Meprises & faux-semblants

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In Memoriam : Jeanne, ma mère

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One really must be in a state of grace to pierce the spirit of a place, and you are so lucky to have such access. Congratulations on this beautiful body of work. I find cherished echoes in the exploration a world made magic by the discerning use of light and exaltation of form and material. You are a poet and visionary. Continue on this path, as I do, oblivious to the click-clack of headlines and the vain, semantic and sociological discourses about nothing. Jean-Claude Gautrand (photographer, journalist, critic and historian of photography)

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Il faut vraiment être en « état de grâce » pour percer « l'esprit des lieux » et tu as cette chance d'en bénéficier largement. Bravo pour ce beau travail. J'y retrouve des échos qui me sont chers : l'exploration d'un monde rendu magique par une utilisation raffinée de la lumière et par l'exaltation des formes et des matières. Poète et visionnaire, continue dans cette voie comme je le fais en ignorant les cliquetis de l'actualité comme les vains discours sémantiques ou sociologiques sur le rien...

Jean-Claude Gautrand (photographe, journaliste, critique et historien de la photographie)

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MÉPRISES & FAUX-SEMBLANTS JEAN CAZELLES Avec « Méprises & Faux-semblants », Jean Cazelles nous invite à pénétrer dans sa caverne d’alchimiste pour y contempler d’étranges révélations toutes aussi surprenantes les unes que les autres. Son univers particulier qui, dès sa naissance, l’a plongé dans le monde du noir, noir des schistes, noir des fumées, noir de la houille et des crassiers, se démarque quelque peu des normes habituelles. Sa photographie n’est pas un miroir du monde mais une image inventée quoique bien réelle. Elle est l’illustration même de la différence existant entre « voir » et « regarder », distinguo subtil que d’aucuns s’obstinent à ignorer. S’appesantir sur la forme, l’objet, la matière avec toute l’acuité d’un regard est l’un des secrets de ceux pour qui l’imagination commande à la vision. C’était là l’un des credo du Groupe Libre Expression fondé avec Jean Dieuzaide et quelques amis dans les années 1960. Groupe qui a quelque peu bousculé le monde convenu de la photographie de l’époque. Nul doute qu’alors, Jean Cazelles aurait été l’un des premiers à rejoindre ce mouvement avant-gardiste. Son monde profond était le nôtre comme sa passion pour le mystère des choses et sa volonté d’explorer l’autre côté du miroir. « La photographie est un mirage et les appareils sont des machines à métamorphoses » a écrit Minor White. Affirmation que Jean Cazelles n’a cessé de partager depuis ses premières images alors plus documentaires : usines abandonnées, terrains vagues, sous-bois ou paysages marqués par l’homme. Avec déjà une perception aiguë des lieux et des objets et une obsession pour le contraste et le clair-obscur. Démarche qu’il n’a cessé d’approfondir pour aller plus loin encore à la découverte de mondes inconnus tout en méprisant les modes et intérêts marchands. « Il faut, disait Rimbaud, être voyant, se faire voyant, voleur de feu ». Le feu c’est la lumière, mais c’est aussi la cendre, le noir. C’est là tout le processus que Jean Cazelles ne cesse de poursuivre en arpentant ces terres sombres dont il excelle à déchiffrer les informations lumineuses. Chercher ce que l’œil n’a pas l’habitude de voir. Dégager et surprendre les valeurs, les rapports excessifs du contenu substantiel du visible : matière et lumière d’une part, couleur et forme d’autre part. Tout le sens des images de Jean Cazelles tient dans cette esthétique du fragment, dans la rencontre d’une matière tangible et d’une lumière impalpable

qu’il interroge dans son surgissement comme dans son effacement. Dissoudre la substance réelle de la photographie, et cela presque jusqu’à la dissolution complète. C’est alors ce reste de réalité qui constitue l’étrange fascination de ses photographies où l’ombre déclenche des fulgurances lumineuses qui magnifient et révèlent d’étranges secrets cachés. D’autant que Jean Cazelles se complait chaque jour davantage à s’installer dans un noir silence de plus en plus expressif qui n’est pas sans évoquer le mouvement de Hartung, les traces de Tobey où le geste de Soulages qui affirme par ailleurs « De la tourbe primordiale émerge la lumière ». Cette lumière qui semble jaillir de l’ombre devient le sujet même de l’image, le moyen d’accès au rêve et à la contemplation. C’est là l’obsession du photographe qui affirme son goût pour l’exploration de ces surfaces obscures striées d’éclats lumineux, pour l’immersion dans la profondeur de l’opacité. Associé à une conception formelle rigoureuse, cette volonté de s’abstraire du réel pour mieux y plonger lui permet de découvrir des images et des évocations invisibles autrement. « Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver » (René Char). Ces « Méprises & Faux-semblants », synthèse d’un travail aussi authentique que permanent, nous offrent avec leurs triptyques, une encyclopédie de traces et de propositions largement ouvertes à l’imagination de chacun. Amoureux comme Vinci de cette « lumière de l’ombre » qui privilégie la délicatesse et souvent l’éphémère, Jean Cazelles n’affirme rien, il suggère, et nous propose, dans un langage peu conventionnel qui ne se livre pas au premier instant, des fragments spectacles capables de déclencher notre lyrisme intérieur. Quant aux éternels incrédules, donnons leur à méditer cette phrase de Goethe : « On ne voit que ce que l’on sait ». Jean-Claude Gautrand Août 2013

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MÉPRISES & FAUX-SEMBLANTS JEAN CAZELLES With Méprises et Faux-semblants, Jean Cazelles invites us down into his alchemist’s cavern to ponder strange and astonishing revelations. Since the beginning, his very particular universe has been one of black – the black of schist, smoke, coal and soot – a universe of dimensions that fall outside conventional norms. His photography is not a reflection of the world, but an invented, and yet undeniably real image of it. It is the very illustration of the difference between « seeing » and « looking », a subtle difference which escapes no-one. To dwell on the form, object and material with all the acuity of observation, this is one of the secrets of those whose imagination summons them to vision. This was also a credo for Jean Dieuzaide and his friends, when they created the Groupe Libre Expression, in the 1960’s. It’s fair to say that this group gave something of a jolt to the photographic world of the time, and there is no doubt that Jean Cazelles would have been one of the first to join this avant-garde movement. We shared this world in its depths, just as we shared their passion for the mystery of things and the desire to push beyond and explore the other side of the mirror. « Photography is a mirage and cameras are metamorphosing machines », wrote Minor White. Jean Cazelles has always shared this perspective, starting with his very first images, though somewhat more documentary, at the time: disaffected factories, abandoned lots, underbrush and landscapes otherwise shaped by man. But even his early work revealed an acute perception of places and objects, as well as an obsession with contrasts between dark and light. He has tirelessly pursued this approach, discovering unknown worlds with total disinterest for commercial interests and fashionable trends. Rimbaut once said that « one must be a seer, to become a seer, a thief of fire ». Fire is light, but it’s also ashes and black. This is what informs Jean Cazelles’ process as he pursues it ceaselessly, hiking the somber landscapes whose luminous information he decrypts for us with expertise, picking out things that usually escape the eye, revealing and capturing the values and excessive relationships of substantial content in the visual field matter and light for one, color and form for another.

All the meaning of Jean Cazelles’ images stems from this aesthetic of fragment, in the meeting of tangible material and impalpable light which he investigates both in its bright surges and its dimming remnants. Dissolving the real substance of a photo to almost nothing, the remains of visible reality make up the strangely fascinating subject of his photography, where shadow outlines the intense luminance, revealing and magnifying strange and hidden secrets. Jean Cazelles is all the more inclined to settle down in a black and evermore expressive silence which is not completely unrelated to the Hartung movement, with hints of Tobey and even the work of Soulages, thus affirming « the primordial peat from which light emerges ». The light gushing forth from shadow becomes the very subject of the image, the key to dreams and contemplation. This is the photographer’s obsession, as exemplified by his penchant for exploring dark surfaces streaked with splinters of light, immersing us in the depths of opacity. Working with rigorous formal conception, he strives to abstract from the real so as to better delve into it, and discover discovering otherwise invisible images and suggestions. « A poet must leave traces of his travels, not proof. Only the traces take us into dream » - René Char. These « Méprises & Faux-semblants » are the synthesis of a body of work which is as authentic as it is permanent. Its triptychs present a veritable encyclopedia of traces and propositions entirely open to the viewer’s imagination. Sharing De Vinci’s love for the « shadow’s light », and favoring the delicate and fleeting, Jean Cazelles states nothing, he merely suggests in an unconventional language which isn’t immediately accessible, but scattered with fragments of spectacle that are prone to trigger our interior poetry. In response to the skeptic in and amongst us, Goethe said it best, “we only see what we know.” Jean Claude Gautrand August 2013 17


