ici sont tous fous de mode, donc très UpFHSWLIV HW FXULHX[ 0DLV OD PDMRULWp HVW LQWpUHVVpH SDU les prix fast-food. La jeune gĂŠnĂŠration tient plus Ă la crĂŠation. On est au dĂŠbut, on doit inventer et guider une ville qui doit encore trouver son style. C’est fascinant GH SRXYRLU \ FRQWULEXHU Âł numĂŠro 34 — 169

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mode paillettes Town and country

C'est comment chez

dévastée « Alors que la frénésie des métropoles aspire beaucoup d’énergie, Senlis a un côté forteresse. » A la Chantrerie Saint Rieul, dans l’Oise, le duo de créateurs Dévastée, Francois Alary et Ophélie Klere, a établi son atelier. A l’intérieur du monument médiéval classé patrimoine historique, entre des murs recouverts de croquis et patrons de prêt-à-porter, nous découvrons l’univers, pas si gothique que ça, de ceux qui impriment des pierres tombales sur leurs chemises. S Ophélie : « 7RXW oD F·HVW PD EDQGH GH SDWURQV -H OHV IDLV

moi-même, car on ne délègue jamais la partie créative. »

S François : « C’est un cobra que

mes parents m’ont rapporté d’Inde quand j’étais petit. Avant, je collectionnais les serpents, c’est le seul que j’ai gardé. Il est vieux, le pauvre. » S Ophélie : « Au rythme de l’industrie, on ne peut pas se permettre de période d’assèchement créatif. Ici, dans notre petite bulle, avec nos objets chinés, nos collections de pierres, de fossiles, on a beaucoup de temps pour penser en toute tranquillité. » X François : « Au deuxième étage, j’ai conçu un espace où je me dédie entièrement au dessin et aux imprimés. Ils sont tous exclusifs et inspirés par des objets que l’on ramasse par hasard, ou par des natures mortes. » 170 — numéro 34

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S OphĂŠlie : ÂŤ Le soutien de Didier

Grumbach de la FĂŠdĂŠration française de la couture et notre prĂŠsence DX FDOHQGULHU RIĂ€FLHO GX SUrW j SRUWHU VLJQLĂ€HQW EHDXFRXS SRXU QRXV

Le marchĂŠ des crĂŠateurs n’Êtant pas très dĂŠveloppĂŠ en France, cela reste un challenge de s’imposer face aux maisons de couture. Âť W François : ÂŤ La vie et l’inspiraWLRQ VRQW HQWUHPrOpHV GLIĂ€FLOH GH VDYRLU R FRPPHQFH O¡XQH HW R Ă€QLW l’autre... on collectionne de tout. On adore H.P. Lovecraft et on a rĂŠcemment dĂŠcouvert Salvador DalĂ­ en tant qu’Êcrivain, en particulier La Vie secrète de Salvador DalĂ­, c’est plein d’humour : de vrais faux souvenirs d’enfance et sa rencontre avec un hĂŠrisson en dĂŠcomposition qui le rend totalement hystĂŠrique. Âť

S François : ÂŤ La vie et l’inspiration sont entremĂŞlĂŠs,

GLIĂ€FLOH GH VDYRLU R FRPPHQFH O¡XQH HW R Ă€QLW O¡DXWUH on collectionne de tout. On adore H. P. Lovecraft et on a rĂŠcemment dĂŠcouvert Salvador DalĂ­ en tant qu’Êcrivain, en particulier La Vie secrète de Salvador DalĂ­, c’est plein d’humour : de vrais / faux souvenirs d’enfance et sa rencontre avec un hĂŠrisson en dĂŠcomposition qui le rend totalement hystĂŠrique. Âť

S OphĂŠlie : ÂŤ Notre salon. Machine Ă coudre, table Ă

repasser... En ce moment, je prĂŠpare les patrons, après je passerai au mannequin pour m’occuper de la toile. Ensuite, je transformerai ma table de modĂŠlisme en EXUHDX GH JHVWLRQ RUGLQDWHXU Ă€FKLHUV IRXUQLVVHXUV HWF dD ERXJH WRXW OH WHPSV ÂŞ

S François : ÂŤ On s’est rendu

X OphĂŠlie : ÂŤ Une ĂŠcharpe de la

compte qu’il est très important de ne vendre qu’aux boutiques qui savent dĂŠfendre notre univers. C’est ambigu : autant notre style fait notre succès, autant on a du mal Ă nous faire comprendre par la masse. Les croix, les cimetières, le noir et blanc, ça peut paraĂŽtre ostentatoire... Âť

collection de cet hiver. On aime prĂŠserver notre identitĂŠ Ă travers nos imprimĂŠs. Âť

entretien Elisabeta Tudor photographie CÊdric Viollet numÊro 34 — 171

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mode paillettes La mode, la mode, la mode…

Le mot

imprimé Il faudra l’imprimer, l’été VHUD VRXV OHV VLJQHV GH O·LPSULPp 3RXUTXRL FHWWH VRXGDLQH DIÁXHQFH GX WH[WLOH vivement décoré alors que l’été précédent se résumait au color-block ? Disons que la plupart des créateurs en avaient simplement ras-lebol des barres de couleurs superposées. Ils se sont mis à la recherche d’un travail de surface plus sophistiqué et le résultat est surprenant. Pas uniquement là pour embellir un revers ou une poche : l’imprimé se propage, parfois

seul, quelquefois à plusieurs, superposés, dans un tourbillon de motifs cachemires, PLOOH ÁHXUV HW URVDFHV VRQW imprimées dans des couleurs lumineuses tels le fuchsia, le turquoise, l’orange et l’or. Les pois, le léopard complètent cette frénésie. Dans ce FRQWH[WH ² HW TXL O·HXW FUX –, la collection printemps-été de D&G lance une bombe de splash divers servant une attitude mi-lolita, mi-gypsy. Quand on dit imprimé, on pense forcément Dries Van Noten et Kenzo, qui ont

toujours beaucoup misé sur la subtilité des motifs natures et ethniques en collage. Le dessin se retrouve au-devant des podiums avec le FpOqEUH © ÁDVK SULQW ª GX GXR Eley Kishimoto, les pierres tombales qui ont le sourire FKH] Dévastée, ou le bariolé psychédélique de Lala Berlin. Sans oublier la jeune créatrice Maki Oh et sa technique nigériane « adire » appliquée sur des robes en soie, une coloration indigo sur soie. « Alors, motifé ? » dirait Karl en guise G·HQFRXUDJHPHQW ³ E. T.

L’expo

Ci-dessus

Une création de Maki Oh à la Africa Fashion Week S/S 2012

A droite

Apparatus 22, Morpheus Buyback, Steirischer Herbst/Silveri

Souvenez-vous de Rozalb de Mura (Standard n°26), jeune collectif made in Bucarest, et dites-vous que ses fondateurs, Erika et Dragos Olea, ont créé une nouvelle structure au-delà du réel : Apparatus 22. Depuis, ils planent subtilement entre quatre dimensions : la mode, l’art plastique, la performance et le manifeste social. Leur première péripétie ? Faire du rêve une monnaie. Avec Morpheus Buyback – dans le cadre du festival Steirischer Herbst, à Graz en Autriche –, Apparatus 22 propose aux

visiteurs de raconter un cauchemar en échange d’un accessoire mystique de leur collection (divers totems). Brouillant les rôles vendeur/ consommateur et niant l’argent comme moyen de paiement, la mode, domaine de consommation et symbole de statut social, passe la frontière enivrante du chamanisme caritatif. Pour partager ses peurs freudiennes contre une amulette artisanale, rendez-vous au Gyeonggi Creation Center en Corée du Sud de février à mars. « J’ai rêvé qu’un Coréen du Nord, etc. » — E. T.

© Simon Deiner/SDR Photo

APPARATUS 22

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CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP

MODE CARTE BLANCHE À ELEY KISHIMOTO Wakako Kishimoto et Mark Eley, le couple londonien d’Eley Kishimoto nous offre un avant-goût de leur dégaine urbaine pour l’été : décontractée et colorée, fidèle aux imprimés ludiques qu’on leur connaît. A suivre aussi : un casque WeSC et la présentation de la collection suivante du 1er au 6 mars à la galerie Jeanroch Dard à Paris.

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théâtre planches Tu dors, là ?

© DR

Hypnose et apesanteur : que le spectacle commence ! (en vous)

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par MĂŠlanie Alves de Sousa

Le Festival d’Automne Ă Paris et le ThÊâtre de Gennevilliers ont eu la bonne idĂŠe de combiner un mĂŞme soir la programmation de deux pièces pas banales, quasi expĂŠrimentales – l’une de danse, l’autre de thÊâtre – ayant en commun de renverser nos perceptions habituelles et d’activer notre imaginaire. Retour sur une soirĂŠe planante et dĂŠconcertante, dont les deux spectacles tournent en France cet hiver.

Š DR

8QH FKRUpJUDSKLH WRXW HQ DSHVDQWHXU Après Pâquerette HW Sylphides OH GXR &HFLOLD Bengolea et François Chaignaud (voir Standard Qƒ en pleine ascension, poursuit son exploration du corps ÂŤ sous contrainte Âť avec Castor et Pollux. Sur le programme est ĂŠcrit : Pièce pour spectateurs allongĂŠs. Comprendre : c’est en l’air que ça va se passer. La salle de reprĂŠsentation a mutĂŠ dortoir. En lieu et place du plateau et des gradins, des tapis et des couvertures ont ĂŠtĂŠ alignĂŠs. Souvenir lointain de nos siestes enfantines, RQ SDVVH j O¡KRUL]RQWDOH 'DQV XQH SpQRPEUH HQIXPpH nos yeux s’ouvrent sur des milliers de mètres cubes de vide oĂš suspendus, deux corps entrelacĂŠs en position fĹ“tale entonnent un chant ancien. Durant quarante minutes, les deux danseurs – chevelures blondes, corps peints et collants bigarrĂŠs – vont incarner les jumeaux mythiques qui, selon la lĂŠgende, l’un immortel l’autre non, furent condamnĂŠs Ă ĂŞtre sĂŠparĂŠs entre Olympe et Enfer. CorsetĂŠs dans des baudriers, poignets et chevilles UHOLpV j GHV Ă€OLQV LOV VRQW HQFKDvQpV HW OD GDQVH Š totalement subordonnĂŠe aux rouages de la machinerie Âť, explique Cecilia Bengolea. Au sol, un dispositif d’Êlingues et de poulies est activĂŠ par des ÂŤ techniciens-manipulateurs Âť vĂŞtus de costumes et de couronnes dorĂŠs, comme si le destin tragique des deux frères ĂŠtait Ă nouveau entre les mains des dieux grecs. Mais jamais la prouesse mi-mĂŠcanique mi-acrobatique n’emporte notre attention, nos yeux sont rivĂŠs sur le ballet cĂŠleste de ces oiseaux divins. La chute des corps est parfois vertigineuse, les silhouettes tels GHV VSHFWUHV HIĂ HXUHQW OH SXEOLF /¡XQ EDODLH O¡HVSDFH dans un lent mouvement de balancier, l’autre est subitement happĂŠ vers les hauteurs, les jambes ĂŠcartelĂŠes. On entend gĂŠmir les âmes errantes. Etendus, captivĂŠs, FRPPH HQ pWp RQ JXHWWH OHV pWRLOHV Ă€ODQWHV QRXV Ă€[RQV la fabuleuse histoire de la constellation des GĂŠmeaux. Une rĂŞverie astrale dont on tarde Ă se rĂŠveiller. Hypnose rhĂŠtorique. PrĂŠsentĂŠ comme ÂŤ une sĂŠance d’hypnose collective Âť, nous ĂŠtions curieux quoiqu’un peu sceptiques du Vrai spectacle de Joris Lacoste annoncĂŠ dans le prĂŠcĂŠdent numĂŠro. Une fois tentĂŠe, l’expĂŠrience s’avĂŠra aussi inĂŠdite que tripante. Dans la salle, un fauteuil sur deux est condamnĂŠ pour notre confort et des couvertures sont Ă disposition. Un cyclorama rĂŠduit l’espace scĂŠnique faiblement ĂŠclairĂŠ et concentre nos regards sur l’acteur Rodolphe CongĂŠ, GHERXW IDFH SXEOLF 2XEOLH] OHV FOLFKpV QL SHQGXOH QL injonction ÂŤ vos paupières sont lourdes Âť, l’hypnose relève d’une solide technique rhĂŠtorique. D’une voix calme et enveloppante, usant du ÂŤ vous Âť comme dans La 0RGLĂ€FDWLRQ de Michel Butor, le maĂŽtre de cĂŠrĂŠmonie engage son rĂŠcit et du mĂŞme coup le processus magnĂŠtique, en posant les règles du jeu. ÂŤ Personne

ne peut ĂŞtre hypnotisĂŠ malgrĂŠ lui Âť, dit-il, libre Ă soi d’assister au spectacle rĂŠel sur le plateau ou bien de crĂŠer le sien propre dans son cerveau. Ou de s’endormir carrĂŠment. On se dĂŠtend. Quand il ĂŠvoque l’Êtat recherchĂŠ ÂŤ comme un sommeil lucide Âť, on hĂŠsite encore Ă se laisser aller. ÂŤ Tel Johnny Depp dĂŠrivant sur sa pirogue dans Dead Man de Jarmuch‌ Âť, poursuit-il. C’est l’image convaincante qui nous fera basculer. Le discours glisse vers l’abstraction et l’imaginaire des spectateurs consentants est conviĂŠ Ă investir les situations proposĂŠes : des lieux, des rencontres, des ĂŠtats. Chacun se fait son cinĂŠma, plus SURFKH GH O¡KDOOXFLQDWLRQ TXH GH OD Ă€FWLRQ (Q DUULqUH fond sonore, un vrombissement en rĂŠgime sinusoĂŻdal. La voix poursuit son cours. IntriguĂŠ, on ne peut s’empĂŞcher d’ouvrir un Ĺ“il histoire de voir Ă quoi ressemble le ÂŤ spectacle rĂŠel Âť – signe que nous ne sommes pas tout Ă fait ÂŤ ensorcelĂŠs Âť. Rodolphe CongĂŠ, immobile, disparaĂŽt presque sous la lumière stroboscopique du cyclo qui clignote de toutes les couleurs. Une intensitĂŠ violente qui nous fait refermer les yeux, direct. Si manipulation il y a, peut-ĂŞtre est-ce lĂ , une lĂŠgère prise d’otage qui ne laisse guère le choix : jouer le jeu ou compter les moutons pour patienter. Les dernières images ĂŠvoquent une plage, l’envol d’un dirigeable. Puis, doucement, on revient. ÂŤ &¡HVW Ă€QLÂŤ YRLOj &¡HVW Ă€QL Âť Autour de nous, on baille, on s’Êtire, on sourit. DĂŠroutant de penser que, ce soir, il y avait autant de spectacles que de spectaWHXUV Âł

Castor et Pollux

Conception François Chaignaud et Cecilia Bengolea Du 24 au 26 janvier au TAP, Poitiers Le Vrai spectacle

Texte et mise en scène Joris Lacoste 1er fĂŠvrier au Vivat , Armentières 17 et 18 mars au Centre Pompidou, Metz 21 et 22 mars au Manège, Reims 27 et 28 mars au Quartz, Brest 30 mars Ă la Passerelle, Saint-Brieuc Retrouvez les rĂŠcits des spectateurs dont certains sont‌ ĂŠtonnants sur : http://levraispectacle.tumblr.com numĂŠro 34 — 175

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thÊâtre planches JF32A cherche shows-chauds pour hiver boisÊ

PAS ENCORE VU, MAIS ÇA A L’AIR BIEN

Demain, c’est lĂ

Navarre haut

CamĂŠs camĂŠlias

Etendard de l’opĂŠrette en GpGLpH DX[ UpYROXWLRQV QXPpULTXHV HQ OD GaĂŽtĂŠ Lyrique, un an Ă peine après sa rĂŠhabilitation, fĂŞte dĂŠjĂ son bicentenaire avec une exposition dont le titre, 2062, propulse vers le futur. Une transformation en capsule spatio-temporelle pour une expĂŠrience particulière du temps, annonce son directeur JĂŠrĂ´me Delormas, R YRXV VHUH] LQWHUDFWLYHPHQW VROOLFLWpV /DLVVH] YRV PHVVDJHV j la postĂŠritĂŠ grâce aux dispositifs 2067 TELECOM et 2067email@ futur GH O¡DUWLVWH 'DYLG *XH] GHYHQH] FRQTXLVWDGRU GX S{OH 6XG HQ HQĂ€ODQW OH FDVTXH GH OD FRPSDgnie belge Crew pour une aventure LPPHUVLYH WHQWH] O¡H[SpULHQFH GX FRQĂ€QHPHQW SHQGDQW TXDUDQWH huit heures, totalement coupĂŠ du prĂŠsent avec soixante autres dingos dans Le Sous-marin imaginĂŠ par le directeur cinĂŠma d’Arte, adepte du transmĂŠdia, Michel Reilhac ‌ Nom de Zeus ! —

Collectif en vogue mais plutĂ´t rares jusqu’à prĂŠsent, Les Chiens de Navarre aboient dans de nombreux poulaillers en ce dĂŠbut d’annĂŠe avec leur crĂŠation Nous avons les machines. Depuis les dĂŠsopilants Une raclette et L’Autruche peut mourir d’une crise cardiaque ‌ nous les attendions. Comme d’hab’, pas de thème mais une mĂŠthode clĂŠ : l’improvisation. Le rĂŠcit s’invente en cours de reprĂŠsentation, selon un canevas ĂŠprouvĂŠ en rĂŠpĂŠtition. Le chef de meute Jean-Christophe Meurisse lâche ses huit acteurs sur le plateau : ils sont amis ou voisins, regroupĂŠs autour d’une table, pour un dĂŽner ou une commĂŠmoration, et se lancent dans XQH JUDQGH GLVFXVVLRQ TXL Ă€QLUD SDU GpUDLOOHU 8Q ]RRP VXU OHV EDQDOLWpV mesquineries et absurditĂŠs de nos vies ordinaires, on pense Ă la sĂŠrie Strip-tease, aussi hilarant qu’inquiĂŠWDQW Âł

Enfant terrible de la RDA, le metteur en scène allemand Frank Castorf a grandi au rythme de la contre-culture rock amĂŠricaine et GHV Ă€OPV GH *RGDUG )HOOLQL RX Kubrick. Ses premiers spectacles, jugĂŠs incorrects, furent interdits par la censure, mais il ne s’est pas assagi pour autant. Après Kean de Dumas père, il revisite La Dame aux camĂŠlias GH 'XPDV Ă€OV avec en point de mire : la transgression. ÂŤ C’est ce moment de dĂŠpassement anarchiste qui m’intĂŠresse Âť, prĂŠcise-t-il. Exit le mĂŠlodrame romantique, place Ă une intrigue oĂš pourra ĂŠclater toute l’insolence de la lĂŠgendaire Marguerite Gautier, qui se moque de la morale, domine ses partenaires et revendique son indĂŠpendance. Valeur ajoutĂŠe au sein de la troupe allemande, la fantasque Jeanne Balibar. De quoi redonner au mythe toute sa puissance troublante, GDQJHUHXVH HW SURYRFDWULFH Âł

2062, une expÊrience du temps et de l’espace

La GaĂŽtĂŠ Lyrique, Paris Du 1er fĂŠvrier au 25 mars

Nous avons les machines

Maison des Arts de CrÊteil Du 26 au 28 janvier Centre Pompidou, Paris, du 2 au 4 fÊvrier ThÊâtre de Vanves, Festival ArtdanthÊ Les 8 et 9 fÊvrier

La Dame aux camĂŠlias

D’après Alexandre Dumas fils, mise en scène Frank Castorf ThÊâtre de l’OdĂŠon (Paris) Jusqu’au 4 fĂŠvrier

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sĂŠlection MĂŠlanie Alves de Sousa

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thÊâtre CARTE BLANCHE Ă€ HUBERT COLAS CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP

Hubert Colas est auteur, metteur en scène et scĂŠnographe, fondateur d’un centre de crĂŠation dĂŠdiĂŠ aux ĂŠcritures contemporaines, MontevidĂŠo, Ă Marseille. Initiateur du Festival international des arts et des ĂŠcritures contemporaines, actOral, il prĂŠsente STOP ou Tout est bruit pour qui a peur du 12 au 28 janvier au ThÊâtre de Gennevilliers, le 3 fĂŠvrier au ThÊâtre d’Arles et du 10 au 16 fĂŠvrier au Merlan Ă Marseille. A voir prochainement : Kolik, 12 sĹ“urs slovaques et Mon kĂŠpi blanc. Dates de tournĂŠe sur diphtong.com.

La mÊmoire de l’ÊtÊ pour parler du choc Meg Stuart

Š Jacques Couzinet

On ne voit pas simplement un spectacle avec les yeux. Le spectacle est aussi Ă cĂ´tĂŠ de vous. Avec ceux qui comme vous se livrent, le regardant, au dĂŠsir d’être attrapĂŠ par ce qui se dĂŠroule. Et il y a la mĂŠmoire. Saisissement improbable Ă communiquer tant l’instant est furtif et prĂŠsent, et d’un coup sans aucune pensĂŠe Ă l’esprit, l’action agit sur vous. $YLJQRQ FKDOHXU G¡XQ pWp /HV KHXUHV GDQV OHV salles s’enchaĂŽnent. J’aime depuis si longtemps l’attente GX OHYHU GH ULGHDX -¡DLPH O¡LQFHUWLWXGH GH FH UHQGH] vous. Je partage l’inquiĂŠtude des artistes avant d’entrer en scène. Serais-je un bon spectateur ? Les nuits aviJQRQQDLVHV FUpHQW XQ Ă RWWHPHQW HW XQH DQ[LpWp /j F¡HVW l’après-midi et je m’enfonce dans la salle. Cet automne je voulais revoir le travail de Meg Stuart. Impossible. Je m’y prends trop tard. Peut-ĂŞtre voulaisje garder secrètement le souvenir de cet après-midi. La peur de ne pas revoir ce qui fut un moment inoubliable. Pourquoi ? La beautĂŠ d’un espace ? Pas particulièrement. Un musicien sur le plateau comme on en voit tant sur les scènes contemporaines : Brendan Dougherty, la musique est saisissante physique rĂŠpĂŠtitive enlaçante, elle vient en vous comme un corps ĂŠtranger pour vous saisir de l’intĂŠrieur. Comme un ĂŞtre qui cherche Ă vous parler cette musique ne cessera de nous envelopper. D’agir sur la danse, le public. L’espace ? Est presque vide, le souvenir diffus d’une masse noire au fond du plateau. Bougeait-elle ? L’espace tremblait. 'HV FRUSV Ă€JXUHV ODQJXLVVDQWHV V¡DQFUDLHQW VXU OH plateau. Le manège pouvait commencer. La batterie lançait sa masse sonore. Les ĂŠlĂŠments ĂŠtaient simples. /HV GDQVHXUV pWDLHQW Oj 6DQV PDJQLĂ€FHQFH (W SXLV

le mouvement commença. Ils n’avaient pas de liens particuliers entre eux. La musique l’espace et ce qu’ils allaient traverser leur servaient de guides. Il n’y avait pas d’histoire non plus. Juste eux. Le moment de vie. Oi peut-ĂŞtre l’expression de la traversĂŠe du monde, celui qui nous entoure avec qui nous luttons souvent sans savoir exactement comment lui apporter un peu plus de joie. Et puis la musique de plus en plus forte. Les sons qui nous parlent. Le paysage des corps s’Êtablit sous nos yeux. Un soir m’a-t-on dit : une femme se mit Ă danser dans la salle. Le trouble ĂŠtait saisissant, pour certains cela faisait partie du spectacle. Non, il s’agissait d’une femme prise Ă l’intĂŠrieur par ces corps dansants. Elle avait ĂŠtĂŠ happĂŠe. Je regardais fascinĂŠ, la chose se faire, partagĂŠ. Le corps tendu vers eux Ă se retenir de pleurer. Sans savoir pourquoi. Le sentiment vertigineux d’un SODLVLU TXL RXEOLHUDLW TXH VD Ă€Q V¡DSSURFKH -¡pWDLV Oj Osant Ă peine regarder les autres. Plus encore qu’être eux avec eux, c’Êtait ĂŞtre d’eux que je voulais ĂŞtre. Ils me semblaient de plus en plus beaux, dĂŠpouillĂŠs de tout. Les visages apparaissaient portant leur histoire. Rien n’Êtait dĂŠguisĂŠ. L’Êpanouissement ĂŠtait lĂ . Je les vivais, les regardais et ils me transmettaient une masse invisible qui me replaçait en moi-mĂŞme. Je vivais l’expĂŠrience que j’attends du thÊâtre et qui fait que je n’ai de cesse de dĂŠsirer m’y rendre. Celle qui me dĂŠplace, m’oublie et me traverse pour aborder et reprendre avec plus de force OD VXLWH GH OD PDUFKH Âł Violet

ChorĂŠgraphie Meg Stuart Le 20 mars au Parvis Scène Nationale, Tarbes Les 1er et 2 mars au Radialsystem V de Berlin, Allemagne Le 27 mars au ChassĂŠ Theater de Breda, Pays-Bas numĂŠro 34 — 177

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littÊrature papiers L’interview à dix mille pesos

CernÊ de zombies en crise, Leandro Avalos Blacha rÊÊvalue son Argentine entretien François Perrin traduction HÊlène Serrano

