Esprit de l'Eau

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Philippe LLANES

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A l’ami Zab,


Philippe LLANES


Des lieux différents à la surface de la terre ont des émanations vitales différentes, des vibrations différentes, des exhalaisons chimiques différentes, des polarités différentes avec des étoiles différentes : appelez cela comme vous voulez. Mais l’esprit des lieux est une grande réalité.

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D.H. Lawrence


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David VAN REYBROUCK

Prix Médicis essai 2012 - Prix du livre étranger essai 2012

1. J’ai rencontré un homme, un vrai. Il était assis devant le refuge Wallon, dans la vallée du Marcadau, au beau milieu du Parc national des Pyrénées. Il fumait. Lentement. C’était une magnifique fin d’après-midi de printemps. Il portait des lunettes de soleil. Il ne disait rien. 2. Autour de lui : des randonneurs, des promeneurs, des jeunes qui plantaient leur tente, des gens qui buvaient une « seize », des gens qui ciraient leurs bottes, des enfants qui caressaient l’âne du refuge. Un fracas, un brouhaha, des rires et des anecdotes. L’euphorie typique d’une journée passée en montagne sans accidents autres que des ampoules. Lui : immobile, inerte, scrutant l’horizon. 3. « - C’est qui, ce gars ? - Qui ? - Lui. - Lui ? - Oui. - Philippe Llanes. - C’est un Flamand ? - Non. Pourquoi ? - Avec un nom pareil. - Comment ? - J’sais pas, moi. Filip Jans, ça fait assez flamand, non ? » 3. Quelques heures plus tard, je le vois en conversation avec un des gardiens du refuge. Il est toujours aussi peu bavard, mais quand il prend la parole, j’entends une voix sortie des catacombes. Qui sonne comme la nuit, dose bien ses mots.


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4. À mon oreille belge, son français semble contenir des lettres qui ne sont pas là. Au gardien du refuge, il dit : « Demaing mating, je prengs du paing. » On nous présente. Je n’ai pas trop envie d’être le touriste belge et lui, visiblement, n’a pas trop envie de jouer le gardien du Parc. Parfait. On ouvre deux canettes, on trinque et on se tait. C’est ainsi que naissent les grandes amitiés. 5. Sept mois plus tard, première conversation. Nous montons au Plateau de Saugué. Ce n’est pas un exploit exceptionnel, mais nous sommes fin décembre, il a bien neigé et, par ce temps magnifique, le froid se fait sentir. Il n’y a presque plus personne dans la haute montagne. Devant nous, le cirque de Gavarnie s’ouvre comme un éventail géologique immense, gelé dans le temps, abandonné depuis des millénaires. Petit à petit, Philippe raconte ses passions. L’escalade, bien sûr. Combien de voies a-t-il créées ? « Ça n’a pas d’importance. » Je marche derrière lui, c’est son dos qui me répond. J’insiste. Toujours cette modestie pathologique. « Écoute. » Il s’arrête, se tourne. « L’escalade c’est mon jarding secret. » Long silence. « Mais c’est vrai que j’ai réalisé plus de mille voies. » On continue. Je constate à quel point sa condition physique est exceptionnelle. Il traverse les Pyrénées depuis un demi-siècle, il passe quasi tous les jours dehors en haute montagne. Oui, il connaît intimement ce coin de la terre. Il me dit qu’il serait capable de parcourir la totalité de la chaîne sans carte ni boussole. « Mais ça n’a pas d’importance non plus. Je tiens juste à faire la distinction entre alpinisme et pyrénéisme. » Un brin de régionalisme ? Il hausse les épaules. « Non, un alpiniste, c’est un sportif. Un pyrénéiste intègre la nature, l’histoire, l’ethnographie. Tu vois ? » Après avoir grimpé une pente raide couverte de neige et de bruyère, il raconte ses recherches naturalistes. Depuis des années, il est sur les traces du desman, cette curieuse taupe aquatique des Pyrénées. C’est sans doute le mammifère le moins connu et le plus mystérieux de l’Europe. Il m’explique son comportement. Nocturne, ce petit rongeur avec le nez en trompette est terriblement furtif et farouche. C’est en dessous des ponts et des passerelles qu’il trouve des traces de leur passage. « Par ailleurs, avant, j’ai beaucoup travaillé sur l’ours et la loutre. » Tous des animaux essentiellement solitaires, je me dis tandis que nous continuons notre ascension. 6. En tant que grimpeur, Philippe Llanes a réalisé solos. En tant que pyrénéiste, il en parle peu. C’est une race à part, les pratiquants de l’escalade solitaire, une race têtue et timide à la fois. Non, ce ne sont pas des téméraires suicidaires, pas des casse-cou malades. Ce n’est qu’après quelques années d’amitié que Philippe en parle. Un beau matin, je reçois un courriel à Bruxelles. Comme ça. Je n’ai posé aucune question: « Bonjour David, quelques réflexions du matin… L’escalade solitaire n’est plus au goût du jour dans le sens où jouer avec sa vie n’est pas acceptable dans nos sociétés aseptisées. Pourtant, ce n’est ni un sport, ni un jeu. C’est une quête personnelle. C’est une des formes les plus parfaites de «l’ici et le maintenant». »