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MATIÈRE-LUMIÈRE Par sa faculté à délivrer spontanément – ou presque – une trace sans code ni syntaxe de ce qui lui préexiste, la photographie se caractérise en brûlant bien des étapes dans le processus rituel de la création. Contrairement à la plupart des pratiques ancrées dans l’artistique avec des règles péremptoires, à défaut de repères de légitimation, celle-ci ne peut que renvoyer à l’origine et à ses référents par le fait qu’elle est un excellent médium à haute propension didactique – la part d’œuvre n’étant pas immédiatement identifiable. Chacun s’accorde à reconnaître sans prétendre qu’il y ait en matière de création un vrai et un faux, que la prudence reste de mise lorsqu’il s’agit de s’inscrire avec la photographie dans le vaste champ d’investigation des arts visuels où, qui plus est, l’apprentissage de la technique n’est plus aujourd’hui un obstacle ! Il convient néanmoins de reconnaître que ce confort auquel il est difficile de résister ne règle rien, bien au contraire ; multipliées à l’excès, et de ce fait plus naturellement privées d’une réelle intention créatrice, nombre d’images assorties d’une aura de circonstance ne sont-elles pas trop souvent vides de sens ? Bien sûr je n’ai point de réponse ! Mais face à cette autre appréhension de la matière iconique, je ne peux qu’exhorter chaque voie photographique à faire valoir bien plus encore sa prédestination spécifique. Quoi qu’il en soit ma propre piste reste émotionnelle. Comme le disait Josef Sudek, « La découverte, voilà l’important. D’abord vient la découverte. Puis le travail suit. Et alors parfois il en reste quelque chose ». Apprendre encore et encore à se laisser surprendre par ce qu’embrasse le regard riche d’imprévu et de potentialité, c’est aspirer à la source des valeurs enfouies. Et qu’importe si nos interprétations sont diamétralement opposées ! Ce que je cherche à atteindre coûte que coûte c’est ce subtil accord entre le ressenti et sa mise en œuvre sans perdre de vue l’essentielle place offerte à l’imaginaire. Mais d’explorations en transpositions la route est longue, et sans vouloir perpétuer par conservatisme une pratique quasi-révolue, ma passion pour l’argentique n’ayant pas d’âge, c’est avec cette technique apprivoisée et prête à m’obéir au doigt et à l’œil – à moins que ce ne soit le contraire – que je persévère, ainsi qu’une poignée d’irréductibles. Conjurant merveilleusement les affres de l’attente et répondant à mes secrets photosensibles, les sels d’argent me le rendent bien – si ce n’est mieux ! – du Noir de leur profondeur. D’illusions en allusions, j’invite donc à vaguer tout voyageur avide de vaines promesses dans ce champ de tous les possibles dont l’unicité quasi-picturale tente de répondre à une nécessité confidentielle, émotionnelle, sensuelle…

Un désir des sens que mon complice Sylvain Lagarde n’a pas manqué de souligner à Rodez, lors de la présentation de ma série Méprises & Faux-semblants : « Jean Cazelles révèle de lui-même qu’il est un sensuel… Un sensuel au sens qu’un Jean Giono peut donner à ce terme, à savoir un homme qui sait tout le plaisir qu’il y a à confronter ses sens au monde : " Dès que les sens sont suffisamment aiguisés, ils trouvent partout ce qu’il faut pour découper les minces lamelles destinées au microscope du bonheur et tout est de grande valeur ". L’appareil de Jean Cazelles – son microscope à lui – s’attache à la matière et à la lumière qui fait de cette matière un territoire toujours renouvelé, et donc toujours à explorer : formes, textures, contrastes deviennent alors des personnages d’un théâtre de l’invisible et de l’ombre. Mais Jean Cazelles est un sensuel qui ne peut se contenter d’une sensualité passive. La matière, c’est aussi lui qui la met en scène, dans une geste ritualisée du tirage, qui vient prolonger le plaisir des sens. » Ici pas d’instant décisif. Seul un rapport physico-spirituel avec la matière-lumière, permet l’élaboration d’une écriture photographique personnelle et affranchie de toute fidélité ; une détermination outrageuse en somme, à épier du regard la nature des choses pour voir et faire voir d’autres mondes. Jean Cazelles

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MATERIAL-LIGHT Photography sits apart from other art forms, skipping the usual steps in the ritual process of creation simply because of its ability to render a virtually spontaneous trace that is totally free of all code or syntax from everything that precedes it. As opposed to most artistic processes, which are anchored by unquestioned rules, photography has no legitimizing standard of reference. It can only reference its own origins, thanks to its inherent excellence as a didactic medium. The « bartistic » dimension is not immediately identifiable. It is fair to say that, while artistic creation precludes the question of ‘true and false’, prudence is in order when we move photography into the vast investigatory field of the visual arts, especially now that technical mastery is no longer an obstacle. We should, however, recognize that the irresistible ease of digital technology solves nothing – on the contrary. So many images, emanating from a nebulous of trend and circumstance, multiplied ad-nauseam and effectively devoid of any creative intent - are they not just as often devoid of meaning ? Of course, I have no answer, but faced with this deluge of iconic content, I am compelled to urge photographers, regardless of their genre or objective, to work harder at defining and respecting their creations’ specific destination. Whatever it may be, my own path remains an emotional one. As Josef Sudek once said, « discovery - that is the important thing. First comes discovery, then follows work and, sometimes, something remains. » We are perpetually relearning how to remain open to surprise, to let our gaze be seized by the wealth of unexpected potential, and thus draw from the hidden treasures. No matter if our respective interpretations are diametrically opposed. What I’m looking to achieve above all else is a subtle balance between feeling and execution, whilst still preserving that essential space for imagination. But exploration by way of transposition is a long road, and my intention is not to perpetuate an otherwise revolutionized medium out of conservatism. My love of film-based photography is ageless. This is the technology I adopted and learned to control with my eye and finger (unless it’s the contrary), and I continue along with a handful of other holdouts. Silver salts have a marvelous way of keeping me in suspense, like an alchemist waiting for them to react to my photosensitive concoctions. And they return a black from the depths as nothing else can. From illusion to allusion, I invite travelers hungry for suggestion to wander through this

field of infinite possibilities, where the quasi-pictorial uniqueness attempts to answer their very private, emotional and sensual necessity. An accomplice of mine, Sylvain Lagarde was astute enough to articulate this desire at the presentation of the Méprises et Faux-semblants series in Rodez : « Jean Cazelles reveals himself as a sensual being, a sensual being in the sense that Jean Giono would have meant it, which is to say someone who is aware of all the pleasure to be had in exposing our senses to the world: " Once sufficiently sharpened, our senses find what they need everywhere around us, and cut away thin slices to put under the microscope of happiness, for it is all good ". Jean Cazelle’s own microscope focuses on material and the light which transforms that material into an ever-renewed territory, ever-worthy of exploration, a world where forms, textures and contrasts become characters in the theater of the invisible and of shadows. But jean Cazelles is a sensual being who does not content himself with passive sensuality. He intervenes, staging the material in a ritualized printing process that prolongs the pleasure of his senses. » There is no decisive moment, here. Only a physio-spiritual relationship with the material-light can spur the development of a photographic authorship free of all fidelity. All in all, it’s an outrageous determination to spy the nature of things so as to see - and bring the viewer to see - other worlds. Jean Cazelles

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« La photographie est un symbole et joue le rôle de métaphore, renvoyant vers quelque chose au-delà de l’objet photographié. » « The photograph acts as a symbol or plays the role of a metaphor for something that is beyond the subject photographed. » Minor White : Equivalence - The Perennial Trend


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« Une image est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. » « Image is that wherein what has been comes together in a flash with the now to form a constellation. » Walter Benjamin : Livre des Passages


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« La vérité n’a pas à être à être atteinte, trouvée ni reproduite, elle doit être créée. » « Truth is not to be achieved, formed, or reproduced ; it has to be created. » Gilles Deleuze : Cinéma 2 - L’image-temps


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« L’art doit naître du matériau et la spiritualité doit emprunter le langage du matériau. » « Art should be born from the materials and, spiritually, should borrow its language from it. » Jean Dubuffet : L’homme du commun à l’ouvrage


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« Ecrire n’est pas décrire. Peindre n’est pas dépeindre. La vraisemblance n’est que trompe-l’oeil. » « To write is not to describe; to paint is not to remake. Realistic representation only deceives. » Georges Braque : Le jour et la nuit

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Jean Cazelles lives in Viviez, an old mining town in the Decazeville basin, where the industrial past can still be seen in the cuts and bruises of the landscape. The mines, slagheaps, smoke, soot and carbon-laden schist are simply part of the basin’s decor - and its history. I spent my childhood surrounded by the mineral world, by mines, ore and factories where I held summer jobs for a bit of cash. The Decazeville basin is a very important part of me. This is where I made my first photos, after all. But something happened that changed my life and which could never have happened if I’d stayed here. The capital was capital, and as a student in Paris, I was able to see real galleries and real photography for the very first time. Saint Germain des Prés is where I discovered that you could make a creative work with a camera. And yet, my curiosity and fascination weren’t ignited any great photographers per se, but rather by masters of abstract art such as Soulages, Zao Wou-Ki, Hartung, Poliakoff and others whose work was exhibited at the Galerie de France. They were great revelations to me. Were you already interested in photography? I first discovered photography when I was 9 years old, but it took a more serious turn at the E.S.A.G. I was working towards a teaching degree in plastic arts alongside a friend from Rodez, Charles de Rodat, who was also seeking a career in the arts. Our paths crossed so often that we collaborated on a project, using 200 photographic plates produced by his grandmother during La Belle Epoque. Our book, Toulouse-Lautrec, Album de Famille was published by Editions Hatier. During my studies, however, photography was really just an optional pursuit. I was naturally inclined the graphic arts, but also to the applied arts and creation in general - illustration and decorating, etc. So I simply decided to become a professor. For want of time, I favored visits to the Louvre, the Musée d’Art Moderne and the Musée des Arts Déco over my own photography. For a provincial like me, it was totally new. You have to realize, the Musée Denys Puech was the only fine arts museum in Rodez, and in those days you could only visit it by appointment. I don’t think they even had electricity! A photo gallery was unthinkable. The photo festival, Rencontres d’Arles, had only just been created, and there still wasn’t a photo department at the Ministry of Culture. I’m quite sure that this festival was a contributing factor to this cultural opening. In the early 70’s, only a few big names held sway, and it was Jeanloup Sieff himself who first suggested a photo exchange to me, along with Denis Brihat, Lucien Clergue and his fellow creators of the famous festival in Arles, including JeanClaude Gautrand and Jean Dieuzaide, to name only a few. That was just the beginning of my contact with them. Our cultural knowledge was quite limited. In fact, we didn’t even have photography books; our primary reference and inspiration came from the photos that appeared on the photo paper boxes, catalogues and advertisements for the big photo product companies. They were very high quality,

