Palais de Justice de Toulouse

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En hommage à Maître Christian Boyer instigateur de cette aventure

Avec nos remerciements à ceux qui nous ont permis de réaliser cet ouvrage:

Monsieur Dominique Vonau, premier président de la cour d’appel Monsieur Patrice Davost, procureur général honoraire Monsieur Gilbert Cousteaux, président de chambre à la cour d’appel


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Préface La justice à Toulouse invite à remonter le temps à la découverte d’un patrimoine souvent prestigieux, assez mal connu et, fait rare dans l’histoire d’une ville, localisé sur un même et unique site.

visibles aujourd’hui - et l’autre au nord sur la place du Salin. Mais en plaçant l’entrée du nouveau palais de justice au sud, l’architecte l’ouvre sur la ville qui, elle, a depuis fort longtemps débordé le rempart .

Lorsque le nouveau palais de justice de Toulouse est ouvert en mars 2008, il n’est pas simplement un geste architectural contemporain destiné à réorganiser les fonctionnalités d’un bâtiment adapté à l’exercice de la justice du XXIe siècle, il est aussi l’héritier d’une succession d’édifices qui tous racontent l’histoire de la justice à Toulouse : le Château narbonnais - siège des comtes de Toulouse, dont la ville porte aujourd’hui encore le souvenir dans ses armoiries -, le premier parlement de province, la cour d’appel, la cour d’assises et le tribunal de grande instance.

Désormais le site judiciaire raconte une histoire patrimoniale millénaire qui débute au XIe siècle avec les vestiges du château des comtes de Toulouse, inclut le rempart médiéval du XIIIe siècle, aboutit dans la grand’chambre du parlement à la fin du XVe siècle, grand’chambre dont la façade gothique donne aujourd’hui dans la salle des pas perdus du nouveau palais de justice. Dans les bâtiments judiciaires jouxtant le nouveau tribunal, les salon doré et salon d’Hercule témoignent du génie décoratif du XVIIe siècle et les cour d’appel, cour d’assises et espaces non restructurés du tribunal de grande instance illustrent le classicisme de la justice au XIXe siècle.

C’est que, pendant dix siècles, les justices comtale, royale, révolutionnaire, impériale et républicaine ont été rendues et le sont toujours en ce même lieu . L’architecte du nouveau palais de justice, Pascal Prunet, avait bien conscience d’inscrire son travail dans une histoire déjà millénaire. Quelle proposition architecturale faire qui rende à la fois compte de la permanence de l’autorité judiciaire sur le site - sans être écrasé par l’histoire et les citations - et réponde à la nécessaire transparence de l’action de la justice de ce siècle ? Si l’architecte retrouve quelques uns des standards des palais de justice du XIXe siècle avec l’emmarchement, la colonnade et la vaste salle des pas perdus, son projet architectural tient compte de l’évolution de la ville et réoriente entièrement l’accès aux bâtiments judiciaires. Jusqu’à la fin du XXe siècle, on pénétrait dans le parlement ou à la cour d’appel par le nord, les constructions étant adossées au rempart médiéval, telle une peau protectrice. Quant au tribunal, il a eu, lui, deux entrées, l’une à l’ouest donnant sur la place du Parlement – des traces sont encore

Le photographe Jacques Bezy propose une vision de ces lieux chargés d’histoire au fil d’images réalisées au cours du mois d’août 2012, souvent en fin de journée. La temporalité choisie produit de forts contrastes qui soulignent les articulations des architectures ancienne et contemporaine. Pierre-Louis Boyer signe les textes de cet ouvrage qui rend aussi hommage à l’humanisme juridique de Jacques Cujas, jurisconsulte né à Toulouse en 1522 - et mort en 1590 - dont le portrait orne le bureau du premier président et dont la statue est érigée place du Salin. Mille ans de justice à Toulouse, et avec une unique mission pour l’avenir : contribuer à la paix publique .

Dominique Vonau, premier président

Monique Ollivier,

procureur général

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Ode à Toulouse

ville de justice

Toulouse, ville docte aux juges éternels, Cité tectosage, berceau des renouveaux, Consuls, mallum, seigneurs, magistrats et prévôts, Naquirent de Diké, des Volques paternels. Ô toi qui, la première, en un merveilleux geste, Accueillit, autrefois, en tes roses enceintes, De l’antique Bologne, quatre sources saintes : Institutes, Codex, Novelles et Digeste. Lutèce ne pouvait prodiguer cette science Et toi seule trônais dans cet enseignement. On n’entrevit ensuite, hélas, un saignement, Car Cujas ne put conserver sa patience. Ta faute est pourtant vraie, car ta reconnaissance Fut trop faible en ces temps où le maître humaniste En sa chaire siégeait. Et notre romaniste Quitta cette contrée, son doux lieu de naissance. Cité palladienne, ville de la sagesse, Thémis redora cette inexcusable erreur. De Benoïst à Dufaur et jusqu’à la Terreur, Tu fus l’héritière d’une grande largesse. N’a-t-on pas vu marcher, au sein de ta cité, Hautesserre, Ruffat, Pomarède, Bastard, Jamme le pourchassé, ou encore Audemart, Qui prodiguaient leurs cours à l’université ? Enfin voici le temps du troisième humanisme ! Le majestueux Cujas revient en protecteur, Et face à l’Exégèse, et face au détracteur, Se dresse en un éclat l’âme du christianisme. La jeunesse pourfend le Code et sa balance, Loue l’esprit de l’histoire et défend l’ancien droit, Revigorant le feu au sein du temple froid, Et te place, Toulouse, au sommet de la France. Rodière, Ginoulhiac, Benech, Humbert, Bressolles, Sont de ta faculté les chantres immortels. Le Palais se défend, Timbal, Fons, Féral, Niel, Et l’Hôtel d’Assézat l’unifie à l’Ecole. La faculté enseigne et tant en sont jalouses; Le barreau se dispute, ô douce avocature; Le siège juge et tranche en sa magistrature… Tes disciples sont là, juste et sage Toulouse !

