MusĂŠe Denys-Puech, Rodez MusĂŠe de Millau et des Grands Causses
En couverture
Maurice BOMPARD - Ouled Naïl de Biskra, 1898
Huile sur toile, 74 x 60 cm Musée Denys-Puech, Rodez [Inv. 2006.0.23]
Exposition du 22 février au 9 juin 2013 au musée Denys-Puech, Rodez du 13 juillet au 16 novembre 2013 au musée de Millau et des Grands Causses
Exposition coproduite par le musée Denys-Puech et le musée de Millau et des Grands Causses
Commissariat Sophie SERRA, attachée de conservation, Musée Denys-Puech, Rodez François LEYGE, conservateur en chef, Musée de Millau et des Grands Causses
Comité d’honneur Christian Teyssèdre, Maire de Rodez Guy Durand, Maire de Millau Sabrina Maurel-Alaux, Adjointe à la Culture de la Ville de Rodez Albine Dalle, Adjointe à la Culture et aux Jumelages de la Ville de Millau
Remerciements Nous tenons à exprimer notre vive reconnaissance à tous ceux qui ont permis que cette exposition se réalise : Le musée des Beaux-Arts d’Agen, Marie-Dominique Nivière, conservatrice, Le musée du Vieux-Château-Laval, Antoinette Le Fahler, attachée de conservation des musées de Laval, Le Centre national des arts plastiques (CNAP), Le musée des Beaux-Arts de Marseille, Luc Georget, conservateur en chef, Le musée Fabre de Montpellier, Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine, Le musée de l’Histoire de la France en Algérie de Montpellier, Florence Hudowicz, conservatrice, Le musée d’art et d’histoire de Narbonne, Bertrand Ducourau, conservateur des musées de Narbonne, Le musée des Beaux-Arts de Nantes, Blandine Chavanne, conservateur en chef du patrimoine, Le musée de la Ville de Saintes, Séverine Bompays, directrice des musées de Saintes, Le MUba Eugène Leroy de Tourcoing, Evelyne-Dorothée Allemand, conservateur en chef. Ainsi que : Mustafa Benmokta, Recteur de la Mosquée de Rodez, Jean Costecalde, Jean-Paul Cucchietti, Michel Garrouste, Catherine Gaubert, Jean-Pierre Gaubert, Lionel et Isabelle Griset, Jean Larrouy, Christiane Malet, Alexis Pentcheff, Galerie Alexis Pentcheff (Marseille), Pierre-Emmanuel Parais, Elodie Pignol, Conservatrice des musées de Nérac et Mézin. Nous adressons des remerciements tout particuliers à Antoinette Le Fahler, Marion Vidal-Bué, Antoine Gaubert , et Michel Megnin pour leur aide précieuse. Ainsi qu’a l’ensemble des équipes du Musée Denys-Puech et du Musée de Millau et des Grands Causses : Thierry Alcouffe, Sébastien Dueymes, Jean-Marie Salvat et Richard Zinck pour les transports et la logistique, L’ équipe des services techniques de la Ville de Rodez pour la muséographie, Ghislaine Capéran, Jean-Marie Salvat, Ghyslaine Rabier et Anne Bernat pour la gestion administrative, Nadine Bernad et Camille Magniette pour le service juridique, Léa Roux (stagiaire), Solveig Chenier et Florence Ramondenc pour le Service éducatif, Danièle Vialaret, Joëlle Viaule, Monique Fournier, Christine Vanicate, Pierre Nicolas et Joëlle Lacombe pour l’accueil et la surveillance.
Sommaire
Editorial
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La tentation orientaliste en France, du XVIIe au XXe siècle
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Biskra, une oasis pour les peintres et les écrivains
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Maurice Bompard sous le soleil de Biskra
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Catalogue des œuvres exposées
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Notices biographiques
77
Bibliographie
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Crédits photographiques
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François Leyge, Conservateur en chef , Musée de Millau et des Grands Causses
Marion Vidal-Bué, Historienne de l’art
Sophie Serra, Attachée de conservation, Musée Denys-Puech, Rodez
Maurice BOMPARD Voyage en Orient
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Maurice Bompard,
Photographie - Archives Bompard, musĂŠe Denys-Puech, Rodez
Editorial
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Maurice Bompard, de Rouergue en ergs Les voyages, dans l’histoire de la peinture, sont des moments charnières. Le parcours de Delacroix en Afrique du Nord, l’exil polynésien de Paul Gauguin, plus tard le séjour de Paul Klee et August Macke à Tunis sont autant d’expériences décisives. Elles précipitent l’évolution de leur œuvre et, partant, de l’histoire de la peinture. Bien plus que l’impatience de nouveaux horizons, c’est une véritable quête de la lumière qui guide les peintres-voyageurs dès le XIXe siècle. Les palettes s’éclairent. Le chatoiement des couleurs s’accompagne d’une nouvelle approche des formes, inspirée là aussi par la lumière qui les redessine. L’orientalisme est, à sa façon, un mouvement précurseur de ces voyages picturaux. Maurice Bompard, que cette superbe exposition vous convie à mieux connaître, en est un acteur significatif. Il sacrifie d’abord à la vogue de l’exotisme mais ne tarde pas à forcer les portes de son atelier pour peindre en pleine lumière. Lumière d’Algérie. C’est le frémissement d’une approche plus documentaire de l’Afrique du Nord, fût-elle le plus souvent influencée par Biskra, station touristique propice à l’entretien du rêve oriental. En proposant une quarantaine d’œuvres de Maurice Bompard et de ses comparses, Girardet ou Landelle entre autres, cette exposition met en lumière l’effervescence de l’orientalisme dans la peinture française au XIXe siècle. C’est en partenariat que le Musée Denys-Puech de Rodez et le Musée de Millau et des Grands Causses vous présentent l’exposition « Maurice Bompard – Voyage en Orient », assortie d’un riche catalogue. Ils ont bénéficié de l’aide de nombreux musées de France et nous tenons à remercier les Musées des Beaux-Arts de Marseille, Agen, Nantes, Narbonne, Tourcoing, Laval, Montpellier, Saintes, ainsi que les collectionneurs privés, pour leur collaboration. Maurice Bompard entretient un lien singulier avec l’Aveyron. Il est né à Rodez et y a vécu jusqu’à l’âge de huit ans. Il est retourné ensuite à de très nombreuses reprises séjourner dans la maison de sa tante, rue des Pénitents blancs, et a croqué avec bonheur la cathédrale de Rodez, les Causses, et les villages pittoresques de l’Aveyron. C’est pourquoi Rodez et l’Aveyron vouent un attachement tout particulier à cet artiste qui a fait le voyage de Rouergue en ergs.
Christian TEYSSEDRE,
Maire de Rodez, Conseiller Régional de Midi-Pyrénées
Guy DURAND,
Maire de Millau, Conseiller Général de l'Aveyron
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La tentation orientaliste en France, du XVIIe au XXe siècle François Leyge
Conservateur en chef du musée de Millau et des Grands Causses
Maurice BOMPARD - Le gardien du harem (détail)
Huile sur toile - 57 x 31 cm - Collection particulière
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Maurice BOMPARD Voyage en Orient
Depuis les récits des voyages de Marco Polo au XIVe siècle, l’Orient a suscité dans les sociétés occidentales un imaginaire mêlé de mystère et d’exotisme qui se traduit, chez les peintres comme chez les écrivains, par un désir d’évasion et la recherche de sources d’inspiration différentes. Bien plus qu’un territoire géographique qui recouvre les pays dominés par l’Empire Ottoman, l’Orient représente aux XVIIe et XVIIIe siècles un espace de fantaisie, prétexte à des représentations de nudités pulpeuses dans des décors pittoresques, où le mythe le dispute à des fantasmes ou des rêveries. Au XVIIe siècle, les Jésuites révèlent au monde occidental les mystères de la Chine et du Japon. La naissance de la Compagnie des Indes orientales en 1664, à l’avènement de Louis XIV, favorise les échanges commerciaux avec l’Extrême-Orient. La nécessité des rapports internationaux avec la Sublime Porte amène Colbert à développer l’enseignement du Turc et du Persan à Paris. Très vite, ces liens se traduisent dans la production artistique et en particulier dans l’architecture de Versailles dont les peintures de l’Escalier des Ambassadeurs illustrent cette volonté d’ouverture sur le Monde. Dans les dernières décennies du XVIIe siècle, la littérature et l’opéra naissant trahissent aussi cette préoccupation et Mme de Scudéry ou Racine puisent dans cet exotisme l’inspiration qui ravit la cour ; dans le Bourgeois gentilhomme de Molière le Turc devient un élément central de la comédie-ballet. Mais c’est le XVIIIe siècle naissant qui voit poindre le véritable engouement artistique pour l’Orient. Tandis que l’on traduit les Mille et une nuit où sourdent des récits enchanteurs, et avant que Voltaire ne publie Zaïre en 1732, les Lettres persanes de Montesquieu évoquent en 1721 la magie de l’Orient, le mystère de sociétés aux codes différents, mystère alimenté par les ambassades du Shah de Perse. Les liens diplomatiques qui naissent atténuent la prévention des souverains occidentaux envers Constantinople et désormais Turcs, Perses, Indiens, Chinois sont à la mode, à la ville comme sur les chevalets, ce dont témoignent les gravures de Watteau. L’engouement pour la Turquie se renforce partout en Europe : deux nouvelles ambassades ottomanes sont reçues à Paris avec faste. La bonne société aime à se faire représenter en costume turc, tandis que les peintres Favray et Hilair font le voyage de Constantinople en 1762 et en rapportent des paysages mais surtout des croquis de costumes orientaux destinés aux portraits des élites parisiennes. Le théâtre, la mode, le costume, l’opéra, les romans ne sont pas épargnés par cette vague et l’image des muftis et des sultans personnifie les représentations de l’Orient. Ces sociétés de pachas et de harems fascinent les sociétés européennes en ce qu’elles transgressent, dans l’imaginaire des Occidentaux, les codes conventionnels de l’ordre moral et religieux. Le réel a peu à voir avec les représentations de François Boucher dans La chasse au léopard (1736), dans les tableaux de Fragonard ou des décorations de Carle Van Loo pour la Chambre de Mme de Pompadour, qui participent activement, avec les graveurs Aveline et Flipart, à la diffusion de thèmes qui trouveront également leur place sur les tapisseries des Gobelins. Même l’Académie de France à Rome succombe à des « mascarades à l’orientale » au milieu du siècle, pour des motifs qui demeurent plus de l’ordre du divertissement que de la pure production artistique. Les musiciens ne sont pas non plus imperméables à ces « turqueries » et L'enlèvement au Sérail de Mozart (1782) reprend les thèmes exotiques renforcés par la proximité de l'Autriche et de l'Empire Turc. Mais c’est Bonaparte qui ouvre en grand les portes de l’Orient aux sociétés occidentales et aux artistes.
