Standard n°9

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16 rue du Fb Saint-Denis 75010 Paris France Tel + 33 1 47 70 50 26 *prénom.nom@standardmagazine.com www.standardmagazine.com RÉDACTION EN CHEF Magali Aubert* Richard Gaitet* DIRECTION ARTISTIQUE D.A. : Olivier Waissmann* GRAPHISTE : Elin Bjursell DIRECTION MODE D.A. : Jenny Mannerheim* R.C. : Lala Andrianarivony* BEAUTÉ CONSO Lucille Gauthier MUSIQUE Johan Girard* CINEMA Alex Masson LIVRES François Kasbi* ART Elfi Turpin* RÉDACTEURS Julien Blanc-Gras Philippe Bresson Xavier Chezleprêtre Estelle Cintas Jean-Emmanuel Dubois Stéphane Duchêne Arnaud Ducome Cyrille Duvert Julien Espaignet Mat Gallet Natalia Grgona Laurent Herrou David Lesimple Ivan Magrin-Chagnolleau Xavier Martin-Turmeau Romain Monnery Charles Planade Guillaume de Rinchy PHOTOGRAPHES Thomas Corgnet François Hugon Ioulex Ronan Merot Maïa Roger Miguel Rosales Muriel Vega ILLUSTRATEURS / GRAPHISTES Mélody Baschet Romuald Boivin Sydhe Cabot Cléo d’Oréfice Thomas Kieffer Cyrille Pomès Armelle Simon PUBLICITÉ

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Directrice de la publication Magali Aubert. Standard est édité par Faites le zéro, SARL au capital de 10 000 ¤ et imprimé par Joh Enschede - Van Muysewinkel, 50-54 rue du bon Pasteur, 1140 Bruxelles. Trimestriel. CP1104k83033. N°ISSN 1636-4511. Dépôt légal à parution. Standard magazine décline toute responsabilité quant aux manuscrits et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés. © Standard.


Photo : Miguel Rosales


Standard n°9 ¬ EDITORIAL

«Cette dame enceinte, dans sa robe de chambre à plis de bronze, un bougeoir à la main, c’est la Liberté éclairant le Monde. Elle tourne légèrement son flambeau vers l’Europe, comme pour l’éclairer d’abord [...]. D’en bas et de tout près, la figure verte et abstraite me terrifia. Je pénétrai sous ses jupes [...]. Rien ne ressemble plus à cette Liberté qu’une prison. Dans la tête de la Liberté, qui est vide, des Sociétés philanthropiques donnent des banquets.» Paul Morand New York (1929)

M.A. & R.G.


Bonsoir, vibrants lecteurs. N’ai-je pas une bonne tête d’explorateur britannique ? Demain à l’aube, mes matelots et moi partons pour le Nouveau-Monde, direction Ellis Island.

Vous risquez d’être surpris, Manfred, en lieu et place de terres sauvages foulées par d’intrépides peaux-rouges, vous allez trouver des tours sans âge et de d’apatrides Irlandais dans des bouges.

Auriez-vous une dent contre ces résidents ? Au contraire, sweety. Depuis plus de trois siècles, New York statue sur la liberté. Ses indigènes multinationaux pensaient qu’ils pouvaient tout se permettre, mais depuis 4 ans, pansent leurs blessures.

Intense, oui : d’après Fitzgerald, cette ville, «on n’y vit pleinement que jeune ou mort».

Tu es si profonde, Samantha, quelle belle idée de répondre au big appel avec toi. Si libérée aussi... J’aimerais que NY le fusse autant que toi.

Elle nous phagocyte. Benderson se confond avec : «Je me sentais partie intégrante de cette ville immense, aussi grand qu’elle, aussi fatal, aussi explosif - aussi difficile à tuer».

Je t’invite boire un verre dans la pomme, histoire d’inscrire nos noms au générique, et on se tape une descente le long des docks ? J’ai un nouveau boxer moulant...


MATIÈRES COMESTIBLES ¬ PEOPLE À L’APÉRO

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Goldfrapp La poupée qui dit non GRISES ¬ DOSSIER REMUE MÉNINGES

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Dossier ¬ New-York libérée ?

16 20 22 24 26 32 34 36 42 44 48

Société New-York, capitale de la lose Boursicotage Wall Street, la flambe à 20 ans Activisme Fight for your rights Médias Islam chic Art Andy, elle est où la nouvelle Factory ? Rock Bye bye CBGB ? Comédie Un Frenchie à l’Actors Studio Littérature Ch@t érotique d’une nuit d’été Mode Les quatre fantastiques Featuring «Mon New York» Paranoïa In complot we trust VIVANTES ¬ PARTIR, DÎNER, CONSOMMER : LES ARTS DE VIVRE.

50 52 54 56

Imports/Experts ¬ Les meilleurs produits à l’importation en vert et contre tout ¬ La fin des pommes Là-bas ¬ Les Ruts de San Fransisco Antif**ding ¬ Mexican divorce RECYCLABLES ¬ LE PASSÉ PARTICIPE

58 60 62 64

Personnages ¬ Petula Clark Rendez-moi mon ©oncept ¬ Mon héro est une ville Relecture ¬ Comics : les meilleurs New-yorkais sont en papier Relecture ¬ Montherlant et Giraudoux : les vieux malentendus PLASTIQUES ¬ CONSO, BEAUTÉ

66 74

Fraîcheur de vivre ¬ Lucille Gauthier Histoire d’H2O ¬ Lucille Gauthier SYNTHÉTIQUES ¬ «LES MODES PASSENT, LE STYLE JAMAIS» (COCO CHANEL)

76 80 90 96 106 114

Perestroika & Retro futur ¬ Lala Andrianarivony Central Park ¬ Muriel Vega Empire ¬ Ioulex Love is in the air ¬ Ronan Merot Invasion ¬ Armelle Simon Et j’entends siffler le train ¬ François Hugon

PREMIÈRES ¬ LES SORTIES DU MOIS

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Platines ¬ Chroniques musique + interviews : Broadcast, Devendra Banhart, Colleen, Fugu, La Laque Pellicules ¬ Chroniques cinéma + carte blanche : Appelez-moi Kubrick Papiers ¬ Chroniques livres + interviews : Pierre Mérot, Pascal Morin Palettes ¬ Chroniques expos + interviews : Fred Lebain, Matthew Monteith Pâte à mâcher ¬ Chronique bubble-gum : les taxis


Photos : 1 M.V., 3 T.C., 8 M.R., 9 T&S, 10 P.B.


comestible ¬ UN PEOPLE À L’APÉRO

LA POUPÉE QUI DIT NON

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Baby doll boudeuse du binôme portant son nom, l’Anglaise Alison Goldfrapp est connue pour fuir les interviews et casser du journaliste, qu’elle considère comme «pire que de la merde». Pour la promo de Supernature, remuant troisième album, la chanteuse, cachée sous d’immenses lunettes noires, s’est pourtant laissée dompter à l’heure du thé. Comment amadouer les stars de la pop ? Méthodologie et cas pratique : ENTRETIEN : RICHARD GAITET

(Face aux spécimens réputés difficiles, montrez fêlures et humanité). Standard : Bon… bonjour. Alison Goldfrapp : Vous êtes sûr que ça va ? (Politesse et courtoisie sont vos meilleurs alliés. Les premières secondes sont capitales). Oui, merci. Et vous ? Vous avez l’air stressé. Les interviews en anglais me rendent nerveux. (L’aveu est synonyme de confiance). Oh… ne vous inquiétez pas. Vous voulez de l’eau ? (Elle cherche à vous mettre à l’aise ; vous avez marqué un point).

10 | STANDARD # 9 // MATIÈRES COMESTIBLES

Ça ira. Alison : je suis désolé. Comment ? Je suis désolé : je sais que vous détestez la promo, la presse, les journalistes…. Ca dépend de ce qu’ils demandent. …mais j’ai quelques questions. Bon garçon. (Elle semble apprécier votre humour. Continuez sans forcer). Si vous préférez, vous pouvez aussi me poser des questions. Ok. Voyons ce que ça donne. (Evitez les sujets brûlants, son actualité directe, invitez-là d’abord à parler d’elle, d’une période de sa vie qu’elle aime particulièrement. L’enfance ou les études font généralement l’affaire). Où avez-vous appris à chanter ? Je n’ai jamais pris de cours. Je ne sais pas d’où ça vient. J’imagine qu’on découvre ça un jour. Quand j’étais à Camden School, il y avait des leçons de chant, pendant deux ans, j’adorais ça. Quand j’atteignais les notes les plus hautes, le sommet de ma tête se mettait à trembler. Wao ! Génial ! C’était la première fois qu’un prof m’encourageait. J’avais 8-9 ans. Mon père était

également passionné de musique. Musicien ? Non, mais il passait des heures à écouter du classique et nous devions lui dire ce que nous ressentions, c’était plutôt bizarre. Un jour, il a mis Carmina Burana. Un choc. Première connexion avec l’humain, le son, la voix : effrayant, excitant, fantastiquement démoniaque. Je me suis dit : je veux faire de l’opéra. Etre capable de produire ces sons. Alors pas de groupe de rock, adolescente ? Si, plein, quand j’ai déménagé à Londres. D’horribles petits groupes punks. Je les trouvais dans le journal. Une note et [elle imite une guitare] «nanananananaaaa !», puis j’ai fait des performances à l’université. Et vous continuiez vos leçons ? Non. Ça s’apprend seul. Il suffit de protéger sa voix. Et d’arrêter de fumer. Vous croyez à l’éducation musicale à travers les disques ? Définitivement. (Un dialogue naturel s’est enclenché, bravo. Recadrez maintenant l’entretien sur le fil de ses influences, afin d’en savoir davantage sur son œuvre.)


«Les interviews me rendent nerveuse, ça me met dans des situations inconfortables. Alors je m’emporte. Mais je devrais plutôt faire des exercices respiratoires, genre bouddhistes.»


Lesquels furent importants pour vous en tant que compositrice, chanteuse, et en tant que personne ? Mon dieu… Marc Bolan. Kate Bush. Roberta Flack. Scott Walker. Chopin. Carl Orff. Mon premier disque, c’est Chaka Khan, I am every woman, de la soul. Une voix incroyable, un refrain si puissant que je me sentais être cette femme. Et le premier sur lequel vous avez pleuré ? Carole King, ouais. J’étais petite, c’était celui de ma sœur. Vous mettez quoi pour vous remonter le moral ? Du disco. Genre Blondie ? Oui… j’aime bien. Mais ce n’est pas nécessairement pas une grosse influence. Debbie Harry est fantastique. Les Cocteau Twins ? Je n’aime pas particulièrement, sauf Liz Fraser [la chanteuse]. Donna Summer ? Formidable. Mais j’aime mieux Michel Legrand ou Nino Rota. Françoise Hardy ? J’adore. Surtout l’album La Question. Elle est venue à un concert, une fois. Mais nous ne nous sommes pas parlées. Portishead ? Ce sont des amis. On a le même âge, on est inspiré par les mêmes groupes, les mêmes musiques de films. J’aime bien quelques chansons de l’album solo de Beth [Out of season, 2002], plutôt joli. (Laissez tomber le présent, elle semble déçue par des questions classiques. Tentez l’anticipation.) Que ferez-vous dans dix ans ? Davantage de musique de films, entre autres. Je voudrais surtout commencer un nouveau disque maintenant, mais on n’a pas le temps, c’est embêtant. Il faut aller le défendre sur scène, on joue à Paris fin août… oh… mon dieu, ça se rapproche… [Elle gémit] On vient à peine de le finir ! Le mois dernier ! Ma tête est toujours entre les murs du studio. 12 | STANDARD # 9 // MATIÈRES COMESTIBLES

(Pensez aux incontournables). Nina Simone a dit : «si je n’étais pas devenue chanteuse, je serais devenue serial killer». Et vous ? [Elle rit]. C’est… plutôt intéressant. Je ferais sûrement quelque chose de visuel. Sur l’un des projets de pochette de Supernature, il y avait ces objets, des objets immenses, de très grosses prises électriques, et une vieille machine à écrire, et des animaux autour de moi. Ça brille, c’est assez glamour. J’aime ces images. Mais si un jour je dois tuer quelqu’un, je dirais que c’est Nina Simone qui me l’a demandé. (Elle se sent proche de vous. Avouez-lui donc votre sentiment sur le disque). Vous aviez de bonnes raisons de faire de la dance en 2005 ? Vous pensez qu’on fait de la dance ? Plutôt. Etonnant. Et vous dansez dessus ? Pas vous ? Quand vous dites «dance», vous voulez dire quoi, exactement ? Je veux dire : le son des claviers, le beat, les chansons, c’est plutôt dansant, joyeux. Auparavant, on utilisait beaucoup de sons, de textures, mais on a voulu simplifier, ce qui rend notre musique plus immédiate. Mais pas dance. Disco, peut-être. Il y a pourtant un peu de tristesse sur ce disque, liée au temps qui passe. Enfin, de la mélancolie qui, comme disent les Bouddhistes, est la voie de la vérité. (Cherchez la confidence). La chose la plus triste que vous ayez entendue ? Strange fruits de Nina Simone. Exceptionnel. [Le room service apporte de l’eau chaude. Elle demande : «C’est supposé être chaud, ça ?» puis se lève pour prendre du thé dans une valise]. (Profitez de ce geste quotidien pour en savoir plus sur son… quotidien, oui.) Vous êtes venue avec votre thé ? Oui, du thé traditionnel anglais. J’aime le thé vert servi à la britannique : vous

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mettez d’abord du lait très froid dans la tasse, vous sentez le sachet, vous mélangez le thé au lait et rajoutez de l’eau très très chaude. C’est très important. Le thé est quelque chose de très social en Angleterre. Comme le cake. (Ne perdez pas de vue votre professionnalisme). J’ai lu que vous avez eu recours à un coach pour ne pas perdre vos moyens pendant les interviews. [Elle rit]. Une seule fois ! Putain, merde ! Ces putains de nouvelles vont putain de vite ! Récemment, pendant quelques heures, quelqu’un m’a donné quelques trucs… pour rester calme. Mais ça va mieux, je suis plus relax, c’est notre troisième disque, je commence à connaître le truc. Les interviews me rendent nerveuse, ça me met dans des situations inconfortables, sur la défensive. Alors je m’emporte. Mais je devrais plutôt faire des exercices respiratoires, genre bouddhistes. Ca me calmerait. (Elle a lâché le morceau, la coquine). Vous avez peur ? Peur, oui. [Silence]. Oui. Mais je ne suis pas très bonne pour parler, je suis timide et je ne me confie pas facilement, ça me tend. Je préfère chanter. Je suis aussi sur les nerfs avant les concerts. Liz Fraser a arrêté à cause de ça. La peur. (Félicitations, vous tenez là votre séquence émotion). (Pensez à votre chute. Très important, la chute). Et le trac ? Vous avez un truc ? Non. Je bois un coup et je jure. Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Et je bois. (Parfait). R.G. ‘ Supernature (Labels).




New York, libérée ? Dites-le à tout le monde : je me tire. N’insistez pas, c’est ainsi. Je Veux Me Réveiller Dans La Ville Qui Ne Dort Jamais. New York est un foutu fantasme. La ville des villes. La matrice, le calque, le prototype évident de toute forme d’urbanité. Forcément : c’est ici que furent inventés les hot-dogs, les taxis jaunes et les tortues ninjas. On y croise Céline et Batman. Les canards de Central Park survivent aux hivers difficiles. Lou Reed est encore là. Les plaques d’égouts fument vraiment, et des Ritals en costards se bastonnent en pleine rue. J’ai Envie De Faire Partie De Tout Ça. Comme le Kafka d’Amerika, premier/dernier roman inachevé, vous savez raconter New York sans n’y avoir jamais mis les pieds. Causer sextoys entre copines dans un snack à Times Square, hurler devant les Yankees ou draguer des actrices à Manhattan en leur parlant de jazz, de Groucho Marx et de films suédois, tout ça c’est votre came. Vous êtes déjà new-yorkais. Alors pourquoi s’envoler maintenant ? Parce que la cité semble enfin libérée. Libérée de ses démons : quatre ans après, comme ils disent, «les événements», New York souffle. Oliver Stone et Nicolas Cage viennent de mettre en chantier le premier film «officiel» sur le 11 septembre (sans titre). L’aboutissement d’une catharsis collective, alimentée d’initiatives courageuses, comme Bidoun, le magazine du MoyenOrient chic et glamour (voir sujet p. 24). Le dilemme est coriace : NY, ville de toutes les libertés, est-elle réellement la plus cool du monde libre ? Un Arabe peut-il flâner pépère sur la 6ème Avenue ? Le paradis noctambule et/ou gay de Bruce Benderson (entretien p. 36) a-t-il survécu au karchër sécuritaire de l’ère Giuliani ? D’après les textes inédits de nos envoyés spéciaux (Gaspard Koenig, Gus de Kervern, Helena Villovitch, p.44), baguenauder by night dans la Big Apple est encore enivrant. Mais pour combien de temps ? New York brade son passé aux enchères : le CBGB (p.32), club culte du rock’n’roll indépendant, bataille dur face aux promoteurs déjà proprios de la première Factory de Warhol. L’underground aurait-il foutu le camp west coast ?

Erreur : la contre-culture s’éclate et nous l’avons collé de près («La Nouvelle Factory», p. 26). Le rêve américain, c’est fini, me direzvous. Effectivement : cette métropole est sans pitié, les loyers inabordables, certains reviennent sans le sou et le moral ground zéro («Capitale de la lose», p. 16) ? Ne vous inquiétez pas. Si Je Peux Le Faire Là-bas, Je Pourrais Le Faire N’importe Où. Sérieux, c’est dans la poche. J’en connais qui sont devenus nabab à Wall Street à 20 ans (témoignage p. 20) ou élève à l’Actors Studio (p. 34). Moi, peu importe, je serais Maire de Gotham ou rédac’ chef du Daily Bugle, le journal de Peter Parker. J’aurais des bretelles pas croyables, les cheveux gominés, une épaisse moustache. Par interphone, ma secrétaire m’annoncera l’écroulement de l’Occident. Avant cela, Madonna sortira son dizième album studio intitulé Confessions on a dancefloor. Huitième piste : I Love New York. Vous venez ? ¶ Richard Gaitet


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dossier NY ¬ SOCIÉTÉ

NYC CAPITALE DE LA LOSE Sérieusement, vous y avez cru, vous, à la chanson de Sinatra ? La réussite immédiate, le cash et les dents blanches ? Nos témoins, partis à l’aventure, ont rapidement déchanté. Graphiste, restaurateur, assureur : ils se sont pris le rêve américain en pleine pomme, des services sociaux défaillants à la «green card» rarissime. Portraits de déçus. TEXTE : MAT GALLET 16 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

ILLUSTRATIONS : MELODY BASCHET


«Grisante, tonique, fougueuse, New York est la ville de tous les spectacles, de toutes les possibilités et de tous les espoirs». Ainsi débute l’édito du guide Lonely Planet consacré à NY. Autrement dit : un gentil ramassis de clichés aussi frais qu’un baggle de contrebande du Spanish Harlem. A première vue, en fait. Car làbas, certains stéréotypes ont la vie dure. Comme L’American Way of Life : chaque année, ils sont encore des milliers - Pakistanais, Libanais, Togolais, Français - à faire le grand saut pour habiter cette bonne grosse Granny Smith. Si une poignée s’en tire plutôt bien, pour la majorité, le rêve est de courte durée. Installée dans un morose F1-bis de la banlieue Est de Lyon, Daniela a tenté sa chance un jour grisâtre de mai 2002 : «En apprenant le résultat du premier tour des présidentielles, j’ai pété les plombs. Je n’avais plus rien à faire en France. Du jour au lendemain, j’ai quitté mon appart, mon job de graphiste et j’ai acheté un billet d’avion pour New York, où je n’avais jamais mis les pieds, où je ne connaissais personne». Dans ses bagages : toutes ses économies (7 300 euros), un plan de Manhattan, un visa touristique valable quelques semaines et une furieuse envie de réussir sa vie. «Les premiers jours, j’hallucinais devant chaque building, chaque taxi jaune, chaque vendeur de hot-dogs. Je me sentais la fille la plus forte du monde». Jusqu’à ce qu’elle se mette à chercher un logement. «Entre le loyer et les frais, tout mon argent y est passé», se remémore Daniela, un brin amère. D’où l’urgence de trouver un job.

Trouille du contrôle Malgré son bac+4 et un anglais parfait, sans l’indispensable «green card» (voir encadré) ni permis de travail, pas un employeur ne prend le risque de l’embaucher. Daniela fait donc l’apprentissage du travail au black et, quand son visa arrive à terme, rejoint le rang des huit millions de travailleurs clandestins (dont, paraît-il, dix mille Français) que compte les Etats-Unis. Collectionnant les emplois précaires (serveuse, assistante dentaire, vendeuse de lingerie, «plieuse de lettres»), Daniela tente néanmoins de faire son trou et bosse «quinze heures par jour, six jours sur sept». Tout juste suffisant pour payer le loyer et de maigres extras. De toute façon, par trouille du contrôle des services d’immigration (expulsion immédiate), Daniela ne quitte que très rarement les blocs de Flushing Meadow, où elle a élu domicile.

«Pour survivre ici, il faut accepter les choses comme elles sont, aussi injustes soient-elles. Promenez-vous dans la rue, vous verrez : les New Yorkais s’enthousiasment de tout.» Nikolaï, serveur. Début 2005, un sérieux problème à l’oeil gauche l’oblige à enchaîner visites chez le spécialiste et interventions hospitalières, une fortune. «Certains médecins qui avaient compris qu’ils avaient à faire à une clandé en profitaient pour gonfler leurs honoraires. Je n’étais pas en position de force pour négocier». En moins d’un mois, c’est la panique : «Après mon hospitalisation, je n’ai pas pu bosser pendant quinze jours. Je me suis vite retrouvée dans l’impossibilité de payer mon loyer. J’ai appelé mon frère en ca-

tastrophe pour qu’il m’avance mon billet retour pour la France...». Accueillant, l’Oncle Sam. Accident, licenciement, procès D’autres ont eu encore moins de veine (si, c’est possible). Alors qu’il finit sa tournée de livraison de boisson, Anthony - Belge posé à New York depuis 2004, également clandé - ne parvient pas à éviter une voiture grillant la priorité. Aucun dommage corporel, pas mal


de tôle froissée mais «ça a été suffisant pour que mon patron me licencie et que le conducteur me menace d’un procès». Depuis trois mois, Anthony vit de squat en squat et chaque dollar qu’il gagne «sert à dédommager le chauffard. C’est rageant». Des situations comme cellesci, le Centre de défense du droit des immigrés en reçoit tous les jours : «Les gens font souvent appel à nous en dernier recours, quand leur situation est vraiment très chaude», commente une bénévole. Peu de temps avant, le centre a reçu un appel d’un mécano chinois employé au noir qui «s’est fait agresser et voler l’une des voitures qui se trouvait dans le garage. Il n’ose ni prévenir son patron ni se rendre à l’hôpital, de crainte d’avoir des problèmes». Pour ces étrangers sans permis, le moindre coup de pas de chance se transforme en cauchemar.

Bourges, terre promise ? Croire en sa bonne étoile, Nikolaï a vite compris que ça ne sert à rien, à New York. Originaire de Pologne et - rare titulaire d’une «green card», il possédait son propre restaurant, à Little Odessa, le quartier russe de la ville. Jusqu’à ce que la crise post-11 septembre ne l’oblige à fermer boutique. Aujourd’hui serveur dans un rade obscur, Nikolaï attend son heure. Sereinement. Lorsqu’il débarque à New York, au début des 90’s, il ne se fait aucune illusion : «J’ai compris que pour survivre ici, il faut accepter les choses comme elles sont, aussi injustes soient-elles. Mais surtout, poursuit Nikolaï, il faut se satisfaire de la plus petite chose : d’une journée ensoleillée ou pluvieuse, d’un coup de fil d’un ami, d’une rencontre. Les New Yorkais l’ont d’ailleurs bien compris : promenez-vous dans la rue et vous verrez leur capacité à s’enthousiasmer de tout». Un fatalisme ambiant qui exaspère certains New Yorkais pure souche. Quelques uns ont d’ailleurs tout plaqué pour fuir la «capitale de la lose». Ancien

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cadre dirigeant d’une grande compagnie d’assurances locale, Jonathan a quitté son Chelsea natal pour la région de Bourges où il espère devenir fleuriste. «A New York, je gagnais certes beaucoup d’argent, j’avais un très bel appartement, mais j’étais complètement pris dans la matrice de cette ville qui ne s’arrête jamais. En arrivant ici, j’ai eu une véritable sensation de liberté». Après l’American way of lose, le paradis dans le Berry ? On y croirait presque. M.G.

Pour une green card, j’ai vendu maman Obtenir son permis de travail US ? Pire que le Vietnam. Explications. A l’ambassade des États-Unis circule un adage : «Le meilleur moyen pour avoir son visa de travail ici reste d’obtenir la nationalité américaine. Et la meilleure manière de devenir américain, c’est encore d’être né en Amérique...». Soyons clairs : planter temporairement sa tente aux USA n’a rien d’easy. En effet, depuis le début des années 1990, les USA se sont rabibochés avec de vieux principes isolationnistes, par la mise en place d’un jovial système de quota, la «green card» (qui porte remarquablement bien son nom puisque aujourd’hui, elle est bleue/ rose). Valable à vie, elle vous permet à vous et à votre famille de vivre et travailler sur l’ensemble du territoire américain. Marvellous. Sauf que pour l’obtenir, mieux vaut être prêt à tout. Les points obligatoires : être majeur, pas trop malade, titulaire d’un casier judiciaire vierge et d’un niveau bac. Jusque-là, ok. Ca se complique vite : vous devez stipuler par écrit en quoi les jobs visés sur place ne pourraient pas être obtenus par de dévoués citoyens américains. Coup de grâce : les États-Unis ne délivrent que 50 000 «green cards» par an pour l’ensemble de la planète. Inutile de soudoyer l’administration : la titularisation se fait par tirage au sort, en début d’année, lors de la fameuse «Green Cards Loterie». Et, selon l’ambassade américaine, il y aurait entre sept et huit millions de demandes par an. La participation à la loterie coûtant, of course, 70 $ à chaque fois. Heureusement, certains cabinets spécialisés dans l’aide aux démarches visant à obtenir son permis de travail facturent ceci dix fois plus cher. Autrement dit : vous ne l’obtiendrez jamais, ou presque, ce permis. A l’instar de Jean-Alain, Togolais parisien qui le demande «depuis 1993, sans succès». Prix de la partie : 1 800 euros. Reste une solution : marier votre mère à un Américain. Devenant Américaine, mamoune peut facilement vous permettre de le devenir. Reste à négocier ça avec daddy. M.G.

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dossier NY ¬ BOURSICOTAGE

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WALL STREET,

LA FLAMBE À 20 ANS Il y a ceux qui se plantent pendant que d’autres ont carrément la win : de 20 à 22 ans, Charles est devenu le plus jeune courtier de Wall Street, palpant un max de blé et de petites pépées, jusqu’à… la chute, évidemment. TÉMOIGNAGE : CHARLES PLANADE

3 aout 1999 : 2 587.94

«Août 1999. Mon but était de gagner du fric, uniquement ça. En deuxième année d’école de com’ à Paris, je décide de faire mon stage à New York, dans la rue la plus riche du monde : Wall Street. Rêvant d’être le nouveau Charlie Sheen, je tape «Wall Street» dans les pages jaunes et envoie trois cents CV aux sociétés de bourses. Trente réponses négatives, 20 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

basta. Je pars quand même, acceptant un stage qui n’a rien à voir. Sur place, j’apprends qu’une des boîtes cherche un assistant « stock broker » français type HEC, bac+5 avec expérience. Gonflé, je me présente sans y croire. Le boss étonné : «Ton CV est très léger, c’est quoi ton but dans la vie ?». Je plaque un sourire sur mes canines de financier : « Devenir super riche. Mais je dois être honnête, mes seules connaissances sur la bourse, c’est Wall Street Trader (jeu de simulation boursière, ndlr)». La seule chose qui l’intéresse, c’est mon visa. Il me prend trois semaines, le temps de recruter un plus gros calibre. Le premier jour, je sors station Wall Street, suis le flot d’attaché-case, de manteaux et de sourires Tonigencyl. La classe ! J’y suis ! Après la télé dans l’ascenseur, la salle de marché : le cirque, les gens hurlent, les papiers volent, sur les écrans le Nasdaq ne débande jamais et les poings serrés, les brokers l’encouragent : «Go baby, Go !».

