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epuis le premier jour où nous avons poussé la porte de l’hôtel particulier du prince Roland Bonaparte, le bâtiment, exceptionnel par son histoire et son architecture, n’a cessé de nous étonner. La passion que l’architecte et les artisans de l’époque avaient mise à le bâtir était toujours là, même si la demeure avait été malmenée depuis que les Bonaparte s’en étaient séparés en 1925. Les belles pierres de ses façades, ses sculptures, ses salons, son escalier d’honneur en marbre, son luxe décoratif, tout était là pour y installer un nouveau palace parisien : le premier du groupe hôtelier Shangri-La en Europe. Notre enthousiasme et notre énergie se sont concentrés sur le double défi qu’il nous fallait relever : redonner sa splendeur à l’ancien palais des Bonaparte et le restructurer pour y installer un hôtel haut de gamme avec toute la technologie du XXIe siècle. Et ce, sans dénaturer son architecture mais plus encore en révélant au grand jour son histoire fantastique.
Dans cette démarche, nous avons été considérablement encouragés par nos clients originaires d’Asie, très sensibles à la culture française et à son patrimoine historique. Ils prirent l’initiative de faire inscrire toutes les parties anciennes à l’inventaire des monuments historiques et nous donnèrent carte blanche pour faire travailler les meilleurs artisans d’aujourd’hui. Avec cet ouvrage, nous avons voulu raconter cette passionnante épopée : celle d’une dynastie mythique, les Bonaparte, depuis le plus célèbre d’entre eux, Napoléon Ier, jusqu’à son petit-neveu, Roland Bonaparte. Comme on ne peut séparer l’histoire de cet édifice de l’époque fabuleuse de sa construction, il s’agit aussi, dans ce livre, de l’aventure du XIXe siècle, dont les inventions ont marqué le tournant radical vers une modernité que nous ne finissons jamais d’explorer. Un point auquel, nous, Bouygues Bâtiment Île-de-France Rénovation Privée, ne pouvions qu’être sensibles. Habité d’un tel passé, cet « hôtel très particulier » qu’est le nouvel hôtel Shangri-La Paris fut donc pour nous un « chantier très particulier ». Cela aussi nous avons souhaité le raconter, en texte et en images. Bonne visite,
Bernard Mounier Directeur général de Bouygues Bâtiment Île-de-France Rénovation Privée
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Sommaire
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SOUS LE
Signe de l’ aigle 10
Les Bonaparte, une famille très couronnée
24
Fils de prince et cousin d’empereur
36
La fête impériale
48
Haussmann, le baron constructeur
62
La plus belle ville du monde
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hôtel de la à Belle Epoque Métamorphose D’UN
LES
FASTES
L’AUTRE,
une douce
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76
Roland Bonaparte, savant et botaniste
128
Genèse
86
L’écrin des Bonaparte
136
Bienvenue chez les Bonaparte !
94
Un tourbillon de divertissements et d’inventions
146
La douce installation du Shangri-La
106
Gustave Eiffel, le magicien du fer
168
Focus sur les trésors de l’hôtel particulier
116
De si belles expositions…
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Invitation au Shangri-La
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SOUS LE
Signe de l’ aigle 04_Iena_Chap1.indd 9
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L
es Bonaparte, une famille très couronnée
Roland Bonaparte… Ce nom, à lui seul, sonne comme un rappel des heures les plus glorieuses de l’histoire de France. Par son patronyme, par son histoire, par sa lignée, Roland Bonaparte appartient en effet, et de toutes ses fibres, à l’une des dynasties les plus prestigieuses et les plus couronnées d’Europe. L’une de ces dynasties qui ont façonné le monde, suscitant autant de haine que d’admiration, écrivant au son des canons une légende à nulle autre pareille, légende qui devait fortement marquer le jeune Roland.
Armoiries de Napoléon Ier On y distingue l’aigle, la couronne impériale, la main de justice, le collier de la Légion d’honneur et le manteau impérial.
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Napoléon Ier Sa Majesté l’empereur des Français sur son trône, peinture de J. A. D. Ingres.
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Un empire bâti à la pointe du sabre Au départ, il y a, bien sûr, le grand ancêtre : Napoléon Ier, simple lieutenant d’artillerie devenu, à la faveur des bouleversements provoqués par la Révolution française, Premier consul (1799-1804) puis empereur des Français (1804-1815). Sur les ruines du vieux monde, homme nouveau dont la disparition de l’Ancien Régime, avec ses castes et ses privilèges, avait rendu possible la fabuleuse ascension, il créa un empire qui, à son apogée, s’étendait de la mer du Nord au détroit de Gibraltar et de la Normandie aux portes de Moscou. « La France était pour les Nations un magnifique spectacle », dira plus tard Victor Hugo, un rien admiratif. En Napoléon Ier, génie militaire mais aussi bâtisseur inspiré des institutions de la France moderne, tous les descendants de la famille Bonaparte se reconnaissent. Lorsque naît Roland, en 1858, sa légende est toujours bien vivace en France et on croise encore, dans les tripots et les débits de boisson de Paris et d’ailleurs, bravaches et farouches, les vétérans de ses grandes batailles, ces célèbres « grognards » qui ont fait le coup de feu à Austerlitz, Iéna ou Waterloo.
De la mer du Nord
au détroit de Gibraltar
Épée de Joseph Bonaparte
et de la Normandie aux portes de Moscou
Chapeau de Napoléon Ier Celui-ci fut porté à la bataille d’Eylau (1807).
La bataille des Pyramides Elle fut décisive durant la campagne d’Égypte (1798-1801). Peinture de F. L. J. Watteau.
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La deuxième campagne d’Italie Le Premier consul franchissant les Alpes au col du Grand-SaintBernard (20 mai 1800). Peinture de J. L. David.
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La fratrie impériale règne sur l’Europe
Joseph (1768-1844)
Lucien (1775-1840)
Napoléon (1769-1821)
Élisa (1777-1820)
Pauline (1780-1825)
Louis (1778-1846)
Caroline (1782-1839)
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Au fil de ses extraordinaires conquêtes, Napoléon Ier a installé sur les trônes d’Europe, dans tous les pays qu’il a conquis et qu’il a agrégés au « Grand Empire », les membres de son clan, à commencer par ses frères, faisant de sa famille une vraie maison impériale alliée aux meilleurs sangs d’Europe.
Jérôme (1784-1860)
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Joseph, le souverain malchanceux Voici Joseph Bonaparte, le frère aîné de l’Empereur. Né en 1768, il est devenu, grâce à son frère, diplomate de haut rang. La proclamation de l’Empire a fait de lui un « prince français », au faîte des honneurs et de la puissance. En 1806, le voilà roi de Naples, tâchant sans beaucoup de succès de se faire aimer de la population. Contraint, sur ordre de l’Empereur, de céder Naples à sa sœur Caroline et au général Joachim Murat, il prend alors le chemin de l’Espagne, où les armées impériales françaises se sont aventurées bien trop imprudemment. Il en devient roi sous le nom de Joseph Napoléon Ier mais il ne parviendra guère à gagner le
Pièce d’argent Au revers, Joseph Bonaparte, roi de Naples en 1806.
Joseph, « prince français » couvert d’honneurs, achève sa vie comme simple agronome aux États-Unis cœur de ses nouveaux sujets. À la chute de l’Empire, en 1815, ce souverain malchanceux s’installe aux États-Unis, où il s’occupe d’agronomie, sous le nom de comte de Survilliers, avant de revenir en Europe, où il meurt en 1844.
Joseph Bonaparte Le roi d’Espagne en costume de sacre, peinture de F. P. S.Gérard.
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Lucien, le grand-père de Roland Comme Joseph, Lucien Bonaparte, le second frère de Napoléon Ier – et le grand-père de Roland – a connu une destinée flamboyante. Il est né en 1775 et sa vie a été bouleversée par la Révolution française. Lui que sa famille vouait à la prêtrise a intégré dès 1789 le cercle des fidèles de Robespierre. Imprudente attitude… Lorsque la tête du tyran roule à son tour dans le panier, il est emprisonné. Discrédité, sans avenir, Lucien ne doit son salut qu’à son frère Napoléon qui le fait nommer commissaire des guerres auprès de l’armée du Nord, un poste qui a le mérite de permettre un enrichissement rapide. Sa vie va désormais s’inscrire dans le sillage de son glorieux aîné. Parlementaire audacieux, Lucien va être le principal artisan du coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), qui fait du général Bonaparte le maître incontesté de la France. Alors qu’il est hué par les députés devant lesquels il s’est présenté en armes et qui veulent le mettre hors la loi, Napoléon Bonaparte est contraint de quitter le Conseil des Cinq-Cents. C’est Lucien qui parvient à retourner la situation, retardant le vote avant de faire évacuer la vénérable assemblée par les soldats de son frère. « On a voulu poignarder votre général », crie ce jour-là Lucien aux braves grognards, outrés que des parlementaires aient osé s’en prendre à « leur » général. Les députés seront dispersés par la force et quelques heures plus tard, certains d’entre eux, ralliés à Bonaparte, se joindront aux Anciens pour abdiquer l’essentiel de leurs pouvoirs au bénéfice du nouvel homme fort. Intervention décisive, sans laquelle le futur empereur eût sans doute fini ses jours en prison, et qui vaut à Lucien d’être nommé ministre de l’Intérieur.
Médaille à la gloire du général Bonaparte En bas, Alexandre le Grand, sur les côtés, Le Cid et Hannibal.
Lucien, l’âme damnée de
À l’apogée de l’Empire, on le retrouve en Italie, prince de Canino par la grâce du pape Pie VII, mais aussi fâché avec Napoléon Ier, qui n’a pas apprécié qu’il se marie sans son autorisation. Capturé par les Anglais alors qu’il fait voile vers les États-Unis, proscrit sous la Restauration, il est fait « prince Bonaparte » par le pape Grégoire XVI.
Bonaparte, fait de son frère
Proclamation du général Bonaparte Il l’adressa au peuple le lendemain du 18 brumaire an VIII.
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le maître absolu de la France
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Le coup d’état du 18 brumaire Le Général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents, à Saint-Cloud. Peinture de F. Bouchot.
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Louis, le trop populaire roi de Hollande Marié presque malgré lui à la fille de Joséphine de Beauharnais et père du futur Napoléon III, Louis Bonaparte connaît son heure de gloire en 1806 lorsque Napoléon Ier fait de lui le nouveau roi de Hollande. Consciencieux, ce souverain arrivé dans les fourgons de l’armée française fait tout pour se faire accepter de ses nouveaux sujets, intervenant efficacement lors des terribles inondations de 1809, allant jusqu’à apprendre le néerlandais, parvenant à force d’efforts à s’attirer la sympathie d’une grande partie de la population. Mais à Paris, son frère finit par prendre ombrage de cette popularité croissante. Accusé par Napoléon de privilégier les intérêts de la Hollande sur ceux de la France, contraint de céder à cette dernière une partie de son royaume, Louis finit par abdiquer en 1810. La Hollande est alors occupée par Napoléon et annexée à la France…
Pour se faire accepter, il va jusqu’à apprendre le néerlandais
Palais royal d’Amsterdam Arrivée du roi Louis Bonaparte, attribué à F. A. Milatz.
La reine de Hollande Hortense avec le prince royal de Hollande. Peinture de F. P. S. Gérard.
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L’imprudent et frivole Monsieur Jérôme Né en 1784, le dernier frère, Jérôme, est incontestablement le plus flamboyant ! Fougueux, intrépide, il a 15 ans lorsque son frère devient, en 1799, le maître de la France. Entré dans la marine en 1800, il mène quelques combats navals contre les Anglais au large de Saint-Domingue avant de s’installer à New York, où il épouse en 1803 la fille d’un commerçant de Baltimore. Furieux, Napoléon Ier fera casser ce mariage avant d’exiger le retour de son frère en France. Toujours aussi aventureux, « Monsieur Jérôme », comme on l’appelle, reprend alors une carrière d’officier de marine. Élevé à la dignité de prince français, il épouse en 1807, sur ordre de Napoléon, Catherine de Wurtemberg, fille de Frédéric Ier de Wurtemberg, et devient roi de Westphalie.
Totalement adonné aux plaisirs,
Le roi Jérôme a alors 23 ans et toute la fougue de la jeunesse. Fier de sa position, imprudent et frivole, il mène dans son nouveau royaume une vie totalement consacrée aux plaisirs, multipliant les conquêtes féminines et dépensant à tour de bras l’argent de ses sujets. La reine Catherine, que l’on surnomme méchamment « la dinde de Westphalie », ferme les yeux sur les écarts de ce mari qu’elle adore et qu’elle surnomme « Fifi ». « Le roi trouvera son trésor épuisé, ses sujets accablés, ses ministres désolés, le crédit anéanti, les ressources dévorées à l’avance », écrira plus tard, depuis son exil de Sainte-Hélène, l’empereur déchu. De fait, les désastres militaires de la campagne de France (1814) sonnent, pour Jérôme, le glas de cette vie princière. Obligé de quitter son royaume, laissant à Paris son épouse Catherine, Jérôme revient en Westphalie en 1814 mais doit abandonner toutes ses prétentions lors de la chute de l’Empire en 1815. Réfugié chez son beau-père, il rentre en France lorsque son neveu Louis-Napoléon – le futur Napoléon III – est élu président de la République en 1848. Jérôme, l’homme de tous les excès et de toutes les aventures, finira président du Sénat et prince impérial.
Jérôme, le gentil « Fifi », trompe allègrement sa femme
Catherine, « la dinde de Westphalie »
Signature du contrat de mariage Aux Tuileries, le 22 août 1807, il scelle l’union houleuse entre le prince Jérôme Bonaparte et FrédériqueCatherine de Wurtemberg. Peinture de J.-B. Regnault.
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Pauline, la princesse Borghèse Tout comme leurs quatre frères, les sœurs de Napoléon ont fait souche en Europe, créant leur propre lignée princière. Voici Pauline, la plus belle des sœurs de Napoléon. « Elle avait de jolis bras, des petites mains ravissantes, des petits pieds tout ronds, une peau éblouissante et une fraîcheur de rose », écrira, enthousiaste, un chroniqueur italien. Après un premier mariage avec Charles Victor Emmanuel Leclerc, l’un des meilleurs généraux de la République, cette beauté à la cuisse légère, dont l’époux est toujours absent, a multiplié les liaisons, y compris avec des militaires de bas rang. En 1803, sur ordre de son frère, elle épouse Camille Borghèse, un prince romain richement doté. D’abord installée à Rome, elle se lasse vite de la Ville éternelle et rentre Pauline Borghèse, à Paris en 1804. Princesse Borghèse et princesse impériale, elle née Bonaparte est aux premières loges lors du couronnement de son frère et de Peinture de R. Lefèvre. Joséphine de Beauharnais, qu’elle déteste cordialement, comme le font d’ailleurs ses sœurs ! Lorsque Napoléon Ier devient roi d’Italie, en 1805, Pauline est élevée au rang de duchesse de Guastalla. Elle s’installe alors au Petit Trianon, que le roi Louis XV avait fait construire à Versailles pour sa maîtresse madame de Pompadour. Elle y vit jusqu’à la chute de l’Empire. De retour en Italie en 1815, elle meurt à Florence en 1825.
« Elle avait de jolis bras, des petites mains ravissantes, des petits pieds
tout ronds, une peau éblouissante et une fraîcheur de rose »
Les sœurs de Napoléon Élisa, Pauline et Caroline au sacre de l’Empereur. Peinture de J. L. David.
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Caroline, l’ambitieuse épouse de Murat Joachim Murat Paradant en uniforme de hussard, il est alors gouverneur militaire de Paris. Peinture de F. P. S. Gérard.
Quant à Caroline Bonaparte, la plus jeune des sœurs, elle épouse en 1800 Joachim Murat, l’un des plus brillants généraux de Napoléon. Elle s’installe alors au Palais de l’Élysée, qu’elle restaure entièrement. En 1806, l’Empereur attribue au couple le grand-duché de Berg, formé du duché de Berg et du duché de Clèves, et destiné à faire barrage entre la France et la Prusse en cas de conflit. Mais ce n’est là qu’une première étape dans la fabuleuse ascension du couple. En 1808, par la grâce de Napoléon Ier, et en remplacement de son frère Joseph parti en Espagne, Joachim Murat devient roi de Naples. Voilà Caroline reine à son tour ! À cette tâche, la jeune femme se consacre avec le plus grand sérieux, restaurant palais et monuments, s’intéressant aux découvertes archéologiques de Pompéi, créant des pensionnats pour jeunes filles, prenant également d’importantes décisions dans le domaine économique, notamment pour développer fabriques et manufactures. Mais les revers de l’Empire, comme ils l’ont fait pour d’autres membres de la fratrie, finissent par sonner le glas des ambitions royales de Caroline.
Murat fait partie
Lors de la campagne de France de 1813, les époux Murat, craignant de perdre leur royaume, signent avec l’Autriche une alliance dirigée contre la France ! Un gage sérieux donné aux ennemis de Napoléon et qui eût pu assurer l’avenir du couple ! Las, c’était compter sans les revirements de son époux, qui, en 1815, lors du retour de Napoléon de l’Île d’Elbe, choisit de se rallier à celui-là même qu’il avait trahi deux ans plus tôt. Après la chute de l’Empire, Caroline, discréditée aux yeux des Anglais, des Autrichiens et des Russes, doit donc quitter définitivement son royaume de Naples, tandis que son mari est exécuté en octobre 1815. Considérée comme prisonnière des Autrichiens, Caroline obtient l’autorisation de s’installer au château de Frohsdorf. Elle mourra à Florence en 1839.
du proche entourage de l’empereur mais finira par le trahir
Le palais de l’Élysée Paris, vers 1800.
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Élisa, la grande-duchesse des arts Ce portrait de famille ne serait pas complet sans Élisa, l’aînée des sœurs de Napoléon. « Mariée à un vaillant capitaine du Royal Corse, elle fut faite princesse de Piombino et de Lucques, en Italie, puis, un peu plus tard, grande-duchesse de Toscane. Cette femme à la langue bien pendue – elle n’hésitait pas à dire son fait à Napoléon et à lui tenir tête, ce qui l’agaçait prodigieusement ! – se révéla une souveraine avisée. Protectrice des arts, elle encouragea le commerce et l’industrie sur ses terres mais œuvra également au développement de l’instruction publique. Elle créa ainsi le premier établissement secondaire d’enseignement pour les garçons de Lucques, où elle rendit également obligatoire l’instruction pour les filles de 5 à 8 ans. À la chute de son frère, elle s’installa à Trieste, où elle se passionna, jusqu’à sa mort en 1820, pour l’archéologie.
Élisa Baciocchi, née Bonaparte La grande-duchesse de Toscane entourée d’artistes à sa cour de Florence en 1813. Peinture de P. Benvenuti.
Joseph en Espagne, Lucien en Italie, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie, Pauline à Rome, Caroline à Naples, Élisa à Florence… De tous ces grands ancêtres, Roland Bonaparte est, sans conteste, le digne héritier. D’eux, il ne porte pas que le nom. Il est également dépositaire d’une part de leur légende et de leur aura. Lorsqu’il naît en 1858, un autre empereur issu de la grande lignée de Napoléon Ier règne sur la France : Napoléon III. Neveu de Napoléon Ier, le fils de Louis et de Hortense de Beauharnais est là pour rappeler aux Français toute la force du souffle de l’épopée napoléonienne. Nul doute que le futur savant en ait été profondément imprégné…
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Joséphine de Beauharnais de la Martinique à la Malmaison Marie-Rose-Josèphe Tascher de La Pagerie Robespierre. Lassé de cette femme frivole qui eût pu se contenter de couler une vie lui coûte une fortune, Barras s’en débarrasse prospère aux Antilles. Le destin en en lui présentant un brillant général, décida autrement. Née à Fort-Royal Napoléon Bonaparte. Leur mariage est – aujourd’hui Fort-de-France – en célébré le 8 mars 1796. Le couple, dont 1763, elle est issue d’une famille de les relations sont orageuses, n’aura pas riches colons martiniquais. Mariée d’enfants. Lorsque Bonaparte devient en 1779 à Alexandre de Beauharnais, Premier consul, en 1799, Joséphine, elle se sépare de corps de son mari qui a pris ses quartiers à la Malmaison, en 1785 et retourne chercher fortune le domaine qu’elle a acheté près de en Martinique. En 1790 elle revient en Paris, se glisse avec délices dans son rôle France où Alexandre occupe désormais de « Première dame ». la situation très en vue de président de En décembre 1804, Joséphine est coul’Assemblée constituante. Lorsque son époux ronnée impératrice à Notre-Dame de Paris. Portrait de est guillotiné, en 1794, elle est elle-même Mais la gloire impériale ne dure qu’un temps. emprisonnée, accusée d’avoir cherché à sauver l’impératrice Joséphine En 1809, faute de pouvoir avoir des enfants Peinture de F. Massot. des royalistes. Seule la chute de Robespierre avec elle et désireux d’asseoir sa dynastie, lui permet d’échapper à une mort certaine. Napoléon Ier fait annuler son mariage pour Bien décidée à s’élever dans le monde, Joséphine parvient, épouser l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. grâce à sa beauté et à son entregent, à devenir une Installée à la Malmaison et bénéficiant des largesses figure en vue des salons parisiens à la mode. Pauvre mais financières de son ancien époux, Joséphine continue d’y coquette, elle devient la maîtresse de Barras, l’homme mener une vie mondaine et dépensière jusqu’à sa mort fort du Directoire, le régime qui a succédé à la tyrannie de prématurée, survenue en 1814.
Couronnement de l’impératrice Joséphine lors du sacre de l’empereur Napoléon Ier 2 décembre 1804. Peinture de J. L. David.
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F Napoléon III
ils de prince et cousin d’empereur
Détail d’une peinture de V. Chavet.
Fils de prince et cousin d’empereur… Comment rêver plus prestigieuse parentèle que celle de Roland Bonaparte ? Lorsqu’il naît en 1858, cela fait six ans déjà que Louis-Napoléon Bonaparte, cousin germain de son père, est devenu, sous le nom de Napoléon III, empereur des Français. Son père, PierreNapoléon Bonaparte, est le neuvième des douze enfants de Lucien Bonaparte, celui-là même qui, lors du coup d’État du 18 brumaire, a ouvert à la dynastie les portes du pouvoir. Prestigieuse ascendance qui n’est en aucune façon la garantie d’une enfance paisible. De fait, la jeunesse de Roland Bonaparte ne fut en rien un long fleuve tranquille…
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La famille impériale en uniforme De haut en bas : Napoléon Ier et le roi de Rome, Napoléon III et le prince impérial.