7. Arrivé au Plateau du Saugué, Philippe sort un appareil photo de son sac à dos. Le ciel est d’un bleu métallique, une plaque d’acier coupée en deux par le chalumeau d’un avion. « Je n’aurais jamais cru que la photo me donnerait autant de plaisir que l’escalade » me dit-il, tandis qu’il enlève le couvercle de l’objectif. Nous cassons la croûte ensemble. Spécialité de la maison Llanes : un gros morceau de pain, des ardoises de beurre, une strate supérieure de pâte d’anchois. Peu après, Philippe se met debout et commence à prendre des dizaines de photos. Comme d’habitude, on ne se dit pas grand-chose. Les traînées de condensation s’effilochent au-dessus des cimes de Gavarnie. 8. De semaine en semaine, il m’envoie ses nouvelles photos. Cet homme massif, méfiant au début, ce grand solitaire de la haute montagne, devient petit à petit un compagnon chaleureux plein d’humour et d’esprit. « L’escalade, c’est une affaire de muscles et de tendons, m’écrit-il un jour, l’alpinisme, de tête et de couilles ». 9. Fin 2012. Je passe quelques jours chez Philippe et Gisèle dans leur maison à Ger. On se promène, on pratique l’escalade dans le garage, on mange. Une nuit, je suis brusquement réveillé par un bruit infernal. On aurait dit que la terre grinçait des dents. Au petit-déjeuner, Philippe m’accueille tout enthousiaste, tout heureux : « Oh, que c’était beau cette nuit! Tu as entendu le tremblemeng ? » 10. Toujours au Plateau de Saugué. « Tu ne veux pas que je te prenne une fois en photo ici ? » Ma voix, mon français flamand. « Non. » Lointain écho dans les catacombes. « Pourquoi ? » 11. Aucune trace d’homme dans ses photos, même pas une empreinte de pied dans la neige. L’univers photographique de Philippe Llanes est peuplé de lacs, de cascades et de gouttes, comme si la terre venait d’être créée et qu’il était le premier à y poser le pied. Sa photographie, c’est toujours de l’escalade solitaire, toujours cette esthétique vertigineuse et épurée. C’est curieux de voir comment un homme qui a passé toute sa vie en haute montagne puisse toujours avoir un regard aussi frais, aussi rempli d’étonnement et d’émerveillement. Les yeux vieillissent moins vite que le corps. Il est beau de voir la façon dont il découvre avec délectation les formes éphémères créées par la glace, la neige ou le vent, des compositions inattendues dans une flaque d’eau, des géométries variables de roches granitiques et de nuages. Il y a quelque chose de japonais dans son attention, quelque chose de bouddhiste dans sa sérénité. Philippe Llanes est le poète qui, en devenant philosophe, redécouvre l’enfant en lui. En s’ouvrant à cette sensibilité interne, il arrive à renouveler la photographie de la montagne bien au-delà des clichés parfaits et lisses. Son regard est tendre, lyrique et insolite à la fois, son vocabulaire réconcilie l’abstraction avec la sensualité et la générosité. C’est le regard d’un homme qui aime passionnellement cette partie du monde et qui, après une vie toute en discrétion, a finalement trouvé un langage pour exprimer cet amour.