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L’organisation de la justice au temps du parlement de Toulouse, La justice au temps du parlement de Toulouse, « Nos Seigneurs du Parlement » comme étaient appelés les parlementaires sous l’Ancien Régime, demeurait assez singulière, le parlement étant un organe traitant les appels des sentences de certaines juridictions, ou les affaires de première instance pour les causes dites « privilégiées », à savoir les affaires concernant la noblesse. La Grand’ chambre, devant laquelle la procédure était principalement orale, traitait les causes privilégiées de première instance ou les appels, au civil, des affaires jugées auparavant par des juridictions inférieures comme le sénéchal-présidial. Comprenant un premier président nommé par le Roi, neuf présidents à mortier (du nom de leurs couvre-chefs), et treize conseillers, la Grand’ chambre demeurait la chambre la plus importante du parlement et était secondée par les deux chambres des Enquêtes, elles-mêmes composées de vingt présidents à mortier et de vingt conseillers. Ces dernières ont été instituées afin de juger les appels sur preuve écrite et d’instruire les affaires destinées à aller devant la Grand’ chambre. La Chambre des Requêtes, plus restreinte que les autres car composée de seulement deux présidents à mortier et de douze conseillers, reçoit les requêtes des plaideurs et délivre des autorisations qui permettent aux justiciables de saisir les autres chambres du parlement.

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La Chambre criminelle, appelée aussi « Tournelle » car ses cinq présidents à mortier et ses treize conseillers venaient y siéger à tour de rôle, reçoit les appels des affaires criminelles, « affaires de sang », jugées par les juridictions inférieures comme le

sénéchal-présidial ou, particularité à Toulouse, les capitouls, ceux-ci ayant eu une compétence de juges de première instance pour les causes criminelles. La Chambre des Vacations fut instituée pour régler l’expédition des appels courants durant les vacances, c’est-à-dire du mois de septembre à la Saint Martin, jour de la rentrée du parlement, le 11 novembre. Enfin, on ne peut omettre l’ensemble des « Gens du Roi », c’est-à-dire les magistrats du parquet, dont la dénomination et les fonctions demeurent quasi-similaire au parquet contemporain : le procureur général, nommé par le Roi, étant secondé par des substituts et par les « avocats du Roi » qui deviendront plus tard les avocats généraux. Outre les appels interjetés et portés devant les chambres du parlement et sa centaine de magistrats (119 à la fin du XVIIe siècle), il ne faut pas oublier que le parlement était aussi juridiction d’appel de l’ensemble des juridictions spécialisées qui siégeaient à Toulouse et dont voici la liste : les amirautés, la Bourse des Marchands, le Bureau des Finances et celui des Domaines, la Maîtrise des Eaux et Forêts, l’Hôtel des Monnaies, la Maîtrise des ports, le Prévôt de la Maréchaussée et les juridictions militaires. Ainsi, l’ensemble des parlementaires, officiers de la noblesse de robe titulaires d’une charge acquise de l’Etat moyennant finance, tranchaient, à la fin de l’Ancien Régime, les affaires des trois millions de justiciables du ressort du parlement toulousain.


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Sept siècles… Rares sont les institutions dont la longévité et le rayonnement demeurent si longtemps. Durant sa vie pluriséculaire, le parlement de Toulouse aurait pu se perdre dans les méandres de sa propre justice ; il aurait pu s’éteindre, lentement, au gré du vieillissement des personnalités qui s’y sont succédées. Mais le droit, et son nom n’est pas innocent à sa rectitude, se maintient, et a maintenu ce palais des mille et une affaires. De contrastes en oxymores, d’ambivalences en clairs-obscurs, l’équilibre de la balance, l’équité de la justice, a conservé sa force à Toulouse, au sein de ce parlement, observant le blanc des épitoges sur le noir déambulant des toges virevoltantes. Il en a vu, ce palais de justice, des crimes, des châtiments, des larmes pesantes et des grâces pleines d’espérance ! Il a vu défiler le roi et sa basoche ; il a vu condamner Dolet et ses écrits ; il a vu pleurer la veuve de Calas ; il a vu, face à son buvetier, un cabaretier empoisonné à l’arsenic ; il a vu dénoncer les « demoiselles » du Couserans, condamner les rouges de la ville rose, s’estomper la « tournerie des drogueurs »… Toulouse la tectosage, Toulouse d’Alaric, Toulouse la palladienne, Toulouse la romaine… Elle porte bien son nom cette cité du Droit ! Faisant reposer au sein de son palais la sagesse et les lois. Et qui mieux que Cujas, tout de bronze vêtu, pourrait nous accueillir en ces lieux, les bras tendus vers le sol ombragé qui l’a vu naître aux yeux du monde ?

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A propos de la statue de

Jacques Cujas En 1834, la municipalité de Toulouse commanda au sculpteur Achille Valois, disciple du peintre David et du statutaire Chaudet, une statue de Jacques Cujas fondue en bronze, pour le prix de 20.000 francs. Ce n’est que seize années plus tard, le 8 décembre 1850, que cette statue fut inaugurée sur la place du Salin, anciennement place de la Viguerie, en face du palais de justice, tournée vers la cour d’appel en signe de protection de ceux qui étaient chargés de mettre en œuvre le droit avec équité et sagesse. On peut lire à l’époque, comme encore de nos jours, l’inscription suivante, demandée avec insistance par l’Académie des sciences, inscriptions et Belles-Lettres et par le professeur de droit Benech, sur le piédestal de la sculpture : Jacobo Cujacio Tolosano une inscription très régionaliste qui visait certainement à réattribuer à Toulouse, la ville qui le vit naître en 1522, son illustre juriste humaniste que tant de villes cherchaient alors à s’attribuer : Valence, Cahors, Bourges… Bourges qui, dans les années 1840, avait lancé une quête pour financer l’érection d’une statue en l’honneur de Cujas. Celle-ci ne verra jamais le jour. La statue de l’éminent juriste, habillé de sa soutane et de sa simarre de jurisconsulte, fut, par la suite, transportée sur le sol de l’ancien moulon de la Monnaie, c’est-à-dire à l’Est de la place du Salin, face à la cour d’assises, la majeure partie des immeubles du carré formé par la place du Salin, la rue des Azes et la rue des Fleurs ayant été détruite en 1860 pour laisser place à une esplanade difforme. Lors du second conflit mondial, une loi votée le 11 octobre 1941 ordonnait la fonte, sur l’ensemble du territoire français, de tous les monuments, œuvres et statues en bronze ou en tout autre métal qui permettait la fabrication d’armes et de canons pour l’armée. La municipalité de Toulouse, en janvier 1942, s’exécuta et accepta d’envoyer la statue de Cujas à la fonderie. Sur insistance de l’Académie de législation de Toulouse, en