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Pierre-Napoléon Bonaparte, le mauvais garçon aventurier Et pour cause ! Tout prince qu’il est, le père de Roland, Pierre-Napoléon Bonaparte, a en effet tout du mauvais garçon. Étonnante destinée que celle de cet homme dont la vie se déroule entre l’Italie, les États-Unis, la Colombie, la Corse et la Belgique, et dont la personnalité marquera profondément Roland. Né à Rome en 1815 – l’année de Waterloo –, enfant bagarreur et sexuellement précoce, Pierre-Napoléon enchaîne littéralement les aventures. Ainsi, il n’a pas 16 ans qu’il participe – avec son cousin Louis-Napoléon, le futur Napoléon III à une insurrection contre le pape. Fait prisonnier, il s’évade, gagne les États-Unis, passe quelque temps en Colombie, avant de revenir en Italie, où il est aussitôt incarcéré. Rendu à la liberté mais soupçonné d’appartenir au mouvement des carbonari – une société secrète qui milite pour l’unité de l’Italie et l’instauration de nouvelles libertés – il tue l’officier de police venu l’arrêter, ce qui lui vaut d’être condamné à mort. Embarrassé, le pape Grégoire XVI se contente finalement de le faire expulser. Réfugié pour la deuxième fois aux États-Unis – où il retrouve à nouveau Louis-Napoléon –, il doit en partir presque aussitôt après avoir tué un passant dans une rue de New York. Revenu en Europe, il part alors pour Corfou… qu’il doit quitter précipitamment à la suite d’une fusillade avec des Albanais !
Un meurtre aux États-Unis, une fusillade en Grèce : Pierre-Napoléon est devenu indésirable
Pierre-Napoléon, décidément, est fort peu recommandable ! Persona non grata en Italie, interdit de séjour aux États-Unis, ne pouvant s’installer en France – où son nom suscite la méfiance du régime en place – et surtout totalement dépourvu de moyens financiers, il s’installe alors en 1838 avec sa maîtresse Rose Hesnard en Belgique, où il se fait oublier pendant dix ans…
Compas carbonariste Un des symboles de la Carboneria.
Rue de New York au XIXe siècle Peinture de H. Sebron.
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Le député devenu légionnaire Mais Pierre-Napoléon Bonaparte, dont la fougue n’a d’égale que l’impatience, n’a aucune intention de se morfondre dans les Ardennes belges où il commence à trouver le temps long. Lorsqu’éclate en France la révolution de 1848, ce cavalier émérite passionné de chasse et d’armes à feu part précipitamment pour la Corse, où – magie du nom oblige ! – il parvient à se faire élire député à l’Assemblée constituante. À 35 ans, voilà le mauvais garçon de la famille devenu homme politique… Pas pour longtemps. Les palabres dans les couloirs de l’Assemblée ? Les interminables séances de nuit ? Les lois et les textes à voter ? Les manœuvres politiciennes ? Très peu pour lui. Tout cela finit par le lasser. D’autant que, pour ne rien arranger, il a, en pleine séance, une violente altercation avec l’un de ses collègues députés qui l’oblige à quitter Paris. Attiré par la gloire militaire, il s’engage alors dans la Légion étrangère et part pour l’Algérie, que la France a entrepris de conquérir depuis 1830. Il s’y couvre effectivement de gloire… avant de déserter au bout de cinq jours sans autre forme de procès et de rejoindre la métropole. Par chance pour lui, Louis-Napoléon Bonaparte a été élu en décembre 1848 président de la République. Grand seigneur, celui-ci pardonne à son turbulent cousin cet écart au règlement militaire. Si le futur Napoléon III espérait, par ce moyen, assagir Pierre-Napoléon, il se trompait…
Après une violente
Révolution de 1848 Proclamation de la république devant l’Assemblée nationale, à Paris.
altercation avec un député, il s’engage dans la Légion et déserte au bout de cinq jours
Épisode de la conquête de l’Algérie Peinture de J. A. Beaucé.
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Nina et son prince corse À Paris, Pierre-Napoléon Bonaparte traîne en effet son désœuvrement de lieu de plaisir en lieu de plaisir. Jusqu’à ce jour de 1852 où il fait la connaissance de la fille d’un ouvrier fondeur parisien, Éléonore-Justine Ruffin. Libre depuis peu – sa première maîtresse, Rose Hesnard, vient de mourir –, Pierre-Napoléon fait de cette jeune fille de 21 ans, qu’il surnomme « Nina », sa nouvelle compagne. Peut-être sous la pression de Napoléon III, qui commence à trouver que son cousin en fait trop, le couple décide de s’installer en Corse. Commence alors, dans l’île de Beauté, un invraisemblable imbroglio. Juste avant son départ, le ministre de la Justice a en effet demandé à Pierre-Napoléon de prendre contact avec le célèbre bandit Serafino, qui terrorise la région de Calvi, pour le convaincre d’accepter un passeport pour l’Amérique. Une mission taillée sur mesure pour cet amateur de milieux interlopes… qui échoue cependant complètement à convaincre Serafino. Émissaire secret du gouvernement, Pierre-Napoléon se laisse entraîner dans une vendetta Corse.
Vigoureux, insatiable,
Voilà Pierre-Napoléon et sa belle désormais installés en Corse, d’abord dans un appartement de la citadelle de Calvi, puis dans une maison de bord de plage et enfin à Calenzana, où Pierre-Napoléon fait édifier un château à partir des ruines d’une ancienne tour génoise. Avec quel argent ? Mystère. Sans doute Napoléon III lui a-t-il fait parvenir quelques subsides. Ayant pris soin de faire bénir – sans mariage civil préalable – son union avec Nina, PierreNapoléon Bonaparte coule à Calenzana des jours heureux, passant ses journées à chasser, à recevoir amis et relations, se lançant même dans la rédaction d’une biographie de Sampiero Corso, la première grande figure du nationalisme Corse…
Pierre-Napoléon enchaîne les conquêtes féminines
Un bandit corse se rend aux gendarmes Le Petit Journal, 1892.
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Mais la grande affaire de Pierre-Napoléon, ce sont les femmes ! Cet homme vigoureux profite en effet de ses escapades ou des absences de sa femme – qui fait de fréquents séjours sur le continent – pour enchaîner les conquêtes féminines… et les enfants illégitimes ! Nul doute que Nina ait été parfaitement avertie des incartades de son mari et qu’elle en ait souffert. Pierre-Napoléon n’en oublie pas pour autant ses devoirs conjugaux. Le 19 mai 1858, à Paris où elle s’est momentanément installée, Nina met au monde un premier enfant, un fils, baptisé Roland. Un deuxième enfant – une fille, Jeanne – suivra en 1861.
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Place de l’Êglise de Calenzana Photo de Roland Bonaparte, 1897.
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Caricature de PierreNapolĂŠon Bonaparte Il vient alors de tuer le journaliste Victor Noir (1870).
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Quand Napoléon III s’oppose à son cousin C’est donc en Corse, entre une mère discrète et un père au tempérament pour le moins explosif, que Roland Bonaparte passe sa petite enfance. Pierre-Napoléon prend-il le temps de s’occuper de cet enfant voué à porter son nom et l’héritage prestigieux de la dynastie ? On peut en douter. Car décidément inépuisable, il s’est lancé tête baissée dans de nouveaux projets. Au début des années 1860, il a rendu un vibrant hommage à la commune de Calenzana où il habite et à ses habitants… récoltant dans l’affaire une candidature pour les législatives de juin 1863. Le mauvais garçon de la famille envisage-t-il de faire à nouveau de la politique ?
Napoléon III L’empereur dans son grand cabinet aux Tuileries en 1862. Peinture de H. Flandrin.
C’est bien probable. Mais, à Paris, son impérial cousin ne l’entend pas de cette oreille. Et, Napoléon III s’étant opposé à sa candidature, Pierre-Napoléon doit se retirer et laisser la place au candidat officiel du pouvoir. Vexé, meurtri même, il écrit alors à l’empereur une longue lettre pour se plaindre de sa situation. « Je constate ma position hybride, qui fait de moi une espèce de paria, un Masque de fer du XIXe siècle. Je ne suis ni prince, ni citoyen, ni électeur, ni éligible, ni apte à exercer des fonctions publiques quelconques ou une industrie qui assure mon avenir. » Ému peut-être par la missive de cet homme avec lequel il a partagé, en Italie et aux États-Unis, XIXe bien des aventures, Napoléon III lui accorde un beau lot de consolation : la présidence du conseil général de la Corse. Mais le charme, semble-t-il, est rompu. Au milieu des années 1860, Pierre-Napoléon quitte définitivement la Corse pour la Belgique.
« Je suis un paria, un Masque de fer du
Réception officielle aux Tuileries Peinture de E. Lami.
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siècle »
Ce séjour belge sera de courte durée. Très vite en effet, Pierre-Napoléon, sa femme, leurs deux enfants légitimes, mais aussi les enfants naturels de Pierre s’installent à Paris, dans un hôtel particulier situé au 59 de la rue d’Auteuil qui avait jadis appartenu à madame Helvétius. Si Pierre-Napoléon avait espéré par ce moyen se rapprocher de Napoléon III, il en est pour ses frais. Entre les deux cousins, les relations sont en effet si exécrables que Napoléon III a interdit à Pierre-Napoléon de faire usage de son second prénom. L’affaire du mariage civil avec Nina, prononcé en 1867 par le maire de la commune belge de Lacuisine, n’arrange rien. L’union est en effet prononcée dans des conditions tellement irrégulières que Napoléon III refuse purement et simplement d’en reconnaître la validité. Nina ne sera jamais reçue aux Tuileries. Pas plus d’ailleurs que Pierre-Napoléon, dont tout le monde désormais craint les foucades.
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L’assassinat de Victor Noir En fait de foucades, l’empereur va être servi… Le 10 janvier 1870, un immense scandale ébranle en effet le régime, déjà à bout de souffle. La raison de ce charivari ? L’assassinat, par Pierre-Napoléon, du journaliste Victor Noir. Le drame s’est déroulé le matin même, lorsque deux rédacteurs du journal La Marseillaise, Victor Noir et Ulrich de Fonvielle, mandatés par l’un de leurs collègues du journal corse La Revanche, se sont présentés au domicile de Pierre-Napoléon pour lui demander réparation d’injures.
Le ton monte,
la conversation s’envenime. Pierre-Napoléon sort un revolver
Or Pierre-Napoléon croit que les deux hommes sont envoyés par le journaliste Henri Rochefort, qu’il a quelques jours plus tôt provoqué en duel pour avoir traité les Bonaparte de « bêtes féroces ». Il en résulte un quiproquo qui a vite fait de tourner au vinaigre. Exaspéré par l’attitude de son interlocuteur, Victor Noir frappe au visage le prince qui, en retour, sort un revolver et l’abat froidement avant de retourner son arme contre Ulrich de Fonvielle. Celui-ci ne trouve son salut que dans la fuite… Avec un calme étonnant, Pierre-Napoléon prévient lui-même le secrétaire particulier de Napoléon III et se laisse incarcérer à la Conciergerie.
et abat Victor Noir
Jugé en mars 1870 par la Haute Cour de justice, seule habilitée à juger un prince de la famille de l’empereur, PierreNapoléon est finalement acquitté. Malgré les conseils pressants de Napoléon III – qui prend même le temps de lui écrire une lettre – il refuse de quitter la France, estimant n’avoir rien à se reprocher. Il faudra le désastre de Sedan et la chute du régime pour l’y décider. À la fin de l’année 1870, lui et sa famille s’installent à nouveau en Belgique.
L’Éclipse du 16 janvier 1870 L’affaire Victor Noir suscite l’indignation populaire.
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Scène de meurtre Le 10 janvier 1870, le prince Pierre-Napoléon Bonaparte tue le jeune journaliste Victor Noir au cours d’un quiproquo.
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Nina prend les choses en mains
Boutique de mode Une femme chez la modiste au XIXe siècle.
Un nom prestigieux mais un père instable, traité en paria par l’empereur et finalement accusé de meurtre ; une mère interdite de séjour aux Tuileries ; des demi-frères et sœurs, fruits des liaisons illégitimes de Pierre-Napoléon ; des déménagements incessants ; un nom honni au lendemain de la chute de l’Empire… On peut douter que l’enfance de Roland ait été très heureuse. Mais, à défaut de celui de son père, le futur savant peut compter sur l’amour de sa mère. C’est elle en tout cas qui, au lendemain du désastre de Sedan qui a définitivement ruiné Pierre-Napoléon, prend en main les affaires de la famille, faisant montre en l’espèce d’un sens de l’autorité dont elle semblait totalement dépourvue jusqu’alors. À peine installée en Belgique, elle obtient ainsi de son indocile et infidèle époux que soit – enfin ! – célébré un mariage en bonne et due forme. Le moyen bien sûr, pour elle, d’assurer son avenir et celui de ses enfants. C’est chose faite en novembre 1871. Sa situation ainsi régularisée, elle abandonne définitivement Pierre-Napoléon, qui, après de nouvelles frasques, finira par mourir en 1881.
Armoiries du royaume de Belgique Pierre-Napoléon Bonaparte et Nina s’y marient
Désormais débarrassée d’un mari encombrant, Nina s’installe avec ses deux enfants légitimes, Roland et Jeanne, à Londres, où elle compte bien intégrer le carré des derniers fidèles de Napoléon III réfugiés en Grande-Bretagne et où, pour vivre, elle ouvre une boutique de mode. Mais, rejetée par les émigrés de l’Empire – qui ne l’ont jamais considérée comme membre à part entière de la « famille » – et auréolée d’une réputation sulfureuse, elle finit par revenir à Paris, où elle emménage au 17 de la rue de Grenelle. À 45 ans, Nina est désormais bien décidée à s’occuper de son fils Roland, qui va sur ses quatorze ans et dont l’éducation a été jusque-là totalement négligée… « Nina », vers 1860 Éléonore-Justine Ruffin, femme du prince Pierre-Napoléon Bonaparte et mère de Roland Bonaparte.
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en 1871.
Un père instable et meurtrier, un nom honni, une mère interdite de séjour aux Tuileries : l’enfance de Roland n’a rien d’un long fleuve tranquille !
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La princesse Mathilde, la bonne fée de Roland Son éducation, c’est en fait à Mathilde Bonaparte – la fille de Jérôme de Westphalie, le dernier frère de Napoléon Ier – que Roland la doit. Seul membre de la famille Bonaparte à être – après un bref exil en Belgique – revenu en France peu après la chute de l’Empire, amie et protectrice des poètes, cette femme âgée d’une cinquantaine d’années et au caractère bien trempé a décidé de prendre sous son aile le jeune garçon à qui Nina n’a pas les moyens de donner l’instruction qu’il mérite. Pour Roland, la princesse Mathilde sera une bonne fée.
Femme de caractère,
En 1878, à l’âge de 20 ans et après de bonnes études à Paris entièrement financées par la princesse Mathilde, Roland Bonaparte intègre l’École militaire de Saint-Cyr. Une voie toute trouvée pour ce jeune homme qui, malgré une jeunesse agitée, est totalement imprégné de la légende impériale. Sorti sous-lieutenant, il est affecté au 36e régiment d’infanterie, stationné à la batterie de Bouviers à Guyancourt. Entre exercices et manœuvres, la destinée de Roland Bonaparte semble toute tracée. Jusqu’à ce jour du 4 juin 1886 où l’Assemblée nationale vote une loi interdisant aux membres des familles ayant régné sur la France de servir dans l’armée, par crainte sans doute d’un coup d’État. À 28 ans, voilà Roland obligé de renoncer à la carrière des armes. Pour le jeune prince, c’est une nouvelle vie qui commence…
la princesse Mathilde prend en main l’éducation de Roland
La Princesse Mathilde Peinture de P. F. E. Giraud.
Roland Bonaparte en uniforme en 1884
Saint-Cyr Salle d’escrime à l’École militaire vers 1880.
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L
a fête impériale
Mai 1858… Alors que, quelque part à Paris, la jeune et jolie Nina met au monde son premier fils Roland, Napoléon III s’apprête à inaugurer la ligne de chemin de fer reliant Paris à Mulhouse. Quelques semaines plus tôt, un couturier venu de Grande-Bretagne, Charles Frederick Worth, a ouvert à Paris, au 7, rue de la Paix, le premier salon de haute-couture. Au même moment ou presque, une série de banques et d’établissements financiers voient le jour en France, signe qu’une véritable révolution du crédit est en marche. Économie, mode, vie mondaine… Le Second Empire est la période de toutes les audaces et de toutes les nouveautés, une fête continuelle que le désastre de Sedan interrompra brutalement. En l’espace d’une vingtaine d’années, le visage de la France en est totalement transformé. Ballotté entre Paris et la Corse, élevé entre un père absent et une mère effacée, Roland Bonaparte a-t-il conscience de ces mutations ? Peut-être pas. Nul doute cependant qu’elles aient profondément marqué, d’une manière ou d’une autre, la destinée du futur savant…
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Souper impérial à Versailles, 1855 Napoléon III y reçoit la reine Victoria. Peinture de E. Lami.
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Un monde nouveau En ce début du mois de septembre 1852, à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du Bac, une petite poignée d’individus s’affaire à poser la première pierre d’un nouveau magasin. Au Bon Marché : tel est le nom de cet établissement qui doit ouvrir ses portes dans quelques mois. Parmi la foule des employés qui se pressent ce jour-là vers leur lieu de travail, nul ne peut imaginer combien ce magasin va bientôt révolutionner de fond en comble l’univers du commerce de détail. Avec le Bon Marché, commence en effet une nouvelle histoire : celle des grands magasins, des établissements dont la caractéristique est d’offrir « tout sous un même toit ». Entrée libre, prix affichés – et non plus, comme avant, « à la tête du client », organisation en rayons… En ce milieu du XIXe siècle, c’est une nouvelle forme de commerce que la France est en train d’inventer. Couronnée de succès, l’expérience ne tarde pas à faire école. Dans les années qui suivent, d’autres enseignes surgissent dans la capitale : en 1855, les Grands Magasins du Louvre voient ainsi le jour ; dix ans plus tard, c’est au tour de La Samaritaine d’ouvrir ses portes, suivie, en 1869, du Printemps. Avec ces magasins d’un type nouveau, les Parisiens découvrent les charmes de ce qu’on appellera plus tard la « consommation de masse ».
Les grands magasins parisiens inaugurent une ère nouvelle :
celle de la grande consommation
Magasin du Bon Marché, Paris, vers 1872 Gravure de K. Fichot.
L’essor de ces grands magasins parisiens est emblématique des mutations que connaît alors la France. Dès son coup d’État de décembre 1851, le futur empereur Napoléon III a en effet jeté les bases d’une politique économique destinée à moderniser le pays. L’un des axes prioritaires du souverain, pétri de saint-simonisme et de morale utilitaire, est le développement des voies de communication. De fait, son règne est marqué par l’achèvement de la construction d’un vaste réseau ferroviaire supervisée par l’État. En 1851, l’Hexagone ne comptait que 3 500 km de voies ferrées contre plus de 10 000 km en Grande-Bretagne. Sous l’impulsion de Napoléon III, le pays rattrape et dépasse sa rivale d’outre-Manche pour atteindre, en 1870, près de 20 000 km de voies ferrées, sur lesquelles circulent annuellement plus de 110 millions de voyageurs et 45 millions de tonnes de marchandises. Le train dessert désormais toutes les grandes et moyennes villes françaises. Mais les chemins de fer ne sont pas tout. Dans le même temps,
Chemin de fer Paris-Versailles Gravure de Wormser, 1855.
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Le Crédit Foncier, Paris La foule se presse dans la cour un jour d’émission, Estampe de J. Guiaud.
le gouvernement engage un vaste programme de création de routes, d’ouvrages d’art et de voies navigables. Grâce à cela, en l’espace de quelques années, des régions entières se trouvent désenclavées, ce qui permet d’acheminer partout en France produits industriels et denrées alimentaires. Les grands magasins parisiens sont ainsi le fruit de cette circulation accélérée des marchandises… Modernisateur dans l’âme, Napoléon III joue également un rôle clé dans la mise en place d’un système bancaire digne de ce nom. L’objectif ? Mieux faire circuler l’argent, mais surtout capter l’épargne afin de favoriser le décollage industriel du pays. Crédit Foncier, Crédit Industriel et Commercial (CIC), Société Générale, Crédit Lyonnais… c’est dans les années 1850 et 1860 que naissent ainsi la plupart des grandes banques de dépôts qui existent aujourd’hui encore en France. Cette modernisation financière du pays joue un rôle clé dans son développement économique. Mais elle favorise également toutes sortes de scandales, qui éclaboussent à plusieurs reprises l’entourage du souverain. « Ah ! l’argent, cet argent empoisonneur qui desséchait les âmes, en chassait la bonté, la tendresse, l’amour des autres ! Lui seul était le grand coupable, l’entremetteur de toutes les cruautés humaines », fait dire l’écrivain Émile Zola, dans son roman L’Argent, à l’un de ses personnages. Mis au service de la croissance économique du pays, l’argent profite également à quelques spéculateurs habiles et peu scrupuleux.
« L’argent empoisonneur qui dessèche l’âme, en chasse la bonté et la tendresse…
L’Argent, roman d’Émile Zola Il paraît d’abord en feuilleton dans le journal Gil Blas.
L’argent, entremetteur de
toutes les cruautés humaines »
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Un tourbillon de plaisirs Est-ce un effet de l’extraordinaire croissance économique que connaît le pays ? Toujours est-il que Paris, capitale de l’Empire mais aussi, déjà, du monde, connaît un véritable tourbillon de plaisirs. Le ton est donné au plus haut niveau, par l’empereur lui-même, qui entend bien rompre avec les habitudes bourgeoises – oh combien ennuyeuses ! – du Roi-Citoyen, Louis-Philippe. Dès 1853, après son mariage avec Eugénie de Montijo, l’empereur lance la vie de cour avec les soirées de « première » à l’Opéra et à la Comédie Française, et les fameuses « séries » de Compiègne – six semaines de chasse en octobre et novembre où l’empereur et l’impératrice reçoivent une centaine d’invités par semaine. Encouragés par cet exemple, les Parisiens ont vite fait de s’adonner à cette vie de plaisirs et d’insouciance. Chaque moment de la journée a son lieu de prédilection… Spectacle de gala à Compiègne, 1861 Il est donné à l’occasion de la visite du roi de Prusse. Peinture d’après C. Yriarte.