La tentation orientaliste en France, du XVIIe au XXe siècle
Les commentaires quotidiens des actions de l’Armée d’Égypte et les découvertes scientifiques offrent au public l’image d’un univers peu connu, jusque là fantasmé plutôt que réellement documenté. Vivant Denon, qui accompagne Bonaparte en Égypte, joue un rôle fondamental dans cet engouement en publiant en 1817 le Voyage dans la Basse et Haute Egypte qui connaît un retentissement considérable. Cette nouvelle esthétique crée un choc intellectuel avec les enseignements traditionnels des humanités occidentales basées sur les canons de l’Antiquité grecque. Le déchiffrage des hiéroglyphes et la naissance de l’égyptologie remettent en question l’idéal de la société antique incarné par la démocratie athénienne mais aussi l’histoire romaine et les codes architecturaux qui présidaient aux programmes de construction officiels. La Campagne d’Égypte stimule l’imaginaire des peintres en leur fournissant des sujets d’histoire contemporaine qui leur permettent de s’affranchir des thèmes mythologiques en vigueur jusque-là mais elle transforme aussi les artistes en vecteurs, sinon en propagandistes, d’une épopée héroïque à la source de laquelle Bonaparte tirera son prestige et son pouvoir. Sans doute la position du Baron Gros, figure de proue de l’Orientalisme romantique en France, mais aussi hagiographe officiel de Napoléon, est-elle trop prisonnière de ce statut. Tout en regrettant de ne pas avoir accompagné Bonaparte en Orient - « J’aurais peint des costumes orientaux, des mamelouks, des janissaires… », - il devient le plus grand peintre des batailles de cette période ; La bataille d’Aboukir (1806) puise autant dans le gigantisme de la toile que dans le sujet l’impact attendu sur le public. Cette ambiguïté est présente dans le traitement des scènes de batailles, mais aussi dans celui de thèmes destinés à donner du futur empereur une image plus humaine : avec Bonaparte visitant les Pestiférés de Jaffa (1804) Gros crée une oeuvre qui marque le début du siècle : le premier consul apparaît dans une lumière violente et contrastée au côté des blessés aux plaies purulentes dans un décor d’arcs outrepassés, de minarets et de costumes orientaux, sur fond de drapeau français. Dans le sillage de Gros, Girodet qui, « entouré de mamelouks », peignait un Mustapha de Tunis (1819) et Guérin avec Bonaparte réprimant une sédition au Caire (1806), initièrent Géricault et Delacroix à cet Orient magique. Dans ses représentations, Géricault insiste sur la force brutale des soldats affrontés, sur l’âpreté de la lutte pour la vie, mais aussi sur les portraits portant turban et tunique, tel le Portrait d’oriental (1819-21). On est loin des représentations du siècle précédent, tant la véracité de ces représentations tranche avec le style langoureux du XVIIIe siècle. Nourri de cet Orientalisme, Delacroix s’éprend d'abord de la cause grecque, en rébellion contre les Turcs, popularisée auprès des élites romantiques européennes par Delavigne et, en Angleterre, par Byron. Cette exaltation trouvera son aboutissement dans l’immense Scènes des massacres de Scio (1824) qui romp avec les codes de la peinture d’histoire des années précédentes et qui a été sévèrement jugée par Stendhal et Gros. Toile verticale, personnages morts ou mourants aux chairs blafardes et à l’expression hagarde : il n’y a là point d’exaltation du combat, du mouvement, mais un Orientalisme compassionnel et romantique. La mort de Sardanapale (1827), donne à Delacroix un nouveau sujet orientaliste qu’il terminera avant de suivre l’expédition du duc de Mornay au Maroc en 1832. De Tanger à Mekhnès, d’Oran à Alger, il goûte au faste des palais, découvre les harems, le port des cavaliers, les costumes bigarrés, le pittoresque du quotidien, le désert. Les foules grouillantes du souk, aux couleurs attisées par les contrastes de lumières, lui inspirent croquis et aquarelles qu’il utilisera quand, rentré à Paris et ivre de souvenirs, il peint en 1834 Les femmes d’Alger dans leur appartement, œuvre
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Maurice BOMPARD Voyage en Orient
qui marquera durablement tous les Orientalistes. Littérature et poésie ne sont pas de reste dans cet engouement et la préface des Orientales de Victor Hugo, en janvier 1829, en témoigne : « on s’occupe beaucoup plus de l’Orient qu’on ne l’a jamais fait (…). Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est orientaliste (…). Il résulte de tout cela que l’Orient, soit comme image soit comme pensée, est devenu, pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale auquel l’auteur de ce livre a obéi peut-être à son insu. Les couleurs orientales sont venues comme d’elles-mêmes empreindre toutes les pensées ». Le peintre hugolien attitré, Boulanger, se fait l’interprète des vers de Hugo, alimenté par un voyage en Andalousie, en peignant Femme mauresque. Sur le plan politique, les excellentes relations du pouvoir français avec Mehemet Ali, le vice-roi d’Egypte, permettent, après de longues négociations, le transport et l’installation de l’obélisque de Louxor sur la place de la Concorde en 1836, imposant la marque de l’Orient jusque dans l’urbanisme de la capitale parisienne. Horace Vernet, auteur du Massacre des Mamelouks dans la cité du Caire (1819), et hagiographe de la conquête française de l’Algérie, devient Directeur de l’Académie de France à Rome en 1833, et réalise en 1843-44, la Prise de la Smalah d’Abd el Kader, vaste œuvre de 21 mètres de long, qui célèbre la victoire française sur les troupes arabes. Il est la cible de Charles Baudelaire qui traite Vernet de « Raphaël des cantines » et de Théophile Gautier qui lui reproche un manque de souffle épique et qui souligne cruellement que ses toiles sont « irréprochables au point de vue hippique », ce qui indique bien que le genre de la peinture d’Histoire dans l’orientalisme est remis en cause. Dans le même temps, la conquête de l’Algérie permet à une nouvelle génération de peintres de livrer leur propre vision de l’Orient ; ils sont bientôt suivis au Maghreb par de nombreux artistes avides de découvrir une lumière nouvelle et l’exotisme du désert. Chassériau et Fromentin font le voyage du Maghreb en 1845 mais préfèrent Constantine, plus pittoresque, à Alger et découvrent Biskra et Blida, dans le Sud Algérien en 1848. Fromentin manifeste une inspiration liée à la nature des paysages dans Le bois des oliviers (1846) appuyé sur l’ouvrage du général Daumas Le grand désert. La sensibilité de Chassériau est différente, revenant sur l’épopée avec Cavaliers arabes enlevant leurs morts (1850), et sur l’Algérie contemporaine, celle de la conquête. Ancré dans la rigueur coloniale, il ne poursuit aucun but ethnographique, au contraire de Fromentin. Par ailleurs, ses nombreuses évocations de femmes mauresques se réfèrent à Lamartine, mais aussi aux éternels orientalistes illustés par Intérieur de harem (1854). Ces chroniqueurs trouvent leur inspiration dans la rue, sur le vif, car les arabes refusent de poser. Accompagnant les peintres, Théophile Gauthier souligne le pittoresque de ce peuple, tandis que Flaubert manifeste, au lendemain de la publication de Mme Bovary, l'envie d'échapper au monde littéraire contemporain et de travailler à un roman historique. Ce sera Salammbô, publié en 1862 et documenté à Tunis pour se nourrir de la couleur locale de l'Orient autant que de l'Antiquité punique. Cependant, la vision irréaliste de l’Orient du XVIIIe siècle livrant un monde de rêve, de fantaisie, prétexte à révéler des nudités pulpeuses, ressurgit chez Ingres, porte-étendard du classicisme et rival de Delacroix. On ne voit, dans ses odalisques abandonnées, que l’occasion de peindre des corps nus aux arabesques avantageuses. Dans ce sens, L’Odalisque à l’esclave (1839) et le Bain turc (1862)
La tentation orientaliste en France, du XVIIe au XXe siècle
évoquent le sérail par l’alanguissement du sujet et révèlent une sensualité trouble issue de ses fantasmes de nudités ondoyantes. Mais lui qui n’a pas cédé à la tentation du voyage reste très attentif aux recherches de son temps, tant archéologiques que documentaires, et traite ses sujets de façon classique, refusant les scènes de sérail et le contraste trop commun des peaux blanches et des peaux noires, repris par Manet. Dans la seconde moitié du siècle, la perception de l’Orient est modifiée par le nombre croissant de peintres qui font le voyage du Maghreb et par une recherche différente de l’exotisme. Il s’agit désormais de concilier une exploration coloriste comme Delacroix, et le trajet de la lumière rayonnante et exaltant les contours. Tous les voyageurs constatent après le milieu du siècle l’accélération du « progrès », sous l’effet de la colonisation. L’Oriental à turban devient un être social ; la description du fellah dans Enfants gardant les moissons de Narcisse Berchère ou les scènes de voyage comme Pélerins allant à la Mecque (1861) de Léon Bely prennent la place des actions militaires. En France, Fromentin triomphe aux Salons de 1859 et 1861. Le succès de ses livres conforte la perception de ses œuvres qui offrent au public l’illustration de son ressenti, obsédé par le rendu du grain des rochers ou de la lumière aveuglante. Familier des scènes de la vie paysanne, il recherche l’exactitude, et en particulier la couleur dominée par le blanc, le vert et le bleu, celle des paysages du Sahel. Malgré trois séjours en Algérie, il réfute les « tableaux composés comme un inventaire », et les paysages de la Rochelle et de Hollande se fondent avec ceux de l’Algérie dans la Chasse au héron (1865). Fromentin ne renonce pas au mélange entre monde arabe et Antiquité ; aspirant aux ambitions de peintre d’Histoire, il cherche un sujet général, à l’image de Delacroix, dans une Fantasia présentée au Salon de 1869. Cette même année, il est invité avec Gérôme, Berchère et Tournemine, à une croisière sur le Nil, à l’occasion de l’ouverture du Canal de Suez. Gérôme, voyageur infatigable, devient un familier de l’Orient et ses contemporains saluent le caractère ethnographique de ses observations, remarqué dans Intérieur de mosquée (1870) ou Un café au Caire (1883). Pourtant, il traite les sujets orientalistes à l’aune de ses souvenirs de la peinture hollandaise, donnant l’impression d’une production impersonnelle. Son apport à l’Orientalisme combine une connaissance scrupuleuse des sites ou des sujets et un idéal personnel, assemblés dans des compositions synthétiques, simples, qui laissent la place à un large espace ou une large perspective, comme dans Le golfe d'Aqaba (vers 1897) donnant une vision « froide » et distanciée du sujet. Vers la fin du siècle, l’Orient prend une tournure différente. L’expansion coloniale, à partir de 1880, le rend plus proche et plus lointain à la fois, les voyages sont plus faciles et plus nombreux, les paysages et les coutumes intéressent moins que les recherches plastiques, et la fusion entre Orient et Occident est imminente. C’est dans ce cadre que s’inscrit le parcours de peintre voyageur de Bompard et de ses contemporains Girardet, Huguet ou Lazerges. Monet, épris de l’Orientalisme, s’est engagé dans l'armée en 1861, et passe une année en Algérie, dont il