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Je me souviens de la première fois. Vous savez bien, c’est toujours mieux la première fois, vous êtes neuf sans à priori et puis si vous n’attendez rien en retour, si vous vous contentez d’être réceptif, alors tout peut arriver. En délicatesse avec une cheville bêtement tordue dans un pierrier insignifiant, je suis dans l’obligation de rééduquer cette ridicule petite articulation. La marche sur des sentiers faciles m’est conseillée. C’est ainsi, qu’un matin de juin je décide de monter à Cauterets pour faire le «Chemin des cascades». Je me mêle à la foule des touristes, bien décidé comme tout un chacun à profiter du spectacle grandiose que nous offre le torrent rugissant, gonflé par la fonte des neiges. Dès la première cascade, celle du Mauhourat, je suis impressionné : d’abord voir, voir le Gave bouillonnant d’écume, douce et furieuse à la fois, puis entendre ce grondement terrible à moins que ce ne soit un rire tonitruant, sentir cette odeur de soufre qui remonte des sources thermales toutes proches et puis sentir encore comme une sorte de vibration qui, de mes pieds en contact avec le sol, s’immisce progressivement dans tout mon corps, je suis subjugué par cette formidable puissance de l’EAU. Je continue mon chemin jusqu’à la cascade d’Escane-Gat puis celle du Cerisey. A chaque fois je fais une halte, à chaque fois je sens monter en moi sans pouvoir l’expliquer le sentiment bizarre d’être en coïncidence avec tout ce qui m’entoure, de disposer d’un supplément d’âme. Je ressens la sensation un peu mystique de ne faire qu’un avec le monde naturel. Ma promenade rééducative se transforme au fil de l’eau en voyage initiatique. J’arrive à la cascade de Pouey-Bacou puis au pont du «Pas de l’ours». La légende raconte que Jean Berret-Barrère, muletier bûcheron fut poursuivi par une ourse si grosse qu’en sautant le gave elle imprima ses traces dans le granit. Les marmites de géants que l’on peut observer encore de nos jours témoignent de la véracité de ces faits. J’arrive enfin à la cascade de Boussès indomptable, farouche, libre. Il émane de ce lieu une sorte de résonnance, cette cascade, j’en ai la conviction, est dotée d’une âme


et d’une personnalité propre, l’eau est vivante et j’en perçois le souffle. J’étais venu ici en touriste-spectateur, ce qui en soit n’a rien de péjoratif, me voici transformé en pèlerin. Je me nourri de la qualité et de la puissance du lieu et en retour par ma dévotion certes un peu animiste, J’enrichis le caractère de ce lieu. Chacun d’entre nous peut percevoir l’esprit sauvage et primitif des lieux, le caractère sacré de la nature. Nous sommes nombreux à avoir fait ce genre d’expérience directe, intuitive de la nature. La plupart du temps, par crainte de paraître ridicule, nous n’osons pas en parler, pourtant ces expériences sont bien plus réelles et plus directes que des théories scientifiques qui ne suivent jamais que les modes du moment. Ce que nous appelons dans la pure tradition romantique «l’esprit des lieux» fait aujourd’hui l’objet d’études scientifiques très sérieuses sous le nom barbare de «théorie des champs morphiques et causalité formative». Ainsi des lieux spécifiques auraient des souvenirs propres par auto résonnance avec leur passé. Ce phénomène selon cette théorie serait de nature à enrichir la qualité même de ces lieux. C’est ainsi qu’à Cauterets, un jour de juin, parcourant le chemin des cascades, j’ai rencontré l’esprit de l’eau. Elle est cet élément mystérieux, le plus faible et le plus fort de tous, tour à tour destructrice ou purificatrice, indispensable à la vie, aux activités de l’homme et plus encore à ses rêveries et à son imaginaire. Naguère elle abreuvait les animaux, faisait tourner les moulins, mais elle coulait aussi dans les demeures oubliées des dracs et des fées, elle abritait le terrible Léviathan, elle guérissait les maux de l’âme et du corps.