Le jour, une foule hétéroclite se presse ainsi dans ces nouveaux espaces verts que l’Empire a créés ou totalement réaménagés : le parc Monceau, le Pré Catelan et surtout le bois de Boulogne. Avec ses grandes allées rectilignes et ses chemins sinueux dessinés par Jacques Hittorff et Jean-Charles Alphand, celui-ci est devenu le lieu incontournable pour tous ceux qui désirent simplement Les Grandes Eaux à Versailles, 1864 se faire voir. « Je me lève généralement le matin. Je vais au Bois, Une fête grandiose y est organisée en l’honneur du roi d’Espagne. puis au Cercle, et puis au Bois et je retourne au Cercle », fait Peinture de E. Lami. ainsi dire Octave Feuillet à l’un de ses personnages. Hommes et femmes du meilleur monde s’y pavanent, y galopent ou s’y promènent en calèche autour des innombrables lacs et pièces d’eau, avec, pour seul souci, de voir et d’être vu. « Les belles promeneuses tournent ainsi l’espace d’une heure ou deux autour d’une pièce d’eau… Elles se regardent, se saluent et se déchirent. On constate que Madame X a la même robe verte depuis un mois, que par contre Madame Z a changé de chapeau sept fois en une semaine. On remarque aussi que le petit baron de S arrive à la même heure que la vicomtesse de G et que le Prince B, qu’on voyait jadis très assidu auprès de la marquise d’H, trotte fort galamment à la porte de la belle duchesse de B », écrit le romancier Amédée Achard, un rien ironique…
Au Bois,
les belles promeneuses
se regardent, se saluent et se déchirent
Mais le cœur battant de la ville, là où tout se passe, ce sont les Grands Boulevards, ceux de Beaumarchais, des Filles-du-Calvaire, du Temple, de Bonne-Nouvelle, de Montmartre, des Italiens, des Capucines ou bien encore de la Madeleine. On s’y promène le jour et on s’y montre le soir dans un va-et-vient incessant de plaisirs et d’amusements plus ou moins coupables. Le jour ou au crépuscule, tous les mondains que compte Paris se donnent rendez-vous dans les innombrables cafés dont les façades ouvrent sur
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Bal masqué à l’Opéra de Paris La fête bat son plein à l’occasion du carnaval.
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Promenade au bois de Boulogne, à Paris L’île du lac et son chalet. Lithographie de T. Muller.
les boulevards. « Nulle part qu’en France, et surtout à Paris, le café érigé presque en divinité n’a de temples coquets, somptueux, innombrables. Partout, on prend le café. Mais en aucun lieu du monde, on ne le hume avec tant d’aise et de confort, de joyeux accessoires qu’à Paris », écrit l’écrivain Edmond Texier dans son ouvrage Tableau de Paris. Les grands établissements, les plus fréquentés alors par la jeunesse dorée et les cocottes de la capitale, s’appellent le Café de Paris, avec ses somptueux plafonds et ses glaces anciennes, le Café de Foy, le Café du Helder – le point de ralliement des officiers, le Café Riche, orné de bronzes de Barbedienne, de tapis d’Aubusson et de jardinières persanes, le Café Anglais ou bien encore la très célèbre Maison Dorée, somptueusement décorée de motifs sculptés traités dans le style mauresque. Quand elles ne cèdent pas au plaisir de se faire voir aux terrasses des cafés, les dames de Paris font arrêter leurs calèches devant le perron de Tortoni, célèbre pour ses glaces. Des glaces qu’elles dégustent à même leur voiture, le visage à demi dissimulé derrière leur éventail… Délicieuse pudeur de coquettes…
Les cafés, des établissements coquets,
somptueux et innombrables
Devant le Café Tortoni Boulevard des Italiens, Paris Lithographie de E. Guérard.
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Les cafés-concerts Le soir venu, les fêtards, les officiers de passage à Paris, les célibataires en goguette ou simplement les désœuvrés se retrouvent à l’un de ces innombrables cafés-concerts qui ont fleuri dans la capitale. Il y a par exemple le Café Moka, un modeste établissement dont le directeur est réputé dans tout Paris pour cette habitude qu’il a de se placer près d’une fenêtre et d’applaudir à tout rompre pour attirer le chaland et le convaincre qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel dans son établissement – une technique imparable pour remplir sa salle. Mais aussi le Café du Géant, situé boulevard du Temple, haut lieu du mélodrame et de la gaudriole et célèbre pour le géant qu’on y présente chaque jour. « On y boit, on y fume, on y chante, et deux ou trois fois dans la soirée, un monsieur très grand circule entre les tables, montrant ses mains énormes aux consommateurs ébahis », raconte ainsi le journaliste et écrivain Alfred Delvau. L’Eldorado, l’Alcazar, le Beuglant, le Bataclan constituent d’autres adresses très courues de la capitale. Au café-concert se retrouvent étudiants et demi-mondaines, grisettes et filles en rupture de ban, employés de bureau et feuilletonistes en mal de lecteurs, écrivains ratés et poètes maudits. « Du bruit et de la fumée, de la fumée et du bruit, voilà ce que l’on entend et ce que l’on voit », estime encore Alfred Delvau qui, décidément, n’aime pas le genre…
Fêtards, officiers de passage, célibataires en goguette et désœuvrés se retrouvent au café-concert
Au café-concert Photographie, vers 1860.
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Les plus fortunés, ou les plus sensibles, fuient ces atmosphères un rien canailles pour aller suivre des spectacles plus dignes d’eux. Le chantier de l’OpéraGarnier s’éternisant – commencé en 1860, il ne sera totalement achevé qu’en 1875 –, les amateurs se pressent à la salle de la rue Le Peletier, où ils se délectent de ballets en cinq actes, comme Le Corsaire, La Source ou Le Cheval de bronze, aujourd’hui tombés dans l’oubli mais qui, à l’époque, enthousiasment les foules. La salle de la rue Le Peletier est également réputée pour recevoir, chaque année, les bals du carnaval. Car le bal – en plein air ou dans des salles fermées – constitue, avec le théâtre, le principal divertissement des Parisiens. La salle la plus célèbre de la capitale est alors le Bal Mabille. Tout ce que Paris compte de célébrités et de fortunes vient le samedi s’y promener entre les arbres illuminés. La renommée de l’établissement est telle qu’on y vient du monde entier. Américains, Anglais, Espagnols et même Arabes s’y précipitent lors de leur venue à Paris. Dans la capitale, il se murmure qu’un prince venu d’Orient a perdu la raison au spectacle du cancan, cette danse sulfureuse qui se danse un pied dans la main…
Affiche pour un concert à l’Eldorado On y donne une sérénade chantée.
Spectateurs d’un café chantant Gravure, 1851.
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Boulevard du Temple, à Paris Les théâtres de boulevard s’y succèdent. Peinture de M. Potemont, 1862.
Meurtriers sanguinaires,
Et puis bien sûr il y a le théâtre de boulevard, dont le Second Empire marque l’apogée. Installées boulevard du Temple, les sept salles que compte Paris sont le point de ralliement des bourgeois en mal de frissons et des milieux populaires en quête de divertissements à bas prix. Le « boulevard » a ses genres de prédilection : le vaudeville, le mélodrame et le drame romantique. Tyrans, vieillards libidineux, brigands sanguinaires, adultères, homicides, parricides et infanticides constituent l’ordinaire des spectacles. Au point que l’habitude est rapidement prise de surnommer « boulevard du Crime » le boulevard du Temple. Les représentations commencent invariablement à six heures du soir. Mais le succès du genre est tel que le public est en place dès trois heures. Marchands d’oranges, de bouquets, de pommes cuites, de gâteaux et de sucre d’orge circulent au milieu de la foule, trop heureux de l’aubaine qui leur est offerte de gagner quelques sous…
tyrans, vieillards libidineux et parricides constituent l’ordinaire du boulevard du Crime
Scène des Fourberies de Scapin de Molière, vers 1864 Peinture de H. Daumier.
Construction de l’Opéra-Garnier Son architecte Charles Garnier supervise les travaux. Peinture de P. J. A. Baudry.
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Cocottes, courtisanes et vide-goussets La nuit, la nuit profonde, celle d’après spectacles, alors que le bourgeois et l’ouvrier sont rentrés se coucher, ouvre une autre séquence. Celle, d’abord, des rôdeurs et des mauvais garçons, des criminels et des vide-goussets, dont Paris regorge. Jusqu’aux grands travaux d’Haussmann, certains quartiers de Paris sont en effet infréquentables, voire même dangereux. C’est le cas, par exemple, des rues qui enserrent l’Hôtel de Ville et de l’île de la Cité. C’est celui, également, des Buttes-Chaumont, qui attirent tous les vagabonds de la capitale et où la police, régulièrement, opère des descentes. D’horribles crimes s’y perpétuent, comme ceux que raconte, dans son roman Les Mystères de Paris, l’écrivain Eugène Süe. La nuit parisienne appartient également aux femmes de petite vie. Car la prostitution, dans la capitale, est omniprésente. Pas tant la haute prostitution, celle des « cocottes » et des grandes courtisanes. Celles-là s’appellent la Bellanger, Anna Deslion ou bien encore Cora Pearl. Maîtresses des puissants de ce monde, entretenues à grands frais par l’élite du commerce, de la finance, de la politique ou de l’aristocratie, habituées des soupers fins, elles gèrent leurs « affaires » comme le ferait un chevalier d’industrie, menant de front plusieurs liaisons et ce, pour le plus grand plaisir de leurs amants, pour qui un peu de concurrence flatte la vanité et pimente l’existence. « L’homme est dévoré du désir de paraître. Il veut que l’on parle de ses chevaux, de ses chiens et de ses maîtresses », s’indigne un pamphlet anonyme. Cette prostitution-là est connue de tous, pratiquée par la haute société et largement tolérée, y compris par les épouses légitimes de ces messieurs, qui n’hésitent pas à singer les manières et les tenues des grandes cocottes parisiennes.
La nuit, rôdeurs, criminels et prostituées envahissent les rues de Paris
Les Mystères de Paris, roman de Eugène Süe Cette œuvre, publiée en feuilleton dans la presse, rencontre un très grand succès.
Femme de petite vertu Litographie d’A. Grévin.
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La comtesse de Castiglione La célèbre courtisane se met en scène dans Scherzo di Follia, vers 1865. Photographie de P. L. Pierson.
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Paris, capitale mondiale de la mode Sous le Second Empire, Paris devient la capitale de la mode et du luxe. Les membres de l’aristocratie et de la riche bourgeoisie européenne viennent acheter robes, bijoux et parfums chez les couturiers et les joailliers de la rue de la Paix et de la place Vendôme. Il se dit même que de riches bourgeoises américaines n’hésitent pas à prendre le bateau – une semaine de traversée – pour venir à Paris refaire leur garde-robe… En matière de mode, ce sont les demi-mondaines qui donnent le ton. Petites actrices et danseuses de l’Opéra profitent des moyens que leur offrent leurs riches amants pour lancer les toilettes que s’empressent de reprendre les femmes du monde. La mode n’en reste pas moins codifiée par des règles très strictes. La toilette des dames dépend en effet du rang social, de l’âge, de la saison, et, surtout, de l’heure de la journée. Les robes du soir sont ainsi très décolletées avec épaules et bras nus, tandis que les robes de jour, plus sobres, se portent serrées et avec des manches longues. Quant aux robes de bal, elles sont surchargées de passementerie, de franges, de glands, de ruchers, de perles, de paillettes et autres dentelles. De jour ou du soir, toutes les robes sont dotées d’une crinoline – une sorte de cage formée de cercles métalliques reliés entre eux par des rubans verticaux à œillet qui permet de soutenir l’ampleur du tissu formant la jupe. Celle-ci mesure ainsi fréquemment de trois à six mètres de circonférence, et parfois même dix mètres. La taille, en revanche, est très mince grâce à l’usage du corset.
Jupes et robes se portent larges, grâce à la crinoline
Femme enf ilant une robe. Sous le jupon, la crinoline Photographie, vers 1860.
Élégantes dans un jardin Peinture de
Crinolines Photographie, vers 1860.
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C. Monet, vers 1866.
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Charles Frederick Worth, l’inventeur de la haute couture La grande figure de la mode parisienne robes de bal de l’impératrice Eugénie. Plus est alors Charles Frederick Worth, que dans la conception de vêtements, le l’inventeur de la haute couture. Né en véritable génie de Worth réside dans Grande-Bretagne, cet ancien commis le sens prononcé du commerce et de marchand de tissu à Londres de la communication qui l’anime. s’installe en France en 1845. En 1857, Innovant, audacieux, le couturier est après un long apprentissage dans ainsi le premier à faire connaître ses des maisons de mode réputées, il créations en utilisant des magazines ouvre à Paris, au 7, rue de la paix, sa de mode ou en envoyant par courrier propre boutique qui deviendra très des poupées habillées. C’est à lui vite le lieu de rendez-vous de toutes également que l’on doit l’invention les élégantes parisiennes. Les débuts du mannequin vivant et des défilés sont difficiles. Jusqu’à ce jour où, pour se de mode, qu’il organise dans son salon faire connaître, il envoie sa femme chez la parisien pour une clientèle triée sur le volet. princesse de Metternich et lui propose trois Charles Frederick Worth Odieux, affligé d’un ego démesuré, il est en robes pour le prix d’une. Une première, et Le créateur de la haute couture outre le premier à comprendre que, pour se parisienne en 1892. dont l’effet est garanti : lorsque, un peu plus faire connaître et séduire une riche clientèle, tard, l’épouse de l’ambassadeur d’Autriche il est indispensable de vendre ses collections se présente à la cour de Napoléon III vêtue de l’une à des prix très supérieurs à leur prix de revient. Ce faisant, de ces robes, la création de Worth fait sensation ! Charles Frederick Worth crée une activité promise à un Le couturier devient ainsi le fournisseur exclusif des bel avenir : l’industrie du luxe.
Toilettes féminines de 1862 et 1863 Elles sont présentées dans les magazines de mode et les catalogues des magasins.
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H
aussmann, le baron constructeur
Paris, mai 1858. Surprenant clin d’œil du destin : au moment même où Roland Bonaparte vient au monde, les ouvriers commencent à percer, à l’emplacement d’une ancienne rue du village de Chaillot où se trouvait jadis le pavillon d’Henri IV et de sa favorite Gabrielle d’Estrée, une nouvelle avenue de 40 mètres de large. Iéna : tel est le nom donné à cet axe qui doit désengorger l’ouest de Paris et qui sonne comme un rappel glorieux de la victoire remportée en 1806 par l’empereur Napoléon Ier sur les Prussiens. Le coup d’envoi officiel des travaux a été donné quelques semaines plus tôt, par un décret impérial en date du 6 mars 1858. Et déjà, ouvriers et charretiers s’activent à donner corps au nouveau rêve urbanistique que Napoléon III a confié au baron Haussmann, préfet de la Seine depuis 1853…
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Armoiries de la Ville de Paris
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Napoléon III remettant à Haussmann le décret annexant à Paris les communes limitrophes en 1859 Peinture de A. Yvon, version de 1865 qui sera remplacée par une version ultérieure (voir p. 52).
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Un fils de bonne famille au service de l’État
Georges Eugène Haussmann Il est préfet de la Gironde avant d’être nommé à Paris.
L’homme qui va totalement transformer Paris, Georges Eugène Haussmann, naît à Paris en 1809, dans un joli petit hôtel particulier du quartier Beaujon, qu’il n’hésitera pas, plus tard, à faire abattre. Issu d’une double lignée protestante, il est le fils d’un intendant militaire de Napoléon Ier. Élevé dans la tradition bonapartiste, qui fait de lui, comme il le dira lui-même plus tard, « un impérialiste de naissance et de conviction », le futur préfet de la Seine reçoit une excellente éducation, au collège Henri-IV et au lycée Condorcet d’abord, puis à la faculté de droit de Paris. Son diplôme en poche, il commence une carrière dans le corps préfectoral. Le 27 novembre 1851, alors qu’à Paris Louis-Napoléon Bonaparte prépare son coup d’État – qui aura lieu quelques jours plus tard, dans la nuit du 1er au 2 décembre – Haussmann est nommé préfet de la Gironde. Il a 42 ans et peut déjà se vanter d’avoir derrière lui une brillante carrière au service de l’État. Le 23 juin 1853, Haussmann est en tournée à Bazas, une sous-préfecture de la Gironde, lorsque lui parvient la nouvelle de sa nomination comme préfet de la Seine. « La foudre, tombant dans mon assiette, ne m’eut pas plus surpris », devait- il écrire plus tard dans ses mémoires, feignant rétrospectivement la surprise. En fait, le futur baron constructeur, tout imprégné de la légende de Napoléon Ier, que lui a transmise son père, n’a cessé de se démener comme un beau diable au service de la cause bonapartiste. Dès l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, en décembre 1848, il a, comme préfet du Var puis de l’Yonne, multiplié les actions pour rallier les populations dont il avait la charge en faveur du Prince-Président. Avec un tel succès qu’il a obtenu, pour prix de ses bons et loyaux services, la préfecture de la Gironde.
Bonapartiste dans l’âme, serviteur modèle de l’État, Haussmann mène une brillante carrière dans la préfectorale Arrivé à Bordeaux quelques jours avant le coup d’État, il a joué un rôle clé dans la réussite du putsch dans le département, dispersant ou réprimant les rassemblements d’opposants et faisant arrêter préventivement tous ceux qui auraient pu représenter une menace contre le régime. Un an plus tard, lors du plébiscite de novembre 1852 en faveur du rétablissement de l’empire, il a si habilement travaillé l’opinion de son département qu’il a obtenu, avec 123 000 « oui » pour 15 000 « non », l’un des meilleurs résultats de France.
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Bordeaux Vue du port vers 1850, gravure.
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Un dîner au ministère
Réunion au ministère Persigny et ses directeurs généraux, 1863.
« Monsieur de Persigny, mon nouveau ministre de l’Intérieur, ne me connaissait point personnellement, mais, par l’exactitude, la précision, la liberté même de ma correspondance, j’acquis de Bordeaux toute sa sympathie. Frappé des résultats auxquels j’étais parvenu, il me tenait en très haute estime », poursuit Haussmann dans ses mémoires afin de justifier sa nomination à Paris en 1853, prenant là encore quelques libertés avec la vérité. En fait, lorsque Haussmann est appelé à Paris, il a déjà rencontré Persigny à plusieurs reprises. Au lendemain du plébiscite, le ministre de l’Intérieur a en effet convoqué à Paris, pour un dîner, tous les préfets de première classe afin de chercher parmi eux un successeur au préfet de la Seine alors en fonction. C’est là, au cours de cette soirée en petit comité, que tout s’est noué. « C’est monsieur Haussmann qui me frappa le plus, devait avouer plus tard Persigny. Mais, chose étrange, c’est peut-être moins les facultés de son intelligence remarquable que les défauts de son caractère qui me séduisirent. J’avais devant moi un des types les plus extraordinaires de notre temps. Grand, fort, vigoureux, énergique, en même temps que fin et rusé, d’un esprit fertile en ressources, cet homme audacieux ne craignait pas de
Le duc de Persigny Ministre de l’Intérieur de Napoléon III.
« Haussmann, un des types les plus extraordinaires de notre temps, grand, fort, énergique, fin et rusé » se montrer tel qu’il était. Avec une complaisance visible pour sa personne, il m’exposait les hauts faits de sa carrière administrative, ne me faisant grâce de rien […] me révélant toutes les faces de son étrange personnalité. Pendant qu’elle s’étalait devant moi avec une sorte de cynisme brutal, je ne pouvais contenir ma vive satisfaction. Pour lutter, me disais-je, contre les idées, les préjugés […] les gens rusés et sceptiques […] voilà l’homme tout trouvé. Ce vigoureux athlète à l’échine robuste, à l’encolure grossière, plein d’audace et d’habileté réussira certainement. […] Je lui parlai des travaux de Paris et lui offris de s’en charger. À la vue, à l’odeur de l’appât, sans hésiter, il se jeta dessus avec fureur. » Le 23 juin 1853, c’est donc un homme parfaitement au courant de ce qui l’attend, qui, à Bazas où il fait sa tournée, reçoit l’annonce officielle de sa nomination comme préfet de la Seine. Rude et ne doutant de rien, bien vu en haut lieu, c’est autant l’homme de caractère que le fidèle à la cause bonapartiste qui est nommé à Paris. Avec une mission aux enjeux essentiels : transformer de fond en comble le visage de la capitale.
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Napoléon III et Haussmann en tenue de cour, 1859 Seconde version d’un tableau de 1865 (voir p. 49) commandé puis refusé par le conseil général de la Seine ; cette seconde toile ayant brûlé en 1871, il n’en reste qu’une copie noir et blanc.
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Le favori Le 30 juin 1853, à Saint-Cloud, où réside l’empereur, le nouveau préfet de la Seine prête officiellement serment devant lui. Le soir même, lors d’une nouvelle entrevue avec Napoléon III, Haussmann prend connaissance du plan de transformation de la capitale. « L’empereur était pressé de me montrer une carte de Paris sur laquelle on voyait, tracées par lui-même, en bleu, en rouge, en jaune et en vert, suivant leur degré d’urgence, les différentes voies nouvelles qu’il me proposait d’exécuter », écrit le baron Haussmann dans ses mémoires. Habile, le nouveau préfet comprend aussitôt qu’il tient là la chance de sa vie : travailler en direct avec l’empereur à un projet sans équivalent encore dans le monde – la refonte complète d’une capitale. Un projet qui, pense-t-il à juste titre, lui accordera une place de choix dans l’histoire. Pour peu qu’il agisse avec habileté et qu’il ne se départe jamais d’une certaine humilité…
Ambitieux mais rivalisant d’humilité et d’habileté, Haussmann écarte de son chemin tous ceux qui pourraient l’empêcher de mener à bien sa mission
Cabinet de travail de Napoléon III aux Tuileries en 1862 Le plan de Paris y occupe une place centrale. Peinture de J.-B. F. de Fournier.
Sitôt nommé, le très ambitieux Haussmann fait afficher dans son bureau de l’Hôtel de Ville, bien en évidence, le plan de Paris tracé par l’empereur. Bien décidé à ne laisser aucun concurrent empiéter sur ses prérogatives, il obtient également, à force de lutte, que le préfet de police de Paris, son rival, soit dessaisi de la gestion de la petite voirie, qu’il assurait jusque-là, et qu’elle soit rattachée à la préfecture de la Seine. Un moyen d’avoir les mains entièrement
Affiche de 1867 La préfecture annonce aux riverains les travaux d’Haussmann.