Via le surnaturel, l’infâme ou le grotesque, vous proposez une vision outrancière de l’Argentine d’après la crise ĂŠconomique et VRFLDOH GH 8Q DXWHXU Qp avant 1980 aurait-il pu ĂŠcrire Berazachussetts ? Leandro Avalos Blacha : Oui, absolument. Si la technologie a changĂŠ les modes de production et de distribution des textes, je ne suis pas sĂťr qu’elle ait eu une LQĂ XHQFH SURIRQGH VXU O¡pFULWXUH HOOH PrPH /H FLQpPD a acquis aujourd’hui une très grande importance dans le processus d’Êcriture, mais il y a aussi un regain d’intĂŠrĂŞt pour la politique et des genres littĂŠraires comme le SROLFLHU OD VFLHQFH Ă€FWLRQ HW OD fantasy. Pour quelqu’un Qp LFL GDQV OHV DQQpHV FHWWH FULVH D pWp O¡XQ GHV IDLWV politiques les plus importants (symboliquement, au PRLQV /¡LOOXVLRQ GHV DQQpHV G¡rWUH XQ SD\V ULFKH s’est terminĂŠe d’une manière sanglante. Nous avions cru qu’un peso valait un dollar, et soudain, il ne valait presque rien‌ De nombreuses monnaies parallèles sont apparues dans chaque province. La plus tristement populaire ĂŠtait le patacĂłn, devenu ÂŤ patachussetts Âť dans le roman. Diriez-vous que cette sociĂŠtĂŠ est violente, farfelue et anomique ? 9RXV DYH] WUqV ELHQ GpFULW O¡$UJHQWLQH $XMRXUG¡KXL nous sommes tous fous, mais le système lui-mĂŞme produit ce chaos et cette violence. En dehors du Buenos $LUHV WRXULVWLTXH YRXV DYH] OH *UDQG %XHQRV $LUHV R tout est plus viscĂŠral. C’est le Far West. Pourquoi avoir choisi, dès votre titre, d’affubler les lieux de noms hybrides – moitiĂŠ argentins, moitiĂŠ internationaux ? Le mĂŠlange est un moteur. Ainsi, les personnages ont

chacun un modèle qu’ils veulent suivre (d’ÊlĂŠgance, de PRUDOH FRPPH OHV SROLWLFLHQV GpYHORSSHQW XQ PRGqOH GH sociĂŠtĂŠ sans rapport avec la rĂŠalitĂŠ. Le politicien Saavedra >SHUVRQQDJH GX URPDQ@ YHXW LPLWHU OHV SD\V GpYHORSSpV dans une ville pauvre, sans vraiment connaĂŽtre l’endroit R LO YLW /D JpRJUDSKLH IDQWDVWLTXH GX URPDQ UHĂ qWH FHWWH ÂŤ mixture Âť et la tension qui en dĂŠcoule pour soutenir une vision dĂŠformĂŠe du rĂŠel, une vision impure, teintĂŠe de O¡XQLYHUV GHV Ă€OPV G¡KRUUHXU GH O¡pWUDQJH GX pulp, avec XQ FHUWDLQ DLU GH VFLHQFH Ă€FWLRQ '¡R Š %HUD]DFKXVVHWWV ÂŞ %HUD]DWHJXL 0DVVDFKXVVHWWV Š /DQXVDOHP ÂŞ /DQ~V -pUXVDOHP Š %RHGLPEXUJR ÂŞ %RHGR (GLPEXUJR ÂŤ Que rĂŠvèle Trash, la punk zombie ? Pour Trash, le chaos c’est parfait, c’est sa place. Elle est OH PRQVWUH OH PRLQV GDQJHUHX[ j %HUD]DFKXVVHWWV 6D prĂŠsence agira surtout comme dĂŠclencheur auprès de quatre institutrices retraitĂŠes, en changeant les relations entre elles : Dora rĂŠagit avec indiffĂŠrence au chaos tant qu’il ne la touche pas, Milka voudrait voir mourir les autres, %HDWUL] VH VDFULĂ€HUDLW SRXU VHV DPLV 6XVDQD KDELWH GpMj OH chaos, dans sa tĂŞte. Et que dire de la jeune handicapĂŠe, vraie dĂŠmone ? En gĂŠnĂŠral, l’idĂŠe qu’on se fait d’une jeune handicapĂŠe est rĂŠduite, concernant ses capacitĂŠs physiques et ĂŠmotionnelles, comme si elle ne pouvait pas ĂŞtre mĂŠchante. C’est pourquoi Periquita est très malveillante, machiavĂŠlique.

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/HV SXLVVDQWV GH SqUH HQ Ă€OV MRXHQW j KXPLOLHU OHV pauvres. Caricatural, non ? La richesse et le pouvoir entraĂŽnent l’impunitĂŠ. MĂŞme si FHOD VLJQLĂ€H KXPLOLHU OHV DXWUHV HQ HIIHW %LHQ TXH O¡RQ soit dans l’exagĂŠration, la rĂŠalitĂŠ est encore plus folle. Quelque temps après la publication de mon roman en Argentine, il y a eu une situation similaire Ă celle de Berazachussetts GHV Ă€OV GH SROLWLFLHQV IUDSSDLHQW GHV SDXYUHV GDQV OD UXH HQ VH Ă€OPDQW Pourquoi le maire se met-il en tĂŞte de dĂŠcorer la ville avec des frigos remplis de pingouins Ă chaque coin de rue ? Pour lui, cette folie, c’est un spectacle pour le peuple HW XQH PDQLqUH GH IDLUH GH %HUD]DFKXVVHWWV XQ OLHX plus sophistiquĂŠ : un paysage ÂŤ hivernal Âť. Ne pouvant accepter, comme d’autres, qu’il existe des choses impossibles, il aspire Ă changer le climat. Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Je viens de publier Medianera >Š 0XU PLWR\HQ ÂŞ@ XQ roman qui parle d’un quartier oĂš les gens construisent des prisons dans leur jardin et reçoivent des prisonniers FKH] HX[ SRXU SD\HU PRLQV LPS{WV -¡DL pJDOHPHQW terminĂŠ un autre roman sur des vampires Ă Buenos Aires. A quelle scène surprenante avez-vous assistĂŠ rĂŠcemment ? $SUqV XQ FRQĂ LW V\QGLFDO DX WUDYDLO XQH FRSLQH XPEDQGD >FXOWH DIUR EUpVLOLHQQH@ HVW YHQXH DX EXUHDX en tenue de cĂŠrĂŠmonie pour faire un nettoyage spirituel GX OLHX (W FHWWH VHPDLQH M¡DL WURXYp GDQV OH PDJD]LQH du cartoon Phineas & Ferb des marque-pages avec Beauvoir, Camus, Sartre, Heidegger, Kafka, Kierkegaard. Des marque-pages existentialistes pour enfants. *pQLDO Âł

LE LIVRE

STEAKS SOCIAUX A Berazachussetts, une mort-vivante punk et hommasse dĂŠbarque dans le quotidien de quatre vieilles amies (ÂŤ Si ça se trouve, c’est une pute [‌] Regardez ses cheveux Âť), participant par sa seule prĂŠsence de la phase ultime de dĂŠliquescence de la ville entière : ÂŤ Plus personne ne fĂŞtait la victoire de l’Êquipe de foot, les habitants ĂŠtaient tous occupĂŠs Ă se mettre Ă l’abri des attaques soudaines et des explosions. Âť Elle assiste ainsi, grignotant quelques membres arrosĂŠs de bière, Ă l’implosion d’une communautĂŠ oĂš les riches torturent, les handicapĂŠs harcèlent, les vieilles dĂŠlirent et les pauvres composent. Leandro Avalos Blacha, 31 ans, s’offre au galop toutes les libertĂŠs pour raconter une sociĂŠtĂŠ inventive, dingue, toujours Ă deux doigts du chaos. — F. P. Berazachussetts

Asphalte 208 pages, 16 euros numÊro 34 — 179

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littĂŠrature papiers Relecture

L’acte politique d’une ÂŤ courtisane Âť Concernant son mĂŠtier de prostituĂŠe, qu’elle exerça d’abord dans OHV DQQpHV HOOH RVFLOOD G¡DERUG HQWUH Ă€HUWp Š Parfois je me dis qu’il vaut mieux faire cela que de tenir une mitraillette comme les femmes d’IsraĂŤl et de Chine Âť > @ HW GpJR€W Š Il me semble qu’un troupeau de pourceaux m’a passĂŠ dessus, qu’ils m’ont piĂŠtinĂŠe, meurtrie, bavĂŠ dessus, crachĂŠ sur mon visage, dans mes yeux, mes oreilles, ma bouche. C’est une sensation d’humiliation et d’horreur, qui me pousserait au-delĂ de la nausĂŠe jusqu’au PHXUWUH ÂŞ > @ avant de l’envisager comme un acte politique lorsqu’elle reprit sa carrière de ÂŤ courtisane ÂŞ HQ L’Homme peut tout supporter, se rĂŠsigne-t-elle parfois (ÂŤ Je vais vaillamment Ă l’enfer nocturne quotidien. C’est horrible, toujours horrible, on s’y fait ÂŞ (OOH lĂŠgitime ainsi ses textes autobiographiques, durs, dont Le Noir est une couleur SXEOLp HQ OHV bien-pensants ne veulent pas voir la misère ? Tant pis. ÂŤ Mon passĂŠ, CORRESPONDANCE EN FUSION c’est la lèpre. Eh bien, on leur offrira des cornets de pustules ! Âť pFULW HOOH HQ 0DLV WDSLQHU et tenir dans son carnet noir le Un recueil d’Êchanges ĂŠpistolaires par registre indispensable des tarifs et pratiques prĂŠfĂŠrĂŠes François Perrin s’Êtirant sur une pĂŠriode de quarante de ses ÂŤ visiteurs attitrĂŠs et discrets Âť (ÂŤ William : ans permet Ă son lecteur d’assister, Vaudois un peu rustique, gros, gentil – enculer, sucer ÂŤ en pointillĂŠ Âť comme l’indique la prĂŠface, Ă la genèse 70 F. ÂŞ Q¡pWDLW TXH OH d’un auteur, aux circonvolutions et accidents d’une second mĂŠtier de GrisĂŠlarge fraction d’existence. Reste Ă choisir judicieulidis. Le premier, c’Êtait sement l’Êmetteur de tout ce courrier, ĂŠcrivain plutĂ´t ĂŠcrivain, comme l’attestent TX¡H[SHUW FRPSWDEOH JH\VHU j Ă HXU GH SHDX SOXW{W TXH VHV SDJHV PDJQLĂ€TXHV VXU OD Ă HXYH WUDQTXLOOH (Q SDULDQW VXU *ULVpOLGLV 5pDO mort de sa mère ou la perte DXWRSURFODPpH Š catin rĂŠvolutionnaire Âť –, les de sa voix, ou la formule pGLWLRQV 9HUWLFDOHV RQW DVVXUpPHQW PLVp Ă€QHPHQW VXLYDQWH DGUHVVpH HQ j %DODGpH HQWUH 6XLVVH (J\SWH HW *UqFH GH j DQV son taulard arabe : ÂŤ Je t’ai puis entre Suisse, Allemagne, France et Tunisie aux ĂŠcrit hier soir une lettre un cĂ´tĂŠs de ses compagnons ÂŤ Nègre Âť amĂŠricain, cogneur peu folle, un cri d’amour berbère ou artistes europĂŠens – ses quatre enfants jamais brĂťlant jailli d’un fond de bien loin, rarement sous sa garde –, elle a abreuvĂŠ ses bouteille de rouge. Âť SantĂŠ. proches – famille, amis, amants, dans tous les sens – Âł G¡XQH FRUUHVSRQGDQFH pYROXWLYH VRXYHQW HQĂ DPPpH GrisĂŠlidis RĂŠal teintĂŠe dès les premières lignes de son humeur du MĂŠmoires de l’inachevĂŠ (1954-1993) moment : dĂŠpressive, exaltĂŠe, ivre, rageuse. Verticales 380 pages, 22,90 euros

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GRISÉLIDIS RÉAL,

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papiers Le questionnaire de Bergson

ÂŤ Cheminant avec passion vers le non-ĂŞtre Âť, Enrique Vila-Matas traque Moby Dick

entretien François Perrin traduction RaphaÍle Baze

Comment vous reprĂŠsentez-vous l’avenir de la littĂŠrature ? Enrique Vila-Matas : Comme dirait Maurice Blanchot, elle va vers son essence – qui est la disparition. 7RXW FRPPH QRV YLHV VH GLULJH YHUV FHWWH Ă€Q LQH[Rrable. L’être de la littĂŠrature chemine avec passion vers ce non-ĂŞtre. Avec passion, car nous sommes encore quelques-uns Ă travailler avec enthousiasme. Cet avenir possède-t-il une quelconque rĂŠalitĂŠ, ou reprĂŠsente-t-il une pure hypothèse ? Tout ce que nous pouvons imaginer est en train d’arriver. Nous sommes dans un futur dĂŠjĂ prĂŠsent. Notre enthousiasme peut donc parfois paraĂŽtre un enthousiasme GH VFLHQFH Ă€FWLRQ Vous-mĂŞme, oĂš vous situez-vous dans cette littĂŠrature possible ? A la mĂŞme place qu’aujourd’hui, ĂŠvidemment. En tant qu’Êcrivain, comme un peintre prĂŠfĂŠrant les diverses ĂŠtapes de crĂŠation d’un tableau Ă celui-ci achevĂŠ, je prĂŠfère souvent ne pas terminer mes travaux, les laisser

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LE LIVRE

Ă l’Êtat fragmentaire. Ils me mènent jusqu’à un certain point, Ă partir duquel je dois les abandonner pour tenter de parvenir au-delĂ . Si vous pressentez l’œuvre Ă venir, pourquoi ne la faites-vous pas vous-mĂŞme ? -H O¡pFULV Q¡HQ GRXWH] SDV 7RXWH PRQ ÂąXYUH FRQVWLWXpH d’intĂŠressantes tentatives, raconte l’histoire imaginaire de la littĂŠrature contemporaine. Mes nouvelles reconstruisent des endroits, rĂŞves, obsessions propres aux ĂŠcrivains, lecteurs, traducteurs, libraires, ĂŠditeurs ou critiques... comme si mes personnages voyageaient sur le 3HTXRG >EDOHLQLHU GX FDSLWDLQH $FKDE@ SRXU SRXUVXLYUH le Moby Dick du XXIe siècle. Question subsidiaire : aujourd’hui, quels seraient les dignes hĂŠritiers de James Joyce et Georges Simenon, que vous refusez de dĂŠpartager dans Chet Baker pense Ă son art ? John Banville [ĂŠcrivain irlandais, La Mer ,QĂ€QLV, @ HW %HQMDPLQ %ODFN >SVHXGRQ\PH GX SUHPLHU lorsqu’il signe des romans noirs, Les Disparus de Dublin @ Âł

LES FIANÇAILLES DE JOYCE ET SIMENON Comment se poser la candide et terrifiante question de l’avenir-de-la-littÊrature sans s’attacher le concours de l’auteur de Bartleby et Cie (2002), qui dÊtaillait bonnes et mauvaises raisons de ne pas se mettre à Êcrire ? L’Espagnol Vila-Matas, dans Chet Baker pense à son art, pousse son narrateur, tapi en piaule, à envisager le mariage faussement compromis entre Finnegans Wake de James Joyce, quintessence du roman s’interrogeant sans fin sur

lui-mĂŞme ÂŤ que personne n’a ĂŠtĂŠ assez idiot pour lire de A Ă Z Âť (1939), avec Les Fiançailles de Monsieur Hire de Georges Simenon – littĂŠrature populaire, Ă l’apparente simplicitĂŠ, bulle de plaisir cohĂŠrent ne se boudant pas lui-mĂŞme (1933). Imaginer ÂŤ un style combinatoire Finnegans Hire Âť, pourquoi pas ? — F. P. Chet Baker pense Ă son art

Mercure de France 175 pages, 18,80 euros numÊro 34 — 181

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littĂŠrature papiers Chroniques

Une Femme avec personne dedans ChloĂŠ Delaume Le Seuil 140 pages, 15 euros

Rester sage Arnaud Dudek Alma Editeur 220 pages, 13,80 euros Tandis que les ascenseurs de Dubois se bloquent ou lâchent la rampe, les escalators de Dudek n’en font qu’à leur tĂŞte. Dans les deux cas, les humains semblent mal prĂŠparĂŠs au dysfonctionnement : ÂŤ Soudain, l’escalier roulant change de sens. Surpris par cette marche arrière intempestive, les uns et les autres sont frappĂŠs de panique. Âť Tous les personnages de ce Rester sage, principaux comme secondaires, acteurs ou tapisserie – dĂŠcrits par leur biographie lapidaire plutĂ´t que par leurs caractĂŠristiques physiques –, semblent d’ailleurs soumis Ă des courants mĂŠcaniques sur lesquels ils ont peu de prise. A l’instar de ces deux amis perdus de vue, Martin,

Jean-Paul Dubois Editions de L’Olivier 220 pages, 18 euros

qu’un jour mon haleine me dĂŠgoĂťterait moi-mĂŞme, ça le fait Ă tous les vieux ÂŞ ,PSXGLTXH ELHQ V€U brut – voire brutal –, mais incarnĂŠ Ă O¡H[WUrPH Âł François Perrin

Ă€OV G¡XQH Š mère-enfant qui compte tout juste seize ans de plus que lui, PDLV GRQW OH FRPSRUWHPHQW GpĂ€H l’Êtat-civil Âť, et le narrateur s’exprimant Ă la deuxième personne, tous deux malheureux en amour comme en emploi, qui ne semblent prendre leurs dĂŠcisions que sur des coups de tĂŞte. Il se recroisent puis se quittent, un homme perd la vie dans l’intervalle, et le constat s’impose : ils sont bien mal entourĂŠs en termes de femmes. Dudek, lui, signe un riche premier roman, après des annĂŠes passĂŠes Ă squatter avec un talent simple les colonnes de la revue DĂŠcapage. Pendant ce temps, une ÂŤ horloge retarde de vingt ans et cinq minutes ÂŞ Âł F. P.

$YDQW FH WULVWH PRLV GH MDQYLHU Paul Sneijder considĂŠrait l’ascenseur comme ÂŤ le miracle mĂŠcanique qui a un jour permis aux villes de se redresser sur leurs pattes arrière et de se tenir debout. Âť. Plus prĂŠcisĂŠment, il n’en pensait encore rien, ne l’envisageait aucunement comme objet GH UpĂ H[LRQ LJQRUDQW OD ULFKHVVH HW OD YDULpWp GHV PDJD]LQHV VSpFLDOLVpV imprimĂŠs Ă sa seule gloire. Or, quatre jours après la Saint-Sylvestre, dans une tour d’AmĂŠrique du Nord, un accident statistiquement moins que probable O¡HQYRLH GDQV OH FRPD HW VD Ă€OOH ad patres. Survivant ainsi au seul fruit de son premier mariage, mal entourĂŠ par une seconde femme et deux gamins peu prodigues de leur tendresse, il se rĂŠfugie dans la foisonnante littĂŠrature consacrĂŠe aux ascenseurs et Ă ses accidentĂŠs (ÂŤ &RQĂ€QpV j O¡LQWprieur de notre zone de confort allouĂŠe de 0,90 mètre carrĂŠ, nous sommes les passagers dociles d’un système verrouillĂŠ que nous avons acceptĂŠ sans l’avoir compris, ni jamais aimĂŠ ÂŞ SXLV GDQV OHÂŤ GRJ VLWWLQJ &KH] 'XERLV confrontĂŠ Ă des accidents violents, on est rapidement mieux entourĂŠ par les clĂŠbards que par l’esquisse d’un mĂŠnage : ÂŤ La vie, ce sport individuel qui mĂŠriterait >ÂŤ@ d’avoir ĂŠtĂŠ inventĂŠ par un Anglais bipolaire, avait assez d’humour pour laisser Ă des chiens, dont je ramassais ce que l’on sait, le soin de me redonner une petite part GH OD FRQĂ€DQFH HW GH OD GRXFHXU GRQW la plupart des miens m’avaient depuis longtemps privĂŠ. Âť C’est amer mais drĂ´le, comme toujours, autant que OpJHU PDLV VROLGH Âł F. P.

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ÂŤ Puisqu’il faut une histoire, autant qu’elle soit vraie Ă moitiĂŠ. Âť On pourrait presque se contenter de cette phrase pour tenter de saisir la teneur du travail de ChloĂŠ Delaume. Une histoire, donc ? Ici, celle d’un SHUVRQQDJH DXWRĂ€FWLRQQHO FRQIURQWp coup sur coup au suicide d’une Ă€OOH GH VRQ kJH SDVVLRQQpH SDU son Ĺ“uvre, Ă une rencontre bouleversante, Ă une seconde rupture conjugale. Dans cet ordre. L’occasion pour elle de se replonger dans ses souvenirs (morts attestĂŠes ou escomptĂŠes, mariages, foyers, IXLWHV FHWWH WHUUH JODLVH UHPRGHODEOH j O¡LQĂ€QL 6DQV VH GpSDUWLU G¡XQ style inimitable puisque taillĂŠ sur mesure (ÂŤ J’ignorais si mon cĹ“ur palpitait Ă pleine viande ou s’il ĂŠtait statique en sa nacre cellulose, c’Êtait un handicap ÂŞ GH SV\FKRVHV persistantes assommĂŠes au Tercian PJ HW G¡DQJRLVVH H[LVWHQWLHOOH (ÂŤ Ce dont j’Êtais certaine c’est

Le Cas Sneijder

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Le DĂŠvouement du suspect X

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Keigo Higashino Actes Sud 316 pages, 21 euros

Tokyo. Vous ĂŞtes secrètement amoureux de votre voisine, sĂŠduisante mère cĂŠlibataire. Le jour oĂš celle-ci tue son ex-mari qui venait la harceler, sans hĂŠsiter, vous O¡DLGH] j FDFKHU OH FRUSV &RPPH YRXV rWHV VXSpULHXrement intelligent (vous ĂŞtes un cador des mathĂŠmaWLTXHV YRXV OH FDFKH] WUqV ELHQ 9RXV LQYHQWH] PrPH pour la criminelle un alibi plus solide encore que votre carapace de vieux garçon. Le crime parfait, ou presque. &H TXH YRXV QH VDYH] SDV F¡HVW TXH OD SROLFH GpVHPSDrĂŠe, a fait appel Ă un physicien, qui vous a bien connu Ă l’universitĂŠ, et qui ne tarde pas Ă voir que vous en SLQFH] SRXU OD YRLVLQH Le DĂŠvouement du suspect X n’est pas seulement un polar au suspense tenaillant. C’est une partie d’Êchecs entre deux grands cerveaux (l’un logique, l’autre LQWXLWLI SRXU TXL O¡HQTXrWH HVW O¡RFFDVLRQ GH UpSRQGUH Ă cette ĂŠnigme qui les passionne : ÂŤ Quel est le plus VLPSOH WURXYHU OD VROXWLRQ G¡XQ SUREOqPH RX YpULĂ€HU OD solution trouvĂŠe par quelqu’un d’autre ? Âť 9RXV DYH] TXDWUH KHXUHV Âł Bertrand Guillot

Cheese Monkeys Chip Kidd Inculte 237 pages, 18 euros Quand il dĂŠbarque Ă l’universitĂŠ, comme il le raconte dans ce premier roman bâti comme une rĂŠjouissante satire de teenage movie, le futur pape du design imprimĂŠ Chip Kidd est un ado mal dĂŠgrossi, dont les sentiments peu originaux sont sauvĂŠs par de belles formules : ÂŤ Si Job en personne avait ĂŠpousĂŠ ma mère, il serait veuf Ă prĂŠsent, et purgerait une peine Ă perpĂŠtuitĂŠ. Âť Il se SDVVLRQQH VDQV HVSRLU SRXU GH VXIĂ€VDQWHV SLVVHXVHV (ÂŤ Les gens comme elle sont toujours maquĂŠs, et les gens comme moi ont toujours un livre Ă la main ÂŞ HW ses conversations de promo taquinent la scatologie, quoiqu’avec esprit (ÂŤ Je crois >ÂŤ@ qu’elle ne serait mĂŞme pas capable d’apprendre Ă une merde Ă puer Âť ; ÂŤ Il prenait sa merde pour du dentifrice ÂŞ Heureusement pour lui, sa trajectoire croise celle de Winter Sorbeck, professeur ÂŤ d’art comPHUFLDO ÂŞ GH JUDSKLVPH GRQF XQH VRUWH GH 'U +RXVH prompt Ă affubler ses disciples de surnoms ridicules et leurs Ĺ“uvres balbutiantes de saillies tour Ă tour gĂŠniales (ÂŤ Le destin a donnĂŠ des citrons Ă Miss Toute Belle, et elle en a fait de la limonade. Tant mieux pour elle >ÂŤ@ Dommage qu’elle ait choisi de la boire et qu’à l’arrivĂŠe ce soit devenu de la pisse ÂŞ RX LQIHFWHV Š Âł Je l’ai ĂŠcrit hier soir. — Avec quoi, la main qui ne tenait pas la seringue ? ÂŞ &RXS GH FKDQFH FDU j VRQ FRQWDFW DX prix de bleus et bosses, il dĂŠcouvrira ce qu’est le design. ,QVWUXFWLI j V¡HQ IDLUH SpWHU OHV ]\JRPDWLTXHV Âł F. P.

ET AUSSI Pour les amateurs de royautĂŠ contrariĂŠe, de voyages philosophiques et de gĂŠniales sorties de route, lisez Oliver VII d’Antal Szerb chez Viviane Hamy et Je reste roi d’Espagne de Carlos Salem chez Actes Sud. Couronne offerte aux dÊçus, Ă rĂŠclamer auprès de la rĂŠdaction. — F. P. numĂŠro 34 — 183

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littĂŠrature papiers Chroniques (suite)

Autogenèse Erwan Larher Michalon 462 pages, 21 euros

LE COIN BD

Edward Gorey

LES ENFANTS FICHUS Attila 52 pages, 9 euros NoĂŤl est passĂŠ, bienvenue en enfer, les enfants. Sous-titrĂŠ La Cloche a sonnĂŠ, ce bel ouvrage graphique GH UppGLWp GDQV XQH QRXYHOOH traduction de Ludovic Flamant, propose une liste de vingt-six enfants dont chacun des trĂŠpas imminents est joliment fredonnĂŠ en comptine de dix pieds en anglais, devenue alexandrin en français. ÂŤ I pour Ida Ă qui / l’eau ne faisait pas peur. Âť Sur le dessin, une jolie gamine blonde aux habits blancs se penche de la barque pour toucher du GRLJW VRQ UHĂ HW GDQV O¡HDX QRLUH GX SODQ G¡HDX $VVLVWH] pJDOHPHQW DX[ dernières minutes de Fanny : ÂŤ F pour Fanny vidĂŠe / d’un baiser de sangsue. ÂŞ 0HQWLRQ VSpFLDOH HQĂ€Q pour Neville, petite tĂŞte dissimulĂŠe par une immense fenĂŞtre : ÂŤ N pour Norman frappĂŠ / d’un ennui trop profond. Âť Vingt-six tableaux macabres de Gorey, mort dans son IDXWHXLO HQ *pQLDO PDORWUX LO est ĂŠgalement l’inspirateur direct de la Triste Fin du petit enfant huĂŽtre GH 7LP %XUWRQ Âł F. P.