Jean Cazelles vit à Viviez, dans cette ancienne agglomération minière du bassin de Decazeville qui conserve les plaies et les bosses d'un passé industriel dont la présence est encore tangible. La mine, les crassiers, les fumées, les suies, les schistes mêlés de charbon font partie du décor. De son décor. De son histoire. La mine, le minerai... J'ai toujours été entouré du minéral quand j'étais jeune, et de ces usines où j’ai travaillé l'été pour gagner trois sous. Le « Bassin » a beaucoup d'importance pour moi, c'est ici que j'ai fait mes premières photos. Néanmoins, il s'est passé quelque chose dans ma vie qui ne se serait pas passé si j'étais resté au pays. La Capitale a été capitale. Lorsque durant mes études j’ai habité Paris, j'ai pu voir pour la première fois de vraies galeries avec de vraies photographies. A SaintGermain-des-Prés où j’étudiais, j'ai découvert que l'on pouvait faire œuvre de création avec un appareil photo. Pourtant, le nom qui a déclenché ma curiosité, mon intérêt, n'est pas celui d'un photographe. Soulages, Zao Wou-Ki, Hartung, Poliakoff et autres grands maîtres de l’abstraction qui exposaient à la Galerie de France, ont été de grandes révélations. Etiez-vous déjà attiré par la photo ?

Je me suis épris de la photo à l’âge de 9 ans. Plus sérieusement, à l’E.S.A.G. où je préparais le professorat d’arts plastiques avec mon ami ruthénois Charles de Rodat, lui aussi en quête d’un avenir artistique. Nos routes se croiseront souvent au point de bien vouloir exploiter les 200 plaques photographiques réalisées par sa grand-mère à la « Belle Epoque » pour publier ensemble aux Editions Hatier « Toulouse-Lautrec, album de famille ». Mais durant mes études, la photographie n'était qu’une option facultative. J'avais un penchant pour les arts graphiques, mais aussi pour les arts appliqués : la création, l'illustration, la déco, j'avais tout simplement décidé d'être professeur. A Paris, par manque de temps, j’ai privilégié la visite des expositions, du Louvre, du Musée d'Art Moderne, du Musée des Arts Déco, à la pratique photographique. Pour un provincial c'était quelque chose de complètement nouveau. Il faut se souvenir qu'à cette époque là, le Musée Denys-Puech de Rodez n'était ouvert que sur rendez-vous, je crois même qu'il n’était pas électrifié ! Une galerie de photos, c'était inimaginable. Les Rencontres d'Arles venaient de se créer... alors qu’il n'y avait pas encore de secteur photographie au Ministère de la Culture... Je suis certain qu’elles ont contribué à cette ouverture culturelle.

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Au début des années 70, seuls quelques grands noms s’imposaient : Jeanloup Sieff – le premier à me proposer, quelque temps plus tard, un échange de photos –, Denis Brihat, Lucien Clergue et ses complices initiateurs du célèbre festival arlésien comme Jean-Claude Gautrand et Jean Dieuzaide, pour ne citer qu’eux. Je les reverrai souvent. Nos modèles, notre inspiration, on les trouvait sur les boîtes des papiers photo et les supports publicitaires des marques les plus prisées des photo-clubs, c'était très bien fait. Ces plaquettes étaient imprimées en héliogravure et les noirs profonds de ces images m'ont impressionné. Je suis persuadé que c'est une des raisons de mon attirance pour le noir. On n'avait pas de livres, c'était notre documentation. Oui notre culture était très sommaire. Plus tard j'ai fait des recherches par moi-même et j'ai découvert la photographie des pionniers américains, Edward Weston, Ansel Adams et le grand déclencheur, Minor White, que Yan le Toulousain venait d’exposer au Château d’Eau. Sa préoccupation deviendra la mienne : « … Ne pas seulement photographier les choses pour ce qu'elles sont, mais pour ce qu'elles peuvent être d'autre. » Qu'est-ce que l'enseignant en arts plastiques que vous avez été, a apporté au photographe que vous êtes ?

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Dès ma nomination au collège Fabre de Rodez, j'ai ouvert un club photo qui est devenu un atelier de pratique artistique. Dans le cadre du club, c'était du bénévolat. Plus tard, ces heures comprises dans mon service me permettront de structurer mon enseignement pour finir ma carrière avec des classes où l'on parlait presque exclusivement « photographie ». Il faut dire que le programme assez vague le permettait... J’ai toujours intégré la photographie à mon travail d’enseignant et mon travail d’enseignant n’a cessé d’enrichir mon travail d'auteur. Mais les choses n'étaient pas aussi tranchées entre les deux... et ça n'a pas été toujours facile parce que mon approche – assez singulière pour l’époque – souffrait d’un nombre important d'élèves, une lourde contrainte. J'ai essayé de faire comprendre à mes jeunes collégiens, et moins jeunes photographes de l’Ecole Normale, qu'il fallait aller au bout des choses et respecter la relation « œuvre – auteur – spectateur » ; l’œuvre implique nécessairement un public. Je les ai amenés à visiter quelques expositions majeures, à Rodez, Albi, Cahors, Toulouse, à produire à un niveau quasi-professionnel, à fabriquer les cadres, à trouver les cimaises et à exposer. C'est pour cela qu'il y a souvent eu des travaux scolaires montrés aux Photofolies *, les jeunes œuvres étant toujours prêtes à sortir de l'établissement.

printed using rotogravure and I was really struck by the depth of the blacks. I’m quite certain that this also played a role in my penchant for black. Later on, I did some personal research and discovered early American photographers Edward Weston, Ansel Adams and especially Minor White. Yan le Toulousain had just organized an exhibit of his work at the Château d’Eau gallery, in Toulouse, and I came to share his priorities: « don’t just photograph things for what they are, but for what else they can become ». How did your work as a professor of arts shape you as a photographer? As soon as I joined the staff at the Fabre middle school in Rodez, I opened a photo club which has since become an arts workshop. My work with the club was voluntary at first, but eventually my time was counted as part of my job, and I was able to structure my teaching such that, by the end of my career, I was teaching classes where we spoke almost exclusively about photography. I have to admit that it was the vagueness of the program which allowed for that. I had always integrated photography into my work as a teacher and this work fed my creativity, in turn. But the distinction between the two was sometimes blurred, making things difficult at times. My approach, which was rather unconventional for the era, wasn’t really adapted to such large classes, and that was a major constraint. But I tried to impart to my young students, and to the not-so young photographers at the Ecole Normale, a respect for the relationship between the work, the artist and the viewer. A work of art inherently implies an audience. I took them to see major exhibits in Rodez, Albi, Cahors and Toulouse, I pushed them to produce at a near-professional level, to build frames, procure picture rails and expose their work. That’s how so much student work found its way into the annual Photofolies* exhibits in Rodez; their work was always ready for exhibit. That was back in the 80’s, when your work was much less abstract. True, but it’s a bit much to say that photography is abstract. It’s clearly not an abstraction; it’s a tangible act, one of the most tangible acts we can imagine. A painter starts with a blank canvas and adds to it. A photographer must start with a given, as I have learned to do. And sometimes he must try to remove things, to purify. Their respective approaches are fundamentally opposite, and only meet if a photographer takes the first step towards abstraction, and the painter takes one in the opposite direction. That’s how Claude Chaigneau and I met the friendly challenge of bringing my photography and his painting together along formal and quite unorthodox lines. Presented as diptyches, the « drawn » and « revealed » traces stood side by side, playing equal parts, hence the name of the series, « Co-Incidences ». So, while photo is not abstract by nature, it can certainly become less figurative. One doesn’t necessarily want to render a simple copy of reality. That reminds me of an event that really struck me. Some time ago, I was feeling


Nous sommes dans les années 80, votre travail était alors beaucoup moins abstrait...

a need for material, mud and water, so I went to the Camargue for few days. I stopped beside the Etang de Vaccarès – a salt water lagoon – and witnessed a truly extraordinary sunset. I was bowled over. I took a photo, then another, and another. I was shooting with slide film at the time, experimenting with color printing, and when I got back home and developed the picture, I was totally disappointed. There was nothing, just a red ball, it wasn’t even round. Where was the red that had so moved me? I think that was the day when I realized that photography wasn’t a mirror of reality. I think about that a lot. Photography is a selection, a piece of reality. In fact, it’s not even a piece of it. Our visual field shows us only part of the picture. Spread your hands away from your face and you can’t say what they are, or what they are holding. You know they’re there, on the periphery, but you can’t really see them. It’s is a fundamental aspect to our perception, and yet this dimension simply doesn’t exist in photography. Photography cuts cleanly, giving at best a few fragments of reality, whereas our senses work as a whole, complementing our experience. My sunset included the heat, smells and subtle noises. My photo became a piece of paper, totally devoid of all the emotion that I had felt in the moment. I understood then that photography could not eternalize beauty. The most beautiful of things must be savored in the moment. Photographic documents can’t do it for us after the fact. I can understand the emotion we might feel at the sight of a baby’s photogenic smile, but that’s another matter.