Là-haut, dans les Pyrénées, l’eau n’a jamais connu l’emprisonnement des mises en bouteilles, l’opprobre des traitements chimiques, elle n’est pas domestiquée, elle est un bienfait de la Nature, libre et sauvage, elle est omniprésente. Avez-vous remarqué son caractère versatile, à chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre : hier glacier, aujourd’hui torrent, demain lac, après-demain nuage, elle est unique et multiple à la fois, libre et vagabonde, elle est d’humeur changeante, elle fait ce qu’il lui plaît.

Philippe LLANES

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Agacée par le froid de l’hiver, se jouant des lois de la pesanteur au grand dam des océans qui l’attendent impatients, elle nous livre impromptu un visage changeant, bestiaires éphémères, dauphin malicieux...


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méduses échouées...

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pied d’éléphant,

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loup solitaire,

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dragons menaรงants.


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Au coeur de Janvier, sur les grands lacs gelés, elle fait fleurir les baobabs, Lorsque la pente s’accélère, elle hésite ...


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... Courir pour se rÊchauffer ou s’immobiliser et hiberner. 32


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Parfois selon son humeur, elle prend des allures martiales, rigides, anguleuses; ailleurs elle s’alanguit en courbes gracieuses, volutes, hyperboles.


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Elle esquisse des arabesques fugitives, sculpte les marches de son palais, construit des cathĂŠdrales.

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…dessine des vitraux de glace. Elle a suspendu sa course folle et s’est enroulée autour d’une branche pour le plaisir d’une étreinte amoureuse. 44


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Certains jours, le grand alchimiste céleste décide de changer la pluie en neige, alors comme par enchantement, les cascades se taisent, les formes s’arrondissent, les couleurs s’évanouissent faisant place au grand blanc. Alors, la montagne s’enchante, surgissent sans qu’on y prenne garde, des trolls malicieux et des chimères évanescentes.


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Sur les lacs, Janvier vient souvent contrarier les grandes marées d’équinoxe, figeant les vagues qui n’ont d’autre solution que d’attendre le printemps pour déferler.

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Certains hivers rigoureux, de dĂŠlicats champignons blancs fleurissent dans le lit des torrents.


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Mars, mois du grand chambardement, le froid se fait moins virulent, l’hiver se craquèle, pourtant ce n’est pas encore le printemps mais déjà le Yin chasse le Yang.

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AssoiffÊe par le soleil de Mai, l’eau boit la glace.

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Oubliées les neiges qu’on croyait éternelles. Alors l’eau s’enfle, s’accélère, vrombit, se démesure et se jette dans la pente en hurlant son plaisir d’un nouveau printemps.

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A sa façon, l’eau célèbre le retour des beaux jours, elle était Mozart, elle devient Wagner, le chérubin se métamorphose en Walkyrie, divinité guerrière et le vallon s’emplit de la fureur des cuivres et des cors. Malheur à ceux qui croisent son chemin, qu’ils soient de bois ou de roc, ils seront emportés.

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Verticale, elle nous dévoile son caractère impétueux, ombrageux. Elle est alors assourdissante, écumante, argentée, rageuse. A la fois fascinante et terrifiante, elle nous renvoie à la nuit des temps, au déluge et à l’arche de Noé, aux forces de la nature.