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février 1942, les élus toulousains acceptèrent de réaliser un moulage de la statue sculptée par Valois pour en ériger une nouvelle, en pierre, face à la cour d’appel. En 1950, le promontoire de la place du Salin restait encore vide… Le moulage de la statue de Cujas avait été effectué par le sculpteur toulousain Henri Giscard avant que le bronze authentique ne soit fondu. Conservé dans l’atelier familial par le fils d’Henri Giscard, Joseph, le moulage aurait dû servir à la confection d’une nouvelle statue en 1954 quand le président du tribunal civil de Toulouse, Henri Benoit, émit le souhait de redonner au palais l’un des éléments de son lustre d’antan en installant, dans la salle des pas perdus, face au premier président Duranti dont la statue fut réalisée par Salomon en 1845, une nouvelle statue du jurisconsulte humaniste. Cela n’eut jamais lieu. Ce n’est que quarante années plus tard, après un travail important des ateliers municipaux de restauration de la ville, qu’une nouvelle statue fut réalisée, cette foisci en résine, traitée bronze, à partir du moulage réalisé en 1942. Le 21 octobre 1994, à l’occasion des 550 ans du Parlement toulousain, la place du Salin retrouvait ses traits séculaires et Cujas son piédestal. Dans la nuit du 23 au 24 octobre, les potaches de la Bazoche semblent être venus d’un autre siècle et, dans un geste incompréhensible, ont brisé la statue nouvellement érigée, s’emparant de la tête et de la main de l’auguste professeur, et signant leurs méfaits d’une main «juridique» : «Que crève cette v’hermine. Merlin l’enchanteur»; de Douai, supposerons-nous...

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Les ateliers municipaux restaurèrent les éléments abîmés et refirent les parties manquantes avant d’ériger, en janvier 1995, une dernière fois nous l’espérons, la statue de Jacques Cujas sur son promontoire. Tourné vers l’ancien Hôtel de la Monnaie, il ne regarde certes plus les hommes de lois sous un œil protecteur, mais il semble accueillir le justiciable d’une main secourable, le guidant avec confiance vers l’institution judiciaire.


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Entrons donc ! Sous un apparent déséquilibre, sous une architecture de janus bifrons, le passé des Salins faisant dos à une écorce de modernité, l’ombre et la lumière se jouant quotidiennement des reflets de la brique, ce parlement n’est en rien une contradiction. Il est cette union mystique du droit et de l’éternité, les escaliers du temps s’étant effacés et, comme pour esquisser un signe d’un infini protéiforme, ayant laissé leur empreinte sur le mur des successions… Les raretés de l’ancien temps s’entremêlent aux images d’un présent opalin. Derrière ces colonnes qui semblent transpercer les cieux, le dédale de ces lieux conduit les hommes de Loi à la Vérité et au Droit, à la tempérance et au discernement : à la Justice.

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Et, si un jour, par le plus grand des malheurs, la poudre et les canons ont à nouveau fait taire Diké et Thémis, alors nous serons là, juchés tels Cujas, fiers et fraternels dans ce glorieux palais, badauds et criminels, plaideurs et magistrats, unis dans la défense; car au-delà du lieu, c’est l’idée de justice qui siège au parlement.


La cour d’assises

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La cour d’appel

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A propos de la justice

Voyez ces escaliers ! Ils sont anabatiques et nous conduisent nécessairement vers les hauteurs ! Ils nous invitent à l’ascension, à la démarche transcendantale sur le chemin d’un absolu, celui de la justice et de la vérité ! Voyez ces marches de pierre usées ! Voyez ces dalles marbrées lissées par le temps ! Voyez ce pommeau d’escalier où les mains centenaires se sont tant de fois posées ! C’est, dans un soupçon architectural, toute l’évolution de la Justice de ces dernières années qui devient chimère, spectre, apparition soudaine… Parce qu’ils ont monté les marches de la justice, ces avoués au tribunal, supprimés en 1971 ! Parce qu’ils ont caressé la grille de fer forgé, ces conseils juridiques, disparus en 1991 ! Parce qu’ils ont arpenté les dalles blanchies, ces avoués près la cour, absorbés en 2012 ! Que l’ogre Ordre ne soit pas trop gourmand ! Que les yeux du Barreau ne soient pas plus gros que la robe ! Car ces gloutonneries de la perfide Albion ne sont pas pour un pays de droit romain ; car c’est dans les excès que la raison disparaît. Technique juridique, ultra-spécialisation, libéralisation anglo-saxonne à outrance… ne serait-ce pas le commencement du commerce de la Justice ? Ni prophétie, ni mise en garde. Simple observation. Le justiciable, parfois portefeuille sur pattes pour certains, n’attend pas la victoire mais l’écoute, la considération, l’estime… rappelons-nous de l’étymologie du terme « honoraire ». Faites lui donc honneur ! Rappelons-nous ces figures du Barreau qui, par souci de l’autre, par «humanisme» et humanité, mais aussi par conscience que la Justice demeure avant tout un service et un acte de charité, offrait gracieusement leur temps, leur savoir, leur labeur aux miséreux et aux indigents. Vous recherchez la gloire ? Elle n’est pas dans le succès, mais dans la bienveillance. Que le juge et l’avocat, vêtus de rouge, de noir, avec hermine ou sans dentelle, robés, toqués, capés et boutonnés, aient toujours à l’esprit que sous l’ombre des plis, ils sont hommes et faillibles, qu’ils sont vrais serviteurs car c’est là leur triomphe, qu’ils sont dans une affaire et non dans les affaires. Rappelons-nous aussi que la justice n’est pas un combat en vue d’une domination mais bien une recherche de la Vérité, et c’est pour cette raison que notre système juridique est inquisitoire et non conflictuel. C’est un jeu triangulaire merveilleux que notre justice ! et non la passivité du magistrat face à l’écrasement progressif du vaincu sous les accusations répétées du vainqueur… Que la justice est belle ! N’en faisons pas une arène. Ne faisons pas de ce palais une maison de commerce. Ne faisons pas du justiciable un outil de réussite. Qu’on continue de porter sur son piédestal l’Equité et le Juste ; c’est là le cœur des professions qui s’entraident, s’épaulent et se soutiennent au palais.