Pat Mills & Joe Colquhoun

LA GRANDE GUERRE DE CHARLIE

Çà et LĂ /360 Media Perspective 112 pages, 19,50 euros Quand Charlie Bourne, gentil couillon nĂŠ avec le siècle, s’engage j DQV GDQV O¡DUPpH DQJODLVH SRXU aller combattre les Allemands dans la Somme, il ne semble pas particulièrement bien armĂŠ. Ses lettres Ă ses parents l’attestent, qu’il ne cesse d’envoyer du dĂŠbut (ÂŤ -H VXLV HQĂ€Q arrivĂŠ au front et c’est loin d’être aussi affreu >VLF@ qu’on le dit ÂŞ j OD Ă€Q Š Cher Maman, Merci pour le formidable GATEAU d’aniversaire ÂŞ WDQGLV TX¡LO V¡HQIRQFH HQ tranchĂŠe, en horreur absurde, en cauchemar de barbaque. InitialePHQW SXEOLpHV GDQV OHV DQQpHV HW OHV FRORQQHV GX PDJD]LQH EULWDQnique Battle, ces planches saluĂŠes par Alan Moore (Watchmen IRQW l’objet d’une rĂŠĂŠdition française. Deuxième tome en avril. Ça claque. Âł F. P.

Š Serena Eller Vainicher

ÂŤ Il se rĂŠveilla nu dans un lit inconnu, dans une chambre inconnue, avec, au bout de jambes inconnues, des pieds ordinaires. Âť L’homme dont il est question n’a pas seulement perdu sa mĂŠmoire et son identitĂŠ ; hormis les savoirs fondamentaux (lire, ĂŠcrire, raisonQHU VRQ FHUYHDX HVW YLGH GH WRXW UHSqUH VRFLDO Et le voici parti Ă la dĂŠcouverte du monde, comme un Candide moderne. Dehors l’attendent de mystĂŠrieux ennemis, une ange-gardien, et un destin vers lequel il avance comme pieds nus, bousculant nos ĂŠvidences avec son seul bon sens. On retrouve dans Autogenèse ce qu’on avait aimĂŠ dans le premier roman d’Erwan Larher, Qu’avez-vous fait de moi ? : un rythme qui faiblit rarement, une ĂŠcriture toujours sur le Ă€O HQWUH UpHO HW VXUQDWXUHO XQ IRLVRQQHPHQW GH personnages secondaires (mention particulière DX MRXUQDOLVWH VFKL]RSKUqQH PL 33'$ PL -XOLHQ &RXSDW HW FHWWH FROqUH WHLQWpH G¡KXPRXU qui sourd entre les lignes. Pour faire passer ses idĂŠes, Larher a choisi la voie du radicalburlesque. C’est peut-ĂŞtre la meilleure façon G¡rWUH SULV DX VpULHX[ Âł B. G.

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livres CARTE BLANCHE À TRISTAN GARCIA CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP !

Tristan Garcia vient de publier Forme et Objet – un traité des choses (PUF), mammouth métaphysique en porcelaine de Limoges, et s’apprête à sortir en mars un essai sur Six Feet Under (PUF également) ainsi qu’un recueil de nouvelles sur le sport, En l’absence de classement final (Gallimard), avant de tenter « le marathon d’Amsterdam à reculons et les yeux bandés ».

Pour comprendre le capitalisme US, volez JR ! A 17 ans, JR était mon roman préféré de tous les temps. J’avais aimé Les Reconnaissances du NewYorkais William Gaddis (1922–1998), mais son JR était différent ; c’était mon livre, la réalisation idéale de ce que j’attendais de la littérature : de l’oralité (tout le livre, qui compte mille pages, est dialogué), un portrait déformé mais fidèle de la réalité économique et politique, des péripéties picaresques, de la drôlerie, une intellectualité forcenée. L’ennui, c’est que JR, qui datait de 1975, avait sombré dans l’oubli et n’était plus réédité. J’ai donc volé l’exemplaire de la bibliothèque municipale. Le même jour, un entrefilet de Libération annonçait la mort de l’auteur. J’étais maudit. Je l’ai souvent relu. JR conte l’histoire d’un gamin de 11 ans aux baskets usées, le « Junior » du titre, dans une école new-yorkaise à la pointe du progrès pédagogique. Dans cet établissement, on enseigne aux enfants par vidéo et, afin de les sensibiliser à la grandeur de « l’Amérique, mon garçon ! », on les emmène à Wall William Gaddis JR

© Caroline de Greef

1069 pages, 26 euros, Fayard

Street, où la classe fait l’acquisition d’une action symbolique. A partir de ce petit bout de papier, le rusé Jr. spécule par téléphone, en contrefaisant sa voix. Chaos du langage Misant sur les fourchettes en plastique, il se retrouve à la tête d’un empire financier suite à une pénurie soudaine des cantines de l’armée américaine. Jr. engage alors comme secrétaire un artiste désargenté, Edward Bast, qui cherche depuis des années à composer une œuvre de musique dodécaphonique mais doit, pour gagner sa vie, écrire la bande-son du documentaire animalier d’un millionnaire amateur de chasse aux gnou. Le musicien, passé aux ordres du gamin, s’installe dans un appartement de l’East 96th Street, métaphore vivante de l’entropie, du désordre universel : les cartons à pizza s’accumulent, une radio allumée jour et nuit a été perdue dans le salon, un robinet défectueux inonde peu à peu ce vaste bordel, également investi par une jeune fille peu farouche. Mais le chaos fascinant du roman tient d’abord au langage : fonctionnant comme une ronde, le texte retranscrit le dialogue entre deux personnes puis copie-colle sans transition la conversation suivante d’un des deux interlocuteurs, et ainsi de suite. « De l’argent… ? » sont les premiers mots du livre. « Tu m’écoutes ? Hé ? Tu m’écoutes… ? », les derniers. Entre-deux, le carrousel du capitalisme américain des années 70, des paroles, du bruit, de l’accumulation des objets, des déchets, des rires, un peu d’amour, une mince mais tenace croyance en l’art, et le vertige du monde. C’était le roman de mes 17 ans. Fayard l’a réédité cet automne. Achetez-le. Sinon, faites comme moi : volez-le. —

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art palettes Richesse de l’art pauvre

entretien Timothée Chaillou

Après le Palais de Tokyo et la Fondation Ricard, le jeune plasticien français Gyan Panchal participe à l’exposition Pour un art pauvre, au Carré d’Art de Nîmes – référence explicite à l’Arte Povera*. L’occasion de mieux cerner sa démarche, à travers son rapport à la matière, et la confrontation entre synthétique et naturel – pierre/craie, polypropylène/écorce… pour une exploration généalogique des matériaux qui composent notre quotidien, du pétrole brut au polystyrène qui encombre nos poubelles : « Je me souviens de ce qui jonchait le sol une fois les cadeaux déballés. » Tu utilises des matériaux légers, pouvant circuler facilement, alors que les artistes de l’Arte Povera s’intéressaient à l’or, au bronze… Gyan Panchal : A l’opposé de ces artistes italiens, je m’intéresse à des matériaux sans qualité, sans « historique », sans passé. Des matériaux d’aujourd’hui, dénués de valeur esthétique, servant même à emballer

ce qui a de la valeur. Face à ce dénuement, je m’interroge sur leur origine. Que cachent-ils sous cette apparente pauvreté ? Leur origine commune est le pétrole. Ils se situent au bout de la chaîne de notre économie actuelle, ce sont les derniers avatars d’une longue synthèse. Je me demande alors s’ils contiennent encore quelque indice sur leur nature originelle. J’arrive sans doute trop tard. Ces matières provisoires, précaires, d’une « éphémère destinée », dis-tu ; au faible degré de solidité et d’iconicité, évoquent-elles une envie de désencombrement ? Je souhaite juste prêter attention à ce que l’on considère comme rebut, chargé d’une histoire qu’aucun objet fonctionnel ne saurait porter en lui-même. Le temps de recherche des matériaux est-il plus long TXH OHXU PRGLÀFDWLRQV " Il s’agit d’un même mouvement dans le temps. Ce procédé prime-t-il sur les idées que les formes expriment ?

© Bertrand Huet

Gyan Panchal : emballante généalogie de l’emballage

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Vue de l'exposition Pour un art pauvre

A gauche

Š Marc Domage

Kutis 1, 2009 Courtesy Galerie Frank Elbaz

La forme ne m’intĂŠresse pas en tant que telle. La sculpture va se former, presque de façon accidentelle, en relation Ă l’espace. Ici, elle va avoir besoin du mur pour tenir debout ; lĂ , elle va donner l’air de marcher. Dans ta production, il y a souvent rencontre : polysW\UqQH DUJLOH SLHUUH FUDLH SOH[LJODV Ă€OP SURWHFWHXU polypropylène anti-racine/ĂŠcorce de bambou, etc. J’essaie de renouer un dialogue entre matĂŠriaux de V\QWKqVH HW QDWXUHOV 8Q EkWRQ GH IXVDLQ HVW Ă€FHOp j XQH cartouche de toner usagĂŠe. La poudre de charbon se mĂŞle Ă la poudre de polymère, dans la reconstruction d’un langage commun. Sur la cartouche, on peut lire : ÂŤ brother Âť. Tu utilises ÂŤ des isolants que l’on trouve dans l’architecture, derrière les murs, les planchers, les plafonds Âť. L’Allemand Joseph Beuys (1921-1986) a travaillĂŠ des matĂŠriaux organiques tels que le

feutre ou la graisse. Sa dĂŠmarche insistait sur l’aspect social de l’art, envisageant chaque homme comme un artiste potentiel, dont la crĂŠativitĂŠ serait le moyen de sa libertĂŠ. Est-ce de mĂŞme pour toi ? De quoi veux-tu t’isoler ? De l’altĂŠritÊ‌ L’acĂŠtate des doublures de vĂŞtements ou OH SRO\VW\UqQH GHV FORLVRQV QRXV GpĂ€QLVVHQW HQ IRQFWLRQ d’un dehors, comme de multiples parois nous protĂŠgeant. La sculpture est peut-ĂŞtre une façon d’accepter FHWWH VpSDUDWLRQ GH UHQRXHU FH OLHQ TXL QRXV VpSDUH Âł 0RXYHPHQW DUWLVWLTXH LWDOLHQ GHV DQQpHV TXL GpĂ€DLW O¡LQGXVtrie culturelle et la sociĂŠtĂŠ de consommation en privilĂŠgiant le geste FUpDWHXU j O¡REMHW Ă€QL 'DQV OHXU UpĂ H[LRQ VXU OD GLDOHFWLTXH HQWUH nature et culture, les artistes de l’Arte Povera utilisaient de l’or, GX EURQ]H GH OD JODFH GX SORPE GHV PDWpULDX[ FHUWHV LGpDOLVpV comme ÂŤ purs Âť mais chargĂŠs symboliquement. Pour un art pauvre (inventaire du monde et de l’atelier)

Exposition collective, CarrÊ d’Art de NÎmes, jusqu’au 15 janvier numÊro 34 — 187

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art

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palettes MagnĂŠtique

par Patricia Maincent

Au dĂŠtour d’un couloir du musĂŠe d’Art moderne, un mirage : deux boucles ondulent, se mĂŞlent et se dĂŠmĂŞlent sur le rythme irrĂŠgulier G¡XQ FRXUDQW G¡DLU &¡pWDLW HQ &HW KLYHU O¡LQVWDOlation Flux, moment magique crĂŠĂŠ par un ventilateur et deux cercles de bandes magnĂŠtiques, est visible du Centre Pompidou. L’artiste lituanien Zilvinas Kempinas, quarantenaire vivant Ă New York, travaille GHSXLV XQH GL]DLQH G¡DQQpHV DYHF FHV pOpPHQWV UpFXpĂŠrĂŠs de cassettes audio, betacam, mini DV. Selon leur largeur et leur poids, elles dessinent des lignes et YROXWHV SXOVpHV SDU XQ VRXIĂ H pOHFWULTXH ,PSUHVVLRQQDQW YLVXHOOHPHQW O¡DUWLĂ€FH HVW H[WUrPHPHQW VLPSOH la mise en forme, minimale. Comme une force invisible TXL DQLPHUDLW OHV Ă€OV OD VXVSHQVLRQ VDYDPPHQW pWXGLpH tient Ă la puissance de ventilateurs et ĂŠventuellement GHV VXSSRUWV PXU VRFOH RX VRO TXL UHQYRLHQW O¡DLU L’aspect technique dĂŠjouĂŠ, restent la magie et l’ironie G¡XQH IDVFLQDWLRQ SRXU XQ Ă€O TXL YROH DX YHQW LPDJH GH GpĂ€OHPHQW GX WHPSV G¡XQ pWHUQHO UHFRPPHQFHPHQW rĂŞve d’apesanteur. Dans ce mouvement inattendu et VSRQWDQpÂŤ XQ VRXIĂ H GH OLEHUWp FKHYHX[ DX YHQW L’idĂŠe de nostalgie s’appuie sur le vestige d’une technologie innovante devenue obsolète, et sur sa fonction originelle : l’enregistrement, l’empreinte d’un instant.

UtilisĂŠe Ă contre-emploi pour ses qualitĂŠs physiques de lĂŠgèretĂŠ et de rĂŠsistance, cette petite bande marron, prĂŠcieuse et fragile, vĂŠhicule une forte valeur sentimentale. GĂŠomĂŠtries industrielles RĂŠcemment exposĂŠes Ă la Galerie Yvon Lambert Ă Paris, les dernières Ĺ“uvres de Zilvinas Kempinas PDUTXHQW XQ WRXUQDQW 6¡LO UHVWH Ă€GqOH j VRQ PDWpULDX c’est pour accrocher aux murs des objets plus conventionnels d’un aspect quasi industriel. Des rĂŠseaux de bandes magnĂŠtiques crĂŠent des motifs gĂŠomĂŠtriques recouverts de rĂŠsine. Quelques traces animent les VXUIDFHV UpĂ pFKLVVDQWHV UpYpODQW OHXU H[pFXWLRQ manuelle. Toujours rĂŠsolument inscrites dans l’espace, les pièces, rĂŠactives Ă l’environnement, crĂŠent des variaWLRQV OXPLQHXVHV HW FHUWDLQHV ODLVVHQW SHQGUH OHV Ă€OV TXL remuent au passage du public. Les qualitĂŠs plastiques de lumière et de mouvement sont toujours au cĹ“ur du propos. Peut-ĂŞtre plus convenue et moins radicale, cette dernière exposition, Lucid Dream, laissait tout de mĂŞme songeur sur l’Êvolution de cet ĂŠtonnant artiste et de sa EDQGH Âł

Double O Magnetic tape, fans Dimensions variables, 2008 Edition 2/6 Courtesy Yvon Lambert

Flux

MusÊe d’Art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris Jusqu’au 30 avril

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vvvvvvvvvv

palettes DĂŠlicatesse

DOMINIQUE BLAIS : DU BRUIT POUR LES YEUX

Êchappe est au cœur d’un travail qui scrute l’invisible, capte l’infra-mince et Êcoute l’imperceptible pour jouer subtilement de ces contradictions. Le matÊriau  sonore  enregistrÊ est ensuite utilisÊ pour diffÊrentes installations. Œuvre sans nom,   OH UHWUDQVPHW HQ XQ PXUPXUH par deux casques vintage formant un cercle, chaque Êcouteur Êtant reliÊ à l’autre. Old school et haute technologie crÊent un anachronisme.

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par Patricia Maincent (Ă Reims)

Sans titre (Melancholia) #3, 2008 Disque, tournedisque, hautparleurs, câbles Collection privÊe Courtesy Dominique Blais et Galerie Xippas

InvitĂŠ Ă La Fabrique Sonore – qui rĂŠunit au domaine Pommery des artistes autour du son et l’instrumentalisation de l’objet qui le produit –, Dominique Blais a choisi d’y installer Sans titre, Les Disques rouges GHV UpSOLTXHV HQ JUqV de cymbales, disposĂŠes au ras du sol, crĂŠent de subtils tintements de pierre, qui rĂŠsonnent dans les crayères que les propriĂŠtaires des caves Ă champagne mettent Ă disposition des commissaires d’exposition chaque annĂŠe depuis neuf ans. Ce dĂŠtournement n’est pas nouveau pour Dominique %ODLV (Q DORUV TX¡LO pWDLW HQ UpVLGHQFH GDQV OH cercle arctique, il a chassĂŠ les frĂŠquences radio VLF, inaudibles Ă l’ouĂŻe humaine. Cette quĂŞte de ce qui nous

Disque rayĂŠ Dans Whitehouse ÂŤ A Cunt Like You Âť 5’57 (1998), qu’il rĂŠalise en OH VRQ GHYLHQW LPDJH 8Q dessin est gĂŠnĂŠrĂŠ par la vibration d’enceintes Ă plein volume sur lesquelles est posĂŠe, pendant la durĂŠe d’un morceau, une feuille avec de la poudre de fusain. LĂ encore, c’est en alliant la technologie et la WUDGLWLRQ FODVVLTXH OH IXVDLQ TXH OHV frĂŠquences – celles, extrĂŞmes de la musique du groupe anglais Whitehouse – prennent vie. Elles s’amoncellent en une surface dĂŠlicate sur le papier. A la puissance sonore s’associe la pauvretĂŠ du graphite, au vinyle vintage, la composition bruitiste contemporaine. C’est aussi le cas avec Sans titre (Melancholia), un tourne-disque entièrement GpPRQWp TXL SHQG DFFURFKp SDU VHV Ă€OV GH EUDQFKHPHQW Encore en fonctionnement, il tourne en boucle sur le dernier sillon ; inlassablement, le bruit par dĂŠfaut du GLVTXH UD\p OH VRXEUHVDXW GH OD Ă€Q GHYLHQW PXVLTXH La machine se dĂŠmatĂŠrialise, rendant apparent le squelette d’une ĂŠpoque mĂŠcanique. Les motifs rĂŠcurrents de Blais, cercle, boucle, dĂŠclinĂŠs en sculptures, sons, dessins, installations ou vidĂŠos sont les images d’un WHPSV GRQW LO GRQQH OXL PrPH OD PHVXUH Âł Sans titre (Les Disques rouges)

La Fabrique sonore, ExpÊrience Pommery #9, Reims Jusqu’au 31 mars numÊro 34 — 189

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art palettes Salle des machines

par Gilles Baume (Ă Londres)

Comment rĂŠsister Ă l’invasion numĂŠrique ? La Britannique mid-career Tacita Dean pose une rĂŠponse en plein cĹ“ur de la Tate 0RGHUQ 'HSXLV XQH YLQJWDLQH G¡DQQpHV OH Ă€OP HVW son matĂŠriau de prĂŠdilection, Ă cĂ´tĂŠ du dessin ou de l’installation d’objets et d’images. Avec sa camĂŠra, elle scrute longtemps ses sujets, avec rigueur et VXU XQ U\WKPH SRVp 'LIIpUHQWV SODQV Ă€[HV SRXU OD plupart, ÂŤ peignent Âť des lieux et architectures ĂŠtranges (l’Êtrange Bubble House, maison abandonnĂŠe situĂŠe sur les ĂŽles CaĂŻmans, un baobab en Afrique, un restauUDQW SDQRUDPLTXH GDQV OD )HUQVHKWXUP GH %HUOLQÂŤ ou des ĂŞtres humains. De petites vignettes de temps ĂŠtirĂŠ, se dĂŠveloppant en durĂŠe ĂŠtendue plutĂ´t que par le mouvement. Les expositions de Tacita Dean mettent en scène la magie du dispositif du cinĂŠma, Ă la fois PDFKLQH OH SURMHFWHXU HW OXPLqUH OH IDLVFHDX A la diffĂŠrence de ses compatriotes Steve McQueen (rĂŠalisateur de Shame VRUWL HQ GpFHPEUH GHUQLHU ou Sam Taylor-Wood (rĂŠalisatrice de Nowhere Boy, 7DFLWD QH FKHUFKH SDV j LQĂ€OWUHU O¡LQGXVWULH GX e art. Son rapport au grand ĂŠcran se situe dans une

approche beaucoup plus artisanale et directe, loin des dimensions narratives et collectives qu’implique la production d’un long-mÊtrage. Elle revendique même un rapport tactile au matÊriau, manipulant la pellicule en solitaire sur le banc de montage. La quête d’une certaine puretÊ l’anime donc et l’on est loin d’une dÊmarche qui viendrait citer ou rejouer les codes culturels d’un art populaire.

Poses de camĂŠra Entre goĂťt pour la rencontre et l’exigence, Tacita 'HDQ VRXIĂ H OH FKDXG HW OH IURLG HW O¡KXPDQLVPH GH son Ĺ“uvre se double toujours d’une forte dimension FRQFHSWXHOOH HW UpĂ H[LYH $LQVL Kodak vient-il documenter le processus de dĂŠveloppement de la pellicule dans une usine française, au moment oĂš celle-ci ferme ses portes. La sĂŠquence met en exergue l’essence mĂŞme de la nature du support dans un troublant effet de mise en abyme. Les instants enregistrĂŠs par la camĂŠra ne se reproduiront plus, ce qui nĂŠcessairement gĂŠnère une forme de mĂŠlancolie, comme lorsqu’elle pose sa camĂŠra dans le studio du chorĂŠgraphe Merce

TD05, The Unilever Series: Tacita Dean Photo Š Lucy Dawkins Courtesy l’artiste, Frith Street Gallery, London and Marian Goodman Gallery, New York/Paris TD37, The Unilever Series: Tacita Dean Courtesy l’artiste, Frith Street Gallery, London and Marian Goodman Gallery, New York/Paris

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sĂŠlection

Agenda Maurizio Cattelan All

Guggenheim Museum, New York Jusqu’au 22 janvier

Exposition collective Alice in Wonderland

Tate Liverpool, Angleterre Jusqu’au 29 janvier

Johan Grimonprez It’s a Poor Sort of Memory that Only Works Backwards

S.M.A.K., Gand Jusqu’au 29 janvier

Georges Tony Stoll Exposition personnelle

La Galerie, CAC Noisy-le-Sec Jusqu’au 11 fÊvrier

&XQQLQJKDP OH Ă€OPDQW GH ORQJXHV KHXUHV GDQV OHV derniers mois de sa vie, Ă la recherche d’une vĂŠritĂŠ du VXMHW HW GH O¡DFWH FUpDWHXU RX ORUVTX¡HOOH Ă€OPH ORQJXHPHQW OH YLVDJH PDUTXp GH O¡,WDOLHQ 0DULR 0HU] La mĂŠthode de Tacita Dean, anti-spectaculaire par de nombreux aspects, n’exclut pas le spectateur pour autant et trouve mĂŞme aujourd’hui Ă exister Ă l’occasion de cette commande pour le monumental Turbine Hall, ex-salle des machines au centre de la Tate Modern (ancienne usine G¡pOHFWULFLWp LPPHQVH FDWKpGUDOH LQGXVWULHOOH Film est une installation conçue comme un hommage au cinĂŠma, et s’appuie sur la projection grand format d’un Ă€OP HQ PP PXHW GH RQ]H PLQXWHV /H IRUPDW SDQRramique cinĂŠmascope, renversĂŠ Ă la verticale, souligne la forme du ruban, habituellement invisible au regard. /HV LPDJHV TXL GpĂ€OHQW IRUPHV DEVWUDLWHV RX REMHWV VRQW encadrĂŠes par les encoches de la pellicule. Loin d’une lamentation nostalgique sur la mort du cinĂŠma, le dĂŠveloppement de Tacita Dean est constructif et rĂŠinvestit ce mĂŠdium en tant que langage plastique vivant, portĂŠ ici Ă une ĂŠchelle monumentale inĂŠdite. On retrouve cette inĂ XHQFH GDQV OHV Ă€OPV LQVWDOOpV GH OD MHXQH ,WDOR DOOHPDQGH Rosa Barba, du Danois conceptuel Joachim Koester, ou GDQV OHV Š Ă€FWLRQV SRpWLTXHV SKLORVRSKLTXHV ÂŞ GHV 3RUWXJDLV -RmR 0DULD *XVPmR HW 3HGUR 3DLYD Âł Tacita Dean, Film The Unilever Series, 2011

Tate Modern, Turbine Hall, Londres Jusqu’au 11 mars

Exposition collective Le Sentiment des choses

Le Plateau, Frac Ile-de-France, Paris Jusqu’au 26 fÊvrier

Exposition collective SociĂŠtĂŠs secrètes – Savoir, Oser, Vouloir, Garder le silence

CAPC, Bordeaux Jusqu’au 26 fÊvrier Vik Muniz Le MusÊe imaginaire

Collection Lambert en Avignon, Eglise des CÊlestins Jusqu’au 13 mai

Carsten HĂśller Double Carousel With ZĂśllner Stripes

MACRO, musÊe d’Art contemporain de Rome Jusqu’au 26 fÊvrier

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art palettes C’est pas vrai !?