«On dirait un chat» De l’une des vingt-deux rangées de tables, j’appelle une centaine de grosses fortunes d’Europe par jour. Le mieux pour leur vendre du rêve, c’est à l’heure du golf, le vendredi, sur leur portable : «Il y a plein d’argent à se faire en ce moment, et le meilleur moyen pour d’y parvenir, c’est nous.» Rouge, timide, transpirant, les autres hurlant à mes côtés, je me laisse raccrocher au nez. Au bout de trois jours, mon boss me retire ma chaise : «Tant que tu n’as pas décroché une belle lead (= un mec qui touche plus de 500 K¤ par an), tu ne te rassois pas, il faut que tu gueules, on dirait un chat». Debout, la voix prend de l’assurance, j’y reste deux semaines. A force de me prendre des vents, je me blinde et au bout de quinze jours, décroche mon premier ticket. Je suis lancé, je parle avec les fondateurs des grands groupes du CAC 40, mes idoles. A leurs questions, je mens : «J’ai 29 ans, un gosse…». La chaise je m’en fous, on m’entend à trois rangées et je cartonne. On est noté, je suis le meilleur «by far». Un prospect sur cinq aboutit. La troisième semaine, je fais mieux que les cinq autres assistants réunis. Quand la fin du mois arrive, je touche 4000 $ au lieu des 800


31 dec 1999 : 4 069.31

prévus. Putain, j’ai 20 ans, le boss me laisse trader, et le PDG du géant mondial de l’aluminium me laisse des messages… On dit partout que je suis génial, on me vend comme une perle, je deviens la petite vedette à qui on veut faire faire des compètes de «cold calling». Le soir, tournée des bars et des boîtes avec mes boss qui se la pètent. Ils arrosent tout le monde, les meufs n’en ont que pour moi, si jeune au milieu de la frime… Alors qu’officiellement je n’ai pas le droit de boire de l’alcool, je sors avec la plus belle fille de la tour : Laetitia, 24 ans, assistante broker. Tête rasée, blond platine. Je suis une bête, j’ai vite le melon et pour le confirmer, je me rase la tête et me teins en platine. Il faut montrer que tu es successfull, «Look big», me conseille-t-on en permanence. Je suis resté cinq mois, à 4000 $ par mois, ça me paraissait énorme mais mon boss, à 28 ans, tournait à plus de 50 000 $. Fin décembre, fin du stage, adieux difficiles : «Charles, tu n’as pas besoin de finir tes études, tu es fait pour ça, reste». Créteil Soleil, le périph’ de Marolles… la descente fut dure, mais salvatrice. En 1999, Si votre société finissait par «.com», tout montait, doublait ou triplait, même les boîtes en cartons. En janvier 2001, après avoir fini mon diplôme en France, je suis retourné à Wall Street. Le rythme me manquait : intense et sportif mais - la bourse ferme à 16h00 - laissant beaucoup de temps pour les loisirs. Ce sont les mêmes personnes. Elles m’attendaient toujours : «Maintenant que tu as 21 ans, tu peux passer la licence et devenir ton propre boss». Je l’ai eue, je m’étais tapé le bouquin pour être stock broker deux mois avant de partir. Mis à part quelques Japonais que leur papas inscrivent le jour de leurs 21 ans, je suis devenu le plus jeune broker de Wall Street.

58 kilos au lieu de 69 Printemps 2001, chute des cours : mon boss est passé au cran au-dessus et m’accueille pourtant gentiment, je suis «une bouffée d’espérance» : allais-je ramener quelques clients ? Le Wall Street Journal veut écrire un article sur moi, un jeune conquérant symbolisant l’espoir… mais ne le publie pas. L’espoir, il n’y en a plus, ambiance morose. Le bureau est une cathédrale. Silence total, quelques coups de fils à voix basse à des clients souhaitant savoir combien ils ont perdu. Le Nasdaq divisé par deux… mais je crois que le marché va remonter, ce n’est pas possible…. Si : la moitié des actions achetées l’année dernière n’existe plus, ou vaut un dollar. Je reste confiant, affublé d’un stagiaire allemand. J’ai peu de recours face à la désillusion : c’est la fameuse «crise de confiance». J’ouvre deux minuscules comptes en six mois, la bourse ne cesse de baisser. Vu que je suis payé 100% à la com’, je ne gagne rien et mon stagiaire teuton touche 600 $ par mois. Je me sens sale à l’intérieur car que je ne comprends plus trop ce que je fais, ne crois plus ce que je dis au téléphone. Les autres sont dépités, sales têtes, passent la journée à regarder leurs actions descendre, à appeler les clients pour s’excuser. Au bout de six mois, je pèse 58 kilos contre 69 quelques mois auparavant. J’épie les signes de redémarrage, rien n’arrive. Alors je rentre en France, en juillet 2001, deux mois avant ce que vous savez. Aujourd’hui, je suis analyste dans une société de bourse a Paris, j’observe depuis quatre mois la remontée des cours - le Nasdaq à 2 200

«Putain, j’ai 20 ans, le boss me laisse trader, et le PDG du géant mondial de l’aluminium me laisse des messages…».

24 juil 2001 : 1 959.24

points, on ne se refait pas- et je rêve parfois d’une nouvelle ère faste, quand mon boss disait : «La première chose à savoir en bourse, c’est que tout le monde croit comprendre, mais que personne n’y comprend rien.» C. P.


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dossier NY ¬ ACTIVISME

FIGHT FOR YOUR RIGHTS Symbole de la liberté, New York assume-t-elle réellement ses idéaux démocratiques ? Des bavures policières de l’ère Giuliani aux manifs anti-«Patriot Act», la ville ressemble à ses habitants : speed et schizophrène. Check-up ci-dessous. TEXTE : XAVIER MARTIN-TURMEAU

New York, la ville la plus libre du monde ? Pas toujours. Mais beaucoup se battent pour y arriver. En juillet dernier, 85 organisations locales se sont réunies pour faire pression sur les membres new-yorkais du Congrès (deux sénateurs

PHOTO : BASTIEN LATTENZIO

et vingt-neuf représentants de l’Etat) afin qu’ils votent contre le prolongement du «Patriot Act» en décembre prochain. Au nom de la lutte anti-terroriste, cette loi, votée au lendemain du 11 septembre 2001, multiplie les pouvoirs de la

Artillerie lourde lors des mobilisations anti-Bush : dix mille policiers dans les rues, plus que de soldats à Bagdad au même moment. La police a arrêté arbitrairement 200 personnes alors qu’elles suivaient... une fanfare. police : «Le FBI peut pénétrer chez vous sans prévenir, même en votre absence, pour faire des recherches, fouiller votre ordinateur, ou contrôler vos emprunts de bibliothèque. C’est une atteinte grave aux libertés publiques individuelles», déplore Asli Bali, avocate new-yorkaise travaillant avec la New York Civil Liberty 22 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

Union (NYCLU), association de défense des droits des citoyens à l’origine du mouvement contre le «Patriot Act». Tout le monde devient un suspect éventuel : Où sont passées les valeurs symbolisées par la statue de la Liberté ? Et l’espoir d’une démocratie républicaine pour tous ceux qui promènent leurs souliers sur le port ? En Floride, 170 000 terroristes potentiels sont répertoriés. La liberté religieuse, politique et économique, parangon des Etats-Unis n’est pas si simple à mettre en place. «Politique sécuritaire raciste» Au dix-huitième siècle, en pleine période coloniale, New York est la ville américaine qui compte le plus d’esclaves (15 à 20% de sa population). Deux cent cinquante ans plus tard, David Dinkins (1990/93 – démocrate), Afro-américain,


est élu maire de la ville. Un évènement majeur pour le pays. Le successeur de Dinkins s’appelle Rudolph Giuliani (1994/2001 – républicain). Présent sur toutes les télés du monde après les attentats, il est surtout connu pour sa politique musclée de lutte contre la criminalité. Durant son mandat, le nombre de meurtres par an a été divisé par plus de trois ; des résultats dus à la baisse du chômage, à la réhabilitation de quartiers comme Harlem mais surtout, à une politique de «tolérance zéro» : répression plus forte et omniprésence de la police. Pour notre juriste, les conséquences de cette politique sont graves : «M. Giuliani a engagé une politique sécuritaire raciste, favorisant les Blancs et les personnes aisées. Les conséquences négatives n’ont touché que les Hispaniques [27% de la population], les Noirs [26,6%] et les gens vivant hors de Manhattan, dans les banlieues. Les relations entre la police de New York et toute une catégorie de la population se sont détérioriées». Une détérioration qui avait commencé bien avant les «événements» : en 1999, Amadou Diallo, jeune Guinéen immigré aux USA, est criblé de 41 balles tirées par quatre policiers blancs lors d’un contrôle d’identité. Hic : ses papiers étaient en règle. Un climat lourd en plomb, que l’impact de l’élection d’un Noir à l’hôtel de ville n’aura pu alléger. Paradoxale ? New York est historique-

ment une ville démocrate qui vota Kerry à plus de 76 % lors des présidentielles de 2004. Mais les New-yorkais avaient élu Michael Bloomberg, un républicain, en 2001. Euh… «Le 11 septembre est arrivé et tout le monde voulait voir un maire fort. Mais je crois qu’en fait, Bloomberg est démocrate, au regard de la politique qu’il mène pour la ville. Bush ne l’apprécie pas», précise Asli. Exemple : en avril 2005, un projet de loi a été soumis aux membres du conseil de la ville de New York visant à autoriser les résidents étrangers new-yorkais à voter aux élections municipales. Un signe probant pour leur intégration, et du bon gros courage politique pour ces élus. Guantanamo new-yorkais Entre la politique menée par le maire et la volte-face des New-yorkais, le président des Etats-Unis n’est pas trop friand pour croquer dans la pomme. Lors des élections présidentielles, la convention nationale des républicains a été largement chahutée. Les fortes mobilisations anti-Bush ont confirmé l’animosité entre la ville et le pouvoir en place. Alors on sort l’artillerie lourde : dix mille policiers dans les rues, plus que les soldats à Bagdad au même moment. Pour contrer les manifestants, la police arrêté arbitrairement 200 personnes alors qu’elles suivaient... une fanfare. On parle même de 1200 personnes passées par le camp de regroupement de Pier 57, un entrepôt de bus insalubre, surnommé «le Guantanamo new-yorkais» : pas d’avocat ni de

nourriture. Happy end, la Cour Suprême, saisie pour les abus de pouvoir à New York, a jugé ces arrestations et les conditions de détention illégales. God bless America ! Consciente du chemin qu’il reste à parcourir, Asli Bali reste positive : «En comparaison, Los Angeles par exemple, c’est horrible ! Beaucoup plus de racisme, de discrimination et de conflits avec la police. New York est quand même loin devant les autres villes américaines : la plus agréable à vivre, la plus colorée et diversifiée culturellement». Ville schizophrène et complexe, New York reçoit des coups mais continue de relever la tête. En 2010, la nouvelle «Freedom Tower», en lieu et place de Ground Zero, accueillera ses premiers locataires, dont le dernier étage culminera à une altitude de 1776 pieds (550 m), l’année de déclaration d’indépendance des Etats-Unis... Tout un symbole. X. M.-T.


G dossier NY ¬ MÉDIAS

ISLAM CHIC Le Moyen-Orient est hype : c’est ce que proclame Bidoun, le premier magazine américain consacré à la culture underground du monde arabo-musulman. Rencontre avec une rédac’ chef qui transforme les cheiks en rock-stars et les kamikazes en performeurs arty. TEXTE : CYRILLE DUVERT

«Après le 11 septembre, l’atmosphère était devenue tellement irrespirable à New York que j’ai décidé de prendre une année sabbatique. C’est en voyageant au Moyen-Orient et en discutant avec des gens rencontrés là-bas de la situation créée par les attentats, que j’ai eu l’idée de Bidoun », explique Lisa Farjam, la jeune - 27 ans - fondatrice et rédactrice en chef de Bidoun, le premier magazine américain consacré à la culture underground du monde arabo-musulman, lancé à New York au printemps 2004. À première vue, on diagnostiquerait volontiers une énième revue chic et branchée au destin éphémère, de celles qu’on achète chez Kiliwatch ou Colette pour faire joli sur la table basse. Sauf que le titre est en arabe et que les sujets traités ne font pas vraiment dans le frivole. Pour preuves : une saisissante série d’anonymes photographiés au Caire sur fond de champs de batailles, dans le Musée du 6 octobre 1973 (sorte de Palais de la découverte guerrier, célébrant l’unique victoire de l’Egypte contre Israël), ou un entretien avec le réalisateur palestinien Hani Abou Assad en tournage à Naplouse de Paradise Now (l’histoire de deux amis d’enfance devenus kamikazes à Tel-Aviv...). Bidoun n’élude rien de la réalité du MoyenOrient d’aujourd’hui, qu’il présente par ses artistes et jeunes talents contemporains : photo, multimédia, musique, design, cinéma.

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«bhebek nouillorque» Comme Lisa, née à New York de parents iraniens, la plupart des collaborateurs de Bidoun ont des origines mêlées. Palestine, Egypte, Iran : toute la diaspora américano-orientale est là, sans pour autant en faire un magazine communautaire. «Bidoun signifie «sans» en arabe et en persan», explique, comme une profession de foi, la première page. «Dans notre contexte contemporain, il indique la situation d’apatride dans laquelle se trouvent beaucoup d’entre nous, volontairement ou non. Bidoun n’est pas limité

par les frontières politiques dessinées sur les cartes, il se veut fluide et lance un défi aux représentations simplistes». L’équipe, dont les membres vivent à New York, Londres, aux Émirats ou à Téhéran, appartient à la génération d’étudiants new-yorkais marquée par l’impression de ne plus trouver sa place dans une société tétanisée par la peur des Musulmans. Ceux qui, de double culture, arboraient dans les rues du Manhattan post-09/11 des t-shirts marqués «bhebek nouillorque» («I love NY» en arabe). «On voulait sortir de la couverture médiati-


«Le magazine Bidoun n’est pas limité par les frontières politiques dessinées sur les cartes, il se veut fluide et lance un défi aux représentations simplistes» que actuelle, entièrement unilatérale, ne reflétant pas la réalité. Nous, les jeunes du Moyen-Orient, on a envie d’autre chose, de montrer que des artistes vivent, créent et font bouger les choses aussi bien à Téhéran que dans l’East Village», clame Lisa. Talons aiguilles censurés Le résultat : un ovni éditorial, chaleureusement salué par la presse new-yorkaise dès ses débuts. Des magazines culturels consacrés au Moyen-Orient existent Banipal à Londres, Quantara à Paris - mais aucun ne mixe comme Bidoun contenu exigeant et emballage glamour. Une sorte de iD planté dans la bande de Gaza, à la fois intello et futile, où les

réflexions politiques serrées - «Human rights as fetish», un réquisitoire contre la démocratisation aux forceps menée par l’administration Bush en Irak - côtoient le léger : une série de photos à la Martin Parr dans un centre commercial de Dubaï, ou la recette du babaganoush (une purée d’aubergines). Le tout placé implicitement sous le patronage intellectuel du regretté Edward Saïd, le grand critique littéraire palestinien professeur à la Columbia University de New York, auteur d’un must célèbre des sciences sociales : L’Orientalisme, déconstruction en règles des mythologies savantes construites par les anciens colonisateurs sur le Moyen-Orient.

Bidoun a-t-il la baraka ? L’équipe se dit en tout cas heureuse de son succès : tiré à 12 000 exemplaires, le titre se vend bien à New York et Londres, mais aussi à Beyrouth ou Téhéran. Moins aux Émirats sans doute, où il est, paradoxalement, imprimé : dans le dernier numéro consacré à Dubaï, l’image de talons aiguilles dépassant d’une abeya - la longue robe noire en usage de ce côté du Golfe - à côté d’un portrait de l’émir récemment décédé, a déclenché l’irritation des autorités qui ont saisi le magazine chez l’imprimeur. «C’était un peu léger de notre part, admet Lisa, mais tous les magazines au Moyen-Orient sont censurés». Pour continuer d’assumer sans complexe son ambivalence de magazine irano-arabo-occidentalo-branché, le prochain numéro, le cinquième, sera imprimé au Canada. Il inaugurera des pages de mode. Avec ou sans abeya. C.D. ‘ En vente à l’Institut du monde arabe, à la librairie du Louvre ou sur bidoun.com


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Socrates Park : Oversized protective cups, Adam Ames et Andrew Bordwin de Type A.

dossier NY ¬ ART

ANDY, ELLE EST OÙ LA NOUVELLE FACTORY ? La Factory de Warhol, où l’on rentrait anonyme pour ressortir superstar, a disparu avec lui. Et depuis ? Il est où l’art de demain ? Des dancefloors gays de la night new-yorkaise aux vernissages pornos et ateliers contre-cultures, notre reporter s’est perdu pour retrouver l’avant-garde. On lui emboîte le pas. TEXTE ET PHOTOS : PHILIPPE BRESSON

Hey, Andy ? C’est une copine a moi qui m’a dit que tu t’appelais Andy. Dis, je me suis mis en tête de retrouver des morceaux de ta défunte «Silver Factory». Tu m’aides ? Je pianote sur le Net pour trouver un billet pas cher. Air India propose un Bombay/New York avec escale à Paris (vol direct au prix d’un tarif charter) et je loue une chambre en plein Manhattan. En choisissant le centre, je pense naïvement atterrir au cœur des choses, là où ça se passe, à quelques blocs d’une de tes légendaires «Usines». Perdu. Premier indice avancé par la presse française : d’après le très new-yorkais Moby, 26 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

la nouvelle Factory aurait fait son nid du côté de Staten Island. Très bien, j’irai, mais pas ce soir. Rendez-vous au «Mercury Lounge» (Lower East Side) pour mettre du son californien dans mes oreilles. Au hasard de la nuit, des autochtones répondent à mes questions.


Complaintes et désillusions : «A part faire de l’argent, on n’a plus le droit à rien, fumer, danser, écouter de la musique... en plus, ton immeuble de la Factory sur la 33ème rue, il vient d’être racheté par un promoteur pour devenir un luxueux complexe immobilier». Ma quête du Graal commence mal. Mais ce n’était pas facile non plus pour le Gallois Perceval. Je rentre à pied par Houston Street quand, attiré par la lumière, me voilà dans une sorte de grande boutique vide en rez-de-chaussée, alpagué par une hystéro qui glisse sa business card : «Je fais du porno» dans la poche de mon jean, en m’embrassant au coin des lèvres. «Salut, moi c’est Nicole ! Ce soir on fête la sortie du nouveau Sweet Action1, tu connais ? Un magazine porno à l’usage des filles hétéros. Notre «sweet action» du moment, c’est le «bukakee», ou si tu préfères, l’éjaculation faciale. Il serait temps que les filles aussi puissent

éjaculer sur la gueule de leur partenaire, leur inonder la face, tu crois pas ?». Derrière le sourire et le discours militant, je devine distance et dérision. Je repars avec le magazine sous le bras, une dizaine d’autocollants et des badges aux couleurs de l’action douce… sans réelle sensation underground. Combinaisons dorées Je traîne alors dans les soirées branchouilles du «meat packing district», où mon foulard à cinq euros de friperie marseillaise fait l’unanimité : «Waooh, c’est Lanvine ?». Un type, la cinquantaine, m’offre à boire. C’est la première fois qu’un de ses spectacles est sélectionné à Broadway. Il me propose d’aller fêter ça au «Cock»2, l’un des trois-quatre derniers clubs où l’on peut encore fumer… L’endroit est sombre, petit et surpeuplé. La clientèle, 80% gay, fait la fête clope au bec sous des airs de prohibition. Les gens s’absentent

parfois pour se remettre un peu de poudre sur (et dans) le nez. Sur fond d’italo-disco, quinze mecs en combinaisons dorées envahissent le comptoir. A quatre heures du matin, l’un de ces danseurs m’interpelle. Anthony, on s’est déjà rencontrés, il s’en souvient : «On fait partie du collectif Unisexuniform3», me précise-t-il. J’apprends que l’idée est née en 2004 dans la tête de Lauren Boyle, une ancienne élève en sculpture de la Pratt University. Elle a décidé de créer l’avatar «attitude» du manifeste «dessin» de «Superstudio»4, un groupe d’architectes italiens des seventies, qui critiquaient le pragmatisme de l’architecture en imaginant exclusivement des monuments en forme de cube en verre. Le dogme que les Italiens avaient couché sur papier, les membres d’Unisexuniform le portent : «Nous sommes cinquante aux USA, cinquante à Londres. En adoptant ce costume, on adhère à une manière de déranger…», poursuit Anthony. Ces


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Ces suiveurs dorés caricaturent le troupeau humain. Leurs vêtements sont des pièces uniques. «Il m’arrive de porter ma tenue seul, c’est étrange, sous le regard des gens, on se sent petit et différent, seul mais fort…». Avant de s’envoler sur l’avenue A, Anthony me recommande d’aller faire un tour du côté de Socrates Park à Long Island City.

concept d’équipe est important, un peu comme sur un terrain de sport, m’explique-t-il, chez nous, les artistes s’entraident loin des galeries et des musées, et j’en suis fier». Au fait, pourquoi ce nom, «Socrates» ? «En hommage à la communauté grecque établie dans le secteur». Socrates Park est un lieu de résidence pour artistes internationaux : le seul endroit à New York susceptible d’offrir un espace géant pour créer et exposer des œuvres à grande échelle. On récupère les matériaux, on recycle, on construit, sans tapage médiatique. J’échange quelques mots avec Adam, un artiste de cette hellénique factory. «Socrates Park, c’est l’antithèse de la Silver Factory. Warhol savait très bien s’entourer, quitte à faire travailler ses assistants à sa place dans une prison dorée ! Avec Di Suvero, pourtant l’un des sculpteurs vivants les plus connus au monde, on se sent libre». Adam me conseille le Galapagos Arts Space5, une ancienne usine de «A part faire de l’argent, on n’a plus le droit à rien, fumer, danser, écouter de la musimayonnaise (!) de Brooklyn transformée que... en plus, ton immeuble de la Factory sur la 33ème rue, il vient d’être racheté pour devenir un luxueux complexe immobilier». en espace multimédia au cœur même de la scène underground. Génial.

Les cabanons de Socrate A l’origine : une immense décharge publique sur les bords de l’East River, puis un no man’s land façon Je t’aime moi non plus ouvrant sur une vision irréelle de l’horizon de Manhattan. La transformation de Socrates Park en Factory à l’air libre date de 1986, à l’initiative du sculpteur américain Mark Di Suvero, qui m’attend au bord de la rivière. Il me montre son atelier peuplé de créations métalliques en chantier, ainsi que les ateliers (des cabanons) des artistes qu’il accueille. «Dans le petit monde de l’art, comme ailleurs, l’individualisme et l’esprit de compétition prédominent. Revenir au 28 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

Mayonnaise Factory Sur place, je questionne Marie Losier, jeune cinéaste française vivant à New York depuis douze ans. Marie me parle de cette ancienne factory de Williamsburg ayant «perdu sa mayonnaise pour devenir un endroit superbe». Chaque dimanche depuis huit ans, à 19h, l’Ocularis6 projette des films en 16 mm et format vidéo, souvent expérimentaux, commentés par les réalisateurs. Sont projetés des classiques (Takorvski, Fassbinder, Godard), des docus et les travaux d’artistes new-yorkais comme Tony Oursler, Joe Gibbons, Robert Franck, Tony Conrad... «Beaucoup de cinéastes passant par New York nous contactent. L’été, on projette dehors, sur des toits». Marie assure également la programmation du Robert Beck Mémorial Cinéma7, rarement mentionné dans Time Out et Village Voice, et que les New-yorkais eux-mêmes connaissent mal. Une organisation plus petite qu’Ocularis, sans fric - contrairement aux salles d’art et d’essai de Manhattan - pour annoncer ses programmes et payer les cinéastes. Aujourd’hui mardi, on passe sans retenue du super 8, des lives, performances, pornos, bootlegs de Craig Baldwin, Constance Dejong, Kuchar Brothers, Jackie Raynal, Nick Zed, Jim O Rourke... La légende veut que Robert Beck, sourd et muet suite à un


Les adeptes de Unisexuniform en apparat dix huit carats.

traumatisme de guerre en France en 1915, recouvrât ses facultés pris d’une crise de fou rire alors qu’il regardait un film inconnu. «On a même retrouvé une photo de lui. Le Mémorial a maintenant un visage !». Alors que l’après-midi, on s’échine à discutailler du passé - «La Factory ne me paraît pas reproductible. Cette atmosphère des débuts du Velvet Underground, de Bob Dylan... ce n’est plus pareil, on avance, c’est bien aussi, aujourd’hui» - l’un des occupants d’une énigmatique «Flux Factory»8, m’invite à participer à un étrange «dîner du jeudi soir». Métro G, direction le Queens… Station orbitale «Flux Factory» ? «Aucune allusion à Warhol. Le nom est venu comme ça. Quelqu’un a lancé : «Quelle usine à flux ici !»». Jean Barberis, l’organisateur des expos, m’apprend également que la Flux est une association fondée en 1994 par sept membres, dont Morgan Meis, prof de philo, et sa compagne, l’artiste Anne Goldberg. D’abord installée dans une usine désaffectée de Williamsburg jusqu’en 2002, elle déménage sous la pression immobilière dans un loft du Queens. En dix ans, trois cents personnes y sont passées, locataires généralement deux ans de chambres à cinq cents dollars. Jean : «J’ai eu beaucoup de chance de découvrir la Flux à mon arrivée. C’est le meilleur endroit pour rencontrer des gens et se faire une place». L’état, la ville ou les entreprises privées subventionnent ce laboratoire expérimental, dynamique et mélangé (studio de photos et d’enregistrement, espace multimédia, édition, galerie) où l’on bosse, respire, invente ensemble. Les repas du jeudi sont des temps de présentations de travaux. L’ambition de départ - un dialogue avec le New York physique, social et culturel - a pris des proportions internationales. La Flux Factory a été la première à accueillir l’artiste français Space Invader en 2003, dont les pixels mosaïqués du jeu vidéo éponyme infiltrent le paysage urbain de toute la planète. A raison de cinq ou six expositions par an, ce «mix

entre auberge de jeunesse et station orbitale» selon le Times, commence à faire parler de lui dans la presse américaine, indienne et danoise. Jean, cherchant ses mots pour définir l’expo de la rentrée - «Hmmm, des objets, presque de l’art… un accident», nous

Sweet Action, un magazine only for coquines.


mène sans le vouloir à la conclusion : la Factory n’est pas morte, on la rencontre par accident. Non plus centrée autour de quelqu’un en particulier, elle est partout – et plutôt près des loyers les moins chers (certains coins de Harlem, le Sud du Bronx, le Brooklyn abordable de Flatbush, Bushwick, ou le Queens). Il est temps pour moi de refermer mes malles Vuitton, et de regagner mon charter Air India. Mes sources made in France concernant Staten Island et Moby en ont fait rire plus d’un : «Moby doit avoir un bon pote sur l’île, plaisantait le jeune homme en unisexuniform. Je me fourvoyais en cherchant le nouvel îlot des petits génies à peine éclos ou des freaks pas tout à fait finis, au cœur d’un seul noyau. La ligne de tous les plaisirs a été celle du métro G, la seule à relier Brooklyn et le Queens en snobant allègrement les tours fragiles de Manhattan, effleurant tous les lieux que je vous ai présentés, à l’abri des regards,

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A Williamsburg, en arrivant au Galapagos Arts Space.

là où les choses, en secret, se préparent... Il est vrai que dès le début, j’aurais pu écouter Pam Butler, une jeune peintre rencontrée dans un café : «The next Factory is probably exactly where you aren’t looking for it.»* P.B.

La Factory, en vrai, c’était comment ? La Factory, atelier, bureau de Warhol et lieu de répétition des sapajous du Velvet Underground dès 1966, c’est d’abord l’idée d’un mec : Billy «Name», né Linich, plasticien photographe à qui l’on doit la pochette du troisième Velvet, précisément réalisée dans ce loft immense (30x15m2) au troisième étage du 231 East, sur la 47ème rue, desservi par un monte-charge. En 1963, Warhol tombe en extase devant l’appartement métallisé de Name, esquisse du futur épicentre de la contre-culture. Drella (le surnom de Warhol, contraction de Dracula et Cinderella, Cendrillon), demande à Name de repeindre en argent la Factory, «l’usine à films». Il arrose tout : surface miroitante sur les bureaux, les sièges, la photocopieuse, la cuvette des toilettes, le taxiphone et le mannequin désarticulé, et repasse une couche tous les quinze jours sous amphétamines. Il recouvre d’aluminium deux des trois poutres, ainsi que les murs. Ne manque qu’un truc moelleux pour poser son fessier : Name regarde en bas et dégotte le fameux canapé, héros du film Couch, sur lequel des gens de tous les sexes ont des relations mondaines et/ou organiques, perdu lors du déménagement au 33 Union Square. Administrateur et concierge payé vingt billets la semaine sur sa propre demande, Billy Name pète gentiment son fusible en s’installant à l’intérieur des deux cabinets de toilette, formant une pièce sans fenêtre de trois mètres carrés où il dort par terre. La Factory devient the ultimate place to be, fascinant terrain de chasse, rendez-vous gay, club privé de l’underground. Le génial secrétaire du maître, Gérard Malanga, gère les sérigraphies et rabat lolitas et oiseaux de nuits. Poètes beats, mannequins opportunistes, travestis coquets et cinéastes indépendants s’y rencontrent. On y cause avec Dylan ou Tennessee Williams. On y entend Strauss et la Callas. Contacté pour ce dossier, Billy Name n’a souhaité répondre à nos questions pour cause «d’allergies au pollen». L’underground laisse des traces. Nat finkelstein

R.G. Source : Les Inrockuptibles hors série The Velvet Underground.