tirera des enseignements sur la lumière sans toutefois s’engager dans la voie orientaliste. Il en est de même de Renoir qui se rend deux fois en Algérie, en 1881 et 1882, pour quelques semaines. La végétation le captive et, à l’inverse de Fromentin, il donne de l’Algérie une image d’abondance et de luxuriance. Marqué par l’œuvre de Delacroix, il découvre avec surprise la prééminence du blanc, fouetté par la luminosité, exprimée dans la Fête arabe à Alger (1881). Mais ses œuvres restent peu nombreuses et l’attrait d’un autre Orient,
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Maurice BOMPARD Voyage en Orient
japonais celui-là, l’emporte sur l’Orient islamique. La quête exotique s’étiole et la préoccupation est à la constitution d’une identité parisienne, des bords de Seine ; les horizons orientaux connaissent une certaine désaffection. Au Maghreb, les représentations d’Alger ou des environs sont désormais préférées à l’authenticité de Constantine et l’heure est à la découverte des oasis du Sud Algérien où Guillaumet, inspiré par Fromentin, exprime aussi bien dans la peinture que dans la littérature son mode de vie dans La source du figuier (1867). Leroy, assidu des Langues-orientales, ainsi que Dinet, aboutissent à Biskra et donnent corps à cet Orientalisme d’oasis. Loin des scènes de genre de Fromentin, ils peignent des scènes de vie à l’apparence quasi photographique. La sensualité est présente dans leurs représentations des Ouled Nails, ainsi que le thème des rapports amoureux, jusque-là rarement évoqué dans la production orientaliste, comme en témoigne Le printemps des cœurs (1902) de Dinet. Dinet s’intéresse aussi aux miniaturistes persans, comme Leroy, qui leur permettent d’exalter une concentration et une intensité de couleur sans égale. Dinet et Leroy figurent parmi les quatorze membres de la Société des peintres orientalistes français, créée en 1893, où Bompard tient une place éminente en compagnie de Girardet, Gérôme, et Benjamin Constant. Ils organisent un salon annuel, qui vivra jusqu’en 1948, et participent aux expositions coloniales de 1907 et 1931. La Société est aussi chargée de l’attribution du prix annuel décerné par la Villa Abd-el-Tif fondée en 1907 dans la banlieue d’Alger, sur l’exemple de la Villa Médicis à Rome, mais gérée par ses résidents, et qui permettra à plus de 80 artistes, lauréats du concours, de séjourner en Algérie. « La révélation m’est venue de l’Orient » constate Matisse en 1947. Réalisé suite au voyage de Matisse à Biskra de 1905 et daté de 1907, Nu bleu, souvenir de Biskra marquera durablement Braque, Picasso et l’histoire de l’Art occidental puisqu’il figure à l’Armory show de 1913 à New York avec Picabia et Duchamp. Matisse effectue ensuite deux séjours au Maroc, en 1912 et 1913, qui orientent son œuvre. Il est frappé d’y retrouver in vivo les représentations de Delacroix et les descriptions de Loti. Plutôt que le voyage, il préfère le séjour sédentaire et privilégie des espaces colorés et restreints à des détails pittoresques, comme Le café marocain (1913) ou Paysage vu de la fenêtre (1912-1913). L’année 1913 marque l’apogée de la production artistique orientaliste au XXe siècle. En 1914, Klee séjourne avec Macke et Molliet en Tunisie et c’est pour eux un moment fort. Ils refusent l’obsession du typique et retiennent, bien davantage que le motif, la synthèse de « l’Architecture de la cité, et l’Architecture du tableau ». Ils s'attachent aux contraintes de lumière et à des plages de couleurs, davantage qu'à la précision des décors ou des sujets. Klee peint les Coupoles rouges et blanches en 1914 : l'abstraction est en train de naître. Mais l’Orientalisme fait face à une impopularité croissante dans les premières décennies du XXe siècle; il connaît son chant du cygne avec le voyage de Klee. Les Surréalistes, à l'occasion des expositions coloniales, fustigent les Orientalistes qui passent au mieux pour des témoins complaisants d'une certaine misère, au pire pour les complices d'un colonialisme rampant. Même si Albert Camus fréquente assidûment la Villa Abd-el-Tif jusqu’à sa fermeture, goûtant les réunions avec les peintres qui représentent le pays de son enfance, la fin de la colonisation et l'indépendance de l'Algérie en 1962 signent la fin de ce mouvement artistique d'une longévité exceptionnelle, qui apporte aux générations successives, pendant plus de trois siècles, une interprétation évolutive du monde oriental, une lecture
La tentation orientaliste en France, du XVIIe au XXe siècle
inscrite dans une époque. Depuis le XVIIe siècle, chaque génération, chaque artiste, a puisé dans l'Orient sa palette, tentant désespérément de s'abstraire des Maîtres qui ont façonné le genre, à l’image de Cézanne : « nous y sommes tous dans ce Delacroix…Ces roses pâles, ces coussins bourrus, cette babouche, toute cette limpidité vous entrant dans l’œil comme un verre de vin dans le gosier, et on est tout de suite ivre. » L’Orient des Orientalistes apparaît parfois futile et parfois conscient de ce qu’il dépeint, totalement superficiel ou au contraire pur témoignage d’une histoire contemporaine, à l’image d’un monde où l’Orient et l’Occident se rencontrent, sans parvenir toujours à se reconnaitre et à se comprendre. Cet Orient-là est surtout pour l’Occident le lieu mythique de tous les rêves et de toutes les illusions.
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Editorial
Biskra, une oasis pour les peintres et les écrivains Marion Vidal-Bué Historienne de l’art
Roger Prouho, Rue du Vieux Biskra, Photographie - Collection Marion Vidal-Bué
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Maurice BOMPARD Voyage en Orient
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ill. 1: Le Grand Hôtel du Sahara à Biskra Carte postale - Collection Marion Vidal-Bué
Biskra et le chapelet d’oasis des Ziban, où Maurice Bompard a effectué la plupart de ses séjours, connurent à la fin du XIXe siècle et jusque dans les années précédant la Grande Guerre, une vogue touristique internationale telle qu’on ne peut s’en faire une idée qu’en évoquant celle de Marrakech de nos jours : de toute l’Europe et même d’Amérique, y accouraient pour des séjours souvent prolongés les intellectuels et les artistes, comme les aristocrates et les personnalités mondaines ou politiques les plus en vue, tous préfigurateurs de la Jet Set du XXe siècle. « Pays aux incomparables richesses, aux possibilités sans cesse élargies, Biskra captait jadis « tous les vagabonds du luxe voyageur ». Une plaquette éditée par la Ville, la Commune Mixte et le Syndicat d’Initiatives de Biskra dans les années 1950, et illustrée d’aquarelles du peintre Christian de Gastyne, évoque les visiteurs célèbres du jardin Landon 1,« aimablement mystérieux, créé pour le plaisir d’un esthète, le comte Landon de Longueville, serre géante qui réunit les plantes et les arbres aux origines les plus diverses et lointaines », « lieu de volupté et d’oubli » pour l’écrivain Louis Bertrand. « Dans ce jardin pour contes bleus, par une nuit transfusée de lune, nous nous plaisons à imaginer une grande silhouette s’avançant parmi les cyprès en quenouille et les oliviers d’argent : André Gide, promenant les jeunes réflexions qui devaient tant contribuer à sa gloire naissante et rendre son ombre plus grande encore. C’est à Biskra et singulièrement dans le jardin Landon que Gide trouva des nourritures à sa sensibilité, « des fruits de saveur sauvage et subite ». En effet, l’écrivain dont le premier des nombreux séjours datait de 1893 (il s’y était guéri d’une maladie pulmonaire), y conçut Les Nourritures Terrestres et Amyntas. Il y amena Francis Jammes, à l’Hôtel du Sahara [ill. 1], en face des jardins où le bougainvillée est si chatoyant, disait ce dernier, « qu’on en attrape un rhume de couleurs ». Oscar Wilde y abrita également ses évasions, Anatole France aimait à s’y asseoir pour méditer ses œuvres, les frères Tharaud y élaborèrent La Fête arabe. Un écrivain anglais, Robert Hichens, connut « un prodigieux succès » en 1905 avec le livre inspiré par l’oasis, Garden of Allah. Magali Boisnard, « gloire littéraire du Sud », possédait une maison entourée d’un vaste parc au-dessus de l’oued, non loin du petit café maure de Seksaf, elle voisinait alors avec Mrs. Clare Sheridan, écrivain et sculpteur anglais de grande renommée. Au centre de la cité, se trouvait la demeure du Cheikh El-Arab2, « oasis dans l’oasis, décor des Mille et une Nuits dessiné avec un art exquis par le plus grand des chefs du Sud. C’est là que Si Bouaziz Bengana venait méditer et chercher l’oubli ». Le cheikh recevait fastueusement, et en particulier sous la tente, à l’occasion de grandes chasses au faucon ou de diffas. Bâtie à la limite sud de l’Afrique romaine, (le limes), Biskra fut occupée dès l’Antiquité sous le nom de Vescera, et fut avec Négrine la seule oasis à avoir été chrétienne avant de devenir musulmane. Les archéologues également trouvaient donc de l’intérêt à se rendre en exploration dans cette région où des vestiges ensablés se rencontraient un peu partout. Protégée au nord par les derniers contreforts de la chaîne de l’Aurès qui la préserve des vents froids, à l’ouest par les mont du Zab, « la reine des Ziban » (Ziban est le pluriel de Zab), s’étend dans la vaste plaine drainée par l’Oued Djedi, accompagnée d’un chapelet de palmeraies plus ou moins importantes : « un million de palmiers, en une suite d’oasis, dont chacune recèle un charme inoubliable, font à Biskra la plus inoubliable des parures ». Située à une altitude moyenne de 121 mètres, la petite ville La villa de Bénévent ou jardin Landon, un magnifique enclos d’une dizaine d’hectares créé par le comte Landon de Longeville, planté d’essences très diverses, appartint ensuite à la comtesse de Ganay, précise le Guide bleu Hachette Algérie Tunisie de 1938. La famille Bengana gouvernait une vaste région située le long de l’oued El-Arab, d’où le titre de Cheikh El-Arab donné à son chef.