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La grand’chambre de la cour d’appel

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L’obélisque de la Grand’ chambre est une œuvre unique en France. Certes, Port-Vendres accueille encore sur la place du vieux port un obélisque du XVIIIe siècle érigé à la gloire de Louis XVI, mais seul le palais de justice de Toulouse fait résider, en son sein, dans l’enceinte judiciaire et sous un toit, une édification de la sorte à la gloire du dernier monarque de l’Ancien Régime. Cet obélisque, où l’effigie de Louis XVI trône sur un pourtour de marbre vert, surmonté d’une sphère dorée, fut offert en hommage au roi par les avocats toulousains au moment du rétablissement des offices parlementaires en 1775, après les quatre années du « parlement Maupeou ».

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Vers les salons de la cour d’appel


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Jugement de Salomon sous les traits de louis XIV Consolider l’idéal monarchiste par la représentation d’un roi justicier et juste, d’un Louis XIV mis en lieu et place du roi Salomon dans un procès légendaire, c’était aussi renforcer les fondements historiques de la monarchie, d’un régime qui trouvait ses origines dans les rois hébreux et dans l’onction reçue de Dieu par Salomon lui-même. Là, le glaive tranche mais ne sépare pas. Louis XIV en Salomon, c’est avant tout l’image d’un roi ceint par la justice et par la lumière divine

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Des tentures satinées, des fauteuils de velours rouge, des dorures, des moulures et des sculptures du XVIIe siècle, tout semble indiquer le calme luxueux et le repos lustré d’un salon traversé par de minces rayons de soleil quelque peu empoussiérés… Il s’agit bien d’un salon, mais c’est un salon judiciaire, et plus précisément la Chambre des Requêtes puis l’ancienne troisième Chambre des Enquêtes créée en 1691 et ornée de son splendide plafond herculéen. Initialement peint en bleu – d’après une ancienne description datée de 1778 – le plafond d’Hercule sert de cadre aux exploits du héros éponyme. Pourquoi donc, dans un lieu voué à la Justice, faire intervenir Héraklès, personnage éloigné de toute conception que l’on aurait pu avoir du Droit ? De la Renaissance à la fin de l’Ancien Régime, les monarques français se servirent de la figure du demi-dieu gréco-latin pour l’associer à leur gloire et à leurs victoires, que ce soit contre les hérétiques, les Ligueurs ou encore les Frondeurs. Le choix du thème herculéen permettait ainsi aux magistrats toulousains de souligner, très habilement, leur loyauté envers le pouvoir politique de leur temps. Hommage aux souverains, rappel du loyalisme du parlement envers les monarques, l’allégorie d’Hercule était toute choisie. Manquaient alors les thèmes… Outre les nombreux épisodes de l’enfance d’Hercule, la vie de ce dernier est aussi marquée par ses fameux « douze travaux ». Le choix des neuf scènes qui allaient être représentées sur ce plafond fut confié à deux conseillers du Parlement : Jean de Bertier et Hugues de Rudelle. Hercule au berceau étouffant les serpents était une scène qui s’imposait alors, notamment afin de symboliser la victoire du jeune Louis XIV sur la Fronde. Les huit autres caissons du plafond allaient être d’inspiration différente, d’une composition vraisemblablement empruntée à des tableaux de Frans Floris, peintre flamand du XVIe siècle qui décora de dix toiles évoquant les épisodes de la vie d’Hercule une demeure d’Anvers en 1555. Les conseillers de Bertier et de Rudelle s’arrêtèrent sur huit épisodes de la vie du héros de Pisandre, six des douze travaux, et deux autres récits : la victoire sur le lion de Némée, celle sur l’hydre de Lerne, le soutien apporté à Atlas et le duel contre le dragon Ladon au jardin des Hespérides, le combat contre Cerbère et contre le géant Géryon, ainsi que l’affrontement face au dieu fleuve Acheloos métamorphosé en taureau, et celui face au géant Antée.

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Toutes ces scènes devaient être accompagnées, afin de mieux orner cette pièce, de guirlandes de fruits entourant des têtes de femme ou des aigles aux ailes déployées et, dans les écoinçons, de putti, de coquilles Saint-Jacques, de trophées d’armes et de cornes d’abondance, les cornes d’Amalthée dont Hercule fut détenteur. Afin d’effectuer l’œuvre, Jean de Bertier et Hugues de Rudelle firent appel au sculpteur toulousain Georges-Artus Legoust qui, de 1655 à 1660, travailla assidûment à la confection du plafond de la pièce initialement prévue pour accueillir la Chambre des Requêtes du Parlement. Malheureusement, en juillet 1660, l’artiste mourut. Sur insistance de sa veuve, ce fut son frère, Pierre-Artus Legoust, qui, après avoir passé contrat le 28 janvier 1661 avec les deux conseillers en charge de la réalisation de la Chambre des Requêtes, acheva l’ouvrage commencé par son frère. Après plus de dix années de labeur, après avoir usé et éreinté deux maîtres sculpteurs, la tâche artistique fut définitivement achevée le 20 décembre 1666.

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Entre 1824 et 1851, les locaux du parlement de Toulouse furent considérablement transformés, voire métamorphosés par les travaux de l’architecte départemental Jean-Pierre Laffon. Ruelles, portes, vestiges du château narbonnais, œuvres jugées vétustes : tout fut anéanti. Restèrent, fort heureusement pour les yeux des privilégiés qui s’y sont déjà aventurés, le salon doré et cette ancienne Chambre des Requêtes au plafond de chêne sculpté.