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1

sweetactionmag.com

2

The Cock 188 Ave A (11th/12th).

3

Manifeste et combinaisons sur unisexuniform.com

4

Lire les ouvrages : Life Without Objects (Skira International

Corporation) et The Middleburg Lectures. 5

galapagosartspace.com

6

Ocularis : 70 North 6th St. Brooklyn NY 11211 ocularis.net

7

Robert Beck Memorial Cinema : Cooper Station Box 499. NYC

10276-0499 rbmc.net 8

fluxfactory.org

*«Sûr que la prochaine Factory est exactement là où vous ne l’attendez pas.»

Conrad chope Le Luxx, boite préférée d’Alexander McQueen, Hedi Slimane ou Chloé Sevigny, nid des extravagants Scissor Sisters, a fermé en 2003. Conrad Ventur, l’ex-proprio et Ariel Wizman du cru, nous raconte sa night. Standard : Le Luxx a-t-il préservé «l’esprit» de la Factory ? Conrad Ventur : Peut-être qu’Andy tire les ficelles depuis le paradis. Son héritage est forcément présent. Mais si ma boîte est devenue le meilleur nouvel endroit où aller, c’est grâce à des clients comme Sprouse (Dolce and Gabanna, ndlr), Maggie Gyllenhaal et Chloé Sevigny, ou bien Ron Howard, qui y organisa les 21 ans de sa fille. Dans ce club, on pouvait parler en regardant les gamins les plus hypes se déchaîner, comme les Scissor Sisters ou Ave D. Beaucoup d’artistes y trouvaient de l’inspiration. Le Luxx devenait une muse. Alors pourquoi a-t-il fermé ? Nous voulions rebondir sur la renommée de nos soirées « Berliniamsburg » plutôt que la voir mourir lentement. Giuliani a-t-il changé la nuit new-yorkaise ? Pas seulement la nuit. Le système est bâti pour former des avocats, des développeurs immobiliers, des patrons et des propriétaires nantis. Tout doit être pratique et rentable. On n’est pas loin de nous empêcher d’être imaginatifs et créatifs. Donc pas si loin du fascisme. «Le business est le meilleur art», disait Warhol. Une bonne idée ne peut aller loin si quelqu’un n’en fait pas quelque chose de profitable. Un des problèmes de cette ville, c’est que les tendances bougent trop vite. J’essaie de capturer le « Zeitgeist » (l’esprit du temps, ndlr) dans mon magazine (Useless), en montrant le travail de gens pas encore mainstream. Je préfère découvrir plutôt que casser, comme les journalistes. Entretien P.B. ‘ Magazine : uselessmagazine.com ‘ Label : electroclash.com


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dossier NY ¬ ROCK

BYE BYE CBGB ? Le CBGB, une marque de tee-shirt sexy ? Non : un club mythique et miteux du rock underground new-yorkais des années 70/80, au bord de la fermeture pour la énième fois en trente ans. Reportage fantasmé avant liquidation. TEXTE : STÉPHANE DUCHÊNE

L’histoire est connue des amateurs de larsens débraillés. Un beau jour de 1973, deux jeunes clampins fringués comme des sacs à guano accostent un type perché sur une échelle devant son club du Bowery, quartier-terrain vague abritant poivrots en ruine de tout et loulous louches qu’on n’aimerait même pas croiser dans une chanson de Lou Reed. Le type, c’est Hilly Kristal, propriétaire du «Country Blue Grass and Blues», dont la programmation éponyme fait l’unanimité au rayon indifférence générale. Les deux blancs-becs, ce sont Richard Hell et Tom Verlaine, co-leaders du groupe Television, à la recherche d’un rade où se produire. Comme dans toutes les belles histoires, ça commence mal : Kristal déteste cette bouillie sonique et, allez savoir pourquoi, la programme quand même en compagnie d’une (fausse) famille de fêlés aux riffs plus qu’aléatoires : les Ramones. Le concert, donné devant un chat noir et deux blattes téméraires, est aussi catastrophique que Kristal semble maso. Toujours un peu perché, et pas que sur son échelle, le maître des lieux a décidé d’accorder un soir par semaine aux musiques du moment (ce qui pour l’époque désigne principalement un enchevêtrement improbable de guitares squelettiques au milieu de larsens gras du bide). Pour ne pas mentir sur la marchandise (il est censé fournir de la 32 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

PHOTOGRAPHIE : STERN

Dans une odeur de chat poisseux, les tuyaux de canalisation gouttent sur les groupes et les spectateurs ramenés au même niveau par l’absence de scène, en une communion des sens engourdie mais réelle musique 100 % redneck), il ajoute sous les quatre lettres CBGB la mention «OMFUG» (pour «Other Music For Uplifting Gormandizer»). Le public est à l’avenant : des types squelettiques ou gras du bides qui attendent fin du monde et fonds de verres, des étudiants, des touristes déconnectés (puis avec les années, des branchés, venus du monde entier et repartant avec un t-shirt pour leur petite sœur). Dans une odeur de chat poisseux, les tuyaux de canalisation gouttent sur les groupes et les spectateurs ramenés au même niveau par l’absence de scène, en une communion des sens engourdie mais réelle : pendant les temps morts, les groupes refusent de rejoindre des coulisses peintes en noir où un ragondin ne terrerait pas sa progéniture de peur qu’elle ne se salisse (la légende raconte que les toilettes n’ont pas été repeintes depuis l’ouverture du club). La Kabba du punk Bien vite, la country n’a plus droit de cité entre les murs sombres du CBGB qui devient la Kabba cradingue du punk US. C’est là que les Ramones se produisent jusqu’à plus soif (à ses débuts, Blondie y jouera sept mois d’affilée, Patti Smith, sept semaines), parvenant à force de gymnastique manuelle à jouer ce qui fait l’essence de leur musique : un rock minimaliste, impérieux et foutraque (et chevelu aussi), bref du surf rock pour bitume arraché. Début 1977, Television, le groupe le plus new-yorkais de l’histoire (tant pis pour le Velvet), sort Marquee Moon, chef d’oeuvre de spacepunk torturé qui ne renie rien, ni la mélodie travailleuse, ni le solo stakhanoviste, du moment qu’ils sont déprimants. Au CBGB, situé au rez-de-chaussée d’un asile de nuit bourré d’anciens du Vietnam, la transformation de la société utopiste des années 60-70 en monstre cynique et mercantile, la mutation monstrueuse des hippies patchoulis en yuppies after shave, n’a pas de prise. Le CBGB est en dehors du monde, et sa localisation n’y est certainement pas étrangère ; le Bowery, c’est nulle part-beach, le paradis des clochards célestes et des losers magnifiques sans qui le rock ne serait rien. On y vient parce qu’on est


Mannequin jusqu’en 2001, Daniela Unruh invente des concepts pour la chaîne Bravo TV et devient co-productrice de Project Runwayune sorte de Loft américain nommé aux Emmy.

différent et pour expérimenter, à la manière des Talking Heads et de leur prophétique Psychokiller joué devant trente péquins estomaqués par leur look d’élèves ingénieurs quand la mode est au cuir râpé. Réinvention permanente et renouveau éternel, voilà les maîtres mots de ce laboratoire clandestin dont la renommée gonfle à mesure que des groupes d’envergure mondiale (pour certains) s’y révèlent aux cours des ces années fastes de la fin des 70’s : Talking Heads donc, Patti Smith, Blondie, les Cramps, Johnny Thunder (Dieu le Père

des punks anglais) et tant d’autres... Hardcore Matinees L’âge d’or passé, les groupes phares partis sous d’autres horizons, ou laissés pour mort, Kristal n’en continue pas moins son travail de défrichage, écoute des bandes venues du monde entier, accueille des groupes allemands, français, hongrois, attirés comme des papillons de nuit par la lumière vacillante du vieux mythe qui livra au monde les pépites citées plus haut. Mais si à la fin des années 80, les «Hardcore Matinees»,

Au CBGB, situé au rez-de-chaussée d’un asile de nuit bourré d’anciens du Vietnam, la transformation de la société utopiste des années 60-70 en monstre cynique et mercantile, n’a pas de prise.

programmant, comme leur nom l’indique, la crème des combos hardcores du pays, donnent une seconde vie au club, si Kristal lance son propre label, ouvre une galerie lui permettant d’ouvrir ses portes à d’autres formes d’art que la guitare, le CBGB n’est plus ce qu’il était. On y fait vivre l’esprit du rock, mais on n’y accueille plus que des groupes sans futur. Une belle ironie, vingt-cinq ans après le punk. Aussi l’exiguïté du CBGB et sa programmation hussarde condamnent régulièrement le club à vivre de clopinettes en barre et à tenter de semer les huissiers. Une vieille affaire : dès 1978, les Ramones organisaient, une nuit durant, un concert de charité pour sauver leur repère de pirates punks des flibustiers du fisc. Vingt-sept ans plus tard, on peut resonner la charge. Le Bowery Resident’s Commitee, propriétaire des murs, ayant décidé de doubler le loyer aux alentours de 38 000 dollars par mois. Cette fois, la fermeture est proche : la fin du bail est fixée au 31 août. Donc, à l’heure exquise où vous parcourez ces lignes, le CBGB aura peut-être passé l’arme à gauche. A moins que la vague de concerts de soutien, lancés cet été à travers tout le pays par tout ce que l’Amérique compte de rockeurs alternatifs, ne porte ses fruits. Preuve que le CBGB ne mourra jamais vraiment dans le cœur des rockers. Et qu’on ne risque pas de voir Hilly Kristal descendre de son perchoir pour rendre les armes. S.D.


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dossier NY ¬ COMÉDIE

UN FRENCHY À L’ACTORS STUDIO Avant, dans les couloirs de l’usine à fabriquer des acteurs en béton, il y avait Brando, Pacino ou De Niro. Maintenant, va falloir compter avec Ivan, premier Français à pénétrer la légendaire école d’art dramatique, qui nous raconte les secrets de la fameuse «méthode». TEXTE : IVAN MAGRIN-CHAGNOLLEAU

«En 2002, j’étais chercheur au CNRS. Aujourd’hui, je suis le seul Français à suivre les cours de l’Actors Studio de New York, promo 2004-2007 (et le premier, puisque mon unique prédécesseur est... une femme). Après deux ans de théâtre amateur, j’ai posé ma candidature (CV artistique, photo, lettre de motivation et deux de recommandation de mes profs), suivi d’une audition. Quelques jours plus tard, un message répondeur m’annonçait ma sélection. Il était deux heures du matin. Je me suis mis à faire plusieurs fois le tour de ma table, courant, criant : oh yeah, j’allais marcher sur les traces de Marlon Brando, à moi les blousons de cuir, les smokings de mafioso et les petits pots de beurre. Je m’étais renseigné : en 1947, sur les cendres du Group Theater, un atelier de

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ILLUSTRATION : THOMAS KIEFFER

théâtre expérimental interrompu par la seconde guerre mondiale, Elia Kazan (futur réalisateur d’Un tramway nommé désir et de A l’est d’Eden) et Robert Lewis (Anything Goes, avec, en rôle principal, les gambettes de Zizi Jean-

pleurer d’un seul coup ou de s’énerver pour de vrai. Au milieu des années 90, sous l’impulsion de James Lipton (rien à voir avec le thé jaune), l’Actors Studio créé une école ouverte à davantage d’élèves débutants, «l’Actors Studio

«Ce qui fait qu’un acteur est puissant sur scène, c’est sa capacité à devenir organique, instinctif. En prise directe avec son inconscient, il doit créer un personnage malgré lui»

maire) créent «l’Actors Studio», inspiré des écrits de Constantin Stanislavski, en particulier sa Formation de l’acteur. Lee Strasberg (futur Hyman Roth du Parrain 2) les rejoint dans ans plus tard pour en devenir la figure clef. Les cours sont administrés à des acteurs professionnels, et parmi eux, quelques petits jeunes plein de bruits et de fureur s’agitent dans les couloirs (Marilyn, James Dean, Paul Newman, De Niro, Pacino). Une légende naît : c’est là qu’on produit les plus puissants comédiens, capables de

Drama School» : c’est là que je déboule en septembre 2004. C’est aussi à ce moment que débutent les fascinantes émissions TV Inside The Actors Studio. L’année démarre par un message d’accueil de l’un des trois présidents, Harvey Keitel. Le rythme s’avère très soutenu : techniques vocales, découverte de la «méthode», histoire du théâtre, analyse


de pièces, exercices physiques, et, en tant qu’étranger, cours d’américain sans accent. Ainsi que la participation toute l’année aux enregistrements d’Inside The Actors Studio. J’y ai écouté Morgan Freeman, Robert Redford et... Elton John ! Mes névroses sur le bout des ongles En France, la «méthode» compte beaucoup de détracteurs, dont pas mal d’ignorants. Elle consiste en un voyage introspectif au carrefour de ses émotions, qui rebute de nombreux comédiens. Proposé par Stanislavski et développé par Strasberg, le procédé demande à l’acteur un travail considérable sur sa mémoire sensorielle et affective. Ce qui fait qu’un acteur est puissant sur scène (on parle alors de présence, d’énergie), c’est sa capacité à devenir organique, instinctif. En prise directe avec son inconscient, il devrait assister à la création d’un personnage à

travers lui et malgré lui. Or, on ne peut travailler directement sur l’inconscient. D’où l’idée des exercices oeuvrant sur des choses conscientes (les sensations) et favorisant l’émergence de l’inconscient ; et celle de trouver un état pour le personnage en faisant appel à des déclencheurs sensoriels et affectifs différents d’un acteur et d’un rôle à l’autre. La recherche de ces déclencheurs est le travail de toute une vie, mais les trois ans passés à l’école permettent, avec l’éclairage de professeurs à barbichette, d’en révéler certains et de rendre l’élève autonome pour découvrir les autres. Comme un musicien doit faire ses gammes, un comédien s’entraîne à être en prise avec son inconscient, afin d’être toujours capable d’être vrai. Là-bas, tous les profs d’art dramatique sont des disciples de Lee Strasberg et tous les cours s’intègrent dans cette approche d’exploration sensorielle et affective. Autant dire qu’aujourd’hui, je connais mes névroses sur le bout des ongles.

Au cours de cette première année, j’ai appris à me connecter à moi-même, à oser lâcher prise, à être dans le moment, accepter l’imprévu, à l’incorporer dans une situation. La route est longue mais elle se jalonne de passages étonnants : répéter son texte pendant un mois avec Tim Roth, voir Sam Shepard préparer les décors de son spectacle, ou arriver à la bourre à une projection, chercher une chaise libre dans le noir, et s’asseoir à côté d’un beau gosse un peu nerveux... qui s’appelle Sean Penn.» I. M.-C.


G dossier NY ¬ LITTÉRATURE.

CH@T EROTIQUE D’UNE NUIT D’ÉTÉ On fait de drôles de rencontres sur le Net. On y trouve parfois des gens louches ou, plus rare, des écrivains : Bruce Benderson, satyre de la virgule new-yorkaise, plume des basfonds gavés de travestis défoncés au crack, traducteur de Despentes ou Ravalec, chate sur MSN avec un homologue niçois, Laurent Herrou, auteur de romans troublants sur l’identité sexuelle. Une causette impudique, forcément, mêlée d’un zest de drague, entre deux auteurs préparant chacun un ouvrage sur les Etats-Unis (le Nord-Ouest pour Bruce, le New York homo fantasmé pour Laurent), évoquant Dennis Cooper, le Flore, la baise à l’américaine et Sarah Jessica Parker. Connexion. ENTRETIEN : LAURENT HERROU

Laurent Herrou : Commençons par des gentillesses : bravo pour le Prix de Flore 2004 d’Autobiographie érotique. Bruce Benderson : Merci. LH : J’ai lu que vous aviez été surpris de recevoir un prix qui par tradition ne récompense que des écrivains français, et jeunes. Au fait, vous avez quel âge ? BB : Mon âge est un secret d’Etat. LH : C’est bien ce que je supposais : je cherchais une date de naissance, et j’ai seulement découvert que vous aviez terminé la fac en 1964. Vous devez donc avoir environ vingt ans de plus que moi (j’ai 38 ans). BB : Comment ça, j’ai fini la fac en 1964 ?

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LH : J’ai lu aussi que vous vous définissiez comme un gay pré-Stonewall [c’est-à-dire d’avant les émeutes homosexuelles de 1969 devant le Stonewall Inn, premier bar homo de Greenwich Village, ndlr]. Exact ? BB : Je n’aime pas m’en vanter, mais j’étais un enfant prodige. Je suis entré au lycée à onze ans, ce qui faisait de moi la personne la plus jeune à passer dans le supérieur. LH : Dans vos livres ayant pour décor Times Square, vous décrivez une période dorée pour la liberté homosexuelle, complètement différente de ce que nous connaissons en France, et de la situation actuelle aux EtatsUnis, particulièrement à New York. BB : Oui, mais c’est important aussi de savoir que je suçais et je baisais depuis l’âge de six ans. LH : … Je ne le savais pas. Dois-je vous plaindre ? BB : Pourquoi ? LH : On pourrait penser que ce n’était pas votre propre choix, non ? BB : D’aussi loin que je me souvienne, si. LH : Je me souviens avoir été attiré par des garçons de mon âge que très tard, puis, par des hommes alors que je n’étais encore qu’un enfant – à dix ans environ. Mais je ne crois pas que j’étais disposé à sucer et baiser qui que ce soit. BB : C’est la même chose pour moi, mais mes partenaires ont toujours eu le même âge que moi : quand j’avais six ans, ils

en avaient six aussi. LH : Alors «sucer» et «baiser», c’est peut-être des mots un peu extrême, non ? BB : Non, je crois que j’étais dès six ans un petit violeur : j’ai toujours été l’initiateur de ce qui se passait. LH : Revenons à la littérature. J’étais étonné en lisant Autobiographie érotique car votre style y est plus littéraire qu’auparavant. BB : C’est vrai. Je pense que cela vient du changement de la matière utilisée, quand on passe d’un sujet américain à un sujet européen, les choses semblent devoir être plus réfléchies et l’on se retrouve davantage dans une tradition contemplative - en tout cas c’est ainsi que je crois que cela s’est passé. Et puis il y a évidemment l’horrible question de l’âge que vous souleviez tout à l’heure : je suis bien sûr plus contemplatif en vieillissant. LH : J’aime beaucoup cette notion : contemplatif. Je vous aurais défini comme plus classique. Je m’attendais, bien avant de vous lire, à ce que votre écriture ressemble à celle de Dennis Cooper : des phrases très courtes et un vocabulaire beaucoup plus trash. Mais non, vos scènes sont sexuellement explicites, et le plus important reste la question de la lutte des classes. BB : C’est vrai que tous mes livres traitent de la lutte des classes. La com-


LH : À la lecture d’Autobiographie érotique, j’ai pensé à Edmund White [excellent écrivain américain, homo, résidant en France], à une écriture plus posée, vous voyez ? Quant à la lutte des classes et la «contemplativité», cela peut vous renvoyer à une tradition littéraire française, Zola, par exemple - peut-être l’une des raisons pour lesquelles vous avez séduit le Prix de Flore… BB : Je considère Edmund White comme l’écrivain typique anglo-saxon, même lorsqu’il s’attaque à des sujets français.

(qui donne son titre à mon premier livre), pour pouvoir vivre avec le désir d’aimer les hommes. BB : L’idée est intéressante. Je n’ai jamais eu à vivre cela. LH : Croyez-moi, je m’en serais bien passé. BB : Mon approche a toujours été à l’inverse de vous. Je me suis toujours représenté à mes propres yeux comme un macho, qui avait tendance à féminiser les hommes que je chassais. Je suivais un modèle hétéro, en somme. LH : A ma façon, moi aussi.

«Ce qui n’a jamais changé, c’est l’énorme effort que demande la survie à New York : gérer les dépenses, la pénurie de logement, l’hyper compétitivité dans le travail, la population croissante, l’insalubrité, le manque de services.» Bruce benderson paraison que vous faites avec Cooper est très intéressante car c’est un phénomène culturel qui se joue ici : Cooper vivait à New York mais il est originaire de Californie. Il a dû retourner là-bas pour nourrir une sensibilité radicalement californienne. Je ne sais pas si cela se sent dans la traduction française de ses livres, mais ses phrases très courtes représentent un véritable travail pour tenter de rendre la musicalité du langage californien. Il a accompli des miracles à partir de là, parce que le parlé californien est le moins littéraire et le moins musical de tous les dialectes américains. Mais Cooper a réussi.

Mon écriture est fortement influencée par la littérature catholique : Manuel Puig [Argentin mort en 1990, auteur du Baiser de la femme araignée] est mon mentor. Mais si l’on parlait de vous ? LH : C’est-à-dire : je ne suis pas sur la liste du Prix de Flore. BB : Je n’ai pas lu vos livres mais je crois que l’un d’entre eux a pour sujet le fait d’être une femme ? LH : Ce n’est pas tant le fait d’être une femme que de savoir que l’on est gay depuis l’enfance, de ne pas être à l’aise avec cette idée-là et de se forger une personnalité féminine, un double féminin, que je nomme Laura

BB : Mais mon désir ne m’a jamais fait me sentir proche de ce que pouvait ressentir une femme. LH : La sensation d’être une femme dans l’amour des hommes n’a duré que le temps pendant lequel je n’en aimais aucun. A la première minute où j’ai été avec un homme, en vrai, j’ai compris que j’en étais un, moi aussi, sexuellement. BB : Vous lire me donnera une nouvelle perspective à explorer. LH : Vous lire m’a apporté également quelque chose : la vision d’un temps que je ne connaitrai jamais et dont j’avais pu discuter avec des gars sur internet – j’ai beaucoup appris des types rencontrés sur le Net, sexuellement, humainement. BB : Vous voulez dire des gars plus vieux qui avaient expérimenté des choses qui n’existent plus aujourd’hui ? LH : Exactement. Le point de vue américain, la façon américaine d’être gay conserve un parfum de liberté qui n’existe pas en France - mais peut-être qu’être un gay américain n’est rien d’autre qu’un fantasme que certains Français ont (ou avaient), quelque chose qui existe encore (ou plus). BB : Non, je vous suis là-dessus, le mode de vie à l’Américaine avait une liberté qui ne pouvait pas exister en France, gênée par ses traditions, ses conventions. Nous sommes moins cérébraux que vous, ainsi davantage capables


d’innover, d’agir, de se décoincer, de célébrer la vie et l’action. Mais à l’opposé, les Français avaient des avantages qui n’existaient pas aux Etats-Unis, le romantisme, la sensualité, le charme, l’exquis, l’importance de la conversation dans la séduction. Je dis «avaient» parce qu’aujourd’hui, les gays français ont adopté les pires caractéristiques du style américain - l’idée que le corps est la chose la plus importante dans un contexte de sexe et d’amour ; cette manière de porter des vêtements masculins manquant d’élégance ou d’imagination - et ce qui faisait l’originalité américaine, la spontanéité, a disparu, c’est un vrai désastre. LH : Vous y faites allusion dans les premières pages d’Autobiographie érotique : «Bien sûr, ça se passait avant que Manhattan ne devienne un centre de divertissements pour célibataires d’une classe unique et que la vie des gays ne devienne un nouvel exemple de l’assimilation au mode de vie dominant.» BB : En effet. LH : J’ai passé quelques jours à New York, au printemps. C’était la seconde fois que je m’y rendais, après un voyage en 1985 avec mes parents et mon frère. Puis-je vous faire part d’une chose étrange ? BB : Oui ? LH : J’étais très excité à l’idée même de New York : je savais d’instinct que quelque chose se produirait à la minute où j’y poserai le pied. Je me

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suis immédiatement senti chez moi. Evidemment, cela vient du cinéma et des séries diffusées en France - l’une de mes références étant Sex and the City parce que Carrie Bradshaw est écrivain. Mais après seulement quelques jours, j’ai compris que ce que je ressentais était faux : je me promenais au beau milieu d’un studio de cinéma. C’était merveilleux de me trouver là, mais ce n’était pas ce dont je me souvenais vingt ans auparavant.

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«nous sommes à la fin d’une guerre géante déclarée à la libido new-yorkaise et américaine. Le maire Giuliani a passé huit ans à mettre un terme à toute activité sexuelle dans New York.» BB : Vous voulez dire que vous projetiez Sex and the City sur le vrai New York et que vous avez découvert que ce n’était pas vraiment cela ? LH : Pas exactement, j’arpentais les rues avec le sentiment qu’il pouvait y avoir, au contraire, une Carrie Bradshaw sur chaque porche qui ressemblait au sien dans la série - ainsi la ville ressemblait à un plateau de cinéma. Et il y avait cette sensation de ne rien risquer à aucun moment, comme si se balader à deux heures du matin dans les rues ne comportait aucun danger, comme si les «vrais gens» n’existaient pas. BB : Oui, je ressens aussi cela. Mais les raisons sont tellement complexes. Sex and the City met en scène une élite

bourgeoise qui n’existe aucunement à New York, en tout cas dans tout ce qu’elle montre de simplicité à y vivre. La seule chose qui n’a jamais changé, c’est l’énorme effort que demande la survie à New York : gérer les dépenses, la pénurie de logement, l’hyper compétitivité dans le travail, la population croissante, l’insalubrité, le manque de services. Cela a toujours été réel. Mais cela en valait la peine - et tout sacrifice - à cause du spectacle de l’humanité qui était joué chaque jour dans les rues. Aujourd’hui, hélas, tout ce bouillonnement a disparu et ne restent que les inconvénients. LH : Tout ce que vous décriviez dans vos livres, Toxico [1998], New York Rage [1994] ? BB : Exactement. LH : J’ai situé mon dernier manuscrit dans un New York gay que j’avais fantasmé un maximum : des tas de cruising clubs dans une cité hypersexuelle que j’avais imaginé à travers mes expériences internet avec des Américains. Je l’ai terminé en 2004 et étais donc très excité à l’idée de redécouvrir New York. J’ai été très déçu : je suppose que j’avais lu trop de choses et donné trop de crédit à mes expériences virtuelles - une constatation que vous aviez faite il y a plus de dix ans dans Sexe et Solitude. BB : Cela a sûrement ressemblé à votre fantasme. Mais nous sommes à la fin d’une guerre géante déclarée à la libido new-yorkaise et américaine. Le maire Giuliani a passé huit ans à mettre un terme à toute activité sexuelle dans New


Photo : chelsea / ny2005 © jeanpierreparingaux

York. Les clubs gays, les bars, jusqu’à l’esprit gay en ont souffert. Par la même occasion, une élimination des classes pauvres de Manhattan a eu lieu : la classe moyenne et la bourgeoisie ont voté pour cet assainissement et le regrettent aujourd’hui. Ils ne se rendaient pas compte que l’énergie de New York venait de ces classes dites inférieures. Aujourd’hui, ils s’emmerdent tous mais ne savent pas pourquoi. LH : Vous écrivez : «La société est structurée de manière à prévenir l’effet toxique que peuvent induire des contacts trop intimes avec ce genre de personnes. Mais une fois qu’on a passé la ligne, on ne peut pas retourner en arrière comme si on n’avait jamais croisé de semblables réalités.» Cela semble terrible pour vous aussi. BB : Je ne suis pas le seul à être abattu. Une claque sévère a, de toute façon, entamé l’esprit américain. Les attentats du 11 septembre ont immédiatement suivi la fin du mandat de Giuliani. Je crois que nous nous battons toujours contre cette idée, mais c’est un sujet complexe qui dépasse ce dont nous parlons. Un exemple précis : jusque dans les années 50, le quartier dans lequel je vis [East Village, et plus précisement «Les Alphabets», les avenues A, B, C, et D, dans l’est de New York downtowon, ndlr] était un ghetto juif. Puis dans les années 60, les Portoricains y ont emménagés. Le gouvernement laissa faire et les Juifs quittèrent le quartier qui devint le plus dangereux de Manhattan après Harlem. Puis quelques artistes et des «bohémiens» s’y aventurèrent. A la fin des années 80, le quartier jouissait d’une merveilleuse balance pluriculturelle où artistes blancs et Portoricains pauvres interagissaient dans une entente paisible et réussie. C’est alors que des Blancs plus riches virent une opportunité à investir dans le quartier et le maire les encouragea à y élire résidence. A l’heure actuelle, je vis dans un quartier bourgeois à majorité blanche. Alors qu’il y a quelques années tout le monde vivait en simple communauté, le peu de Portoricains qui y habitent encore n’osent pas adresser la parole ou même regarder un Blanc dans les rues. LH : Ecrire dans ce quartier devait être quelque chose de riche en terme d’inspiration, de motivation.