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Biskra, une oasis pour les peintres et les écrivains
ill. 2 : Le casino de Biskra Carte postale - Collection Marion Vidal-Bué
ill. 3: Les jardins du Royal Hôtel à Biskra Carte postale - Collection Marion Vidal-Bué
jouit d’un climat très sec et d’un ensoleillement maximal, qui la mirent à la mode comme station hivernale, climatique et même thermale. Voici ce qu’affirmait Emile Fréchon, un enthousiaste photographe, en 1892 : « Moins pittoresque que l’oasis, la ville européenne a bien aussi un cachet d’originalité… De hauts gommiers, des mimosas presque toujours fleuris jettent une gaieté de verdure, un sourire de fleurs, à cette froideur des rues trop symétriques. L’hiver, le dôme des feuillages protège des grands vents du nord les touristes frileux que le merveilleux climat du Sahara, si salubre aux poumons fatigués, si bienfaisant aux articulations raidies des goutteux et des rhumatisants, attire, chaque année en plus grand nombre. Cet afflux de délicats et de frileux que novembre jette sur l’oasis comme des oiseaux échappés à tire d’aile à la froidure et aux brumes, ont fait de Biskra une station hivernale ; c’est aujourd’hui un confort d’hôtels, un luxe de magasins, une surabondance de toutes choses inattendues en ce milieu saharien […] Voici qu’il est question d’un casino […] après le casino, un établissement d’hydrothérapie […] Biskra deviendra vite un Aix-les-Bains hivernal […] et la Nice saharienne, avec son champ de course où [flottent] les manteaux rouges des spahis […] les burnous blancs des Chambaa… » En effet, le chemin de fer mit la ville à la portée des moins intrépides dès 1889, au départ d’Alger, de Constantine ou de Tunis, via Batna. Le casino [ill. 2] et l’établissement thermal furent construits, le premier au sein du jardin Landon et dans le style mauresque, selon les plans de l’architecte Albert Ballu auquel on devait déjà d’importants édifices dans la capitale. Un pittoresque « tramway » tiré par un cheval y conduisait les amateurs, et continuait pour les curistes jusqu’aux installations d’ Hammam Salahine, distantes de quelques kilomètres. Les sources chaudes étaient réputées depuis l’Antiquité pour leur effet « puissant et salutaire », elles jaillissaient « dans un décor bizarre formé par un amas de collines lumineuses et par la blanche façade d’un bâtiment de style oriental », ainsi qu’on l’expliquait dans un reportage de L’Afrique du Nord Illustrée. On appréciait en outre la promenade publique, le bel Hôtel de Ville, le « Café Glacier » très chic et les cafés dansants de la rue des Ouled Naïls, plus folkloriques. L’Hôtel de l’Oasis, avant que le luxueux Hôtel Transatlantique ne vienne le détrôner, représentait « le lieu rêvé pour rencontrer toutes les personnalités venant au Sahara », selon les termes de la fille du peintre orientaliste Paul Leroy, qui y séjournait régulièrement à partir de 1884, tout comme son aîné Charles Landelle, l’un des premiers entre les fidèles artistes qui avaient élu Biskra pour centre privilégié de leur inspiration picturale. Ils retrouvaient par exemple en 1889 leur confrère de la Société des Peintres Orientalistes français, Maurice Bompard, déjà venu en 1882 et de retour pour son voyage de noces, ou l’Américain Charles James Theriat, en villégiature avec sa mère, qui grossissait les rangs des dames et ladies chapeautées et armées d’ombrelles de dentelle, prenant le thé en fin d’après-midi dans les allées sableuses [ill. 3]. Un autre Américain, et des plus brillants, avait précédé Theriat avec un premier séjour en 1872 : Frederick Arthur Bridgman, dont l’abondante œuvre algérienne figure parmi les plus séduisantes. Il fit partie de ces étrangers qui, attirés par la France des impressionnistes ou de leurs successeurs, prolongeaient un séjour à Paris et en Bretagne par quelques semaines en Afrique du Nord, et en particulier donc, à Biskra. Ainsi, les Britanniques Frederick Leighton et Henry Silkstone Hopwood, les Belges Louis-Jospeh Anthonissen , Henri Evenepoel, Gustave Flasschoen ou Henri Vergé-Sarrat, firent-ils suite à l’Italien
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Maurice BOMPARD Voyage en Orient
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ill. 4 : Antonin Neurdein, Femme de la tribu des Ouled-Naïls, Collection Musée de l’Histoire de la France en Algérie, Montpellier
Gustavo Simoni, et se relayèrent-ils avec le Hongrois Blaskovits-Ferenc, le Hollandais Marius Bauer ou avec Adam Styka, d’origine polonaise, pour ne citer que quelques uns des artistes venus renouveler leur palette grâce à la beauté des paysages et au pittoresque des habitants de Biskra, tout en jouissant d’un soleil quasiment inaltérable, qui exaltait les moindres haillons et magnifiait les couleurs des modestes constructions de toub. Il faut se représenter l’allure, sans doute assez comique aux yeux des bédouins, de ces hommes venus du Nord, qui se répandaient dans le désert munis d’une panoplie destinée à les garantir de l’ardeur du soleil : casque colonial, bottines lacées, veste saharienne ajustée, cravate, ombrelle ou plutôt parasol ! Dans un petit livre rendant hommage à son père, la fille de Paul Leroy le décrivait ainsi, peignant « toujours à l’ombre d’un parasol fortement doublé de toile verte […] Dans ses moindres sorties, son feutre noir à très larges bords le protège efficacement du jour aveuglant ; en été, il porte ses lunettes vertes ». Elle racontait aussi comment « Charles Landelle, d’une activité incessante, travaillait sur le motif des heures entières » et « allait ensuite se délasser en interminables parties de billard ». Ou encore, comment Landelle fit visiter, en break, l’oasis et ses environs au jeune Leroy, qui en garda « une impérissable impression ». Raoul de Dombasle, un peintre nancéen qui s’y rendit avec son confrère et ami Emile Friant, en 1892, relata pour la revue Lorraine artiste son séjour de deux mois à Biskra, en commençant par les appréhensions suscitées par les commentaires d’un ami assurant que « Une des plus grandes distractions est d’aller tous les soirs à l’arrivée du train de France, voir débarquer les voyageurs. Le tout Biskra s’y précipite. Le soir, on se demande : Avez-vous été au train… il y avait quinze touristes… Après cela, il y a les deux rues des Ouled Naïls avec ces dames, les cafés maures et les danses du ventre ou du sabre, trois bazars, un coiffeur qui tient l’article de chasse et un libraire qui joue de l’orgue de barbarie, et c’est tout. » [ill. 4]. Mais, reconnaissant qu’il ne conseillerait jamais Biskra « aux gens qui veulent s’amuser », l’artiste expliquait ensuite ses nombreuses émotions esthétiques devant « le grand décor biblique du désert », un clair de lune révélant « un ciel brillant sur une nappe de sable », un soleil couchant de janvier avec « un rayonnement féerique d’une nature où le soleil semblait un énorme feu de bengale, des harmonies de tons changeant à chaque instant comme les visions d’une apothéose », et relatait comment il avait apprécié le charme des jeunes filles, observé avec curiosité les rites des habitants du village nègre ou les coutumes des familles traditionnelles, en retirant à chaque fois des sujets de tableaux. Mais nous n’aurons garde d’omettre les « découvreurs » de l’oasis, et en premier lieu, Eugène Fromentin, qui vint y peindre en 1848 et lança pour ainsi dire le Sud Algérien et Biskra, motivant un nombre considérable de peintres français à faire le voyage, tant par ses subtils tableaux des paysages et des mœurs de la région, que par la publication ultérieure de ses impressions de voyage dans un livre remarquable, Un été au Sahara3. Comme quelques autres artistes à cette époque (et en particulier Théodore Chassériau, l’un des plus grands par le talent), Fromentin dont c’était le second séjour en Algérie, s’était d’abord rendu à Constantine en compagnie d’Auguste Salzmann (peintre et surtout par la suite, photographe de talent dont on remet le travail à l’honneur)4, à la recherche d’un exotisme plus authentique, moins contaminé qu’à Alger, avant tout désireux de contempler, « la vie arabe et la vie juive comme aux premiers jours ». Découragé par des pluies aussi diluviennes qu’incessantes, il décida de partir pour le Sud, après une halte mémorable à El Kantara, « la porte du désert », la « porte
Biskra, une oasis pour les peintres et les écrivains
ill. 5 : Emile Fréchon, Ouled Naïls, Collection Musée de l’Histoire de la France en Algérie, Montpellier [Inv. 2011.66.1.19]
d’or », sur laquelle il écrivit des pages superbes. Les toiles de Fromentin firent découvrir à ses contemporains la vie pastorale des nomades algériens, la beauté de leurs chevaux, le spectacle inoubliable des grandes caravanes en déplacement, et les couleurs souvent très fines des paysages du désert et des habitations sahariennes. Elles démontraient aussi comment la lumière intense et la chaleur extrême pouvaient moduler les tonalités du paysage aux différentes heures du jour. C’est à Biskra encore, que Gustave Guillaumet, un autre de ces grands peintres ayant su prendre la plume pour rédiger un livre intitulé Tableaux algériens, passa en 1862 ses premières semaines en Algérie, contraint il est vrai par une fâcheuse malaria de séjourner durant trois mois à l’hôpital militaire. Il avait en tous cas contracté un autre virus, celui de l’amour du Sud et du désert, unique sujet de ses peintures avec les Hauts Plateaux et les montagnes de Kabylie. Mieux que tout autre, il sut transcrire l’atmosphère des intérieurs ksouriens dans ses tableaux, livrant une série de toiles d’une réelle subtilité sur le thème des femmes occupées à filer, à tisser, ou à préparer les repas, jouant sur une palette très sobre de gris et de brun coupés de bleu, de vert ou de rouge, pour modeler les jeux d’ombre et de lumière. L’une de ses œuvres les plus souvent reproduites est un paysage où dominent l’ocre, le gris et l’argent : La séguia près de Biskra compte parmi les chefs-d’œuvre du musée d’Orsay. Il serait fastidieux d’énumérer tous les excellents artistes qui, au XIXe siècle, ont aimé vivre et peindre à Biskra ou dans les oasis voisines, El Bordj, Chetma, Tolga ou Sidi Okba, mais également injuste de passer sous silence les meilleurs : Victor Huguet, Maurice Bompard ou Louis Appian, Charles Cottet ou Maxime Maufra (ces deux derniers, renommés comme peintres d’une Bretagne un peu austère, trouvèrent comme tous les autres à Biskra matière à égayer leurs sujets et partant leur coloris), Gabriel Ferrier qui anima un atelier très prisé aux Beaux-Arts de Paris ou encore, Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ, orientaliste raffiné, et bien sûr, Eugène Girardet, le plus fécond et le plus descriptif des peintres du Sud de l’Algérie, passionné de vastes paysages aurésiens et de scènes de mœurs bédouines. Biskra continua d’attirer quantité de peintres au XXe siècle, et nous citerons simplement les noms d’Henri Matisse, visiteur en 1906, mais tout à fait décontenancé par le désert et sa lumière trop aveuglante, et celui de Maurice Denis, dont le séjour préparé par le mécène et collectionneur Louis Meley en février 1921 produisit quelques toiles assez extraordinaires5. Et nous mentionnerons, pour terminer cette évocation de Biskra inspiratrice des artistes, le fait que l’oasis fut choisie, dans les années 1940, pour abriter un atelier aménagé dans le cadre idéal du jardin Landon, afin de permettre aux pensionnaires de la villa Abd-el-Tif de puiser couleurs et sensations fortes dans la lumière des Ziban.
Les Editions Paris Méditerranée rééditent en 2004 une version en fac-similé de l’édition de 1887 regroupant Une année dans le Sahel et Un été au Sahara, d’Eugène Fromentin, avec des reproductions des gravures originales illustrant l’ouvrage. Cent-soixante quatorze clichés d’Auguste Salzmann pris à Jérusalem ont fait l’objet d’une grande vente à l’Hôtel Drouot à Paris le 14 mai 2004, et ont atteint des prix impressionnants. Retrouvera-t-on un jour des clichés pris en Algérie ? 5 On pourra se reporter au livre de Marion Vidal-Bué, L’Algérie du Sud et ses peintres, pour en savoir plus et regarder d’autres tableaux. 3
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Maurice Bompard,
Photographie - Archives Bompard, musĂŠe Denys-Puech, Rodez
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Maurice Bompard Sous le soleil de Biskra Sophie Serra
AttachĂŠe de conservation, MusĂŠe Denys-Puech
Maurice BOMPARD Voyage en Orient
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La jeunesse et les années de formation (1857-1882)
ill. 1: Maurice Bompard, Le repos du modèle
Huile sur toile - 185 x 210 cm - Musée Denys-Puech, Rodez [Inv. 1911.2.1]
Né à Rodez le 11 février 1857, Maurice Bompard est le septième des huit enfants d'une famille de négociants aisés. Il quitte la ville en 1865 avec sa famille pour s’installer à Marseille. Au pensionnat Saint-Charles, dont il est l'élève pendant huit ans, il reçoit ses premiers cours de dessin du frère Sévoldus dont il fera plus tard un grand portrait 1. En 1873, il entre à l’école des Beaux-Arts de Marseille où il devient l'élève de Dominique-Antoine Magaud. Deux ans plus tard, il part à Paris et fréquente pendant quelques temps l'Académie Julian avant de s'inscrire à l’Ecole des Beaux-Arts où il est l’élève du peintre orientaliste Gustave Boulanger et de Jules Lefebvre, peintre d’Histoire. Il est présenté par ses camarades comme doué, sérieux et travailleur mais doté d’un tempérament enjoué et d’un naturel aimable : « Il peignait, comme il parlait, avec accent, abondance, facilité » affirme Paul Buffet. En 1878, à vingt-et-un ans, il expose pour la première fois au Salon des Artistes Français et présente deux portraits de style académique. En 1880 il reçoit une première récompense (médaille de troisième catégorie) pour un nu intitulé Le repos du modèle 2 [ill. 1]. Il produira ensuite de nombreux nus dans des décors approchants (Le début à l’atelier, présenté au salon de 1881 ; La femme au turban ; Femme à sa toilette…) ; il connait ses premiers succès avec ces œuvres dans la plus pure tradition académique.