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Parsemé de dorures et de velours pourpres, le salon doré fait pendant au salon d’Hercule, son plafond étant tout aussi incroyable et allégorique que ce dernier. Orné de portraits des présidents du Parlement et des présidents de Cour, accueillant en son centre une large table autour de laquelle se déroulent quelques audiences non publiques, le salon doré est remarquable pour sa cheminée sur laquelle trônent, toutes de bois sculpté, les emblèmes du Royaume de France, pour le siège réservé au monarque, et pour son plafond divisé en neuf caissons. Y sont sculptées neuf allégories dont les trois vertus théologales, Foi, Espérance et Charité, ainsi que six autres représentations de la Paix, de la Justice, de la Prudence, de la Victoire, de la Renommée et de l’Immortalité. Ces allégories étaient assez courantes dans les arts, et notamment dans la poésie et dans l’architecture, aux XVIe et XVIIe siècles, période de réalisation de cette pièce. Le plafond de la galerie des glaces de Versailles est aussi le support de ces représentations, tout comme le salon d’Hercule trouve aussi sa place dans la demeure du Roi Soleil. On comprend aisément la représentation des vertus théologales, celle de la Paix, de la Justice et de la Prudence dans un lieu tel que le Parlement de Toulouse. En revanche, Victoire, Renommée et Immortalité semblent, de prime abord, en décalage par rapport à l’idéal que l’on peut se faire de la Justice. Il n’en est rien. Le XVIe siècle ayant vu un retour artistique et philosophique aux sources antiques, ces caissons accueillent irrémédiablement des personnifications greco-romaines de vertus et de qualités particulières. La Renommée, divinité latine représentée avec une trompe, était, au-delà de la reconnaissance sociale, une divinité capable de lire les secrets dans le cœur des hommes. Ainsi, on comprend qu’au sein du parlement, la Renommée procède de la Vérité. La Victoire est évoquée, dans sa signification profonde, par le poète romain Prudence qui lui attribue des caractères comme le travail généreux, la vigueur de l’âme, la sévérité, l’ardeur, la constance et le soin. Là encore, le lien avec la Justice est naturellement réalisé. Enfin, l’Immortalité, n’est pas une source d’orgueil mais bien une évocation religieuse très chrétienne, car le juste aura la vie éternelle. Or, guidés par l’idéal de Justice, les parlementaires avaient aussi pour objectif une immortalité pleine de béatitude plutôt que l’éternité douloureuse de l’Enfer. Participer à la justice, dans une société où Le juste était Dieu, permettait à l’homme qui faisait preuve de justice et d’équité de s’assurer la miséricorde du Très-Haut, et ainsi bénéficier de l’Immortalité.

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Le portrait de Jacques CUJAS

qui orne le cabinet du premier président de la cour d’appel de Toulouse fut réalisé aux alentours de 1580.

Tous les symboles du juriste de son temps figurent sur cette toile : sa coiffe de professeur, ses vêtements sombres et sa barbe prononcée, signe de sagesse, de respect et de maturité du bon juriste comme le soulignèrent de nombreux auteurs de l’époque comme Laroche Flavin qui écrivait dans ses Treize livres des parlements de France que « La grand’barbe apporte gravité, honneur et respect ». En 1547, le juriste humaniste toulousain ouvre dans sa ville natale un cours sur les Institutes et espère alors accéder à une chaire de droit à l’université. Malheureusement pour lui, la chaire de droit ne lui sera pas attribuée, non pas qu’il eût échoué au concours qui vit Forcadel devenir titulaire de la chaire convoitée, mais parce que la municipalité de Toulouse n’accordait que de faibles émoluments aux enseignants de son université. Certains auteurs de la Capitale ont bien tenté d’affirmer que Toulouse n’avait jamais reconnu les mérites de Cujas et que, pour cette raison, celui-ci avait dû quitter la ville. En réalité, il n’en est rien. Forcadel passa le concours en 1556 alors que Cujas avait déjà quitté les bords de Garonne, lui qui était parti enseigner à Cahors dès 1554, alors âgé de trente-deux ans. Ce que Cujas rappelle à son contemporain, le professeur de droit Vincent Cabot, dans une de ses correspondances, c’est qu’il ne pouvait accepter de vivre dans le besoin quand, dans d’autres cités, on le logeait et lui accordait tous les biens et revenus nécessaires. C’est ainsi que de Cahors, il passa à Bourges en 1555, puis à Valence et Turin avant de revenir définitivement à Bourges en 1575, et ce jusqu’à sa mort le 3 octobre 1590. Son portrait, tout comme sa statue, rappelle que la perte de cet esprit n’est imputable qu’à la parcimonie zélée d’une municipalité, mais que Cujas, toujours, se considérait comme toulousain et se languissait de sa ville, de son université et de son parlement où il possédait encore d’illustres amitiés comme le président du Faur de Saint-Jorry et le jurisconsulte Roaldès.

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Favoriser la clarté de la justice tout en mettant en lumière les vestiges de l’histoire.

Le 11 avril 2008, le Garde des Sceaux inaugurait le nouveau palais de justice (la dernière rénovation, celle du tribunal pour enfant, sera achevée quelques temps après, en mai 2009). Après une quinzaine d’années d’études et de travaux et un budget d’environ 82 millions d’euros, le nouveau centre de la justice toulousaine était enfin intégralement ré-ouvert aux plaideurs, aux magistrats, aux fonctionnaires de justice et aux justiciables. Avant que le Garde des Sceaux ne découvre les lieux, il était essentiel que l’administration de la justice ait acquis une fonctionnalité avérée. On procéda alors au déménagement entre les anciens locaux et le nouvel édifice : il ne fallut pas moins de neuf jours pour déplacer plus de 6000 cartons et environ 2500 m3 de dossiers et de documents ; sans compter les archives…

Immense, imposant, lumineux, le palais de justice de Toulouse se dressait désormais face à la grande horloge de la place saint-Michel, comme un clin d’œil à cette communion inaccessible entre la justice et le temps… C’est ce que semble souligner l’architecte Pascal Prunet quand il disait : « Cette notion de temps est incontournable, car mettre en fonction un palais de justice, c’est un peu lancer un grand vaisseau ». Se perdre dans ce dédale de 18.800 m², élaboré par P. Prunet, aurait été aisé. Toutefois, l’agencement est tel qu’il n’en est rien. La jonction avec la cour d’appel ne peut que faciliter l’accès aux voies de recours, et l’aménagement des lieux autour de la nouvelle salle des « pas perdus » permet la création d’une synergie captivante et enivrante entre les va-et-vient des robes noires et rouges. Les accès des salles donnent sur la lumière, et les bureaux surplombent l’ensemble dans une harmonieuse discrétion. Et pourtant, l’équilibre fut long à voir le jour. De 1999 à 2001, les premiers travaux se heurtèrent à l’histoire et l’on fit en sorte de conserver, précieusement, dans le nouveau bâtiment, un morceau des remparts de la ville datant du XIIIe siècle. Durant les années qui suivirent, les découvertes archéologiques furent tout aussi impressionnantes, d’une ancienne tour et de restes d’autres remparts aux vestiges du Château narbonnais. La collaboration des services de l’Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP) et du ministère de la Justice permit l’avancée de la nouvelle construction dans le respect des considérations historiques et archéologiques. Plus qu’une construction, il s’agissait de mettre en œuvre une «restructuration», alliant les bâtiments de l’ancien parlement avec l’architecture contemporaine et favorisant la clarté de la justice tout en mettant en lumière les vestiges de l’Histoire. Fonctionnalité, accueil, sûreté, technologie, communication, efficacité, histoire, innovation, tels furent les maîtres-mots de la réalisation de cet ambitieux projet.