S.t 1 de la série Co-Incidences

Oui. Mais il est exagéré de dire que la photographie est abstraite. La photographie n'est pas une abstraction, ça c'est clair, l'acte photographique est un acte tangible, c'est même l'un des plus tangibles qui puisse exister. Le peintre part de la toile vide, vierge. Il rajoute. Le photographe part des éléments qui lui sont donnés et, comme j’ai appris à le faire, il essaie parfois de gommer, d’épurer. Leurs démarches sont fondamentalement opposées, elles ne peuvent communier que si le photographe fait un pas vers l’abstraction lorsque le peintre prend le chemin inverse. C’est ainsi, que sont nés d’un défi amical des rapprochements formels et inédits entre les œuvres du peintre Claude Chaigneau et mes photographies. Présentées en diptyques, les traces « dessinées » et « révélées » qui se côtoient participent ici, à parts égales, des mêmes « Co-Incidences », d’où le nom donné à la série. Si la photo n'est pas abstraite par nature, elle peut devenir de moins en moins figurative. On peut avoir envie de ne pas montrer le double ou la copie du réel. Il y a, à ce sujet, un événement qui m'a marqué. Avide de matière, de boue, d’eau... j'étais allé passer quelques jours en Camargue. Je m'arrête au bord de l'étang de Vaccarès et le soleil m'offre sur cet immense étang, un coucher extraordinaire, bouleversant. Evidemment je prends une photo, puis deux… une diapo, puis une autre, à cette époque je faisais des essais de tirages couleur. Rentré chez moi je développe la photo... quelle déception... Il n'y avait rien de ce que j'attendais. Rien, un rond rouge, même pas rond, même pas rouge, qui m'avait tant enthousiasmé. Je crois que c'est ce jour là que j'ai vraiment compris que la photographie n'était pas le reflet de la réalité. J'y pense souvent. La photographie c'est une sélection, un « morceau » du réel. Non, ce n'est même pas un « morceau » du réel... Notre champ visuel ne nous permet de voir qu’une partie de l'image. Ecartons nos mains de chaque côté du visage et nous ne sommes plus capables de dire ce qu'elles sont, ce qu'elles tiennent, nous savons pourtant qu'elles sont là, dans ce halo, sans les voir vraiment. C'est fondamental et ça n'existe pas en photo puisque la photo tranche dans le vif, pour offrir au mieux quelques bribes de réalité. A cela se rajoute le travail complémentaire de l'ensemble des sens. Dans mon histoire de coucher de soleil il y avait la chaleur, les odeurs, les bruissements… Je me suis donc retrouvé avec un morceau de papier qui ne renvoyait plus rien de l'émotion que j'avais ressentie. J'ai compris

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que la photographie ne pouvait pas immortaliser les belles choses. Les plus belles, il faut les savourer dans l'instant... La trace photographique ne nous satisfera pas ultérieurement. Je peux comprendre l'émotion que suscite le sourire photogénique d’un bébé mais... … Mais ce n'est pas la photographie telle que vous la comprenez.

Non, évidemment. C'est de l'affect. Le prolongement de l’esprit plus que le prolongement de l’œil. Je l'ai compris très tôt… Les gens du bassin de Decazeville me réclament parfois des photos de la mine, des ateliers pour illustrer une plaquette ou autre. Je réponds que je n'ai rien, que je n'ai jamais fait ça, ou rarement, et ça semble étonner tout le monde. La photo choisie par Jeanloup Sieff était justement un haut-fourneau pris à Decazeville; il était abattu dans la lumière magistrale du matin, en contre-jour. Ce n'était pas une pièce documentaire, pas plus que ne l’était le hangar désaffecté que Bernard Plossu retiendra quelques années plus tard. Je n'ai jamais été tenté par la « photo-document », c'est une autre façon de se servir d'un appareil photo qui ne m'intéresse pas vraiment, mais qui a son utilité, ses multiples raisons d’être… considération que le conscrit Cazelles nuancera spontanément le jour de son affectation au service photographique d’un régiment de « reconnaissance »… A une époque où, vous l'avez dit tout à l'heure, la photographie n'avait pas sa place au Ministère de la Culture, cette vision de la photo purement artistique a dû être assez difficile à soutenir...

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Oh oui! Quand j'ai crée les Photofolies les réticences et les incompréhensions ont été vives et nombreuses, de la part de certaines institutions comme de quelques photographes. Allez expliquer à quelqu'un qui s'applique à faire des photos techniquement parfaites, bien cadrées, bien posées, qu’il faut encore aller au-delà... Ce qui ne m'a pas empêché d’assister maintes fois un ami, établi artisan photographe – artiste à ses heures – en assurant ses reportages quand il était trop occupé ailleurs... Mais c'était en échange du prêt de matériel très coûteux, de l'accès à son studio, à son atelier, à son foyer aussi, les jours de spleen et de manque d’inspiration. C'est grâce à lui que j'ai pu commencer à travailler sérieusement avec du matériel professionnel. J'avais aussi accès à son labo où j’ai connu les prémices de la couleur, mais quelque part, dans le fond, les bases de mon travail en noir et blanc étaient déjà là.

But that’s not your idea of photography. Certainly not. That is affect, more an extension of spirit more than the eye. I understood that very early on. People in Decazeville often ask me for photos of the mines or factories to illustrate a booklet, or something. It always surprises them to learn that I have nothing of the kind, and that I’ve only very rarely done that sort of thing. The photo that Jeanloup Sieff chose was of a blast furnace taken in Decazeville, but it was totally backlit and overwhelmed by the majestic morning light. It was no more documental than the image of an abandoned hangar that Bernard Plossu picked-out a few years later. I’ve never been drawn to photo-documentary. That’s one way to use a camera, but it doesn’t really interest me. Of course, it has its place and many uses, and I had to take that into account when I did my mandatory military service and was sent on photo-reconnaissance missions. But, even then, I felt compelled to bring a bit of nuance into my work. You mentioned the time when photography wasn’t even recognized by the Ministry of Culture. This purely artistic vision of photography must have been rather difficult to defend, was not? Yes, indeed! When I first created the Photofolies, I met a lot of resistance from institutions and even some photographers. Just try and explain to someone who’s entirely focused on creating technically perfect, well framed and posed photography that they should push beyond that. Not that this kept me from often helping a wedding photographer friend of mine – an artist in his way – to handle the occasional job when he was too busy, elsewhere. But that was just in exchange for access to expensive equipment which he lent me, or to his studio or lab, or just as an excuse to hang out at his house on days when I was depressed or uninspired. I have him to thank for my first opportunities to work seriously with professional equipment. It was in his lab that I learned the fundamentals of color. But, somewhere down deep, my true foundations were already laid in black and white. Did you come to black and white as an evolution of your work with color? No, color was really just a detour for me - a beautiful detour, to be sure, too beautiful for me, a musical moment in my otherwise quite somber career. Could we say that black is a heavy, grave symbol for you – the opposite of light? It’s the inherently dark side of me. We lived in an industrial world where black and coal were omnipresent. When I was a kid, if you wanted to go out for a walk, your clothes turned black almost instantly. I grew up amidst soot and pollution, in a house with blackened facade. And the smoke, there was always smoke. That explains a good part of it, but not all. There’s another reason, just as important.

S.t 2 & 3 de la série De l’état des lieux à l’état de grâce – Friches


Our knowledge of photography was formed by the documentary genre I’ve already mentioned, printed uniquely in black and white and with great quality, touching all the velvet tones. I really enjoyed discovering black and white lab work when I was quite young, and with the help of my father’s technical books. I still have them, by the way. That’s where I found the chemical recipes that I still use. After that, I realized that black and white allowed me to go beyond reality. Black isn’t really a part of our perceived world, and, even if we aren’t necessarily trying to duplicate it, we are none the less confronted with this reality. Like it or not, what we actually get on paper is only a trace of it. I don’t like to reference or title my images, because I want my viewers to project themselves into other possible worlds, and I do everything I can to facilitate the voyage. Black is part of that, as is the format. Sometimes it’s square, as in Méprises & Faux-semblants, and sometimes I use a nearly panoramic format, as is more suitable to the wide and hostile landscapes presented in the series, De l’Etat des Lieux à l’Etat de Grâce. Do you deny having been inspired by Soulages, even though it is often said of you? I appreciate Soulages’ painting enormously. When I saw his work for the first time at the gallery I mentioned in Paris, I was really moved by his poetic abstractions. That was my first encounter with non-figurative art. Until that moment, I had only heard of him by name. I didn’t even know that he was from Rodez ! We were both oriented towards more consensual styles of painting, such as impressionism, of course, or sometimes more exuberant genres, such as surrealism. That said, I’ve always had a hard time with surrealism. I just can’t connect with Dali, for instance. Why is that? Is it his intolerable theatrics? Maybe. But it’s mostly because his work is the exact opposite of mine. His painting doesn’t induce reverie in me precisely because it reveals the stuff of dreams. The viewer has no place, there; it’s limited to the painter. I prefer to open all the doors and windows, for the viewers to make their own dreams. I simply provide the raw material and impose nothing except the occasional aesthetic choice that is too strong to be ignored. That’s one of the little pleasures I allow myself. Painters do it, why shouldn’t we? So what is does Jean Cazelles mean by ‘little pleasures’, exactly? Certain woods, metals and torn up plastics can occasionally suggest a certain figuration whose immediacy is undeniable. A particular light on an ordinary object creates a surprising shadow, for instance, and I can’t resist it. The image is a bit of a tease, at the start. There are a few in Méprises & Faux-semblants, and artists recognize them. They’re just little winks of the eye between us. That’s not where we’re at our most creative, but it shows that beauty sometimes hides where we least expect it.