Les premiers voyages et la tentation orientaliste (1882-1889)
ill. 2: L’atelier de Maurice Bompard dans le Sud de l’Espagne, Photographie - Archives Bompard, Musée Denys-Puech, Rodez
En 1882, Maurice Bompard reçoit une bourse pour un voyage d'étude : il part visiter l'Espagne et la Tunisie ; cela marquera un tournant dans sa vie et dans sa carrière. Dans le Sud de l'Espagne, il respire pour la première fois le parfum d'un orient rêvé : il visite très certainement le palais de l'Alhambra dont il utilisera plus tard certain motifs architecturaux dans ses tableaux. Sur place, il se plait à recréer des « ambiances orientales » en atelier en s'aidant de figurants costumés comme en témoignent plusieurs photos non datées mais très certainement prises à Grenade, Cordoue ou Séville , dans un lieu marqué par l'architecture mudéjare que l'on reconnaît à ses arcs outrepassés [ill. 2]. Il fait aussi escale en Tunisie mais l'on ne sait pas précisément où. Il revient fasciné par la lumière de l'Afrique du Nord et affamé d'exotisme. Sa peinture en sera profondément changée. Mais ce premier voyage ne marque pas seulement ses débuts « d'orientaliste », il est surtout un prélude à sa vie de « peintre voyageur ». Maurice Bompard découvre sans doute lors de ce voyage la nécessité qui l'habite de s'exiler pour créer ; après ce premier essai, il cherchera toute sa vie à aller « ailleurs » pour trouver l'inspiration et captera l'essentiel de ses sujets au cours de ses nombreux voyages, d'abord en Algérie, puis à Venise. Quel que soit le lieu, il ne s'agira pas pour lui de petites escapades exotiques mais de longs séjours où il s'installera durablement à l'étranger, revenant à de nombreuses reprises dans les mêmes lieux pour s'imprégner des atmosphères et des modes de vie, croquant avec précision et sensibilité les paysages et les coutumes des habitants. Ainsi, de février 1889 à octobre 1893, il a séjourné quasiment six mois par an dans le Sud Algérien ; entre deux séjours, il fait une escale indispensable à Paris pour présenter ses œuvres au Salon et vendre ses tableaux. Il n'est pas le seul à choisir cette voie. Comme le souligne Christine Peltre 3, au XIXe siècle, nombreux sont les artistes qui, lassés de la 1 2 3
Actuellement conservé au musée des Beaux-Arts de Marseille. Actuellement conservé au musée des Beaux-Arts de Rennes ; le musée Denys-Puech en possède une variante. L’invention du désert in L’appel du désert, Les peintres voyageurs en Algérie (1870-1910), catalogue d’exposition, musée du Vieux-Château, Laval, 2008.
Maurice Bompard sous le soleil de Biskra
vie mondaine parisienne et d'une existence urbaine par trop sédentaire, adoptent selon la formule de Charles Baudelaire « la haine du domicile et la passion du voyage » 4. Le séjour tunisien de Maurice Bompard lui inspire un beau tableau de grandes dimensions intitulé Boucher tunisien 5 [ill. 3] qu'il présente au salon de 1884. La scène est triviale : deux femmes voilées et une fillette parée de bijoux négocient à l'étal d'un boucher tandis que des têtes de moutons achèvent de pourrir au soleil au premier plan. Le contraste est saisissant entre la douceur du visage de la fillette et l’âpreté du décor. L'accueil de la critique est enthousiaste, l'Etat se porte acquéreur. On retrouve dans ce tableau le goût de Maurice Bompard pour les scènes de genre d'un pittoresque un peu convenu qu'il avait déjà exploité dans Un Cul-de-jatte, scène de vie des Romanichels présenté au Salon en 1882. Mais, même si Bompard ne témoigne pas encore d'un style complètement renouvelé, on voit déjà poindre la recherche d'un certain réalisme servi par un sens aigu de l'observation. Le Boucher Tunisien fait toutefois figure d'exception dans la production de sa première période orientaliste. En effet, de 1884 à 1889, Maurice Bompard se laissera volontiers porter par son goût pour un « Orient de pacotille » prétexte à croquer de jeunes beautés alanguies, de mâles guerriers armés de cimeterres ou des gardiens de harem enturbannés. La prière à la mosquée (Salon de 1886) ou Un harem à Grenade (Salon de 1888) sont de cette veine ainsi que les nombreuses odalisques (non datées) qu'il exécute en série et sans grande originalité. On peut sans doute aussi classer le très beau Gardien du harem 7 (non daté) dans cette première série. Il est amusant de noter que Maurice Bompard a tiré profit de son séjour à Grenade puisque, pour le décor du Gardien du harem, il s'est inspiré des fines colonnes cerclées et des azulejos de l'Alhambra. ill. 3 : Maurice Bompard, Le boucher tunision, 1884
Huile sur toile - 321 x 220 cm - Dépôt du FNAC au Musée du château de Nérac
Les années algériennes (1889-1893) Le 26 février 1889 Maurice Bompard épouse Amélie Perretti, une jeune musicienne de vingt ans. Ils partent quelques jours plus tard dans la région de Biskra, dans le Sud Algérien, pour un séjour de trois mois, de mars à mai 1889. Biskra est la capitale de la région présaharienne des Ziban, dans le Sud Constantinois, au pied des Aurès : elle est constituée d'un chapelet d'oasis avec des palmeraies où les dattiers se comptent en centaines de mille. Depuis la prise de possession des Français en 1844, c'est la région du Sud Algérien la plus fréquentée par les peintres français en mal d'exotisme mais on y croise aussi de nombreuses autres nationalités. Eugène Fromentin y vient en 1848 ; Gustave Guillaumet y passe ses premières semaines en Algérie en 1862. En 1889, le chemin de fer vient de rallier Biskra ; des hôtels confortables accueillent les Occidentaux, on trouve aussi une caserne et son cercle militaire, un hôpital, une église, une école et de très beaux jardins aménagés pour la promenade. Maurice Bompard ne part donc pas véritablement à l'aventure dans un territoire reculé et sauvage. Mais le marché de Biskra, où pouvaient se rencontrer des marchands venus de toute la région des Ziban avec dattes et légumes mais aussi des conteurs, des musiciens et des caravaniers du Grand Sud venus de Tombouctou avec des denrées plus exotiques ; le quartier proche du caravansérail où s'installaient les caravanes qui arrivaient quotidiennement ; les souks où les artisans tailleurs et savetiers proposaient leurs marchandises ; le quartier des Ouled Naïls, courtisanes et danCharles Baudelaire, Les Foules dans Le Spleen de Paris. Ce beau tableau qui fait partie des collections du CNAP, actuellement en dépôt au musée du château de Nérac, n’a pu être présenté dans l’exposition car il est en cours de restauration. 6 Cat n° 02 4 5
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Maurice BOMPARD Voyage en Orient
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ill. 4: Maurice Bompard, Les bouchers de Chetma, 1890
Huile sur toile - 128 x 187 cm - Musée des Beaux-Arts, Marseille [Inv. 647A]
seuses aux charme raffiné et les riches bazars situés près des hôtels offraient encore aux peintres et aux écrivains en villégiature de nombreux sujets d'étude. Pour ceux qui étaient tentés par un exotisme plus radical, à deux kilomètres au sud de Biskra, vers Touggourt, se trouvait le Vieux Biskra, ensemble de sept petits villages à l’architecture traditionnelle en toub, briques d'argile et d'écorce de palmier. Pour son premier séjour, Maurice Bompard ne semble pas s'être aventuré plus loin mais il est tellement enthousiaste que l'un de ses amis déclare « Ce voyage qui ne devait durer que deux mois, fût de deux ans tant il prit plaisir. Une fièvre de travail le secoua (...) ».7 En réalité Maurice Bompard revient à Paris en mai 1889 ; il en rapporte de nombreuses scènes de vie quotidienne quasi intimistes - Intérieur saharien avec figures d’enfants, Fileuse vêtue de jaune, Femme vêtue de bleu près du feu, Fumeur de Kif... – qui témoignent d'un souci réel de retranscrire avec une grande précision les ambiances et les modes de vie des habitants du vieux Biskra. Il s'est aussi exercé à dépeindre le village lui-même – Une rue de l’oasis du vieux Biskra – avec beaucoup de justesse. Il repart dès le mois d'octobre 1889 pour un second séjour de cinq mois dans la région de Biskra. Au cours de ce second voyage, il s'aventure hors de la ville pour découvrir Sidi Okba, petit village en terre aux rues étroites bordées de boutiques et surplombé par une très belle mosquée ancienne qui est la capitale religieuse des Ziban, où repose le conquérant arabe Okba-ben-Nafi, fondateur de Kairouan. Il visite également la petite oasis de Chetma située à quelques kilomètres de Biskra que l'on décrit comme « un bouquet de verdure que néglige la grand route mais où les palmiers sont magnifiques et les jardins luxuriants ». Cela deviendra son lieu de prédilection : il y séjournera à plusieurs reprises et fera de l'oasis et de ses habitants le sujet de nombre de ses tableaux. C'est là qu'il brosse Les bouchers de Chetma [ill. 4] qui obtient la médaille d'argent au Salon de 1890 et qui reste l'un de ses chefs-d'œuvre. Traité en clair obscur, le sujet est prosaïque mais exposé avec simplicité, comme une scène de rue captée dans sa réalité crue mais sans l’emphase misérabiliste que de nombreux peintres orientalistes n’ont pas su éviter. Maurice Bompard n’a plus besoin de recourir à des clichés ou des poncifs pour Parisiens en mal d’exotisme : il s’attache à décrire ce qu’il voit. Revenu à Paris en février 1890, il repart en août pour son troisième séjour dans le Sud Algérien. Durant quatre mois, d'août à novembre 1890, il semble s'être consacré exclusivement à dépeindre l'oasis de Chetma et ses habitants. C'est de ce voyage que date Une rue de l'oasis de Chetma 8 et L'oued Chetma en été 9; l'intérêt de Maurice Bompard se porte désormais autant sur les scènes intimistes que sur le cadre de vie des habitants de l'oasis de Chetma : le village, l'oued, la mosquée de Sidi Messaoud... Il y reviendra encore l'année suivante pour peindre La Diffa (Le repas de l'hospitalité) [ill. 5] ou La Récolte des dattes, ou un simple Anier à Biskra 10 mais son quatrième voyage dans le Sud Algérien, d'août à novembre 1891, l'amène aussi à El Kantara, « la porte du désert », au nord de Biskra. L'oasis, située au débouché d'une gorge abrupte, se détache sur les masses gigantesques des rochers colorés de violet et de rouge du Djebel Gaous et du Djebel Essor. Les bords de l'oued sont couronnés de palmiers. « Tous les artistes de passage furent impressionnés de la même façon par le site, et tous s'emparèrent de l'image des caravanes traversant les villages de terre selon un rythme infini qui évoquaient pour eux « un chapitre de la Bible en action ».11