Marc Bauer Cinema, 2009 Crayon gris et noir sur papier Collection Hauser&Wirth, Suisse

LE MONDE S’EFFACE DANS UN HANGAR À BANANES par Patricia Maincent (à Nantes)

Le rĂŠel est inadmissible d’ailleurs il n’existe pas. Ce titre pĂŠremptoire invite le public Ă l’introspection et aux doutes lorsqu’il pĂŠnètre dans cette exposition au Hangar Ă bananes de Nantes. Quand on se laisse gagner par le langage d’un artiste, sa vision Q¡DJLW HOOH SDV FRPPH XQ Ă€OWUH VXU FH TXL QRXV HQWRXUH " L’image des cĂŠlĂŠbritĂŠs ne se confond-elle pas avec les portraits qu’en a faits Warhol ? De la mĂŞme manière, la PDWpULDOLWp GH OD SHOOLFXOH VXSHU Q¡D W HOOH SDV FRORULVp OH VRXYHQLU GHV DQQpHV OH Ă€OWUH SRODURwG GH O¡L3KRQH ne sera-t-il pas la matière des souvenirs des annĂŠes " $[pH DXWRXU GX Ă€OP GH -LP -DUPXVFK The Limits of Control SURMHWp GDQV XQH SHWLWH VDOOH OD VpOHFWLRQ des Ĺ“uvres s’est opĂŠrĂŠe sur le lien entretenu avec la rĂŠalitĂŠ. Si le prĂŠtexte semble un peu gratuit, les pièces rĂŠunies sont intenses tant pour leur qualitĂŠ plastique que pour leur sujet. La peinture du Français Philippe &RJQpH TXL Ă RXWH VHV WRLOHV j O¡DLGH G¡XQ IHU j UHSDVVHU est âpre et tendue, comme s’il redessinait les contours de ses formes Ă coups de poings. Les surfaces, Ă première vue abstraites, d’Eberhard Havekost, semblent des rĂŠsidus d’image sur notre paupière, une fois close. Le Britannique Darren Almond utilise l’appareil photo pour peindre les paysages au clair de lune. Ses images,

rĂŠalisĂŠes les nuits oĂš l’astre est plein, ont une lumière due Ă un long temps de pose, qui n’a aucun lien avec la colorimĂŠtrie du regard humain. L’ÊtrangetĂŠ des clichĂŠs tient Ă ce que l’on croit reconnaĂŽtre. Mais Le rĂŠel est inadmissible n’est pas un simple exposĂŠ sur la Ă€JXUDWLRQ Quels garants avons-nous face Ă ce qui semble vrai ? Certaines images connues ne sont parfois qu’extrapolation. En choisissant de reproduire des vues du logiciel Google Earth, Philippe CognĂŠe prend pour point de dĂŠpart une de nos ÂŤ images du monde Âť qui n’a d’existence que virtuelle. Son choix, portĂŠ sur un ensemble de bâtiments qui, vu du dessus forme les lettres HIU, manifeste une quĂŞte de signes ou d’absurditĂŠ de signes, comme si l’agencement de ce qui nous entoure comprenait un texte sous-jacent. A l’entrĂŠe du hangar, un immense dessin du Suisse Marc Bauer montre une salle de cinĂŠma : l’Êcran est EODQF OH Ă€OP HVW GDQV OD VDOOH R OHV IDXWHXLOV IRQGHQW /H UpHO EU€OH Âł

Le rÊel est inadmissible d’ailleurs il n’existe pas

Hangar à bananes - Hab Galerie, Île de Nantes Jusqu’au 5 fÊvrier

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CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP

art CARTE BLANCHE À IDA TURSIC & WILFRIED MILLE Le couple dijonnais le plus fidèle de nos pages art sera présent dans l’exposition The Deer (curatée par Eric Troncy) au Consortium de leur ville natale jusqu’au 10 mars prochain.

26e Dragon

2011 Huile sur bois, 26 x 33 cm Courtesy Galerie Almine Rech, Bruxelles

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jeux vidĂŠo players Leader

anonymes, Call Of Duty, jeu symptĂ´me de notre temps, cristallise mieux qu’aucun autre cette abstraction totale de l’icĂ´ne vidĂŠo-ludique HD. Master Chief, dĂŠjĂ un artefact ? Deuxième VHPHVWUH OH FRQWUHSLHG WRWDO HVW opĂŠrĂŠ. Uncharted 3 fait sa mise au point VXU OHV WUDXPDV HQIDQWLQV GX MXVTXH Oj falot Nathan Drake, Modern Warfare 3 entreprend de recoller les pièces d’un SX]]OH VFpQDULVWLTXH MXVTXH Oj LPELtable, et Rage ]DSSH YRORQWDLUHPHQW OH PRGH PXOWL SUHVTXH GRQQp SRXUWDQW DX SURĂ€W G¡XQH campagne solo aux accents mythologiques. Bonne nouvelle : on joue encore pour s’entendre raconter GHV KLVWRLUHV /HV ERXUULQV GH FKH] (SLF *DPHV RQW poussĂŠ ce credo dans ses derniers retranchements avec le troisième acte de la saga Gears Of War. Un bon coup de polish sur une section multi en pilote automatique, et tous les efforts concentrĂŠs sur l’Êcriture d’une campagne solo anthologique, oĂš les coups portĂŠs font mal au bide et l’action se conjugue au renoncement. DĂŠlaissant le second degrĂŠ qui dĂŠsamorçait le potentiel mĂŠlancolique de la saga, GoW3 travaille consciencieusement les motifs dramaturgiques en sommeil pour s’achever dans un nuage de poussière mortifère, face Ă XQ PRQGH j UHFRQVWUXLUH (Q Ă€Q GH FRXUVH OHV FRQVROHV HD ont ĂŠlu leur icĂ´ne, un type sĂŠvèrement burnĂŠ et seul j HQ FUHYHU 6RQ QRP 0DUFXV 3KRHQL[ Âł

rubrique supervisÊe par François Grelet & Benjamin Rozovas

Le rĂŠcent remake de Halo Combat Evolved nous a au moins permis de mesurer ça : l’Êcart monstrueux en termes de storytelling entre les blockbusters prĂŠ-ADSL et ceux de notre ĂŠpoque connectĂŠe. Hier, le multi n’Êtait qu’un vague bonus pour les ĂŠlites qui goĂťtaient aux joies de l’internet illimitĂŠ, aujourd’hui c’est un argument de vente massif qui se nĂŠgocie Ă coups de maps YHQGXHV GROODUV O¡XQLWp /H JUDQG perdant dans ce jeu de massacre, ce sont les campagnes solos, moins entĂŞtantes, moins lyriques, envisagĂŠes comme un long tutoriel ou comme un passe-temps Ă siroter lorsque les serveurs ne rĂŠpondent plus. Un scandale ? Non, juste une mutation de l’objet-jeu, moins autiste, plus convivial, Ă la durĂŠe de vie dĂŠsormais LQĂ€QLH Bourrins burnĂŠs Contrecoup de ce bain de foule, les hĂŠros, eux, se sont chopĂŠ une sale gueule de bois. Avec ses personnages

Gears of Wars 3 (Epic Games/ Microsoft) Halo CE Anniversary (Bungie/Microsoft) Uncharted 3 (Naughty Dog/Sony) Rage (Id Software/Bethesda) Cod: Modern Warfare 3 (Sledgehammer Games/Activision)

Š DR

Que restet-il des campagnes solos ?

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players Question de timing

SI VOUS AVEZ 5 MINUTES…

Après avoir osé quelques vannes honteuses sur son titre, penser à réunir trois amis PC-istes (le jeu est injouable sur PS3) pour goûter aux joies, limitées mais bien réelles, de ce clone rigolo de Left 4 Dead, où des flic surarmés remplacent les zombies affamées. Zéro originalité mais une exigence tactique affolante qui fera mouiller les grands masos de la souris. (Overkill/Sony Online entertainment)

SI VOUS AVEZ 1 HEURE…

Vous reprendrez bien un peu de course auto qui tâche, la main droite à fond sur la gâchette d’accélération ? Pas la peine de faire la fine bouche, ce remake arcade et kaboom de Vanishing Point (un voyage à travers les US, d’Ouest en Est) se refuse d’autant moins qu’il se boucle en 120 minutes douche comprise. Gentiment médiocre, complètement addictif.

5MNS 1H Payday: The Heist

Need For The Speed: The Run

(EA Blackbox/EA)

SI VOUS AVEZ 1 MOIS… Rayman Origins

On n’est même pas sûr qu’une vie suffise si vous vous mettez en tête de faire exploser les différents time attacks, de découvrir les 4321 niveaux cachés et de récupérer les infernales « diamonds tooths ». Si vous vous en foutez, en revanche, 31 jours ne seront pas de trop pour vous remettre de sa beauté crayonnée, de ses extravagances de level design et de son mode coop orgasmique. La plateforme réinventée, comme si on avait encore 12 ans.

1 MOISS

© DR

(Ubisoft)

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jeux vidĂŠo players Looking Back

Ok, Game Over. On pose les manettes et on rend les copies

RÉTRO 2011 LE - NUL QU’IL EN AVAIT L’AIR MORTAL KOMBAT T/CARS 2/ DUKE NUKEM FOREVER

Des jeux vidĂŠo Ă l’ambiance de vestiaire et Ă l’humour bas de plafond, il y en a plein les bacs. Il n’y a mĂŞme que ça. Mais l’art de balancer petit grain de beauferie et gameplay enrichissant n’est pas donnĂŠ Ă tout le monde. Shadows et son hĂŠros tex-mex rĂŠussissent cet alliage imSRVVLEOH FRPPH XQ Ă€OP GH 5REHUW 5RGULJXH] UpXVVL LE + COINCÉ DU CUL DEUS EX: HUMAN REVOLUTION/DEAD ISLAND/ASSASSIN’S CREED REVELATIONS

LE – BIEN QU’IL EN AVAIT L’AIR HOMEFRONT/FEAR 3/ CHILD OF EDEN

C’Êtait le titre qui allait donner corps Ă la rĂŠvolution Kinect et livrer un aperçu de ce que seront les jeux de demain. Trop lui demander ? Une suite spirituelle de (mais infĂŠrieure Ă ) Rez oĂš lancer des boules de feu imaginaires vers sa tĂŠlĂŠ donne plus l’impression de prĂŠsenter son wallpaper Ă ses amis que d’être un homme du futur.

3RXU XQ MHX GH Gp]LQJXDJH GH ]RPELHV HQ open world qui a pour cadre les plages et resorts d’une Île paradisiaque, Dead Island ne parvient jamais à se dÊrider. Pas un pet d’humour, mais ce sont les mÊcaniques de jeu rouillÊes (augmenter sa machette  faillible  avant d’en trouver une  solide ) qui donnent la courante.

LE + SUSCEPTIBLE DE DEVENIR UN FILM DEAD ISLAND S/DEAD SPACE 2/GEARS OF WAR 3

On ne saura jamais tout Ă fait qui aura ĂŠtĂŠ le plus gĂŠnial dans cette affaire. Ceux qui ont conçu le jeu ou les responsables de son ÂŤ trailer Ă l’envers Âť. Trois minutes qui ont Ă€Op OD FKDLU GH SRXOH j WRXV OHV IDQV d’horreur de la planète. Et Hollywood de dĂŠgainer illico son gros chĂŠquier. Le jeu ? Quel jeu ? LE + SUSCEPTIBLE DE RINGARDISER LE CINÉMA UNCHARTED 3/L.A. NOIRE/ C.O.D. : MODERN WARFARE 3

Le prÊcÊdent ridiculisait toute une gÊnÊration de blockbusters, celui-là entreprend de mettre dix ans dans la vue à tous les studios hollywoodiens. Le gÊnie pyrotechnique poussÊ à son point de non-retour, mais pas que : à RZ des dialogues, personnages en abyme, grosse ambition mÊta. Pleure, Chris Nolan ! LE + BEAU MONDE CRÉÉ POUR NOUS DEUX EX: HUMAN REVOLUTION/ BATMAN: ARKHAM CITY/SKYRIMW

LE + BEAU MONDE CRÉÉ PAR NOUS TERRARIA/MINECRAFT/FOOTBALL MANAGER 2012

Je prends le chemin qui serpente pour rejoindre une chaĂŽne de montagnes cachĂŠe derrière la colline. Des cris de Troll rĂŠsonnent près de la rivière en contrebas. Je m’y aventure et dĂŠcouvre une grotte ensevelie dans le repaire de la bĂŞte. Et puis merde : la chaĂŽne de montagnes sera encore lĂ Ă mon retour.

Au dĂŠbut le chaos, les cailloux, et les monstres. Puis les fouilles, la rĂŠcolte, la maisonnette en bois qui se transforme en palace souterrain avec piscine intĂŠrieure. Dehors, les goules peuvent bien hurler Ă s’en faire pĂŠter la mâchoire : ce monde appartient Ă notre imaginaire capitaliste.

Š DR

LE + DÉCONTRACTÉ DU GLAND SHADOWS OF THE DAMNED S/BULLESTORM/DRIVER SAN FRANCISCO

Licence Ă l’abandon, esthĂŠtique Z, dĂŠveloppeur Ă la ramasse. La sainte TrinitĂŠ de la lose DFFRXFKH Ă€QDOHPHQW G¡XQ PLUDFOH pop qui sent un peu sous les bras. Le jeu de baston le plus jouissif, le plus vulgaire, le plus cuir moulant de l’ère HD. Y’a du ÂŤ Finish Him Âť dans l’air.

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LE + NEW’S COOL FROM DUST A 3DS/BULLETSTORM S

LE GIMMICK QUI PLOMBE LE MENSONGE-GRIMACE DE L.A. NOIRE/LES PNJ QUI DÉBLATĂˆRENT/DARK SOULS

Dans Dead Island LOV YRXV Ă€[HQW GH leurs yeux morts et vous ordonnent de remplir des tâches comme VL YRXV pWLH] OHXU Š ELWFK ÂŞ 3OXV aimables mais pas mieux animĂŠs dans Skyrim, ils vous rĂŠcitent la recette de l’hydromel sans que vous SXLVVLH] ERXJHU OD FDPpUD 6pULHXVHment, faut que ça s’arrĂŞte‌

Un FPS qui sent le neuf, c’est (encore) possible ? Le principe de  scoring  (tuer avec crÊativitÊ, gagner des points) courtcircuite le dirigisme absolu de ce genre de titres (suis le mec devant, emprunte ce couloir) et donne à l’ensemble des faux airs de  bac à sable . L’air de rien, un petit vent frais. LE + OLD’S COOL RAYMAN ORIGINS/DEUS EX: HUMAN REVOLUTION/BLINDING OF ISAAC

La tĂŞte plongĂŠe dans un futur cyberpunk, posant des questions ĂŠthiques d’une actualitĂŠ brĂťlante, Deus Ex: Human Revolution a aussi le chic pour nous ramener en arrière lorsque la plus petite erreur tactique pouvait ĂŞtre fatale et qu’il n’y DYDLW DXFXQH Ă qFKH j O¡pFUDQ SRXU QRXV indiquer le chemin. Cool as Ice.

LE SAUVETAGE LE + BATH LES EXCLUS SONY/MARIO, NOĂ‹L ET LA 3DS S/MW3 SURVIT AU SPLIT INFINITY WARD

Alors que ça commençait Ă sentir le sapin pour elle, la console portable de Big N dĂŠgaine l’artillerie lourde pour NoĂŤl. Deux Mario PLULĂ€TXHV 3D Land et Kart 7) qui font dĂŠjĂ exploser les ventes de hardware, en attendant Zelda et Metroid pour 2012. Il paraĂŽt que Sony sort bientĂ´t une portable ? LE FAIL LE + EPIC LE LEFT STICK DE LA 3DS/ LE PSN HS/RAGE INJOUABLE SUR PC

100 jours sans jeu online. 100 jours à se demander si ton numÊro de CB ne se serait pas volatiliser dans le disque dur d’un hacker ukrainien. Mais aussi 100 jours sans VOD, sans Playstation Home, sans DLC, sans promos sur les fonds d’Êcran. Finalement, c’Êtait sympa ce petit hack des Anonymous.

LE GIMMICK QUI TUE LA VOIX OFF RACONTE NOS EXPLOITS T/LE DELTAPLANE DE MARIO KART / DARK SOULS

Bastion et Gunstringer ne seraient pas aussi dÊlectables sans la grosse voix off qui commente in game l’avancÊe du hÊros. IdÊe de design renversante qui pousse inexorablement à atteindre le prochain check point. Oui, Je suis une lÊgende : d’ailleurs on aimerait se l’entendre dire plus souvent. LE + MIEUX QUE TOUT GEARS OF WAR 3/BATMAN ARKHAM CITY S/SKYRIM

La multitude d’intrigues, de seconds rôles, de missions annexes et de gameplays ne font jamais vaciller l’incroyable cohÊrence expressionniste du titre. Sentiment de plÊnitude absolu à observer la ville du haut de ses gargouilles. Explosion de fun en EDVWRQQDQW OHV ULYHUDLQV 5pXVVLWH sur tous les tableaux.

LE + PIRE QUE TOUT BATTLEFIELD 3 SOLO/JEUX KINECT POUR ADULTE/ LINE-UP DE LANCEMENT 3DS

Ok, la campagne solo de %DWWOHÀHOG est une triste affaire. Mais est-ce TXH YRXV DYH] GpMj HVVD\p GH YRXV retourner en bougeant les Êpaules pour Êchapper à une crÊature dans Rise of Nightmares ou de donner un coup de pied qui touche sa cible dans Kung-Fu High Impact ? C’est bien ce que jepensais‌

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cinéma pellicules Rétrospective à domicile

DES SEINS, UNE CHOUETTE, UNE fiLLE, UN PÈRE

Décembre 2011, studios de Joinville. « Le manteau va bien avec le décor. »

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Debout, il fera toute l’interview debout, ou appuyĂŠ sur l’une des deux petites tables qui composent ÂŤ toute sa fortune Âť. Debout, frottant deux feuilles de gĂŠranium (ÂŤ le meilleur parfum du monde, un peu citronnĂŠ Âť) pendant quatre-vingt-dix minutes – durĂŠe moyenne de ses films –, vĂŞtu d’une chemise vietnamienne et d’un pantalon noirs, renforçant l’impression d’ascèse – murs blancs, silence total – qui frappe en arrivant chez ALAIN CAVALIER, 80 ans, locataire depuis quinze ans de ce modeste appartement au rez-de-chaussĂŠe d’un immeuble du 16e arrondissement de Paris ; ÂŤ j’ai dĂŠjĂ filmĂŠ plusieurs fois cet endroit Âť. Entre son premier qu’on rĂŠĂŠdite (Le Combat dans l’Île, 1961) et le dernier très applaudi (Pater, 2011), cinquante ans de carrière – l’indĂŠpendance, debout. entretien Richard Gaitet photographie Blaise Arnold remerciements Victor Branquart

9RWUH SUHPLHU Ă€OP Le Combat dans l’Île, raconte la lutte pour une femme [Romy Schneider] entre deux amis, l’un membre d’une ÂŤ sociĂŠtĂŠ extrĂŠmiste Âť qui veut ÂŤ rĂŠgĂŠnĂŠrer l’Occident et vaincre le communisme Âť, l’autre imprimeur de tracts ouvriers. Pourquoi un tel sujet ? Alain Cavalier : -¡DYDLV DQV HQ SHWLW M¡DYDLV vu l’Europe s’entredĂŠchirer, j’Êtais encore sous le coup de cette guerre civile. Puis il y a eu l’Indochine, l’AlJpULH XQ EDLQ GH VDQJ FRQWLQXHO GH j TXL s’arrĂŞte juste avant le tournage. De quoi parler d’autre ? Cette histoire est arrivĂŠe Ă un couple que je voyais de loin : une femme entre un homme jaloux et son amant, qui les menace continuellement. La violence du personnage de Jean-Louis Trintignant, c’est sa haine du père, grand industriel pWULTXp /H Y{WUH KDXW IRQFWLRQQDLUH GH OD Ă€QDQFH ĂŠtait très autoritaire. Vous dites avoir fait du cinĂŠma ÂŤ contre lui, contre tous les pères Âť. ÂŤ Filmer, c’Êtait [votre] façon de dire non. Âť Oui, pour trouver ma voie et rĂŠsister aux pères, Ă commencer par Dieu, puis mon père, ensuite au pensionnat, j 3RQWRLVH FKH] OHV RUDWRULHQV (W SXLV PRL M¡pWDLV devenu père aussi. Celui du Combat dans l’Île, c’est un peu le vĂ´tre ? Pas du tout. $YDLW LO YX OH Ă€OP " Oui. S’il aimait, oui et non, je n’ai jamais eu de grandes conversations avec lui. Il trouvait ça un peu pour ÂŤ cerveaux de luxe Âť, j’ai lu ça dans son journal après sa mort. Je n’ai pas très bien compris d’ailleurs, j’aurais voulu qu’il me le dise, ça aurait ĂŠtĂŠ intĂŠressant. -¡LPDJLQH TXH oD Q¡DOODLW SDV DVVH] GLUHFWHPHQW YHUV OHV gens, dans son idĂŠe du cinĂŠma, que le premier sentiment du cinĂŠaste n’Êtait pas de communiquer avec la salle mais simplement de communiquer sur des forces qui l’agitaient lui, de les rendre comestibles. Je ne travaille pas du tout pour les cerveaux de luxe. Le plus fort, dans cette rĂŠĂŠdition, c’est un court de 5 min qui l’accompagne, Faire la mort, oĂš vous dites : ÂŤ J’ai beaucoup fait souffrir, j’ai beaucoup torturĂŠ, j’ai beaucoup tuĂŠ – pendant trente ans, vingtWURLV SHUVRQQHV -¡DL FRPPHQFp j WXHU DYHF FH Ă€OP HW j’ai terminĂŠ en 1993 avec Libera me. Je demandais Ă des personnes d’être terriblement atteintes par des VpYLFHV HW MH Ă€OPDLV oD DYHF XQH FHUWDLQH LQQRFHQFH Avec complaisance ? Âť OĂš est la recherche de la vĂŠritĂŠ ? Le sadisme ? La peur ? C’est une façon d’exorciser la mort. Quand on est jeune, la mort n’est pas rĂŠelle. C’est un mĂŠtier qui s’apprend très tard. ÂŤ Un jour mon père est mort. La nuit j’ai allumĂŠ, je VXLV GHVFHQGX DYHF PD FDPpUD HW M¡DL Ă€OPp VRQ YLVDJH mort. Et puis après ma mère est morte aussi, je l’ai Ă€OPpH. Âť Et vous intĂŠgrez des images de vos parents dĂŠcĂŠdĂŠs ! Impudeur transgressive ? Geste artistique total ? Les morts font partie du rĂŠcit d’une vie. J’ai dĂŠjĂ montrĂŠ ces corps dans Le Filmeur > @ HW DX GpEXW d’Irène > @ $SUqV FH PRPHQW Oj Ă€OPHU XQ IDX[ mort, c’Êtait impossible. ÂŤ Et depuis ce temps, je considère d’un ridicule, d’une bĂŞtise ce procĂŠdĂŠ anticinĂŠmatographique qui consiste Ă demander Ă quelqu’un de faire le mort, comme de numĂŠro 34 — 199

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pellicules Alain Cavalier (suite)

demander Ă quelqu’un de faire l’amour devant une camĂŠra. Âť Ce sont les deux faiblesses du cinĂŠma, compensĂŠes par OHV Ă€OPV SRUQRJUDSKLTXHV HW OH MRXUQDO WpOpYLVp 3RXU le rĂŠcit cinĂŠmatographique classique avec scĂŠnario, comĂŠdiens, on est en plein dĂŠlire : la mort c’est l’ultime aventure, il n’y a pas de tĂŠmoignage, elle est irraconWDEOH 4XL YD YRXV UDFRQWHU VD PRUW YRXV ODLVVHU Ă€OPHU son agonie ? Moi j’aime les choses vraies. Un jour un couple de cinĂŠastes très douĂŠs racontera quarante-huit heures de leur vie sans aucune censure. Et lĂ le cinĂŠma ĂŠclatera, parce qu’on verra des choses qu’on n’aura MDPDLV YXHV ,O IDXGUDLW TX¡LOV VRLHQW DVVH] V\PSDthiques, intelligents, et douĂŠs. Au dĂŠtour d’une boĂŽte de nuit du Combat sur l’Île, on voit Melvin van Peebles, futur hĂŠros de la blaxploitation [voir Standard n° 23] ! Il vivait Ă Paris Ă l’Êpoque, on ĂŠtait une petite troupe. Puis il est rentrĂŠ Ă New York. Dans son indĂŠpendance vis-Ă -vis d’Hollywood, c’est un peu le Cavalier noir, non ? Oui, il a toujours ĂŠtĂŠ radical. Quand on prend la dĂŠcision d’être indĂŠpendant, on se retrouve tous face DX[ PrPHV SUREOqPHV G¡DUJHQW 'RQF OHV Ă€OPV RQW XQ lĂŠger air de famille, qui vient des conditions de travail