S.t 4 & 5 de la série De l’état des lieux à l’état de grâce - Stigmates

Le noir et blanc est une évolution de votre vision en couleur ?

Non. La couleur n'a été qu'une parenthèse. Une magnifique parenthèse, trop belle pour moi… un moment musical dans ma carrière sombre. Le noir est donc chez vous un symbole grave... le contraire de la lumière ?

C'est ma part de sombre innée. On vivait dans un monde industriel où le noir, la houille, étaient omniprésents. Enfants, quand on allait se balader à deux pas de chez soi, nos chemises viraient vite au noir ; on vivait dans la poussière et la pollution, j'ai grandi au milieu de tout ça, dans une maison à la façade noircie. Et des fumées, beaucoup de fumées. C'est une raison comme une autre, peut être pas essentielle. Il y en a une autre, tout aussi importante. La connaissance que nous avions du monde photographique se faisait grâce à ces documentations dont j'ai déjà parlé, imprimées uniquement en noir et blanc et de grande qualité, avec des tons veloutés. J'ai pris plaisir à découvrir le travail du laboratoire en noir et blanc très jeune, guidé par les livres techniques de mon père, que j’ai d’ailleurs conservés et où j'ai trouvé des recettes de chimie que j'utilise toujours. Par la suite, j'ai réalisé que le noir et blanc me permettait d'aller au-delà du réel. Le noir n'est pas la couleur du monde perçu, et même si l'on ne cherche pas à le dupliquer on est quand même confronté à ce réel, qu'on le veuille ou non. Ce qu'on pose sur le papier ce n’est que sa trace. Comme de plus je ne souhaite ni renseigner, ni légender mes images pour permettre au spectateur de se projeter vers des ailleurs possibles, je mets tout en oeuvre pour lui faciliter le voyage. Le noir y contribue, de même que le format. Parfois carré, comme dans ce travail « Méprises & Faux-semblants », ou proche du panoramique, mieux adapté aux larges terres inhospitalières de la série « De l'état des lieux à l'état de grâce ». Donc vous contestez avoir été inspiré par Soulages, alors que c'est quelque chose que l'on entend dire souvent à votre propos.

J'apprécie énormément la peinture de Soulages. Quand je l'ai découverte la première fois dans la galerie parisienne que j’ai évoquée, j'ai ressenti une grande émotion devant ses abstractions lyriques, je ne connaissais que son nom – j'ai appris plus tard qu'il était Ruthénois – c'était ma première confrontation avec la non-figuration. On était culturellement orientés vers une peinture plus consensuelle, comme l’impressionnisme bien sûr, ou parfois plus exubérante comme le surréalisme. Mais j'ai du mal avec le surréalisme. Et j'ai toujours du mal avec Dali.

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Pourquoi ? Son côté cabot insupportable ?

Peut-être. Surtout parce que sa peinture est l'exact opposé de mon travail. Elle ne me fait pas rêver parce qu'elle dévoile tout du rêve. Le spectateur n'y a pas sa place, c'est limité à lui-même, l'auteur. Je préfère ouvrir la porte, la fenêtre, toutes les fenêtres, c'est la personne qui regarde qui fait son rêve. Je ne lui apporte que des éléments, je n'impose rien, à part quelques fois des évidences esthétiques tellement fortes qu'on ne peut passer à côté. Ca fait partie des petits plaisirs, les peintres le font, pourquoi pas nous ? Qu'est-ce que c'est un petit plaisir de Jean Cazelles ?

Certains bois, fers ou plastiques déchirés m’imposent parfois une figuration dont l'immédiateté ne peut être remise en cause ; c'est une lumière particulière sur un objet banal qui lui ajoute une ombre étonnante. Je ne résiste pas. C'est une image un peu racoleuse au départ, il y en a quelques unes dans « Méprises & Faux-semblants », les vrais artistes les reconnaissent, c'est un clin d’œil partagé. Ce n'est pas forcément là que nous sommes les plus créatifs mais cela montre que le beau se niche parfois là où on ne l'attend pas. Pour en terminer, je crois savoir que Soulages, grand amoureux de notre région, des Causses, de Conques, de Decazeville, a été inspiré tout autant, par les pierres, la matière, la terre noire de houille, les schistes. Il l'a souvent dit. Cette terre sombre, dans tous les sens du terme, est notre inspiration commune car c'est elle qui détient l'information lumineuse et c’est bien là, dans ces terres en marge, que nous allons la puiser ; il est donc assez normal d'y retrouver certains parallèles. Mais ça s'arrête là. Le beau se niche là où on ne l'attend pas. Encore faut-il le repérer...

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Oui. C'est une question qui revient toujours : « Comment tu fais ? » « Je cherche. » « Tu cherches quoi ? » « Je n'en sais rien. » Il faut juste se laisser séduire par une forme, une lumière, glisser l’œil, s'interroger : « Si je soulève un peu cette tôle, qu'est-ce qu'il va se passer ? Comment va réagir son ombre propre ? Et son ombre portée ?... Ce bout de pare-brise derrière cette poignée de mauvaises herbes, comment va t-il apparaître ? ». Comme ça sont nés les triptyques de la série. Chaque photo qui les compose a été réalisée à un moment et à un endroit différents, et pourtant elles fonctionnent ensemble. Comment ça se fait ? C'est parce que je mémorise mes photos, et en regardant autour de moi, en me promenant sans vraiment

To finish on that subject, I am pretty sure that Soulages, who is also very attached to this area , to the Causses (limestone plateaus), Conques and Decazeville, was just as inspired by stone, material, the black, coal-laden earth and schist. He’s often said as much. This land is somber in every sense of the term, and it inspires both of us because it holds luminous information and it’s in those marginal lands that we both take our source. So, it’s perfectly natural to see parallels between us, but it ends there. Beauty hides where you expect it the least. But you still have to find it. Yes, and I’m always asked, « how do you do it? » « I look for it. » « What are you looking for? » « I have no idea ». You just have to let yourself be taken in by a form, a light, to peer in and wonder, « what if I lifted that bit of sheet metal over there a bit, what will happen? How will it react with its own shadow, and that shadow’s extension? Or, what about that bit of windshield behind those weeds, how will that look? » That’s how the triptychs of the series came into being. Each individual photo was taken in a different place and time, and yet they work together. How is that ? It’s because I memorize my photos, and when I’m out strolling, I have that in mind, and yet without really looking, I suddenly see a new possibility for a composition. When you set a new image beside an old one, they contribute to each other, and the ensemble takes on a new dimension. My triptychs are not simply panoramas that have been split in three. What would be the point of that? They are composed of images with distinct origins and exist only if the images speak to one another. How do you work, out in the field? My first polyptych got started in an old dilapidated factory in the basin. I came across an old, water-damaged plywood drawing table in one of the workshops, there. The veneer was all coming unglued. I took a picture of it, and I knew that this image would solicit others. My aim was to compose a non-figurative work, but it’s true that when we look at it today, it evokes landscapes, clouds and deserts, everything that comes to the imagination. When I feel that one image is calling for another, I make a contact sheet, or I do a quick sketch of that first image, and I head out on my quest with that little piece of paper. My work in the field can get quite physical. I have to lift up tarps and sheet metal, brace them so as to find the shadow. Sometimes I even create it, using my own body, my hand or my foot. So, a single composition can take a long time. Do you constrain yourself in any way, on site, using only natural lighting, for instance? No, I don’t limit myself artificially. I don’t use flash because I can’t control it, or predict the results, but I sometimes bring external lighting, or use a sheet of something laying around on site to bounce a reflection. Or, I move the object, or turn it around