ill. 5: Maurice Bompard, Le repas de l’hospitalité, 1891
Huile sur toile - 138 x 181 cm - Musée des Beaux-Arts, Marseille [Inv. C407]
Lettre, Archives Bompard , musée Denys-Puech, Rodez. Cat n° 05 Cat n° 04 10 Cat n° 10 11 Marion Vidal-Bué, L’Algérie du Sud et ses peintres, EDIF, 2000. 7 8 9
Maurice Bompard sous le soleil de Biskra
ill. 6 : Maurice Bompard, La prière de trois heure, 1892-1893 Huile sur toile - 175 x 235 cm - FNAC/ Dépôt au Sénat [FNAC134]
En juillet 1892, Maurice Bompard entame son cinquième et plus long séjour dans le Sud Algérien ; il restera près de neuf mois essentiellement dans la région d'El Kantara. Il en ramènera l'une de ses rares évocations du désert - La Prière de trois heures « Salat el Asser » - Scène de la vie arabe – [ill. 6], remarquable de sobriété et de sensibilité malgré ses très grandes dimensions, qu'il présentera au Salon de 1893 et qui a été acquis par l'Etat.12 Il continue aussi à croquer avec bonheur de petits instants de la vie quotidienne : Enfant arabe à la rivière d’El Kantara 13 ou La cueillette des figues de Barbarie à El Kantara. En 1893, il retourne à Biskra pour son dernier séjour mais, alors qu'il est de passage, à El Kantara, son domestique lui révèle que des bandits qui venaient d'assassiner un concessionnaire en travaux publics pour lui enlever sa sacoche projetaient de lui réserver le même sort, d'après une conversation entendue chez le « caouadji ».14 Maurice Bompard rentre alors précipitamment à Paris. Il ne retournera plus dans le Sud Algérien avant 1918.15 C'était un homme qui appréciait le dépaysement, pas un aventurier. Dès l'année suivante, il part à la découverte de Venise, porte de l'Orient, qui lui offrait une qualité de lumière très particulière, des scènes pittoresques comme il les appréciait, et la sécurité qu'il craignait de ne plus avoir dans le Sud Algérien. 1893, l’année qui marque son départ d’Algérie, est aussi l'année où il adhère à la Société des Peintres Orientalistes Français, dès sa création, en compagnie de Léonce Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg et de treize autres artistes parmi lesquels Etienne Dinet, Adolphe-Charles Landelle et Paul Leroy... De fait, jusque vers 1899, Maurice Bompard a continué d'exploiter en atelier les sujets qu'il avait glanés dans la région de Biskra et d'El Kantara. De son dernier voyage il rapporta notamment un très beau Intérieur de mosquée à Sidi Okba. Il exposera quelques unes de ses toiles orientalistes à l'exposition universelle de 1900, à l'exposition coloniale de Marseille de 1906 et au Salon des artistes algériens et orientalistes d'Alger. Il abandonnera ensuite définitivement la peinture orientaliste au profit de ses sujets vénitiens. Comme le souligne Christine Peltre « Il serait réducteur d'imaginer les voyages comme une simple projection des ambiances d'atelier. Le monde oriental est véritablement attendu comme un ailleurs, une rupture – mais défini là par un filtre culturel, essentiellement constitué d'impressions littéraires ou scéniques. » De fait, la rencontre entre Maurice Bompard et le Sud Algérien a complètement renouvelé sa vision de l’orient. La rupture est nette, impressionnante et définitive. Il y a loin de la Scène de harem 16 aux Bouchers de Chetma. Même s’il garde ses yeux d’occidental – il observe de l’extérieur et ne sera jamais tenté comme Dinet ou Verschaffelt de passer de l’autre côté du miroir - ; même s’il conserve un certain goût pour le pittoresque dans le choix de ses sujets, son regard semble s’être dépouillé des artifices de l’académisme ; à Biskra, Maurice Bompard a fait sortir sa peinture de l’atelier pour la confronter à la vie. De nombreux thèmes sont récurrents chez les peintres du Sud Algérien, et plus largement chez tous les orientalistes : le désert – pays de la soif selon la belle formule d’Eugène Fromentin - ; la caravane – bédouins en transhumance ou marchands circulant d’une oasis à l’autre - , l’oued – lieu de rencontre, de détente, de repos - ; l’architecture de terre, mosquées et minarets ; la prière publique, les marchés, Il est actuellement en dépôt au Sénat. Cat n° 17 Lettre, Archives Bompard , musée Denys-Puech, Rodez. 15 Une lettre (Archives Bompard , musée Denys-Puech, Rodez) atteste qu’il a fait un voyage d’agrément en Algérie d’où il est rentré « la joie au coeur du beau voyage» effectué; mais il n’est plus question là du peintre voyageur mais du simple touriste. 16 Cat n° 03 12 13 14
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Maurice BOMPARD Voyage en Orient
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les danseuses Ouled Naïl, les musiciens du Sud… Mais ce ne sont pas les paysages, même les plus majestueux, qui ont attiré Maurice Bompard ; il a rarement peint le désert (La prière de trois heures [ill. 7] est à ce titre une exception mais l’immensité du désert est là surtout pour souligner la solitude et l’insignifiance de l’homme face à son destin), et s’il a décrit dans de nombreux tableaux l’oasis de Chetma ou la mosquée de Sidi Okba, ce sont avant tout les hommes et leurs activités quotidiennes qui l’ont attiré. Il a excellé dans les scènes intimistes, dans les petits instants de vie croqués avec simplicité. Il n’a pas forcément choisi les sujets les plus spectaculaires : pas de caravane – on connait seulement un petit tableau intitulé Chameau au repos qui montre un animal harnaché somptueusement couché dans une ruelle - pas de scène de marché bruyante, pas de prière collective en plein air mais un marchand de dattes, un ânier, une fileuse… Et lorsqu’il peint une Ouled Naïl, il la montre dans son intérieur, posant comme en un atelier, et non pas dansant face à son public. Il ne se montre pas particulièrement original dans le choix de ses sujets ; Landelle a peint une tisseuse dans une position très similaire à celle de la fileuse de Maurice Bompard ; les Ouled Naïls étaient parmi les sujets favoris des peintres du Sud Algérien qui se sont tous également attachés à peindre femmes et enfants vaquant à leurs tâches quotidiennes mais Maurice Bompard semble avoir tenté de se rapprocher le plus possible de la vérité de ses modèles sans faire d’eux (ou d’elles) une évocation de la simplicité et de la rudesse antique, comme a pu le faire Landelle, ou des faire-valoir d’un exotisme facile.
ill. 7 : Maurice Bompard, Rassemblement pour la procession (détail) Huile sur toile - 35 x 26,5 cm - Musée d’art et d’histoire, Narbonne [Inv. 99-2-1]
Au cours de ces quatre années où Maurice Bompard a fréquenté le Sud Algérien, il n’a pas seulement « changé de sujet » en passant des Nus dans l’atelier aux portraits d’Ouled Naïls, il a véritablement renouvelé son rapport à la peinture. Son style évolue, sa touche est plus libre, il abandonne la facture lisse qui caractérisait ses tableaux précédents marqués par un académisme convenu. Il s’attache à capter la lumière du Sud Algérien, à la mettre en valeur par un clair obscur maitrisé – Les bouchers de Chetma, La fileuse… - ; les blancs et les ocres qui envahissent sa palette – Une rue de l’oasis de Chetma 17, Le rassemblement pour la procession 18... - lui permettent de transmettre la sensation de luminosité aveuglante qui a marqué tous les peintres de passage à Biskra Cependant, on ne peut nier que tous les tableaux d’inspiration « algérienne » de Maurice Bompard ne sont pas de même qualité. Il avait coutume, comme beaucoup de peintres de son temps, de faire de multiples copies du même sujet : il note ainsi dans un carnet de vente conservé par le musée DenysPuech pas moins de quatre versions d’Une rue de l’oasis de Chetma 19 en 1890 ou six versions de La récolte des dattes en 1891, et toutes les versions ne figurent pas forcément dans le carnet ! Toutes ces copies n’ont pas forcément été exécutées dans le Sud Algérien. De la fraicheur de la rencontre à la copie d'atelier stéréotypée, certaines œuvres produites en série peuvent manquer de naturel. En outre, Maurice Bompard a continué à vendre des tableaux « algériens » pendant quelques années après son départ précipité d’El Kantara, de 1893 à 1899, ainsi qu’il le note dans son carnet ; sans doute aussi en a-t-il peint à la demande, avant d’être définitivement reconnu comme le peintre de Venise. Ses dernières ventes de tableaux orientalistes sont notées en 1899.
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Cat n° 05 Cat n° 16 Cat n° 05
Maurice Bompard sous le soleil de Biskra
Les années vénitiennes (1894-1918) et la fin de vie (1918-1935) En 1894, il découvre Venise et y séjourne trois mois d’octobre à décembre. Il y retournera ensuite régulièrement pour s’y installer jusqu’à six mois par an. Il s’attache à dépeindre les canaux et la vie quotidienne des Vénitiens comme il s’était pris à peindre celle des habitants de Biskra. Il vit simplement et s’installe au bord du Grand canal dans un vieux palais décati loué pour une bouchée de pain. Il considère alors la cité des Doges comme « une seconde patrie » ; les Vénitiens le surnomment il pittore in camicia - le peintre en chemise. Il produit au cours de ces quatorze années une très grande quantité de vues de Venise qui lui assurent la renommée et l’aisance financière qu’il espérait. Il ne met fin à ses séjours qu’après la première guerre mondiale, les voyages étant devenus beaucoup plus coûteux. Il se contente ensuite, pour tout exotisme, de son atelier parisien, qu’il a aménagé somptueusement, de sa maison près d’Yport en Seine-Maritime et de ses nombreux séjours à Rodez et en Aveyron. ill. 8 : Maurice Bompard, Vue de Venise
Huile sur toile - 27 x 35 cm - Musée Denys-Puech, Rodez [Inv. 1991.1.1]
Maurice Bompard expose au Salon jusqu’à sa mort, à Paris, en 1935. Il est connu essentiellement pour ses œuvres vénitiennes ; l’épisode orientaliste n’aura été pour lui qu’un court intermède et pourtant ces quelques années lui ont permis de réaliser ses œuvres les plus originales, celles où il fait véritablement montre de toute sa personnalité de peintre.