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libres pour mener à bien dans la capitale les grands travaux demandés par l’empereur. Mais ce n’est pas tout. Quelques jours après sa prise de fonction, Haussmann se rend devant la commission municipale chargée d’examiner les projets de travaux. Reçu fraîchement, le nouveau préfet a vite fait de mettre au pas l’auguste assemblée. « Ce n’est pas, de mon côté, un mariage d’inclination que par obéissance et par la volonté de l’empereur, je suis venu contracter avec la Ville de Paris… Mais les unions où la raison seule préside ne sont pas les moins fécondes », lance-t-il aux membres de la commission. Dans les jours qui suivent, plusieurs d’entre eux démissionnent, tandis que les autres prennent le parti de se soumettre. Haussmann a désormais les mains libres pour accomplir les volontés de Napoléon III…
Un homme comblé d’honneurs et assuré du soutien de l’empereur
Humilité et habileté… Dix-sept années durant, malgré les embûches et les oppositions de toutes sortes, Haussmann va poursuivre la réalisation du grand projet voulu par l’empereur. L’homme va y gagner, outre cette place dans l’histoire à laquelle il n’a jamais cessé de rêver, des honneurs considérables. À défaut d’être parvenu à se faire nommer ministre de Paris, il est nommé conseiller d’État et obtient le droit d’assister au conseil des ministres pour les affaires de la capitale. En 1857, il est fait sénateur et est élevé à la dignité de baron, en vertu d’un décret de l’empereur accordant ce titre à tous les sénateurs. Préfet de la Seine, c’est-à-dire, dans les faits, véritable maire de la capitale, admis au conseil des ministres, sénateur et proche du monarque, le baron Haussmann est alors au faîte de sa puissance… Une puissance qui lui permet d’échapper aux innombrables obstacles qui se dressent sur son chemin…
L’empereur approuve les plans du nouveau Louvre Peinture de A. Tissier, 1865.
Le baron Haussmann, sénateur et préfet de la Seine, fait la une Le Journal Illustré, 1868.
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Travaux haussmanniens Élargissement de la rue Soufflot, qui mène au Panthéon, 1876.
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Percement de la rue de Tolbiac
Percement de la rue d’Alésia
Photographie de C. Marville.
Photographie de C. Marville.
Le pont au Change en travaux Photographie de A.-H. Collard.
Percement de l’avenue de l’Opéra Photographie de C. Marville.
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Paris en 1869 En couleurs, les percées réalisées lors des travaux d’Haussmann.
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Percement de la rue Réaumur
Boulevard Henri-IV
Estampe.
Photographie de C. Marville.
Percement de la rue de Rivoli Photographie d’Henri Le Secq.
Percement du boulevard Sébastopol Estampe.
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Place Edmond-Rostand et rue Soufflot 1890.
Avenue de l’Opéra Vers 1900.
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Boulevard Henri-IV Vers 1900.
Rue de Rivoli et jardin des Tuileries Vers 1900.
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Les comptes fantastiques d’Haussmann Durant les dix-sept années que dure sa charge, Haussmann se dévoue sans compter à la transformation de Paris. Les critiques, cependant, ne tardent pas à fuser. Les lois d’expropriation prises pour tracer les nouvelles avenues de la capitale ont entraîné en effet la ruine de très nombreux petits propriétaires, dont les biens ont été purement et simplement rasés. En outre, les nouveaux règlements d’urbanisme pris à l’initiative du préfet ont imposé la construction d’immeubles de standing élevé, excluant de facto les classes les moins aisées de la capitale et ouvrant la voie à une spéculation effrénée.
« La ville n’était plus qu’une débauche de millions et de femmes »
Caricature d’Haussmann en chercheur d’or Estampe de G. Lafosse, parue dans Le Trombinoscope.
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Mais c’est surtout l’aspect financier des travaux qui vaut au préfet ses plus vives critiques. L’État a en effet souscrit pour les financer, pour plus de 500 millions de francs-or d’emprunt – l’équivalent d’environ 26 milliards d’euros. Une somme considérable mais qui ne suffit pas à combler les dépassements budgétaires, de plus en plus lourds. Pour soulager la trésorerie de la Ville de Paris, Haussmann a pris le parti d’associer l’industrie privée aux financements des travaux grâce à un mécanisme de concession transférant aux entreprises les droits d’expropriation et de construction. « La Ville s’était déjà décidée à ne plus exécuter elle-même les travaux, à céder les boulevards à forfaits, écrit Émile Zola dans son roman La Curée. Les compagnies concessionnaires s’engageaient à lui livrer une voie toute faite, arbres plantés, bancs et becs de gaz posés, moyennant une indemnité convenue. » S’il permet d’accélérer les travaux, le recours systématique aux concessions provoque la colère des Parisiens, indignés par le luxe insolent dont font preuve les grands entrepreneurs concessionnaires. « La ville n’était plus qu’une grande débauche de millions et de femmes. Le vice, venu d’en haut, coulait dans les ruisseaux, s’étalait dans les bassins, remontait dans les jets d’eau des jardins, pour retomber sur les toits, en pluie fine et pénétrante », poursuit plus loin Zola. Dans la seconde moitié des années 1860, Haussmann est l’objet d’attaques de plus en plus vives. En 1867, il est interpellé par un député, qui le somme de s’expliquer sur les dépassements budgétaires. Houleux, le débat entraîne un contrôle plus strict des travaux. La même année, Jules Ferry rédige sa célèbre brochure, Les Comptes fantastiques d’Haussmann dans laquelle il affirme que les travaux de Paris ont coûté 1 500 millions de francs- or, soit bien plus que les 500 millions officiellement annoncés…
Jules Ferry Portrait par Guth pour La Revue illustrée.
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La chute d’un préfet Contesté de toutes parts, accusé – à tort – d’enrichissement personnel Haussmann tient bon tant qu’il est assuré du soutien de l’empereur. Mais tout change en 1869. Cette année-là, les élections législatives sont remportées par l’opposition. Vieil opposant à Napoléon III, Émile Ollivier est chargé de former le nouveau gouvernement. L’une de ses premières décisions est de relever le baron Haussmann de ses fonctions. C’est chose faite en janvier 1870. Huit mois plus tard, l’Empire s’effondre à la suite du désastre de Sedan. Retiré un temps non loin de Bordeaux, l’ancien préfet de la Seine revient à la vie publique en se faisant élire, en 1877, député de la Corse. Non réélu en 1881, il consacre la fin de sa vie à la rédaction de ses mémoires. Il meurt en janvier 1891, laissant derrière lui une ville profondément transformée, considérée dans toute l’Europe comme un modèle d’urbanisme.
Le baron Haussmann, dans les années 1880 Portrait publié dans L’Illustration du 17 janvier 1891.
Vue générale de la Place de l’Étoile, 1868 Les travaux d’Haussmann ont métamorphosé Paris.
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L
a plus belle ville du monde Mobilier urbain parisien Dessins de 1868.
1853-1870. En l’espace d’un peu plus de quinze ans, sous la houlette du baron Haussmann, d’immenses chantiers donnent à Paris, jusque-là enserré dans le corset de ses rues médiévales, un visage radicalement nouveau. Avec ses avenues rectilignes, ses monuments grandioses, ses parcs, ses réseaux d’assainissement et ses immeubles imposants, la capitale fait peau neuve. Né alors que les travaux battaient leur plein dans la capitale, Roland Bonaparte vivra, une fois adulte dans une ville profondément transformée et devenue, partout en Europe, une référence en matière d’urbanisme, « la plus belle ville du monde » selon certains… Avec son style imposant et son alignement impeccable sur l’avenue d’Iéna, son hôtel particulier répondra lui-même parfaitement aux canons du « style haussmannien ». Avec le baron Haussmann, Paris entre en fait de plain-pied dans la modernité…
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Avenue de l’Opéra et place du ThéâtreFrançais en 1898 Peinture de C. Pissarro.
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Cloaques et coupe-gorge Au début des années 1850, alors que Georges Eugène Haussmann s’apprête à prendre ses fonctions de préfet de la Seine, Paris est encore, à bien des égards, une ville médiévale. Le centre de la capitale, notamment, est un véritable enchevêtrement de ruelles obscures où il ne fait pas bon se promener seul la nuit. Les écrivains de l’époque ne s’y trompent d’ailleurs pas. « Les maisons couleur de boue, percées de quelques rares fenêtres aux châssis vermoulus se touchaient presque par le faîte tant les rues étaient étroites », écrit ainsi Eugène Sue dans son roman Les Mystères de Paris, à propos de l’île de la Cité. « […] ces ruelles obscures, resserrées, anguleuses, bordées de masures à huit étages […] si décrépites que […] les façades s’étayaient de poutres allant d’une maison à l’autre. », écrit de son côté Victor Hugo dans Les Misérables. Ces descriptions, loin d’être le fruit de l’imagination de romanciers épris de pittoresque, reflètent la réalité. Observatrice rigoureuse, Delphine de Girardin – qui écrit sous le pseudonyme de Charles de Launay – s’inquiète ainsi, dès la fin des années 1830, de la saleté et de la puanteur du vieux Paris. « On se croirait dans une ville souterraine, tant l’atmosphère est pesante, tant l’obscurité est profonde ! […] Et des milliers d’hommes vivent, s’agitent, se pressent dans ces ténèbres liquides, comme des reptiles dans un marais […] », observe-t-elle, un rien dégoûtée. Dans les beaux quartiers de l’ouest de Paris, on commence à ressentir de la peur envers les habitants des quartiers du centre laissés à euxmêmes. Pour l’honnête bourgeois, les classes laborieuses font de plus en plus figure de classes dangereuses…
« Ces ruelles obscures, resserrées,
Épidémie de choléra à Paris en 1832 Caricature par J. J. Grandville.
anguleuses, bordées de masures décrépites à huit étages » Gavroche, gamin du Paris des années 1830 Gravure de É. Bayard pour Les Misérables de Victor Hugo, 1862.
Même l’administration, pourtant peu suspecte d’effets de style, y va de son couplet. « Le quartier de la Cité a un aspect sinistre… Il est sillonné de rues larges au plus de huit pieds et bordées de maisons noircies par le temps. Ces maisons, très élevées, rendent les rues tristes et humides. Les gargotiers et les teneurs d’estaminets y abondent. L’obscurité de leurs boutiques, jointe à la physionomie repoussante des rues et du quartier, inspire une secrète horreur au passant, qui sait que la plupart de ces boutiques sont les rendez-vous habituels des prostituées les plus viles et des bandits logés dans les environs », écrit ainsi un chef de bureau de la préfecture de la Seine dans un rapport à ses supérieurs.
Des milliers d’hommes vivent, s’agitent, se pressent dans les ténèbres, comme des reptiles dans un marais
Véritable repaire de crapules, de criminels, de filles de joies et de vide-goussets en tout genre, la Cité n’est cependant pas le seul quartier de Paris à présenter un aspect repoussant. Plus loin, le
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Mendiants sur le pont de la Concorde, 1830 Peinture de P. A. Jeanron.
L’inspecteur Javert Un des personnages centraux des Misérables de Victor Hugo.
Louvre est environné d’innombrables masures, dont les façades ruinées font fuir le bourgeois, qui craint autant pour sa bourse que pour sa vie. Même chose au Palais-Royal, peuplé d’une faune inquiétante, attirée par les débits de boisson, qui tiennent plus du bouge que du café respectable. Même le quartier de la montagne Sainte-Geneviève, autour du Panthéon, est laissé à lui-même. Les immeubles s’y dégradent rapidement et n’accueillent plus que des étudiants ou de pauvres familles d’employés. Et que dire du faubourg Saint-Marceau ! Là, d’immenses étendues herbeuses accueillent de véritables bidonvilles, où même la police ne s’aventure qu’avec précaution. C’est dans ces quartiers humides et malsains que l’épidémie de choléra, qui a frappé Paris en 1832, a fait le plus de victimes. « L’épidémie se nourrissait de l’étroitesse et de l’embouteillage des rues, de la hauteur excessive des maisons, qui rendait les rues obscures, sales et humides, du mauvais système d’écoulement des eaux ménagères, de l’absence de système de nettoiement et de l’insuffisance des égouts », écrit ainsi un conseiller municipal au lendemain de l’épidémie. Conscient du problème, Louis-Philippe a bien engagé quelques travaux d’assainissement et percé quelques rues, notamment la rue Rambuteau. Mais il faut attendre Napoléon III pour que la transformation de Paris entre dans une nouvelle phase.
Chiffonniers de Paris Milieu du XIXe siècle.
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Un empereur bâtisseur L’empereur, en effet, a une âme de bâtisseur… Jadis, lors d’un séjour en Grande-Bretagne, il avait été frappé par les vastes parcs, les belles avenues et les réseaux d’assainissement modernes de Londres. En 1848, sitôt élu président de la République, il a souhaité faire de Paris une capitale digne de ce nom. « Paris est le cœur de la France. Mettons tous nos efforts à embellir cette grande cité, à améliorer le sort de ses habitants. Ouvrons de nouvelles rues, assainissons les quartiers populeux qui manquent d’air et de jour, et que la lumière bienfaisante du soleil pénètre partout dans nos murs », a-t-il ainsi déclaré, un rien lyrique, en décembre 1850, devant les élus de l’Hôtel de Ville. Pétri de modernisme et de principes sociaux, nourri par les idées hygiénistes qui circulent en France depuis les années 1830, celui qui n’est encore à ce moment-là que Prince-Président est sincèrement horrifié par l’état de délabrement qui règne dans les quartiers du centre de Paris et par la condition misérable des classes populaires. Mais en bon politique qu’il est, Louis-Napoléon Bonaparte sait également que tous les vieux quartiers insalubres de Paris sont de véritables nids de fermentation criminelle et insurrectionnelle. Qu’une émeute survienne – il y en a eu beaucoup depuis les années 1830 – et les habitants ont vite fait d’arracher les pavés et de monter des barricades, barrant facilement les ruelles étroites et tenant en échec la force armée. Donner à la France une capitale moderne, améliorer la condition des habitants, mais aussi prévenir d’éventuels mouvements insurrectionnels : tels sont les objectifs que s’assigne le Prince-Président lorsqu’il commence à travailler sur la transformation de Paris. Le coup d’État et la proclamation de l’empire lui donnent ce qui lui manquait jusqu’alors : un pouvoir fort, capable de passer outre à toutes les résistances qui ne manqueront pas de s’élever ; mais aussi un relais fidèle de ses volontés, apte à concrétiser ses projets. Ce relais, c’est le nouveau préfet de la Seine, Georges Eugène Haussmann.
Napoléon III veut une capitale nouvelle
débarrassée de ses quartiers insalubres et où les émeutes pourront être facilement réprimées
Barricade dans une rue de Paris Celle-ci fut montée rue Saint-Martin, lors de la révolution de 1848.
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Rue étroite sur l’île de la Cité Photographie de 1855.
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Boulevard SÊbastopol, vers 1860 Il compte parmi les grands axes parisiens conçus par Haussmann.
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Un obsédé de la ligne droite « Que c’est beau ! De Pantin, on voit jusqu’à Grenelle ! Le vieux Paris n’est plus qu’une rue éternelle qui s’avance, élégante et droite comme l’I, en disant Rivoli, Rivoli, Rivoli », écrit Victor Hugo, raillant l’obsession de la ligne droite qui habite Haussmann. De fait, le nouveau préfet de la Seine a une obsession qui répond pleinement aux objectifs de son impérial maître : il veut, pour Paris, des voies rectilignes fermées par des monuments grandioses. Ce grand classique dans l’âme, presque totalement dépourvu d’imagination, taille littéralement dans Paris, créant de toutes pièces de nouvelles avenues qui, aujourd’hui encore, font l’admiration des touristes du monde entier. Le percement des boulevards de Sébastopol, de Magenta, Arago, des boulevards Voltaire et Diderot, du boulevard Malesherbes et du boulevard Saint-Germain, des avenues Kléber, Foch, Carnot, Niel, de Friedland, d’Iéna et George-V, mais aussi des rues de Rivoli – partiellement ouverte avant l’Empire –, Soufflot, Réaumur, du Quatre-Septembre, de Rennes, de Turbigo et des Écoles est le fruit de cette obsession.
Vingt mètres de haut
dans les rues de vingt mètres de large. L’édification des
nouveaux immeubles obéit à des règles très strictes
La colonne Vendôme Photographie de C. Marville.
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Paris est désormais structuré autour de grandes saignées qui, toutes, aboutissent à de grandes places carrefours, à l’image de celle du Châtelet, de l’Étoile, de l’Alma ou bien encore de la République. Leur construction a nécessité la destruction d’innombrables immeubles – à commencer par la propre maison natale du préfet. En l’espace de quinze années, la seule île de la Cité a ainsi perdu près de la moitié de son bâti, et cet ancien cloaque va devenir l’un des quartiers les plus chics de Paris. Au long des nouvelles avenues ainsi percées, le baron Haussmann fait édifier de grands immeubles bourgeois répondant à des règles très strictes. La hauteur des édifices et leur alignement doivent ainsi être rigoureusement identiques. Tout comme les balcons qui, précise le préfet, doivent former des lignes continues d’un immeuble à l’autre. Ainsi se met en place la physionomie des avenues et des boulevards haussmanniens, caractérisée par les lignes horizontales. Le décor de la rue lui-même est profondément renouvelé. Pour meubler les nouveaux espaces de la ville, l’architecte Gabriel Davioud est chargé de créer un nouveau mobilier urbain. Il s’y emploie en édifiant kiosques et grilles et en agrémentant les trottoirs des avenues de bancs pareils à ceux des squares. Attentif à l’éclairage urbain, Haussmann parsème en outre Paris de réverbères au gaz, chassant une fois pour toutes l’obscurité et améliorant ainsi la sécurité des habitants.
Place de l’Étoile, fin du XIXe siècle Photographie de Nadar prise depuis un ballon.
Lampadaire parisien Vers 1865.
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Des monuments de prestige Dans cette ville saignée, éventrée et bouleversée que ses vieux habitants, bientôt, ne reconnaîtront plus, Haussmann fait édifier de nouveaux monuments, utilitaires ou de prestige. Ainsi l’a exigé Napoléon III, qui tient à ce que Paris soit digne de son régime et de la légende impériale qui l’inspire. Ainsi l’exige également le développement économique, dont l’empereur se préoccupe personnellement.
Des monuments dignes de l’Empire et de la légende
C’est ainsi qu’Haussmann dote la capitale de deux nouvelles gares, celle de Lyon et celle du Nord. Les réalisations de prestige sont encore plus spectaculaires. Tandis que Charles Garnier construit un nouvel opéra au style pour le moins éclectique, Gabriel Davioud se voit chargé de concevoir deux théâtres symétriques sur la place du Châtelet. Sur l’île de la Cité, l’Hôtel-Dieu, la caserne de la Cité – future préfecture de police – et le tribunal de commerce sont édifiés en lieu et place des anciens quartiers médiévaux. Enfin, chacun des vingt nouveaux arrondissements de la capitale reçoit sa mairie. Décidément obsédé par la ligne droite, Haussmann prend soin d’inscrire ces monuments en ménageant de vastes perspectives. L’avenue de l’Opéra est ainsi percée de manière à offrir un cadre grandiose à l’édifice de Garnier, tandis que, sur l’île de la Cité, les vieilles masures qui empêchaient de contempler la cathédrale Notre-Dame laissent la place à un grand parvis.
napoléonienne qui l’inspire Gare du Nord, vers 1870 Un souverain étranger y est accueilli au cours d’une cérémonie officielle.
Sculpture pour la façade de l’OpéraGarnier J.-B. Carpeaux, commande de 1863.
Cathédrale Notre-Dame, vers 1890 Le parvis a été dégagé lors des travaux haussmanniens.
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Inauguration de l’OpÊraGarnier 5 janvier 1875. Peinture de J.-B.-E. Detaille.
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L’empereur jardinier Napoléon III, depuis longtemps, aime les parcs et les jardins. Lors de son séjour à Londres, il avait aidé le duc de Hamilton à aménager ses jardins. « Je le prendrais volontiers comme jardinier », avait d’ailleurs dit de lui le duc, reconnaissant les talents de son invité. Admiratif de la capitale anglaise et de ses parcs agrémentés de fausses rivières, l’empereur s’empresse, une fois arrivé au pouvoir, de mettre en place une politique d’espaces verts, qu’Haussmann est chargé de mettre en musique. « Constamment préoccupé de ce qui pouvait contribuer à l’amélioration du sort des classes les moins favorisées de la fortune, particulièrement soucieux des conditions de santé comme du bien-être des populations urbaines, l’empereur donna l’impulsion à cette entreprise utile, dont les résultats sont visibles et font l’admiration des étrangers », écrit le préfet dans ses mémoires.
Admiratif des jardins londoniens, Napoléon III impose la création de grands espaces verts à Paris
De fait, sous l’impulsion de Napoléon III, qui ne cache pas son amour pour les arbres, voient le jour à Paris de nouveaux espaces verts, qui ont pour effet de « donner de l’air » à une ville qui étouffe littéralement à l’intérieur de ses limites. Créés par l’ingénieur Jean-Charles Alphand, le bois de Boulogne et le bois de Vincennes viennent ainsi border la ville à l’ouest et à l’est. À l’intérieur même de la cité, le parc des Buttes-Chaumont et le parc Montsouris offrent des promenades aux habitants des quartiers trop éloignés des grands bois extérieurs. Ancienne propriété de la famille d’Orléans, le parc Monceau est en partie loti et construit. Surtout, chaque quartier reçoit son square, tandis que les grandes avenues percées par Haussmann sont systématiquement bordées d’arbres. Kiosque du bois de Vincennes, 1868 Dessin de A. Alphand.
Les espaces verts de la capitale deviennent rapidement le point de rendez-vous de tous les Parisiens. En semaine, les bois qui bordent la ville sont fréquentés par les « gens de qualité » qui aiment s’y faire voir. Trop absorbé par les nécessités de la vie quotidienne, le « vulgaire » n’a en effet guère le temps de flâner au bord des lacs. « La vraie élégance est en semaine », notent, un rien condescendants, les guides de l’époque. Le dimanche, des familles entières s’en vont déjeuner sur l’herbe, laissant derrières elles – déjà ! – des monceaux de papiers gras
Les Buttes-Chaumont, vers 1895 Le parc fut créé par Haussmann, et aménagé par Alphand et Barillet.