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De la cour d’appel au tribunal de grande instance

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L’organisation contemporaine de la justice

Le palais de justice de Toulouse accueille aujourd’hui en son sein trois ensembles de juridictions distincts : Le tribunal de grande instance, (TGI), tranche les litiges de droit privé supérieurs à 10.000 euros et ceux qui ne sont pas attribués à d’autres juridictions civiles, comme les litiges relatifs aux états civils des personnes, à la propriété immobilière, aux brevets d’invention ou encore aux actions possessoires. Composé de très nombreux magistrats (président, vice-présidents, juges) ainsi que de nombreux greffiers, le TGI peut trancher les affaires en formation collégiale ou, dans certains cas, à juge unique, comme, par exemple, pour le juge aux affaires familiales, le juge des enfants ou le juge de l’exécution. On trouve aussi au palais l’ensemble des juridictions pénales, du tribunal correctionnel (qui demeure l’une des chambres du TGI) à l’assise, la juridiction chargée de juger les affaires criminelles, en passant par le tribunal pour enfants, juridiction compétente pour juger les crimes et délits commis par des mineurs de moins de 16 ans. Compte tenu de cette compétence particulière, des règles strictes encadrent le tribunal pour enfants : la non-publicité des débats, l’anonymat lors de la publication du jugement et l’interdiction par la presse de relater les débats d’audience. Enfin, la cour d’appel siège au palais, dans son enceinte historique. Réexaminant les affaires jugées en première instance, ses diverses chambres tranchent les litiges dans les matières commerciales, civiles, sociales et pénales, devenant ainsi, au second degrè, le réceptacle du tribunal d’instance et du TGI, du tribunal de commerce, du conseil des prud’hommes, du tribunal paritaire des baux ruraux, de celui des affaires de sécurité sociale, du tribunal de police, du tribunal correctionnel et du juge d’instruction. Les appels interjetés aux assises sont examinés par une cour distincte, la cour d’assises d’appel. Chaque chambre est composée de trois magistrats (un président et deux conseillers), dont le nombre peut s’élargir à cinq quand il s’agit d’examiner des litiges renvoyés par la Cour de cassation. Symbole de l’impartialité de la justice et de la quête de la vérité au sein de l’institution judiciaire, la cour d’appel permet au justiciable d’attirer sur son affaire un œil neuf et, parfois, différent de celui qui s’est penché sur le litige en premier ressort.

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La salle des pas perdus

Aurait-elle perdu son air d’antan ? Ne verrons-nous plus jamais ce damier bicolore où les silhouettes du passé semblaient déambuler nonchalamment sur cet échiquier de l’attente ? Où sont-ils donc passés les Féral, les Timbal, les Lanaspèze, les Vacarie, les De Gorsse, les Fourtanier et tous ces « Berryers » toulousains ?! Ils sont dans la lumière ! Dans la lumière de l’Histoire qu’ils ont façonnée, dans la lumière de cette nouvelle salle des pas perdus ! Les arcades de la grand’chambre font face aux briques roses des remparts de l’ancienne cité, témoins du temps prophétique et créateur de l’avenir, laissant transpercer, dans ces immenses verrières, les rayons opalins du soleil languedocien. Les dalles grises et luisantes, parsemées d’étoiles noires, laissent désormais glisser les pas du barreau d’aujourd’hui et accueillent, dans le silence des audiences environnantes, les bavards et kyrielle de propos. Dossiers, affaires, dîners, famille, belote, café, clients, condamnés et graciés… tout y passe. Cette salle des pas perdus, c’est le nouvel exutoire de la justice, le réceptacle de l’angoisse d’avant plaidoirie et du soulagement du prononcé.

C’est le cœur architectural et biologique du nouveau palais de justice, car c’est là qu’est la vie ! Et c’est bien normal : la justice en son sein transperce les cieux et nous laisse voir les augures du procès… le vent d’autan, la chaleur d’été, les pluies automnales… tout est là, sous nos yeux… sur nos yeux… car finalement, tout se passe sous les pieds et au-dessus des têtes, le bavard de la salle des pas perdus laissant à la justice le soin de captiver tout son être, de le prendre en sa balance et le conduire à la vérité. La salle des pas perdus, et c’est là son essence, nous guide à la justice, nous permettant ainsi de ne point être perdus…

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La voie romaine et la porte narbonnaise

La porte narbonnaise fut érigée au premier siècle par les romains au sud de la ville, marquant ainsi l’entrée imposante de la cité par son hypothétique hauteur et par les deux tours à talon qui l’entouraient, tours formées d’un demi cercle et de deux angles droits comme on peut encore en voir sur les remparts médiévaux du boulevard Armand Duportal. La porte narbonnaise, dont on ne découvrit les restes qu’en 2005 lors de la démolition des bâtiments du XIXe siècle en vue de l’aménagement d’un local d’archives, ouvrait à l’époque gallo-romaine sur la Via Aquitania qui reliait la cité palladienne à Narbonne, permettant ainsi à Toulouse d’entretenir des liens étroits avec l’ensemble du monde méditerranéen.

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Le château narbonnais

Sur les armes de la ville, côtoyant la basilique Saint-Sernin et l’agneau Pascal, l’édifice semble trôner dans les esprits languedociens comme une chimère devenu imperceptible… le « château narbonnais »… Au XIème siècle fut dressé ce fameux château narbonnais, fief des comtes de Toulouse, forteresse qui, accolée aux remparts sud de la ville, allait devenir après la réunion du comté tolosan à la couronne de France, siège de l’administration royale. Lieu de justice depuis son érection, le château narbonnais allait accueillir les premiers pas, hésitants et incertains, du parlement de Toulouse en 1302 : « Quod parlamentum apus Tholosam tenebitur sicut teneri solebat temporibus retroactis ». Après quelques confuses avancées, voyant tour à tour, pendant plus d’un siècle, une institution parlementaire érigée puis oubliée, redressée puis renversée, le parlement de Toulouse se tint temporairement en 1420, puis définitivement en 1443, son installation étant officiellement établie par Charles VII l’année suivante, jeudi 4 juin 1444, ce qui fait de ce parlement le plus ancien de France après la curia in parlamento parisienne.