9RWUH Ă€OOH YRXV Ă€OPH W HOOH YRXV " 1RQ M¡DGRUH Ă€OPHU OHV DXWUHV PDLV MH QH VXLV SDV IULDQG G¡rWUH Ă€OPp -H Q¡DL MDPDLV MRXp GDQV XQ Ă€OP 6DXI dans Pater DYHF 9LQFHQW >/LQGRQ@ HW F¡HVW GH VD IDXWH -DPDLV MDPDLV MDPDLV 9RXV PH YR\H] OLUH XQ WH[WH " Je serais mauvais comme une cruche. Il faudrait qu’elle UHQWUH GDQV PRQ V\VWqPHÂŤ R O¡DXWUH Ă€OPH VDQV FKDQJHU ULHQ j YRWUH IDoRQ G¡rWUH HW GH SDUOHU &¡HVW GLIĂ€FLOH ,O faut du temps. A Cannes, la standing ovation pour Pater a durĂŠ dix-sept minutes. Qu’est-ce que les gens ont applaudi FH MRXU Oj " 8Q Ă€OP " 8QH pOpJDQFH " /D UpVLVWDQFH Ă un système, ÂŤ un ĂŠtat d’indĂŠpendance Âť qui dure depuis plus de quarante ans ? Quelque chose qui tombait bien, peut-ĂŞtre. J’ai eu trois expĂŠriences cannoises : ThĂŠrèse >SUL[ GX -XU\@ Libera me >SUL[ GX MXU\ ÂąFXPpQLTXH@ GRQW OD SUpVHQWDWLRQ fut une catastrophe – les fauteuils claquaient, les gens ĂŠtaient glacĂŠs – et Pater. J’Êtais très content pour les SURGXFWHXUV OH Ă€OP D IDLW HQWUpHV >,O DSSODXGLW@ &KDPSDJQH /H SUpFpGHQW Irène, IDLVDLW Le Filmeur ² OHV ]RQHV OLPLWH -¡pWDLV pPX ELHQ V€U 0DLV OH JUDQG PRPHQW F¡HVW O¡DFWH GH Ă€OPHU 4XL UpFODPH XQ pODQ GH OD Ă€qYUH XQ pWDW G¡LQFRQVFLHQFH imprĂŠvisible. La première image qui vous a ÂŤ suffoquĂŠ Âť, Ă laquelle vous ÂŤ UN JOUR UN COUPLE DE CINÉASTES devez ÂŤ peut-ĂŞtre votre vocation de cinĂŠaste Âť, c’est Ă 5 ans, lorsque vous RACONTERA 48 HEURES DE LEUR VIE voyez ÂŤ une femme dans une cour ‌ SANS AUCUNE CENSURE. ‌ qui donnait le sein Ă un enfant. En %HDXFH FKH] PRQ JUDQG SqUH HQ YLVLWH ET LĂ€ LE CINÉMA ÉCLATERA. Âť FKH] GHV IHUPLHUV 3RXU OD VHXOH IRLV GH ALAIN CAVALIER ma vie, j’Êtais transformĂŠ en un brasier intĂŠrieur. Je ne sais pas si c’est ĂŠrotique, – les conditions de la libertĂŠ. Il faut vingt ans, quelaprès je n’ai pas recherchĂŠ de femmes avec des seins TXHIRLV SRXU O¡DFTXpULU 0RL MH O¡DL HXH GqV DYHF extraordinaires, mais il y avait de la grâce – la preuve Le Plein de super. Je savais combien il me fallait pour que le monde pouvait avoir une sorte de perfection, très ĂŞtre tranquille, quel budget pour les acteurs, etc. Il faut brève. choisir de vivre très modestement. Avez-vous retrouvĂŠ cette sensation sur un ĂŠcran ? C’est-Ă -dire ? 2XL GDQV XQ Ă€OP DQLPDOLHU XQ SODQ GH FKRXHWWH TXL PH Faire attention Ă son loyer. Je n’avais pas de voiture, pas UHJDUGDLW Ă€[HPHQW -¡pWDLV DYDOp -¡DYDLV DQV SHXW de maison Ă la campagne, n’ai jamais ĂŠtĂŠ propriĂŠtaire. ĂŞtre plus. Choc. -H SHX[ PDQJHU MH SHX[ GRUPLU dD VXIĂ€W Vous allez souvent au cinĂŠma ? Vous avez des enfants ? -H QH YDLV SOXV YRLU OHV Ă€OPV GH QDUUDWLRQ QRUPDOH DYHF 8QH Ă€OOH >&DPLOOH GH &DVDELDQFD@ TXL P¡D GRQQp XQ acteurs, scĂŠnario‌ je connais si bien la chose que je SHWLW Ă€OV (OOH MRXH GDQV O¡XQ GH PHV Ă€OPV >TX¡HOOH suis toujours en avance. Parfois sept secondes vous D FR pFULW DYHF OXL@ Un ĂŠtrange voyage, avec Jean enchantent, un regard, un geste‌. Mais je peux très 5RFKHIRUW > @ (OOH IDLW DXVVL GHV Ă€OPV (OOH HVW HQ bien m’en passer parce que dans la vie on voit ça toute WUDLQ G¡HQ WRXUQHU XQ XQH UpXQLRQ HQĂ€Q ÂŤ MH QH VDLV OD MRXUQpH j SURIXVLRQ -H YRLV GRQF GHV Ă€OPV XQ SHX pas trop. particuliers. Le dernier, c’Êtait &HFL Q¡HVW SDV XQ Ă€OP, de Du cinĂŠma pour cerveaux de luxe, aussi ? O¡,UDQLHQ -DIDU 3DKDQL > @ WRXUQp GDQV VRQ DSSDUWHIl ne faut pas abuser de ce terme, c’est un point de vue ment, dans un ascenseur. Je n’en citerai aucun autre. SDWHUQHO VXU XQ VHXO Ă€OP ² MH Q¡DXUDLV SDV G€ YRXV OH Avez-vous l’esquisse de votre prochain ? dire. Mon père souhaitait que je fasse plus d’entrĂŠes, Oui, mais il n’y a pas encore de mots. Je voudrais c’est tout. DWWDTXHU OH WUXF GLUHFWHPHQW HQ Ă€OPDQW HW YRLU DSUqV FH 9RXV OH VRXKDLWH] SRXU YRWUH Ă€OOH " que j’ai, oĂš est le rĂŠcit, l’Êtat d’esprit dans un lieu oĂš Je n’y pense jamais. On verra bien. Elle se dĂŠbrouille SDVVH EHDXFRXS GH PRQGH Âł avec elle-mĂŞme. J’ai eu un grand succès avec ThĂŠrèse > VL[ &pVDU GRQW FHX[ GX PHLOOHXU Ă€OP HW PHLOOHXU DVD Le Combat dans l’Île, Libera me Arte UpDOLVDWHXU@ RQ DWWHQGDLW YLQJW PLOOH HQWUpHV F¡HVW DVD Pater, Irène, Le Plein de super, pQRUPH OH Ă€OP D DWWLUp XQ PLOOLRQ HW GHPL GH VSHFWDUn ĂŠtrange voyage PathĂŠ teurs. 200 — numĂŠro 34

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chroniques pellicules Les chroniques d’Alex Masson

Contre la mĂŠdiacratie, les chiens aboient pour l’Êthique France Inter ; Michel Field troquant sa jeunesse trotskiste contre une prestation d’homme-sandwich pour le groupe Casino.... A nos confrères Le constat d’Êchec n’est pourtant pas sur l’Êcran, mais dans la salle. A la sortie de la projection de presse, bon nombre des critiques se demandaient comment traiter le documentaire, la plupart devant leur emploi, de près ou de loin, Ă des groupes industriels ou des personnalitĂŠs VpYqUHPHQW WDFOpV SDU OH Ă€OP 8QH VROXWLRQ V¡DYDQFH dĂŠjĂ , au vu d’un article dĂŠjĂ paru dans un journal de Lagardère, brocardĂŠ par Balbastre et Kergoat : lui reprocher d’enfoncer des portes ouvertes. On peut, Ă l’inverse, estimer qu’il est plus que jamais nĂŠcessaire de claironner ces dĂŠrives, au moment oĂš la courtisanerie V¡DIĂ€FKH HQ SOHLQH OXPLqUH (WLHQQH 0RXJHRWWH UpGDFteur en chef du Figaro, et GĂŠrard Carreyrou, ĂŠditorialiste Ă feu France-Soir, ont communiquĂŠ sur la crĂŠation du think tank YLVDQW j OD UppOHFWLRQ GH 1LFRODV 6DUNR]\ qu’ils dirigent avec Jean-RenĂŠ Fourtou, prĂŠsident de Vivendi, et Michel PĂŠbereau, P.-D.G. de BNP Paribas. /D PpGLDFUDWLH V¡HVW VXEVWLWXpH j OD GpPRFUDWLH Âł Les Nouveaux Chiens de garde

Š DR

La collusion entre journalisme et politique s’est-elle DVVDLQLH GHSXLV OD SXEOLFDWLRQ HQ GHV Nouveaux Chiens de garde, le pamphlet de Serge Halimi ? Dans l’esprit du Pierre Carles de Fin de Concession les documentaristes Gilles Balbastre et Yannick Kergoat s’attardent sur les mystĂŠrieux dĂŽners du Siècle – raout mensuel Ă l’Automobile Club de France, place de la Concorde, de tĂŠnors politiques, industriels et mĂŠdiatiques –, dont on voit cette fois tout. Plus qu’une simple mise Ă jour du livre, Les Nouveaux chiens de garde s’adapte aussi au journalisme de dĂŠcryptage : ironie permanente façon Petit journal, et solide documentation Ă la ArrĂŞt sur images DĂ€Q G¡pWD\HU OHXU K\SRWKqVH catastrophique, selon laquelle notre quatrième pouvoir est bien, bien mal en point. &HUWDLQV FRQĂ LWV G¡LQWpUrWV VRQW FRQQXV 7) SURSULpWp de Bouygues, nomination de Christine Ockrent Ă la tĂŞte de l’Audiovisuel extĂŠrieur français quand son mari Bernard Kouchner ĂŠtait ministre des Affaires ĂŠtrangères, entrisme d’Alain Minc, proche de notre PrĂŠsident, sur les plateaux tĂŠlĂŠ. Mais Balbastre et Kergoat lèvent d’autres lièvres. Entre deux ĂŠclats de rire, on tombe de son siège en voyant certains ÂŤ journalistes Âť retourner si facilement leur veste : Isabelle Giordano anime de fructueux colloques Ă la gloire des entreprises mises en ligne de mire dans son ex-ĂŠmission Service public sur

De Gilles Balabastre & Yannick Kergoat Le 11 janvier numÊro 34 — 201

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cinÊma pellicules Les chroniques d’Alex Masson (suite)

Polar shakespearien en Flandre Matthias Schoonaerts, colosse vulnĂŠrable A la mythologie du polar, Roskam ajoute celle de sa terre natale. Pour aussi contemporain qu’il soit, Bullhead invoque les tableaux les plus vĂŠnĂŠneux des PDvWUHV Ă DPDQGV GH %RVFK j 5XEHQV 7RXW HQ IDLVDQW de Jacky un homme dĂŠchirĂŠ, comme la Belgique, par un traumatisme aussi lointain qu’insoluble ; la performance de Matthias Schoonaerts – colosse boxant contre sa vulnĂŠrabilitĂŠ – est la plus exceptionnelle qu’on ait vue depuis celle de Tom Hardy dans Bronson (Ă nouveau :LQGLQJ 5HIQ HW -DFTXHV $XGLDUG QH V¡\ HVW SDV WURPSp HQ O¡HPEDXFKDQW VXU VRQ SURFKDLQ Ă€OP Un GoĂťt de rouille et d’os. Comme Steve McQueen (Shame RX Andrea Arnold (Fish Tank 0LFKDHO 5 5RVNDP DOOLH style et substance, et renouvelle des thèmes aussi classiques que la trahison, la loyautĂŠ ou la destinĂŠe. Avec ceci de supĂŠrieur : sans frigiditĂŠ ni snobisme d’auteur, LO LQĂ€OWUH OH FLQpPD GH JHQUH SRSXODLUH SRXU \ JOLVVHU GHV personnages d’une belle complexitĂŠ, traversĂŠs par des WRXUPHQWV SXUHPHQW VKDNHVSHDULHQV Âł

Bullhead

De Michael R. Roskam Le 22 fĂŠvrier

Š DR

Soyons vigilants, il se passe quelque chose avec OH FLQpPD EHOJH Ă DPDQG $ OD Ă€Q GH O¡DXWRPQH RQ dĂŠcouvrait l’œuvre inĂŠdite en France de Koen Mortier (Ex-drummer Soudain le 22 mai PDUFKDQW dans les traces anars et la puissance formelle d’un Lars YRQ 7ULHU &RXUDQW GHYUDLW VRUWLU L’Envahisseur, SDVVDJH j OD Ă€FWLRQ GH OD VWDU YLGpR 1LFRODV 3URYRVW. Et cet hiver dĂŠboule Bullhead, premier long-mĂŠtrage de 0LFKDHO 5 5RVNDP 'HV Ă€OPV WUqV GLIIpUHQWV GDQV OD forme mais liĂŠs dans le rapport Ă leur pays. Bullhead est le plus teigneux. (Q DSSDUHQFH LO V¡DJLW G¡XQ H[FHOOHQW SRODU (Q profondeur, on perçoit la douleur de la scission Ă DPDQGH ZDOORQQH 7RXW RX SUHVTXH pYRTXH OD GXDOLWp les frontières Ă franchir, ou non, y compris entre les genres. L’histoire ? Dans un petit coin perdu de )ODQGUH XQ WUDĂ€F G¡KRUPRQHV ERYLQHV SDUW HQ YULOOH VXLWH j OD PRUW G¡XQ Ă LF 'H TXRL WHQGUH XQH FRUGH solide entre le meilleur d’Alain Corneau (Le Choix des armes, Police Python 357 HW OD WHVWRVWpURQH GX Danois Nicolas Winding Refn (lire sa carte blanche dans Standard n° 33 /D FRPSDUDLVRQ DYHF FH GHUQLHU HVW G¡DLOOHXUV DVVH] Ă DJUDQWH -DFN\ OH KpURV UHVVHPEOH physiquement Ă Mads Mikkelsen dans la trilogie Pusher HW PRUDOHPHQW j 5\DQ *RVOLQJ GDQV Drive – sans compter une scène d’ascenseur, dans les deux cas des plus mĂŠmorables. 202 — numĂŠro 34

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Entre deux escort girls ĂŠtudiantes, le cahier de dolĂŠances du fĂŠminisme actuel

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Une journaliste Ă Elle prĂŠpare une enquĂŞte sur deux MHXQHV IHPPHV TXL DUURQGLVVHQW OHXUV Ă€QV GH PRLV HQ faisant commerce de leur corps. Plus elles racontent leurs expĂŠriences, plus la vie privĂŠe de la chroniqueuse VH Ă€VVXUH /D SURVWLWXWLRQ pWXGLDQWH HVW XQ PDUURQQLHU GHV PpGLDV /D Ă€FWLRQ V¡\ HVW LQWpUHVVpH SOXV WDUGLYHment : l’an dernier avec Mes chères ĂŠtudes, l’excellent WpOpĂ€OP G¡(PPDQXHOOH %HUFRW DXMRXUG¡KXL DYHF Elles, UpDOLVp SDU OD 3RORQDLVH 0DOJRU]DWD 6]XPRZVND 3UpYHnons d’emblĂŠe Marcela Iacub et ClĂŠmentine Autain : il serait ridicule de monter Ă la tribune, furibard, contre ce Ă€OP TXL V¡DIĂ€UPH FRPPH O¡XQ GHV PHLOOHXUV SODLGR\HUV du fĂŠminisme moderne. La cinĂŠaste transcende son matĂŠriau très Vis ma vie en ĂŠtat des lieux de leur sexualitĂŠ, leur rapport au couple, Ă l’emploi, Ă la reconnaissance sociale ou conjugale. IncomprĂŠhension, clandestinitĂŠ Elles est une conversation entre deux gĂŠnĂŠrations de femmes. D’un cĂ´tĂŠ celle d’Anne, la journaliste, postsoixante-huitarde embourgeoisĂŠe (Juliette Binoche, formidable ; voir sa carte blanche p. XX 'H O¡DXWUH celle de Charlotte et Alicja (AnaĂŻs Demoustier et -RDQQD .XOLJ SOXV TX¡j OD KDXWHXU QpH DYHF O¡DSRJpH du libĂŠralisme ĂŠconomique. Entre les deux, un fossĂŠ culturel qui devient un gouffre pour Anne, dĂŠcouvrant

le conservatisme de son milieu face Ă deux femmes prenant des bites en bouche (dans des sĂŠquences aussi FUXHV TXH FHWWH IRUPXOH SRXU pYLWHU OD SUpFDULWp GH OHXU condition sociale. 0DOJRU]DWD 6]XPRZVND UDFRQWH OD SULVH GH FRQVFLHQFH G¡XQH TXDGUD ERER VDQV DIĂ€UPHU TXH FHV escort-girls ont la vie meilleure. L’Êpanouissement a un prix : incomprĂŠhension, clandestinitĂŠ, rejet des familles. Elles n’est jamais didactique, mĂŞme en juxtaposant les frustrations de l’une et la sexualitĂŠ dĂŠsinhibĂŠe des deux DXWUHV &¡HVW FH TXL HQ IDLW XQ Ă€OP WUDQVJUHVVLI LQWHUURgeant avec prĂŠcision et intelligence les hypocrisies de la morale, aiguillonnant sa dangereuse rĂŠgression vers le politiquement correct. Et la rĂŠalisatrice de faire le boulot auquel l’hebdo fĂŠminin largement citĂŠ a, comme la plupart des autres, renoncĂŠ : se soucier rĂŠellement du quotidien des femmes, en posant frontalement des TXHVWLRQV IRQGDPHQWDOHV HW QRQ FRVPpWLTXHV Âł

Elles

De Malgorzata Szumowska Le 1er fÊvrier numÊro 34 — 203

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cinĂŠma pellicules Under Underground

WHAT’S UP, DOC NYC ? par Mathilde Menusier (à Manhattan)

4XHO UrYH 86 " Epinglant ĂŠgalement le système judiciaire, Scenes of a Crime, signĂŠ Blue Hadaegh et Grover Babcock, dĂŠcortique un interrogatoire rĂŠvoltant pour condamner un père de famille, vraisemblablement innocent, Ă vingtcinq ans d’enfermement pour le meurtre de son enfant. /H Ă€OP UHSDUWLUD DYHF OH 3UL[ GX *UDQG -XU\ TX¡DXUDLW tout aussi bien pu recevoir l’excellent The Interrupters de 6WHYH -DPHV HW $OH[ .RWORZLW], on l’on suit pendant un an des ÂŤ interrupteurs de violence Âť, luttant pour protĂŠger leur communautĂŠ dans les ghettos de Chicago,

qui voient cinq cents jeunes tuĂŠs chaque annĂŠe. Mais la surprise vient de deux Californiens, Daniel Lindsay et T.J. Martin DYHF O¡pSRXVWRXĂ DQW Undefeated. Memphis, deuxième ville la plus dangereuse des Etats-Unis, selon Forbes HQ SUpSDUH GDYDQWDJH ses ados Ă la geĂ´le qu’à l’universitĂŠ. On s’attache Ă trois d’entre eux pour qui le rugby est une issue avec bourses d’Êtude Ă la clĂŠ, mais dont l’Êquipe du lycĂŠe dĂŠfavorisĂŠ est d’une nullitĂŠ lĂŠgendaire : tout est Ă la fois dur et tendre – la misère, la violence, les efforts et les rĂŞves, l’abnĂŠgation et les sermons du coach –, et bouleversant. Loin des terrains boueux mais avec la mĂŞme ardeur, First Position UHYLHQW VXU OD SUpSDUDWLRQ GH VL[ WUqV jeunes danseurs originaires de Colombie, d’Italie, des Etats-Unis et du Sierra Leone au plus grand concours de danse au monde : le Youth America Grand Prix. Sincère, juste, gracieux, Bess Kargman saisit toute la passion, la GRXOHXU OH VDFULĂ€FH GHV IDPLOOHV HW O¡LYUHVVH G¡rWUH VXU scène.

Undefeated et First Position

A gauche

Into the Abyss

Les salles de l’IFC Center sont rĂŠgulièrement combles et les conversations avec les rĂŠalisateurs se poursuivent sur le trottoir de la Sixième Avenue ; les fans de Jay Reatard, Morphine, Sigur RĂłs et Depeche Mode assistent en masse aux sĂŠances de minuit consacrĂŠes Ă leurs groupes favoris ; on parle matos, tournage, montage, puis chacun repart enthousiaste quant Ă l’avenir du documentaire indĂŠpendant. Cheers! — docnyc.net

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L’AmĂŠrique en prend un coup. RĂŠalisateurs indĂŠpendants, ĂŠtudiants et public très pointu ont occupĂŠ huit jours le petit cinĂŠma de l’IFC Center, au cĹ“ur du Village Ă Manhattan, pour la seconde ĂŠdition du festival documentaire DOC NYC. Into the Abyss: A Tale of Death, A Tale of Life, du maĂŽtre allemand :HUQHU +HU]RJ, ouvre le bal sur un sujet dĂŠlicat : la peine de mort. L’exĂŠcution très critiquĂŠe de Troy Davis a eu lieu quelques semaines plus tĂ´t, et celle, controversĂŠe, de Hank Skinner, est prĂŠvue la semaine suivante. Into the Abyss revient sur un triple KRPLFLGH SHUSpWUp DX 7H[DV HQ SDU GHX[ MHXQHV GH DQV TXL YRXODLHQWÂŤ YROHU XQH YRLWXUH 6RQW interrogĂŠs les proches des victimes et des coupables, les enquĂŞteurs, un homme qui craque après avoir tuĂŠ son cent vingt-cinquième prisonnier, ainsi que les assassins : Michael Perry, une semaine avant son dĂŠcès, et son complice Jason Burkett, condamnĂŠ Ă quarante ans de prison. Brillant, dĂŠsespĂŠrant. L’AmĂŠrique en prend un coup, et ce n’est qu’un dĂŠbut.

204 — numÊro 34

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cinÊma CARTE BLANCHE À JULIETTE BINOCHE CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP

En janvier, Juliette Binoche sera en repĂŠrages Ă Saint-RĂŠmi-de-Provence pour Camille Claudel de Bruno Dumont. Le 1er fĂŠvrier, on la verra dans Elles de Malgorzata Szumowska (chronique p. 203), puis elle jouera ÂŤ une femme qui dĂŠcouvre, horrifiĂŠe, qui elle est devenue après douze ans de mariage Âť dans La Vie d’une autre de Sylvie Testud.

CrĂŠer, brĂťler, contempler

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Je ne me suis jamais considĂŠrĂŠe comme cinĂŠphile. 5HJDUGHU WURLV Ă€OPV SDU MRXU " /¡H[FqV GH FRQVRPPDtion culturelle est insupportable. Le plus important, c’est d’être crĂŠateur, pas de regarder les crĂŠations des autres, j’en suis sĂťre. L’œuvre d’un autre peut vous transmettre une ĂŠtincelle, mais il faut crĂŠer, se brĂťler, verticalement. Je vais peu au cinĂŠma parce que je suis

trop occupĂŠe par mes propres crĂŠations, j’ai une vie WURS SOHLQH SRXU DOOHU YRLU GHV Ă€OPV PR\HQV UpSpWLWLIV WLqGHV 'HYDQW XQ Ă€OP RQ Q¡HVW SOXV HQ pWDW GH FUpDWHXU mais de rĂŠcepteur. Mais j’aime contempler au cinĂŠma. 4XDQG M¡HPPqQH PD Ă€OOH YRLU XQ VSHFWDFOH GH :LOOLDP Forsythe, Artifact, au ThÊâtre national de Chaillot, j’ai envie de danser, je ne tiens pas en place. Adolescente, ce qui me picotait la peau et l’esprit, c’Êtait d’aller vers ; un mouvement qui faisait le lien entre l’intĂŠrieur de moi et l’extĂŠrieur. J’ai eu l’immense bonheur cette annĂŠe de remettre un Molière d’honneur Ă Peter Brook pour l’ensemble de sa carrière et de lui dire que c’est sa version d’Ubu Roi G¡$OIUHG -DUU\ TXH M¡DL YXH j DQV qui m’a donnĂŠ envie de vivre dans le thÊâtre, dans cette crĂŠation collective et individuelle.