St James’s Park, à Londres Napoléon III s’inspire du modèle anglais pour doter Paris d’espaces verts.
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Le parc Monceau, vers 1900 La foule s’y presse aux beaux jours.
Le dimanche, des familles entières se précipitent au Bois, laissant derrière elles des monceaux de papiers gras
Adolphe Alphand en 1888 Peinture de A. P. Roll.
et attirant dans leur sillage une foule innombrable de petits métiers et de marchands de riens. Fiers de ce repos bien mérité, bourgeois et employés louent de modestes voitures à chevaux et arpentent, le temps d’un après-midi, les allées sinueuses du bois de Boulogne ou du bois de Vincennes, trop heureux lorsque le hasard leur fait croiser la belle calèche d’une marquise ou le grand coupé d’une duchesse.
Palais et jardin du Luxembourg, 1860 Gravure de A. Bayot.
Telle est la ville dans laquelle Roland Bonaparte passera l’essentiel de sa vie d’adulte. Une ville repensée, modernisée, embellie, assainie, ouverte à la lumière, que les travaux du baron constructeur ont vidée d’une grande partie de ses classes populaires et qui, désormais, ne connaîtra plus de grande épidémie. Une ville somptueuse, devenue une référence pour le monde entier et qui, dans les années 1870 déjà, s’imposera comme l’une des toutes premières destinations touristiques au monde.
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LES
FASTES
Belle Epoque
de la
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R
oland Bonaparte, savant et botaniste En 1886, Roland Bonaparte est définitivement rayé des cadres de l’Armée. Ainsi le veut le législateur qui, par la loi du 23 juin de cette année-là, a interdit aux membres des familles ayant régné sur la France non seulement de faire carrière dans l’armée, mais aussi d’exercer une fonction publique ou un quelconque mandat électif. Privé d’avenir, le jeune prince ? Loin s’en faut ! Lorsqu’il apprend sa radiation, cela fait trois ans déjà que Roland a quitté l’armée d’active et que sa vie a pris un tour entièrement nouveau. En fait, tout a vraiment commencé le 7 novembre 1880…
Fleurs séchées des collections de Roland Bonaparte Les espèces de cette planche de1889 proviennent de Norvège.
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Roland Bonaparte en costume de Lapon Photographie prise au cours d’une expÊdition du prince en Laponie en1884.
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« En a-t-il de la chance, Roland… »
Médaillon souvenir du mariage de Roland Bonaparte et Marie-Félix Blanc Le bijou commémore leur union le 7novembre1880.
Ce jour-là en effet, Roland Bonaparte, qui va sur ses 23 ans, épouse Marie-Félix Blanc, d’un an sa cadette. Avec son nez pointu et son front volontaire, la jeune fille, pour être distinguée, n’est pas vraiment jolie. Mais elle a un avantage, et de poids : elle est fabuleusement riche ! Mort depuis peu, son père n’était autre, en effet, que François Blanc, créateur de la Société des bains de mer de Monaco et l’un des hommes d’affaires les plus en vue de son époque. Surprenant destin que celui de ce promoteur immobilier au flair infaillible, surnommé dans toute l’Europe « le magicien de Monte-Carlo ». Né en 1806 dans le Vaucluse, fils d’un receveur des contributions directes, il a quitté très jeune le foyer familial pour suivre un montreur de cartes itinérant, dont il est devenu l’assistant. Initié très tôt aux jeux de hasard, il a fondé avec son frère une maison de jeux à Marseille, avant de gagner Bordeaux, où, à la tête d’une maison de placement, il s’est livré à toutes sortes de spéculations. Avec le concours de fonctionnaires véreux et en utilisant le télégraphe Chappe, il a notamment gagné beaucoup d’argent en jouant sur les fluctuations des rentes d’État. Un jeu lucratif mais qui lui a valu d’être condamné à une forte amende pour « corruption de fonctionnaires ».
François Blanc a fait fortune dans le jeu, spéculant à tout va et n’hésitant pas à corrompre
des fonctionnaires
François Blanc Le richissime homme d’affaires meurt trois ans avant le mariage de sa fille, Marie-Félix, avec Roland Bonaparte.
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Installé ensuite à Paris, il y a ouvert, dans les années 1830, une maison de jeux située près du Palais-Royal… dont il a hélas peu profité ! En 1836 en effet, cédant aux ligues moralisatrices qui s’activent dans son entourage, le roi Louis-Philippe a promulgué une loi prohibant les maisons de jeux et autres loteries particulières dans toute la France. Contraint de faire à nouveau ses valises, François Blanc a alors pris le chemin du Luxembourg puis sillonné les villes germaniques pour y monter des salles de jeux, se constituant peu à peu une solide fortune. En 1860 enfin, répondant à l’appel du prince Charles III de Monaco – bien décidé à améliorer les revenus de son rocher sans ressources –, il a obtenu, contre 1,7 million de francs, 50 000 francs annuels, 10 % des bénéfices et la concession des jeux dans la Principauté pour cinquante ans. Ainsi est née la Société des bains de mer de Monaco dont François Blanc a pris la tête. Riche, très riche même, généreux – il a financé la dernière tranche des travaux de l’Opéra Garnier –, François Blanc a fait de Monaco l’une des principales places de jeux d’Europe et même du monde. Jusqu’à ce jour de 1877 où l’homme d’affaires est emporté, à l’âge de 71 ans par une maladie respiratoire, laissant derrière lui une fortune de 72 millions de francs, soit l’équivalent de plus de 450 millions d’euros !
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Casino de Monte-Carlo, vers 1915 Fondé et géré par la famille Blanc, le casino est l’un des plus en vogue en Europe.
Salle de jeu du casino de Monte-Carlo Carte postale, vers 1910.
Dotée, Marie-Félix Blanc l’est donc, et même fort bien ! Nina Bonaparte l’a d’ailleurs parfaitement compris. Rusée, un rien machiavélique, la mère de Roland Bonaparte a en effet tout fait pour pousser la riche héritière dans les bras de son fils. Comment s’y est-elle prise pour convaincre la famille de la jeune fille de s’unir à un garçon certes bien sous tout rapport, mais sans guère de fortune ? Nous l’ignorons. Sans doute a-t-elle bénéficié du concours de la princesse Mathilde, dont l’ampleur des relations n’a d’égal que l’affection qu’elle porte à son jeune neveu. Du côté de la veuve de François Blanc – qui, au décès de son époux, a pris en main la gestion de la Société des bains de mer – et de sa fille, on a peut-être été sensible au prestige du nom. Peut-être aussi a-t-on caressé le rêve un peu fou de l’arrivée au pouvoir d’un quatrième Napoléon. Qui sait de quoi l’avenir sera fait… ? Reste l’essentiel : en épousant, le 7novembre 1880, Marie-Félix Blanc, Roland Bonaparte se met à l’abri du besoin jusqu’à la fin de ses jours.
Rusée, machiavélique, Nina a
Installé à Saint-Cloud, non loin de Guyancourt, où le prince a reçu sa première affectation, le couple ne paraît pas avoir été très heureux. Recluse dans sa demeure de l’avenue du Calvaire – tout un symbole ! –, entourée d’un mari peu expansif et d’une belle-mère omniprésente, la jeune épouse de Roland coule des jours sans joie. Son destin sera, jusqu’au bout, peu enviable. Le 1er août 1882, Marie-Félix meurt en effet d’une embolie, un mois après avoir donné naissance à son unique enfant, une fille, Marie, future princesse de Grèce, future disciple de Freud et pionnière de la psychanalyse en France. Elle a tout juste 23 ans. « En a-t-il de la chance, Roland ! À présent toute la fortune est à lui ! », se serait écriée, le soir du drame, Nina Bonaparte, décidément bien inspirée ! Dans les jours qui suivent, la veuve du turbulent Pierre-Napoléon Bonaparte – il est mort à Versailles un an plus tôt – n’a rien de plus pressé que de venir emménager chez son fils à Saint-Cloud. À 24 ans, Roland Bonaparte a désormais l’avenir devant lui et une fabuleuse fortune pour lui permettre de réaliser ses désirs…
tout fait pour pousser la riche héritière dans les bras de son fils
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Le prince voyageur Géographe et botaniste… Telle est la nouvelle carrière que se choisit Roland Bonaparte au lendemain du décès de sa femme et alors que Nina a entrepris d’asseoir son autorité sur la maisonnée de Saint-Cloud. Une carrière toute trouvée pour cet homme discret et placide que semblent attirer depuis toujours les choses de l’esprit et qui cherche peut-être, par ce moyen, à fuir un passé compliqué et une mère étouffante. La géographie et la botanique… En cette fin de XIXe siècle, ces deux domaines sont à la mode. Les conquêtes coloniales et l’ouverture progressive du monde ont en effet ouvert des horizons nouveaux à tout ce que l’Europe compte d’aventuriers, d’esprits curieux et d’oisifs cultivés. Esprit scientifique du temps et positivisme obligent, savants et amateurs éclairés, notamment européens, se délectent à découvrir, observer, répertorier, classer et étudier tout ce qui peut l’être : les pays et leurs ressources, les espèces et les peuples, les coutumes et les rites… C’est à cette époque que naissent ou que se développent véritablement la sociologie et l’anthropologie ou bien encore la zoologie et la physique du globe, désormais érigées au rang de véritables sciences établies sur des bases théoriques solides. Chaque science ou presque a sa société savante, à l’image de la Société de géographie, fondée dès 1821, et dont Roland sera membre sans discontinuer de 1884 à 1924. Là, des messieurs à la mine grave débattent sérieusement de sujets graves intéressant l’humanité toute entière…
Chasse à la baleine en Laponie, 1884 Roland Bonaparte
Curieux, Roland Bonaparte aime observer,
est à gauche de profil.
classer et répertorier hommes et choses, fuyant peut-être une mère étouffante !
L’explorateur Sir Ernest Shackleton à Paris À l’Hôtel de Ville, Roland Bonaparte (derrière, au centre) reçoit avec d’autres scientifiques le célèbre explorateur britannique.
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Roland, l’ancien militaire à qui son rang, sa position et désormais sa fortune interdisent de travailler pour subvenir à ses besoins, s’intéresse à toutes ces sciences, se passionne même pour elles ! Esprit curieux et cultivé, il enchaîne les voyages et les publications. Dès 1883, il est à Amsterdam, où le gouvernement a organisé une importante exposition coloniale pour y exhiber les productions de ses territoires, mais aussi quelques « types humains exotiques ». Plusieurs jours durant, Roland mesure et photographie les représentants de ces races considérées alors comme « primitives », ce qui lui permet de publier à son retour un beau volume luxueusement édité pourvu de cartes et de photographies : Les habitants de Suriname. Notes recueillies à l’exposition coloniale d’Amsterdam en 1883. L’année suivante, à l’été 1884, il est en Laponie, aux confins de la Norvège, de la Suède et de la Finlande, pour effectuer des études
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Homme de l’ethnie Kali’na, Guyane française Photographie anthropologique de Roland Bonaparte, 1892.
Guerrier peau-rouge de l’ethnie Omaha, Amérique du Nord Photographie anthropologique de Roland Bonaparte,1883.
Pêcheur lapon, Norvège
Femme yoruba, Bénin
Photographie anthropologique de Roland Bonaparte, 1884.
Photographie anthropologique de Roland Bonaparte,1891.
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Homme lapon, Norvège Photographie anthropologique de Roland Bonaparte, 1884.
Femme lapone, Norvège Photographie anthropologique de Roland Bonaparte,1884.
Femme et enfant de l’ethnie Paï-Pi-Bri, Côte d’Ivoire
Guerrier peau-rouge de l’ethnie Omaha, Amérique du Nord
Photographie anthropologique de Roland Bonaparte,1893.
Photographie anthropologique de Roland Bonaparte,1883.
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anthropométriques sur les Lapons. Durant les six semaines que dure son séjour, accompagné de trois savants, d’un photographe et de deux domestiques, il prend plus de quatre cents photos, essentiellement des portraits de Lapons nomades et sédentaires dont il cherche à étudier les mœurs.
Roland Bonaparte (au centre, agenouillé) pendant son expédition en Laponie, 1884 Agenouillé face à une femme lapone, le prince savant est photographié en pleine « séance d’anthropologie physique ».
Mais sa curiosité ne s’arrête pas à l’Europe. Dans les années 1885, il s’embarque pour l’île Maurice et la Nouvelle-Guinée, d’où il rapporte plusieurs monographies. En 1887, et à nouveau en 1893, on le retrouve parcourant l’Amérique du Nord, du Canada au Mexique et de l’Atlantique au Pacifique. Périples immenses pour l’époque ! Dans ces étendues à l’échelle d’un continent, il se passionne pour les Indiens, prend des centaines de clichés, participe à plusieurs congrès et se fend même d’une communication sur la découverte de l’Amérique, avant Christophe Colomb et les Vikings… Plus tard, il financera de nombreuses missions visant à étudier « les anciennes races » du Nouveau Monde. Dans l’intervalle, il mène une grande expédition en Corse pour y recenser les hauts lieux historiques de l’île, les aménagements portuaires, les ressources économiques et quelques types humains qui lui semblent particulièrement intéressants. De Scandinavie et d’Europe, des États-Unis et de Corse, mais aussi de lieux plus inattendus – comme les Folies Bergère, où il photographie les « sauvages » mis en scène à l’occasion de soirées – Roland Bonaparte rapporte ainsi des milliers de clichés, dix-sept mille au total. Ses travaux aboutissent à la création d’une vaste « collection anthropologique » des diversités humaines, réalisée sous la forme d’albums photographiques regroupés par ethnies. « Indiens Galibis » (aujourd’hui Kali’na, Guyane), « habitants du Suriname », « Kalmouks » (peuple mongol), « Peaux-Rouges », « Lapons »… Chaque album peut rassembler jusqu’à une centaine de planches de clichés face et profil des membres d’un groupe ethnique. Quand il n’est pas sur le terrain à observer lui-même les mœurs et coutumes des populations locales, il écrit livres et brochures. De Les danseuses javanaises à la Notice bibliographique et cartographique sur l’Égypte moderne, en passant par Le premier établissement des Néerlandais à Maurice, L’éruption du Krakatoa, mai 1883, Les habitants de Suriname, Les documents de l’époque mongole des XIII et XIVe siècles
Aux États-Unis, en Laponie, en Nouvelle-Guinée, le prince se passionne pour
Vitrine exposant des photographies anthropologiques de Roland Bonaparte, 1889 Les collections du prince sont notamment présentées, cette année-là, à un congrès à Neuchâtel et à l’Exposition universelle de Paris.
les types exotiques
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Plante conservée dans l’herbier de Roland Bonaparte Cette espèce brésilienne a été achetée à un fleuriste parisien par Marie Bonaparte en 1901.
Dessin de jeunesse de Roland Bonaparte Le prince s’intéresse à la botanique dès ses jeunes années.
ou bien encore Les Assemblées démocratiques en Suisse, ses publications sont nombreuses et portent sur des sujets très variés. D’autant que le prince ne s’intéresse pas seulement à l’anthropologie. La nature, aussi, le passionne. Dans les années 1890, il multiplie ainsi les travaux sur le règne végétal et minéral, étudiant le mouvement des glaciers alpins et rassemblant une gigantesque collection d’herbes et de plantes ne comprenant pas moins de 700 000 fougères, 2 150 boîtes de graines et de fruits desséchés et 1 200 bocaux de fruits conservés dans l’alcool !
700 000 fougères,
Variés, éclectiques même, ces travaux ont vite fait d’imposer Roland Bonaparte parmi la communauté des savants de son temps. Dès 1884, il est reçu à la Société de géographie, dont il devient le président en 1910. Élu à l’académie des sciences en 1907, membre de la Société des gens de lettres, de la Société d’ethnographie, de la Société d’anthropologie, de la commission des glaciers et de l’Institut d’anthropologie, il est également président du Comité national français de géographie, de l’Union géographique internationale et de l’Institut international d’anthropologie… Respecté par ses pairs, connu en Europe mais aussi aux États-Unis, où ses publications font régulièrement l’objet de comptes rendus, le prince se révèle en outre un généreux donateur. Nombreuses seront les sociétés savantes, en France et en Europe, à bénéficier de ses largesses.
1 200 bocaux de fruits conservés dans l’alcool, 17 000 clichés…
Les collections réunies par Roland
Bonaparte sont considérables !
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La passion des airs
Planeur des frères Wright Vers 1902.
Aux sciences de la Terre et de l’homme, Roland Bonaparte ajoute une autre passion : celle des techniques nouvelles. La photographie, bien sûr, l’une des grandes conquêtes du XIXe siècle dont il est sans conteste l’un des pionniers en France. Mais aussi, ce qui est plus surprenant, l’aéronautique. Le XXe siècle est en effet celui de l’aviation, comme le siècle précédent avait été celui des chemins de fer. Depuis que le français Clément Ader a réalisé, en 1891 – mais sans autre témoin que ses employés – un premier vol à l’aide d’une machine volante pourvue d’un moteur, les expériences se sont multipliées. En 1903, dans les dunes de Kitty Hawk aux États-Unis, les frères Wright ont fait voler un avion sur près de 300 mètres, raflant au passage le titre de « pionniers de l’aviation », au nez et à la barbe des Français. En ce début de siècle, les grands noms de l’aviation s’appellent Alberto Santos-Dumont, Ferdinand von Zeppelin, Gabriel Voisin, Louis Blériot, ou bien encore Henry Farman. La multiplication des vols et l’amélioration des techniques ont fini par entraîner la création de sociétés spécialisées, établies sur le modèle des sociétés savantes. En 1898 est ainsi né l’AéroClub de France. Sept ans plus tard, en octobre 1905, afin de coordonner et de réglementer le sport aérien mais aussi d’homologuer les records internationaux, a été fondée à Paris la Fédération aéronautique internationale qui regroupe les aéro-clubs nationaux de tous les pays. C’est le prince Roland Bonaparte qui a été choisi pour assurer la présidence du nouvel organisme, tâche qu’il assumera consciencieusement jusqu’à sa mort en 1924. L’homme, pourtant, n’est pas un aviateur. Jamais de sa vie il ne montera dans un avion ! Mais le prestige de son nom vaut, à lui seul, toutes les introductions du monde, surtout à une époque où l’aviation est encore un sport pour gentlemen fortunés issus du meilleur monde. Nul doute également que Roland, ce grand voyageur devant l’Éternel, ait été fasciné par l’aéronautique naissante, qui permettait d’abolir les distances et de voir la Terre sous un autre angle…
Homme de son temps,
Roland Bonaparte se passionne
Biplan Voisin de Henry Farman Janvier 1908.
L’aviateur Henry Farman Roland Bonaparte se passionne pour les débuts de l’aéronautique.
pour les techniques nouvelles, notamment pour
l’aéronautique naissante
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L’
écrin des Bonaparte
La façade du 10, avenue d’Iéna Vers 1896.
En 1896, à l’aube du nouveau siècle, quittant sa demeure du 22 cours la Reine, ce grand savant qu’est devenu Roland Bonaparte emménage avenue d’Iéna dans son nouvel hôtel particulier, dont il a confié la réalisation à l’architecte Ernest Janty. Commencés en 1892, les travaux ne s’achèveront qu’en 1899. Mais qu’importe ! Dès son installation, le petitneveu de Napoléon Ier fait de ce lieu d’exception, que l’immense fortune de sa défunte épouse lui a permis de financer, un écrin pour lui, pour sa famille, mais surtout pour les sciences, sa seule véritable passion, son seul véritable centre d’intérêt. Lieu dédié au savoir pour le prince, signe éclatant de réussite pour l’acariâtre Nina, mais prison dorée pour Marie, l’hôtel de l’avenue d’Iéna s’impose rapidement comme un lieu incontournable de la vie mondaine parisienne…
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Le prince Roland Bonaparte en 1923 Photographie de A. Taponier.
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Une demeure digne d’un prince et d’un savant De cette nouvelle demeure, le prince Roland a tout supervisé, tout choisi, tout conçu, ou presque… L’emplacement d’abord. Des semaines durant en effet, Ernest Janty a, sur instruction du prince, arpenté les quartiers résidentiels de Paris, avant d’opter pour l’avenue d’Iéna, au sommet de la colline de Chaillot, à deux pas du Trocadéro. Outre que le lieu sonne comme un rappel glorieux de la légende napoléonienne – ce qui, assurément, ne peut que séduire Roland –, il se trouve à proximité de terrains que Napoléon Ier, jadis, avait acquis pour y édifier un palais pour le roi de Rome ; autre symbole riche de sens… Située dans l’ouest parisien – où Roland est né – l’avenue d’Iéna est en outre, et ce n’est pas négligeable, fort bien habitée ! Percée en 1858 – l’année même de la naissance de Roland Bonaparte – en lieu et place d’une ancienne rue du village de Chaillot – où se trouvait, jadis, le pavillon du roi Henri IV et de Gabrielle d’Estrée – l’avenue a en effet vu s’édifier, tout au long des années 1880 et 1890, une série d’hôtels particuliers de haute facture, à l’image de celui construit en 1884 pour l’homme politique Daniel Wilson, de l’hôtel Sanchez de Larragoiti ou bien encore de l’hôtel réalisé pour le critique et collectionneur d’art Charles Ephrussi.
Roland Bonaparte veut une demeure digne de son rang et de sa fortune
Roland Bonaparte sur la terrasse de son hôtel particulier Côté Seine, le bâtiment offre une vue unique sur le fleuve et la tour Eiffel.
Le grand salon du 10, avenue d’Iéna De style Louis XIV et accueillant à l’époque un portrait de Napoléon Ier, il est le lieu de nombreuses réceptions.
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Roland Bonaparte dans sa bibliothèque Abritant 200 000 volumes environ, l’immense bibliothèque occupe quatre galeries.
Bien située et fréquentée par le meilleur monde, l’avenue d’Iéna correspond donc pleinement aux vœux de Roland Bonaparte, soucieux de tenir son rang, mais aussi à ceux de sa mère, l’implacable Nina, dont la soif de paraître n’a d’égale que la volonté de faire oublier ses origines faubouriennes. L’hôtel particulier répond aux mêmes objectifs. De fait, Roland Bonaparte a vu grand ! À Ernest Janty, le prince a en effet demandé de bâtir un lieu spectaculaire, représentatif de sa grandeur et de sa richesse et où l’élégance et le raffinement ne feraient qu’un. Alors que l’architecte pensait initialement concevoir un bâtiment classique, dans le style Empire, Roland impose ainsi un style décalé, un rien baroque, qui éclate pleinement dans l’ornementation des façades et qui, dès son inauguration, suscite la curiosité et l’admiration des Parisiens.