«New York n’est plus du tout une source d’inspiration pour mon écriture. Mais pour une raison mystérieuse, je ne suis pas prêt à renoncer à elle.» Comment faites-vous aujourd’hui ? Est-ce que votre quête d’amour et/ ou de sexe en Europe de l’Est est une conséquence de l’époque Giuliani ? Vous êtes un mordu de la langue française, mais étiez-vous déjà fasciné par l’Europe entière comme vous semblez l’être aujourd’hui par l’histoire roumaine, par exemple ? BB : Vous me posez des questions difficiles. Ok, à l’heure actuelle, New York n’est plus du tout une source d’inspiration pour mon écriture. Mais pour une raison mystérieuse, je ne suis pas prêt à renoncer à elle définitive-

ment. L’Europe, en revanche, m’excite à tous niveaux. La tradition européenne est une terre fertile pour ma façon de penser. Et mon désir sexuel ne se limite aucunement à l’Europe de l’Est, il concerne l’Europe toute entière, y compris la France. Ici, le besoin sexuel n’est pas uniquement réduit à la notion de corps comme c’est le cas chez nous. Toutes sortes de facultés intellectuelles compliquées - comme le charme - entrent en jeu. Je ne baise plus qu’en Europe à présent. Les Américains ne me touchent pas, ils me trouvent trop cérébral.


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«Je ne baise plus qu’en Europe à présent. Les Américains ne me touchent pas, ils me trouvent trop cérébral.» LH : Désolé pour les questions complexes : je suis aussi un type avec des facultés compliquées. BB : Pour revenir à ce que vous disiez, je crois qu’il existe une école américaine qui se développe en Europe, comme c’était le cas à Paris dans les années 20. Les meilleurs artistes américains ne trouvent plus d’inspiration ici, aussi ils voyagent en Europe. La différence avec le passé étant que cette bohème ne se situe plus dans une ville en particulier, elle grandit et circule de ville en ville, Berlin, Prague, Cracovie, Paris, Barcelone, Naples. De plus en plus d’artistes américains deviennent des expatriés. LH : Je n’avais pas conscience de tout ça. Ce que nous avons ressenti ici, entre le 11 septembre et les prises de positions de George Bush, c’est que les artistes américains se sentaient de plus en plus d’affinités avec la France et l’Europe qu’ils n’en gardaient pour leur propre patrie. BB : Tout a fait. Beaucoup d’Américains talentueux sont totalement anéantis par Bush et la mentalité du pays, aussi cherchent-ils refuge en Europe. La différence que je soulevais était qu’ils vivent aujourd’hui davantage en nomades qu’auparavant : ils ne choisissent pas une ville européenne mais voyagent à travers l’Europe. LH : Je voudrais conclure en citant 40 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

ma phrase préférée d’Autobiographie érotique. En préparant cette rencontre, j’avais noté à côté d’elle «en résumé» et «optimiste» : «En dépit d’une situation sans espoir, et malgré les politiques de normalisation envahissant la culture, je concevais toujours mon homosexualité comme une aventure, une chance de franchir non seulement les barrières entre les sexes mais aussi les barrières de classe, tout en me permettant de violer quelques lois au passage. Sinon, me disais-je, autant être hétéro». BB : C’est amusant que vous choisissiez cette phrase-là. C’est celle que mon éditeur m’a forcé à retravailler. Il trouvait qu’elle basculait dans la vantardise et qu’elle était malhonnête. En anglais, ça donne : «If not, I’D RATHER be straight» («Je PREFERERAIS être hétéro»). Il m’a obligé à en réduire la force, mais je ne me souviens plus vraiment comment. Conversation provoquée par Richard Gaitet

' Bruce Benderson. Autobiographie érotique (Rivages). ' Laurent Herrou. Laura (Balland, 2000) et Femme qui marche (H&O, 2003).



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dossier NY ¬ MODE

LES QUATRE FANTASTIQUES Capitale des excentriques, New-York City abrite autant de fashionistas que de vendeurs de hot-dogs. Mais s’il n’y avait que quatre flèches à suivre ? Sélection ci-dessous. TEXTE : NATALIA GRGONA

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STANDARD # 9 // MATIÈRES 42 | ICÔNES // CHAQUE MODÈLE GARISES SON STANDARD

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1 Provocateurs : Pleasure Principle What ? Pleasure Principle naît de la rencontre entre un Anglais autodidacte, Adrian Cowen, et une Sicilienne, Diva Pittala, issue de l’école Koefia de Rome et de la fameuse Saint Martins School de Londres. Après avoir travaillé sur le label People used to dream about the future, ils créent la marque Pleasure Principle, en référence à l’album du chanteur Gary Numan (et non au tube de Janet Jackson), lui-même tiré des principes de plaisir et réalité de… Freud. So ? Une ligne unisexe de sportswear à base de t-shirts sur lesquels ils s’expriment et bousculent les codes. Parti pris : sexe & politique. Leur technique très couture : la broderie, pour greffer des images issues d’anciens magazines pornos chinés à New York. Les Américains font : «shocking !». Adrian et Diva en profitent pour causer politique locale : t-shirt brodé d’un Saddam élevé au rang d’icône warholienne, Bush en guerrier tribal… : «Lorsqu’on sent que la société change, les créateurs doivent suivre en s’exprimant. Nous voulons contribuer à une ouverture d’esprit grâce à nos créations !». So what ? Plus qu’un travail d’expérimentation, Pleasure Principle accroît la liberté du consommateur, utilisant ses vêtements de multiples façons, comme ce t-shirt transformable en écharpe ou en robe. Remarqué aux Etats-Unis et au Japon, le label est uniquement vendu en France à la boutique Shimji (7 rue du Perche, Paris 3e).

2 Barrés : As Four What ? Au nom d’As Four répondent quatre créateurs - Adi, Ange, Gabi, Kaï - des quatre coins du monde (Israël, Russie, Liban, Allemagne) et issus d’univers différents (photo, design, stylisme, beauté). Super potes, frères et sœurs de pensée, ils emménagent ensemble en plein cœur de Chinatown dans les années 90 dans un studio tout en argent. Ils décident de ne faire plus qu’un : vivent, créent, dirigent tout à quatre. Premier succès : un sac en forme de disque. Egalement dee-jays, photographes, leur univers fantasmagorique est dans la hype et Björk est fan de la première heure. Ils ne sont plus que trois aujourd’hui, Kaï étant parti fâché. So ? Inventives, leurs pièces se construisent, se moulent, se superposent, se drapent. Les jupes prennent du volume, les vestes se transforment en capes, en robes, les pantalons jouent les spirales. Ils utilisent le caoutchouc, le lurex, la mousse tout en restant à l’aise avec la fourrure ou le satin. La collection automne/hiver 2005/06, très féminine, - avec l’apparition de robes du soir confirme talent et avant-gardisme. So what ? Les futurs Viktor & Rolf ? Probable. Toujours est-il que les As Four défilent aujourd’hui à New York et à Paris et que, jamais à court d’idées, ils collaborent sur un nouveau projet intitulé Asfourdenim et viennent de créer, en collaboration avec Symrise et Colette, un parfum, en vente dès septembre. Enfantin : Matthew Ames

What ? Sorti de l’école d’Art de Chicago en 2003, Matthew Ames, 25 ans, s’installe à New York. Il se fait repérer en 2004 en remportant le prix 1.2.3 au Festival de Hyères. C’est également en France qu’il présenta, à la Fashion Week de juillet dernier, sa dernière collection homme et femme pour l’hiver 2005/06. Et en plus, il est blond-mignon-canon. So ? Dans le dernier numéro de Standard, on avait déjà remarqué ses pantalons colorés à partir de draps vintage pour enfants et son univers d’imprimés et de découpages. Un travail à relier à celui de Bernhard Willhelm. Cette année, Matt s’est inspiré des photo-montages de l’artiste David Hockney : après avoir découpé le vêtement une première fois, il le reconstruit façon patchwork. Ce beau gosse pointilleux avoue «modifier et améliorer sans cesse [s]es modèles». So what ? Ambitieuses et originales, les œuvres de Ames (reconstructions, superpositions) font déjà preuve, niveau coupe et finesse, d’une qualité si remarquable que son nom circule en conciliabule de New York à Paris où une enseigne devrait très bientôt vendre ses créations. Urbaine : Maria Cornejo What ? Vingt ans de métier. Après le succès dans les années 80 de la ligne Richmond Cornejo, elle se balade comme consultante dans les plus grandes capitales du monde. En 1996, elle se pose en famille (mariée au photographe Mark Borthwick) à New York et repart de plus belle en créant la ligne «Zero» dans son atelier-concept-store. Ses créations ont des fans aux noms de Cameron Diaz, Tilda Swinton ou Sofia Coppola. So ? En s’adressant aux femmes urbaines, Maria Cornejo a su créer une ligne jouant avec les basiques (t-shirt, pull, manteau…) sur les volumes et les formes. Elle opte pour des vêtements faciles à porter mais conçus dans des matières luxueuses (velours, cachemire, tweed) et sophistiqués dans la coupe ou les détails. So what ? Une pincée de simplicité, un mix d’élégance et d’originalité… Même si en France, on a déjà Vanessa Bruno ou Zadig & Voltaire, Maria Cornejo se développe à la vitesse de l’éclair. Ses créations sont désormais disponibles sur son site internet, mariacornejo.com.

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N.G.


G

dossier NY ¬ FEATURING

«MON» NEW YORK Ils sont écrivains proustiens, réalisateur branquignol, batteur autiste ou légende du ska. Madness, Gaspard Koenig, Sigur Ros, Gus de Kervern, Héléna Villovitch : ils nous racontent leurs aventures new-yorkaises. SUR PROPOSITION DE : RICHARD GAITET, MAGALI AUBERT ET JULIEN ESPAIGNET

Hé Hi Ho Par Hélèna Villovitch. Le jour où la quadra-midinette, auteur et réalisatrice super 8, a ouvert un magazine bath. «A New York, je ne m’intéressais qu’aux détails. A partir du moment où j’ai acheté une paire de Converse noires, je n’ai plus regardé que mes pieds. J’étais aveugle aux grandes lignes de l’architecture, de l’urbanisme et de l’organisation sociale de la ville. Patricia et Pascal me

traînaient un peu partout. Eux savaient qu’on peut se nourrir dès le matin de menus McMorning, que les clips défilent non stop sur MTV et que les comprimés Bayer soulagent le mal de tête. Comme je me demandais quoi dire à mes parents au sujet de l’Amérique, un certain Paul, prénom brodé sur la chemise, m’a conseillé d’écrire sur ma carte postale les simples mots «hello, he, hi, ho». Un peu plus tard, dans une boutique punk, j’ai acheté le magazine anglais i-D, dont les pages intérieures étaient à l’époque imprimées en noir et blanc. C’était presque un fanzine. Sur la couverture, il y avait la photo d’une fille hyper bronzée, la peau recouverte de fond de teint luisant et les lèvres roses vif surmontées d’un énorme grain de beauté. Pour décrire la couleur et la texture de ses cheveux, il aurait fallu évoquer le pelage d’un animal ; par exemple, un cocker. Derrière la photo, quelques lignes où la jeune femme se présentait au lecteur : «La première fois que j’ai vu un pénis, j’ai eu peur. J’ai pensé que ce serait vraiment trop gros pour moi, que ça ne pourrait jamais entrer. Bien sûr, aujourd’hui, j’ai modifié mon jugement ». C’était Madonna». ‘ Livre : Le Bonheur par le shopping (Maren Sell). ‘ Début 2006, La Maison rectangulaire, avec le dessinateur Hendrik Hegray (Ed. Estuaire)

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La poire & la pomme Par Gus de Kervern. Le jour où le reporter grolandais s’est pris le chou avec Bob De Niro. «Le 23 avril dernier, j’étais invité à New York au festival de Tribeca où était programmé Aaltra, coréalisé avec Benoît Delépine, qui ne peut pas venir. A l’aéroport, j’ai déjà peur, avec mon look de Richard Reid, l’homme aux semelles explosives. - «Est ce vous qui avez fait votre sac ? - Non, c’est ma maman, comme d’habitude». Regard torve de l’agent. Je sens que, à l’instar d’un Roland Magdane, mon humour va faire mouche là-bas. Mon hôtel se situe juste à côté de feu les tours jumelles. C’est maintenant un grand trou à travaux. Les gens adorent les trous à travaux. Samedi, 19h, quartier vide. Je vais au QG du festival où l’on me ferme la porte au nez. Je décide de noyer cet échec dans un verre de vin. Je suis seul au comptoir d’un bar qui a l’air branché (donc un grand bar vide avec des chaises qui font mal au cul). Je commande un Merlot en pestant contre ces étiquettes toutes designés par Folon. Après le peste, c’est le choléra en voyant la note : 15 euros le verre a demi plein. J’enrage. Je vais seul dans un restau. J’apprend deux jours plus tard que c’est le restau de De Niro, également parrain du festi-


Photos : Thomas Corgnet

val. Comme je suis seul, on me place au comptoir... avec que des hommes seuls. On se dévisage tous, un peu honteux. Je rentre de bonne heure à l’hôtel, à pied. Je n’ai pas peur car je suis ivre. Le lendemain, je retourne au QG du festival. Personne ne me calcule. Pour me donner du courage, je repense à Yves Montand la première fois qu’il est venu dans ce pays d’ignares. Pendant deux jours, je ne dors pas (insomnies) dans la ville qui ne dort pas (coke). En revanche, dès mon réveil, je bouffe du kilomètre. Je fais tous les quartiers dont j’ai entendu les noms : Chinatown, Little Italy, Wall Street... Je suis étonné par la sensation de surdité. Les bruits sont étouffés ou résonnent. Je suis fasciné par les buildings et leur beauté froide. Je me dis alors : «De quoi se plaignent les habitants des grandes barres d’immeubles de nos banlieues parisiennes ?» Je vais au Moma voir les deux peintures de Dali. Je vais au Metropolitan Museum au pas de course car je suis attendu à un cocktail avec De Niro. Je le vois, au bout du bar, avec son rictus habituel. Je m’approche de lui et lui signale mes tarifs prohibitifs de son restaurant. Il fait semblant de ne pas comprendre. Je parle avec un réalisateur australien d’un album des Hoodoo Gurus puis je me casse. Aaltra est projeté dans un cinéma proche du World Trade Center. Le film est très bien accueilli. Je

suis en grande forme pour répondre aux questions des spectateurs. Sur la fin, je chante même «Prosper Youpla boum c’est le roi du pain d’épices» de Maurice Chevalier. Toujours aussi en forme, je me rends à une party organisée par le directeur du festival. Mon rêve : manger du tarama dans un loft new-yorkais. Vue sur Wall Street. Bougies par terre. Ascenseur qui arrive directement dans l’appart. Je rencontre Costa Gavras, ses enfants ont adoré Aaltra. Je lui donne alors quelques conseils pour sa carrière («Costa, fais Z 2»), avant de danser, légèrement vaseux, avec la femme du directeur. Le lendemain matin, je vais à Central Park. Je fais un tour en calèche avec un Irlandais qui m’explique plein de choses que je ne comprends pas. La vue des gratte-ciels est fascinante. Ces gigantesques parallélépipèdes de béton qui ourlent cette frange de verdure. Si on est moins poète que moi, on peut aussi parler de grandes boîtes à chaussures à côté d’un jardin. L’extérieur du Musée Guggenheim me fait penser à Marina baie des anges, à côté de Nice. Je me balade dans le coin. D’après l’Irlandais, c’est là qu’habite Woody Allen. Ca m’étonne pas, un quartier de bourges avec des traiteurs et des banques. Je comprends d’où vient son manque d’inspiration maintenant. Ce qu’il y a de bien ici, c’est que dès qu’on lève la main, on a un taxi. Mais difficile de trouver un bar comme chez

nous à New York. Ils ne sont pas très PMU les Ricains. Tiens c’est rigolo, un Mac Do, comme à Paris. Ils en ont ici aussi alors. Je repasse par les mêmes rues sans m’en rappeler. Comme un pré-alzheimer, je m’extasie sur des monuments que j’ai déjà vus. A l’hôtel, je me repose trente secondes. Deuxième projection d’Aaltra. De Niro, froissé par mes propos, décline l’invitation. Tant pis, il ne sera pas dans notre prochain film. Le soir, je me retrouve avec le directeur du festival dans ma chambre. Je lui confie le scénario d’Avida, ce fameux prochain film sans De Niro. On cherche à avoir Lynch pour un rôle. Il me dit qu’il va essayer. En échange, il vide mon minibar. Le lendemain, je prends un taxi pour l’aéroport. La poire quitte la pomme.» ‘ DVD : Aaltra (Absolument).


Photos : Thomas Corgnet

G

Scènes de la vie d’un propre-à-rien. Par Gaspard Koenig Le jour où l’auteur d’Octave avait vingt ans annonce à sa mère un truc pas croyable. «Il y a ceux qui arrivent à New York en catimini, dans l’ombre du Midtown Tunnel, et qui vont à leurs affaires dans le quartier du même nom. Ils sont prêts à payer cher ce droit à l’incognito : six dollars de toll à l’entrée du tunnel.

Ils savent qu’il vaut mieux éviter la septième avenue, surtout par mauvais temps. Ils disent deux mots au chauffeur, c’est-à-dire en fait deux numéros. Ils n’ont jamais pensé être new-yorkais ; à quoi cela servirait-il, puisqu’ils sont déjà bankers, models, party-promoters, PR (public relations), lawyers, interior designers, ou nutrionists ? Quelques dizaines de mètres au dessus d’eux, sur le Brooklyn Bridge, on trouve les poètes du guide bleu. Ceux-là n’hésitent pas à faire un bon détour pour passer entre les célèbres pylônes qui gardent Manhattan. Ils en aiment le côté Mycènes. Plus de cinquante rues plus haut, quelques WASP à peine blafards qui se prennent pour des fins de race empruntent fièrement le Queensborough Bridge pour débarquer en plein Upper East Side. Quant à moi, détenteur par pure indolence d’un pauvre visa F1, le hasard me jeta sur le Williamsborough Bridge, direction downtown, enlacé à une valise en cuir Goyard dont on ne pouvait nier le charme Belle Epoque. La skyline se distinguait à peine dans la lumière poussiéreuse de l’été indien. J’avais pris le parti de mener pendant un an das Leben eines Taugenichts, la vie d’un propre-àrien, sans violon mais avec toutes mes affaires d’escrime, impatient d’essayer les salles d’armes américaines. New York et ses gratte-ciels tiendraient le rôle des forêts du romantisme allemand. Autant dire que je n’étais pas dans le coup. Et pourtant, voilà le plus étonnant, la ville qui ne dort jamais se prêta fort gentiment à mon oisiveté surannée.

Je logeai successivement à Chinatown, dans des odeurs de tortue crevée, partageant l’appartement avec deux petites asiatiques et un gros chat roux ; au fin fond de l’East Village chez une journaliste suisse ; à côté de la Columbia University dans le logement de fonction d’une prof d’italien bouddhiste ; à Chelsea avec une banquière roumaine ; et enfin au cœur de Soho, 100 Wooster Street, dans le loft d’une peintre septuagénaire, une de ceux qui ont investi les vieilles usines dans les années 70, et qui dépérissent peu à peu à mesure que le quartier se gentrifie. Pour survivre, Marion Pinto ne peignait plus des hommes nus en odalisques comme dans sa jeunesse, mais elle louait trois petites chambres au milieu de son immense appartement de brique. Je vécus donc entre une mannequin afro-allemande, un antique prof de cinéma qui avait fait son temps à Rome et Hollywood, et une chatte de vers, plutôt contemplative, que Marion avait ramenée de son séjour au Japon. Le billard du salon permettait de lier conversation. Un soir, nous regardâmes en famille Le Temps retrouvé de Raoul Ruiz, sous-titré en anglais. La top-model, encore sous le contrat de son contrat chez Elite, essayait avec beaucoup de bonne volonté de suivre l’histoire ; le vieil homme en peignoir faisait des remarques sur les éclairages ; Marion buvait son saké du soir : moimême, je pansai avec délices mon mal du pays. Je fis à New York un livre et un enfant.» ‘ Livre : Oscar avait vingt ans (Ed. Grasset).

46 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES


Manneken-Pis

One Step Before

Par Sigur Ros

Par Madness

Le soir où le batteur islandais Orri Páll Dýrason a fait connaissance avec la fermeté policière.

C’était l’époque où le chanteur Graham «Suggs» McPhearson et le saxophoniste Lee «Kix» Thompson s’en mettaient plein la gueule.

«Un soir, j’ai descendu pas mal de bières dans des bars de l’East Village avec un pote, et l’envie me prend d’aller pisser dans une allée. Je n’ai pas encore déboutonné mon pantalon que des flics s’arrêtent derrière moi, comprennent que je suis sur le point de souiller les murs de leur ville, et me disent que ce geste est «interdit». Pour punition, ils m’ont forcé à faire quinze pompes.» ‘ Album : Takk (Capitol).

«New York, c’est fabuleux. C’est du reste la première ville des Etats-Unis où nous nous sommes rendus. On était descendus à l’hôtel «iroquois», le moins cher du coin à l’époque. A peine arrivés, on est partis avec des tas de sacs plastiques pour faire du shopping. On était ébahis de pouvoir acheter des Levi’s pour une bouchée de pain. Et des chaussures. Et toutes sortes de choses qu’on ne trouvait pas en Angleterre. C’était d’ailleurs assez fou. On était quand même jeunes et relativement candides, et d’un seul coup on s’est retrouvés dans des clubs avec du sable sur le sol et des gens nus qui dansaient dessus… ou d’autres qui venaient foutre leur bite dans nos verres ! Notre manager nous disait : «Oh, il faut que vous alliez dans ce bar hyper

branché». Nous y sommes donc allés, Lee jouait au flipper, et c’est là, véridique, un mec a proposé 25 dollars pour tremper son sexe dans son verre. On trouve vraiment tout ce qu’on veut, 24h/24h. A l’hôtel, tout le monde croyait que nous étions militaires à cause de nos coupes de cheveux. En plus, on sortait vers 18h alors que là-bas, personne ne met le nez dehors avant minuit. On fumait de l’herbe, on se tapait d’énormes bouteilles de vodka. On était complètement raides quand les mecs du label voulaient nous causer vers 22h. Un soir, l’un d’entre nous, n’arrivant pas à ouvrir sa porte, a tenté de la forcer et le mur entier de la chambre s’est affaissé ! On pense, quand on est Londonien, que Londres est une ville démente, mais par comparaison, Londres fait figure de banlieue de New York. Et les gens dans la rue vous alpaguent en permanence, de façon quasi-frénétique : «Voulez-vous acheter quelque chose, voulez-vous boire quelque chose ?». C’est une bagarre de tous les instants pour occuper l’espace, mais il se dégage de cette atmosphère quelque chose de vraiment stimulant». ‘ Album : The Dangermen Sessions – Vol.1 (V2).


G dossier NY ¬ PARANOÏA

IN COMPLOT WE TRUST Huit rumeurs qui circulent actuellement downtown. TEXTE : MAT GALLET

ILLUSTRATION : ROMUALD BOIVIN

- Le poisson-chat terroriste. On connaissait les alligators peuplant les égouts de la ville. Au lendemain du 11/09, des sauveteurs ont déterré, dans les ruines fumantes du World Trade Center, un appareil photo numérique. Sur la dernière image, prise quelques secondes avant la catastrophe depuis la terrasse des Twins Towers, les pompiers aperçoivent un gigantesque requin doté d’une tête de poisson-chat. La bête n’est jamais réapparue, sinon dans… la Tamise, quelques minutes avant les attentats de Londres en juillet 2005. Mauvaise nouvelle : elle serait de retour à New York, vue au large de Long Island. - Pits-épics & vieilles dentelles. Dans Spanish Harlem, des gangs chicanos ont réussi a accoupler leurs pitbulls avec des porcs-épics, donnant naissance à l’animal le plus meurtrier du monde. Plus drôle : une veuve multimillionnaire de Manhattan, prise d’affection pour un matou nommé Starbuck, lui a légué, un appartement d’une valeur de 792 000 dollars, ainsi que 198 000 dollars sur un compte en banque. Seul problème : le chat est introuvable. La personne qui chope le miron est considérée comme l’héritière du chat lorsque celui-ci décédera. A vos épuisettes. - Marques attaquent. Après le Coca light prétendument cancérigène (2003), les frites Burger King cuites dans l’huile coupée à l’acide de batterie automobile (2004), Pepsi baigne dans l’eau d’une bonne vieille rumeur : selon les indiscutables vendeurs pakistanais de hot-dogs à Brooklyn, le Pepsi serait à l’origine de la disparition des vrais blonds, « Yes yes, my frrriend. It’s trrrrue ». A Chinatown, on raconte que les I-pods Apple rendent sourds, par mauvaise compression des infra basses de la norme d’encodage MP4. Comment ?

48 | STANDARD # 9 // MATIÈRES GRISES

- Allah Superstar. Vêtus de dizaines d’uniformes d’UPS, célèbre livreur de colis, des terroristes vont facilement poser des bombes dans toutes les administrations sensibles de New York, lesquelles ont continuellement recours à ce service postal. Dans le même genre, selon la femme de ménage de la cousine d’un gars dont le voisin bosse au FBI, des terroristes ont entreposé des tonnes d’explosifs sous l’eau, afin de provoquer un immense tsunami qui noiera entièrement Manhattan. Glou. - La Poste, on a tous à y gagner. A New York, un appart sans cafard n’est pas vraiment un appart. Une société de fabrique d’enveloppes a récemment stocké ses plis trop longtemps avant de les conditionner sous plastique. Résultat : des hordes de blattes ont y pondu leurs oeufs, précisément sur la partie à lécher avant l’envoi. Plusieurs personnes ont senti d’énormes larves de cafards vivants sous leur langue… Chais pas vous, mais moi, New York, j’en rêve. M.G.


PHOTO : OLIVIER WAISSMANN

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Tel. : 01 40 25 46 00 w w w. d u p o n . c o m


Les produits d’ailleurs

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IMPORTS/EXPERTS T-SHIRTS ET AUTRES TRUCS ET TROUVAILLES

Capotes pop A l’heure où s’éteint peu à peu la virulente rumeur du «Tsunami virus» (un sida soit-disant plus fort qu’ailleurs, qui tuait en un mois), la Madonne veille dans les meilleurs dance-clubs de New-York. Des préservatifs au packaging inchangé depuis 1979, sont distribués aux garçons, à la pelle, slups. M.A.