S.t 6 & 7 de la série De l’état des lieux à l’état de grâce – Terres en marge


so as to bring leaves or gravel or whatever into the composition. One of the photos in the series is bisected horizontally by what seems to be a rotten branch. In fact, it’s an old mop that happened to be there, but once the image flips from vertical to horizontal, the effect is quite gripping. Composing a shot is a fundamental step. I have to anticipate the future image and what I can get out of it, back in the lab. I have to interpret the colors as nuances of black, grey and white, and also analyze the quality of the light so as to strengthen or dim it down, later on, with the enlarger. I only click the shutter if I feel I can take the image further. So, there are three steps of equal importance: composition of the shot, development and then the reworking I do for highlighting and contouring. I don’t have that hyper-awareness of the instant, like Cartier Bresson. I look for the raw material because I must have something to start with. The location of a shot is of no importance. If the light suits me just outside my back door, then I can get workable shots. In one of the photos, there’s a series of white streaks. These are scrapes from concrete on the wood of my garage door. I noticed them while backing out with my car, and so I waited for the light to be right. In the meantime I thought about it, with what element I could complement it – a branch, maybe, or why not that old mop I was just talking about? It’s also very interesting to see how two different materials – compressed wood and stone, for example – can produce such similar effects, or even come together. The triangle is a recurrent element in the series, Méprises & Faux-semblants. Don’t you worry about being a bit repetitive? That’s one of the difficulties of photography. You have to start with something, and even if the composition isn’t necessarily the most important phase, it is none the less essential. That is the starting point. And since I tend to look in the same sort of places for my subjects - junkyards, abandoned lots, dilapidated office spaces and factories and industrial spaces - I tend to find similar elements. I’ve focused on agricultural tarpaulins on several separate occasions, following their extraordinary reflections, and also dilapidated walls, rusted sheet metal. Once, I was in a truckwrecking yard and discovered how dirty old glass takes on translucence over time, and offers an ideal and mysterious background. So, yes, the triangle recurs in my work because we encounter it just about anywhere we look – in a corner here, by some roofing metal or its shadow. The triangle is an essential form, just as rich in symbolism as a circle or a square. But in the end, you’ll see a pyramid, a hut or a pit-heap. It’s also a modest little reference to Kandinsky, who compared mankind’s spirituality to a pyramid, or a more formal homage to Hokusai and his 36 views of Mount Fuji. When we look at your photos for the first time, one’s initial reaction is naturally interrogative: « what does this mean ? What does it represent ? » Do you ask yourself the same questions when you compose a shot?

chercher, je devine soudain la possibilité d'une nouvelle prise de vue. Placée à côté de la première, cette nouvelle image apportera quelque chose d'autre et l'ensemble prendra une autre dimension. Mes triptyques ne sont pas des panoramiques qu’il suffirait de découper en trois – quel intérêt ? – ce sont bien des images d'origines différentes qui n'existent que si elles se répondent. Sur le terrain, quelle est votre démarche ?

Le premier polyptyque est né dans une vieille usine ruinée du bassin. Dans un atelier il y avait une table à dessin dont le dessus en contre-plaqué avait souffert des infiltrations d'eau, le bois se désagrégeait, se décollait. J'avais réalisé une première image, et cette image en appelait d'autres. Le but était de composer un ensemble peu figuratif mais il est vrai qu'on peut y voir aujourd’hui des paysages, des nuages, des déserts, tout ce qui vient à l'imagination. Quand j'estime qu'une image en attend une autre, je tire un contact ou je fais un croquis de la première et je cherche la suite avec ce petit bout de brouillon. Sur le terrain le travail est parfois physique, il faut soulever des bâches ou des tôles d'acier, les caler pour trouver une ombre. J'utilise même mon propre corps, pour la créer, ma main ou mon pied... La réalisation est très longue. Est-ce que vous vous interdisez quelque chose sur le lieu de prise de vue, l'ajout de lumière par exemple ?

Je ne m'interdis rien. Je n'utilise pas le flash parce que je ne peux pas contrôler l'éclair, mais il arrive que j'amène de la lumière supplémentaire avec un réflecteur de fortune trouvé sur place, je bouge le sujet ou je tourne autour, préférant une autre composition pourvue de feuilles, de cailloux, que sais-je... L'une des photos de la série est traversée à l'horizontale par ce qui semble être une branche à la limite de la pourriture. Ce n'est pas une branche, c'est une vieille serpillière qui traînait là, une fois l'image basculée de la verticale à l'horizontale l'effet est saisissant. La prise de vue est une étape fondamentale. C'est le moment où je dois anticiper la future image et appréhender globalement ce que je peux obtenir au labo, interpréter les couleurs en nuances de noirs, de gris et de blancs, analyser la qualité de la lumière pour la renforcer ou l'atténuer plus tard sous l'agrandisseur. Je ne déclenche que si je me sens capable de prolonger l'image que je commence. Il y a donc trois étapes d'une importance égale : la prise de

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vue, le développement et le rehaut graphique. Je ne suis pas dans l'instant décisif de Cartier-Bresson, je vais chercher une matière, une matière première, parce que je ne peux partir de rien. Le lieu de prise de vue n'a pas d'importance. Si la lumière me convient autour de chez moi je peux réaliser les prise de vues qui m'iront. Dans l'une des photos présentées il y a une série de rayures blanches. Ce sont les griffures du béton sur le bois du portail de mon garage. Je les avais repérées en sortant ma voiture, j'ai attendu la bonne lumière ; entre-temps j'y avais réfléchi, j'avais pensé à un élément complémentaire, peut-être une branche… et pourquoi pas la fameuse serpillière dont j'ai parlé tout à l'heure? Il est aussi très intéressant de remarquer que deux matières différentes, du bois compressé et de la pierre, par exemple, peuvent produire un effet assez similaire, voire s'assembler. Le triangle revient souvent dans la série « Méprises & Faux-semblants », ne craignez-vous pas de faire un peu toujours la même photo ?

C'est une des difficultés de la création photographique. On ne peut partir de rien, si la prise de vue n'est pas la phase la plus importante elle est malgré tout essentielle, c'est l'origine ; je cherche à peu près toujours dans le même genre d'endroits : casses de véhicules, terrains vagues, usines et bureaux abandonnés, univers industriels, on y retrouve souvent les mêmes éléments. A plusieurs reprises j'ai travaillé les bâches agricoles pour les reflets de lumières extraordinaires qu'on peut révéler, puis les murs délabrés, les tôles rouillées, dans une casse de camions où j'ai découvert que les verres salis, devenus translucides avec le temps, m’offraient un arrière-plan idéal et assez mystérieux... Alors oui, le triangle revient dans mon travail parce qu'on rencontre sa forme partout, ici un coin de mur, là une tôle ou une ombre, le triangle est une forme essentielle, riche de symbolisme comme le sont aussi le cercle et le carré. Mais au final on va y voir une pyramide, une hutte, un terril... Sans doute un modeste clin d’œil à Kandinsky qui comparait la vie spirituelle de l'humanité à la forme pyramidale, ou plus formellement à Hokusai et ses trente-six vues du Mont Fuji.

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Lorsque l'on regarde vos photos pour la première fois, le premier réflexe est évidemment l'interrogation : « Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça représente ? » Vous posez-vous ces mêmes questions lors de la prise de vue ?


Some things are so striking when I seem them through the lens that they stay in my mind right through to the lab. A spot of paint might suggest a moon, or a splinter of wood might resemble a tree. And there are unavoidable suggestions, such as a horizontal line which evokes the horizon between land and sky, or sky and sea. I’ve photographed so many things that I can’t even remember it all. Over time, an image can take on a very different signification from what I saw at the time of creation, something that escaped me. That’s why I avoid giving titles, as I can mislead myself.

Il y a des choses qui sautent aux yeux au moment de la prise de vue et que je vais retenir jusqu'au laboratoire. D’une tâche ronde de peinture peut naître une idée de lune, d’un éclat de bois une évocation d’arbre. Il y a aussi de grandes évidences, comme la ligne horizontale qui ramène au paysage terre-mer, terre-ciel, ciel-mer... J'ai tellement photographié que je ne sais plus ce que j'ai enregistré ; avec le temps l'image peut prendre une signification très différente de ce qu'elle avait au moment de sa fabrication, elle m'a échappé, d'où l'importance de ne pas apporter de référent pour me bluffer moi-même.

*In 1988, Jean Cazelles created the association, Photofolies12, in order to encourage photographic creation and diversity. Since then, each autumn in Rodez has been a season of encounters with renowned photographers and young talents, alike. Raymond Depardon, Claude Nurisdany and Marie Pérennou were guests of honor at the first edition, followed by the likes of Robert Doisneau, Jean-Claude Gautrand, Jeanloup Sieff, John Batho, Frank Horvat, Sebastiao Salgado, Don Mc Cullin, Josef Koudelka, Bernard Plossu, Jean Dieuzaide, Bernard Faucon, and William Klein, amongst others.

* En 1988 Jean Cazelles constitue l’association " Photofolies 12 " afin de susciter la création photographique et promouvoir sa pluralité. Depuis, chaque année, à l’automne, des rencontres ont lieu à Rodez où, autour des plus grands noms de la photographie les jeunes talents peuvent trouver leur place. Raymond Depardon, Claude Nurisdany et Marie Pérennou furent les invités de la première édition. Suivront Robert Doisneau, Jean-Claude Gautrand, Jeanloup Sieff, John Batho, Frank Horvat, Sebastiao Salgado, Don Mc Cullin, Josef Koudelka, Bernard Plossu, Jean Dieuzaide, Bernard Faucon, William Klein… L'aventure continue.