L’empreinte Bergman Issue d’une famille de thÊâtre, le cinĂŠma m’est venu OpJqUHPHQW SOXV WDUG 0D PqUH FRFKDLW OHV Ă€OPV GDQV /¡2IĂ€FLHO GHV VSHFWDFOHV, j’allais voir Tarkovski, Rossellini, Fellini, tout en suivant tous les Shakespeare qui passaient le dimanche après-midi Ă la tĂŠlĂŠvision. Puis LĂŠos Carax m’a initiĂŠe Ă d’autres cinĂŠmas, amĂŠricain par exemple : John Ford, Ernst Lubitsch, Frank Capra. Avec lui, j’ai redĂŠcouvert aussi Carl T. Dreyer, dont La Passion de Jeanne d’Arc m’avait prĂŠcĂŠdemment bouleversĂŠe par ses silences et la nuditĂŠ dĂŠchirante du visage de RenĂŠe )DOFRQHWWL &HUWDLQV Ă€OPV P¡RQW secouĂŠe, m’ont rĂŠvĂŠlĂŠe, m’ont aidĂŠe Ă vivre : ceux de John Cassavetes avec Gena Rowlands et, au sommet, ceux d’Ingmar Bergman, inscrits comme une empreinte en moi. Persona Scènes de la vie conjugale ÂŤ PrPH FHOXL FRQVLGpUp comme son plus mauvais, L’Œuf du Serpent P¡D HPSRUWpH par la beautĂŠ de Liv Ullman. Tout ce qu’il a tournĂŠ avec elle est exceptionnellement intelligent, et la soif de vie de cette comĂŠdienne, mĂŠlangĂŠe Ă la mĂŠlancolie, Ă l’humilitĂŠ, est absolument extraordinaire. Le cinĂŠma devient un ÂŤ ĂŠtat d’être Âť, un exemple de perception. Au panthĂŠon de mes actrices favorites, il faut ajouter Anna Magnani (Rome, ville ouverte VRXYHQW HQWUH OD vie et la mort. J’aime ĂŞtre provoquĂŠe : on ne peut pas rester passif devant l’œuvre de Michael Haneke, ou devant Le Filmeur HW Irène G¡$ODLQ &DYDOLHU RX alors on ne voit rien. Notre responsabilitĂŠ d’acteurs, c’est d’attirer le public vers des auteurs inspirĂŠs et YLVLRQQDLUHV Âł

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Ex-correspondant pour LibĂŠration Ă Los Angeles, Philippe Garnier croit ÂŤ dur comme fer Âť Ă ses ÂŤ futilitĂŠs Âť. ÂŤ C’est une oasis dans ce dĂŠsert qui prend trois jours Ă parcourir en voiture, de Los Angeles. Les prĂŞtres espagnols y faisaient de la canne Ă sucre, et ce fut l’Êconomie du pays jusque dans les annĂŠes 50. Maintenant on cultive le gringo et le touriste, mĂŞme si Todos Santos, Baja California Sur, Mexico, est restĂŠe très dĂŠglingue, avec ses rues non pavĂŠes et ses chatons crevĂŠs au milieu du chemin. Âť Au moment de rĂŠpondre Ă ces questions, Philippe Garnier, 62 ans, correspondant freelance pour LibĂŠration de 1981 Ă 2008 Ă Los Angeles, ne s’y trouve donc pas. ÂŤ Je suis venu un mois au Mexique pour terminer une traduction, celle de The Hunters, le premier roman de James Salter, ĂŠcrit quand il ĂŠtait pilote de chasse dans l’US Air Force. Très Buck Danny ÂŤadulteÂť. J’en suis Ă dĂŠterminer comment se dit un ÂŤpipperÂť sur une mire de tir de F-86. Âť Son anthologie, L’Oreille d’un sourd, dĂŠploie plus de soixante-dix articles – sur le meurtre ÂŤ idiot, miteux, sordide Âť du soul singer Sam Cooke, les mĂŠmoires de Louise Brooks ou ÂŤ le cĂ´tĂŠ plomberie Âť du travail de l’Êcrivain Robert Littell – piochĂŠs parmi les mille cinq cents publiĂŠs dans LibĂŠ, mais aussi dans Rock & Folk, Vogue ou Les Inrockuptibles. Filet Garnier.

entretien Richard Gaitet photographie Yvette Hammond (A Los Angeles)

Vos articles Ă LibĂŠration, ÂŤ excentriques, ĂŠclectiques, insupportablement ramenards Âť, furent-ils une anomalie dans le paysage mĂŠdiatique ? Philippe Garnier : -H IDLVDLV GX PDJD]LQH GDQV XQ quotidien, et ĂŠcrivais comme si j’avais autant de place que dans un trimestriel. Je n’Êtais pas le seul, mais on n’Êtait pas beaucoup ; les autres, on les trouvait dans la presse alternative (Actuel HWF (Q UHOLVDQW FHUWDLQV papiers, je vois que je pouvais passer pour un forcenĂŠ, une prima donna. Mais c’Êtait la distance qui voulait ça ; distance qui n’existe plus Ă cause du net. Exemple : je vais au cinĂŠma par hasard et, sans ĂŞtre annoncĂŠ, Burt /DQFDVWHU HVW Oj GDQV OH OREE\ HW SUpVHQWH GHX[ Ă€OPV -H fais quatre pages dans LibĂŠ deux semaines plus tard. Il HVW PRUW " ,O VRUW XQ Ă€OP " 1RQ dD P¡HVW DUULYp F¡HVW tout. C’Êtait comme des appels d’air, sortis du ronron mĂŠdiatique. (Q PDUV RQ YRXV D VLJQLĂ€p TX¡LO Q¡\ DYDLW SOXV de place pour vous Ă LibĂŠration. Sur le moment, et trois ans après : amertume ? LibĂŠration, surtout. SĂŠrieusement, sur le coup, une grande tristesse, parce que je n’ai pas forcĂŠment ĂŠtĂŠ soutenu par ceux que je croyais mes amis. L’ironie, F¡HVW TX¡RQ P¡D VLJQLĂ€p oD SRXU UDLVRQV G¡pFRQRmie. Or, je ne coĂťtais rien au journal, et lui ai coĂťtĂŠ beaucoup plus en partant. J’aurais continuĂŠ des annĂŠes encore. LibĂŠration F¡pWDLW FKH] PRL OH VHXO HPSOR\HXU que j’ai jamais eu, mon identitĂŠ, presque. Une fois parti, je me suis rendu compte de ça, et c’est sans doute un bien qu’on m’ait ĂŠjectĂŠ. Je vĂŠgĂŠtais depuis trop longtemps, dans un milieu de plus en plus dĂŠlĂŠtère. L’autre ironie, c’est que j’Êtais Ă peine parti qu’ils dĂŠcidaient G¡XQH QRXYHOOH IRUPXOH D[pH VXU XQ UHWRXU DX PDJD]LQH et aux longs papiers, stories, feuilletons. LĂ oĂš je leur aurais sĂťrement ĂŠtĂŠ utile. Ce que vous nommez ÂŤ la RĂŠvolution Culturelle Âť Ă LibĂŠ, c’est l’introduction d’un service de correcteurs embauchĂŠs pour ÂŤ rabattre le caquet des divas, et en Ă€QLU DYHF OH VW\OH UpIpUHQWLHO GH FHUWDLQV 6L OH FRUrecteur ne savait pas de quoi ou de qui on parlait, le lecteur ne le saurait pas non plus. Âť Le secret, c’est d’être pointu mais accessible ? C’est d’être intĂŠressant. C’est très dĂŠlicat. Si c’est rĂŠfĂŠrentiel, sèchement, c’est chiant, il faut savoir le rendre rigolo, ou intriguant. Moi j’ai ĂŠtĂŠ formĂŠ par le rĂŠfĂŠrentiel. J’essayais de dĂŠchiffrer les dos des pochettes de Dylan et je voyais Smokey Robinson ou le mot geek – je partais sur des trucs comme Nightmare Alley GH :LOOLDP /LQGVD\ *UHVKDP >URPDQ GH @ O¡KLVWRLUH GX W\SH GpFKX TXL Ă€QLW DX FLUTXH HW DUUDFKH des tĂŞtes de poulet avec les dents, juste pour un litron. numĂŠro 34 — 207

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Tout le monde n’est pas comme moi, mais si je pouvais toucher une centaine de personnes Ă chaque fois, je ne perdais ni mon temps, ni celui du journal. Maintenant, je suis rĂŠconciliĂŠ avec l’idĂŠe qu’il faille expliquer un peu – mais je dĂŠteste cette manie de trop mâcher les choses. Ça tĂŠmoigne d’un mĂŠpris du lecteur. Et d’une certaine inculture (manque de curiositĂŠ, basique) des gens de presse. Une chose m’horripile particulièrement en ce moment. Laquelle ? Cette habitude qu’ont les ĂŠditeurs ÂŤ d’Êtoffer Âť un SDSLHU 9RXV pFULYH] VXU XQ WUXF XOWUD VSpFLĂ€TXH VXU OD FRUUXSWLRQ PXQLFLSDOH j /RV $QJHOHV GDQV OHV DQQpHV HW OD Ă€OOH RX OH PHF TXL V¡RFFXSH GH YRWUH SDSLHU YRXV OHV YR\H] SLDQRWHU VXU OH QHW HW GpFRXYULU GHV WDV GH choses arrivĂŠes Ă cette ĂŠpoque (tremblement de terre, HWF HW TXL QH VRQW SDV GDQV O¡DUWLFOH HW SRXU FDXVH LO \ D ELHQ XQH 5$,621 HW HX[ VH IRQW XQH Ă€HUWp GH GpWHUUHU tout ce fatras et enterrer le papier dessous, avec notes, rajouts, encadrĂŠs. Je trouve ça nul, mais c’est vraiment le paysage aujourd’hui. Que penser du LibĂŠ actuel ? Le lisez-vous (en ligne) ? &KH] PRL SDV GX WRXW $X GpEXW oD PH IDLVDLW WURS mal, ensuite je n’en ai plus eu envie. Mais quand je suis Ă Paris, je prends du plaisir Ă le lire, surtout au cafĂŠ. J’aime surtout le supplĂŠment du samedi et les stories. (W OHV GHX[ ]R]RV TXL IRQW OD WpOp >,VDEHOOH 5REHUWV 5DSKDsO *DUULJRV@ LOV P¡DPXVHQW PrPH VL MH QH VDLV rien de ce dont ils se moquent, vu que je ne regarde pas la tĂŠlĂŠvision en France. Vous avez ĂŠcrit pour Vogue, ce qui vous fait dire : ÂŤ J’ai toujours ĂŠtĂŠ plus heureux et mieux traitĂŠ par les journaux de mode. Plus de respect. Plus de courtoisie et d’enthousiasme. Âť Pourquoi ? J’aime leur façon de bien travailler : photo, ĂŠdition, etc. ,OV YRXV FRQVXOWHQW HQ FDV GH FKDQJHPHQW YRXV DYH] OH texte ĂŠditĂŠ et le temps de rĂŠagir. Moi je n’ai rien contre les changements, au contraire, ça amĂŠliore toujours. Ce que je dĂŠteste, c’est changer ÂŤ par contre Âť en ÂŤ touteIRLV ÂŞ Š VDQV FHVVH ÂŞ SDU Š FRQVWDPPHQW ÂŞ 9RXV VHULH] surpris du nombre de fois oĂš ça arrive. Ce n’est plus de O¡pGLWLRQ j FH PRPHQW Oj F¡HVW GX JUDIĂ€WL &¡HVW IDLUH sa crotte sur le travail d’un autre, montrer qu’on existe, MXVWLĂ€HU VRQ VDODLUH

Avec Vogue ou GQ, on sait que le rĂŠdactionnel est la dernière roue du carrosse, mais ça fait partie du deal. Et les gens du rĂŠdactionnel sont toujours très gentils, compĂŠtents et ouverts aux suggestions. J’ai pu placer GHV WUXFV DVVH] SHUVRQQHOV ² 6OLP .HLWK OD IHPPH GH Howard Hawks, ou Marion Post Wolcott, la photographe. Ou le super agent Howard K. Feldman. C’est WUqV JUDWLĂ€DQW Votre ĂŠcriture est mĂŠticuleuse, le style, soignĂŠ. ÂŤ Je n’ai jamais su torcher mes papiers en une heure bien HPSOR\pH -H VXLV WRXMRXUV UHVWp DQ[LHX[ HW XQ SHX EHsogneux, gribouillant notes et brouillons sur les ponts, Ă vĂŠlo, dans les cafĂŠs. Âť Combien de temps passezvous sur un article ? La citation est dictĂŠe par le contexte, dans ce cas le IHVWLYDO GH 9HQLVH > @ 6LQRQ PD VLWXDWLRQ Š H[FHQtrĂŠe Âť, loin de la salle de rĂŠdaction, me donnait plus de champ libre, et souvent plus de temps. Mais j’Êcrivais vite, et ĂŠcris toujours vite – c’est l’habitude des deadlines. MĂŞme un livre, je l’Êcris gĂŠnĂŠralement en trois mois. Le reste c’est de la rĂŠĂŠcriture, de l’agencePHQW SURFHVVXV TXH MH WURXYH EL]DUUHPHQW DVVH] FUpDWLI (W VRXYHQW MH UHOLV SHX HW V€UHPHQW SDV DVVH] Votre journalisme, c’est aussi de la littĂŠrature ? Non, mais je me demande si c’est vraiment du journalisme. J’aimerais bien que les libraires dĂŠcident pour moi, parce qu’ils ne savent jamais oĂš placer mes bouquins – quand par miracle ils en ont un ou deux en stock. Travaillez-vous sur ordinateur ? 9RXV FUR\H] TXRL DYHF XQH SOXPH G¡RLH " 2XL (W MH prends mes notes en anglais (je rĂŞve mĂŞme en anglais, FH TXH MH WURXYH SDUIRLV LQTXLpWDQW &RPPHQW YpULĂ€H] YRXV " /D Ă€DELOLWp GX QHW " Je ne suis pas un fanatique du ÂŤ fact checking Âť Ă l’amĂŠricaine, et n’ai jamais travaillĂŠ pour des publi-

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cations qui le soient terriblement. A une ĂŠpoque, on pouvait vraiment publier n’importe quoi dans LibĂŠ, SHUVRQQH QH YpULĂ€DLW $YHF OH QHW PDLQWHQDQW F¡HVW l’inverse, et pareillement excessif : Da Net Rules. Si c’est pas dedans, c’est pas vrai. Moi, je n’Êcris que GHV KLVWRLUHV TXH MH WLHQV GH SUHPLqUH PDLQ 2Q YpULĂ€H comme on peut, mais on pompe ĂŠnormĂŠment aussi. J’ai ĂŠtĂŠ très laxiste Ă une certaine ĂŠpoque. Comme je ne suis pas un journaliste d’investigation, c’est moins grave, RX GX PRLQV M¡DL Ă€QL SDU P¡HQ SHUVXDGHU -H Q¡DL MDPDLV bidonnĂŠ un papier, mais j’ai souvent copiĂŠ sur mes petits camarades. En fait, je ÂŤ rĂŠ-agençais Âť, et transformais oD HQ DXWUH FKRVH GH SOXV DPXVDQW HVSpURQV -H QH suis pas très bon pour chercher les histoires. Je sais par contre les reconnaĂŽtre quand elles viennent me mordre la jambe. Et puis, bien sĂťr, en ĂŠditant L’Oreille d’un sourd, MH PH VXLV PLV j PH PpĂ€HU HQFRUH SOXV GH OD PpPRLUH des hommes. On a une façon de refaçonner les souvenirs, souvent en toute bonne foi. Ça ne les rend pas inutiles ou non valables, mais il faut savoir ce que c’est. Et, parfois, en jouer. Quels mĂŠdias consultez-vous ? Avant, je me sentais toujours un peu tenu de me tenir au FRXUDQW SRXU MXVWLĂ€HU GH PD SUpVHQFH HQ YLOOH PDLV oD m’ennuyait prodigieusement. Maintenant, je peux ĂŞtre ce que j’ai toujours voulu, une sorte d’historien amateur. Je lis très peu les journaux, mĂŞme en ligne. J’aime le cinĂŠma classique hollywoodien, avec une prĂŠfĂŠrence pour le muet et le western. Je me fous du dernier DiCaprio comme de mon dernier slip. Je butine parfois sur les sites, j’Êcoute rarement la radio, sauf en voiture, MH QH UHJDUGH OD WpOpYLVLRQ TXH SRXU GHV Ă€OPV VXU OH FkEOH et les matchs de Premier League anglais ; les news en AmĂŠrique m’ont dĂŠgoĂťtĂŠ, c’est irregardable et ça me rend violent. Comment avez-vous appris ce mĂŠtier ? Le dĂŠtonateur, c’est la dĂŠcouverte de Grover Lewis, journaliste Ă Rolling Stone de 1971 Ă 1973, auquel vous avez consacrĂŠ un livre, Freelance ? ÂŤ Je lui dois ma vocation et la singularitĂŠ qui m’isole encore Ă ce jour. Âť Je n’ai appris que sur le tas, sans formation aucune. J’ai juste eu la chance de tomber sur une pĂŠriode oĂš certaines revues recrutaient des amateurs et leur permettaient de se dĂŠvelopper. Pour moi, ça a ĂŠtĂŠ Rock &

Folk. Les AmĂŠricains, particulièrement ceux de Rolling Stone, m’ont toujours fascinĂŠ, et je ne dis pas que ça QH P¡D SDV LQĂ XHQFp PDLV O¡LGpH GH SRXYRLU XQ MRXU IDLUH FRPPH HX[ QH P¡HIĂ HXUDLW PrPH SDV &¡pWDLW WURS IDQWDVWLTXH *URYHU /HZLV > @ O¡HIIHW TX¡LO D HX sur moi, est arrivĂŠ bien plus tard, quand je ÂŤ pratiquais Âť dĂŠjĂ depuis près de vingt ans. De lui, je tiens mon goĂťt pour les sujets insolites, ceux qui ne devraient pas faire OH VXMHW G¡XQH SDJH GH PDJD]LQH HQFRUH PRLQV GH GL[ (W FHWWH PpĂ€DQFH LQQpH GHV pGLWHXUV OH Š PRL FRQWUH eux Âť, qui le faisait survivre – mais qui l’a passablement endommagĂŠ aussi. Freelance n’est pas qu’une ode au ERQKRPPH F¡HVW XQ OLYUH DVVH] FULWLTXH DXVVL HW MH suppose que les critiques s’appliquent autant Ă moi qu’à lui. Sur Lewis, encore : ÂŤ Il se rongeait les foies d’être si peu reconnu. Âť Et vous, ça va ? Très bien, merci. Les critiques ont toujours ĂŠtĂŠ incroyablement gĂŠnĂŠreux envers moi. Je jouis aussi d’une rĂŠputation disproportionnĂŠe aux tirages de mes livres, un peu amusante. Les gens qui vous lisent depuis des annĂŠes, TXL GLVHQW TXH YRXV DYH] Š FKDQJp OHXU YLH ÂŞ 3DV beaucoup, mais ceux-lĂ , je n’ai aucune raison de douter G¡HX[ HW oD PH SDUDvW VXIĂ€VDQW &H TXL QH YHXW SDV GLUH que je ne jalouse pas certaines personnes parfois, leur confort, leur sĂŠcuritĂŠ. Mais je n’avais pas l’estomac pour en arriver lĂ . Les heures de bureau, supporter les hiĂŠrarchies. C’est une libertĂŠ qui se paie. Donc, ça va. Vos mĂŠthodes, en interview ? Je sais faire parler les gens, j’ai un don pour ça, mais je suis un très mauvais intervieweur en ce sens qu’il me faut ĂŞtre un interlocuteur ĂŠgal au sujet. Or, premièrement, ils n’en ont rien Ă foutre, mĂŞme si certains WURXYHQW oD UDIUDvFKLVVDQW HW GHX]LR OH UpVXOWDW HVW j chaque fois en deçà du plaisir de la rencontre. ,O \ D DXVVL WRXMRXUV XQ GHJUp GH Ă DWWHULH VLPSOHPHQW numĂŠro 34 — 209

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dans le fait de s’y intĂŠresser, d’avoir fait le boulot minimum, la recherche (je suis gĂŠnĂŠralement trop SUpSDUp FH TXL QH PH VHUW SDV EHDXFRXS 4XDQG F¡HVW Jack Nicholson, ça va, parce qu’il a Ă peine besoin d’un interlocuteur, il se dĂŠvide, c’est sa vanitĂŠ et sa genWLOOHVVH FRPELQpHV (W YRXV SRXYH] HQ UHQGUH FRPSWH comme je l’ai fait dans LibĂŠ j O¡pSRTXH GH >VRQ Ă€OP@ The Two Jakes > @ ² j OD IRLV VDQV PpFKDQFHWp QL dĂŠdain, mais sans me laisser me bourrer le mou non plus. Je crois que c’est l’Êquilibre Ă rechercher, et les circonstances s’y prĂŞtent rarement. Il faut avoir des choses Ă RACONTER. C’est ça votre travail, pas UHWUDQVFULUH XQH Ă€FKXH FDVVHWWH ÂŤ Un des principes de l’interview rĂŠussie est de toujours paraĂŽtre plus con et moins informĂŠ que vous ne l’êtes rĂŠellement. Âť dD YDXW VXUWRXW SRXU OHV LQWHUYLHZV Ă€OPpHV -¡DL DSSULV ça avec CinĂŠma-CinĂŠmas > @ /HV TXHVWLRQV les plus banales ĂŠtaient les plus payantes. Il faut avoir la modestie de s’effacer, ce qui m’Êtait très pĂŠnible. Pour un journal, l’important est de mettre le type en FRQĂ€DQFH DYHF GHV TXHVWLRQV HQ DSSDUHQFH VpULHXVHV Ça marche Ă chaque coup, mais ça donne souvent des interviews plombantes. Ce qui paie vraiment, surtout SRXU OHV PDJD]LQHV F¡HVW OD FRQIURQWDWLRQ 3RVHU GHV questions Ă rebrousse-poil. Mais ça, je ne sais pas faire. Je peux raconter ce qui se passe, mais rarement le provoquer. Et puis, il y a une malhonnĂŞtetĂŠ foncière derrière ce genre de comportement. La tĂŠlĂŠ, les talkshows, c’est basĂŠ lĂ -dessus. Les rĂŠdacteurs en chef ont pris le pli. Si on leur donne un truc un peu sĂŠrieux, ils se fâchent. Ils n’ont sĂťrement pas tort, dans leur carrĂŠ de choux. Les gens aussi se sont habituĂŠs à ça : soit le dĂŠballage, soit la petite colère. Vous ĂŠcrivez long, parfois vingt-sept feuillets. Savezvous ĂŞtre lapidaire ? Je ne suis pas très bon sur le court, encore moins dans le lapidaire. Mais, avec l’arrivĂŠe du net et des mails, j’ai appris Ă raccourcir en un temps record. Bayon m’appelait, faut virer deux feuillets. Ou trois paragraphes. GĂŠrard Lefort m’a forcĂŠ Ă rĂŠduire une nĂŠcro sur Burt /DQFDVWHU GH GRX]H j VL[ IHXLOOHWV 'H OD WRUWXUH mais j’en ĂŠtais capable. Il y a toujours une coupe qui fait plus mal qu’une autre, et j’aime le faire moi-mĂŞme. Les gens qui ĂŠditent n’ont pas toujours le sens de ce qui fait qu’un article marche ou pas. Surtout dans mon cas, oĂš j’ai souvent agressivement utilisĂŠ la digression pour trimballer le lecteur et le dĂŠsorienter ; ça a longtemps ĂŠtĂŠ mon moteur. L’usage du ÂŤ je Âť ? Au cas par cas ? -¡DL Ă€QL SDU DSSUpFLHU O¡LQWHUGLFWLRQ SDUFH TXH oD P¡D appris Ă ĂŠcrire autrement et Ă me rendre plus ÂŤ employable Âť ailleurs. Sinon, il y a autant de stupiditĂŠ Ă interdire le je qu’à l’utiliser tout le temps. Comme vous dites, c’est du cas par cas. Plus on avance dans le recueil, plus LibĂŠ fait appel Ă vous pour des nĂŠcrologies. Angoisse ? &¡HVW PRL TXL PH SURSRVDLV ,OV RQW Ă€QL SDU FRPSWHU VXU moi pour ces choses, mais se seraient bien dispensĂŠs

de passer beaucoup de ces nĂŠcros. Dans un autre livre, Caractères > @ LO \ D WRXW XQ FKDSLWUH Oj GHVVXV c’est une façon de parler de gens qui n’auraient pas eu leur place dans un quotidien, mĂŞme aussi atypique que LibĂŠration. Ce journal avait ça de bien, avec eux les morts avaient des droits ; droit Ă la Une, quand ils ĂŠtaient cĂŠlèbres, ou Ă un bas de page dans le cas contraire. Tel dessinateur de Mad, telle strip-teaseuse, ou le mec qui s’occupait de Faulkner, Flannery O’Connor ou Malcom Lowry dans telle maison d’Êdition. Le petit monde. Les arrière-cuisines. Mon turf. Premier papier publiĂŠ ? Ça part d’une lettre d’insultes Ă Rock & Folk. Au lieu de la publier, Philippe Constantin, qui s’occupait du FRXUULHU P¡D PLV DX GpĂ€ G¡pFULUH XQ WUXF SROpPLTXH VXU le groupe Blood Sweat and Tears et ce que je voyais Ă O¡pSRTXH FRPPH OH FRPPHQFHPHQW GH OD Ă€Q OHV SUpWHQWLRQV URFN OD Š IXVLRQ ÂŞ GH PHV GHX[ O¡DSSRUW GX MD]] HW du classique. Tous ces trucs ampoulĂŠs qui cherchaient Ă donner une respectabilitĂŠ au rock et qui plaisaient aux beaufs de la presse et aux parents. Évidemment, le canard avait trouvĂŠ bon d’amortir le choc avec un papier de Philippe Paringaux qui chantait les louanges de Chicago – un groupe similairement prĂŠtentieux, lĂŠgèrement plus supportable. C’est ce qui m’a mis le pied j O¡pWULHU HQ MH FURLV 0DLV MH Q¡DL FRPPHQFp Ă collaborer rĂŠgulièrement qu’une fois en AmĂŠrique, Dernier papier publiĂŠ ? Au dĂŠbut de l’ÊtĂŠ, dans GQ, sur la maison du crime sur Franklin Avenue Ă Los Angeles, et sur le Docteur Hodel, un criminel couvert par la police de Los Angeles pendant vingt ans et qui est sĂťrement l’homme qui a tuĂŠ le Dahlia noir. J’ai fait la visite de la maison avec VRQ Ă€OV XQ DQFLHQ Ă LF TXL D UHFRQVWLWXp O¡HIIDUDQW SX]]OH de la carrière criminelle de son père. Ah non, après il y a eu le papier de couverture, une interview avec Harrison Ford‌ Prochain papier publiĂŠ ? Ce sera sans doute pour Vogue Hommes, un numĂŠro sur O¡REVHVVLRQ &HOOH GH OD JORLUH FKH] -DPHV 6DOWHU TXL D ĂŠtĂŠ chercher dans la littĂŠrature ce qu’il n’avait pas pu dans le ciel de CorĂŠe comme pilote de chasse. (QĂ€Q TXHOOHV VRQW YRV UqJOHV " Je ne rĂŠussis pas toujours Ă m’y tenir, mais je dirais ne jamais rien faire sans passion. C’est ce qui me dĂŠbecte OH SOXV FKH] OHV DXWUHV TXDQG MH OH GpWHFWH Dans un mĂŠtier oĂš on se prĂŠoccupe surtout de futilitĂŠ, ça me paraĂŽt ĂŞtre la moindre des choses d’y croire dur comme fer, et surtout de vouloir le faire partager. On peut se tromper, et je me suis souvent trompĂŠ bien sĂťr, mais sur le coup on doit ĂŞtre sincère. C’est pour ça que oD P¡HVW SOXV GLIĂ€FLOH GH IDLUH GHV SDSLHUV VXU GHV FpOpEULWpV SDUFH TXH MH Q¡HQ DL YUDLPHQW ULHQ j FLUHU Âł L’Oreille d’un sourd – L’AmĂŠrique dans le rĂŠtro, 30 ans de journalisme

Grasset 568 pages, 25 euros numÊro 34 — 211

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mĂŠdias paraboles SĂŠries

LIFE’S TOO SHORT : THE OFFICE AVEC DES NAINS

:DUZLFN 'DYLV PHVXUH P Warwick Davis est acteur. Vous le FRQQDLVVH] &¡HVW OXL GDQV Willow. Il joue un Ewok dans Le Retour du JedĂŻ et Yoda dans La Menace fantĂ´me. Il a d’autres SHWLWV U{OHV KD KD GDQV Le Monde de Narnia ou Harry Potter %UHI KD KD F¡HVW OH QDLQ GHV blockbusters. Warwick est le hĂŠros de Life’s Too Short, sĂŠrie ĂŠcrite et rĂŠalisĂŠe par Ricky Gervais et Stephen Merchant, FRSURGXLWH SDU %%& HW +%2 VXU XQH LGpH RULJLQDOH de Davis lui-mĂŞme. Le pitch : ÂŤ The life of a showbiz dwarf. Âť Ni phĂŠnomène de foire comme dans Freaks 7RG %URZQLQJ QL UkOHXU UHYHQGLFDWLI FRPPH dans Ça tourne Ă Manhattan 7RP 'L&LOOR OH sujet est traitĂŠ sous l’angle de la banalitĂŠ quotidienne. Showbiz ou pas, c’est la galère pour atteindre les interphones.