Mode : DIY Wikiwiki est l’onomatopée imitant le bruit du scratch en anglais, et le nom d’une mascotte née à la Fluxfactory (voir p. 28). Cette petite figurine, sortie du cerveau de trois artistes, Jean Barberis (France), Aya Kakeda (Japan) et Sébastien S. Santamaria (France aussi), habille des t-shirts très DIY (Do It Yourself), sauf que c’est eux qui les font. P.B. ayakakeda.com wikiwikicorp.com

Dansez danois La scène se passe au Razzmatazz de Barcelone, usine réaffectée en club underground en périphérie de la ville. Pendant le set de Miss Kittin, j’aperçois une affiche : «WhoMadeWho Live !» ce soir, ici, maintenant. Impec : le funk/rock entendu sur le premier album de ces Danois moustachus avait du groove dans la calebasse. Une foule de branchés pop se bouscule à l’entrée d’un énième dancefloor industriel. Je me plante au premier rang. Trois gosses débarquent -ils ont dû raser leurs bacchantes-, guitare/basse/batterie : grosse vibration électro/rock, set en béton armé, super style. Je me penche vers une miss à lunettes : «C’est bien WhoMadeWho, hein ?». «Non, ils sont à côté. Ca c’est DeLorean, un groupe espagnol». Damned ; je bondis dans l’autre salle et chope le rappel de WhoMadeWho. Euh… bon rappel et morceau qui dépote. Concerts en France à l’automne. Soyez à l’heure. R.G. DeLorean. DeLorean (B Core). Whomadewho. Whomadewho (Gomma/Discograph)

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Blog Audio David Fenech, on a tort d’en parler. Il faudrait qu’il reste l’ami des seuls initiés. Pour que les téléchargements, oups..., l’affichage des pages du site, reste aussi rapide. Car c’est vraiment le cœur battant que l’on découvre des groupes underground de tous les pays. Tête chercheuse, musicienne et mélomane, David Fenech dégote des truffes perlées d’on ne sait où. Nous ne savons pas non plus ce qu’il fait dans la vie, ce qui est sûr, c’est que ce doit être un job en rapport avec un ordinateur sous le nez. M.A. livejournal.com/users/david_f

Allo le Standard ? Ici Londres Sans que personne de notre connaissance ne les y aient envoyés, on aurait découvert des Standard n° 8 à Londres. En vente dans une boutique élue «le Colette britanique». Cela pour dire qu’à partir de ce numéro et dans une totale politique d’expansion hégémonique, Standard s’exporte de son plein gré en Angleterre mais aussi en Italie, aux Etats-Unis, à Hong-Kong, au Japon, et à Taiwan… M.A. The Pineal Eye 49 Broadwick Street Soho W1F 9QP

Super Rital Le meilleur film de super-héros, n’est pas américain, mais italien et est sorti en 1968 réalisé par le maître du cinéma baroquo-pop, Mario Bava. Diabolik est plus proche de Fantomas que de Batman, et c’est en cela que film est typique du cinéma d’exploitation transalpin. Enfin disponible en DVD (Zone 1), voilà de quoi renvoyer les gentils Fantastic Four à leurs études. Un anti-héros joyeusement psychédélique, avec la musique (à tomber !) de Morricone en bonus. J.-E.D. Danger Diabolik sinart.asso.fr

X-Men Ça faisait longtemps que les comics des X-men étaient plutôt plan-plans et surtout illisibles pour le non-initié. Les films ayant pourtant relancé la franchise. Devant les ventes en chute libre, Marvel a pris le taureau par les cornes et nous propose avec Astonishing X-Men, un titre qui redonne envie de s’intérésser au sort des mutants, le tout «new-reader friendly». Le graphisme de John Cassaday est magnifique et les scénarios de Joss Whedon (Buffy, Toy Story) tiennent la route. La Marvel à dû s’injecter du sang frais via Hollywood. J.-E.D. marvel.com


en vert et contre tout ¬ EXTINCTION

LA FIN DES POMMES

V

La standardisation des fruits et des légumes a entraîné la disparition de milliers de variétés. Vous êtes capable d’en citez combien, des espèces de pommes ? Quatre ? On en estime encore trois milles. Rappels et projection à déguster jusqu’au trognon. TEXTE : ESTELLE CINTAS

10 novembre -2005 avant JésusChrist => Deux heures moins le quart. Socroute, propriétaire terrien d’Athènes, découvre quelque chose d’arrondi, coloré, dans son jardinet. Il goûte : mmmh, légèrement acidulé, un peu amer. Il remonte la tête : ça vient de son arbre, un «Malus Pumila », d’après son neveu. « On a qu’à appeler ça une «pomme»», se dit-il. L’aliment est immédiatement identifié comme comportant de grandes qualités nutritives. Les médecins locaux préconisent de manger les plus petites, plus riches et expliquent que les pommes concentrent des antioxydants, des oligo-éléments et des acides. Socroute est content : il y en a de toutes les couleurs.

ILLUSTRATION : OLIVIER WAISSMANN

20 mars 700, 20:43 => 6 000 pommes pour Dagobert III. S’il le voulait, le roi fainéant pourrait baffrer jusqu’à six mille espèces de pommiers différents, tous issus du même arbre sauvage. Grâce au greffage, pratiquée depuis 2 000 ans, on acclimate des pommiers à des vallées arides ou des montagnes escarpées. Les pommes dites «de fer» résistent aux gelées, avec d’autres on fabrique du cidre et du vinaigre. Certaines pommes sentent la rose, l’ananas ou la cannelle, d’autres la violette ou l’orange. Début de l’âge d’or. 13 avril 1630, 6:37 => Premières pommes aux Etats-Unis. Le colon américain John Chapman tente d’acclimater des pommiers d’Europe dans les

«J’aurais mangé des goldens toute ma vie, quelques vertes, quelques rouges, sans en avoir cueilli une seule.» États du Middle West. En tout, ce sont 3 000 jeunes pommiers qui ont pris le bateau ce matin pour le Nouveau Monde. 8 juin 1802, 15:00 => Naissance d’une pomme «ornementale». Le laboratoire Smith & Wesson annonce la création d’une nouvelle pomme ornementale, «la pomme de Cythère». Elle rejoint la «Fameuse», la «Russet Talmann», la «Sweet Latre» et autres «Merveille de Saint Genies Laval» sur la liste des fruits inventés cette année. L’homme peut désormais créer des fruits, en forçant le phénomène naturel de la pollinisation. Les variétés devraient s’améliorer de jour en jour, pour donner des fruits de plus en plus gros. 15 septembre 1951, 9:37 => Agriculture mastoc. Au sortir de la guerre, 52 | STANDARD # 9 // MATIÈRES VIVANTES

l’Europe, ruinée, cherche a retrouver un niveau d’agriculture suffisant pour subvenir aux besoins de la population. Quelques multinationales avisées, qui n’ont pas chômé pendant les conflits mondiaux, se chargent de modifier le panorama agricole pour le faire ressembler à celui des Etats-Unis. Grâce à de grosses subventions publiques, ils développent «l’agriculture intensive», utilisent des fertilisants chimiques toxiques, encouragent les paysans à s’endetter pour acheter des machines, et surtout développent dans leurs laboratoires des variétés de fruits adaptées à ce nouveau marché. La pomme devient un produit «productif», de couleur et de forme égale, facile à entasser et à transporter. C’est la fin de l’âge d’or : l’arrière petitfils d’Eisenhower ne connaîtra plus que deux ou trois types de pommettes. 9 septembre 1970, 14:01 => Des militants écologistes occupent Central Park. «Rouge, jaune, vert, trois couleurs insuffisantes !» lit-on sur les panneaux des manifestants en référence aux coloris des pommes américaines «Starking», «Golden» et «Granny», ayant imposé leur hégémonie sur le marché mondial. Prônant un retour aux sources, et cherchant à maintenir des variétés traditionnelles de fruits et de légumes, de récents mouvements écologiques essayent de lutter contre les dérives de la grande distribution. Ils entendent réaliser des inventaires des pommes encore plantées dans les vergers à l’abandon, pour sauvegarder les saveurs du terroir. Leur dicton : «Pourquoi voyager si l’on trouve le même fruit, les mêmes goûts partout ?».


15 octobre 2005, 10:59 => Prémonitoire. Un magazine culturel confidentiel vous avertit du phénomène. Vous comptez en parler à vos amis, puis pensez à autre chose. 12 juin 2037, 16:26 => Prise de conscience mondiale. La Terre a perdu 75% de sa faune et de sa flore. Scientifiques et gouvernements du monde entier cherchent, visages serrés, à mettre au point une stratégie cohérente de recherche et protection de la biodiversité. Leur visioconférence est retransmise sur toutes les chaînes. Dans ma chambre d’hôpital, un cancer des poumons achève de m’atrophier. Constat navrant : j’aurais mangé des goldens toute ma vie, quelques vertes, quelques rouges, sans en avoir cueilli une seule. 26 novembre 2050, 11:53 => La dernière pomme mangée en direct. Eve Eden, présidente de la commission Free The Trees de New York, réalisera demain une action symbolique en ingérant ellemême la dernière pomme «Golden» du monde. Les variétés de pommes ont périclité pour laisser place à l’unique «Pink Lady», organisme rose et vert obtenu chimiquement et tenant dans la poche d’un enfant. Selon le groupe écologique, cette action «coup de poing» devrait faire réfléchir les dirigeants du G8, actuellement en meeting à Sydney. Eve Eden a annoncé la veille aux médias que cette opération «aurait valeur d’hommage aux militants mobilisés depuis près d’un siècle pour la biodiversité, ayant dû s’incliner devant les multinationales». Croc. E.C.

Association «Fruits Oubliés» http://perso.wanadoo.fr/association.fruits.oublies

Don’t worry, feel apple Christian Sunt, président de l’association «Fruits oubliés» qui cherche et répertorie les variétés disparues, nous rassure : des pommes, il en restera toujours… Une seule variété de pomme en 2050, c’est possible ? Christian Sunt : «Non parce qu’une seule espèce de pomme ne pourrait s’adapter partout dans le monde. Imaginons cette unique pomme, cultivée à un seul endroit, il faudrait l’exporter… or, dans quarante-cinq ans, c’est fini, nous n’aurons plus de pétrole pour déplacer les marchandises. Le seul avenir potentiel, c’est de retrouver les variétés anciennes, les résultats d’une expérience de 4 000 ans de recherche agricole humaine. Mais on connaît les multinationales, elles ne voudront pas de l’ancien, préféreront vendre du «neuf», créé avec des béquilles chimiques, des pesticides. Mais il restera toujours autant de pommes qu’aujourd’hui tant que des associations comme la nôtre seront là». Entretien E.C.


V

là-bas ¬ VOYAGES

LES RUTS DE SAN FRANCISCO Averti pourtant très tôt de notre dossier spécial New York, Julien Blanc-Gras a brillamment rempli sa mission d’anthropologue journalistique, à un détail près : il s’est trompé de côte. D’où cette vraie fausse immersion chez les dindes siliconées de San Francisco, tirée de Gringoland, percutant premier roman, enfin disponible. TEXTE ET PHOTOS : JULIEN BLANC-GRAS

«Le troupeau de copines était venu prendre son brunch hebdomadaire pour faire le point sur les plans bite et parler chiffons. Trentenaires soignées, elles se nourrissaient de quiches végétariennes, de potins people et de formules féministes préemballées. On dit souvent que les Américains sont cons. C’est compter sans les Américaines. - Ce soir, Paul m’amène chez Enrico’s. Je vais mettre à l’œuvre mon programme sushi contre pussy. Eclats de rire, Sex and the city. C’était donc ça les femmes américaines, arrièrepetites-filles de celles qui faisaient fantasmer Freud et Céline.

«Partout, les magasins affichaient des stickers «Proud to be an American». Tu es fière d’être américaine ? Je demandai pour vérifier.»

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Je les servais nonchalamment avec l’accent français histoire de. Je nettoyais mon comptoir en écoutant leurs babillages. Les Mexicains qui bossaient en cuisine venaient les mater discrètement pour agrémenter leurs sauces de commentaires graisseux sur ce que leur inspiraient ces mamelles avantageusement moulées dans les petits hauts de chez Diesel. Là, ça discutait fitness : - Quand je fais mon jogging, pour rythmer ma foulée, je fais «no-pain-no-gain» ou «co-ca-co-la». Je fus immédiatement aspiré par la spirale du vide. En une phrase, elle avait résumé un demi-siècle de connerie. Un rêve d’écrivain, et sans faire exprès encore. Le règne de l’apparence et de la multinationale, la pensée rongée par la pub et l’illusion de la méritocratie, la rédemption par la souffrance : ça allait loin pour quelques mots, pour une anecdote qui se voulait anodine. Elle s’appelait Joana et elle pouvait avoir cinq ou six orgasmes par rapport, sans forcer. San Francisco. Elle habitait sans rire dans une maison bleue adossée à la colline. Des bannières étoilées trônaient aux fenêtres de la voisine. Partout, les magasins affichaient des stickers «Proud to be an American». - Tu es fière d’être américaine ? Je demandai pour vérifier. - Bien sûr que j’en suis fière. Je ne voulais pas perdre mon temps à lui expliquer qu’être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard. Je voulais quand même savoir comment elle était fière. - Pourquoi ? - Parce que nous sommes les leaders du monde. C’est vrai. Ils assurent les Américains. Ils ont inventé l’ordinateur et le rock’n’roll. De tous les Américains, ce sont les Californiens les plus forts. Ils ont fait d’un désert une oasis, voire une jungle. A Hollywood, ils ont créé l’usine à mythes la plus fertile depuis la Bible. San Francisco est une ville venteuse et vantarde. Elle a inventé la ruée vers l’or, le jean, le grand pont rouge joli, les hippies, les pédés, la nouvelle économie et le fortune cookie, vous rappelleront ses habitants en remettant leur écharpe. San Francisco est une ville de tribus qui cohabitent dans la décontraction. Les businessmen portent la cravate à l’aise downtown. Les homos s’amusent et s’organisent


«Un jour, on a ouvert les portes d’un asile de fous et ça a donné cette ville, expliquait Joana, qui avait parfois des éclairs de lucidité.»

dans le Castro. Les Chinois vendent des babioles dans Chinatown. Les Mex s’agglutinent au fond de Mission et travaillent illégalement dans la restauration. Les Blacks habitent tellement loin qu’on préfère les regarder à la télé se flinguer entre eux dans Hunter’s point. Les milliardaires regardent tout ça en s’ennuyant du haut de Russian Hill. San Franciso est libérale, tolérante, ouverte à toutes les excentricités tant qu’on ne s’amuse pas à allumer une cigarette. Le coffee shop était situé sur HaightAshbury. Jerry Garcia et sa bande traînaient sur ce crossroads, Janis Joplin aussi. C’est de là qu’est parti le Flower Power, en séchant les cours de la Berkeley toute proche. Aujourd’hui, les magasins de babacooleries où l’on vend des feuilles à rouler made in Bhopal jouxtent les enseignes de fringues de marque. Les restaurants branchés côtoient les librairies consacrées à Noam Chomsky. Les vrais zonards crados se cachent dans les poubelles pour faire le spectacle et gagner quelques cents auprès des hippies chics qui passent un temps fou à s’habiller négligé. Il fait deux saisons par jour à SF, le temps change d’une rue à l’autre. Ca permet peut être d’expliquer la schizophrénie ambiante. - Un jour, on a ouvert les portes d’un asile de fous et ça a donné cette ville,

expliquait Joana, qui avait parfois des éclairs de lucidité (…). Elle fréquentait ce monde là, Joana, celui des wannabe qui n’ont peur de rien, surtout pas du ridicule. Elle me traînait à ses dotcom parties. Ca s’était essoufflé depuis 2001. Mais pendant les années d’or, lors de la folie internet, des gamins de 19 ans roulaient en Porsche en fumant des Cohibas parce qu’ils avaient vendu leur nom de domaine la bonne semaine. Pendant quelques mois, m’expliquait-elle, les millions affluaient de tous les côtés et ils ne savaient plus quoi en faire. C’était les grandes chouilles gratuites avec champagne à gogo et courses de cochons. Aujourd’hui, tout le monde avait plus ou moins la gueule de bois, les faillites s’étaient succédées. Mais il y avait encore de quoi faire en terme de décadence. Elle m’a amené chez Armani. C’était une sorte d’apéritif dînatoire pour présenter la collection d’hiver. Ca se passait downtown à deux pas de Market Street. (…) Je me suis installé dans une bulle de champagne et j’ai écouté les gens mentir. J’ai passé le plus clair de mon temps à discuter cul avec des porcs de quinquagénaires lubriques, qui appâtaient les blondes à coup de balades en yacht qui n’existaient pas. Un booker de mannequins confiait qu’il allait changer

de métier parce qu’il n’en pouvait plus des caprices des filles. Clairement, on était plus chez Lynch que chez Fellini. J’ai croisé Victor Ward, un peu vaseux et tétanisé, qui m’a fait un petit signe de la main. Il avait dû me prendre pour quelqu’un d’autre. Joana papillonnait, elle était dans son élément, épanouie. Elle connaissait tout le monde, elle avait couché avec un bon tiers des invités, hommes et femmes confondus. San Francisco est une ville hédoniste, un repaire de célibataires. Un bled qui suinte le sperme, certes, mais au prix d’un taux de névrose complètement débandant. On leur dit «be yourself» d’une main en les faisant rentrer dans le moule de l’autre. Comment voulez-vous qu’ils tiennent le choc ?». J. B.-G.

‘ Extrait de Gringoland. 252 pages, 17,50 ¤. Copyright : Ed. Au Diable Vauvert (Sept. 2005)


V

Antif**ding ¬ LE RESTO À THÈME

MEXICAN DIVORCE Peut-on vivre à deux et manger épicé ? Rendez-vous au tex-mex. TEXTE : RICHARD GAITET

Elle m’avait filé rencard chez Joe Allen. «Le plus new-yorkais des restos parisiens, tu vas voir, tu vas adorer. L’autre soir, il y avait Bruno Gaccio». C’est con, c’est fermé en août, Joe Allen. Alors elle a suggéré Haynes, le plus vieil «américain» de Paname. C’est embêtant, le lundi c’est fermé, Haynes. Je ne sais plus vraiment comment nous avons atterri dans ce rade mexicain, à Saint-Germain des Prés. Le «Chuncho». Ça doit vouloir dire «âne» ou «poney», parce que sur la carte, on voit un paysan du cru sur un âne - ou un poney. Ça tombe à pic : j’ai une faim de cheval. Un barbu en t-shirt Quicksilver nous installe en terrasse.

PHOTO : MARC SIRVIN

- Tu as vu ? Ils ont du pâté de campagne, dans ce tex-mex. - C’est un établissement franco-mexicain. Je crois que je vais me faire un chili. - Et moi des tacos (arrivée vaudevillesque du serveur). - Et pour ces messieurs-dames ? (accent du Calvados). - Ils sont copieux, vos chilis ? - Non, c’est un bol. (il en mime la circonférence : petit). - Ah… alors… hmmm… des «Puntos de Tampiquena». - C’est quoi ? demande-t-elle. - Un filet de bœuf à l’avocat. - Oh. - Et pour vous ? (Il s’impatiente sous sa casquette des Lakers). - Des tacos. Et une bouteille de rosé «Los Reyes». Le vin rosé Los Reyes tire toute sa saveur des plateaux ensoleillés de Calafia (Baja California), au Mexique. Mis en bouteille à Cognac (France). - Qu’est-ce que tu voulais me dire ? - Qu’on devrait peut-être arrêter. Je veux dire : je le sens pas. J’ai pas la tête à ça en ce moment et… - Stop. - Quoi ? - Voilà les plats. Mon assiette : une pièce de bœuf à point sous une nappe de guacamole, trois cuillères de chili, un aileron de courge comme chez mémé, salade-tomates-oignons et la sauce à l’avocat. Son assiette : une galette de maïs fourrée au bœuf et au fromage, riz, chili et rondelle d’orange assaisonnés de (a) cornichons (b) poivrons (c) harengs. - Outch, ça pique. - (d) piments. L’absence de conversation s’épaissit. J’interroge mon voisin de table, auditivement hispanophone, sur l’origine du mot «chuncho». - Yé ne sé pas. «Chucho», c’est «chien, clébard» ; «chubasco»: «une averse» et «chufo» : «comestible». Sa compagne intervient. - Il me semble qu’il s’agit du surnom d’un bandit mythique de la révolution mexicaine, généralement associé à Pancho Villa. Je crois qu’un western éponyme de 1966 avec Gian Maria Volonte et Klaus Kinski y fait référence. Ce film lança d’ailleurs la mode du «western-Zapata» ou, plus péjorativement, du «Zapata-spaghetti». J’étais soufflé. - Tu aurais dû prendre des pâtes, connard. Elle m’a quitté là-dessus. On ne plaisante pas avec les Mexicaines. R.G. ‘ El Chuncho. 59 rue Saint-André des Arts (Paris 6ème). 01 46 33 29 64.

56 | STANDARD # 9 // MATIÈRES VIVANTES


Youpi matin C’est le magazine parfait pour les - trois - fans de cette rubrique : Yummy, semestriel pop consacré à la junk food (et au design), vient de sortira son second numéro en janvier. Tiré à mille exemplaires, Yummy («Miam» en amerloque) ne juge surtout pas la malbouffe : «On est partis d’un constat : tout le monde consomme de la junk food (pizzas, sandwichs, glaces, bonbons). Et aucun journal n’en parle, sinon en mal. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre : cette habitude existe, point». Et la revue, super chic, d’interroger du people sur leurs hamburgers favoris à l’heure du goûter. Drôle et pertinent. R.G. ‘ Yummy 10 ¤, en vente chez Colette ou sur eat-fast.net


personnages ¬ POP

QUE FAIS-TU LÀ PETULA ? Icône pop des sixties, chanteuse et actrice british, Petula Clark, 73 ans, était de passage express à Paname. L’occasion rêvée pour évoquer Gainsbourg et Fred Astaire, mais surtout pour parler d’Eminem, que la première interprète de La gadoue kiffe de plus en plus. ENTRETIEN : JEAN-EMMANUEL DUBOIS

[Un hôtel des Champs-Élysées. J’aperçois Petula en train de prendre le thé. Son mari français s’absente, j’en profite]. Standard : Après soixante-cinq de carrière, vous restez sereine ? Petula Clark : Vous savez, à huit ans, j’étais déjà une vedette en Angleterre. Je chantais pour les soldats pendant la deuxième guerre mondiale. Etre anonyme, je ne sais même pas ce que c’est. J’ai toujours vécu comme ça. Attention : je ne suis pas blasée, j’ai envie de vivre ma vie. Comment expliquez-vous le retour en grâce, notamment auprès des bobos branchés, de Tony Hatch, Phil Spector et autres arrangeurs mythiques de la pop ? C’est un métier très bizarre. La mode, c’est dangereux. Quelqu’un a dit, je ne sais plus qui, «la seule façon de ne pas être démodé, c’est de ne jamais être à la mode». Les chansons de Tony et de Bacharach, un peu comme les jeans et les cachemires, restent. Je ne voudrais pas avoir l’air d’une veille schnock, mais aujourd’hui, il n’y a plus beaucoup de mélodies. C’est simple : on n’entend plus beaucoup de gens siffler dans la rue.

«Eminem a du talent et commence à enregistrer des titres où la musique est belle.»

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ILLUSTRATION : ELIN BJURSELL

Vous avez tourné avec des monstres sacrés. Parlez-moi de Peter O’ Toole, de Fred Astaire… Oh, Peter... Je l’ai rencontré avant le tournage Goodbye Mr Chips (Herbert Ross, 1969). La première fois que nous nous sommes vus, c’était à Dublin, il terminait Un lion en hiver [d’Anthony Harvey, 1968, avec Katherine Hepburn], on a fait des tests maquillage et le soir nous sommes sortis, Peter et moi. Ça a commencé par un dîner, mais à la fin, nous étions une vingtaine. C’était Dublin, c’était Peter O’Toole, les gens criaient : «Hey, Peter est en ville !», ils ont débarqués de partout, on a bu, j’étais complètement cuite… C’est là que j’ai compris que sortir avec Peter O’ Toole, c’était vraiment l’aventure. Peter aimait beaucoup chanter, comme Fred Astaire. Ils insistaient pour que je chante avec eux, c’était des moments épiques. Peter s’est beaucoup calmé depuis, je crois qu’il y a été obligé…. Fred Astaire, c’était autre chose. Très raffiné, beaucoup de goût, ne comprenant pas pourquoi tout le monde le trouvait si extraordinaire… Il travaillait dix fois plus que les autres. Pour La Vallée du bonheur [Francis Ford Coppola, 1968], on tournait constamment dehors, la chaleur était épouvantable. Le weekend, tout le monde rentrait chez soi, piscine, air conditionné. Lui restait dans sa loge pour répéter. Il adorait chanter et Francis aussi. On chantait souvent tous les trois. J’aimais beaucoup Francis.

La Vallée du bonheur était le quatrième film de Coppola. Lui prédisiez-vous une telle ascension à Hollywood ? Absolument. Il dirigeait tout de manière admirable. Il nous laissait faire les choses, puis changeait quelques éléments infimes, qui faisaient toute la différence. C’est le meilleur. Chanteriez-vous pour les quelques troupes encore présentes en Irak ? A mon avis, ils ont davantage envie de voir les fesses de Kylie Minogue que les miennes… Bien sûr que je chanterais pour les troupes anglaises. Ce n’est pas une question politique, c’est normal. Mais personne ne me l’a demandé [Elle sourit]. Durant l’agitation du Swinging London, pensiez-vous en finir avec ce côté fille de bonne famille ? Pendant les années soixante, il y avait beaucoup de mecs - Beatles, Stones, Animals- mais peu de filles. Moi, j’étais plutôt la grande soeur que la fiancée potentielle. J’avais un côté rassurant, sans contrôler ce que le public percevait ; d’ailleurs personne n’a jamais contrôlé mon image. J’adore chanter le rock, me défouler, j’ai enregistré du rock, mais cela ne passait pas à la radio. Quand ça ne marche pas, on passe à autre chose. J’aurais aimé oser un peu plus. Vous vous êtes également retrouvée en studio avec Richard Carpenter, des Carpenters. Il est sympa ? Nous nous sommes rencontrés avant


leur succès : ils chantaient au dîner de l’avant-première de Goodbye Mr Chips à Los Angeles. Tellement cette musique me plaisait, je n’arrivais pas à manger. Je suis allé les voir, Karen était derrière sa batterie, elle était complètement bouleversée. Elle était charmante, mais un peu gauche. Quelques semaines plus tard, ils entraient en studio. Je voyais Karen de temps en temps, la dernière fois, c’était à Londres : elle était tellement maigre… je lui ai dit d’arrêter, puis quelques temps après, c’était fini.... Un ami de Los Angeles m’a dit que Richard voulait enregistrer avec moi. Au début, je ne voulais pas chanter des titres des Carpenters, je pensais que c’était la place de Karen. Mais Richard m’a persuadé : Karen m’aimait tellement qu’elle aurait été ravie. Sur votre dernière compilation, il y a cette chanson, Recommencer à Zéro, sur le New York post-11 septembre. Pourquoi ? J’ai toujours été attaché à cette ville. La première fois que j’ai chanté aux EtatsUnis, Downtown était un tube, une sorte d’hymne à New York. Au lendemain du 11 septembre, j’ai fait deux choses : une lettre à Giuliani et un poème. David Aziz, un jeune Suisse, l’a mis en musique. Starting all over again est le titre original, les paroles françaises sont bien faites, mais un peu moins précises que dans la version anglaise. Vous êtes aussi devenue une icône gay…. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. J’ai toujours eu beaucoup de gays dans mon public. Ce qui est formidable, c’est qu’ils adorent le théâtre et la musique. Ils sortent beaucoup, ils aident l’art, véritablement. C’est arrivé comme ça. J’en suis flattée. Qui vous touche parmi la nouvelle génération ? J’écoute beaucoup de choses, bien que peu de rap. Le hip hop est un style mettant surtout les paroles en avant au détriment de la musique. Mais Eminem a du talent et commence à enregistrer des titres où la musique est belle. Beaucoup de Blacks font un rap mâtiné de soul que j’aime beaucoup, comme Dr Dre

qui a enregistré avec Burt Bacharach et Quincy Jones. J’adore Céline Dion [Je fais la grimace]. On l’entend un peu trop, mais c’est une voix. Et toutes ces midinettes r&b ? Je m’interroge : pourquoi les candidates à la célébrité chantent-t-elles toutes pareil ? Elles se copient toutes. Chanter,

c’est être personnel, donner une empreinte. Je ne sais pas comment ces grands labels comptent construire des carrières, c’est de la chanson kleenex. Pendant, c’est déjà épouvantable, mais après, c’est vraiment monstrueux. J.-E. D. ‘ Kaléidoscope (BMG/FGL).


R

rendez-moi mon ©oncept ¬ VILLES EN SÉRIES

MON HÉROS EST UNE VILLE Plus classe que Dallas ou Beverly Hills, New York City - réservoir inépuisable des meilleurs scénarios, de Seinfeld à Law & Order - est vite devenue le véritable héros des séries TV. En attendant le zapping définitif ? TEXTE : ROMAIN MONNERY & RICHARD GAITET

Seinfeld, Friends, Sex and The City, succès considérables de la fiction cathodique, possèdent un point commun de taille : elles croquent leur inspiration dans le Manhattan qui les abrite. New York, plus qu’un décor, un personnage. Etonnant ? Que nenni. Prenez des bourgades telles que Dallas, Santa Barbara, ou Beverly Hills… N’ont-elles

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pas gagné leur galon de notoriété grâce au rôle joué sur la scène télévisuelle des années 80 ? Pourtant, si ces productions localisées permettent une reconnaissance instantanée, force est de reconnaître que ces villes, quoique donnant leur nom au titre, se cantonnaient à la figuration. Certes, les Ewing s’entretuaient pour du pétrole. Mais hormis le port du stetson, quelle fut l’influence de Dallas, la contrée, sur le scénario ? Aucune. Idem pour Beverly Hills dont le rôle se limitait à tenir la route aux décapotables de Steve Sanders et souffler sur les brushings de

Brandon Walsh. Bien peu pour une tête d’affiche. New York est plus maligne. C’est bien d’elle que Jerry Seinfeld tire ses tribulations jubilatoires et situations savoureuses. Rien n’est faux. Tout est vrai. Et toute ressemblance avec une ville existante n’est absolument pas fortuite. Mais c’est véritablement dans Friends et Sex And The City que New York s’enfile le plus gros quartier de pomme. Personnage à part entière des deux productions, la cité passe de muse à témoin, confidente, amie. En somme, héroïne. Dans Friends,


New York, géant oppressant de buildings et d’avenues, est avant tout ce super pote fourmillant d’enthousiasme et d’anecdotes.

au sein des sexy célibataires. Terrain de jeu, de chasse, elle est la vraie héroïne. Qu’un malandrin s’avise de se plaindre de sa qualité de vie, de son atmosphère asphyxiante auprès de Sarah Jessica Parker, il perd toutes ses chances.