C’est donc là, dans cette demeure digne du prince qu’il est et qui couvre une superficie de près de 2 800 mètres carrés, que Roland Bonaparte, sa mère et sa fille emménagent dans le courant de l’année 1896. La résidence a été bien conçue. Organisée à partir d’un vaste rez-de-chaussée, elle offre au prince et à sa famille de confortables appartements privés ainsi que de larges espaces de réception. Car Roland, en digne représentant d’une famille qui a marqué l’histoire de France, reçoit, et même beaucoup. Des explorateurs, bien sûr, mais aussi des parents – la princesse Mathilde, la bienfaitrice du prince, est notamment une habituée des lieux – et des amis proches, sans compter bien sûr les innombrables relations qu’un homme de la stature de Roland Bonaparte n’a pu manquer de se faire dans tout ce que Paris compte de grandes figures des arts, de l’industrie ou de la politique. Respecté pour ses travaux, son nom et son statut social, Roland reçoit brillamment, laissant sans doute à sa mère Nina le soin d’organiser les réceptions et de jouer les maîtresses de maison…
Chiffre couronné de Roland Bonaparte Il est notamment gravé sur son papier à lettre.
Dans son hôtel, Roland reçoit beaucoup : amis, savants, parents mais aussi
Surplombant la rue Fresnel, les galeries monumentales sont, elles, destinées à accueillir le cabinet d’études, les collections et, surtout, la bibliothèque du prince. Celle-ci est immense, unique, même, à Paris ! Abritée dans quatre salles ornées de riches boiseries, elle n’accueille pas moins de 200 000 volumes, brochures et autres imprimés, signe de la grande curiosité d’esprit, de la rigueur intellectuelle et du goût pour la classification des savoirs qui anime Roland Bonaparte. Commencée à l’époque où le prince habitait cours la Reine, la bibliothèque s’est, au fil des années, enrichie de multiples dons et de nombreuses acquisitions effectuées chez des libraires français ou étrangers. Désireux d’accueillir savants et universitaires, Roland Bonaparte a même aménagé avenue d’Iéna une salle de lecture placée sous la responsabilité d’un bibliothécaire.
grands noms des arts, de l’industrie et de la politique
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Une prison dorée Accaparé par ses multiples fonctions, le prince n’a guère de temps à consacrer à sa fille Marie. Ainsi d’ailleurs le veulent l’époque et le milieu. Un homme du rang et de la stature de Roland Bonaparte ne saurait s’abaisser à s’occuper, du moins dans le détail, d’une enfant… Avenue d’Iéna, c’est donc Nina, la mère envahissante, qui gère la maison et s’occupe de l’éducation de la petite Marie.
Marie Bonaparte et ses poupées La petite fille connaît une enfance plutôt solitaire.
La future princesse de Grèce a raconté son enfance aux côtés de sa grand-mère, cette ambiance faite de ragots d’office, de ladrerie, de sécheresse de cœur, de suspicion généralisée et de raideur qu’impose à tous « Bonne-Maman ». Les petits bébés n’intéressant pas la vieille Nina, Mimi – comme on surnomme la petite Marie – est confiée aux soins d’une nourrice, une certaine Rose Boulet, qui finit par être renvoyée pour « impertinence » envers l’aïeule. Quelques années plus tard, c’est au tour de sa remplaçante, Lucie « avec son jeune minois riant auréolé de frissons noirs légers », d’être congédiée… La vieille Nina, décidément, se montre bien intraitable. Pour ne rien arranger, la petite Marie ne peut être préservée de cette rumeur récurrente qui veut que sa mère, la malheureuse Marie-Félix, ait été supprimée par son père et sa grand-mère pour leur permettre de faire main basse sur l’or des Blanc… De quoi traumatiser les cœurs les plus endurcis…
Autoportrait de Marie Bonaparte adolescente Datant de 1898, il porte la dédicace suivante : « À mon cher Papa ».
L’âge venant, Marie Bonaparte est retirée des mains de ses éphémères nourrices pour être confiée à celles de précepteurs et de professeurs particuliers. Leur mission : offrir à l’adolescente un enseignement digne des meilleurs lignages. Cette fois encore, c’est Nina qui prend les choses en main. Redoutant « la vengeance des examinateurs républicains » envers le « nom maudit des Bonaparte », « BonneMaman » s’oppose en effet à ce que Marie se présente aux épreuves du brevet élémentaire, qu’elle a pourtant préparé d’arrachepied. « Pour t’éviter une humiliation et des déceptions inutiles », tranche, péremptoire, la vieille femme. « Malédiction de mon nom, de mon rang, de mon or ! Malédiction surtout de mon sexe ! Car si j’avais été un garçon, on n’eût pu m’empêcher de me présenter au baccalauréat, malgré mon nom, comme autrefois Papa, qui d’ailleurs n’échoua pas... », se plaindra plus tard Marie…
Tyrannique, Nina règne sur la maisonnée, imposant une atmosphère de suspicion, de ragots et de ladrerie dont Marie souffrira toute sa jeunesse !
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Marie Bonaparte et son père La jeune fille est alors en pleine adolescence.
Dans la cour du 10, avenue d’Iéna Sur une échelle dans la cour, la jeune Marie Bonaparte pose avec des professeurs particuliers et les enfants du bibliothécaire du prince Roland.
Marie Bonaparte, à Nice en 1905 La jeune femme a alors
Marie Bonaparte en 1906
23 ans.
En robe de bal dans l’escalier du 10, avenue d’Iéna.
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Un père absent mais chatouilleux sur l’honneur de sa famille Roland Bonaparte sait-il ce qui se passe sous son toit ? Et d’ailleurs, s’en préoccupe-t-il ? On peut en douter. L’homme, comme beaucoup de contemporains de son milieu, préfère ses livres et ses herbiers aux trivialités du ménage. L’été venu, il emmène famille et domestiques dans les Alpes bernoises, où il se livre à son activité favorite, l’étude des minéraux et des végétaux, laissant carte blanche à sa mère pour s’occuper des contingences matérielles…
Diadème porté par Marie Bonaparte lors de son mariage Il fut commandé pour l’occasion avec d’autres bijoux à la maison Cartier.
Absent et très influencé par sa mère, Roland Bonaparte n’en reste pas moins conscient de son rang et de l’honneur de sa famille. Lorsque vient l’heure de choisir un époux pour sa fille Marie, il impose à cette dernière le prince Georges de Grèce, fils du roi des Hellènes. « Vous avez tort. Vous ne retrouverez jamais un pareil parti. Outre sa situation sociale, le prince Georges est un homme sérieux, charmant, et tel que bien des pères le voudraient pour leur enfant », réplique Roland Bonaparte à sa fille qui se braque. En 1907, Marie finira cependant par épouser cet homme qui ne s’intéressera jamais vraiment à elle en tant que femme. Uni par une longue amitié plus que par des liens charnels – Marie aura d’ailleurs plusieurs liaisons – le couple aura tout de même deux enfants.
« Le prince Georges est un homme sérieux, charmant, et tel que bien des pères le voudraient pour leurs enfants »
Fiançailles de Georges de Grèce avec Marie Bonaparte Immortalisé par une photo dans le salon bleu, l’événement fait la une de
La princesse Pierre Bonaparte et ses petits-enfants
L’Illustration du
Marie Bonaparte et sa grand-mère posent en famille
7 septembre 1907.
dans le salon bleu.
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Marie Bonaparte, la « princesse du divan »
Marie Bonaparte et Sigmund Freud, 1937 La princesse filme son psychanalyste dans
Une grand-mère acariâtre, un père absent, des amours contrariées, un époux indifférent à ses charmes… Comment s’étonner que Marie Bonaparte soit devenue l’une des toutes premières disciples de Sigmund Freud, l’inventeur de la psychanalyse ? Née en 1882 à SaintCloud, Marie Bonaparte est élevée par une armée de domestiques, sous l’autorité tyrannique de sa grand-mère, la redoutable Nina. Pour échapper à cette atmosphère étouffante, la jeune fille se réfugie dans la lecture et les jeux solitaires. Privée d’affection, Marie est également privé d’amour le jour où le secrétaire corse de son père dont elle s’est entichée tente de faire chanter Roland Bonaparte en le menaçant de rendre publiques les lettres d’amour enflammées que sa fille lui a adressées. Le digne savant en sera quitte pour 100 000 francs.
son bureau de Vienne, en Autriche.
C’est cette jeune fille perturbée qui, en 1907, sous la pression de Roland, épouse le prince Georges de Grèce à qui elle donnera deux enfants mais qui, très vite, se contente d’une relation d’amitié avec sa femme. Livrée à elle-même, Marie multiplie alors les liaisons. Avec le médecin sociologue Gustave Le Bon, qui lui fait découvrir les œuvres de Freud, mais aussi avec l’homme politique Aristide Briand. Fascinée par les écrits de Freud, elle commence elle-même à écrire. Elle publie ainsi en 1924, sous le pseudonyme A. E. Narjani, un article sur les causes de la frigidité chez les femmes.
En 1925, Marie fait la connaissance de Freud,
En 1925, Marie fait la connaissance de Freud, qu’elle est venue consulter au lendemain de la mort de son père. Cette psychanalyse durera jusqu’en 1938, un record ! L’intimité qui se crée peu à peu avec le grand savant viennois et son influence mondaine et sociale imposent rapidement Marie comme la représentante officieuse de Freud en France. Dès 1926, elle participe ainsi à la fondation de la Société psychanalytique de Paris. Elle pratique en outre elle-même la psychanalyse, à Paris et à Saint-Cloud, recevant ses patients dans une chaise longue tout en tricotant ! Au moment de l’Anschluss, elle aide Sigmund Freud à se réfugier à Londres. En 1940, elle prend elle aussi le chemin de l’exil. Revenue en France après la guerre mais déçue par les querelles qui déchirent les héritiers de Freud, elle prend ses distances avec la Société psychanalytique de Paris et se consacre à la lutte contre la peine de mort. Atteinte d’une leucémie, elle meurt à Saint-Tropez en 1962.
Sigmund Freud
qu’elle est venue consulter
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U
n tourbillon de divertissements et d’inventions La Belle Époque. L’expression rend bien compte du tourbillon d’innovations et d’inventions en tous genres qui caractérisent les vingt années précédant la Première Guerre mondiale. C’est le temps de l’acier, de l’électricité et de l’automobile naissante, du cinéma et des cafés-concert, de l’Art nouveau et des expositions universelles… C’est aussi le temps des colonies et de la séparation de l’Église et de l’État, de la « lutte des classes » et de l’anarchisme… Placée sous le signe de la foi dans le progrès, cette époque est, pleinement, celle de Roland Bonaparte – homme de science et de savoirs – et son hôtel de l’avenue d’Iéna
Palais de l’Électricité à Paris, Exposition universelle de 1900
en symbolise, à lui seul, toutes les audaces.
Émerveillés, les visiteurs découvrent l’intérieur illuminé du bâtiment.
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Le célèbre danseur russe Vaslav Nijinski Motif floral Art nouveau
Photographie de 1910.
Aquarelle d’Émile Gallé.
Danseuses de french cancan Détail d’une carte postale.
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Sa Majesté le progrès Le progrès : dans les sciences, dans les arts, dans l’industrie, de la condition humaine… Cette foi en l’homme, cette conviction que la civilisation ne peut aller que vers un avenir chaque jour meilleur, rares sont les contemporains de Roland Bonaparte, au tournant du nouveau siècle, à ne pas les partager. Le prince aussi ne doute pas un instant que le progrès ne guide la marche de ses semblables. Homme de science et d’études, n’est-il pas lui-même, par ses travaux, l’un des plus dignes représentants de l’esprit nouveau, où le positivisme – la croyance dans la toutepuissance de la science – va de pair avec le scientisme – qui dit que la science peut tout expliquer ? L’époque, il est vrai, prête à l’optimisme : à partir de 1895-1896, la France Thomas Edison entre en effet dans une phase de croissance économique très forte qui ne prendra fin qu’avec le grand cataclysme de 1914. « Seconde révolution Le prolifique inventeur américain pose dans son laboratoire industrielle » : tel est le nom donné du New Jersey en 1915. à cette période d’intenses mutations économiques. Alors que la première révolution industrielle s’était édifiée sur le charbon et la vapeur, la seconde a pour principaux moteurs la sidérurgie et l’électricité. Depuis que l’invention du convertisseur Bessemer (1855) – un procédé permettant de convertir en grande quantité de la fonte en acier – a entraîné une baisse spectaculaire des coûts de production, l’acier s’est imposé comme le matériau de construction privilégié. La construction de la tour Eiffel le démontre amplement.
L’acier et la fée électricité s’imposent
partout, symbolisant la foi dans le progrès de toute une époque
Audacieuse, la sidérurgie se lance également dans la fabrication d’alliages nouveaux et d’aciers spéciaux, ouvrant la voie à d’innombrables applications. Quant à l’électricité, portée par de récentes découvertes – la dynamo de Gramme en 1871, la lampe d’Edison en 1879… –, elle connaît un premier âge d’or. Moteurs électriques, grands réseaux urbains, transports Aff iche publicitaire pour des lampes électriques Vers 1895.
Sous-station électrique alimentant le réseau parisien Photographie de 1911.
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Marcel Renault en pleine course, 1903 La voiture du constructeur automobile file à pleine vitesse lors de la course ParisMadrid, quelques minutes avant un accident qui lui sera fatal.
Avec l’automobile, Peugeot, Renault, Panhard et Levassor inventent un nouveau moyen pour abolir le temps et l’espace
Vue en coupe d’une station parisienne de métropolitain Carte postale, vers 1900.
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– la Belle Époque voit la construction de lignes de tramways et du métropolitain de Paris –, éclairage domestique, etc. : la nouvelle énergie s’impose partout, faisant de la « fée électricité » le symbole de toute une époque… Est-ce la foi en l’avenir, une conséquence de l’essor des nouvelles techniques, ou, plus sûrement, un peu des deux ? Reste que la Belle Époque est marquée par toute une série d’inventions qui bouleversent en profondeur le mode de vie des Français. Celle de l’automobile d’abord, qui naît au même moment ou presque que l’aviation. C’est en effet au tournant des années 1890 qu’apparaissent les premiers constructeurs de voitures propulsées par un moteur à explosion. Armand Peugeot, Panhard et Levassor, Louis Renault, Georges Bouton, Georges Latil…, tels sont, en France, les pionniers de l’automobile. Bien que très chère encore, elle enthousiasme littéralement les foules, qui se pressent, chaque année plus nombreuses, pour assister aux compétitions et aux courses organisées par quelques amateurs de vitesse et de sensations fortes. Faute de pouvoir encore s’offrir l’un de ces « engins », les classes
Cyclistes au bois de Vincennes, vers 1895 La « petite reine » séduit les Parisiens.
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Construction du métro parisien Place Saint-Michel, 1905.
moyennes et populaires se rabattent sur la bicyclette, la fameuse « petite reine », qui fait elle aussi figure de symbole des temps nouveaux et que la création du Tour de France, en 1903, achève de populariser. L’abrogation des distances et le gain de temps participent également de cette mythologie du progrès qui anime toute une époque…
Avec ses images animées,
Autre invention promise à un bel avenir, située dans le prolongement direct de la photographie – un art qu’apprécie tout particulièrement Roland Bonaparte – : le cinéma. C’est en décembre 1895, dans le Salon indien du Grand Café de Paris, que les frères Lumière font, pour la première fois, fonctionner leur célèbre « cinématographe ». Avec ses images animées reproduisant presque parfaitement le mouvement, le procédé rencontre immédiatement un immense succès. Dans les semaines qui suivent cette première projection, les gérants du musée Grévin et des Folies Bergère multiplient les offres alléchantes pour se procurer l’appareil des frères Lumières. En vain… Parfaitement conscients du potentiel de leur invention, ceuxci déclinent toutes les propositions qui leur sont faites, conservant pour eux les droits d’exploitation sur leur invention, qui, en quelques années, fait le tour du monde…
le cinématographe
des frères Lumière suscite
Auguste et Louis Lumière à côté d’une publicité pour le cinématographe L’affiche rappelle leur première projection à Paris en 1895.
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l’enthousiasme des foules
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Plan en coupe du métro sous la Seine, 1905
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À Paris, le métro traverse la Seine en souterrain entre les stations Châtelet et Cité, puis entre les stations Cité et Saint-Michel.
Comment s’étonner, dans ces conditions, que les contemporains de Roland Bonaparte aient eu le sentiment de vivre dans une époque sans précédent, une époque où les merveilles de la technologie semblaient repousser toujours plus loin les frontières du possible ? Au début du XXe siècle, Paris fait figure, en Europe mais aussi partout ailleurs, de capitale du monde moderne. Dans les rues, les omnibus à chevaux cèdent la place aux tramways électriques, et bientôt aux taxis; la première ligne de métropolitain est inaugurée en 1900 ; l’éclairage électrique remplace les becs de gaz dans les grandes artères. Des réalisations architecturales, construites avec des matériaux modernes – béton, fer et verre – embellissent la capitale, à l’image de la gare et de l’hôtel d’Orsay, du pont Alexandre- III, ou bien encore du Grand Palais et du Petit Palais. De cette modernité qui enthousiasme les contemporains et qui caractérise la Belle Époque participent également les immenses progrès dans les domaines de la santé, de la physique et de l’éducation. Dans la foulée des travaux menés par Louis Pasteur – qui meurt en 1895 –, l’hygiène et la médecine connaissent en effet des progrès spectaculaires, entraînant une augmentation sensible de la durée de vie des adultes et une baisse non moins sensible de la mortalité infantile. Dans le même temps, les travaux de Pierre et Marie Curie – prix Nobel de Physique en 1903 – aboutissent à la découverte de la radioactivité. Une découverte qui marquera les décennies à venir, pour le meilleur comme pour le pire. Mieux soignés, mieux nourris, les Français sont également mieux éduqués. Depuis que les lois Ferry de 1881-1882 ont rendu l’école primaire gratuite et obligatoire, la scolarité n’a cessé de progresser, entraînant une baisse régulière de l’analphabétisme.
L’hygiène et la médecine connaissent en effet des progrès spectaculaires
Pierre et Marie Curie en 1896 Les physiciens français dans leur premier laboratoire, à Paris. Photographie de A. Harlingue.
Louis Pasteur dans son laboratoire Peinture de A. Edelfelt, 1889.
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Le temps de toutes les audaces artistiques Pendant que la science, l’industrie et la technique conjuguent leurs efforts pour offrir au monde un avenir meilleur, artistes et intellectuels multiplient les audaces créatrices. Le meilleur symbole de ce foisonnement est, sans conteste, l’Art nouveau, né à Londres aux alentours de 1880 et qui, en France, connaît son apogée entre 1890 et 1905. « Réaliser l’unité de l’art et de la vie » : tel est l’un des objectifs déclarés de ce mouvement qui entend prendre le contre-pied de l’industrialisation à outrance. En prenant la nature comme référence, en multipliant les décors à base de fleurs, d’arbres, d’insectes et d’animaux, en privilégiant la courbe sur la ligne droite, les pionniers de l’Art nouveau – notamment Hector Guimard, Émile Gallé et Louis Majorelle – affichent haut et fort leur intention de s’écarter du rationalisme froid et puritain de leur époque. Cette philosophie se révèle pleinement dans les fameuses entrées de métro d’Hector Guimard, dont l’objectif, comme le souligne un journaliste de l’époque, est de « cacher la laideur en dessous ». C’est en 1899 que l’architecte a obtenu de la Compagnie générale des transports l’autorisation de réaliser les bouches d’entrée du métropolitain, qui, au moment de son inauguration en 1900, comptera six lignes, d’une longueur totale de 70 kilomètres. Utilisant l’acier et le verre, forgeant des décors en forme de plantes, Guimard offre aux Parisiens – d’abord
En prenant la nature comme
modèle, l’Art nouveau entend rompre avec l’industrialisation à outrance de la Belle Époque
Lampe Nénuphar créée par Louis Majorelle Vers 1902.
Aff iche publicitaire peinte par Alfons Mucha, 1896 Passée à la postérité, l’affiche présente la pièce « La Dame aux camélias », jouée par la non moins célèbre Sarah Bernhardt.
Entrée de la station de métro Bastille, par l’architecte Hector Guimard Carte postale, vers 1900.
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Restaurant de la Machine à Bougival, Maurice de Vlaminck, 1905 Avec d’autres toiles présentées au Salon d’automne de 1905, l’œuvre fonde l’acte de baptême du fauvisme.
ébahis, puis très vite séduits – une rupture forte avec les bâtiments de style classique dont ils ont, depuis des lustres, l’habitude.
L’Estaque, route tournante, André Derain, 1906 Ses couleurs vives et
Cette volonté d’aller à l’encontre de l’idéologie dominante se retrouve également dans les arts picturaux et les lettres. Marqué par des audaces dans le choix des couleurs et une réhabilitation de l’instinct, le fauvisme, né au début du siècle et dont les peintres Matisse, de Vlaminck, van Dongen et Derain sont les représentants les plus emblématiques, marque une telle rupture dans les « canons » artistiques de l’époque qu’il suscite un véritable scandale lors de son apparition officielle, en 1905. Tout comme, d’ailleurs, le cubisme, né en 1907 à l’initiative des peintres Georges Braque et Pablo Picasso et qui entend « traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône ». La littérature elle-même reflète la diversité intellectuelle de l’époque. Foisonnante, elle se fait fantaisiste avec Léon Bloy et Octave Mirbeau, accusatrice avec Émile Zola, traditionaliste avec Paul Bourget et Maurice Barrès ou résolument confiante dans le progrès avec Romain Rolland et Anatole France. Peintres et écrivains venus du monde entier se retrouvent dans les cafés du quartier Montparnasse, comme la Closerie des Lilas, où la bourgeoisie s’encanaille auprès d’artistes désargentés et de danseuses affriolantes et que fréquentent régulièrement Émile Zola et Pablo Picasso. Capitale de la modernité, Paris s’impose ainsi, au tournant du siècle, comme celle des arts, mêlant académisme et avant-garde.
audacieuses font de lui l’un des grands représentants du fauvisme.
Audace dans les couleurs et les
formes, réhabilitation de l’instinct…, les arts rompent avec les codes
de la culture classique
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« J’accuse » par Émile Zola Publiée dans L’Aurore du 13 janvier 1898, la lettre ouverte de l’écrivain au président de la République relance l’affaire Dreyfus.