Grinçant, cruel, très drĂ´le Life’s Too Short reprend les codes de 7KH 2IĂ€FH. Un faux docu sur la vie d’un loser qui se la raconte. Davis joue une version pathĂŠtique de lui-mĂŞme : acteur au chĂ´mage, larguĂŠ par sa femme, endettĂŠ, menteur, prĂŠtentieux, mendiant la charitĂŠ d’un duo de producteurs (Gervais et Merchant, eux aussi dans leurs propres U{OHV &RPPH GDQV Extras, leur crĂŠation prĂŠcĂŠdente, les ĂŠpisodes multiplient les guests poids lourds (Liam Neeson, Johnny Depp, Helena Bonham-Carter, Sting, 6WHYH &DUUHOOÂŤ &RPPH WRXMRXUV FKH] *HUYDLV 0HUFKDQW F¡HVW LQWHOligent, grinçant, cruel, très drĂ´le. ÂŤ Je m’occupe des sujets tabous Âť, explique Gervais, qui n’est jamais aussi bon que lorsqu’il aborde le racisme, le handicap ou les QD]LV ([HUFLFH G¡pTXLOLEULVWH TXL FRQVLVWH j ULGLFXOLVHU OH politiquement correct sans devenir craignos. C’est aussi OD UHFHWWH GH O¡DXWUH JpQLH FRPLTXH GHV DQQpHV Sacha Baron Cohen. Deux Anglais. Mais nous sommes HQ HW RQ SHXW WURXYHU j FHV UHVVRUWV XQ SHWLW JR€W GH dĂŠjĂ -vu. Maintenant que l’humour sur les handicapĂŠs est mainstream (Intouchables LO YD IDOORLU SHQVHU j DXWUH chose. En mĂŞme temps, le mot ÂŤ craignos Âť est utilisĂŠ dans cet article, donc nous sommes mal placĂŠs pour GRQQHU GHV OHoRQV Âł Life’s Too Short

diffusĂŠe depuis novembre sur BBC 2

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par Julien Blanc-Gras

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mÊdias CARTE BLANCHE À PACÔME THIELLEMENT CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP !

Pacôme Thiellement publie en fÊvrier Tous les chevaliers sauvages – tombeau de l’humour et de la guerre (Êditions Philippe Rey),  un voyage dans les formes offensives du comique à partir du moment oÚ l’esprit du Bushido a dÝ quitter le Japon, traverser la Terre et occuper provisoirement le Professeur Choron et l’Êquipe de Hara-Kiri pour ensuite rejoindre Andy Kaufman, en passant par Roland Topor et les Monty Pythons , dont est tirÊ le prÊsent extrait. Il termine actuellement les deux derniers Êpisodes de sa sÊrie vidÊo  carnavalesque et apocalyptique  corÊalisÊe avec Thomas Bertay, Le Dispositif.

Choron, chef de guerre On sait Ă peu près tous Ă quoi pouvait ressembler une apparition du professeur Choron. Ce qu’on sait moins, c’est le basculement provoquĂŠ par ses deux faces, tel Charlie Chaplin : ÂŤ dedans Âť et ÂŤ dehors Âť. Sans sa moustache, personne ne reconnaissait Chaplin (passant incognito son propre concours de sosies, il est arrivĂŠ WURLVLqPH &URLVp GDQV OD UXH GHV 7URLV 3RUWHV HQ GpEXW d’après-midi, avant de passer le rideau vert de sa salle de rĂŠdaction, Choron ĂŠtait invisible dans sa panoplie de Georges Bernier, un peu voĂťtĂŠ, avec sa casquette, ses grandes lunettes rondes et sa veste noire. Mais, une fois dedans, il faisait corps avec son masque, se nourrissait du chaos et de la fumĂŠe, explosait dans des monologues qui faisaient frĂŠmir le fond des mondes. Il y aurait beaucoup Ă dire sur Choron et le ÂŤ pouvoir charismatique Âť. Sauf que Choron avait beau ĂŞtre charismatique, ce n’Êtait pas un homme de pouvoir : c’Êtait un chef de guerre. S’il avait ĂŠtĂŠ un homme de pouvoir, il aurait mis beaucoup d’ironie dĂŠtestable dans son champagne. Il aurait toujours eu l’air de ÂŤ dire tout haut ce que les autres pensent tout bas Âť (alors qu’il faut toujours dire, tout haut ou tout bas, ce que personne n’a encore SHQVp &RPPH WRXV OHV DWURFHV FKURQLTXHXUV G¡DXjourd’hui, il aurait eu des paroles tendancieuses, racistes ou homophobes, dites dans un style feutrĂŠ, avec des Ĺ“illades de connivence abjecte. Or, toutes ces manigances d’homme de pouvoir, Choron n’en usait jamais. Ce Ă quoi on se confrontait lors de ses monologues, c’Êtait Ă une anarchie sauvage, sans prĂŠfĂŠrence idĂŠologique et sans pitiĂŠ ; une vision drĂ´le et violente de l’absurditĂŠ de l’existence. IntensitĂŠ, courage et honneur Comme la pataphysique, comme la continuitĂŠ conceptuelle, l’humour bĂŞte et mĂŠchant est une ascèse. Et Hara-Kiri Q¡pWDLW QL XQ PDJD]LQH QL XQH DYDQW JDUGH F¡pWDLW XQH 9RLH &H Q¡pWDLW SDV XQ PDJD]LQH O¡H[LVtence ou la non-existence d’un support papier n’Êtait nullement garant de la prĂŠsence de l’esprit Hara-Kiri. Choron seul, un soir, dans un bar, pouvait ĂŠpiphaniser l’esprit Hara-Kiri ; alors qu’en vingt ans de malheur, HW OD SDUWLFLSDWLRQ G¡pPLQHQWV JpQLHV *pEp :LOOHP le pseudo-Charlie GHV DQQpHV Q¡D MDPDLV UpXVVL j QH

serait-ce que le suggĂŠrer. Ce n’Êtait pas non plus une avant-garde : pas parce que le mensuel bĂŞte et mĂŠchant Q¡pWDLW SDV DVVH] DUWLVWH SRXU SUpWHQGUH j FH WLWUH PDLV au contraire parce qu’il l’Êtait trop. Les avant-gardes, après-guerre, furent artistiquement nulles, poĂŠtiquement bancales, politiquement idiotes. Hara-Kiri fut gĂŠnial presque partout. Mais surtout, dans la personne du professeur Choron, Hara-Kiri aida Ă rendre lisible une des conditions d’existence produites par l’aprèsguerre, affectant Ă la fois l’art et la vie, Ă savoir qu’on ne pouvait plus vivre avec intensitĂŠ, courage et honneur, sans faire de sa vie une Ĺ“uvre d’art, et son corollaire immĂŠdiat : on ne pouvait plus produire d’œuvre d’art intense, courageuse et honnĂŞte, sans que celle-ci ne soit LPPpGLDWHPHQW YpULĂ€DEOH HQ WDQW TXH YLH Âł

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musique platines You keep me hang’in on

Portico Quartet, ĂŠlectro-jazz chauffĂŠ au wok L’impression de s’enfoncer dans un lit ouateux. Il y a dix ans, deux Anglais se pointent au Womad, JUDQG UDRXW GHV PXVLTXHV GX PRQGH ODQFp HQ SDU Peter Gabriel, installĂŠ cette annĂŠe-lĂ Ă Reading, au sud de l’Angleterre. Et tombent sur un drĂ´le de truc : un hang, version avancĂŠe du gamelan balinais conçue par des Suisses qui ressemble Ă deux woks posĂŠs l’un sur l’autre. Nick Mulvey, batteur, l’achète par curiositĂŠ – au pire, ça fera une bonne dĂŠco. Après quelques essais, il dĂŠcouvre que le hang peut avoir des sonoritĂŠs incroyables – le lit ouateux, donc. C’est le point de dĂŠpart de Portico Quartet, n’ayant jamais rĂŠellement FKRLVL HQWUH MD]] HW SRS FRQFHQWUpV VXU O¡DOFKLPLH ĂŠtrange pouvant nouer entre eux un bassiste, un saxophoniste, un batteur et... un joueur de hang, lançant des rythmiques rĂŠpĂŠtitives et caressantes que la contrebasse habille harmonieusement, le tout enveloppĂŠ par les errances du saxo. Portico Quartet, c’est Sigur RĂłs sans voix haut-perchĂŠe, Philip Glass en plus cool, Pink Floyd sans les guitares. Des choix judicieux qui les amènent HQ j rWUH QRPPpV DX 0HUFXU\ 3UL]H outsiders

incongrus entre Radiohead, Elbow ou The Last Shadow 3XSSHWV ² YRXV HQ DYLH] HQWHQGX SDUOHU YRXV " Ce manque sera comblĂŠ cette annĂŠe avec leur troisième album homonyme, qui non seulement rĂŠconciliera les habituĂŠs du Motel avec ceux du Duc des Lombards, mais fera aussi sortir de leurs caves les amateurs de dubstep et dodeliner les abonnĂŠs un peu raides de la CitĂŠ de la Musique. Evolution logique pour quatre trentenaires traĂŽnant comme Hot Chip du cĂ´tĂŠ d’Hackney : Portico s’est mis Ă l’Êlectro. ZĂŠro beat revanchard, mais des textures douces comme les seins de Meat Loaf dans Fight Club IDLVDQW RIĂ€FH GH YLUJXOHV ELHQ SODFpHV GDQV leur grammaire sonore toujours aussi cohĂŠrente – au passage, Keir Vine aura remplacĂŠ Nick Mulvey derrière le hang. Après James Blake redonnant au dupstep sa virginitĂŠ soul, Portico Quartet l’Êlève très haut, vers OHV VRPPHWV GH 6WHYH 5HLFK Âł Portico Quartet

Real World / Harmonia Mundi Live!

Hang over le 6 fĂŠvrier au CafĂŠ de la Danse, Paris.

Š Jamie Leith

par TimothÊe Barrière

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platines En plus

Django Django Non contents de rallonger la liste des groupes aux noms bĂŠgayants [voir Twin Twin p. 136], ces quatre Ecossais ont dĂŠsormais l’opportunitĂŠ de dĂŠmontrer la valeur de leur improbable parti pris : balancer de O¡DFLG KRXVH Ă€OWUpH VXU GX SV\FKpdĂŠlisme moite, et faire comme si de rien n’Êtait. On leur souhaite : de faire mieux que Pony Pony Run Run. On ne leur souhaite pas : d’être tĂŞte d’affiche du festival Django Reinhardt de Samois-sur-Seine. Live! Le 14 fĂŠvrier Ă la Boule Noire, Paris.

EN CAMPAGNE EN 2012 Spector /¡HIĂ€FDFLWp PpORGLTXH GHV 6WURNHV HW la nonchalance lĂŠgendaire de Jarvis &RFNHU SURYRTXHQW JpQpUDOHPHQW la sympathie : sans surprise, ces Londoniens sont dĂŠjĂ les chouchous putatifs de la BBC et des Inrocks.

A moins que ne s’applique la jurisprudence Wu Lyf, le groupe le plus VXUYHQGX GH 6SHFWRU GHYUDLW susciter quelques Êmois chez les MHXQHV ÀOOHV TXL SRUWHQW GHV FXORWWHV On leur souhaite : d’Êcrire la suite d’Is This It. On ne leur souhaite pas : d’assassiner leur femme, comme leur homonyme.

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Live! Le 27 mars au Casino de Paris (première partie de Florence+the Machine).

Monogrenade

Kavinsky

Skrillex

/H FKDQWHXU V¡DSSHOOH YUDLPHQW Jean-Michel Pigeon. Osant le chant en français, ces QuÊbÊcois subliment le meilleur de MontrÊal en PpODQJHDQW DPSOLWXGHV pOHFWUR IRON WULWXUDWLRQV SRVW URFN HW URPDQWLVPH Êpique. En plus, ils font un joyeux barouf sur scène, comme lors de leur dernier passage aux Bars en Trans !

Après les fantasmes robotiques de son Nightcall sur la bande originale de Drive, le producteur le plus fainĂŠant de France pourrait peauĂ€QHU VRQ SUHPLHU DOEXP SURGXLW SDU 6HEDVWL$Q VXU O¡pWDEOL GHSXLV au moins trois ans. Vu les bides des derniers Justice et Mr. Oizo, le moment n’a jamais ĂŠtĂŠ aussi favorable.

On leur souhaite : d’être confondus avec Arcade Fire. On ne leur souhaite pas : d’être confondus avec Malajube.

On lui souhaite : de faire un show avec Ryan Gosling. On ne lui souhaite pas : de continuer à cachetonner aux galas de l’ESC Grenoble.

$ DQV FH WHFKQR SXQN FDOLIRUnien a dĂŠjĂ remixĂŠ toute la terre et, hem, produit le dernier album de Korn. Après deux premiers EPs, il devrait sortir son premier album cette annĂŠe et, en guise de prĂŠambule, il explose tout avec First of the Year (Equinox), inspirĂŠ autant par le Windowlicker d’Aphex Twin que par le hip hop des cinglĂŠs de Die Antwoord.

Live? Rien à signaler sur nos contrÊes pour l’instant.

Live! En juin. Dates et lieux Ă guetter sur leur site.

On lui souhaite : de faire oublier Aphex Twin. On ne lui souhaite pas : de devenir le nouveau Marilyn Manson.

— T. B. Live! Le 27 avril au ZÊnith, Paris. numÊro 34 — 215

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musique platines Bananas spleen

ÂŤ I’m your garbage collector / I’ll turn your trash to gold. Âť NĂŠe Ă Washington en 1972, Jennifer Herrema, maquĂŠe dès 16 ans avec Neil Hagerty au sein de Royal Trux (devenu RTX), crache depuis toujours un rock poisseux pour slackers je-m’en-foutistes post-Nirvana – Ă l’Êpoque oĂš tous les labels voulaient du grunge, le couple s’en tira fort bien avec un deal d’un million de dollars chez Virgin. On lui doit depuis une reprise intĂŠgrale de l’album Exile on Main Street des Stones, du mannequinat pour Calvin Klein et H&M, une featurette sur le dernier MGMT. Mais aussi : des comas ĂŠthyliques, une assez bonne illustration de l’expression ÂŤ heroin chic Âť (dĂŠpensant l’intĂŠgralitĂŠ de leur avance en stupĂŠfiants), des expositions d’art, des bijoux et t-shirts, une influence directe sur les it-girls et sur Sienna Miller (qui prĂŠtend l’adorer et l’imite du moins niveau fringues) et, surtout, une flopĂŠe de disques jouissivement dĂŠglinguĂŠs. La revoici avec son nouveau groupe Black Bananas, transformant, donc, en or les poubelles de la pop. par Jean-Emmanuel Deluxe

De Royal Trux Ă Black Bananas, vous demandez-vous ? avez redonnĂŠ du danger au rock. -H OHXU SRVH WURLV TXHVWLRQV 4XHOOHV L’industrie l’a-t-elle tuĂŠ en le rendant VRQW YRV LGpHV " 4XH UHFKHUFKH] inoffensif ? YRXV " (WHV YRXV SUrWV j PH IDLUH Jennifer Herrema : 2XL ÂŤ HW QRRRRQ FRQĂ€DQFH " /H URFN RIĂ€FLHO FH Q¡HVW SDV GX URFN Comme dans BrĂźno, la mode est c’est juste de la malbouffe, sans valeur souvent moquĂŠe. Que rĂŠpondre aux QXWULWLRQQHOOH 'H TXRL UHQGUH OHV JHQV critiques ? VXSHUĂ€FLHOV JUDV HW SDUHVVHX[ RX LQ4XH MH SDUWDJH OH PrPH SRLQW GH YXH versement, maigrichons et anorexiques. Les gens appartenant Ă ce milieu C’est ça qu’on appelle trash, des agissent de façon ĂŠtrange, mais c’est ce dĂŠchets. Je fais du rock, et ma musique qui le rend intĂŠressant. a encore cet aspect malaisĂŠ, qui n’est Avez-vous acquis davantage de pas aisĂŠment acceptĂŠe par tous, mais qui sagesse en vieillissant ? procure des sensations fortes. C’est ĂŠvident. Je ne cesse d’apprendre Vous avez ĂŠcrit une chanson heavy et, mĂŞme si ça rend les choses plus rock teintĂŠe de glam sur la tĂŠlĂŠ-rĂŠafolles, ça m’aide. litĂŠ, 0\ KRXVH, oĂš vous chantez : ÂŤ Tu Qu’est-ce qui vous met en colère ? peux rentrer dans ma maison et tu Les poseurs. Parce qu’ils ne sont rien. peux aspirer ma vie. Âť 8Q GHUQLHU PRW SRXU YRWUH SXEOLF La tĂŠlĂŠ-rĂŠalitĂŠ est tout sauf rĂŠelle, et tofrançais ? talement absurde. C’est un sacrĂŠ paquet ÂŤ Je t’aime plus que je vous connais. Âť de saloperies, parfois hilarantes. Âł Vous avez produit The Kills, Palace Rad Times Xpress IV %URWKHUV 7KH 0DNH 8S 4XH OHXU Drag City/Modulor

Š Steven Perilloux

Bananas flambĂŠes pour Jennifer Herrema

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platines Africa N°1

JUPITER SOUND-SYSTEM SOLAIRE DU CONGO

texte et photographie Guillaume Jan (Ă Kinshasa)

Jupiter Bokondji est un prophète, mĂŞme en son pays – seulement, les moyens de communication sont si dĂŠfectueux en RĂŠpublique dĂŠmocratique du Congo que son groupe Okwess International a du mal Ă s’y faire entendre. Qu’à cela ne tienne, ce sorcier du son dĂŠbarque en Europe avec un disque, mĂŞlant des grooves nerveux et ĂŠnergiques aux musiques traditionnelles de la forĂŞt. HĂ´tel Univers SUHPLHU DOEXP RIĂ€FLHO IDLW MDLOOLU RQ]H PRUFHDX[ Ă€pYUHX[ G¡XQH VRXO HWKQR IXWXriste portĂŠe par les mĂŠlodies de cette contrĂŠe mystique et mystĂŠrieuse. ÂŤ On compte quatre cent cinquante ethnies au Congo, explique le chanteur dans la petite cour oĂš il rĂŠpète avec Okwess, au fond d’une ruelle de boue et de poussière. Chacune a son style, tu imagines notre richesse sonore ? Or, elle reste inexploitĂŠe, jusqu’à prĂŠsent. Âť C’est la mission qu’il s’est donnĂŠe : UHYLYLĂ€HU FH WUpVRU QDWLRQDO pWRXIIp SDU OHV VWDUV bling-bling Ă la mode et le manque d’argent. RepĂŠrĂŠ SDU 'DPRQ $OEDUQ %OXU *RULOOD] -XSLWHU D SDUWLFLSp Ă l’album humanitaire DRC Music :DUS VRUWL HQ octobre dernier, qui mĂŞle pop ĂŠlectronique et rythmes tribaux. ÂŤ J’essaie de changer les mentalitĂŠs Âť, dit ce griot charismatique en allumant sa cinquième cigarette.

FrĂŞle gĂŠant -XSLWHU D JUDQGL j %HUOLQ 5HQWUp j .LQVKDVD HQ j DQV LO VH SDVVLRQQH SRXU OD PXVLTXH DX GpVHVSRLU de son père, attachĂŠ d’ambassade, vit deux ans dans les rues et fonde plusieurs groupes, toujours dans l’ombre. (Q LO JXLGH 5HQDXG %DUUHW HW )ORUHQW GH OD Tullaye, deux Français venus tourner un documentaire sur la musique de Kinshasa qui s’appellera La Danse de Jupiter 'DQV OH Ă€OP VD VLOKRXHWWH GH IUrOH JpDQW dĂŠambule dans cette ville tĂŠnĂŠbreuse Ă la rencontre d’artistes ignorĂŠs mais talentueux – ÂŤ les petits Jupiter Âť, comme il les appelle. ÂŤ Aujourd’hui, plusieurs jeunes groupes se mettent Ă faire de la musique de recherche, comme moi, en puisant dans nos ressources historiques. Ma mission de transmission est accomplie. J’ai 48 ans. MĂŞme si je devais disparaĂŽtre aujourd’hui, j’aurais atteint mon objectif. Âť Heureusement, la rotation de Jupiter ne fait que commencer. * C’est au cours de ce tournage que Renaud Barret et Florent de la Tullaye dĂŠcouvrent le Staff Benda Bilili, devenus des VWDUV LQWHUQDWLRQDOHV JUkFH DX Ă€OP KRPRQ\PH TX¡LOV OHXU FRQVDFUHQW HQ Âł HĂ´tel Univers, La Belle Kinoise numĂŠro 34 — 217

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musique platines Jeunesse sonique

STANDARD FARE,

NOS COUSINS D’ANGLETERRE Vous connaissez We Are Standard, de Bilbao ? Et si on montait une FĂŠdĂŠration ? Emma : Ce groupe a l’air gĂŠnial. Quelle idĂŠe merYHLOOHXVH Dan : Je suggère que votre journal prĂŠside cette FĂŠdĂŠration et que nous en soyons les trĂŠsoriers – on sait WUqV ELHQ JpUHU OH IULF VpULHX[ 4XL YHXW XQH QRXYHOOH JXLWDUH " Âł

LE DISQUE

TRIPLE A

Chansons sautillantes pour Europe fichue. Venu d’une citĂŠ d’acier (Sheffield, contrĂŠe d’origine de Pulp ou des Arctic Monkeys), ce trio indie-pop annonce tout le contraire d’un plan de rigueur : leur deuxième album hors d’atteinte, loin de la ville, vif et joyeux, ĂŠvoque autant Dark Vador que ces demi-sĹ“urs qu’il faut apprendre Ă aimer. Notre agence de notation Standard & Cool’s leur dĂŠcerne sans hĂŠsiter un triple A : Accueillants, Accrocheurs et Accomplis. — R. G.