New York, c’est le Central Perk, café refuge de la bande, c’est le monsieur tout nu d’en face qui s’offre en spectacle, des lieux, des événements propices à faire et défaire les amitiés. Car New York, géant oppressant de buildings et d’avenues, est avant tout ce super pote, fourmillant d’enthousiasme et d’anecdotes. Sex and The City va plus loin. Son nom l’indique, il y est question de la chose et de la ville, l’un n’allant sans l’autre. Quoi de plus logique ? New York est sexuelle, terre de fantasmes et mérite sa place

The Show must go on Depuis «les événements», NY ne s’exhibe plus, ne découche pas. Friends s’est conclue sur une dixième saison, plus grave, frappée par les responsabilités (mariage, maternité). Sex and The City s’est exilée à Paris pour mettre fin à ses ébats. La tendance est au déménagement : en banlieue, comme dans les Sopranos ou Desperate Housewives, frangine désabusée de Sex And The City ; même Joey, transfuge de Friends, se tire à Hollywood. C’est un fait : New York prend une retraite temporaire et laisse

le devant de la scène à la côte Ouest (Nip/Tuck, Les Experts, Newport Beach, The L Word, etc.). Restent bien sûr les éternelles séries policières : New York Unité Spéciale et New York 911, fournissantes pagailles de meurtres, larcins et d’inspecteurs sans peurs. Soyons réalistes : des seconds rôles. Dans le genre, seule FBI : portés disparus semble sortir du lot, dans la mesure où la série saisit ce qui hante et pourrit la pomme : la disparition, cette fatalité, vécue comme une crainte et un désir inconscient. Car le 11 septembre a irrémédiablement changé la façon de montrer New York. La ville, ses habitants, après avoir serré les dents quatre ans pour que le show must go on, semblent vouloir se retirer des projecteurs, comme tout bon acteur éprouvé par l’enchaînement des rôles. Rideau. R.M.

«Des producteurs exigeants contre Hollywood» Magnum a-t-il du souci à se faire face au «super personnage» NYC ? Le spécialiste Martin Winckler serre la télécommande. Pourquoi New York exerce-t-elle une fascination pour les auteurs de séries ? C’est la ville de l’immigration, liée à l’Europe, celle du théâtre (art d’expression de référence en Amérique, non le cinéma), de la danse, de la sculpture, de la radio et de la télévision naissante ; celle de la littérature populaire du XXe siècle, en particulier du comic-book… New York est une icône. Votre série préférée la faisant personnage ? La doyenne actuelle : Law & Order (New York District en VF), à l’antenne depuis quinze ans, elle marque le retour de la production dans New York (depuis, il y a eu Spin City, Sex and The City, Les Sopranos...). Ces séries y sont ancrées par les décors naturels et les scénarios. On finit par bien connaître NYC : c’est un personnage à part entière, un univers entier. Ce qui m’a le plus frappé dans Law & Order, c’est que les problèmes de société décrits sont inspirés de faits divers locaux ; les problèmes de la loi changent avec la réalité (quand la peine de mort fut rétablie dans l’état de New York, elle le fut aussi dans la série) ; les vrais maires (Bloomberg, Guiliani) y sont apparus dans leur propre rôle ; les lieux, les faits cités sont vrais. Une série plus récente, Les Experts : Manhattan (bientôt sur TF1) tente elle aussi de capturer l’esprit de NY, mais de manière beaucoup plus superficielle. D’ailleurs, elle est tournée à Los Angeles. Friends et Seinfeld n’ont elles non plus jamais été tournées à sur place. Elle leur servait seulement de prétexte. L’image la plus marquante ? La chute des tours, jamais montrée, sans arrêt citée dans L&O comme une marque indélébile, modifiant l’atmosphère sécuritaire de la ville (et du pays) et la perception des habitants. Ou la ligne d’horizon vide, amputée, souvent vue, notamment dans NYPD Blues, tournée sur place. La rentrée télé 2005 compte peu de nouvelles séries utilisant NY comme décor et personnage. Fin de l’effet 09/11 ? Non, ça n’a rien à voir. Les principales séries tournées à NYC avaient commencé leur carrière avant le 09/11. Produire de la télévision à New York ne se conçoit que si la ville fait intimement partie de l’histoire, c’est une décision économique sérieuse : on choisit de tourner dans des studios construits exprès, comme Les Sopranos, L&O ou Oz (série carcérale de Tom Fontana) contre Hollywood. C’est donc le fait de créateurs exigeants, et puissants, qui imposent de tourner loin des yeux de leurs chaînes… Aux USA, il n’y pas cinquante endroits pour tourner des séries : il y a Hollywood, New York et... Vancouver (Canada). Seules quelques séries ont été tournées ailleurs : Homicide et The Wire (Sur Ecoute), à Baltimore, car Baltimore, très historique, fait aussi partie intégrante de la narration. R.G. ‘ Martin Winckler est l’auteur de Miroirs obscurs : grandes séries américaines d’aujourd’hui (Au Diable Vauvert).


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relecture ¬ COMICS

LES MEILLEURS NEW-YORKAIS SONT EN PAPIER Metropolis, Gotham, Keystone City ou Star City : les bourgades de nos surhommes favoris évoquent généralement New York en filigrane. Petit tour du cadastre. TEXTE : JEAN-EMMANUEL DUBOIS

Dr Strange à Greenwich Village Ancien chirurgien devenu maître es arts mystiques et sciences occultes (quand il ne zigzague pas dans une dimension parallèle), le doc Strange habite le quartier symbole de la bohème des sixties. Sa maison, décorée dans le style Art Nouveau, est plutôt cosy, sauf quand des ectoplasmes et autres menaces terrifiantes viennent tout saccager.

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PHOTO : MAÏA ROGER

Daredevil à Hell’s Kitchen Les explosifs Daredevil et Elektra se sont faits leurs premiers bécots sur les bancs de la très respectable Columbia University, mais c’est à Hell Kitchen que le Diable Qui Ose virevolte de fusains écarlates. Un quartier intéressant pour les mauvaises rencontres qu’il peut y faire. Enfin : avant la politique de tolérance zéro. Curieux : les rues des comics sont maintenant moins «secures» que la réalité.

Spiderman sur le pont de Brooklyn Peter Parker a longtemps habité avec tante May et oncle Ben dans la zone pavillonnaire de Forest Hill, dans le Queens. Mais depuis sa piqûre d’araignée radioactive, il vit et bosse dans Manhattan (plus pratique pour bondir d’un immeuble à l’autre). L’endroit culte : le pont de Brooklyn d’où Gwen Stacy, troublante fiancée de Peter, fut jetée par le Bouffon Vert. Un drame qui traumatisa des générations de lecteurs.


Le Punisher à Central Park Frank Castle était un simple flic vétéran du Vietnam quand il a vu toute sa famille massacrée dans les allées du poumon vert de la cité. Evidemment, après ce genre de tragédie, on se rattache aux lieux, entre deux séances de justice expéditive. Les 4 Fantastiques à East Village. Le carré d’as loge le Baxter Building, situé entre la 42ème rue et Lexington. Ces rues existent, mais pas le bâtiment en question (sûrement un mauvais coup du Dr Fatalis). Quand elle a du vague à l’âme, La Chose, notre tas de briques préféré, fait son jogging du côté du Lower East side, où les gars du gang de Yancy street viennent la taquiner. Les fous. Les Vengeurs sur Upper Est sideDream Team modulable de l’univers Marvel, les Vengeurs rassemblent

actuellement (excusez du peu) Spiderman, Spiderwoman, Wolverine, Captain America, Iron-Man & The Sentry. Et quand ils ne sauvent pas la planète (le dimanche ou pendant leurs RTT, donc), ce petit monde vit en colocation dans une luxueuse maison, «The Frick» (un musée de l’Upper Est side). Ça dépote au petit déj’. Tous au building de l’ONU Sur la planète BD, on croise des chefs d’états propres à l’univers Marvel (The Black Panther pour le «Wakanda», la «Latvérie» dirigée d’une main de fer par le Dr Fatalis). Captain America est souvent dans le coin vu qu’il roule pour les USA, le pleutre. Enfin, pour ceux qui voudraient voir la «maison des idées» de la fabrique à comics : Marvel, 10 East street, New York, NY 10016. Gros bisous. J.-E. D.


R relecture ¬ TROP JEUNES POUR AVOIR LU

LES VIEUX MAL ENTENDUS Montherlant, Giraudoux, deux vieux cons ? Méfiez-vous des idées reçues : ils ne sont ni vieux - puisqu’ils sont morts - ni si cons - puisqu’ils ont écrit des livres… explications. TEXTE : FRANÇOIS KASBI

PHOTO : MAGALI AUBERT

En fait, l’humeur du moment aurait plutôt dicté Flannery O’Connor, Virginia Woolf ou Robert Walser. Mais bon, l’actualité (littéraire) du moment commande autre chose. Quelque chose de très français, et d’assez problématique : Giraudoux et Montherlant. Giraudoux – et là on vous conseillera de remiser aux oubliettes le Profil d’une œuvre sur La Guerre de Troie n’aura pas lieu, tant on aimerait pouvoir évoquer Giraudoux sans qu’immanquablement ce soit cette pièce, remarquable par ailleurs, qu’on nomme. Donc Giraudoux, prosateur. Giraudoux romancier. Giraudoux auteur des Aventures de Jérôme Bardini et de Choix des élues. On oubliera ici la supposée «préciosité de Giraudoux». On se rappellera le mot du général de Gaulle, qui disait reconnaître infailliblement la bêtise à trois signes distincts, à trois formules, vulgaires et creuses : «la douce France, le réalisme de Balzac, et la préciosité de Giraudoux». Et l’on dira la subtilité de Giraudoux dans les deux romans sus-cités, qui narrent, chacun à sa façon, l’histoire d’un homme ou d’une femme, qui, du jour au lendemain, décident de tout plaquer, «Car les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent / Pour partir, cœur léger…» (Baudelaire). Le fonctionnaire Bardini s’en va, a certes un peu prémédité son coup, mais il s’en va. Ce sera New York, la rencontre de Stéphy (qui partira à son tour), et du Kid (en vadrouille comme lui). Et Bardini reviendra. Avec quelques leçons en poche : «La vie familiale est bénie parce qu’elle est une confession perpétuelle. Si tu n’as pas supporté même Stéphy, bien qu’elle ne posât aucune question, bien qu’elle ne sût qui tu étais, c’est que la présence d’une femme, le corps d’une femme, le silence d’une femme n’est qu’une inquisition constante. Seul cet enfant (le Kid) dans la vie ne t’a demandé aucun compte. Aussi tu l’aimais… Est-ce vrai que tu as essayé d’être domestique ?». La double personnalité, l’évasion, la disponibilité totale, mais aussi le choix, constamment, le libre-arbitre sont au cœur de ce roman, comme de Choix des élues. Vous connaissiez Giraudoux auteur dramatique, (re)découvrez le romancier Giraudoux, tout sauf dramatique : léger et très profond à la fois, toujours un peu égaré, et pas seulement du côté des Romantiques allemands. Un «Jean de la Lune» qui ne serait de nulle part, une comète très insolite dans la littérature française de son temps (et des autres) qui se distinguerait par son intelligence aiguë et un regard en surplomb. Ou plutôt, «de côté». Montherlant, c’est autre chose. En amont, Barrès, Chateaubriand, Stendhal et les Grecs (les Stoïciens en particulier). En aval, Matzneff (pour le pire) ou le Nourissier

des années 60/70 (qui, contrairement aux idées reçues, est plutôt très bon). Montherlant, c’est, comme l’écrivait Michel Mohrt, «Chateaubriand corrigé par Stendhal». Il a l’allure altière, l’écriture classique du premier et le goût de la liberté, le (bon) plaisir du second (on caricature, simplement pour dire sa double «postulation». On sait bien qu’en France, on est soit pro-Chateaubriand, soit pro-Stendhal, et que la bataille fait toujours rage…). Bref, Montherlant - dont on réédite Service inutile, indisponible en poche depuis 30 ans. Donc on signale. Aujourd’hui, il semble que le théâtre de Montherlant ait un peu vieilli, sonne un peu toc, très «Grand d’Espagne». Trop ? Trop, sauf trois ou quatre pièces. Alors il y a, malgré tout, dans Service inutile, la fameuse Lettre d’un père à son fils, très Moraliste du XVIIème. Un exemple ? Terrible. La première phrase, l’incipit, inoubliable, surtout si on l’a lue à 17 ans (Et après direz-vous ? Justement…) : «Les vertus que vous cultiverez par-dessus tout sont le courage, le civisme, la fierté, la droiture, le mépris, le désintéressement, la politesse, la reconnaissance, et, d’une façon générale, tout ce qu’on entend par le mot de générosité.» Alors ? Toute une époque, non ? Ça vous tente ? La suite est en poche, collection Folio. François Kasbi ‘ Montherlant, Service inutile (Folio Essais, 218p). ‘ Giraudoux, Aventures de Jérôme Bardini et Choix des élues (tous deux en Livre de Poche, coll. Biblio).

64 | STANDARD # 9 // MATIÈRES RECYCLABLES



AMERICAN BEAUTY par lucille gauthier Plus besoin de traverser l’Atlantique pour trouver les petites perles de la cosmétique américaine. Au Printemps de la beauté et chez Sephora, chaque mois une nouvelle marque fait son apparition dans les rayons. Dernièrement : DDF, Lip Fusion, Dr Brandt et Freeze (chez Marionnaud). Une bouffée d’oxygène qui redynamise un secteur qui s’essouffle. Les marques américaines, autrefois réservées aux globes trotteuses, se démocratisent et deviennent accessibles à toutes les beauty-addicts en recherche d’innovation. Après la mode c’est donc au tour de la beauté de faire appel aux Aæméricains pour rebooster leur marque comme récemment la New-yorkaise Gucci Westman chez Lancôme ou Lee Hutchins chez la très française Compagnie de Provence. Lee Hutchins a opéré à un repositionnement luxe avec LCDPLUXE et a su remettre le savon de Marseille au goût du jour grâce, entre autre, au savon liquide Ylang Noir Pur, déjà culte. Les marques et des personnalités US intéressent les grands groupes cosmétiques français - le rachat de Kiehl’s et Maybelline par le groupe L’Oréal ou Urban Decay et Fresh par LVMH. Les talents français s’expatrient pour créer, avec succès, leur marque «Made in US» - notamment Frédéric Fekkai et Chantecaille. Mais qu’y a-t-il de plus là-bas ? Concepts originaux, diversité, formules inédites, expertise... Authentique : Fraîchement débarquée en France, Kiehl’s, marque culte créée en 1851 par un pharmacien de Manhattan, est devenue en deux ans, l’incontournable de nos salles de bain. Une marque familiale honnête et intègre qui s’intéresse plus au contenu qu’au contenant et qui n’affiche pas de fausses promesses. Leurs valeurs : science, service et qualité. Des produits formulés à partir d’ingrédients naturels et biodégradables aux packagings simples et efficaces. Dans un esprit pharmacie des années 30 cher à la marque, la première boutique française ouverte il y a tout juste un an dans le Marais, ne cesse de désemplir. Au 15 rue des Francs-Bourgeois Paris 4ème et chez Colette. www.kiehls.com Essentiel : Le top des make-up artists new-yorkaises, Bobbi Brown, ne trouvant pas les produits dont elle avait besoin, décide de créer en 1991 sa propre marque Bobbi Brown’s Essentials. Son slogan «Be Yourself». Une marque simple et sobre qui a su s’affirmer avec un concept jamais développé jusque-là : le «nude». Une gamme sophistiquée développée à partir de tons beiges subtils qui révèlent la beauté naturelle du visage. Pour la collection Automne 2005 «Clay», Bobbi Brown élargit sa palette et nous offre d’incroyables tons terre au fini velouté inspirés des déserts de l’Ouest américain. Au Bon Marché et aux Galeries Lafayette. www.bobbibrowncosmetics.com Destroy : «Does Pink Make You Puke?», le ton est donné en 1996 avec le premier slogan d’Urban Decay, littéralement «décadence urbaine». Une marque anti-conformiste et décalée qui ne se prend pas au sérieux tout comme sa créatrice Wende Zomnir, passionnée de surf et de peinture, qui a su dépoussiérer un marché un peu coincé. Des produits surprenants aux noms déjantés, comme « Spank », « Oil slick », ou «Roach», devenus des classiques aux Etats-Unis. Un brin provoc, Urban Decay s’adresse à ceux qui ne veulent pas faire comme tout le monde et ça marche. Chez Sephora. www.urbandecay.com


Palette ombres à paupières Shadow box holiday Urban Decay (chez Sephora). Lotion après-rasage Zirh. Solution anti-boutons Boo Boo Zap Benefit. Palette ombres à paupières Trois Lumières Chantecaille (Au printemps de la beauté). Palette visage Satin luster Fresh. Eau de parfum Marc Jacobs Perfume marc jacobs 50ml. Stick visage Maldives Nars (au printemps de la beauté). Vernis à ongles Velvet Bobbi Brown (au Bon Marché). Après-shampooing Creme de coco Bumble & Bumble (chez Colette). Spray réparateur cheveux Protein Rx Frédéric Fekkai (chez Sephora). Creme de corps Light-Weight Kiehl’s. Rouge à lèvres Chianti Laura Mercier (au printemps de la beauté).


MAKE-POP par lucille gauthier


Palette fards à paupières n°330 Christian Dior. Fond de teint Repulpant au collagène n°61 Bourgois. Base de teint Sephora Professionnel. Fond de teint compact Matmate n°6 Givenchy. Ombre à paupières Play on n°216 Biotherm. Rouge à lèvres Dior Addict n°269 Christian Dior. Gloss pailleté n°09 Clarins. Palette fards à paupières et à joues Coromandels Chanel. Rouge à lèvres Lip lip lip n°111 Givenchy. Rouge à lèvres Wanted rouge n°35 Helena Rubinstein. Stick illuminateur Golden honey Laura Mercier. Rouge à lèvres Rouge Absolu n°305 Lancôme. Brillant à lèvres Pure shine n°13 Yves Saint Laurent.



Eau de toilette Lacoste Essential Lacoste 75ml. Eau de toilette Fcuk Him Fcuk 50ml. Eau de toilette Very IrrĂŠsistible pour homme Givenchy 50ml. Eau de toilette KenzoAir intense Kenzo 50ml. Eau de toilette Polo Black Ralph Lauren 100ml. Eau de toilette Dior Homme Christian Dior par Heidi Sliman 100ml. Eau de toilette FullChoke Francesco Smalto 100ml. Eau de toilette Apparition pour homme Emanuel Ungaro 100ml.


Savon visage liquide doux Clinique. Crème ultra hydratante Hydraction Christian Dior. Soin corps Multi-éclat Auto-bronzant Clarins. Crème de soin R3 P Cream Dr Brandt (chez Sephora). Crème Qui Requinque Kenzoki. Crème de nuit Körner (chez Colette). Crème de jour premières rides Reversible First Signs Lancaster. Soin remodelant intensif Time System Esthederm. Soin haute hydratation Super Aqua Sérum Guerlain. Repulpant visage Pure Pulp Ferox Veld’s.



ILLUSTRATION SYDHE


Bonbon rouge à lèvres Bubble Yum Cafe 28 à New York. Pâte à tartiner au Marshmallow goût fraise Fluff au Lafayette Gourmet. Bonbon Jelly Belly au Bon Marché. Pop Corn Movies pop goût fraise au Lafayette Gourmet. Beurre de cacahouète Skippy chezThanksgiving. Spray acidulé Mega Warheads Food emporium à New York.



RETRO FUTUR

RÉALISATION LALA ANDRIANARIVONY GRAPHISME ELIN BJURSELL

La conquête de l’espace et le désir d’anticipation ont généré des silhouettes abracabrantesques. Le futur, oui mais rétro, inspire beaucoup et ravit tous les trekeurs nostalgiques et les fans de super héros. de gauche à droite et de haut en bas Boudicca, bora aksu,Eleykishimoto Elesse, Daryl K, D&G,Gardem, Balenciaga, As Four, Giles Deacon, Rick Owens, Stella McCartney, D&G.


PERESTROIKA

Un air slave - un peu mamie, un peu brocante, très imprimé - souffle sur les collections cet hiver. «Vivement le printemps» dirait Vaclav Havel.


de gauche à droite YSL Rive Gauche, Clements Ribeiro, Kenzo, Marc by Marc Jacobs, Marc by Marc Jacobs, Tsumori Chisato, Peter Jensen, Chloé, Hermès, Miu Miu, Hussein Chalayan, Marc Jacob.


CENTRAL PARK PHOTOGRAPHE MURIEL VEGA











EMPIRE Photos Ioulex Réalisation Barbora Venckunaite Coiffure et maquillage Hitomi Kaneda Mannequin Aryka @Elite

top Misao Nishijima sur une blouse Hangst écharpe Bruno Grizzo collants Wolford



top Angel Thrift Shop sur une robe Misao Nishijima





LOVE IS IN THE AIR Photos Ronan Merot RĂŠalisation Lala Andrianarivony Cheveux Lucie Maquillage Audrey Gautier @Studio Zero Mannequins Amandine @Studio Klrp et Gaspar @Success

Sous-pull Paul and Joe pull Wendy & Jim




GASPAR top Final Home jeans True Religion chaussures Petar Petrov AMANDINE top Et vous jupe Cacharel boots Cacharel


t-shirt Y’s Yohji Yamamoto long pull Y’s Yohji Yamamoto pantalon 0044 tennis Y’s Yohji Yamamoto étole Antik Batik




pull Y’sYohji Yamamoto jupe Tsumori Chisato



GASPAR pull Paul and Joe pantalon en velours Paul and Joe écharpe-capuche 0044 tennis Y’s Yohji Yamamoto AMANDINE Manteau en maille Mélodie Wolf jupe Mélodie Wolf chaussures Charles Jourdan


capeline Tsumori Chisato robe Paul and Joe



par Armelle Simon


de gauche Ă droite sandale Junko Shimada escarpin Gaspard Yurkievich sandale Pierre Hardy sandale Stephane KĂŠlian



de gauche Ă droite chaussures Fendi, Michel Perry, Walk that walk, Christian Dior


De gauche à droite escarpin Chanel salomé Veronique Branquinho escarpin Louis Vuitton sandales Bruno Frisoni escarpin Marc Jacobs



de gauche Ă droite sandale Sonia Rykiel sandale Moschino Cheap & Chic escarpin LeFlesh escarpin Miu Miu escarpin Christian Louboutin



ET J’ENTENDS SIFFLER LE TRAIN Photo et réalisation François Hugon Mannequin Renée @NY models



jupe et gilet Maria Cornejo ZĂŠro



pull et pantalon Antillika


t-shirt William Eadon


manteau Opening Ceremony


robe cardigan et ĂŠcharpe Mary Ping



t-shirt et sac Pleasure Principle


Robe As Four



platines

COLLEEN À LA FLOTTE

Standard : Comment s’est passé l’enregistrement ? Colleen : Très différemment du premier. Je me suis mise à écrire des morceaux sans aucun sample, en interprétant tout moi-même (mon précédent disque ne contenait que des reprises samplées). Beaucoup de choses sont nées sur ordinateur. Certains morceaux n’arrivaient pas à prendre forme et souvent, au bout d’un moment, une simple petite note ajoutée quelque part me montrait la voie. Mon critère principal à la réécoute d’un morceau : chaque élément est-il vraiment nécessaire ? Chaque son apporte-t-il une couleur, une nuance différente du reste ? Ce nouvel album file le thème aquatique… Depuis un an environ, j’ai une obsession pour l’eau, que j’ai toujours aimée. J’adore imaginer un orchestre jouant sous la mer, comme sur le titre Amphibian de Björk.

Cecile Schott AKA Colleen • Photo by Sophie Mandon

Plus légère qu’une crevette, la frenchie Colleen sort un deuxième album, The Golden morning breaks, inspiré des éléments aquatiques, pop rêveuse aux cordes intemporelles. Interview en slip de bain.

Tu es signée sur un label anglais, Leaf. Nul n’est prophète en son pays ? L’idéal serait d’être reconnue partout, y compris en France. Mais j’avoue que je préfère mille fois être exposée et appréciée à l’étranger plutôt que seulement en France. Je ne me sens pas particulièrement française. J’ai vécu deux ans en Angleterre et je me dis souvent qu’être française est une question de hasard, un détail : je me définis par ma musique, mes intérêts, mes valeurs humaines. Qui pourrait être ton modèle ? Quelqu’un comme Lou Harrison (musicien d’avant-garde qui a mélangé cordes classiques et gamelan balinais, ndlr) est un modèle à tous niveaux. Je suis impressionnée par ses voyages pour apprendre les instruments orientaux, ses activités de calligraphie et de poésie, sa fabrication de gamelan dans des décharges publiques, etc. Il n’avait pas choisi la facilité, mais ça occupe toute une vie. Les claques permettent d’avancer. En ce qui me concerne quand j’ai entendu l’extraordinaire premier album de This Heat, enregistré en 1977, ma pratique musicale a été littéralement tuée. La suite ? Creuser ma voie en utilisant un langage que pour l’instant je n’entends pas ailleurs, une rencontre de choses anciennes et de formes plus libres. J’ai du mal à l’exprimer, mais c’est ce que j’ai commencé à faire ici, ni de la musique électronique, ni contemporaine, ni néo-classique, ni répétitive. Je veux aller encore plus loin. Entretien Xavier Chezleprêtre The Golden morning breaks (Leaf).

128 | STANDARD # 9 // MATIÈRES PREMIÈRES


BOUTONS DE FIÈVRE Vous utilisez des boîtes à rythmes sur cet album, est-ce par choix ou par défaut ? Ce n’est pas facile de trouver un batteur à Birmingham où l’ombre du «rock de qualité» plane toujours… On y trouve surtout des groupes de reprises et des artistes électroniques solitaires. Par commodité, pour l’enregistrement des démos, nous avons choisi une boîte à rythmes, avec l’idée d’engager un vrai batteur pour les enregistrements définitifs. Quand nous avons essayé de remplacer les machines par de vraies pistes de batterie, nos morceaux ont perdu de leur pouvoir, ils sont devenus mous et empesés, comme de mauvaises reprises des versions démo. Ce sont les morceaux qui ont choisi les boîtes à rythmes, pas nous.

Ils étaient trois sur le premier album, quatre sur celui d’après, cinq sur scène. Pour Tender Buttons, Broadcast est un groupe de deux qui met entre parenthèses sa sophistication pop pour se laisser porter dans des spirales synthétiques minimales et hypnotiques où planent les spectres des Young Marble Giants, Suicide et Silver Apples. Heureusement, il reste Trish Keenan, la chanteuse, pour nous répondre. Standard :Ce nouvel album est plus brut, moins élaboré que le précédent. L’ambiance et les sonorités rappellent la musique de certains groupes postpunk anglais comme Young Marble Giants ou Durutti Column. Vouliez-vous échapper à votre image sixties ? Trish Keenan : Savoir réellement qui nous sommes en tant que compositeurs est une question en suspens. Nous voulons êtres flexibles. A la suite de la tournée Haha Sound, il nous a semblé nécessaire de simplifier le set : les enregistrements et arrangements trop pointilleux peuvent s’avérer un véritable cauchemar au passage en live.