Ancré dès lors au sein du château narbonnais, le parlement toulousain « s’y assit mieux de jour en jour et s’y affermit de plus en plus », écrivait un célèbre historien languedocien. Malgré quelques constructions, démolitions et reconstructions dues aux accidents du temps et de l’Histoire, le palais de justice s’est maintenu en ces lieux, consolidant ses murs et sa justice, s’agrandissant dans la première moitié du XIXème siècle et se multipliant même pour s’implanter dans des lieux plus éloignés, rue Darquier ou encore avenue Camille Pujol pour le Tribunal d’Instance, accroissement qui ne peut être que le témoin de l’importance du droit et de la justice à Toulouse.

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De l’humanisme juridique Il y a encore, dans le cadre même des procès, tant dans l’office des juges, tant dans l’autorité que dans le va-et-vient de l’attaque et de la défense, un reste perceptible, non pas de religiosité, mais de pure religion. Ce noyau judiciaire n’est rien d’autre que la résurgence constante de la divinisation du jus, de la sacralisation du droit romain et des institutions de la Rome archaïque. Il faut à la justice un prêtre, une autorité et un processus de purification. Voilà le fondement de la procédure. Ces bribes encore vivantes de religion romaine, le plus grand des juristes humanistes les avait bien perçues. Dépasser le cadre même de la glose stérile et sèche, replacer la loi des XII Tables, les édits prétoriens, tout le Corpus juris civilis, dans un contexte contemporain, proche d’une société en perpétuel mouvement, proche de l’humanité : tel fut le labeur intellectuel et la profonde conviction des Dumoulin, Doneau et autres Tiraqueau. Et sur son promontoire, de Toulouse à la cité de Jacques Cœur en passant par Valence et Cahors, le maître alla plus loin, influençant notre droit par la science latine, purifiant les textes romains mais conservant leur nature pour en dégager l’essence transhistorique. Trouver l’essence des choses et du procès : n’est-ce pas s’adonner à découvrir l’imperceptible et l’immanent, le transcendant et l’intouchable, le sacré et le religieux ? C’est bien cela, l’humanisme juridique de Jacques Cujas : en conservant les solutions romaines tout en leur faisant retrouver toute leur signification contemporaine, il a su dégager d’une casuistique antique l’essence inhérente de la Justice.

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La robe de justice

Ambivalence ? Incertitude ? Dichotomie ? Clair-obscur ou oxymore ? Le blanc immaculé étincelle par une, deux ou trois fois sur la robe de la sobriété. Et c’est une robe de clerc !... et bien que l’habit ne fasse pas le moine, l’habit fait l’avocat… et le magistrat. Marque de l’unité de l’Ordre, du siège ou du parquet, de l’égalité entre tous les plaideurs, la robe est un symbole pour tout le monde de la justice. Originellement vêtement de clerc sous l’Ancien Régime, la religiosité et le sacré de la justice sont encore une fois perceptibles au travers de cette tunique particulière, agrémentée de trente-trois boutons, chiffre on ne peut plus hautement symbolique et vénérable. La robe des avocats est noire, mais ce ne sont pas le deuil ou la tristesse qui ont fait perdurer cette tenue traditionnelle, c’est la certitude et la conscience du devoir et de la responsabilité de la défense. De plus, les points lactés qui la parsèment sont comme un contretemps à cette ouverture vestimentaire. Pour les magistrats, la robe est rouge ou noire, ornée d’une ceinture bleue, noire ou rouge à franges d’or selon les juridictions. Plus la fonction judiciaire est haute, et plus l’apparat est conséquent, les épaules du premier président de la cour de cassation étant couvertes d’un manteau et d’une cape de fourrure. Le rabat trouve son origine dans la « cravate » blanche de l’Ancien Régime dont on connaît les origines militaires sous Louis XIII. L’hermine, quant à elle, cette fourrure pendante qui ponctue, dans le dos de l’homme de loi, une bande de soie noire, terminait à l’origine un large capuchon que portait l’avocat. Le capuchon fut supprimé, on conserva néanmoins l’épitoge, ce ruban galonné de blanche hermine. Triple curiosité quant à ce vêtement : les docteurs en

droit sont autorisés à porter l’épitoge à trois rangs d’hermine, symbole de leur grade académique ; les avocats de province porte l’épitoge herminé, mais les robes parisiennes ne sont revêtues que d’une simple épitoge dite « épitoge veuve », sans hermine, certainement en signe de deuil après la condamnation de Malesherbes pour avoir défendu Louis XVI. Certains affirment que cette épitoge fut dépourvue d’hermine par jacobinisme, pour créer une distinction entre les avocats de province et ceux de la capitale. D’autres, encore, affirment que ce fut pour porter le deuil de Marie-Antoinette. Le deuil de Malesherbes demeure toutefois l’opinion la plus commune et la plus vraisemblable. La loi fondatrice « portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques » du 31 décembre 1971 expose, dans son article 3, que les avocats « revêtent dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession ». Dans chaque instant et chaque lieu où l’avocat s’érige en défenseur, devant tout magistrat et toute collégialité, la robe est essentielle, nécessaire, indispensable à la protection tant de la justice et du justiciable, que de l’avocat et du juge eux-mêmes. Artifice théâtral ou costume sacramentel ? Mascarade vestimentaire ou symbole de l’indépendance, de la conscience de la tâche et de l’égalité ? Signe de la prééminence du droit et d’un héritage patrimonial millénaire, la robe demeure plus qu’un symbole. Elle est un signe d’uniformité et d’égalité, de conscience du devoir, de continuité intemporelle de l’institution judiciaire et d’universalité de la justice. Que l’on jure – signe déjà bien religieux – d’exercer ses fonctions avec « dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » ou en « gardant religieusement le secret des délibérations », la robe fait partie de ce temple de la Justice où nous avons besoin de prêtres.

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L’ère 2.0 Communication, rapidité, numérique : la justice vit actuellement un bouleversement important, la « dématérialisation » ayant fait entrer le monde judiciaire dans l’ère du 2.0. Les transmissions par courrier papier, les « actes du palais » et les cases du « bureau commun », les enveloppes cachetées et les coups de tampon ont laissé place aux boîtes mail, aux signatures électroniques, à la communication des actes avec le greffe et aux notifications de ces derniers aux avocats par voie informatique. Efficacité ? C’est du moins l’objectif de ces réformes récentes qui tournent le monde de la justice vers une modernité parfois effrayante. Les avocats surfent et les sites juridiques se multiplient au milieu des pages officielles du ministère de la justice, des cours et des tribunaux. On e-conseille, on twitte son affaire et on actualise la page facebook de son cabinet. RPVA, e-barreau, réseaux privés divers et autres systèmes de communication électronique : la justice tisse sa toile pour favoriser une célérité nécessaire et désirée. Finis les feuilles jaunies, les cliquetis des trombones et l’odeur des encriers ! Finies les poignées de main avant d’échanger les conclusions ! On clique. C’est moins humain mais plus facile. Les câbles se faufilent sous les bureaux et dans les murs : sont-ils des liens ou bien des chaînes ? Face à une tendance qui pourrait automatiser et machiniser les instances de la justice, les magistrats, les fonctionnaires de justice, les avocats et l’ensemble du personnel judiciaire témoignent d’une volonté de maintenir, au palais ou ailleurs, une justice rendue en équité et en vérité : une justice d’hommes à visage humain.