Annexe : Les voyages de Maurice Bompard dans le Sud Algérien Premier Voyage (mars-mai 1889) : Biskra Deuxième voyage (octobre 1889-février 1890) : Sidi Okba et l'oasis de Chetma Troisième voyage (août à novembre 1890): l'oasis de Chetma Quatrième voyage (aout à novembre 1891) : El Kantara et l'oasis de Chetma Cinquième voyage (juillet 1892-mars 1893): El Kantara et M'Chounech (El Abiot) Sixième voyage (bref aller-retour en août 1893) Septième voyage (septembre à décembre 1893) : Sidi Okba
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Catalogue des oeuvres exposĂŠes
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01
Maurice BOMPARD - Jeune orientale à la plume de paon
Huile sur toile (acajou) - 35 x 26,5 cm - Collection particulière
37
02
Maurice BOMPARD - Le gardien du harem Huile sur toile - 57 x 31 cm - Collection particulière
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03
Maurice BOMPARD - Scène de harem
Huile sur toile - 40 x 56 cm - Musée des Beaux-Arts, Marseille [Inv. C 229]
40
04
Maurice BOMPARD - L’oued Chetma en été, 1890
Huile sur toile - 90 x 120 cm - Musée des Beaux-Arts d’Agen [Inv. 243 P]
41
05
Maurice BOMPARD - Une rue de l’oasis de Chetma, 1890
Huile sur toile, 140 x 160 cm - Musée des Beaux-Arts, Marseille [Inv. C 389]
42
06
Maurice BOMPARD - L’oasis de Chetma, 1890 Huile sur toile - 56 x 46 cm - Collection particulière
43
07
Maurice BOMPARD - La fileuse, 1889
Huile sur bois, 50 x 35,5 cm - MusĂŠe des Beaux-Arts, Marseille [Inv. C 391]
44
08
Maurice BOMPARD - Danseuse
Dessin - 15,5 x 20,5 cm - Collection particulière
45
09
Maurice BOMPARD - Ouled Naïl de Biskra, 1898 Huile sur toile, 74 x 60 cm - Musée Denys-Puech, Rodez [Inv. 2006.0.23]
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47
10
Maurice BOMPARD - Souvenir de Biskra, 1892 Huile sur toile - 89,3 x 116, 5 cm - MUba Eugène Leroy, Tourcoing [Inv. 893-5-1]
48
11
Maurice BOMPARD - Un campement dans le désert
Huile sur bois - 17 x 26,5 cm - Musée des Beaux-Arts, Marseille [Inv. C 399]
49
12
Maurice BOMPARD - La prière du soir
Huile sur bois, 18 x 27 cm - Collection particulière
50
13
Maurice BOMPARD - Une rue près de Biskra, 1891 Huile sur toile - 35,2 x 27,7 cm - Musée des Beaux-Arts d’Agen [Inv. 7 BR]
51
14
Maurice BOMPARD - Anier à Chetma, 1891 Huile sur toile - 48 x 38 cm - Musée des Beaux-Arts d’Agen [Inv. 6 BR]
52
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15
Maurice BOMPARD - Les marchands de dattes Ă Biskra, 1890
Huile sur toile - 56 x 34, 5 cm - Collection particulière
54
16
Maurice BOMPARD - Rassemblement pour la procession
Huile sur toile - 35 x 26,5 cm - Musée d’art et d’histoire, Narbonne [Inv. 99-2-1]
55
17
Maurice BOMPARD - Enfant arabe à la rivière d’El Kantara
Huile sur toile - 65 x 54,5 cm - Collection particulière
56
57
18
Etienne DINET - Sur une terrasse un jour de fête à Bou Saâda
Huile sur toile - 51 x 61,5 cm - Musée Fabre, Montpellier Agglomération [Inv. 33.3.1]
58
59
19
Eugène GIRARDET - Le tailleur à El Kantara, 1897
Huile sur toile - 73,5 x 100 cm - Musées de la Ville de Saintes [Inv. 1897.2.2 B]
60
61
19
Eugène GIRARDET - Le campement, vers 1880 Huile sur toile - 49 x 90 cm - Musée des Beaux-Arts de Nantes [Inv. 994]
62
20
Eugène GIRARDET - Les dunes dans le désert, 1898 Huile sur toile - 67 x 109 cm - Musée des Beaux-Arts de Nantes [Inv. 992]
63
21
Pierre-Victor HUGUET - Caravane traversant un gué
Huile sur toile - 37,9 x 46 cm - Musée d’art et d’histoire, Narbonne [Inv. 2005.3.1]
64
22
Charles Zacharie LANDELLE - Scène de la vie arabe, la poterie à El Kantara, 1891 Huile sur toile - 122,2 x 89 cm - Musée du Vieux-Château, Laval [Inv. 99.156.1]
65
23
Charles Zacharie LANDELLE - Scène de la vie arabe, le tissage à Biskra, 1891 Huile sur toile - 130,6 x 97,5 cm - Musée du Vieux-Château, Laval [Inv. 99.157.1]
66
24
Charles Zacharie LANDELLE - L’aveugle de Biskra, 1885 Huile sur toile - 222,5 x 155,5 cm - Centre national des arts plastiques
[Inv. FNAC PFH-4840]
67
25
Hippolyte LAZERGES - Portrait d’un arabe
Huile sur toile - 21,5 x 15 cm - Musée d’art et d’histoire, Narbonne
[Inv. 43.1.1]
68
69
26
Paul Jean-Baptiste LAZERGES - Le gué, 1895 Huile sur toile - 65,8 x 81,8 cm - Musée des Beaux-Arts de Nantes [Inv. 1057]
70
71
27
Paul Jean-Baptiste LAZERGES - Caravane près de Biskra (Algérie), 1892 Huile sur toile - 80 x 100 cm - Musée des Beaux-Arts de Nantes [Inv. 1056]
72
28
Hippolyte LAZERGES - A la fenêtre, 1883
Huile sur toile - 70,5 x 55,5 cm - Musée d’art et d’histoire, Narbonne [Inv. 91.5.1]
73
29
Edouard VERSCHAFFELT - Jeune fille au foulard rouge
Huile sur toile - 80 x 59 cm - Musée d’art et d’histoire, Narbonne [Inv. 2003.6.2]
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75
30
Edouard VERSCHAFFELT - Le roulage du grain, 1883 Huile sur toile - 60 x 81 cm - Musée d’art et d’histoire, Narbonne [Inv. 2003.6.1]
Maurice Bompard
Photographie - Archives Bompard, musĂŠe Denys-Puech, Rodez
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Notices biographiques
78
Maurice BOMPARD Voyage en Orient
Maurice Bompard
Etienne Dinet
En 1882, Maurice Bompard, ancien élève de Gustave Boulanger et de Jules Lefebvre à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, bénéficie d'une bourse de voyage qui lui fait découvrir la Tunisie. A partir de 1889, il séjourne régulièrement en Algérie, à Biskra notamment. Membre de la Société des Peintres orientalistes français, il expose également au Salon des Artistes algériens et orientalistes d'Alger. Plus apprécié par le grand public pour ses paysages vénitiens, il abandonne peu à peu les sujets inspirés par l'Afrique du Nord.
Cet ancien élève de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris découvre l'Algérie en 1883. L'année suivante, la bourse attribuée par le Salon des arts plastiques du Palais de l'Industrie lui permet d'y retourner. Il effectue alors un grand périple jusqu'à Ouargla et Laghouat. La découverte du Sud algérien va profondément marquer sa vie. En 1889, il fait la connaissance de l'écrivain et poète Sliman Ben Ibrahim qui sera désormais associé à toute sa vie artistique et spirituelle. Guidé par Sliman, Dinet peut avoir accès aux milieux algériens et faire d'innombrables voyages en caravane à travers le désert. Il s'installe à Bou-Saâda en 1904, se convertit à l'Islam en 1913 et fait un pèlerinage à la Mecque en 1929. En quête d'authenticité, il s'attache à décrire le quotidien et les différents aspects de la vie sociale et religieuse.
(Rodez 1857 – Paris 1935)
(Paris 1861 – Bou Saada 1929)
Notices biographiques
Eugène Alexis Girardet (Paris 1853 – Paris 1907)
Elève de Gérôme qui l'incite à faire son premier voyage en Afrique du Nord (1874), Girardet va effectuer huit voyages en Algérie à partir de 1879. Il séjourne principalement dans le Sud algérien et découvre les oasis de Biskra, Bou-Saâda et El Kantara. Ebloui par la lumière et l'atmosphère du désert, Girardet modifie dès lors sa technique et éclaircit sa palette. Il s'attache essentiellement aux scènes de la vie nomade et aux sites pittoresques du désert.
Émile Fréchon (Blangy-sur-Bresle 1848 – Alger 1921)
Issu d’une famille rurale aisée, Emile Fréchon est journaliste à Boulogne sur Mer quand il décide de s’adonner à la photographie vers 1885-1886. Adepte de l’école naturaliste théorisée en Angleterre par Emerson, il se rend rapidement célèbre par ses photographies de marins de Somme et paysans de Picardie, ce qui lui vaut le surnom de « Millet de la photographie ». En décembre 1887, il répond à la sollicitation de Jules Gervais-Courtellemont et part travailler à Alger. Il réalise des reportages sur la Kabylie et la Tunisie. En 1890, il découvre Biskra, désormais desservie par le chemin de fer, et décide d’y passer les hivers suivants. En 1892, dans l’Algérie artistique et pittoresque, il rédige trois articles sur la ville illustrés par une cinquantaine de ses photographies. Il se partage désormais entre Etaples, l'Angleterre et Biskra. Son art excelle notamment dans les contre-jours dont il se fait une spécialité et privilégie l’intemporalité des scènes de la vie quotidienne au pittoresque de l’anecdote. Après sa mort, ses images d’Algérie seront reprises en héliogravures et cartes postales sans sa signature, et cela sans interruption jusqu’à l’Indépendance.
79
Victor-Pierre Huguet (Le Lude 1835 – Paris 1902)
Victor-Pierre Huguet se forme tout d'abord à Marseille dans l'atelier d'Emile Loubon puis rejoint Eugène Fromentin à Paris. Il visite l'Egypte en 1852 et, l'année suivante, accompagne Henri Durand-Brager en Crimée. Il aurait fait son premier séjour à Alger en 1861 et découvre par la suite les oasis du Sud algérien. Dans la veine d'Eugène Fromentin et de Paul Lazerges, il peint essentiellement la vie nomade avec ses caravanes et ses campements. Présent aux Salons de Paris et de Marseille depuis 1859, il expose régulièrement aux Salons de la Société des Peintres orientalistes français.
80
Maurice BOMPARD Voyage en Orient
Charles Zacharie Landelle
Hippolyte Lazerges
Ancien élève de Paul Delaroche à l'Ecole des Beaux-Arts, Charles Landelle obtient très tôt la reconnaissance du pouvoir grâce à ses sujets historiques et religieux. Il découvre le Maroc en 1866 dans le cadre d'une mission officielle mais ne se rend en Algérie qu'en 1880 en compagnie de son fils, Georges, également artiste peintre. Il y séjourne par la suite à quatre reprises, visite Alger, Biskra, El-Kantara et fait partager à Renoir et à Paul Leroy son amour de l'Algérie. Il est l'un des membres actifs de la Société des Peintres orientalistes français.
Fils de colons installés en Algérie, Hippolyte Lazerges revient en France en 1838 afin de suivre l'enseignement de l'Ecole des BeauxArts. Formé auprès du statuaire David d'Angers et du peintre François Bouchot, il débute au Salon de 1840 et acquiert très vite la notoriété pour ses compositions religieuses. Séjournant régulièrement en Algérie, il mène également une carrière de peintre orientaliste multipliant les portraits et scènes de genre dans un style désuet. En 1861, il s'installe définitivement à Alger et contribue à la création de l'Ecole des Beaux-Arts.