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Une quête effrénée de plaisirs Portés par leur foi dans le progrès, émerveillés par toutes les nouveautés que leur offrent la science et l’industrie, les contemporains de Roland Bonaparte découvrent avec ravissement les nouveaux lieux de plaisir qui surgissent un peu partout dans la capitale. Au tournant du siècle, Paris est réputé dans le monde entier pour ses cabarets et ses cafés-concerts. Il est vrai que la ville en compte plus de 260, un record ! Les établissements les plus connus et les plus fréquentés sont le Chat Noir et les Folies Bergère. Situé au pied de la butte Montmartre, le Chat Noir est l’un des lieux de prédilection du Tout-Paris, « l’olla-podrida de tous les styles et Affiche du Moulin Rouge devant le Moulin Rouge de toutes les extravagances, le “décrochez-moiLa danseuse La Goulue y attire le public. Carte postale, vers 1900. ça” de la brocante artiste, de tout un quartier Illustration de Henri de Toulousede rapins et de poètes, un musée picaresque et Lautrec, 1891. baroque de toutes les élucubrations de bohèmes venues s’échouer toutes là durant vingt ans, de toutes ces épaves », selon l’écrivain Jean Lorrain. Accueillis par un Suisse splendidement chamarré, les clients y croisent les grands noms de l’époque, les peintres Toulouse-Lautrec, Steinlen, Willette et Henri Pille, les chansonniers Aristide Bruant et Jules Jouy ou bien encore l’humoriste Alphonse Allais, le tout dans une joyeuse atmosphère faite de bohème et d’esprit bon enfant. Entre deux verres d’absinthe, on s’y interpelle bruyamment, moquant sans retenue les « têtes nouvelles ». « Qu’est-ce que t’as fait de ta poule d’hier », lance-t-on ainsi au bourgeois visiblement accompagné de sa femme. Habitué des lieux, le futur roi Édouard VII d’Angleterre se sera vu apostrophé, lors de sa première visite, d’un retentissant « Eh bien regardez-moi celui-là : on dirait le prince de Galles tout pissé ! »
Capitale de tous les plaisirs,
Danseuses des Folies Bergère Couverture d’un programme datant des années 1890.
Paris ne compte pas moins de
260 cabarets et cafés-concerts
Affiche d’un café-concert parisien La bonne société s’y presse à la fin du XIXe siècle.
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Tout aussi célèbres, les Folies Bergère, situées dans le neuvième arrondissement de Paris, présentent aux clients toutes sortes de spectacles : chanteurs et danseurs, clowns et jongleurs, filles en tenues moulantes émergeant de gigantesques gâteaux à la crème… On y fume, on y mange et on y boit à toute heure du jour et de la nuit, sans aucune forme de cérémonie. Étudiants et bourgeois en goguette viennent y chercher des amusements immédiats, des amitiés éphémères ou quelque fille facile. Le soir venu, les couche-tard et les fêtards vont finir la nuit dans l’un de ces music-halls qui ont ouvert
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Aff iche du cabaret le Chat Noir Illustration de T.-A. Steinlen, 1896.
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Seule, Henri de Toulouse-Lautrec, 1896 Grand peintre de la vie moderne, l’artiste saisit ici le monde de la prostitution en une magnifique esquisse sur carton.
Publicité pour l’absinthe Robette, 1896 Cet apéritif puissant connaît un vif succès dans les cafés parisiens, avant d’être interdit en 1915.
leurs portes dans la capitale, à l’image de l’Olympia, inauguré en 1893. Cirques, ballets et opérettes se succèdent dans un tourbillon incessant de divertissements et d’extravagances. À ces spectacles un rien canailles, le bourgeois, lui, préfère les Ballets russes de l’impresario Serge Diaghilev, les comédies de boulevard de Feydau et de Courteline ou bien encore… la fréquentation des maisons closes ! Car la Belle Époque, plus encore que le Second Empire, est la grande époque de la prostitution. Aux courtisanes de grand luxe et aux cocottes parisiennes ont succédé les maisons closes, qui, à Paris, prolifèrent littéralement. Tolérés par la police – qui y trouve un vivier d’indicateurs unique en son genre –, ces établissements font régulièrement l’objet de scandales. C’est ainsi qu’en 1888, un médecin du nom de Louis Fiaux publie une étude intitulée « Casier judiciaire et maisons de tolérance », dans laquelle il révèle, preuves à l’appui, de nombreux cas de corruption, de proxénétisme, d’ivrognerie et de débauche dans lesquels des policiers ont été impliqués en tant que contrôleurs des maisons closes. Des maires s’indignent, dénonçant le comportement scandaleux des policiers ayant partie liée avec les tenanciers d’établissements. En l’espace de quelques semaines, pas moins de trente-deux agents de police sont révoqués ! La presse populaire se régale de cette affaire, qui révèle les dessous pas toujours reluisants de la Belle Époque…
Rafle dans un hôtel garni à Paris Le Petit Journal, août 1895.
À Paris, les maisons closes prolifèrent, attirant le bourgeois et
suscitant d’énormes scandales
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Les ombres de la Belle Époque La nouvelle fait grand bruit ! Le 9 décembre 1893, en pleine séance, une bombe explose à la Chambre des députés, faisant de nombreux blessés parmi les élus de la nation. « Messieurs, la séance continue. Il est de la dignité de la Chambre et de la République que de pareils attentats ne troublent pas les législateurs », lance, imperturbable, le président de la Chambre. L’homme qui a lancé la bombe est un anarchiste de 33 ans, Auguste Vaillant.
Les anarchistes contestent la société bourgeoise par la violence
Attentat à la Chambre des députés, 9 décembre 1893 L’anarchiste Auguste Vaillant y lance une bombe en pleine séance. Gravure.
Car la Belle Époque, avec son tourbillon de plaisirs et d’innovations, ne fait pas que des heureux. Fruit de la seconde révolution industrielle, l’industrialisation accélérée du pays commence en effet à susciter des tensions dans les grandes usines françaises, nourrissant le syndicalisme naissant et favorisant la création, en 1905, du parti socialiste. L’heure de la « lutte des classes » a sonné… Mais ce sont surtout les « exploits » des anarchistes qui marquent le plus les esprits. Prétendant s’inspirer de Proudhon et de Bakounine, deux penseurs en rupture de ban, ils entendent en effet contester, par la violence, la société bourgeoise et industrielle de la fin du XIXe siècle. Au début des années 1890, François Ravachol commet ainsi quatre attentats à la dynamite dans la capitale avant d’être arrêté. Un peu plus tard, Émile Henry jette une bombe à la terrasse d’un café parisien, blessant une vingtaine de personnes. Tel est le monde de la Belle Époque. Un monde plein de nouveautés techniques et d’audaces artistiques qui contribuent largement au rayonnement de la France dans le monde. Nul doute que le prince savant n’ait pas adhéré à toutes les avant-gardes de son époque. Mais il est trop curieux pour ne pas se laisser séduire par certaines de ses inventions les plus étonnantes.
Jean Jaurès, avril 1913 Au cours d’une célèbre manifestation,
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le leader du tout nouveau parti socialiste français
Procès du militant anarchiste Ravachol
harangue la foule sous un drapeau rouge.
Gravure publiée dans
Photographie de M. Branger.
L’Illustration, avril 1892
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G
ustave Eiffel, le magicien du fer
Gustave Eiffel symbolise, à lui tout seul, les audaces architecturales de la Belle Époque. Ingénieur génial et homme d’affaires avisé, ce contemporain de Roland Bonaparte transfigure littéralement le fer qui devient, dans les dernières années du XIXe siècle, l’un des matériaux de construction les plus innovants et les plus nobles. Gustave Eiffel aurait pu être voisin de Roland Bonaparte, cet autre grand esprit de la Belle Époque. Jusqu’en 1890 en effet, date de son déménagement dans un somptueux hôtel particulier de la rue Rabelais, le magicien du fer habite une belle demeure située non loin du Trocadéro, à quelques dizaines de mètres de l’avenue d’Iéna. Afin de dégager la vue sur la tour Eiffel, inaugurée en 1889, l’ingénieur aurait, dit-on, fait araser les parties supérieures des immeubles situés dans l’axe de la « dame de fer ». Un signe de la puissance et du prestige qui entourent alors le nom d’Eiffel…
Plan du viaduc de Garabit L’ouvrage ferroviaire conçu par Eiffel en 1884 enjambe les gorges de la Truyère, dans le Cantal.
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Gustave Eiffel, vers 1889 Photographie de Maus et Michaud.
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Le pionnier du fer Gustave Eiffel aurait dû être chimiste… Lorsqu’il naît à Dijon en 1832, son père est officier et sa mère tient un prospère commerce de bois et de houille. Élève brillant, Gustave semble promis à un bel avenir. Pourquoi pas Polytechnique ? Envoyé à Paris en 1850 pour y préparer le concours, le jeune provincial est finalement recalé à Polytechnique mais admissible à l’École centrale des arts et manufactures en 1852. Il en sort trois ans plus tard avec une spécialisation en chimie. Son idée est de reprendre la petite usine de teinture industrielle que tient l’un de ses oncles. Mais l’affaire ne se fait pas. À 23 ans, le jeune ingénieur est en quête d’un avenir…
Gustave Eiffel vers 1861 Avant ses trente ans, il se fait connaître par la
Ingénieur brillant,
construction du C’est grâce à sa mère que Gustave Eiffel fait son entrée pont de Bordeaux. dans l’industrie de la métallurgie, une discipline qu’il a étudiée à Centrale. Elle le met en effet en rapport avec l’homme d’affaires et ingénieur Charles Nepveu. Pionnier de l’utilisation de l’air comprimé pour les forages, ce francmaçon très lié aux frères Pereire dirige à Paris une entreprise de construction métallique. Gustave Eiffel y entre en février 1856. Las ! Trois mois plus tard, l’affaire est au bord de la faillite et Nepveu sur le point de se suicider ! L’industriel reprendra finalement le dessus. Touché par la fidélité que Gustave lui a manifestée, il lui propose de le faire entrer à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, que contrôlent les Pereire, tout en continuant de collaborer avec lui pendant ses temps libres. Voilà donc le jeune ingénieur partageant son temps entre la Compagnie et Charles Nepveu, avec lequel il travaille sur le projet d’un pont métallique à Bordeaux pour le compte de la Compagnie du Midi des frères Pereire. Surtout, Eiffel participe étroitement École centrale de Paris, xixe siècle aux négociations que mène son protecteur avec Gustave Eiffel y a fait ses études. les Pauwels, des industriels belges du fer auxquels il pense revendre son usine pour financer le pont de Bordeaux. Lorsqu’enfin la transaction est conclue, en 1857, Gustave Eiffel a tout lieu de se réjouir. Les Pauwels, qui l’apprécient, le nomment en effet responsable des travaux du pont de Bordeaux. Piètre gestionnaire, Charles Nepveu, lui, doit partir…
Gustave Eiffel se fait
rapidement remarquer par sa maîtrise technique et ses talents d’organisateur
Pont métallique de Bordeaux Construit entre 1858 et 1860, c’est la première grande réalisation de Gustave Eiffel. Peinture de C. Chambon.
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Marie Eiffel, née Gaudelet Elle épouse Gustave Eiffel en 1862. Photographie de A. Brandt.
La réalisation du pont de Bordeaux marque les véritables débuts de Gustave Eiffel. Lorsque ce dernier prend ses fonctions sur place, cela fait plus d’un demisiècle déjà que le métal est utilisé pour la construction des ponts et des bâtiments. Conçu par l’ingénieur anglais Abraham Darby à la fin du XVIIIe siècle, le principe du pont métallique a rapidement gagné la France, où le premier pont construit en métal – celui des Arts – est inauguré en 1803. À Bordeaux, où il s’est installé pour mener à bien la construction du pont sur la Garonne, Gustave Eiffel se fait d’emblée remarquer par sa grande maîtrise technique et ses talents d’organisateur. Dans le monde encore très petit des ingénieurs spécialisés, il sait également se faire apprécier de ses confrères des Ponts et Chaussées et des ingénieurs des compagnies ferroviaires. Il se lie ainsi avec Jean-Baptiste Krantz, qui lui mettra plus tard le pied à l’étrier.
La chance d’Eiffel
Achevé en 1860, le pont de Bordeaux vaut à Gustave Eiffel une réputation flatteuse parmi ses pairs et un surcroît de considération de la part des Pauwels. À l’approche de ses 30 ans, le jeune ingénieur est désormais mûr pour fonder une famille. Le malheureux sera éconduit à cinq reprises avant, enfin, de trouver sa promise. Marie Gaudelet est la fille d’une relation de ses parents. Ni vraiment jolie, ni vraiment laide, elle n’a guère de fortune. « Je suis convaincu qu’il sera facile d’en faire une très gentille femme. Je prendrais également mon parti du beau-père et de la bellemère, mais la grosse difficulté réside dans le peu de fortune de ladite demoiselle », écrit Gustave à ses parents en guise de commentaire. Le mariage est célébré en 1862. Le couple s’installe à Clichy-la-Garenne.
est l’Exposition universelle
de 1867, la deuxième organisée en France
Les frères Pereire Les célèbres banquiers Isaac (en haut) et Émile (en bas) sont liés à Charles Nepveu, l’industriel qui lance Gustave Eiffel.
La famille Eiffel, 1876
Deux ans plus tard, la vie de Gustave Eiffel prend un tour radicalement nouveau. En 1864 en effet, l’entreprise Pauwels connaît de gros problèmes financiers. Fort de sa notoriété et de son expérience, Gustave décide alors de s’installer à son compte. Les deux premières années sont difficiles. Sa chance sera l’Exposition universelle de 1867, la deuxième organisée en France. Coïncidence heureuse, le responsable des travaux n’est autre que Jean-Baptiste Krantz, son vieil ami de Bordeaux, qui lui confie la réalisation de plusieurs bâtiments. Cette fois, Gustave est lancé. À la fin de l’année 1866, il s’installe à Levallois-Perret, où il crée les ateliers Gustave Eiffel. L’étape suivante a lieu en 1868. Cette année-là en effet, il s’associe avec Théophile Seyrig, comme lui ancien de l’École centrale. Ce brillant ingénieur apporte à l’entreprise non seulement une compétence technique reconnue mais aussi, et surtout, d’importants moyens financiers. Eiffel est devenu chef d’entreprise.
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Gustave et Marie Eiffel posent avec leurs cinq enfants dans leur jardin de Levallois. Photographie de A. Brandt.
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Un architecte à la conquête du monde Le viaduc de Garabit en construction, avril 1884 Il enjambe les gorges de la Truyère à quelque 120 mètre de hauteur.
Les vingt années qui suivent sont éclatantes. Parcourant l’Europe, Gustave Eiffel enchaîne littéralement les commandes. Viaduc sur le Thouet, gare de Pest (Budapest, capitale de la Hongrie), viaduc sur le Douro et pont de Viana do Castelo au Portugal, viaduc de Garabit sur la Truyère – 3 200 tonnes de métal à lui seul ! –, sans parler des innombrables autres ponts et bâtiments édifiés un peu partout en Europe et de la statue de la Liberté, cadeau de la France aux États-Unis réalisée en collaboration avec le sculpteur Bartholdi… Les réalisations succèdent aux réalisations. Ses succès, l’ingénieur-entrepreneur ne les doit pas seulement à sa réputation et aux relations qu’il s’est faites dans le milieu des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Il les doit aussi à ses conceptions techniques audacieuses. De la suppression des raidisseurs pour la conception des arcs au montage en porte-à-faux, qu’il est le premier à réaliser, Eiffel multiplie en effet les innovations. Premier à mettre au point des ponts portatifs démontables, il invente également de nouveaux matériels, à l’image des grues sans fondations. Autant de techniques nouvelles qui contribuent à attirer l’attention sur leur concepteur. Eiffel sait s’y prendre pour faire parler de lui. Ses chantiers les plus prestigieux sont l’occasion d’innombrables reportages, brochures et communications, suscitées ou rédigées par le maître en personne.
Parcourant l’Europe, Gustave Eiffel enchaîne les commandes
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Le viaduc de Garabit achevé, 1885 Ses dimensions constituent un record mondial.
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111 Pont Long-Bien (anciennement pont Paul-Doumer), Hanoï, Vietnam Achevé en 1903, il est représentatif du style Eiffel. Carte postale de 1925.
Intérieur du magasin Le Bon Marché, Paris, fin du xixe siècle Les établissements Eiffel participent à son agrandissement en 1876. Gravure, vers 1900.
Construction de la statue de la Liberté à Paris, vers 1883
Construction de la statue de la Liberté à Paris, vers 1878
Eiffel réalise son ossature métallique.
Le sculpteur Auguste Bartholdi (au centre) travaille sur la main gauche.
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La dame de fer À la fin des années 1880, Gustave Eiffel est un homme comblé. Couvert d’honneurs et de décorations, il est devenu une gloire nationale. Seules ombres au tableau : la mort de sa femme Marie, emportée en 1877 par une mauvaise bronchite, et sa rupture avec Seyrig, survenue en 1880. Son associé commençait à lui faire de l’ombre ! Depuis 1884, on ne parle que de la prochaine Exposition universelle, qui doit avoir lieu à Paris en 1889. Aux ateliers Eiffel, on commence alors à travailler sur un projet de monument exceptionnel. Ce sont deux collaborateurs de Gustave qui ont l’idée d’une tour en métal de 300 mètres de haut. Une idée qui, au départ, ne séduit guère l’ingénieur et à laquelle il se rallie finalement, conscient de son impact. Rendu public en 1885, le projet suscite dès le départ de violentes oppositions.
Rendu public en 1885, le projet suscite de
violentes oppositions
Le Tout-Paris des arts et des lettres s’indigne ainsi à l’idée de l’érection en plein cœur de Paris de « l’inutile et monstrueuse tour Eiffel ». Le « clou céleste », comme l’a surnommé ironiquement l’architecte Charles Garnier, devient rapidement une affaire d’État. Outre les intellectuels, Gustave Eiffel doit convaincre la Société des ingénieurs civils, sceptique sur la faisabilité du projet, la Ville de Paris et les ministères concernés, effrayés par le coût du monument – 3,7 millions annoncés, en fait près du double ! Il doit également se garder des projets concurrents, notamment celui de Jules Bourdais qui a proposé d’ériger une tour de 300 mètres en béton. Si Gustave Eiffel l’emporte finalement en 1886, c’est grâce à son sens des relations publiques et aux innombrables communications qu’il fait devant ses pairs. C’est aussi grâce au soutien d’Édouard Lockroy, ministre du Commerce et de l’Industrie et chaud partisan de la tour Eiffel.
Gustave Eiffel et Adolphe Salles au sommet de la tour, 1889 Le gendre de Eiffel est aussi son fidèle collaborateur.
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Ossature métallique du sommet de la tour Eiffel Détail d’un plan dessiné par Eiffel.
Sur le plan industriel, la construction de la Tour se révèle un tour de force. Commandées à des industriels lorrains, les pièces en fer sont contrôlées aux ateliers Eiffel de Levallois, découpées et percées sur place, expédiées sur le Champ-de-Mars, où elles subissent un nouveau contrôle, et enfin montées. Fondé sur la préfabrication et la standardisation, le chantier peut ainsi avancer très vite. Commencée en juillet 1887, la construction de la Tour s’achève en mars 1889. Elle aura nécessité 6 300 tonnes d’acier, 18 038 pièces, 2,5 millions de rivets, et 3 629 dessins d’exécution. Exemplaire, le chantier de la tour Eiffel se révèle également une excellente affaire pour Eiffel, qui a pris soin de signer tous les contrats à son nom. Au terme du contrat de concession conclu en 1887 avec l’État et la Ville de Paris, l’entrepreneur se voit confier, contre la promesse de financer
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La tour Eiffel pendant l’Exposition universelle de 1889 La tour est le clou de l’Exposition universelle, qui a lieu de mai à octobre 1889. Photographie de P. Schmidt.
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Sur la 1re plate-forme de la tour Gustave Eiffel au centre, juillet 1888. Photographie de L.-E. Durandelle.
Comparaison entre la tour Eiffel et les plus hauts monuments du monde La Revue illustrée.
lui-même l’essentiel des travaux, l’exploitation du monument pour une durée de vingt ans. Dès 1888, Gustave Eiffel crée la Société anonyme de la tour Eiffel, à laquelle il transfère tous ses droits et dont il revend la moitié du capital à la Banque franco-égyptienne. La transaction lui rapporte 2,5 millions de francs. Gustave perd-il alors le sens de la mesure ? En 1887, alors que le chantier de la Tour battait son plein, Gustave Eiffel avait signé avec Ferdinand de Lesseps un gigantesque contrat de 120 millions de francs pour la réalisation des écluses et du canal de Panama. L’année suivante, il a déjà encaissé près de 17 millions de francs à titre d’acomptes, somme qui grimpera bientôt à 72 millions de francs ! Et ce n’est pas tout. En 1889, il transforme son entreprise, Eiffel & Cie, en société anonyme et cède une partie de ses actions à des établissements bancaires pour 1,5 million de francs. Le montant de ses dépenses personnelles donne alors le tournis : plus de 2 millions de francs entre février et avril 1890 pour l’acquisition d’un hôtel particulier rue Rabelais et d’une propriété à Sèvres, des dizaines de milliers de francs presque chaque jour pour l’achat de tableaux et de meubles de prix. Conscient de sa valeur, il multiplie les projets pharaoniques et sans suite – observatoire sur le mont Blanc, tunnel sous la Manche, canal Don-Volga… – cherchant même – sans succès – à se faire élire sénateur de la Côte-d’Or. Rien ne semble devoir arrêter Gustave Eiffel.
6 300 tonnes d’acier, plus de 18 000 pièces, 2,5 millions de rivets. La Tour Eiffel est un véritable tour de force
Inauguration de la tour Eiffel, le 31 mars 1889 Gustave Eiffel hisse le drapeau.
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La descente aux enfers C’est alors que tout bascule ! En 1889, éclate en effet le scandale de Panama : des parlementaires français ont reçu de l’argent en échange d’un vote favorable permettant à la Compagnie de Panama d’émettre un gigantesque emprunt, emprunt dont l’échec l’a finalement conduite au dépôt de bilan. Le scandale fait vaciller la République et atteint Eiffel de plein fouet. En 1892, un rapport le met directement en cause, l’accusant d’avoir volé la Compagnie et surfacturé ses prestations. Reconnu coupable d’abus de confiance, il est condamné l’année suivante à deux ans de prison, jugement finalement cassé par la Cour de cassation pour vice de forme. Libre, Gustave n’est donc pas blanchi pour autant.