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Parfois la neige fond, le pierrier dégouline, le granit rouille. Alors l’eau tendrement renvoie leur image. D’autres fois elle s’abandonne avec volupté à la caresse du contournement...

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A qui sait entendre et écouter, elle offre son chant d’amour…

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Aux petites Oulettes, enfin libérée des glaces qui la gardaient captive, l’eau serpente, s’entortille et prend le temps de flâner.

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C’est au pays des géants pyrénéens, versant ombré, que l’eau se fait glacier. Jadis colosses indomptables, rabots millénaires, sculpteurs de nos vallées, ils inspiraient l’effroi. Aujourd’hui, petits poucets, fragiles et vulnérables, l’éternité n’existe pas puisque même vous, grands seigneurs vous mourrez.

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En Juillet, gonflée par la fonte des neiges, l’eau quitte son lit et inonde les vasques de pierre, esthète, elle prend la forme et la couleur des vases qui la contiennent, s’ensommeille l’espace d’une saison, elle devient pour un temps marmite de géant.

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Avec délice l’eau s’immisce par tous les interstices puis elle glisse délicatement sur la roche moirée.


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Le granit rugueux a succombé à son charme. Pour ne pas la blesser et mieux la caresser, au fil des siècles, il s’est poli.

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Malgré la mâle résistance du granit, goutte après goutte, jours après jours, inexorablement, elle creuse son chemin ... 106


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En été, dès l’aube, versant soulane, le soleil insomniaque inonde le sous-bois.

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Dans les gorges profondes, elle nous entraîne jusqu’aux sources de l’Amazone.


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Si par défit le roc présomptueux lui barre le chemin, alors l’eau se rassemble, s’accélère et d’un seul bond franchit l’obstacle : elle se cambre, bondit rageusement, se jette à corps perdu dans une mer de feuillage…


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Elle virevolte de pierre en pierre, suspend son vol, explose en fines gouttelettes, puis dÊterminÊe, martèle son chemin.


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C’est en Juin que l’eau fleurit. Ecume : étrange fleur, immaculée douce et violente à la fois, pied de nez au temps qui passe. En profondeur elle s’accélère et se précipite dans la pente, en surface elle s’éternise jusqu’à l’immobilité.

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L’eau a horreur du vide. Laissez-lui le moindre espace un peu creux, elle s’y installe avec délectation. De gave, elle devient lac, étang ou simple mare. Elle décide de musarder, s’alanguit au soleil, immobile et silencieuse. Parfois les grands lacs prennent des allures de mer intérieure, d’autres fois il suffit qu’une pincée de poudre de roche soit dispersée dans une eau cristalline pour que le miracle s’accomplisse. Certains lacs, peut-être par pudeur, choisissent de se nicher dans un vallon secret. Seuls quelques esprits curieux et aventuriers, quittant les sentiers balisés leur rendent parfois visite. Souvent, la récompense est à la mesure des efforts consentis et le voyageur solitaire de s’émerveiller : convergence des lignes, explosion des couleurs, harmonie des contraires, de la violence naît la douceur.


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Face à ces lacs, grandioses et prestigieux, que reste-t-il aux étangs ? Plus discrets, moins clinquants, il flotte sur eux un parfum de mystère et de rêve. Dans les étangs vivent les Dames blanches, belles comme l’imprécis, mobiles comme le rêve, fugitives comme l’amour. Elles vivent au fond des eaux dans de merveilleux palais dont les mortels ne doivent pas troubler le repos. Elles sont jeunes et belles, leurs corps vaporeux s’élèvent au milieu des roseaux ou dans le souffle qui ride la surface des ondes. Les pâtres que tourmente le mal d’amour rêvent à leurs corps nus entrevus dans les brumes.