Cet album est plus minimal que le précédent. Qu’est-ce qui vous a amené à ces choix de production ? Chaque instrument apportait son propre bourdonnement et le studio vrombissait comme une station de métro. Nous avions l’impression d’habiter la Maison du rêve de La Monte Young, sauf qu’à la place de méditation et de sérénité, nous ressentions de l’agitation. Nous étions anxieux à l’idée d’enregistrer et ce bourdonnement inexplicable nous retenait. On a perdu notre sang-froid, eu l’impression que nos machines nous voulaient du mal. Alors on a revendu la plupart de notre matériel, et posé nos machines favorites dans la salle à manger. S’échapper des conventions du studio était libérateur, des conventions de la salle à manger aussi. Nous avons tourné la télé face au mur, la table basse est devenue une surface pour nos boîtes à rythmes, magnétophones à bande, réverbérations à ressort, notre petite table de mixage, et des petites choses incongrues. Nous avons laissé la musique nous guider. Jusqu’à présent, nous nous débattions avec la combinaison de l’acoustique et de l’électronique, je pense que nous avons fini par trouver notre mélange. Votre musique a toujours été cinématographique… Oui, mais rien n’influence plus notre musique que les autres musiques. Les films sont une source d’inspiration qui transparaît de façon assez minimale. En ce moment, je regarde Daisies [un film dada de Véra Chytilová, 1967, ndlr], et plus particulièrement une scène où deux filles découpent de la nourriture avec des ciseaux. De quels groupes signés sur votre label, Warp, vous sentez-vous proches ? Chris Clark… il habite au coin de notre rue. Le titre de l’album, Tender Buttons, revêt-il un sens particulier quant à votre rapport aux machines ? Nos vies sont remplies de boutons. Les instruments de musique en sont couverts. Chaque bouton que tu presses actionne un souvenir ou une émotion. Mais c’est surtout le titre d’un poème de Gertrude Stein. Ce que j’aime chez cet écrivain, c’est qu’elle ne se préoccupe pas de la question du sens et n’utilise pas les conventions langagières de la communication ou de l’expression personnelle. Entretien Johan Girard & Arnaud Ducome Tender Buttons (Warp / PIAS)


platine

LES MP3 D’OR DE LA RENTRÉE NIQUELEURREUMS Un groupe qui cite le Velvet Underground comme influence majeure et qui s’est formé après un concert des Stooges ne peut pas être foncièrement mauvais. Le cinquième album des Outrageous Cherry - formation rock de Detroit qui traîne baskets sales et guitares en bandoulières depuis près de 12 ans – est même beaucoup mieux que pas foncièrement mauvais. Si le quartet de vétérans lorgne toujours amoureusement du côté des sixties, ils sont plus nerveux et habillent leurs compositions pop psychédéliques de riffs tranchants. Improvisant la rencontre d’inspirés mangeurs de buvards avec le meilleur du garage rock, Outrageous Cherry rêve des Ramones jouant pour Brian Wilson sur la même scène. Et le mélange de prendre tout au long de ces douze petites sucreries pop confectionnées de main de maître par le compositeur et leader, Matthew Smith. Variant d’une douceur bubble gum (Why Don’t we talk about something Else) à une vraie claque acide (Unless), la pioche est pile bonne. Visite élégante et décomplexée de la pop de ces quarante dernières années, Outrageous Cherry évite tout plagiat et niqueleurreums à nombre de formations actuelles. Arno Ducome Our Love Will Change The World (Rainbow Quartz/DG diffusion)

BOSSA NOUVELLE Mieux que la compilation Brazil Electro volume 32, plus salutaire que l’overdose médiatique autour de l’année du Brésil, plus confortable qu’un string en peau de chamois, l’album d’Apollo Nove nous rappelle au bon souvenir des mythiques Os Mutantes, antiques légendes 60s et docteurs ès tropicalia, ce mélange d’architectures pop, d’influences bossa nova et d’impertinence psychédélique. Comme ses aînés, Apollo Nove manie l’anglais et le portugais et affectionne les claviers vintage et jazzy saupoudrés de voix suaves. Ce jeune musicien amène le soleil et le bonheur dans ta maison. Jean-Emmanuel Dubois Res inexplica Volans (Crammed Discs) 130 | STANDARD # 9 // MATIÈRES PREMIÈRES


. TOFFE DOUX-AMER Il exista en France, à la lisière des années 60-70, une troupe d’illuminés qui triturait allégrement les boutons de vieux synthétiseurs analogiques en tournant volontiers les yeux vers les joyaux de la couronne pop anglo-saxonne. Cultes (et méconnus), ils se nomment Ilous & Decuyper ou encore de Darras et Désumeur. Et leur héritier direct, Hugo. Dans un pays qui aime l’authenticité, les vrais textes de la vraie vie chantés par de vrais gens de la vraie ville de Brest, Hugo se démarque, avec son univers enfantin, doux-amer, au goût de toffee. Si bien qu’on finit la boîte sans même s’en rendre compte. J-E.D. La Nuit des balançoires (Crammed Discs)

HEY... PSSITT ! Après son premier album de tous les temps (Elephant Home de Manuel Bienvenue), le label Asphalt Duchess sort son deuxième album de tous les temps : Tiger, My Friend de Psapp. Psapp est un duo anglais mixte qui cultive des mélodies fraîches et immédiates, constituées d’assemblages électroniques, de violons pincés, de claviers enfantins et de fragments de bruits ou de micros oubliés sous la pluie. Ils expliquent : «Psapp, c’est le bruit qu’on entend quand on remplit un sachet en plastique avec des glaçons, qu’on le balance du plafond par un fil contre une grande boîte en carton jusqu’à ce qu’il se déchire. Vous samplez tout ce foutoir et en faîtes le point de départ d’une chanson…». Les refrains, décomplexés et charmeurs, s’installent sur ce premier album, fièrement juchés sur une architecture electronica, comme sur une mer bouillonnante, à la surface de laquelle remontent vulnérabilité et nudité d’âme. Galia Durant et Carim Clasmann offrent leurs doutes cristallisés dans un miel sauvage et sucré, des doutes cueillis lors d’une promenade à travers la vie, rendue extraordinaire. M.A Psapp (Asphalt Duchess)


platine

LES CHEVEUX

DA N S L E S

YEUX New York vous semble-t-il menacé par les promoteurs immobiliers ? Oui et non. C’est vrai que quelques boîtes mythiques sont détruites, et que New York s’homogénéise tristement, mais la scène musicale évolue. Depuis huit ans d’autres clubs ouvrent, notamment dans des quartiers comme Lower East Side ou Williamsburg qui accueillent l’intégrale de la scène musicale : Tonic, Piano’s, Rothko, The Delancey .... Cest facile de dire que le passé était mieux… New York restera un aimant pour les artistes.

Ils sont six, new-yorkais, branchés et francophiles jusqu’à la carte postale. Heureusement, pas celle des petits villages du treize heures de JeanPierre Pernaud, mais plutôt celle des promenades au drugstore des Champs-Elysées, des films de Godard et du champagne sabré. Rencontre avec la chanteuse Devery Doleman, la Anna Karina du groupe.

Standard : Souvent, les groupes français chantent en anglais, la langue musicale universelle. Vous êtes Américains et chantez en français… Devery Doleman : Je suis trop timide pour chanter en anglais, je me sens un peu stupide dans ma langue natale. Michael [le guitariste, ndlr] voulait un groupe qui mélange le surf et les sixties françaises. J’ai tenté l’expérience des paroles en français, et ça a marché. Bizarrement, il m’est plus facile de m’exprimer dans cette langue. Mon professeur de chant a remarqué le premier ma facilité avec le français. Vous avez joué au Mercury Lounge, au Tonic, au CBGB’s, à la Knitting Factory… Comparé à Paris, New York offre beaucoup de clubs (bien qu’ils ferment de plus en plus) permettant de découvrir des groupes. Le foisonnement de la scène musicale à 132 | STANDARD # 9 // MATIÈRES PREMIÈRES

Secret est un très beau vinyle sorti sur le label indépendant Romantic Air. Etes-vous attachés à une éthique indie ? Le mieux est de rester indépendants, du moins jusqu’à ce qu’une major jure de nous laisser le contrôle de notre son et style. Parce que pour l’instant c’est : «le groupe est si bon, j’adore la musique, toutes les femmes sont si belles, mais avez-vous pensé écrire des chansons en anglais ? C’est le seul moyen d’être plus commercialisable...» Je réponds : «Wow, après deux ans, je n’y ai jamais pensé ! Vous devriez suggérer à David Lynch de faire des films avec une narration linéaire.» Votre musique revêt un caractère assez littéraire. Que lisez-vous ? En ce moment, Liz Greene, une astrologue jungienne, des blogs politiques qui m’affolent en prouvant chaque jour que mon pays est gouverné par des mercenaires et des cons. J’ai un superbe Larousse illustré de 1930 car je suis fascinée par l’étymologie des mots français. Par exemple, la différence entre «passe-partout» et «master key». Dans l’une de vos chansons, on reconnaît une phrase empruntée à Godard : «Ce n’est pas une image juste, c’est juste une image…» Absolument. J’ai vu Vivre sa vie quand j’avais 22 ans, ça m’a beaucoup touchée. Le personnage de Nana a été aussi important pour moi que Holly Golightly pour la plupart des Americaines. Ce film a été une experience difficile à expliquer, un peu comme un rêve très important. Pourquoi La Laque ? Nous avons voulu un nom français facile à prononcer ici ! J’adore les vieilles méthodes avec des chapitres comme «chez le coiffeur», «dans la bibliotheque». Elles suggèrent les années 60, comme l’argotique «B-52’s», les coiffures rétros de Kate Pierson et Cindy Wilson. Vous dites «New York est une jolie laide»... C’est si élégant et vulgaire à la fois. J’y vis depuis neuf ans. New York est pour moi la ville du synchronisme, une ville magique. Chaque minute on peut croiser le chemin de quelqu’un qui pourrait changer votre vie. On peut parler à un millionnaire, un chauffeur de taxi, un barman, un mannequin. Même si la vie est chère, elle est vraiment démocratique, et c’est aussi un creuset pour se réinventer. C’est la ville qui m’a faite… Entretien Philippe Bresson Secret (Romantic Air/ Import)


FULGURANT

FUGU

Fugu fait de la pop grandiose, il est tout seul et il a 34 ans. Il a sorti un album et plusieurs singles en vinyle. Le seul arrangeur pop français à pouvoir faire de l’ombre à Burgalat.

pas de vivre ailleurs pour l’instant. Comment définirais-tu ta musique ? J’aime penser qu’elle est à la fois superficielle et profonde. Comme la musique en général : superflue et vitale.

On peut dire que vous êtes surdoué ? Je dirais plutôt que je me sens inspiré ; une bonne chanson crée cette impression de facilité.

3rd Side (ChronowaxUn homme à la retraite et sur le point dÐêtre désabusé de tout, même de sa propre fille : «Ma fille

Pensez être assez connu pour dire «je suis un chanteur connu» ? Je ne crois pas. Cependant c’est important d’avoir une légitimité pour avancer : je compte bien toucher un large public avec ce disque C’est original de rester dans sa ville natale de province quand vous avez déjà des fans dans la capitale non ? Ma situation financière ne me permet

L’interview bande-annonce

LES VACANCES DE DEVENDRA BANHART En attendant un entretien fleuve dans Standard n°10 sur ses mélodies échevelées et son amour du bricolage acoustique, le hippie mystique et folkeux inspiré nous raconte ses congés façon shaman. C’était comment, une journée-type de vos vacances ? Avec Bianca (sa compagne, de CocoRosie, ndlr), aux Saintes Marie de la Mer, en Camargue, on se lève tôt et on va nager, on joue avec notre chien, on fait un peu de cheval. Ensuite, on dessine toute la journée et on assiste à des corridas. Le soir, on fait de la guitare et du spiritisme. Je travaille aussi avec elle sur un film inspiré par Jean Genet. Peut-on dire que votre sensibilité est plus européenne qu’américaine ? Cela dépend de quel côté de l’Atlantique je me trouve. J’aime toutes sortes d’artistes, des Européens comme Vashti Bunyan (folkeuse anglaise des seventies), Bert Jansch (guitariste, forte influence de Led Zeppelin), Fairport Convention (Britanniques potes de Dan Ar Braz), mais aussi beaucoup de musiciens typiquement américains comme Fred Neil (auteur du sublimissime Everybody’s talkin’ d’Harry Nilsson). Et de plus en plus d’artistes brésiliens comme Jorge Ben, Os Mutantes, ou Caetano Veloso, qui est le songwriter parfait, à mon sens. D’ailleurs, mon album est produit par Arto Lindsay (récemment proche de Bashung ou Matthew Herbert). (Soudain, Devendra s’abîme dans une courte réflexion et confie, mystérieux) : je n’ai encore jamais touché une guitare électrique. Je compte m’y mettre un jour, mais vraiment, tout à la fin de ma vie. (La suite au prochain numéro) M.A. Disque : Cripple Crow (XL).


PELLICULES

MÉTHODE ASSIMIL Night Watch ouvre un axe Hollywood-Moscou via ce doubitchou entre Matrix et Le Pacte des Loups. Récemment, le cinéma asiatique à une côte insensée auprès du public occidental. Comme tout est affaire de cycle, on prend les paris pour la suite : la prochaine tendance sera russe, Night Watch son premier jalon et Timur Bekmambetov l’homme de toutes les gazettes spécialisées. Et pour cause : Night Watch, bobine à trois francs six sous, est le plus gros carton de tous les temps en dans la maison Russie. Un studio américain va financer sa suite, accompagnée d’un remake US réalisé par Bekmambetov himself. Ahurissant prototype de blockbuster à l’européenne dont Besson doit rêver toutes les nuits, Night Watch hybride Matrix, Le Seigneur des Anneaux, Star Wars et même Le Pacte des loups façon clip à la conquête du public mondial. Un film ayant assimilé les piliers d’une universelle culture ado entre jeu vidéo, heroic-fantasy et bande-son techno-metal. Ambitieux, mais pas complètement au point : Night watch, ébauche de village global de l’image pour teenagers, est sérieusement bordélique. On se paume dans son récit, Bekmambetov privilégiant l’apparence au détriment de la substance. Le résultat reste néanmoins fascinant par sa capacité à remplacer son discours par une débauche d’idées originales et bluffantes. Premier volet d’une trilogie, Night Watch est autant servi qu’handicapé par son côté bricolo. On imagine pourtant très bien deux scénarios pour Bekmambetov : 1) qu’il devienne le premier George Lucas de l’Oural. 2) Si son plan échoue, un job d’énième béni oui-oui de l’écurie Besson écopant du Baiser mortel du Transporteur 3. Alex Masson Night Watch le 28 septembre.

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FLEURS ARTIFICIELLES Haïku zen signé Jarmusch et crise de la cinquantaine de la génération Flower Power. En guise de discours pour son prix au dernier festival de Cannes, Jim Jarmusch (Ghost Dog, Down By Law) remercia Hou HsiaoHsien, se désignant humblement comme son élève. Cette déclaration intrigante s’explique à la vision de Broken Flower : depuis Stranger than paradise (1984), on sait que Jarmusch est un orfèvre du minimalisme ; avec Broken Flowers, il se lance dans une minéralisation de son cinéma pas très éloignée de celle du réalisateur des Fleurs de Shanghaï (1998). Broken flowers peaufine encore et toujours plus sa surface, jusqu’à se contrefoutre d’éventuels enjeux, mais manque du souffle typique qui faisait de Dead Man (1995) ou Ghost Dog (1999) des bobines impressionnantes. Cette histoire de Don Juan rendant visite à d’anciennes conquêtes est au bord du catatonique, à l’image d’un Bill Murray qui traîne ici sa carcasse mélancolique lost in translation sur les routes américaines. Broken Flowers tourne en rond, mais pas forcément à vide. Il ne cesse de mettre en boucle une seule situation, comme un disque rayé dont les paroles se révèlent au dernier couplet. Si le film refuse d’avancer, c’est parce qu’il n’y est question que du passé, de regrets d’avoir laissé passer certaines opportunités. Vision nostalgique sur l’Amérique des années 60 (justement celle du Flower Power), Jarmusch ausculte un âge des possibles pris d’un sacré coup de vieux. Qu’importe l’intrigue fumeuse sur ce fils caché qui finit en queue de poisson, Broken Flowers pose des questions et son auteur tisse un récit en forme de haiku zen au charme indéniablement effectif, mais dont on aurait bien voulu avoir une traduction plus explicite. A. M. Broken Flowers Le 7 septembre.


PELLICULES

FRÈRES ENNEMIS Montage au hachoir pour le nouveau Terry Gilliam lorgnant du côté d’un Sleepy Hollow épique. Soyons clairs : Les frères Grimm tel que vous le verrez en salles n’est pas un film de Terry Gilliam. Plutôt un film des frères Weinstein, les producteurs, ayant copieusement remonté le montage initial. Au fil des ans, les turpitudes de Gilliam avec ses financiers tiennent du running gag. Depuis Brazil (1984) tripatouillé de fond en comble dans sa version américaine, à l’avortement de The man who killed Don Quixote (raconté dans le documentaire Lost in la Mancha, en 2001), la gestation de ses films a toujours été une invraisemblable épopée. Pourtant, il subsiste encore suffisamment de belles choses dans Les frères Grimm pour ne pas se tromper sur son origine. Les obsessions de Gilliam sont là, dans cette fable racontant comment les célèbres auteurs de contes de fées passèrent du métier d’escrocs/exorcistes à celui d’écrivains fantastiques. On applaudit la toile de fond historique, les références picturales, l’esprit en escalier, le sens de l’épique, l’antimilitarisme et le postmodernisme. Avec une nouveauté : des effets spéciaux numériques, formidablement gérés au point de ne pas endommager une certaine poésie, propulsant enfin Gilliam hors de l’artisanat fait main, l’empêchant de pondre une simple suite de son Jabberwocky (1977). Hourrah ! Dommage, cependant : les comédiens sont souvent en roue libre (à part pour sa plastique, on se demande bien ce que Monica Bellucci fiche ici), et le montage Weinstein place, par exemple, en ouverture une séquence de rêve initialement prévue au milieu du film, salopant irrémédiablement la psychologie des personnages. En l’état, malgré son destin annoncé d’accident industriel, Les frères Grimm est un très plaisant rip-off de Sleepy Hollow (1999). On imagine juste que le film voulu par Gilliam était d’une autre trempe. La vérité en DVD ? A. M. Les Frères Grimm le 28 septembre.

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Appelez-moi Pratt

CARTE BLANCHE À CYRILLE POMÈS

Cyrille Pomès est l’auteur d’un premier album amer et subtil, A la lettre près (Albin Michel), l’histoire d’un publicitaire quadra déprimé qui retrouve l’une de ses lettres écrites à 17 ans, pleine d’amour et d’insouciance. Forcément juste. Appelez-moi Kubrick de Brian W. Cook, avec John Malkovich. Sortie le 16 novembre.


PELLICULES¬ UNDER UNDERGROUND

L’INCROYABLE MR SMITH Influence inavouée de Warhol, Fellini ou Matthew Barney, l’obscur Jack Smith, artiste new-yorkais polymorphe mort en 1989, n’a jamais connu la gloire. Après trois ans d’enquête, la cinéaste Mary Jordan espère réécrire l’histoire. Activiste des droits de l’homme, couturière, Mary Jordan a surtout du flair. En 2000, à la recherche d’un local, elle frappe à la porte d’un mystérieux entrepôt de San Francisco. Personne ne lui ouvre. Mary revient plusieurs fois, jusqu’au jour où on lui offre un repas à côté d’Irving Rosenthal, l’impénétrable premier éditeur de Kerouac et Ginsberg. Rosenthal lui montre des photos, des bobines de films, des échantillons de tissus : des reliques ayant toutes appartenues à Jack Smith, artiste new-yorkais que Mary connaît à peine mais dont très vite, elle tombe amoureuse : «Vous ne connaissez probablement rien de lui, mais bientôt il apparaîtra comme l’artiste le plus influant et le plus méconnu du vingtième siècle. Andy Warhol lui emprunta des idées, Fellini en était obsédé pendant le tournage de Satyricon (1969), Cindy Shermann et Matthew Barney lui doivent une dette énorme. Philippe-Alain Michaud, directeur des collections de films du Centre Pompidou, prétend que si Jack Smith avait été Français, il aurait eu sa statue.». Génie polymorphe (photographe, vidéaste, styliste, designer et peintre), Jack Smith refusa de jouer les marchands/collectionneurs/conservateurs. Il crut à la disparition de la beauté, de l’exotisme et de l’expression pure dans l’Amérique baroque d’après-guerre. «A New York, poétise Mary, il observait des langoustes aspirant la culture des rues pour ne laisser que des détritus, des vampires suçant le sang créatif des artistes. Il identifia ceux qui pensent que la vie est en location, les collectionneurs d’art qui font suffoquer les idées.» Les critiques catégorisent ses impulsions : Jack Smith, mort du Sida en 1989, n’a jamais trouvé sa place dans l’art contemporain. De son vivant, les musées ne gardent pas trace de son œuvre, aucune galerie ne veut représenter son héritage. Malgré ce dédain, deux piranhas du monde de l’art mettront quinze ans à réunir puis laisser dormir ses travaux dans des circonstances assez louches. 138 | STANDARD # 9 // MATIÈRES PREMIÈRES


«Jack Smith observait des langoustes aspirant la culture des rues pour ne laisser que des détritus, des vampires PELLICULES UNDER UNDERGROUND. suçant¬ le sang créatif des artistes».

Sur des centaines de rushes, Mary Jordan rencontre ceux qui ont connu ce fantôme : John Waters, Mike Kelley, John Zorn, Richard Foreman et Tony Conrad. Le film sortira cet automne : Jack Smith & la destruction de l’Atlantis révèlera l’homme pour la première fois, décrivant précisément sa succession terrible (rendue publique en 2004 dans Village Voice) et le rôle des usurpateurs. La relation de Mary à Jack fut intense, comme toute romance, fidèle à celui dont la vision du monde est «si complète, si parfaite, si belle qu’il aura été impossible de savoir jusqu’ici quoi faire de son esprit». Préparez-vous à un choc. Magali Aubert Infos : jacksmithandthedestructionofatlantis.com


PAPIERS

LA RENTRÉE DES CLASSÉS

1ER ROMAN Chronique Mysterious Skin, Scott Heim (Ed. Au Diable Vauvert)

2ÈME ROMAN Interview Pascal Morin Les Amants américains (Ed. du Rouergue)

Mysterious Skin n’est pas l’habituel premier roman des jeunes lettrés prisés à la rentrée, c’est une histoire parue aux Etats-Unis en 1994, traduite aujourd’hui en France sous l’impulsion de l’adaptation ciné du sulfureux Gregg Araki, sortie en mars dernier. A présent, l’auteur, à 39 ans, en est à son troisième roman. Il a commencé à écrire, à Hutchinson, en plein Kansas, d’abord un recueil de poésie après ses études littéraires. L’implantation de l’intrigue dans sa ville natale et la sensibilité à la fois pudique et explicite balance tranquillement le lecteur entre imaginaire et réalité, bien et mal, comme un hamac dans un champ de pastèques. Sans doute, l’écrivain à dû vivre une partie de ce qu’il délivre mais rien n’est plus loin de nous que l’envie de lui poser l’éternelle question de l’autofiction. Deux enfances se téléscopent dans une lucidité tardive : l’une obsédée par le sexe, l’autre par les OVNI. Sous la peau de deux mystérieux petits garçons, l’un magnifique, l’autre pathétique, on se bat avec l’un contre les coups de la réalité et avec l’autre contre les mensonges de l’oubli. Un roman très bon - ce qu’en France, à part Christophe Tison avec Il m’aimait, personne n’avait réussi à faire - sur le sccandale sexuel actuel qui, si vous ne l’avez pas saisi à la lecture de ces lignes, se révèle dès les premières pages. Magali Aubert

L’intrigue : dans la morne campagne une mère, sur l’électrique autoroute, un fils. L’une agonit, l’autre l’a honnie. L’auteur (celui de L’Eau du Bain paru l’année dernière) : ci-dessous… Vous enseignez le cinéma à la New York University à Paris, votre titre aurai-il un lien avec La Nuit américaine ? Non, aucun. Pour ne rien vous cacher, La Nuit américaine fait partie de mes lacunes (je ne l’ai pas vu) et je ne suis pas un fan de Truffaut. Rien à voir non plus avec les Américains de l’université où j’enseigne. Ce titre vient des surnoms que le personnage de Rose donne aux hommes qu’elle rencontre, surnoms qu’elle extrait de romans de la Bibliothèque Jaune, la série des Cherry Ames (série bien réelle, dont l’auteur était Helen Wells). Dans les années soixante, l’Amérique faisait encore rêver et les jeunes filles étaient nourries de cette littérature. Votre roman est très court et retrace deux enfances qu’on a l’impression de connaître entièrement. Comment vous y êtes-vous pris ? Pour un enfant, le temps est infini, et la chronologie que structurent les événements reste imprécise. Ce qui domine, c’est une façon d’être au monde, une émotion particulière, une ambiance. J’ai cherché à donner, sous forme de scènes très courtes, des éléments de cette atmosphère si spécifique à chacun. Il suffit d’évoquer une nuit, un repas, un départ en vacances, pour pouvoir imaginer tous les autres. En dire plus aurait été redondant.

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Pareil, l’écriture est simple avec un effet de densité. Comment définiriez-vous votre style ? J’aurais bien du mal à définir moi-même mon style… J’écris au plus près de ce qui me semble être la voix intérieure de mon narrateur, sans chercher à faire des effets. La plus grande partie de mon travail consiste à élaguer et rééquilibrer le texte produit lors du premier jet. On m’a dit que j’avais une écriture «affirmative» et «précise». Je reprends volontiers ces adjectifs à mon compte.


Pourquoi «Les Amants» alors que c’est l’histoire d’une mère et son fils ? Parce que par essence le lien familial est trouble et qu’en l’absence de sa mère, le narrateur la fantasme au point d’en faire une sorte d’idéal féminin. On peut imaginer qu’elle a fait la même chose de son côté. «Les Amants» sont aussi tous les pères possibles… ce qui laisse une grande part d’ombre dans le récit. Le roman se passe le temps d’un trajet de voiture, avez-vous pensé à un road movie ou à la Modification de Butor ? Non, pas consciemment. Je sais qu’il s’agit d’une situation clichée. Un stéréotype du mélo, même. Ce qui m’intéressait, c’était de traiter ce dispositif autrement, pour en faire une vraie quête identitaire. Le trajet ici n’est pas prétexte à péripétie (ce qui serait le cas dans un road movie) ni allégorie du destin, c’est seulement l’occasion d’une introspection qui débouche, à la fin, sur le réel — et, donc, le roman s’arrête. M.A.

3ÈME ROMAN (RÉUSSI) ANN SCOTT Héroïne (Ed. Flammarion)

4ÈME ROMAN Chronique Le Vrai est au coffre, Denis Lachaud (Ed. Actes Sud)

En règle général, on aime bien Ann Scott. Personnage ombrageux, femme exigeante. Héroïne, c’est un écho lointain de La Femme et le Pantin de Pierre Louys, à cette différence près qu’ici le pantin serait une femme, et que la femme serait une fille insupportable et inoubliable, insupportablement légère, peu fiable, qu’on appelle dix fois et qui ne répond pas onze fois, un peu toxico, beaucoup toxico – et, évidemment, c’est l’autre qui est accro : allez comprendre. C’est un roman très dialogué que celui d’Ann Scott, très «monologué» plutôt, limite «roman-SMS». C’est crépitant, trépidant, la narratrice envoie message sur message, SMS sur SMS, les «montées» succèdent aux «descentes», on morfle plus dans les secondes que dans les premières : la vie, quoi, avec une grande histoire d’amour, comme dans la vie, avec celle qui aime et celle qui est aimée. Et c’est injuste. On pense quand même que le plus mauvais compliment à faire à ce roman serait de dire qu’il est «très touchant». Et pourtant… François Kasbi

Ce n’est pas une nouvelle, c’est un roman. Si ce n’est dans l’épaisseur de l’objet, au moins dans la profondeur du texte. D’une enfance des plus banales, se nourissent deux personnages introvertis : une fille et un garçon, pour qui «A l’âge [qu’ils ont] à cette époque, une année dure une éternité.» Sur un coup de tête d’enfant sensible, ou plutôt sous la nécessité fantasque des tournures du destin, l’histoire s’amplifie. Belle structure narrative que Denis Lachaud offre au lecteur déjà ravi par un commencement simple et bien senti. Un traumatisme et, le temps d’une vie, un être bifide perd sa peau de schizo pour muer en acceptation de soi. En refermant le livre, comme dans «un lieu vide [où il] semble que l’absence des meubles avait déjà englouti la vie», ça résonne à l’intérieur de nous et on sait qu’on va changer un peu de déco. M.A.


PAPIERS

LES DÉCLASSÉS Sauf erreur manifeste de jugement, sur les 638 livres de la rentrée, on en a compté 247,5 très bons, 204 plutôt bons et 186 très mauvais, voire bâclés. On plaisante ? Mouais, on plaisante. Parce que c’est toujours la même chose, on n’a pas tout lu, on sera nécessairement injuste, on oubliera les grands, on blasphèmera : on a fait une sélection, quoi.