(Laval 1821 – Paris 1908)
(Narbonne 1817 – Mustapha 1887)
Notices biographiques
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Paul Jean-Baptiste Lazerges
Edouard Verschaffelt
Formé auprès de son père, Hippolyte, installé en Algérie de 1861 à 1887, JeanBaptiste Lazerges débute au Salon de 1867. Il y expose un portrait, genre qu'il va pratiquer pendant plusieurs années. Effectuant de longs séjours en Algérie, il change peu à peu de source d'inspiration et, à partir de 1881, se consacre exclusivement aux sujets algériens. Attiré par le Sud de l'Algérie, il se spécialise dans les thèmes de la vie nomade multipliant les représentations de caravanes et de campements.
Élève de l'Ecole des Beaux-Arts d'Anvers, Edouard Verschaffelt est attiré par l’impressionnisme. Il vient en Algérie en 1919 avec son épouse pour fuir l'occupation allemande de la Belgique durant la Première Guerre mondiale. Il éprouve tout de suite une fascination pour Bou Saâda qu'il adopte d'emblée. Il y rencontre Etienne Dinet, converti à l'Islam, qui est devenu un notable de la ville. Après la mort de son épouse, Verschaffelt se marie avec une Algérienne de la tribu des Ouled Sidi Brahim, qui apparaît dans les multiples tableaux qu'il lui consacre. Profondément enraciné en Algérie, Verschaffelt va peindre la réalité locale de l’intérieur avec une pâte impressionniste qui lui est propre.
(Paris 1845 – Asnières 1902)
(Gand 1874 – Bou Saâda 1955)
Maurice Bompard
Photographie - Archives Bompard, musĂŠe Denys-Puech, Rodez
83
Bibliographie
Bibliographie
Ouvrages généraux Benchouki Koudir, Étienne Dinet, ACR Édition, Paris - 1998. Cazenave Elisabeth, Les Artistes de l’Algérie : dictionnaire des peintres, sculpteurs, graveurs (1830-1962), Association Abd-el-Tif et Bernard Giovanangeli, Paris - 2001. Fromentin Eugène, Une année dans le Sahel, Garnier Flammarion, Paris - 1991. Fromentin Eugène, Un été dans le Sahara, Collection Champs Arts, Flammarion, Paris - 2009. Guillaumet Gustave, Tableaux algériens, Plon, Paris - 1888. Khemir Mounira, L’Orientalisme, L’Orient des photographies au XXe siècle, Nathan, Paris - 2001. Lemaire Gérard-Georges, L'Univers des Orientalistes, Editions Place des Victoires, Paris 2005. Lepage Jean, L’Orient fantasmé, catalogue des artistes orientalistes présentés au musée de Narbonne, Somogy, Paris - 2011. Peltre Christine, L’Atelier du voyage, les peintres en Orient au XIXe siècle, Gallimard, Paris 1995. Peltre Christine, Les Orientalistes, Hazan, Paris - 1997. Peltre Christine, Orientalisme, Terail, Paris - 2004. Peltre Christine, Dictionnaire culturel de l’orientalisme, Hazan, Paris - 2008. Peyraube Emmanuelle, Le harem des lumières, L'image de la femme dans la peinture orientaliste du XVII° siècle, Editions du Patrimoine, Paris - 2008. Pizzaferri Paul, Biskra, Gandini, Nice - 2011. Pouillon François, Les deux vies d'Etienne Dinet, Balland, Paris - 1997. Pouillon François (ed.), Dictionnaire des orientalistes de langue française, 2ème édition IISMM-Khartala, Paris - 2012.
Serrullaz Maurice, Delacroix et l'Orient, In Delacroix, le voyage au Maroc, Catalogue d'exposition, Institut du Monde arabe, Paris -1999. Thornton Lynne, La femme dans la peinture orientaliste, ACR Editions, Courbevoie - 1985. Thornton Lynne, Les Orientalistes, peintres voyageurs 1828-1908, ACR Editions, Paris - 1987. Vidal-Bué Marion, L’Algérie du Sud et ses peintres, 1830-1960, Paris-Méditerranée, Paris - 2003. Vidal-Bué Marion, L’Algérie des peintres, 1830-1960, Paris-Méditerranée, Paris - 2002.
Catalogues d’exposition L’appel du désert, Les peintres voyageurs en Algérie, 1870-1910, Musées de Laval, Editions Un, deux…Quatre, 2008. Emile Fréchon, Deux Oued Nails en train de danser à Touggourt, Circa 1900 Tirage argentique 20 x 28 cm - Collection Michel Megnin
L’orientalisme en Europe : de Delacroix à Matisse, Centre de la Vieille Charité, Marseille, RMN, 2011.
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Crédits photographiques
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En couverture
Maurice Bompard - Ouled Naïl de Biskra, © Musée Denys-Puech, Rodez
Maurice Bompard,
Archives Bompard, Musée Denys-Puech, Rodez - p.10
Texte «La tentation orientaliste en France, du XVIIe au XXe siècle» de François Leyge
Catalogue
Maurice Bompard, Le gardien du harem,
Maurice Bompard, Jeune orientale à la plume de paon,
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.12
Texte « Biskra, une oasis pour les peintres »
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.36
Maurice Bompard, Le gardien du harem,
de Marion Vidal Bué
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.37
Roger Prouho, Rue du Vieux Biskra ,
Maurice Bompard, Scène de harem, Marseille,
Collection Marion Vidal-Bué © Musée Denys-Puech, Rodez - p.20
Carte postale, Biskra - Le Grand Hôtel du Sahara à Biskra,
Collection Marion Vidal-Bué © Musée Denys-Puech, Rodez - p.22
Carte postale, Le casino de Biskra,
Collection Marion Vidal-Bué © Musée Denys-Puech, Rodez - p.23
Carte postale, Les jardins du Royal-Hôtel à Biskra,
Collection Marion Vidal-Bué © Musée Denys-Puech, Rodez - p.23
Antonin Neurdein, Femme de la tribu des Ouled-Naïls, Collection Musée de l’Histoire de la France en Algérie, Montpellier © Musée Denys-Puech, Rodez - p.24
Emile Fréchon, Ouled Naïls,
Collection Musée de l’Histoire de la France en Algérie, Montpellier © Musée Denys-Puech, Rodez- p.25
Texte « Sous le soleil de Biskra » de Sophie Serra Maurice Bompard,
Archives Bompard, Musée Denys-Puech, Rodez - p.26
Maurice Bompard, Le repos du modèle, © Musée Denys-Puech, Rodez - p.28
L’atelier de Bompard dans le Sud de l’Espagne,
Photographie - Archives Bompard, Musée Denys-Puech, Rodez - p.28
Maurice Bompard, Le boucher tunisien, © Musée du Château de Nérac - p.29
Maurice Bompard, Les bouchers de Chetma,
Marseille, Musée des Beaux-Arts, © Photographie Jean Bernard - p.30
Maurice Bompard, Le repas de l’hospitalité,
Marseille, Musée des Beaux-Arts, © Photographie Jean Bernard - p.30
Maurice Bompard, La prière de trois heures,
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski - p.31
Maurice Bompard, Rassemblement pour la procession,
(détail) Narbonne, musée d’art et d’histoire © Jean Lepage - p.32
Maurice Bompard, de Venise,
© Musée Denys-Puech, Rodez - p.33
Musée des Beaux-Arts, © Photographie Jean Bernard - p.38-39
Maurice Bompard, L’oued Chetma en été,
Musée des Beaux-Arts d’Agen, © Thierry-Daniel Vidal - p.40
Maurice Bompard, Une rue de l’oasis de Chetma,
Marseille, Musée des Beaux-Arts, © Photographie Jean Bernard - p.41
Maurice Bompard, L’oasis de Chetma,
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.42
Maurice Bompard, La fileuse,
Marseille, Musée des Beaux-Arts, © Photographie Jean Bernard - p.43
Maurice Bompard, Danseuse, Rodez,
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.44
Maurice Bompard, Ouled Naïl de Biskra, © Musée Denys-Puech, Rodez - p.45
Maurice Bompard, Souvenir de Biskra,
Tourcoing, MUba Eugène Leroy © Valentine Solignac - p.46-47
Maurice Bompard, Un campement dans le désert,
Marseille, Musée des Beaux-Arts, © Photographie Jean Bernard - p.48
Maurice Bompard, La prière du soir,
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.49
Maurice Bompard, Une rue près de Biskra,
Musée des Beaux-Arts d’Agen, © Thierry-Daniel Vidal - p.50
Maurice Bompard, Anier à Chetma,
Musée des Beaux-Arts d’Agen, © Thierry-Daniel Vidal - p.51
Maurice Bompard, Les marchands de dattes à Biskra,
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.52-53
Maurice Bompard, Rassemblement pour la procession, Narbonne, musée d’art et d’histoire © Jean Lepage - p.54
Maurice Bompard, Enfant arabe à El Kantara,
Collection particulière © Musée Denys-Puech, Rodez - p.55
Etienne Dinet, Sur une terrasse un jour de fête à Bou Saâda,
© Musée Fabre de Montpellier Agglomération - cliché Frédéric Jaulmes - p.56-57
Eugène Girardet, Le tailleur à El kantara, © Musées de la Ville de Saintes - p.58-59
Eugène Girardet, Le campement,
© Ville de Nantes – Musée des Beaux-Arts – Photographie : A. GUILLARD - p.60-61
Eugène Girardet, Les dunes dans le désert,
© Ville de Nantes – Musée des Beaux-Arts – Photographie : A. GUILLARD - p.62
Pierre-Victor Huguet, Caravane traversant un gué, Narbonne, musée d’art et d’histoire © Jean Lepage - p.63
Charles Landelle, Scène de la vie arabe, la poterie à El Kantara, Coll. musée du Vieux-Château, Laval © Ville de Laval - p.64
Charles Landelle, Scène de la vie arabe, le tissage à Biskra, Coll. musée du Vieux-Château, Laval © Ville de Laval - p.65
Charles Landelle, L’aveugle de Biskra,
FNAC PFH-4840, Charles Landelle, © Domaine public/ CNAP/ photo : Ville de Laval - p.66
Hippolyte Lazerges, Portrait d’un arabe,
Narbonne, musée d’art et d’histoire © Jean Lepage - p.67
Jean-Baptiste Lazerges, Le gué,
© RMN-Grand Palais / Gérard Blot - p.68-69
Jean-Baptiste Lazerges, Caravane près de Biskra (Algérie),
© RMN-Grand Palais / Gérard Blot - p.70-71
Hippolyte Lazerges, A la fenêtre,
Narbonne, musée d’art et d’histoire © Jean Lepage - p.72
Edouard Verschaffelt, Jeune fille au foulard rouge, Narbonne, musée d’art et d’histoire © Jean Lepage - p.73
Edouard Verschaffelt, Le roulage du grain,
Narbonne, musée d’art et d’histoire © Jean Lepage - p.74-75
Maurice Bompard,
Archives Bompard, Musée Denys-Puech, Rodez - p.76
Maurice Bompard,
Archives Bompard, Musée Denys-Puech, Rodez - p.82
Emile Fréchon, Deux Ouled Naïls en train de danser à Touggourt, Circa 1900,
Collection Michel Megnin - p.84
Editions Au fil du temps Route de Trinquies 12330 SOUYRI (France) www.fil-du-temps.com Direction artistique : Stéphane SICHI
N° ISBN : 978-2-918298-34-2 Dépot Légal : février 2013 Achevé d’imprimer en Octobre 2012 sur les presses de Graphi Imprimeur à Rodez, Aveyron
ISBN : 978-2-918298-34-2
Prix de vente 15 €