Out of Sight, Out of Town Melodic / Thee SPC

Š Tom Martin/DR

Salut Standard Fare. D’oĂš vient ce nom adorable ? Emma Cooper [basse, chant] : D’une pancarte sur un bus Ă NewFDVWOH 2Q OXWWDLW SRXU WURXYHU GHV QRPV SXLV M¡DL YX cette phrase et j’ai pensĂŠ que ça nous irait bien. Bon, je voulais un ÂŤ y Âť en plus, ÂŤ Standard Fayre Âť, mais on s’est dit que ça faisait un peu trop folk. dD VLJQLĂ€H Š WDULI VWDQGDUG ÂŞ 3DUIDLW HQ FHV WHPSV GH crise europĂŠenne ? Emma : Nous avons beaucoup d’idĂŠes pour sauver l’Europe de la banqueroute – trop, Ă vrai dire, pour une VHXOH LQWHUYLHZ 'DQV XQ SUHPLHU WHPSV DFKHWH] QRV disques : je ne garantis pas que ça aide le continent, mais ça nous rendrait heureux. Dan How [guitare, chant] : Et puis la musique permet GH SHQVHU j DXWUH FKRVH $VVXUH] YRXV TX¡HOOH VRLW YLYH HW SRVLWLYH VLQRQ YRXV Ă€QLUH] SDXYUH HW HQ FROqUH Vous ĂŞtes aussi connus en France que nous en Angleterre. On pourrait s’entraider, non ? Emma : (W VL RQ pFULYDLW GDQV YRWUH PDJD]LQH " La rubrique mĂŠtĂŠo ? Dan : (PEDXFKH] QRXV FRPPH YHQGHXUV j OD FULpH ça va partir comme des petits pains. On a la tchatche, on se dĂŠbrouille en argot et le climat britannique nous a endurcis. entretien Richard Gaitet

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platines Chroniques

TROIS DISQUES EN PLUS DANS LE

JUKE-BOX

',648( -$&48(6 %(552&$/ est une icĂ´ne de l’underground. Avec sa trompette et ses idĂŠes folles, il a accompagnĂŠ Marie-France, Christophe, Pascal Comelade, Jaki /LHEH]HLW &DQ -DPHV &KDQFH HW Vince Taylor. VĂŠtĂŠran proto-punk, GHÉDALIA TAZARTĂˆS est un homme-orchestre aussi Ă l’aise avec la comĂŠdie française qu’avec les musiques tibĂŠtaines et africaines. DAVID FENECH est le cadet de la bande, mais son CV est dĂŠjĂ bien rempli (musicien pour Jad Fair, )HOL[ .XELQ HW 7RP &RUD &¡HVW Ă son instigation que l’on doit ce Superdisque 6XE 5RVD YLVLWDQW OHV marges du rock, du punk et de la poĂŠsie sonore. La langue improvisĂŠe du trio, constituĂŠe d’onomatopĂŠes et de borborygmes, synthĂŠtise bien OHXU IROLH K\SQRWLTXH Âł

',648( Trop peu connus de Dunkerque Ă La Ciotat, les Barcelonais de LA &$6$ $=8/, banda de dos chicas y tres hombres, ne cesse GHSXLV GH YRLU DXJPHQWHU OHXU popularitÊ‌ au point d’avoir eu la joie de composer le thème de la pub Nesquik en Espagne – en France, c’Êtait Rectangle de Jacno, c’est un signe important. Avec La Polinesia Meridional (OHIDQW 0RGXORU la Maison Bleue et leur cantante au crâne d’œuf Guille Milkyway lorgne vers une pop sixties caliIRUQLHQQH HW UHYLYLĂ€H OHV PpORGLHV disco d’Abba ou l’Êlectro-pop nineties (comme des simili-Pulp ou GHV 3HW 6KRS %R\V DYHF XQH sensibilitĂŠ moderne, entre dĂŠsenchantement (ÂŤ ÂżQuĂŠ se siente al ser tan joven? ÂŞ HW DWDYLVPH PpULGLRQDO (ÂŤ Ă€HVWD XQLYHUVDO ÂŞ 3RXU GDQVHU GHV QHXURQHV Âł

',648( 'HSXLV OD Ă€Q WUDJLTXH GH %URDGFDVW et la mise en veille de Stereolab, l’amateur d’Êlectronica pop se sentait orphelin. Heureusement, sous la houlette d’Andy Ramsay EDWWHXU GH 6WHUHRODE OH TXLQTXHW argentin 02'8/$5, au look sataniste ambiance Scooby-Doo, partage la mĂŞme passion pour les synthĂŠs analogiques, les voix fĂŠminines ĂŠthĂŠrĂŠes et, mince, James Clarke et Syd Dale. Leur deuxième album SinfonĂ­as Para TerrĂ­colas (OHIDQW 0RGXORU DVVH] rĂŠtrofuturiste, ĂŠvoque la solitude du cosmonaute qui dĂŠcouvrirait Giorgio Moroder sur une Terre dĂŠvastĂŠe. Plus personne pour se GDQGLQHU 0RGXODU UrYDLW G¡XQ DQ R O¡RQ VH GpSDVVHUDLW DYHF des fusĂŠes dans le dos. La rĂŠalitĂŠ est tout autre, beautĂŠ des larmes de URERWV Âł

Š DR/Helmut Henry Hans

Ben de Biel Š DR

sĂŠlection Jean-Emmanuel Deluxe

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musique platines Mexiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiico

Rebolledo, l’import latino le plus dÊvastateur depuis la grippe aviaire

Trois blousons noirs dans le mÊtro parisien : mieux que Stress, celui de Justice, souvenir du clip de Guerrero, l’un des premiers micro-tubes ludiques du Mexicain Rebolledo, paru en 2009. Depuis, le Chilien Matias Aguayo est devenue la star de l’Êlectro-funk urbain, et Cómeme, son label – sa meute –, s’est imposÊ avec dÊcalage, esthÊtique lo-fi, street-parties et tracks sexy vaguement tordus. Mauricio Rebolledo, trentenaire barbu trapu ayant plaquÊ ses Êtudes de design industriel, passe au niveau supÊrieur avec un premier album bizarrement psychÊdÊlique, Super Vato, krautfunk Êlectro sauce latine. Le son du guerrier ?

L’Êlectro au Mexique ? Mauricio Rebolledo : Elle est plutĂ´t bien fournie, et toujours en expansion. Beaucoup de jeunes sont actifs, bien que les scènes soient dispersĂŠes parce que le pays est très grand. Comme en Argentine, des projets mĂŠlangent la cumbia et d’autres musiques latines avec de l’Êlectronique. Mais nos productions ne sonnent pas comme du folklore avec des beats. L’album sonne plus direct que tes premiers maxis, mais aussi plus sophistiquĂŠ. Certains morceaux, c’est de la musique de paysage, très tendre. D’autres, de la pop de club, d’autres encore sont plus sombres et rudes,

SUHVTXH OD % 2 G¡XQ Ă€OP GH John Carpenter [Halloween, The Thing@ 0RQ LQWHQWLRQ SUHPLqUH rWUH HIĂ€FDFH REWHQLU XQH UpDFWLRQ physique rapide. Ce cĂ´tĂŠ brut vient aussi du fait que je bosse sur du matĂŠriel basique [un orgue Woody GHV DQQpHV XQH ERvWH j U\WKPHV Hammond, des cloches, un tambour et une quijada de burro, mâchoire G¡kQH@ L’Allemand Superpitcher apparaĂŽt sur Meet Me At TOPAZdeluxe, tube club tout en suspens. Vous allez continuer ? Nous avons lancĂŠ un petit label Ă tirage limitĂŠ, et nous prĂŠparons un album pour l’annĂŠe prochaine en tant que Pachanga Boys. Ce qui est curieux, c’est ce mĂŠlange : il se durcit Ă mon contact et je deviens de plus en plus romantique au sien. Quelle a ĂŠtĂŠ la meilleure rĂŠaction Ă ta musique ? Glisser un soutien-gorge de couturier dans ma sacoche pendant que je joue. Et la pire ? Ne pas venir me voir pour me dire : ÂŤ je suis la propriĂŠtaire ! Âť Âł entretien Thomas Corlin

Super Vato

CĂłmeme

L’AUTRE GORBA(T)CHEV

Philipp Gorbachev In The Delta

CĂłmeme

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Recrue rĂŠcente du label, le Russe dĂŠgingandĂŠ Philipp Gorbachev DIĂ€UPH VH VHQWLU Š plus latin chaque jour, tout en diffusant dans la troupe une vibe orthodoxe ĂŠtrange Âť et se rĂŠclame de la scène underground moscovite, ÂŤ oĂš les gens dansent comme nulle part ailleurs, en dehors du clubbing Âť. Son premier maxi, In The Delta, très techno eighties, possède un sens du funk

DVVH] REOLTXH Š C’Êtait un voyage ascĂŠtique et intense de produire ces morceaux, et c’est grâce Ă un mix très UDIĂ€Qp TX¡LO V¡HVW KDUPRQLVp avec le son du label. Nous testons les disques avec nos corps avant qu’ils sortent, et la rĂŠaction immĂŠdiate a ĂŠtĂŠ l’amour. Âť Love dit-on en AmĂŠrique, lioubov en Russie ex-soviĂŠtique, amour aux TXDWUH FRLQV GH )UDQFH Âł T. C.

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musique CARTE BLANCHE À ORELSAN CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP CONTRIBUTEUR VIP

Orelsan tourne en France pour dĂŠfendre son deuxième album, Le Chant des sirènes (Wagram / 3e Bureau) : le 19 janvier Ă Nantes, le 21 Ă Saint-AvĂŠ, le 3 fĂŠvrier Ă AngoulĂŞme, le 4 Ă Bordeaux, le 6 Ă Paris, le 10 Ă Nancy, le 12 mars Ă Saint-Etienne, le 15 Ă Marseille, le 16 Ă Saint-Martial et le 17 Ă Annemasse. Il prĂŠpare aussi une mixtape avec son groupe Casseurs Flowters, sur laquelle on risque bien d’entendre un sample de Bonkers de Dizzee Rascal.

Gloire(s) et hĂŠritage du grime anglais, vite fait Pour moi, la scène anglaise n’exisWDLW SDV DYDQW MXVTX¡j FH TXH MH GpFRXYUH OH JULPH HW 'L]]HH Rascal. Son premier album, Boy in da Corner, m’a fait pĂŠter les plombs. C’Êtait exactement ce que j’essayais de faire avec un accent de malade HW GHV LQVWUXV JDUDJH GUXP EDVV EL]DUUHV TXH M¡DLPDLV ELHQ SDUFH TXH moi aussi, j’ai grandi en ĂŠcoutant autant d’Êlectro (les Chemical %URWKHUV 3URGLJ\ TXH GH WULS KRS 7ULFN\ GX URFN RX GX PpWDO OHV 'HIWRQHV /LPE %L]NLW ² ULHQ GH trop lisse. CĂ´tĂŠ rap, j’ai d’abord ĂŠtĂŠ LQĂ XHQFp SDU OD VFqQH DPpULFDLQH Notorious BIG, Ludacris ou Jedi Mind Tricks. Pourtant, il y a encore neuf mois, je vivais Ă Caen, donc très proche de l’Angleterre. $SUqV 'L]]HH MH PH VXLV EUDQFKp sur Wiley, The Streets, puis Kano, devenu depuis l’un de mes rappeurs prĂŠfĂŠrĂŠs. Dans ses clips, c’Êtait jamais des boĂŽtes de ouf avec des trucs fantastiques en marbre. Ça restait street, East London. Idem pour les paroles de The Streets : boire au bar, avoir de petites dettes‌ mĂŞme par rapport aux meufs, ils jouaient pas les macs avec plein de bombasses autour d’eux. Sa chanson Geezers Need Excitement parlait du fait de grandir en province et s’ennuyer au point de se IDLUH GX PDO VDQV UDLVRQ JHQUH EDVWRQV GH Ă€Q GH VRLUpH Ça ressemblait vraiment Ă ce qu’on vivait, mes potes et moi, y compris pour les styles vestimentaires. Rien Ă voir avec l’hyperbole US. London Calling Le clip Upper Clapton Dance de Professor Green est sorti Ă peu près en mĂŞme temps que celui de ma chanson No Life HW OHV GHX[ RQW GHV VLPLOLWXGHV VDPSOH de musique classique, camĂŠra sur pied très proche des visages. Ça m’a amusĂŠ, on sent que c’est dans l’air.

Sur mon deuxième album, Mauvaise IdĂŠe ou Des trous dans la tĂŞte SHXYHQW IDLUH DVVH] GXEVWHS DYHF OHXUV Ă RZV VDFFDGpV HQWUH ESP HW ESP (W VXU Finir mal, je fais du grime en fait. Depuis, le genre a ĂŠvoluĂŠ, avec des types comme Skepta, Tinie Tempah, Tinchy Stryder, Example ou Giggs. Ça devient vraiment mainstream, mĂŞme Snoop Dogg a UDSSp VXU GHV LQVWUXV JDUDJH 8. $X Ă€QDO FH VW\OH HVW VXSHU PDUTXp PDLV D EHDXFRXS G¡LQĂ XHQFH sur la musique actuelle. D’ailleurs, j’aimerais bien ĂŞtre mieux informĂŠ, connaĂŽtre les ragots dans le milieu. Internet c’est bien, mais lĂ j’ai envie d’aller Ă Londres pour m’imprĂŠgner de cette culture. Je ne l’ai fait qu’une fois, vite fait, il y a dix ans, loin du rap. Maintenant, j’ai des contacts. En plus, ça fait trop longtemps que je ne suis pas parti en vacances.

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vieux gĂŠnie interview Musique

Jean-Claude

Vannier Co-auteur mĂŠconnu de 0HORG\ 1HOVRQ, l’arrangeurpoète Jean-Claude Vannier, 68 ans, vient de publier Roses Rouge Sang, inĂŠdit en France.

Il a tissĂŠ des canevas brinquebalants aux quatre coins de la musique française : de Serge Gainsbourg (Histoire de Melody Nelson, j -RKQQ\ +DOO\GD\ Que je t’aime GH 3ROQDUHII On ira tous au paradis, j -XOLHQ &OHUF Petits pois lardons GH Brigitte Fontaine (Brigitte Fontaine est‌ folle Ă Maurane (Sur un prĂŠlude de Bach ÂŤ dD QH l’aura pas empĂŞchĂŠ d’essuyer les portes closes quand, il y a quelques annĂŠes et sous l’impulsion de son ami compositeur Bruno Coulais (Microcosmos, Coraline Jean-Claude Vannier se prĂŠsente aux producteurs du Tout-Paris avec un nouveau bĂŠbĂŠ difforme. C’est Ă /RQGUHV TX¡LO WURXYHUD UHIXJH FKH] XQH MHXQH JpQpration de labels indĂŠpendants menĂŠe par le furieux frisĂŠ Andy Votel, ravie, elle, de remettre l’idole gallic pop sur la carte du Tendre des music freaks. Soient les

entretien Julien Taffoureau photographie Yannick Labrousse

documente sa carrière d’illustrateur sonore et repĂŞche des compos sauvages restĂŠes coincĂŠes dans les tiroirs d’un braconnier (L’ElĂŠphant ĂŠquilibriste, La Girafe au ballon, L’Ours paresseux‌ ou comment croiser sans casse orchestres de klaxons, percussions tribales HW IRONORUH EUHWRQ 2Q D SURĂ€Wp GH O¡RFFDVLRQ SRXU traquer l’animal sur ses terres, dans le Marais parisien, Ă€QDOHPHQW DWWDEOp j XQ FDIp SODFH GHV 9RVJHV HQWUH les collants de bĂŠton de la statue de Louis XIII et un clochard improvisant sous les arcades des chants anars entrecoupĂŠs de soli de sac plastique. Entre noblesse et bidouille, le grand ĂŠcart parfait. Vos fameux arrangements de cordes ont quelque chose d’oriental, non ? Jean-Claude Vannier : On dit souvent que je suis arabisant, mais ce n’est pas tout Ă fait exact. Le mode que j’emploie habituellement vient de l’Inde du Nord :

ÂŤ Les gens cĂŠlèbres sont hystĂŠriques. Âť mĂŞmes garnements qui avaient patiemment montĂŠ en XQH VWUXFWXUH GHYHQXH Ă RULVVDQWH SRXU UppGLWHU L’Enfant assassin des mouches ERXLOORQ GpPHQW oĂš font trempette ensemble opĂŠra baroque, psychĂŠdĂŠlisme et musique concrète. Les mĂŞmes obstinĂŠs qui ont SDVVp OHV DQQpHV j FULHU TXH VL Melody Nelson est un chef-d’œuvre, c’est grâce Ă Jean-Claude. C’est donc dans les bacs anglo-saxons que dĂŠbarque Ă l’automne dernier l’inĂŠdit Roses Rouge Sang, plein de FRUGHV HQYHORSSDQWHV HW GH VRXIĂ HV pJUDWLJQpV SDUDOlèlement au pot-pourri d’archives Electro Rapide qui

il m’Êvoquait les gĂŠmissements d’une femme, entre plainte et plaisir. La musique arabo-andalouse ne sonne SDV SDUHLO HOOH D SOXV j YRLU DYHF OH Ă DPHQFR oD QH PH convient pas. NĂŠanmoins, ado, je passais mon temps dans une boĂŽte gĂŠniale, rue de La Huchette : le El-Dja]DwU Š O¡$OJpULH ÂŞ HQ DUDEH &¡pWDLW SHXSOp GH YLUWXRVHV qui jouaient de la cithare du bled, une espèce de cymbalum [plateau sur lequel sont tendues des cordes, TXH O¡RQ IURWWH DYHF GHV SOHFWUHV@ GRQW M¡pWDLV GLQJXH A force de me voir passer ma vie avec eux, un type m’a GLW DOOH] IIIXLW¡ WX SDUV HQ $OJpULH ,O P¡D SD\p XQ

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Jean-Claude Vannier a été photographié dans la structure Les Eléments des frères Chapuisat, exposée au Centre Culturel Suisse.

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vieux gĂŠnie jean-claude vannier Interview (suite)

ELOOHW G¡DYLRQ HW MH PH VXLV UHWURXYp j $OJHU j DQV Ă gagner mon pain Ă l’hĂ´tel Aletti, ce palace qu’on voit dans PĂŠpĂŠ le Moko >-XOLHQ 'XYLYLHU @ R FRQYHUJHDLHQW WRXWH OD PDĂ€D OHV SROLFHV OHV EDUERX]HV (W PRL je regardais ça, assis sur mon tabouret. Vous y ĂŠtiez pianiste, c’est bien ça ? 2XL -¡DYDLV VLJQp VDQV YUDLPHQW OLUH 4XDQG M¡DYDLV Ă€QL GH PDO MRXHU GX SLDQR MH GHYDLV IDLUH WDSLVVHULH DYHF les belles plantes, ce qui m’arrangeait puisque j’Êtais sĂťr d’avoir plein de copines‌ J’ai vĂŠritablement appris la musique sur place, en papillonnant dans la casbah. Et puis je vous l’avoue, mon vrai modèle, c’Êtait la

suprĂŞme, le son des vauriens. Les ĂŠvĂŠnements d’AlgĂŠrie ĂŠtaient dans toutes les tĂŞtes, l’esprit belliqueux les assimilait systĂŠmatiquement Ă des salopards‌ Le racisme Ă l’Êtat pur. 68, vous en ĂŠtiez ? J’Êtais en Angleterre. Je travaillais pour Claude François et d’autres, dont je tairais le nom ; Cloclo c’est dĂŠjĂ pas reluisant, alors le reste‌ mes petits mĂŠnages. Ce qui ĂŠtait drĂ´le, c’est que les douaniers anglais me demandaient si j’Êtais communiste et si j’avais l’intention de IDLUH OD UpYROXWLRQ -H UpSRQGDLV QRQ QRQ QH YRXV LQTXLpWH] SDV %LHQ V€U HQ )UDQFH DYHF OH FLQpDVWH

ÂŤ Je souhaite de tout mon cĹ“ur que les banques fassent faillite, en particulier la mienne ! Âť Jean-Claude Vannier FKDQWHXVH pJ\SWLHQQH 2XP .DOWKRXP > @ Mon style, les violoncelles redoublant violons et altos notamment, doit sĂťrement Ă son orchestre. 8Q VWXGLR YRXV DYDLW DXVVL HQYR\p Š aux Arabes Âť. Expliquez-nous. Un peu avant, pour faire plaisir Ă mes parents, je suis GHYHQX SUHQHXU GH VRQ FKH] 3DWKp 0DUFRQL MH FDSturais les yĂŠyĂŠs, absolument sans intĂŠrĂŞt. Un jour, un directeur artistique faisait chanter sa petite amie, et je ne sais pas ce que j’ai foutu, j’ai mis toutes les bonnes prises Ă la poubelle et montĂŠ les mauvaises bout Ă bout – une horreur, qui m’a valu d’être virĂŠ. Pour me punir, ils m’ont mis aux accordĂŠons, que j’adore depuis. Après une autre connerie, ils m’ont fait enregistrer les musiciens et les musiques arabes, selon eux la punition

Philippe Garrel [Le Lit de la Vierge, LibertĂŠ la nuit@ MH faisais partie d’une bande plutĂ´t sympathisante avec les manifestants. Mais jeter des cocktails Molotov, ce n’est pas mon truc. Je suis pour la rĂŠvolution, mais ma place HVW SOXW{W GDQV OD ORJLVWLTXH '¡DLOOHXUV MH Q¡DL IDLW TXH GHX[ PRLV j O¡DUPpH RQ P¡D Ă€FKX j OD SRUWH MH UHIXVDLV de remonter mon fusil. Je suis contre les armes, je ne sais pas me battre et je ne veux pas le savoir. Je souhaite de tout mon cĹ“ur, en revanche, que les banques fassent IDLOOLWH HQ SDUWLFXOLHU OD PLHQQH >,O ULW @ 1968 marque l’Êmergence d’un psychĂŠdĂŠlisme français, qui conserve un hĂŠritage classique, voire UHOLJLHX[ HW SURPHXW GDYDQWDJH OD Ă€JXUH GX GDQG\ que celle du paĂŻen peinturlurĂŠ. Vous avez cherchĂŠ Ă sauver les meubles anciens de l’incendie ĂŠlectrique ?

bio express

LA MAIN AU VANNIER LouĂŠ très jeune pour ses qualitĂŠs d’arrangeur/chef d’orchestre, et grâce Ă cela plutĂ´t riche Ă 30 ans, Jean-Claude Vannier amorce en 1975 une carrière de poète-chanteur qui, paradoxalement, l’Êloigne de la lumière. ÂŤ Je ne trouvais personne pour chanter mes mots, alors je m’y suis collĂŠ. Et pour la profession, je me suis cassĂŠ la gueule. Âť En ĂŠmerge une poignĂŠe d’albums troublants (en voie de rĂŠĂŠdition numĂŠrique) oĂš se dĂŠploient joutes instrumentales enfantines et images dĂŠrangeantes, posture

dĂŠsinvolte et structures formelles très rĂŠflĂŠchies (des rimes en vise/ tire/boom/saigne dans une chanson consacrĂŠe aux flingues Browning, par exemple). L’amour y est aussi mal fait qu’il y fait mal, semblable au savon qui bulle puis pique les yeux, les arcs-en-ciel sont piĂŠgĂŠs dans les flaques d’essence, une mère chante une glaçante berceuse et le travelo du coin a droit Ă sa dĂŠclaration d’amour, son cul assimilĂŠ avec tendresse Ă une fosse commune, recueillant, faux cils aiguisĂŠs, les petites morts de tout un quartier.

Un art mĂŠconnu du tĂŠlescopage, dont on pourrait rĂŠentendre parler : après la production d’un mystĂŠrieux trio fĂŠminin dĂŠpareillĂŠ (une chanteuse pop, une chanteuse blues, une chanteuse lyrique), Vannier aimerait rĂŠenregistrer certains de ses drames chantĂŠs avec les meilleurs musiciens de son carnet d’adresses – dĂŠjĂ prĂŠsents sur Roses Rouge Sang (Dougie Wright, Vic Flick, Denys Lable‌), qui rĂŠunit enfin les deux tĂŞtes de son hydre de carrière, entre bordel sonique et spoken word lunaire. — J. T.

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Š Yannick Labrousse

La pop qu’on disait psychĂŠdĂŠlique, ça ne m’intĂŠressait pas spĂŠcialement. Ma gĂŠnĂŠration, celle de William Sheller [Lux Aeterna @ ou d’Alain Goraguer [La Planète Sauvage @ DLPDLW WRXWHV OHV musiques. On incorporait les instruments psychĂŠ dans un ensemble plus grand, qui n’oubliait pas le FODVVLTXH HW OH MD]] 2Q D SHXW rWUH donnĂŠ naissance Ă un courant, mais FH Q¡pWDLW SDV UpĂ pFKL HW HQFRUH moins concertĂŠ. Mais c’est vrai qu’il y avait peut-ĂŞtre dans l’air cette idĂŠe que le peuple pouvait piocher dans les valeurs de l’aristocratie, ne pas avoir un rond comme moi Ă l’Êpoque et s’en revendiquer. Brigitte Fontaine a incarnĂŠ le mieux cette appropriation philosophique : le refus catĂŠgorique de la vulgaritĂŠ et de la bĂŞtise, au temps des poupĂŠes chanteuses comme des bimbos californiennes‌ Ceci dit, j’ai toujours rĂŞvĂŠ qu’on me propose de mettre en PXVLTXH XQ Ă€OP SRUQRJUDSKLTXH Vous avez quand mĂŞme cĂŠdĂŠ Ă la psychĂŠ-pop avec le groupe ĂŠphĂŠmère Les Fleurs de Pavot ! C’Êtait totalement dĂŠconnant, ERXUUp GH UpIpUHQFHV SV\FKRWURSHV Une escroquerie de jeunes, de bric et de broc. On se rĂŠunissait dans les FDIpV GX e arrondissement, GĂŠrard GuĂŠgan [LibĂŠration@ RX -HDQ 3LHUUH LĂŠonardini [L’HumanitĂŠ@ LPSURYLVDLHQW GHV WH[WHV MH EULFRODLV GHV PXVLTXHV O¡DOEXP >KRPRQ\PH @ a ĂŠtĂŠ enregistrĂŠ Ă une vitesse folle. C’Êtait un peu n’importe quoi, mais rigolo. On a fait toute une campagne pour les petits pois aussi : ÂŤ On a toujours besoin d’un petit pois chez soi Âť, avec le moineau Pipiou, ça ne vous dit rien ? Dans cette pĂŠriode d’hybridation, vous cĂ´toyiez d’incroyables musiciens de studio. On parle souvent des basses gainsbouriennes, mais peu des bassistes‌ C’est que rien n’est tout Ă fait sĂťr. Qui de Brian Odgers ou d’Herbie Flowers tient l’instrument sur Melody Nelson ? Andy Votel a fait toute une enquĂŞte lĂ -dessus, en allant jusqu’à regarder tous les agendas des musiciens de l’Êpoque pour savoir ce qu’ils faisaient WHO MRXU G¡DYULO 2Q D UHWURXYp GHV SKRWRV PDLV HOOHV VRQW WUqV Ă RXHV HW RQ VDLW TX¡LO \ D HX SOXVLHXUV sĂŠances, deux ou trois jours, avec des musiciens diffĂŠrents. Je me souviens que Big Jim Sullivan, guitariste proprement dĂŠlirant, ĂŠtait lĂ , mais pour le reste... Ces musiciens, c’est un rĂŠgisseur qui nous les envoyait au

coup par coup. Gainsbourg et moi, on ĂŠtait un peu des victimes dans cette affaire – heureuses, puisqu’on a eu OHV PHLOOHXUV 0DLV F¡pWDLW GX KDVDUG Longtemps, les copies de 0HORG\ 1HOVRQ ne crĂŠditaient que Serge Gainsbourg. C’est lui qui a cherchĂŠ Ă effacer votre nom et ceux de ses musiciens ? Bien sĂťr, et ce n’est pas arrivĂŠ qu’à moi. Serge ĂŠtait un triste mĂŠgalomane, comme tous les autres. VoilĂ , sincèrement, pourquoi je n’ai jamais souhaitĂŠ ĂŞtre connu. Tous les gens cĂŠlèbres que j’ai rencontrĂŠs, et j’en ai vu EHDXFRXS pWDLHQW GLQJXHV 3DUDQRwDTXHV K\VWpULTXHVÂŤ ,OV VRXIIUHQW MH FURLV Âł

Roses Rouge Sang, Twisted Nerve Electro Rapide, Finders Keepers Live! Jean-Claude Vannier joue avec improvisations graphiques le

28 janvier au Festival d’Angoulême, en compagnie de l’orchestre et du chœur du conservatoire de la ville. numÊro 34 — 225

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numĂŠros lecteurs

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