S.t 8 & 9 de la suite Méprises & Faux-semblants

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LABORATORY WORK Jean Cazelles’ photo lab is situated outside his house, under and old trellis – a sort of garden shed for a gardener of images. The space inside is organized to the last millimeter, filled with equipment - much of which the artist has personally modified in consecration to photographic construction - construction requiring slow maturation, mastery of traditional techniques, agile hands, and eyes that see the image beyond the image. I was obliged to adapt developing techniques to my very particular kind of work. As I mentioned earlier, I remove material from the photo, and so, paradoxically, I need an excess of it in order to work. My developing baths are hot and my exposures are very long, 10 minutes or longer, so as to give me the time to dodge and burn, and obtain my own personal sort of « hyper-black », and the full spectrum of grays. I use pretty much every contrast filter in the light box, from the softest to the sharpest, so as to obtain the range of nuance that will bring the picture to life. Dodging and burning are very important. At this stage, I begin to comprehend what I really saw while composing the shot – or didn’t see. It’s also the moment when the photo reveals itself – both literally and figuratively speaking. Then, I take the photo and begin an irreversible operation, selectively reducing selected areas. It is just as subtractive and decisive as with engraving, and given my penchant for chiaroscuro, I give my prints the uniqueness one finds in drawings, like that which I have always taught. Have you ever been so disappointed by the results at this stage, that you simply throw out a photo? It’s happened, but it’s rare. That said, this first phase in the lab always brings a new perspective to the image. When you spend 10 or 20 minutes up-close, you have the time to analyze things. A detail that oriented my initial composition might now seem less important, or a shadow that I misjudged might need to be lightened or darkened. This is when an image becomes a truly unique work. I dodge and burn using my hands, arms and elbows. It’s a crucial moment that can’t be duplicated and which determines the last phrase of reworking, highlighting and contouring. It’s an incisive step, and it was an especially determinant in the rather outspoken compositions of the series, Mémoire Minéralogique. The way you speak suggests that this is the most inspiring moment for you.

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I’d say it’s the moment when I am practicing my initial training as a graphic artist. It’s also the end-product of profession and thought. The tools are simple and few: farmer’s reducer, which I mix myself, so as to lighten areas, a few pigments that let

S.t 10 de la série Mémoire Minéralogique

me darken areas as I see fit, some fine paintbrushes, plenty of water and a hairdryer. The reducer lets me remove material so as to highlight a detail that I want to bring forth, or just to add lightness to somber areas. I create white by removing the black. It’s a bit magical. Inversely, the inks, or retouching dyes I use let me darken areas, correct errors or pull back on areas which are too bright. All together, the process is quite time-consuming and must be done under subdued lighting. I start early in the morning and finish in the evening, sometimes very late. I used to think a lot about what I intended to do with this or that photo. I’d turn it around in my mind, memorizing it inside and out. But it would be a mistake to come into the lab with all these certitudes. I see the main premises of the image, but I must also remain open to surprise, and follow the work out to the end, just as I teach my students to do. Have you ever thought of using computer-based photo retouching? You can do pretty much anything. I am rather adept with digital tools for correcting images I want to archive in my database, or present on Internet, and I enjoy using this kind of software. It’s rather exciting, in fact, but it really belongs to a different world, a world of pixels, a virtual world where black and white don’t have the same origins. And besides, the screen’s transparency always interferes with the quality of the silver salts. It’s simply not my medium, not my tool of preference. As far as digital goes, I’ve come to the conclusion that anyone can now create a « photo », or, as French photographers often say, a « cliché », and it’s no accident that this French word is also synonymous with « banality » and easy repetition. There’s a risk of standardization. Only a truly talented artist can tell the difference and avoid reducing the world to one of appearances. So, with universal access to digital technology, doesn’t it make sense to try and unite origins originality?


TRAVAIL EN LABORATOIRE

très affirmées de la série « Mémoire Minéralogique ».

Le laboratoire de Jean Cazelles se trouve à l'extérieur de la maison, sous une treille ancienne, comme la cabane d'un jardinier de l'image. A l'intérieur, l'espace est organisé au millimètre, rempli d'un matériel modifié souvent par lui-même pour que l'artiste puisse se consacrer à la fabrication de la photographie. Une fabrication qui réclame une lente maturation, la maîtrise de techniques anciennes, des mains habiles et des yeux qui savent voir l'image au-delà de l'image.

Vous en parlez comme du moment qui vous passionne le plus...

J'ai été obligé d'adapter la technique du développement à la spécificité de mon travail. Puisque, comme je l'ai expliqué, j'enlève de la matière à la photo, paradoxalement il m’en faut à l’excès pour pouvoir la travailler. Mes bains sont chauds et mes temps de pose sont très longs, dix minutes ou plus parfois, pour me donner le temps de masquer et d'obtenir mon « outrenoir » à moi, et le spectre complet des gris. J'utilise presque toute la gamme des filtres de contraste de la boîte à lumière, du plus doux au plus dur, là encore dans le but d'obtenir la palette de nuances qui fera vivre l'image. Le masquage est très important. A ce stade je commence à réaliser ce que j'avais repéré lors de la prise de vue... ou pas... C'est aussi à ce moment que la photo, au sens propre et figuré, se révèle. Puis, par un affaiblissement ponctuel, opération sans repentir tout aussi soustractive et décisive que celle d’un graveur, avec un penchant pour le clair-obscur, je donne à mes tirages l’unicité qui caractérise toute œuvre dessinée, à l’instar de celle que je n’ai eu de cesse d’enseigner. Vous arrive t-il d'être déçu par le résultat et de rejeter la photo à ce moment ?

Ca m'est arrivé mais c'est rare. Par contre, cette première phase en laboratoire amène une nouvelle réflexion sur l'image. Quand on passe dix à vingt minutes le nez dessus on a le temps de l’analyser. Ce détail qui m'avait attiré à la prise de vue est-il toujours aussi important ? Cette ombre que j'avais mal évaluée ne mériterait-elle pas d'être atténuée ou renforcée ? C'est à ce moment que l'image devient une œuvre unique. Je masque avec mes mains, mes bras, mes coudes, c'est un moment capital qui ne peut se reproduire et qui va déterminer la dernière phase, le rehaut graphique. Son exécution incisive a été particulièrement déterminante dans les compositions

S.t 11 de la série Mémoire Minéralogique

Disons que c'est le moment où je retrouve ma formation première de graphiste. C’est aussi l’aboutissement du métier et de la pensée. Les outils sont simples et peu nombreux : de l'affaiblisseur que je fabrique moi-même pour pouvoir atténuer, ou quelques pigments de retouche pour renforcer à ma guise, des pinceaux très fins, beaucoup d’eau et un « sèche-cheveux ». L'affaiblisseur me permet d'enlever la matière pour souligner un détail que je veux faire apparaître et rajouter de la lumière là où il y avait des ténèbres. Je crée du blanc en enlevant du noir, c'est un peu magique. L'encre, ou le « gris film », sont au contraire des renforçateurs qui corrigent une mauvaise manœuvre où une lumière trop intense. L'ensemble est une opération très longue qui se déroule en lumière atténuée, je commence le matin, très tôt, et je termine le soir, souvent très tard... Auparavant, j'ai exploré cette photo dans mon esprit, je l'ai retournée des dizaines de fois dans mes pensées, je la connais par cœur... L'erreur serait d'arriver au labo, comme ailleurs, avec des certitudes. Je vois les grandes lignes de l'image, mais je dois aussi me laisser surprendre par elle et aller jusqu'au bout du travail, comme je le disais à mes élèves. N'avez-vous jamais pensé à utiliser la retouche photo informatique, il existe des logiciels très complets pour cela ?

Je m'en sers plutôt bien... pour corriger les images que j'archive dans ma base de données et les faire connaître via Internet. Et j'aime bien utiliser ces logiciels de retouche d'images, je trouve ça passionnant, mais ils appartiennent à un autre monde. Celui des pixels. Dans ce monde virtuel où le noir et le blanc n’ont pas la même origine, la transparence de l'écran interfère toujours sur le rendu des valeurs des sels d’argent. A chacun son médium, à chacun son outil. A propos de l'informatique et du numérique je me faisais la réflexion qu'aujourd'hui chacun est capable de prendre un cliché. Si j'emploie évidemment le mot « cliché » propre aux photographes, je vois là le poncif, l'image facile à répéter. Il y a un risque de standardisation et seul un auteur vraiment talentueux fera la différence... Le monde ne se réduit pas aux apparences. Alors, face à la banalisation de la technologie, quoi de plus normal que de vouloir concilier « originel » et « original » ?

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SYNTHESIS AND ROLAND BARTHES Would you say that the series presented in Méprises & Faux-semblants is a retrospective of your work? There’s an inherently retrospective aspect to it, but I think the word « synthesis » is more appropriate. A retrospective isn’t necessarily constructive, and I believe I have more to show. I agree with what Roland Barthes said about imprinting. Who can argue with it? What does it mean to say « this once was »? We can consider a photo as referring to the past. Sure, why not? But all of the work I do on an image is towards a future which will bring freedom and possibilities to which everyone will attribute their own title or meaning. And besides, I never put dates on my photos precisely because they are destined to a future viewer. References add nothing. Méprises & Faux-semblants is not finished, I have been continuously enriching it throughout its production, and the inscription « The End » has no place in it. That’s why I prefer not to talk about a « series », but rather a « line », or maybe just a « work in progress ». By definition, a series has a termination point. A line can continue for as long as my eyes are open, as long as there is possibility of a new image.

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And using the same inspirational sources? Fallow fields and abandoned industrial landscapes?

From a more personal standpoint, what don’t you like about artists’ commentaries?