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Quant aux mares, minuscules et fragiles, une main céleste les a placées en des points stratégiques pour satisfaire le plaisir narcissique des maîtres de ces lieux, à moins que ce ne soit pour abreuver les nuages, infatigables voyageurs.

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Soudain le ciel s’assombrit, venus d’on ne sait où, arrivent de sombres nuages. Belliqueux, querelleurs, ils se bousculent, s’entrechoquent, se déchirent, nous assistons subjugués au plus improbable mariage que puisse nous offrir la nature, celui de l’eau et du feu. Tandis qu’un éclair enflamme le ciel de part en part, une pluie chaude tombe sur nous, voilà l’orage.

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C’est au petit matin, lorsque l’eau tutoie le ciel que la brume vagabonde se mêle à l’onde. Alors comme dans une toile du Caravage, maître du clair-obscur, de l’ombre jaillit la lumière. 157


Octobre,

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Octobre des basses-eaux, Octobre des ciels lumineux, Du rouge vermillon, du roux et de l’ocre jaune. Octobre de lumière et de couleur. Jouir de l’instant présent, Tristement, dans quelques jours viendra novembre.


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Avec une infinie pudeur, un soir de septembre, l’eau m’a dévoilé son âme.

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L’arbre offre à l’eau son bois mort car il sait d’instinct qu’avec le temps elle lui redonne vie.

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Chamaillerie chromatique entre la terre et l’eau, le chaud et le froid, le jaune se fait safran pour mieux narguer le bleu-marine.


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Les enfants, les fous et les poètes le savent bien, dans le lit de nos gaves sommeillent des saphirs, des ĂŠmeraudes, des topazes, des pĂŠpites d’or et des diamants.

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En automne, les nuits de pleine lune, la brume impalpable inonde le sousbois. Au petit matin le soleil tiède de septembre la chasse, ne reste plus que la rosée, milliers de gouttelettes posées là dans un désordre bien ordonné. Au détour d’un chemin, une toile d’araignée : rivière de diamants. Plus loin, là haut tout là haut, à la pointe extrême d’une graminée, délicatement posée, une perle de nacre : larme d’Aphrodite. En milieu de matinée, le soleil peut-être agacé par tant de beauté, à moins que ce ne soit pour se désaltérer, aspire l’éphémère rosée.


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L’eau est une terre d’accueil pour d’étranges créatures, peuples racines, mi aquatiques, mi aériennes. Hédonistes, elles s’abandonnent à la caresse de l’onde claire et du vent léger venu d’Espagne.


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On dit qu’elle est la vie, elle est plus que cela, elle est vivante. Regardez-la, elle vous observe. Touchez-la, elle vous sent. Buvez-la, elle vous régale. Parlez-lui, elle vous répond. Confiez-lui vos secrets, vos amours ou vos peines, elle est assurément l’amie la plus fidèle.

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Qu’elle soit source, glacier, lac, étang ou bien torrent qu’importe, l’eau est à la fois architecte, metteur en scène et acteur principal du théâtre de la nature. Ici plus qu’ailleurs, elle s’offre à nous et dévoile ses charmes. Chez nous, depuis longtemps et pour toujours l’eau est «maître de son destin, capitaine de son âme»*

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* extrait du poème « Invictus » de l’écrivain William Ernest Henley


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Naître

Je suis né au pied du Canigou. De mon enfance je garde le souvenir du fruit défendu, ces abricots et ces pèches que, garnements nous chapardions dans le verger d’un vieux voisin acariâtre. J’ai aussi le souvenir ému de ce grand-père chasseur, pêcheur, un peu braconnier qui m’a instruit des choses de la nature, un de ces coureurs de bois” autodidacte, grand naturaliste devant l’éternel.

Grimper

A vingt ans, la découverte de l’alpinisme est venue bouleverser le cours de ma vie. Avec quelques amis, après une période d’auto-apprentissage à haut risque, nous avons « grimpé » les Pyrénées de bas en haut, du Canigou à l’Ossau, de la sierra de Cadi à Ordessa. Longtemps, avec passion nous avons pratiqué un alpinisme aussi boulimique que discret, par jeu, par défi, par amour pour nos montagnes, toujours en « amateur » au sens premier du terme.