Compromis dans le scandale de Panama, Gustave Eiffel voit
Gustave Eiffel à 91 ans, en mai 1923 Il mourra cette même année, le 27 décembre. Photographie de A. Brandt.
Pour le père de la tour Eiffel, c’est désormais la descente aux enfers. Les uns après les autres, ses amis se détournent de lui, tandis que sa société est confrontée à de grosses difficultés financières. En 1893, Gustave Eiffel doit finalement démissionner sous la pression des banques actionnaires, qui imposent un changement de nom : les Établissements Eiffel s’appelleront désormais Société de construction de Levallois-Perret. Humilié, Gustave Eiffel se replie alors sur la tour Eiffel dont il fait un centre d’expériences scientifiques dans les domaines de la météorologie, de la télégraphie sans fil et de l’aérodynamique. Ces activités lui vaudront un retour en grâce, notamment au moment de la Première Guerre mondiale. Au début des années 1920, il fait à nouveau figure de gloire nationale. Muré dans son orgueil, il vit alors avec sa fille aînée et son gendre, tous deux entretenus à ses frais. L’anniversaire du patriarche, le 15 décembre, est l’occasion d’un rite immuable : dîner fin, opérette, musique, danse. Gustave et sa fille y consacrent chaque année plusieurs milliers de francs, récoltant en retour les échos de la presse mondaine. Monument vivant, Gustave Eiffel met un point d’honneur à être présent à toutes les manifestations intéressant la tour qui porte son nom. Il meurt en 1923.
ses relations se détourner de lui
Caricature du journal Le Grelot sur « les martyrs de Panama » Parmi eux, Gustave Eiffel et Ferdinand de Lesseps. Dessin de Pépin du 27 novembre 1892.
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D
e si belles expositions…
1855, 1867, 1878, 1889, 1900 : la deuxième moitié du
XIXe
siècle, et plus
particulièrement la Belle Époque, marque le temps des expositions universelles. Hymnes au progrès et à l’inventivité humaine, elles font affluer dans la capitale, le temps de quelques semaines, des foules immenses, qu’émerveillent les plus récentes découvertes scientifiques, les audaces architecturales de toutes natures, les richesses des grands pays et les dernières innovations technologiques. Capitale du monde moderne, Paris s’impose alors comme l’un des grands lieux d’accueil de ces expositions d’un genre très particulier…
Rue des Nations, Exposition universelle de 1878 Détail d’une illustration du Monde Illustré, 1878.
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La tour Eiffel illuminée, 1889 La tour métallique d’Eiffel est le clou de l’Exposition universelle de 1889. Illustration pour la Revue de l’Exposition.
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1878, un hymne aux technologies nouvelles « Le XIXe siècle a été le grand siècle du progrès. Pour fêter les prodiges des arts, des sciences, de l’industrie et de l’agriculture, la France invita toutes les nations à participer à l’Exposition universelle qu’elle organisait à Paris. Toutes répondirent à cette invitation ; elles tenaient à comparer les progrès de leur industrie avec ceux des autres nations. Vue générale de l’exposition de 1867 L’Exposition de 1900 fut une merveille. Le Au centre, le palais du Champ de Mars de forme circulaire, Champ-de-Mars avait son château d’eau construit pour l’occasion. et ses fontaines lumineuses, qui, le soir, transformaient cette partie de l’Exposition en une véritable féerie ; les quais de la rive gauche de la Seine étaient occupés par les palais des nations, chacun dans son architecture nationale.» C’est ce qu’écrit la syndicaliste Jeanne Bouvier dans ses mémoires, à propos de l’Exposition universelle organisée à Paris en 1900. En ce début de siècle, la capitale n’en est pas à sa première tentative. Quatre expositions se sont en effet déjà tenues, en 1855, 1867, 1878 et 1889. Ouvertes aux grandes nations du monde, celles de 1855 et 1867 ont permis à la France de mettre en avant les réalisations de son art et de son industrie et de consolider le régime de Napoléon III, notamment sur le plan international.
Les expositions universelles permettent
aux grandes nations de comparer leur
puissance et leur ingéniosité
L’Exposition universelle de 1878 est encore plus ambitieuse et plus spectaculaire. Il faut dire que la France a beaucoup à faire oublier, à l’intérieur de ses frontières comme à l’extérieur : la chute du Second Empire, la défaite de Sedan, la guerre civile et la Commune… Le régime qui a succédé à l’empire – la France est désormais une république – entend fêter aux yeux du monde la naissance d’une nouvelle ère. Organisée en dix-neuf mois, occupant le Champde-Mars et la butte de Chaillot – sur Panorama sur les palais de l’Exposition de 1878 laquelle est construit le palais du Le palais de l’Exposition ou palais du Champs-de-Mars, rive gauche Trocadéro – elle n’accueillera pas et le palais du Trocadéro, rive droite. Peinture de Fougère, 1878. moins de 16 millions de visiteurs.
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Ballon captif de Henri Giffard, Exposition de 1878 Présenté dans la cour du Carrousel, il peut accueillir cinquante personnes.
Bougie électrique, machines
er
Le 1 mai, jour de l’inauguration, a été décrété jour chômé afin que les ouvriers puissent se déplacer voir le spectacle. Pas moins de 50 000 invitations ont été envoyées pour l’occasion. De multiples bâtiments ont été construits, comme l’hôtel Continental, considéré à l’époque comme l’hôtel le plus confortable et le plus luxueux de sa catégorie, le théâtre des Nouveautés, ou bien encore le théâtre Marigny. Le 3 mai à huit heures du soir, trente-deux globes ont illuminé d’une lumière blanche et douce l’avenue de l’Opéra. Il s’agit de la toute première démonstration d’éclairage à l’électricité… Un éblouissement pour tous les Parisiens. Car, pour ses organisateurs, l’Exposition doit être un véritable hymne aux technologies nouvelles. Outre la « bougie électrique » – l’ancêtre de l’ampoule – le public découvre des inventions aussi étonnantes que la machine à écrire, le four solaire, la machine à fabriquer de la glace, celle à fabriquer des boissons gazeuses ou bien encore… les dents en porcelaine ! Toutes ces merveilles sont présentées dans un vaste bâtiment de 420 000 mètres carrés – le palais des Expositions – implanté au Champ-de-Mars.
à écrire, à fabriquer de la glace, dents en porcelaine…
Galerie des Machines, Exposition de 1878 Chaque pays y expose ses fleurons technologiques et industriels ; ici, la section des États-Unis.
L’Exposition de 1878 est celle de toutes les merveilles
Machine à écrire L’Exposition de 1878 fait découvrir aux visiteurs de nombreuses inventions.
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1889, la fête de tous les prodiges !
Fête de nuit à l’Exposition de 1889 Embrasement de la tour Eiffel, fontaines lumineuses : l’Exposition de 1889 est l’occasion de
L’année 1889 met une nouvelle fois Paris à l’honneur. Organisée entre mai et octobre 1889, cette nouvelle Exposition universelle – la dixième du genre dans le monde – est placée sous le signe de la Révolution française, dont on fête en grande pompe le centième anniversaire. Est-ce pour cette raison que l’événement se veut grandiose ? Assurément ! 35 pays représentés, 60 000 exposants, plus de 30 millions de visiteurs, des dépenses de l’ordre de 40 millions de francs – pour des recettes un peu inférieures à 50 millions ! Jamais encore les Parisiens n’avaient assisté à un tel spectacle, jamais non plus autant de monde ne s’était encore déplacé pour une Exposition universelle. Certains hommes d’affaires, d’ailleurs, ne s’y trompent pas. Eugène Mercier veut ainsi profiter de l’Exposition pour faire connaître son champagne. Il a fait réaliser quelques années plus tôt un gigantesque foudre d’une capacité correspondant à 200 000 bouteilles de champagne et décide de le faire transporter sur les lieux de l’Exposition.
somptueuses fêtes. Peinture de J. Fichtenberg.
Après un voyage rocambolesque d’Épernay à Paris, le foudre Mercier est présenté juché sur sept pyramides de bouteilles. Pour amener ce fût jusqu’à l’exposition, Eugène Mercier a dû acheter quelques immeubles qu’il a fait ensuite raser ou raboter, les rues s’avérant trop étroites pour laisser passer ce convoi très exceptionnel. Succès garanti auprès de la population parisienne !
60 000 exposants, 35 nations représentées…
Pas moins de 50 hectares ont, au total, été réservés aux exposants. Tandis que le Champ-deMars et le palais du Trocadéro accueillent l’art et l’industrie, l’esplanade des Invalides est plus particulièrement dédiée aux expositions des colonies françaises et du ministère de la Guerre. Venus de toute la France et du monde entier, les visiteurs – qui ont déboursé pour cela la modique somme de 1 franc – déambulent avec ravissement parmi les pavillons. La galerie des Machines d’abord, longue de 420 mètres de long, édifiée par l’architecte Ferdinand Dutert pour célébrer les réalisations de
Pour le 100e anniversaire de
la Révolution française, la France voit grand
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Vue aérienne de l’Exposition Photographie prise en ballon par l’aéronaute français Eugène Godard.
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la seconde révolution industrielle en marche ; l’étonnant palais des Industries ensuite, premier bâtiment à être entièrement éclairé à l’électricité. Moteurs électriques, machines à tisser, tramways, chemins de Dôme fer, turbines, engrenages… Il central de y en a pour tous les goûts ! Les l’Exposition visiteurs ont même la faculté de 1889 d’écouter, grâce au « théâtroPeinture de phone », des morceaux d’opéra L. Béroud, 1890. retransmis en direct depuis l’Opéra Garnier. Une véritable prouesse ! Autres attractions qui déchaînent l’enthousiasme des foules : le « village nègre » et ses 400 indigènes, le spectacle « Wild West Show » avec en vedette le célèbre Buffalo Bill et la non moins célèbre championne de tir Annie Oakley, ou bien encore le chemin de fer Decauville reliant, sur une distance de trois kilomètres, le Champ-deMars et les Invalides. Pour les plus curieux – et les plus audacieux ! – deux ballons captifs à hydrogène, arrimés avenue Kléber et boulevard de Grenelle, permettent d’admirer l’Exposition d’en haut… À raison de douze passagers par ballon, les queues sont interminables… Danseuse javanaise en costume traditionnel, 1889 Avec ses consœurs, elle rencontre un grand succès à l’Exposition de 1889.
Le village aux 400 indigènes
Mais le clou de l’Exposition c’est, bien sûr, l’étonnante tour métallique de M. Gustave Eiffel. Haute de 318 mètres, elle est la réponse d’Eiffel au concours organisé par le ministère de l’Industrie et du Commerce pour célébrer le centième anniversaire de la Révolution française mais aussi le progrès des sciences et des techniques accomplis depuis 1789. Vaste programme. Inaugurée le 31 mars 1889 – quelques jours avant le début officiel de l’Exposition – par le président du Conseil, ouverte au public à partir du 15 mai, elle accueille pas moins de deux millions de visiteurs en cinq mois. Un succès immense, à la mesure des critiques, innombrables, dont elle a fait l’objet, d’innombrables artistes, intellectuels et politiciens ayant dénoncé à longueur de colonnes « l’érection en plein cœur de notre capitale de l’inutile et monstrueuse tour ». Victime de son succès, la tour de M. Eiffel – qui, au départ, ne devait être que provisoire – ne sera jamais détruite et marquera à jamais le paysage parisien…
et le grand show de
Buffalo Bill constituent
des attractions particulièrement prisées des Parisiens
Galerie des Machines de l’Exposition de 1889 De dimensions monumentales, c’est le plus grand des pavillons de l’Exposition.
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1900, le bilan du siècle Qui l’aurait cru ? Avec ses 30 millions de visiteurs, l’Exposition de 1889 avait fait figure, aux yeux des contemporains, d’événement tout à fait exceptionnel, dépourvu de précédent et dont personne n’imaginait qu’il pourrait un jour être surpassé. Avec 50 millions de visiteurs et 80 000 exposants, l’Exposition universelle de 1900 – la cinquième organisée à Paris – fait pourtant mieux, bien mieux même ! Pas moins de huit années ont été nécessaires pour préparer cette nouvelle édition, dont l’objectif affiché est de faire le « bilan » du siècle qui s’achève. Inaugurée sous un doux soleil le 14 avril 1900 par le président Émile Loubet, elle s’étend sur 216 hectares, un nouveau record. Outre les 112 hectares du Champ-de-Mars, de l’esplanade des Invalides et des bords de Seine, 104 hectares supplémentaires situés en plein cœur du bois de Vincennes ont en effet été aménagés, dédiés à l’agriculture, aux maisons ouvrières, aux chemins de fer et aux concours sportifs.
L’Exposition universelle de 1900 se veut plus joyeuse et plus populaire
La Grande Roue de l’Exposition de 1900 Montée pour l’occasion, elle restera en place jusqu’en 1937.
À bien des égards, cette nouvelle Exposition s’inscrit dans la continuité des précédentes. Comme elles, en effet, elle entend mettre en avant les grandes réalisations techniques et scientifiques du siècle finissant. Mais – nouveau siècle oblige – elle se veut plus joyeuse et plus populaire aussi. Plus que vers les nouveaux monuments construits pour l’occasion – la gare d’Orsay, la gare de Lyon, le Grand Palais et le Petit Palais, le métropolitain – le public se précipite vers ces attractions toutes plus étonnantes les unes que les autres, venues de France et d’ailleurs : le premier trottoir roulant de l’histoire – joliment baptisé « rue de l’Avenir » – la Grande Roue haute de 100 mètres et dont les 36 nacelles offrent chacune 60 places, le « Manoir à l’envers », qui permet de marcher sur le plafond, le Grand Kaléidoscope du palais de l’Optique et, bien sûr, le cinéma des frères Lumière, avec ses projections sur un écran géant de 21 mètres sur 16.
Elle est le chant du cygne de toute une époque, la dernière grande manifestation à vocation universelle
« L’Exposition de 1900 avait été non seulement un succès, mais un bienfait. Elle avait détendu les nerfs des Français après un drame affreux – la guerre de 1870 – ; elle avait marqué une trêve sinon entre les partis, du moins entre les hommes ; la haine envers les étrangers, si vive en 1899, s’était un peu dissipée ; on avait fait connaissance ; placide comme un garde-barrière, le pays avait regardé défiler des wagons pleins d’Iroquois, de musulmans, de Vénézuéliens. Jamais Paris n’avait été plus beau. On avait rebronzé à neuf
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Inauguration de l’Exposition de 1900 L’événement fait la une du Petit Journal du 29 avril 1900.
Le pont Alexandre-III, le Grand Palais et le Petit Palais en 1900 Ils ont tous trois été construits pour l’Exposition. Photographie de Neurdein Frères.
Sculpture de rhinocéros face au palais du Trocadéro, 1900 L’animal, sculpté par Alfred Jacquemart, fait partie d’un ensemble de quatre statues (dorées à l’origine) placées devant le palais.
Le fameux trottoir roulant, 1900
Devant le palais de la Métallurgie, 1900
Appelé « rue de l’Avenir », il est très fréquenté pendant toute l’Exposition.
La foule se presse pour le visiter.
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la tour Eiffel. On avait vendu beaucoup, tiré beaucoup de feux d’artifice, chaque exposant avait reçu au moins une des quarante-deux mille récompenses dispensées par un gouvernement prévoyant, les marchands de vin avaient fait de brillantes affaires. La nation n’était pas aussi trahie que le disaient les nationalistes, aussi pourrie que l’affirmaient les partisans de Zola. Loubet était devenu populaire.» Ces lignes, écrites par l’écrivain Paul Morand dans les années 1970, résument bien ce que représentaient, pour les contemporains de Roland Bonaparte, les Expositions universelles : l’occasion pour tous d’affirmer sa foi dans le progrès, de s’extasier devant er la force et l’ingéniosité de l’esprit humain, mais aussi de communier dans un même optimisme.
Nul doute que le petit-neveu de Napoléon I ait déambulé dans les allées du
Il faut imaginer Roland Bonaparte, le prince savant, l’homme curieux de tout, le pionnier des techniques nouvelles fasciné par la photographie et l’aviation naissante. Nul doute que le petit-neveu de Napoléon Ier ait déambulé, comme des centaines de milliers de Parisiens, dans les allées du palais des Industries et qu’il y ait, comme eux, admiré les nouveautés de la science et de la technique.
palais des Industries
1900 fut pourtant, à bien des égards, le chant du cygne de toute une époque, la dernière des grandes expositions à vocation universelle. Les éditions suivantes n’eurent ni le lustre ni le succès de celles organisées à Paris, cette « capitale du monde » dont la lumière rayonnait alors – et pour quelque temps encore – sur toute la planète. La Première Guerre mondiale porta un coup fatal au rêve généreux d’un monde voué à l’infini au progrès et à l’amélioration de la civilisation et des mœurs. « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles », devait dire, au lendemain de la guerre de 1914-1918, le poète Paul Valéry. La guerre marqua ainsi la fin de cette Belle Époque dont Roland Bonaparte avait été l’un des représentants les plus emblématiques.
À l’intérieur du Grand Palais, 1900 Le bâtiment est une prouesse architecturale alliant l’acier, la pierre et le verre. Photographie de Ch. Lansiaux.
« Porte monumentale » de l’Exposition de 1900 Située place de la Concorde, elle permettait d’entrer sur le site de l’Exposition.
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Épilogue
Obsèques de Roland Bonaparte, avril 1924 Le cercueil du prince quitte l’hôtel particulier du 10, avenue d’Iéna.
Le 14 avril 1924, Roland Bonaparte meurt dans son appartement situé au deuxième étage de son hôtel particulier de l’avenue d’Iéna. Il a 66 ans, ce qui, à l’époque, n’est déjà plus considéré comme un âge avancé. Seule héritière de son père, Marie Bonaparte, princesse Georges de Grèce depuis 1907, choisit de ne pas résider dans ce lieu où elle avait connu, sous la houlette de sa grand-mère Nina, une enfance plutôt triste. Pour l’immense demeure, pour ce lieu voué à la science et qui avait accueilli tant de grands esprits, c’est une nouvelle histoire qui commence. Une histoire marquée par d’innombrables transformations, qui, au fil des décennies, vont modifier en profondeur – et pas toujours pour le meilleur – une demeure qui, en son temps, avait symbolisé toutes les audaces de la Belle Époque. Procession durant les obsèques du prince, avril 1924
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BIBLIOGRAPHIE Marie Bonaparte Célia Bertin (Préface Élisabeth Roudinesco) Perrin, 2010 La Belle Époque Michel Winock Perrin, coll. « Tempus », 2003 Haussmann Michel Carmona Fayard, 2000 Eiffel Michel Carmona Fayard, 2002 Paris sous le Second Empire Marc Gaillard Presses du Village, coll. « Prestige », 2002 Napoléon Jean Tulard Fayard, 1993 À la Mémoire des disparus, tome I « Derrière les vitres closes » Marie Bonaparte PUF, 1958
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Merci à Richard Martinet, architecte, et Guillaume Potel, son directeur de projet, pour nous avoir révélé les mystères d’une architecture exceptionnelle, à Pierre-Yves Rochon, décorateur d’intérieur, Claire Mabon, sa responsable de projet et Jean-Louis Monier, son responsable de chantier, pour nous avoir montré l’art et la manière de revitaliser un édifice historique, à Louis Benech, paysagiste, pour nous avoir initiés à la poésie des plantes et à son art de la composition des jardins dans la demeure du prince botaniste, à Bertrand Duhesme, auteur de L’hôtel Roland Bonaparte, siège du Centre français du commerce extérieur, pour ses conseils avisés, sa constante disponibilité, et pour nous avoir donné accès à ses précieux documents et ses connaissances sans pareilles du 10, avenue d’Iéna, à Michel Dagnaud, secrétaire général de la Société de géographie, pour son accueil, sa disponibilité et pour nous avoir guidés parmi les photographies de Roland Bonaparte, à Olivier Loiseau, conservateur en chef responsable des collections de la Société de géographie à la Bibliothèque nationale de France, pour son aide précieuse dans les recherches iconographiques, à l’étude Beaussant Lefèvre et aux Presses Universitaires de France, aux équipes de Bouygues Bâtiment Île-de-France Rénovation Privée, mais aussi à l’ensemble des personnes qui n’ont pas pu être citées et aux entreprises sans lesquelles ni ce lieu ni cet ouvrage ne seraient ce qu’ils sont aujourd’hui : Mace Group, Iosis Management, Qualiconsult, Y Ingénierie, SQA, Peutz, Labeyrie & Associés, ADB, Casso, CEC, L’Observatoire National, Geciba, Beest, Optimum, Sipec, CEE Sa, ADV, Asselin, Atecma, Ateliers Serre, Axians SDEL, Axima Actis, Botte Fondations, Briand Industries, Briatte, CEPPM, Coba, Compagnons Paveurs, Del Boca, Dewerpe, Duriez, Etde, Exprimm’it, FLB, Guinier, Idoine, James, Laval, Les Pierreux de l’Île-de-France, Linea Btp, Meriguet, Mi Fa Sol, Mitsubishi, Mpt, Mrg, Pittico, Recma, Renfors, Rigolot, Roland Goutte, Serbat, Sietra Provence, SMG, SOE, Sofrastyl, Solution, SPCI, Staif, Trouve, UTB, Verre et Métal, SCPI.
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Directeur de la publication Bernard Mounier Bouygues Bâtiment Île-de-France Rénovation Privée Responsable d’édition Aurélie Pecquet Bouygues Bâtiment Île-de-France Rénovation Privée Conception et production Box conseil Direction artistique Bruno Démelin & Stanislas Potié Recherches historiques et rédaction des chapitres 1 & 2 Tristan Gaston-Breton Interviews, reportages et rédaction du chapitre 3 Margot Guislain Recherches iconographiques Élisabeth Gildé Illustrations de couverture Delphine Schwartz
Impression : avril 2011 Cet ouvrage a été imprimé en Espagne à 2 000 exemplaires en français et 1 000 exemplaires en anglais sur papier FSC. Ouvrage à diffusion non commerciale. Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou quelque moyen électronique ou mécanique que ce soit, y compris des systèmes de stockage d’information ou de recherche documentaire, sans l’autorisation écrite de l’éditeur et des auteurs. Box conseil – 10, rue Boileau 75016 Paris – 01 75 43 88 23
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