JUAN GOYTISOLO Et quand le rideau tombe (Ed. Fayard) Est-ce qu’on a le droit de dire que l’on n’écrit comme cela qu’au sommet de son art ? Est-ce qu’on a le droit de dire que ce court texte testamentaire, crépusculaire, d’un des plus grands écrivains de langue espagnole, Juan Goytisolo, est une manière de chef d’œuvre ? Oui, on peut et on doit le dire. Goytisolo est né à Barcelone, a vécu à Cuba et ailleurs sans doute en Amérique latine, on connaît mal sa biographie. On sait qu’il a aujourd’hui 74 ans, vit à Marrakech, et que sa colère, en face d’un monde qui ne change pas et ne changera jamais, un monde où c’est la guerre qui fait la loi, en Tchétchénie, en Serbie, partout où Goytisolo est allé ces dernières années faire ce qu’il pouvait et constater la misère et la détresse de l’homme. Sa colère est donc intacte en face de ce Dieu qui revient partout, au nom de qui on tue, à hue et à dia. Goytisolo est un très grand écrivain cosmopolite, la nation n’a jamais été son fort : il aime Marrakech et Tanger, et leurs places, et la clameur de leurs places, et le souvenir de la disparue, l’aimée – dont la disparition est un peu le starter de l’écrivain. Il est hanté par Tolstoï, «Hadji Mourad» en particulier puisque cela se passait dans le Caucase, et que c’était, un siècle et demi plus tôt, le même combat fratricide entre Russes et Tchétchènes, déjà. Il est hanté par la fuite de Tolstoï, la fin de Tolstoï aussi, qui quitta un jour, le jour venu sans doute, le domicile familial, et fut retrouvé mort, sur un banc, dans une gare. L’imminence de la fin (son sentiment intime en tout cas) oblige Goytisolo à resserrer son propos, et sa prose. Attention, grand livre : c’est aussi peut-être un des plus accessibles pour découvrir ce très grand monsieur. François Kasbi

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LES V.O. VÉRONIQUE OLMI La Pluie ne change rien (Ed. Grasset) & Véronique OVALDÉ Déloger l’animal (Ed. Actes Sud) On est comme ça, nous, on lit les VO, surtout lorsque celles-ci, Véronique Ovaldé et Véronique Olmi, se distinguent par une langue très singulière, «translated» de nulle part : cela s’appelle une voix, et c’est, définitivement, intraduisible. Véronique Olmi, en une dizaine d’années, a écrit aussi bien pour le théâtre (Mathilde et Chaos debout, en particulier) que des romans, plus ou moins aboutis. Là, dix ans après les débuts donc, elle nous donne un texte magnifique, dans un genre très périlleux, difficile parce que guetté par la vulgate ou le pathos : un homme, une femme, les retrouvailles, le huis clos (quasiment). Ils se sont quittés il y a cinq ans. Lui l’a guettée, aperçue, souvent, au Jardin du Luxembourg, près de la Place Saint-Sulpice, l’a croisée, chez des amis. Elle a oublié. Elle a changé. Beaucoup. A maigri. Beaucoup. Ils se retrouvent et se redécouvrent l’un l’autre. On pense un peu à Intimité d’Hanif Kureishi, adapté par Chéreau au cinéma, en anglais. On pense aussi, parfois, à un palimpseste (pas une copie, un palimpseste : écrit sur/à partir de) du monologue de Molly dans Ulysse de Joyce. Lisez vous-même : «elle tenait maintenant la tête de l’homme dans ses deux paumes ouvertes, un visage entre ses cuisses le début du monde l’émerveillement le surgissement premier c’est pourquoi les mots des prières s’échappaient de sa gorge Mon Dieu Mon Dieu Mon Dieu, parce qu’il se passait l’incompréhensible le plaisir absolu l’envol et le mystère il se passait le détachement et l’accord le dépassement et l’harmonie, et elle jouit si fort si violemment son corps cabré son cou renversé ses mains arrachées au crâne de l’homme accrochées aux draps défaits, jouit comme on se blesse comme on lutte comme on survit dans un cri.» Voilà, quelques-uns détesteront, d’autres détesteront ceux qui détestent : c’est le lot de la vraie littérature, ici un texte très oral, très apaisé finalement, mais aussi haletant, sensuel, violent, doux. En principe, cette littérature crée des liens, ou déclenche des brouilles. A vous de voir : «Pourquoi avait-elle donné rendez-vous à cet homme pourquoi celui-là plutôt qu’un autre, plutôt que tous les autres qui appelaient maintenant la croyant libre mais libre de quoi mais libre de qui, pourquoi avait-elle donné rendez-vous à celui-là, l’éternel oublié, le toujours ignoré, cet homme sans illusions mais capable de fatigue et d’enfance ?» L’autre VO, c’est Véronique Ovaldé, qui s’était signalée l’année dernière avec Les Hommes en général me plaisent beaucoup (rééd. Babel/Actes Sud), un texte déjà un peu «en marge», une langue, un univers surgi d’on ne savait où (on ne sait toujours pas), un peu comme dans certains romans de Faulkner, très «situés» mais toujours dans un lieu inventé et pourtant si réel…Ici, dans «Déloger la bête», une enfant attend sa mère, qui, un jour, a disparu pour ne plus revenir. Son père lui dit un peu n’importe quoi, pour ne pas l’inquiéter. Elle, peu à peu, met en doute le monde des adultes, interroge Madame Isis, sa voisine bienveillante mais qui contribue à la déciller, la suspicion est partout. On lui a menti, son monde est ébranlé : il lui faut tout reconstruire, et le vertige naît de ça. L’écriture et le monde de Véronique Ovaldé sont aussi obscurs qu’intenses, voire suffocants. On ne sait jamais si on comprend bien, immédiatement. Son roman est tissé de fils qui se croisent et se recoupent pour construire la trame d’une histoire compliquée comme le monde, mais limpide et impitoyable, et parfois ténébreuse, comme le regard d’un enfant. C’est peu dire qu’on aime. C’est peu dire aussi qu’on va continuer de guetter, beaucoup, Véronique Ovaldé. F.K.


PAPIERS 5ÈME ROMAN Interview Pierre Mérot, L’Irréaliste (Ed. Flammarion) Illustration : Cléo d’Oréfice

En 2003, Pierre Mérot, prof de français et plume confidentielle, vend quarante mille copies de Mammifères, épatant roman de la déprime portée sur la bibine, en forme de règlement de comptes avec sa famille et les femmes. Ses élèves le matent à Culture Pub, Beigbeder le sort en boîte. Et après ? L’Irréaliste, ou l’histoire d’un écrivain alcoolo n’arrivant pas à pondre un roman «réaliste»… Pierre, vous êtes sûr ? Standard : Cet entretien est une forme d’appel à l’aide : Pierre Mérot, je ne distingue plus les frontières entre autobiographie et fiction. Il y a des critiques là-dessus. Philippe Lejeune définit l’acte autobiographique comme un texte où l’on est sûr que l’auteur est aussi le narrateur et le personnage principal, donc lui-même. L’autofiction est plus floue : L’Etranger de Camus n’est ni une autobio, ni de l’autofiction, ni un roman à la première personne. Mammifères contient du matériau biographique plus clair, mais le narrateur prend des libertés. L’Irréaliste est votre cinquième roman. Encore la pression ? Non. Les gens pensent que c’est le deuxième puisque Mammifères est le premier à avoir eu du succès. Ceux d’avant n’étaient pas vraiment des romans, c’était plus expérimental, utopique, fragmenté, confidentiel. Je devais rendre celui-ci en décembre, j’ai fait plus court. Donc oui, pression, mais positive ; je le raconte au début. Mammifères m’a fait changé de cap, j’avais besoin d’avoir du succès, je me suis tourné vers le public, stylistiquement, j’ai baissé ma garde. On a dit qu’il y avait des «fulgurances». L’idéal serait de n’écrire que des fulgurances. L’Irréaliste est plus «exigeant» que Mammifères, malgré son thème… bateau, hein, un livre sur un bouquin en train de se faire, avec un type seul à Paris au mois d’août… qui me ressemble beaucoup… et qui délire. … Bon, c’est pas facile, mais Proust, Céline, c’est de l’autofiction et on appelle ça des romans. Dans l’Irréaliste, les faits sont vrais : l’été dernier, je me suis mis à l’écriture d’un livre «puisqu’il le faut» car Beigbeder me pressait. Chuck Klosterman, critique rock américain, vient de publier un roman autofictionnel intitulé Je, la Mort et le Rock’n’roll – une histoire vraie à 85%. Et vous ? Marrant. La littérature invente. Même une photo (le réel) est cadrée (l’art). Là c’est un roman sur l’amour, moins noir, plus tendre, plus humain que Mammifères. J’avais des comptes à régler, tout le monde y passait : famille, femmes, narrateur. Bon, c’est un peu tarte à la crème. Pourquoi ? Je voulais faire un conte, le chat et le narrateur se retrouvant au Paradis. J’ai montré ça à Beigbeder, il a fait la tête. Ca s’est imposé assez vite : ma copine est partie dans «la Judée dangereuse», je suis resté, j’ai écrit. J’espère que ce n’est pas trop chiant. L’autofiction, c’est pas un peu facile ? Vous n’arrivez pas à trouver d’autres sujets ? Je n’ai jamais eu de sujets, en fait. J’ai toujours fait mes bouquins sans savoir où j’allais. On va me reprocher de faire deux fois la même chose, mais là, ça part bien, je suis dans Lire (bon, par copinage) et dans la sélection des Inrocks (là, non, vu qu’ils détestent Beigbeder). Le prochain sera plutôt un «vrai» roman, avec un personnage, à la troisième personne. J’ai le titre : Arkansas. J’ai rêvé d’une pièce de théâtre, avec trois acteurs, dans une langue bizarre, proche du français. Et retourner à l’expérimental pour un roman «cathédral», total. Entretien Richard Gaitet

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6ÈME ROMAN Chronique Livre pour enfants Christophe Honoré (Ed. de L’Olivier)

Il y a eu tricherie : pour placer Christophe Honoré ici, au 6ème roman, nous avons comptabilisé ses deux pièces de théâtre. De l’auto-fiction aux livres pour enfants, entre cinéaste et auteur identifié homo, Christophe Honoré s’égare. Là où La Douceur, L’Infamille et son film 17 fois Cécile Cassard semaient avec délicatesse des pistes tendres et humaines, Scarbourough et Ma Mère, adaptation cinématographique de Bataille, faisaient place à la prétention de construction d’une oeuvre et laissaient un peu froid. Livre pour enfants, fait de notes personnelles, arrive à temps et donne à la fois les clefs de lectures de ses romans, et laisse à voir sans secrets l’homme au travail dans ce qu’il a de plus odieux. Proche dans sa franchise de ce qu’a pu faire en BD Fabrice Neaud, aussi sensible et prompt à se faire détester qu’a pu l’être Guibert, Honoré affirme enfin ici certains parti pris («l’adolescence se termine à 27 ans», ce genre de choses) et admet sa sexualite comme élément de création. For fans only, Livre pour enfants, à defaut d’être un chef d’oeuvre, nous attache tout de même encore un peu plus au personnage. David Lesimple

7ÈME ROMAN (VOIRE PLUS) Chronique Brooklyn Follies, Paul Auster

Un homme à la retraite et sur le point d’être désabusé de tout, même de sa propre fille : «Ma fille unique habite la terre depuis vingt-neuf ans et pas une seule fois elle n’a pondu une observation originale, quelque chose qui fût absolument et irréductiblement à elle». Il voudrait que ses contemporains lui offre plus que le simple spectacle de la survivance. : «... une réaction simple ne suffisait pas. Il fallait qu’une flamme anime ce que vous disiez, une effervescence montrant que vous étiez autre chose qu’un simple lourdaud de plus sur les chemins de la vie.» Son exigence lui donne raison puisqu’il fait des rencontres et provoque les événements prouvant que, contrairement à ce dont il s’attendait, vieillesse ne signifie pas forcément ennui. L’exigence du lecteur quant à elle aurait pu lui faire espérer «ce beau calme qui vous entoure quand vous entendez dans votre tête résonner les mots d’un auteur». Ce n’est pas vraiment ça, le dernier roman de Paul Auster, pas assez profond pour résonner longtemps et pour que l’on devine beaucoup plus qu’un travail scolaire d’élève doué, rendu en temps et en heure comme l’exige parfois le roulis de ce beau métier d’écrivain. M.A.

ROMAN POSTHUME Chronique Chroniques des quais, David Wojnarowicz (Ed. Désordres/Laurence Viallet)

L’année dernière, la traduction des écrits autobiographiques de David Wojnarowicz avait enfin jeté la lumière en Europe sur l’importance de son travail plastique dans la construction d’une culture homosexuelle mondiale et fait découvrir une vie de marges et d’errances sans laquelle être séropositif aujourd’hui serait encore un péché divin. Laurence Viallet continue le travail d’exhumation de son oeuvre (d’abord au Serpent à Plumes puis chez Désordres), en traduisant aujourd’hui Chroniques des quais, preuve s’il en fallait une, que son talent d’observateur a permis à Wojnarowicz de s’inscrire dans l’histoire de la deuxième moitié du siècle. A travers 40 portraits, comme autant de croquis, qui échappent à une seule culture gay, se dresse une vue d’ensemble de l’Amerique comme seuls avaient su en laisser jusqu’à présent Kerouac ou Brautigan. Les tapins côtoient avec précision et nonchalance les routiers et les serveuses de café, et se tient devant nous le lien qui manquait à une histoire américaine des années 80. D.L Du même auteur : en poche, Au bord du gouffre (Ed. 10/18) ; en photos, galerie Eof (15, rue Saint-Fiacre Paris 2e) du 18 oct. au 6 nov. ; en vidéos, Palais de Tokyo (13 av. du Prés. Wilson Paris 16e) du 13 au 19 sept.


PAPIERS

CATHERINE LOCANDRO Sœurs (Ed. Gallimard) Catherine Locandro, c’est un peu comme Véronique Ovaldé : on l’avait beaucoup remarquée l’année dernière pour Clara la nuit, son premier roman (pour Véronique Ovaldé, c’était le troisième), et l’on avait donc applaudi ici-même. On applaudit derechef pour Sœurs, son deuxième roman, supposé être l’épreuve de vérité pour un écrivain. Le sujet du roman – car contrairement aux Faux Monnayeurs de Gide, ici il y en a un – est grave, mais on ne peut pas en dire trop. Disons que Clara la nuit était déjà border-line, intriguant, remarquablement construit, et que Sœurs est aussi borderline, réaliste, noir, avec toujours cette écriture assez froide, laconique, distante, mais très sensible de Catherine Locandro – écriture que l’on a appris à reconnaître si on l’a aimée tout de suite. L’histoire de deux sœurs, élevées, en province, dans un milieu assez bourgeois, assez catho, mais pas «assez» clair. La sœur aînée avait disparu il y a vingt ans. Elle surgit à nouveau dans la vie de sa jeune sœur, avec une lettre et un journal intime. Vous lirez. La province n’a peut-être pas beaucoup changé depuis Flaubert ou Mauriac. Quelques écrivains, de temps en temps, y reviennent et lui font la peau – voir le portrait en creux de l’ami médecin. Il y faut du talent, et une évidente envergure : Catherine Locandro a les deux. Ecriture, redisons-le, clinique, pour l’analyse d’une pathologie, par un écrivain dont le talent, donc, est dorénavant confirmé. François Kasbi

JENS CHRISTIAN GRONDAHL Sous un autre jour (Ed. Gallimard) Avec Grondahl, on va jouer au vrai critique littéraire. Donc, avouons-le tout de suite, on n’a pas lu le roman de Grondahl qui vient de paraître, Sous un autre jour. Des raisons techniques, éditoriales si vous voulez. Mais on ne peut pas ne pas parler du Danois Grondahl. Parce que c’est un des plus grands écrivains danois, parce que c’est un grand écrivain tout court, un «écri-vain de qualité supérieure» (oui, je suis comme vous, je déteste les calembours, oui, j’ai eu une faiblesse). On a lu les trois romans précédents que Gallimard a publiés (Silence en octobre, Bruits du cœur, Virginia) : à chaque fois, choc. A chaque fois, événement. Bruits du cœur (Folio), si tchekhovien, paru en 2002 ou 2003, était LE roman étranger de l’année selon nous, avec La Tache, de Philip Roth. C’était une très belle histoire d’amour et d’amitié, croisées et trahies. Bien que danois, Grondahl manie l’understatement comme s’il était citoyen d’honneur du Royaume d’Angleterre. Il est délicat, raffiné, sensible. A quarante ans, il sait dire, comme les plus grands, un amour de jeunesse ou une rencontre inaboutie, le bonheur absolu et la faille afférente, la vie mondaine dans la bourgeoisie intellectuelle de Copenhague, Paris, NY ou Lisbonne. Redisonsle : on n’a pas lu le dernier Grondahl. Mais on est comme vous : on a hâte… F.K. 146 | STANDARD # 9 // MATIÈRES PREMIÈRES


GOURMANDISES

JANE ET PAUL BOWLES Lettres (1946-1970) Préface de Michel Bulteau (Ed. Hachette Littérature) L’intégralité des lettres échangées par Paul Bowles (1910-1990) et sa femme Jane (1917-1973) – dont on ignorait qu’elle avait fasciné, comme écrivain (elle a publié un roman en 1943, Deux dames sérieuses et un recueil de nouvelles) d’autres écrivains aussi géniaux que Carson McCullers, Truman Capote ou Tennessee Williams. Lui a écrit Un thé au Sahara, a vécu, jusqu’à sa mort, en légende vivante, à Tanger. Lui préfère les hommes, elle les femmes. Condition d’un mariage réussi, semble-t-il - puisqu’ils vécurent (relativement) longtemps et n’eurent pas d’enfant. Voyagèrent beaucoup, croisèrent beaucoup de beau linge. Paul, avant la fuite à Tanger, aura été compositeur à Broadway. Jane, après son roman, s’abîmera quand même un peu dans l’alcool et fera de nombreuses haltes en HP. Tout cela contribuera à faire de Paul et Jane un couple mythique dont cette correspondance est un peu l’archéologie et le témoin. Un peu comme Scott Fitzgerald et Zelda, «kolossal» talent de Scott Fitzgerald en moins, selon nous, pour Bowles – mais on ne connaît pas toute l’œuvre. Donc, bénéfice du doute. Et puis on fait confiance à Michel Bulteau, le préfacier du volume, ici très à son affaire. F.K.

PIERRE CLEMENTI Quelques messages personnels (inédit, éd. Folio). D’un des acteurs fétiches de Bunuel, Pasolini, Bertolucci, Philippe Garrel, révélé en 1967 dans Benjamin de Michel Deville, le récit de son séjour en prison, à Rome, pour détention de drogues, en juillet 1971. Enfant naturel, délinquant révolté, beauté outrageuse : Clémenti se raconte. Et on le redécouvre. A peine six ans après son décès, le 27 décembre 1999, à 57 ans. F.K.

DAVID FOSTER WALLACE Brefs entretiens avec des hommes odieux (Ed. Le Diable Vauvert) D’un cynisme pompeux quand il s’agit d’essais («un truc soi-disant super…»), David Foster Wallace donne à lire, avec ses nouvelles, le bouquin americain le plus drôle depuis Pynchon ou La Conjuration des imbéciles. D. L.

CODA – THÉÂTRE Pour ceux qui aiment le théâtre, et Marivaux en particulier : l’intégrale de Marivaux est reprise au Théâtre du Nord-Ouest, du 24 juin au 31 décembre : les 38 pièces (résa : O147703275). Avec la révélation d’une future très grande actrice : elle s’appelle Elisabeth Ventura et joue dans La Dispute : si cela ne s’appelle pas crever l’écran, on ne sait plus ce que ça veut dire. Représentation par ailleurs en tout point exceptionnelle. On est très heureux d’être sans doute les premiers à écrire son nom. F.K.


PLASTIQUES

ARLES ENGAGÉ : L’INTENTION ET LE RÉSULTAT TEXTE : OLIVIER WAISSMANN

Aux rencontres d’Arles 2005, pas de commissaire d’expositions. Succède à Martin Parr un comité de personnalités de la photographie pour un résultat hétéroclite. Un thème émerge néanmoins : l’engagement artistique face à l’actualité. Au coeur de ces rencontres, un personnage encensé, David Tartakover, graphiste israëlien. Son expo : des affiches militantes des années 80 à aujourd’hui et une oeuvre thématique, récente, autour du photomontage. Des affiches réussies, réalisées dans une économie de moyens et un style direct. Ses photomontages, eux, le montrent au sein de l’actualité israëlienne, vêtu d’un gilet technique fluo siglé «artist». L’intention : l’artiste observe, directement impliqué, il aimerait agir mais demeure impuissant.

Le résultat : le collage d’un personnage volontairement mal réalisé, mine triste et posture pataude (genre Droopy), contrastant avec l’intensité dramatique des images. Gêne ? Sourire ? Flop ? L’objectif est louable mais le message initial, clair et chargé d’émotion, est parasité par la mise en scène. Le propos de Tartakover est méritant, le résultat tarte à krème. Plus loin, les clichés de Geert Van Kesteren pris en Irak, en 2003, une semaine avant la fin officielle de la guerre, donnent à voir plus juste. Le Néerlandais y restera près de sept mois, dont sept semaines en tant que journaliste «incorporé», statut imposé qu’il trouve pour le moins douteux. «Why, mister, why ?», disaient les Irakiens appréhendés brutalement par les GI, est devenu le titre de l’expo. Rien n’échappe à l’objectif, les commentaires dénoncent, sans concession. Le même but (dénoncer des horreurs) pour deux écoles : l’artiste présent dans le cadre (Tartakover, l’actu détournée) ou effacé (Van Kesteren, le témoignage abrupt). Morale de la balade : à détourner les images, on peut détourner un sens qui aurait été plus fort en réalité nue. Si l’art puise souvent sa force dans l’impact, la mise en scène est risquée, quand, en tant qu’artisan de l’image, on choisi de dénoncer.

David Tartakover

148 | STANDARD # 9 // MATIÈRES PREMIÈRES

Geert Van Kesteren


Fred Lebain

Interviews musclées Fred Lebain

Matthew Monteith

Présent à aux rencontres photographiques d’Arles, Fred Lebain aime les cactus, les appareils photo russe et le sport.

Photographe américain, Matthew Monteith aime les intérieurs de voitures, la République Tchèque et le sport.

La réussite, c’est un marathon ou un sprint ? Cela depend de la définition de «réussite». Si la réussite, c’est faire des choses que l’on aime par-dessus tout, alors on l’aimerait marathon pour que cela dure toujours. Besoin d’amphètes pour la compète ? Ouais même des trucs interdits, des trucs de fous, des pots, de l’amour... Quel équipement utilisez-vous ? Qu’importe, celui que j’ai sous la main, du moment qu’il m’apporte l’ivresse! Qu’est ce qui vous dope ? Le travail des autres. Etes-vous flairplay ? Carrément, il y a de la place pour tout le monde. A quel âge comptez-vous arrêter ? Euh....on peut le courir jusqu’à quel âge le marathon ?? Entretenez-vous de bons rapport avec votre coach ? Je suis candidat libre… Ouvrages parus : Mes vacances avec Holga (Ed. Lomography); Irasshaimase (Ed. France Delory) Fred Lebain est représenté par la Galerie Philippe Chaume, 9 rue de Marseille Paris 10ème Entretien O.W.

La réussite, c’est un marathon ou un sprint ? Sûrement un marathon. Besoin d’amphètes pour la compète ? Plutôt de patience. Quel équipement utilisez-vous ? Un sac à dos bien rempli. Qu’est ce qui vous dope ? Le travail bien fait. Etes-vous flairplay ? «All play is fair» comme on dit en anglais.

A quel âge comptez-vous arrêter ? Jamais. Entretenez-vous de bons rapport avec votre coach ? C’est à lui qu’il faut poser la question, qui qu’il soit.

Matthew Monteith est représenté par Ph print (www.ph-print.com) Mathew Monteith


PLASTIQUES

plastiques ¬ NEWS

PRESQUE NUS TEXTE : MAGALI AUBERT

Rentrée pas scolaire à l’Imprimerie 168 (*). Romain Leblanc, 20 ans, y expose une série de photos sur laquelle il travaille depuis 2003. Parti de l’idée de représentation du malaise dans les rapports homme/femme, le projet s’est mué en ballets chorégraphiés de corps nus et lieux désaffectés ou naturels. Ses inspirations sont principalement cinématographiques : Mike Leigh pour la mise en scène, Roy Anderson pour la composition des cadres, Emir Kusturica pour la féerie théâtrale, Grégory Motton et la scène anglaise contemporaine et Pina Bausch rayon chorégraphie. De cette première approche instinctive, Romain Leblanc compte approfondir sa recherche, coordonnant images fixes, vidéo et cinéma. Le tout nu ? 150 | STANDARD # 9 // MATIÈRES PREMIÈRES

Les Constantes irrégulières. Du 20 au 30 octobre à l’Imprimerie 168, 168 rue de Crimée (métro Crimée). Vernissage le 20 octobre de 19 h à minuit. * Les ateliers du collectif d’artistes Kill oh what ! réunissent depuis sept ans une vingtaine de photographes, plasticiens, dessinateurs, maquilleuses, scénographes, peintres et sculpteurs sous la présidence de Richard Laillier. Ouvert les jeudi, vendredi, samedi de 14h à 21h. Le dimanche à partir de 11h. D’autres expos à l’Imprimerie 168 : Violetta Cuadra, Empreinte. Installation sur la torture et les cinq sens. Du 15 au 25 septembre de 17h à 21h et le dimanche de 12h à 21h. Catherine Toci-Merten, peintures et sculptures. De grandes toiles sur le temps, l’expression d’un ressenti, d’une émotion par le travail de la matière. Du 6 au 16 octobre.


ZOO LANDER Une expo collective en bordure ouest de Paris à la rentrée ? La FIAC Porte de Versailles ? Non : Félin pour l’autre, une faune indie, sauvage émigrée à Boulogne. «Regards dévorants, sourires carnassiers et larmes de crocodiles» : à la Blanchisserie, sur une proposition d’Anaïd Demir, «six artistes nous expédient aux antipodes des apparences». De retour d’expédition, Olivier Millagou, d’habitude spécialiste des pindrawings, met «l’iode à la bouche» avec des cartes postales tropicales blanches sur fond blanc ; clichés exotiques, bikini et lait de coco au Tip-Ex. Jeanne Susplugas dessine une flore aussi carnivore que luxuriante. Et les reptiles au crayon d’Ingrid Luche - connue jusqu’ici pour ses walldraws en strass - ont la peau dure. Espèce protégée : les pisseuses de Philippe Tourriol, qui, quel que soit le contexte, sur papier cadrillé au crayon ou au pinceau, font les pin-ups, en petites culottes. Pour terminer, les aquarelles marécageuses de Rebecca Bournigault. Des portraits fantasmatiques qui sont les premières toiles de la créatrice des flyers du Pulp pour qui la rentrée s’avère très remplie : exposition au palais de Tokyo en octobre, de nouveau à la Blanchisserie en décembre et préparation du clip d’As we fall. Le tout pris dans la spirale sonore de Davide Bertocchi pendant six semaines. Chaque semaine un des artistes organisera sa soirée avec ses choix de performances, concerts, films etc. Ça crée des liannes. M.A. Félin pour l’autre, La Blanchisserie galerie, 24, rue d’Aguesseau 92100 Boulogne Tel 01 41 31 31 41. Du 17 sept. au 24 oct. 2005, vernissage le samedi 17 septembre à partir de 19h.

Dessins : Philippe Tourriol, Les Pisseuses (2003-04) courtesy galerie RX


ADRESSES

photos : Philippe Bresson

0044 – 01 56 98 18 44 Antik Batik 01 40 15 01 45 As Four/ Colette 01 55 35 33 90 Bruno Frisoni 01 42 65 20 40 Cacharel 04 66 28 66 28 Chanel 0820 002 005 Charles Jourdan 01 45 48 48 98 Christian Dior 01 40 73 73 73 Christian Louboutin 01 42 22 33 07 Et vous 01 40 49 05 10 Fendi fendi.com Final Home 01 55 28 34 40 Gaspard Yurkievich 01 42 01 51 00 Junko Shimada 01 42 60 94 12 Le Flesh 01 42 76 00 00 Louis Vuitton 08100810010 Maria Cornejo Zéro mariacornejo.com Mary Ping +1 212 472 7753 Marc Jacobs 01 49 96 20 70 Mélodie Wolf 01 44 84 49 49 Michel Perry 01 42 44 10 07 Miu Miu 01 53 63 20 30 Moschino Cheap & Chic 01 53 01 84 10 Opening Ceremony +1 212 219 2688 Paul and Joe 01 42 22 47 01 Petar Petrov 01 40 26 47 81 Pierre Hardy 01 42 60 59 75 Pleasure Principle pleasureprinciple.org Sonia Rykiel 01 49 54 60 00 Stephane Kelian stephanekelian.fr True Religion truereligionbrandjeans.com Tsumori Chisato 01 42 78 18 88 Véronique Bran quinho 01 44 87 90 90 Wendy & Jim 01 42 36 92 41 William Eadon +1 212 343 9205 Y’s Yohji Yamamoto 01 42 78 94 11


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