Not necessarily. One can always be drawn to the play of light on shiny, brand new objects. It’s happened to me before. As I said, I don’t limit myself arbitrarily. The human body can also work as a subject for the plastic arts. It might not interest me right now, but why not tomorrow? I follow a path of sensuality and emotion, and I mean « sensuality » in the largest sense. I am attached to light and material, and there will always be new territories to explore. The only limit is that of my own curiosity. Méprises & Faux-semblants is not a spontaneous creation. A previous series of mine, De l’état des lieux à l’état de grâce, focused on the geology of Viviez, abandoned lands around the Decazeville basin and Conques. Still in the pre-digital era, I continued with various portfolios of reworked or reconstructed images, including Constructions abyssales, Constructions réfractaires. In parallel, I also worked on Co-Incidences, which was the fruit of a challenge that Claude Chaigneau and I set ourselves. This incessant need to work the material ever further brings us naturally to the work in progress which constitutes this book. Little by little, these images have evolved. And so has the frame - at one point a haughty and exceptionally medieval vertical, and then the explicit horizontal of a ruined, beaten world. With a square frame - for the synthesis also works on this level - my images have become less and less figurative, I see that my past works contain what I’m doing, today. I would never disown them.

Although photography has an obviously playful side to it, you often hear people say « the main thing is to have fun ». That’s a typical statement that seeks to justify a certain kind of dilettantism, and it irritates me a bit. At the risk of repeating myself, striving for technical perfection has nothing to do with the approach of an auteur. I have great respect for creative work of any kind, because it’s often unsatisfying and arduous. I think that beyond a question of know-how, the most essential and difficult things are to provoke thought and question one’s self. The creative pleasure that motivates me is not born of daily habit. It is largely a product of the energy I put into bringing creation forth from material which resists my labors.

S.t 12 de la série Constructions réfractaires S.t 13 de la série Conques – Entre ombre & lumière


DE LA SYNTHESE ET DE ROLAND BARTHES Diriez-vous que « Méprises & Faux-semblants », la série objet de ce livre, est une rétrospective de votre œuvre ?

Il y a nécessairement un aspect rétrospectif mais le mot synthèse est plus juste. D’une rétrospective il n’y a pas d’issue constructive et je pense encore avoir d'autres choses à montrer. Si je suis d’accord avec la pensée de Roland Barthes autour de la notion d’empreinte – qui peut être contre ? –, loin de moi le spectre du « ça a été ». On pourrait considérer que la prise de vue renvoie au passé, pourquoi pas, mais tout le travail que j'effectue ensuite sur l'image c'est du futur qui va donner de la liberté, des possibles, auxquels chacun apportera sa légende. D'ailleurs mes photos ne sont pas datées puisque je les destine à un futur spectateur ; les repères n'ont pas d'importance. « Méprises & Faux-semblants » n'est pas terminé et le mot « fin » n’est pas écrit dans ce livre que je n’ai cessé d’enrichir au cours de sa fabrication. C’est pourquoi je préfère ne pas parler de « série » à ce sujet, mais plutôt de « suite » ou simplement de « travail en cours ». Par définition une « série » est finie ; une « suite » pourra évoluer tant que j'aurai les yeux ouverts, tant qu'il y aura la possibilité d'une nouvelle image. Avec la même source d'inspiration ? Les friches, les paysages industriels à l'abandon ?

S.t 14 de la série Conques – Entre ombre & lumière S.t 15 de la série Constructions réfractaires

Pas forcément. On peut être séduit par des objets flambant neufs où la lumière joue... ça m'est déjà arrivé. Je l'ai dit, je ne m'interdis rien. Le corps humain peut aussi devenir matière à création plastique, même si ça ne m'attire pas aujourd'hui, pourquoi pas demain ? Ma piste c'est la sensualité et l'émotion, j'entends par sensualité ce qui s'attache à tous les sens ; je m'attache à la lumière et à la matière, il reste encore beaucoup de territoires à explorer, la limite serait le manque de curiosité. « Méprises & Faux-semblants » n'est pas une génération spontanée. Auparavant il y a eu « De l'état des lieux à l'état de grâce », travail sur le Viviez géologique déjà évoqué, et les terres en marge, du bassin de Decazeville au site de Conques. Puis divers portfolios d’images manipulées ou reconstruites ont vu le jour – avant l’heure du numérique – : « Constructions abyssales », « Constructions réfractaires »… et en toile de fond, ces « Co-Incidences », défis que nous nous sommes lancés, Claude Chaigneau et moi. Rajoutons ce besoin de travailler plus encore la matière et l'on arrive assez naturellement au travail en cours, objet de ce livre. Petit à petit mes images ont évolué, ainsi que leur cadrage : ici la verticalité altière d’un médiéval exceptionnel, là l’évidente horizontalité d’un monde sinistré et abattu. Devenues carrées – la synthèse s'étant aussi réalisée à ce niveau –, et de moins en moins figuratives, mes images d’hier portent en elles ce que je fais aujourd'hui. Je ne les renie pas. De façon plus personnelle, qu'est-ce qui vous déplait dans le commentaire artistique ?

Si le côté ludique de la photo est parfaitement compréhensible, on entend souvent dire « l'important c'est de se faire plaisir ». Voilà le genre de réflexion, censée justifier un dilettantisme sans perspectives, qui m’irrite un peu. Au risque de me répéter, s'appliquer à faire des photos techniquement parfaites n’a rien à voir avec une démarche d’auteur. Je manifeste un grand respect pour le travail de création, quel qu'il soit, car il est souvent ingrat et contraignant. Je crois qu’au-delà du savoir-faire, provoquer la réflexion et se remettre en cause sont des choses difficiles mais essentielles ; le bonheur de créer qui m’anime ne naît pas de l’habitude. Il tient grandement à l’énergie que je déploie pour faire émerger de l’urgence et de la matière ce qui me résiste.

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Born in 1948, at heart of the Aveyron industrial basin, Jean Cazelles has never really left his native region. Self taught in drawing, his first encounter with photography came when he was only nine years old and received a plastic camera in a grab-bag surprise package! After studying in Paris at the l’Ecole Supérieure d’Arts Graphiques (formerly the Académie Julian), he became a professor of plastic arts in Rodez. His penchant for photography naturally led him to privilege it as part of his teaching curriculum, and to such an extent that he felt compelled to promote it as an art, in all its diversity, right here in his native region. And so, on June 1st, 1988, he went into the office of the prefecture and officially declared the creation and objectives of his association, Photofolies12. The first festival of that name welcomed Raymond Depardon to Rodez. Since then, major photographic talents have come to Aveyron, each fall, to expose their work. In turn, they have exhorted Jean to further develop his own work. And so he has, working, or rather playing with the multiple aspects and significations of image, and the sensuality of material, thus further transcending reality’s constant grip. These explorations won him a Prix Spécial du Jury in 1995 from Agfa Noir & Blanc and Photographies Magazine, thus validating the poignancy of his approach - a decisive orientation which he maintains to this day. Among the many distinctions received for achievements during his long career in the arts, Jean Cazelles has been recognized by the Ordre des Palmes Académiques et des Arts & des Lettres.

Né en 1948 au cœur du bassin industriel aveyronnais qu’il ne s’est jamais décidé à quitter, Jean Cazelles pratique en autodidacte le dessin et la "photo" dès l’âge de neuf ans – il vient tout juste de gagner une merveille de jouet photographique dans une pochette surprise ! Après ses études parisiennes à l’Ecole Supérieure d’Arts Graphiques (ex-Académie Julian), il devient professeur d’Arts plastiques à Rodez. Sa prédilection pour la photographie le conduit naturellement à faire d’elle sa priorité dans son enseignement, comme dans toutes ses activités artistiques, au point de rêver un jour à la promouvoir sur ses terres et dans toute sa pluralité. C’est chose faite le 1er juin 1988 lorsqu’il déclare à la préfecture de son département, la constitution de l’association Photofolies12; le premier festival éponyme voit le jour dans la cité ruthénoise avec Raymond Depardon à l’affiche. Dès lors, les plus grands talents accèdent aux cimaises automnales aveyronnaises, lesquels exhortent à leur tour l’organisateur Jean Cazelles à donner un véritable élan à son travail d’auteur. C’est enfin dans un Prix spécial du jury qui lui est décerné en 1995 par Agfa Noir & Blanc et Photographies Magazine, qu’il voit l’opportunité de jouer avec la polysémie de l’image et la sensualité de la matière pour transgresser plus encore le réel et son emprise récurrente. Une orientation décisive qu’il revendique aujourd’hui. Outre de nombreuses distinctions que lui a values son parcours au long cours, bien au-delà de ses aires d’investigation, Jean Cazelles a été distingué dans les ordres des Palmes Académiques et des Arts & des Lettres.

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REMERCIEMENTS

ACKNOWLEDGMENTS

Christian BOUSQUET Yves CALMEJANE Laurent DOUAUD Jacques GALIBERT Jean-Claude GAUTRAND Sylvain LAGARDE Olivier NICOLAS Philippe OLLIVIER Josiane POURCEL Jean-Louis ROUSSEL Stéphane SICHI Thomas SMITH-VANIZ Etienne WERMESTER

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Editions Au fil du Temps Route de Trinquies 12 330 SOUYRI (France) www.fil-du-temps.com

Direction artistique : SICHI Stéphane Traduction :

SMITH-VANIZ Thomas Photogravure : DOUAUD Laurent Relecture : POURCEL Josiane GALIBERT Jacques Dépot Légal : Octobre 2013 Achevé d’imprimer en Septembre 2013

sur un papier Moderne Satiné MAGNO - 170g

sur les presses de NOVOprint - Barcelone N° ISBN : 978-2-918298-41-0






ISBN : 978-2-918298-41-0

Prix de vente : 48 €


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