Travailler

Depuis de nombreuses années j’ai couru ces montagnes transversalement d’est en ouest. D’abord du luchonnais au pays basque sur les traces des derniers ours. Plus tard, j’ai été le témoin privilégié du retour de la loutre sur les Nives, les Nestes et les Gaves. Si le mot travail ” rime avec passion ”, alors oui j’ai beaucoup travaillé.

Voyager

Un jour j’ai voulu voir le monde, d’autres montagnes, d’autres peuples, d’autres horizons, alors est venu le temps des expéditions lointaines : montagnes andines, rencontre avec les Aymaras, les Kallawayas – montagnes d’Afrique, tours de grés dans le désert, Touaregs, puis le grand Nord où j’ai découvert les traditions des Samis et des Lapons.

Photographier et écrire

J’aime partir tôt le matin, partir à la billebaude avec un sac léger, un boitier photo et deux ou trois objectifs. Aucune image n’est préméditée, je rechigne à agir sur les choses, préférant laisser celles-ci agir sur moi. Ma démarche est intuitive, solitaire, chaque photo est un instant d’émotion. Rentré chez moi, je visionne mes photos, alors à nouveau la même émotion m’étreint et je prolonge mon plaisir en écrivant quelques textes courts, grattés à l’os.

Philosopher

La nature c’est l’autre, celle que l’on ne peut reproduire, En tant que telle, elle est infiniment respectable. Je suis écologiste, d’un écologisme humaniste. A l’heure de la mondialisation galopante, à l’heure où certains s’imaginent que Wall Street est le centre du monde, j’ai la conviction qu’il existe d’autres modes de pensée. Pyrénéen de naissance et de cœur, je me dis que peutêtre si nous arrivons à concilier ce qui semble inconciliable, écologie, culture, économie, alors peut-être arriverons-nous à vivre heureux dans notre montagne.

Remercier

Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont aidé et ont cru en moi quand moi je doutais. Papi Louis, Gisèle, Alexandre, Géraldine et Jérôme, Marjolaine, Mélanie et Anthony. David, Alain, Melina, Jean-Pierre et Milvia, Nadine, Stéphane et Isabelle, Laurent et Natacha. Nino Kiki et Germaine. Zab et Tobal

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Editions Au fil du Temps Route de Trinquies 12 330 SOUYRI (France) www.fil-du-temps.com

Direction artistique : SICHI Stéphane Relecture : GALIBERT Jacques Dépôt Légal : Mai 2013 Achevé d’imprimer en Mai 2013 sur les presses de Novoprint - Espagne N° ISBN : 978-2-918298-37-3





Il existe deux grandes manières de concevoir notre rapport à la nature : soit sur le mode de l’arrachement, soit sur le mode de l’attachement.

L’homme moderne est confronté en permanence à cette double vision, à sa propre dualité. Dans le monde formel, collectif, celui du travail, des affaires, la nature est perçue comme la banque de ressources naturelles exploitables pour le développement économique, elle est un bien de consommation neutre, sans vie. Dans nos rapports privés, individuels avec la nature notre intuition nous suggère que celle-ci est vivante, d’essence féminine, maternelle, bienveillante. Ce livre par l’intermédiaire de quelques photographies accompagnées de textes courts est une fenêtre ouverte sur la nature au fil de l’eau, celle de nos ancêtres, celle qui sommeille en chacun d’entre nous. Ouvrir les portes de mon jardin Pyrénéen, prendre doucement le lecteur par la main, lui donner à voir la beauté du monde et le laisser libre de ses émotions, tel est mon souhait. Philippe LLANES

pyrénéiste, naturaliste, auteur photographe

ISBN : 978-2-918298-37-3

Prix de vente : 35 €


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