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Postface Frédéric DOUCHEZ Bâtonnier de l’Ordre

« La

justice écoute aux portes de la beauté ».

Cette citation d’Aimé Césaire est le simple reflet de ce magnifique ouvrage sur le Palais de Justice de Toulouse. Le Palais de Justice de notre cité est le descendant du Parlement du Languedoc fondé en 1420 à Toulouse par Charles VII qui devait, pour sauver son royaume, se concilier le Languedoc.

Après un transfert à Béziers en 1425, il revient définitivement à Toulouse en 1443 et il tint sa séance inaugurale le 4 juin 1444. Son ressort territorial était immense, du Rhône à l’Atlantique, des Pyrénées au Massif Central.

D’autres Parlements furent certes, ensuite, créés à Grenoble en 1451 ou à Bordeaux en 1462 mais le Parlement du Languedoc fut le premier Parlement de Province créé après Paris.

On y recensait déjà la Grand’Chambre, la Chambre des Requêtes, la Chambre de la Tournelle pour les affaires criminelles. Trente conseillers le composaient, quelques années plus tard, en 1520.

Installé dans un glorieux édifice féodal, il était célèbre pour le faste et la beauté de sa Rentrée Solennelle qui se déroulait au moment de la Saint-Martin d’hiver.

De cette date jusqu’au mois de septembre, non sans interruption lors des fêtes religieuses, 200 jours de travail et d’audiences rythmaient la vie du Parlement. Ses premiers Présidents furent, pour la plupart, d’éminents juristes. Citons, pour l’exemple, Aymard de Bletterens (1444), Jacques de Meaux (1449), Jean de Mansencal (1562), Nicolas de Verdun (1602), Gaspard de Fieubet (1653), François de Bastard (1762), Jean-Emmanuel Augustin de Cambon (1770).

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Certains de ces premiers présidents connurent ensuite de brillantes carrières comme Garsias du Faur qui mena d’importantes missions diplomatiques pour le compte de Louis XI. Guy du Faur de Pibrac fut un grand humaniste. Il devint ambassadeur au Concile de Trente puis en Pologne.

Les parlementaires toulousains ont été reconnus à leur époque comme des hommes ouverts aux influences de l’humanisme.

Gravitaient aussi, autour d’eux, des procureurs, des greffiers ou « secrétaires du roi », des agents d’exécution comme les huissiers ou les sergents et, surtout, des avocats.

Avant la révolution française, sous l’ancien régime, certains avocats célèbres n’hésitèrent pas à organiser des conférences où chacun devait prouver sa science du droit ainsi que l’art de la plaidoirie. Les jeunes avocats s’y déplaçaient afin de recevoir des leçons d’éloquence par des avocats plus expérimentés comme Désirat ou Gary. La révolution marqua, ensuite, une époque faste pour le Barreau toulousain.

S’illustrèrent, notamment, à l’Assemblée Constituante, des avocats comme Barrère de Vieuzac ou Mailhe. De nombreux Bâtonniers marquèrent, après, la Restauration en 1810 par Napoléon notre Barreau.

Citons Roucoulès, de la Viguerie, Alexandre Fourtanier, Prosper Timbal ou de la Portalière jusqu’aux Bâtonniers du XXème siècle et, notamment, les Bâtonniers de Caunes, Marty ou Viala qui ont honorés notre profession. Nous sommes particulièrement heureux de la création de cet ouvrage qui nous permet de nous remmémorer tous ces évènements qui ont marqué le Parlement du Languedoc et son descendant le Palais de Justice de Toulouse.

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Jacques BéZY photographies

Photographe Auteur Toulousain, conditionné par l’écriture photographique. Sensible aux jeux multiples entre les Matières et la Lumière. Regard captivé par l’appréhension graphique qu’ils procurent .

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Pierre-Louis BOYER Textes

Docteur en droit et enseignant à l’université Toulouse 1 - Capitole, membre de la Confrérie du Fourtou de Trassanel, il a aussi été plusieurs fois lauréat de l’Académie des Jeux floraux.

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Remerciements  Cet ouvrage est issu de l’amitié avec Christian Boyer (†), en partageant des valeurs essentielles communes. Il a pu voir le jour grâce au soutien actif de tous ceux qui m’ont aidé à rendre possible ce projet. MERCI à Pierre-Louis Boyer de m’avoir fait partager sa culture, sa science et son écriture dans la rédaction des textes de ce livre MERCI à Gilbert Cousteaux de m’avoir donné accès aux richesses de ces lieux, de nous avoir accompagné dans la rédaction de cet ouvrage. MERCI à Stéphane Sichi, éditeur “Au fil du Temps”, pour son implication et sa créativité dans la réalisation de la maquette, et dans la diffusion du livre MERCI aux partenaires qui n’ont pas hésité un seul instant à me suivre afin qu’aujourd’hui ce livre prenne vie... L’académie de législation, la cour d’appel, le barreau de Toulouse, la faculté de droit de Toulouse, la Compagnie des experts de Toulouse. Jacques Bézy Que toutes les personnes qui nous ont aidés, suivis, soutenus et encouragés dans cette entreprise soient ici remerciés. MERCI à Jacques Bézy pour m’avoir fait découvrir son amour de la photographie et m’avoir ainsi initié à l’image MERCI à l’ensemble de ma famille, épouse et enfants, pour sa constante présence MERCI à mon père (†), initiateur de ce projet, toulousain de toujours et toujours toulousain, homme de droit et homme droit MERCI à Toulouse, son histoire et ses hommes Pierre-Louis Boyer

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Editions Au fil du Temps Route de Trinquies 12 330 SOUYRI (France) www.fil-du-temps.com

Direction artistique : SICHI Stéphane Relecture : GALIBERT Jacques Dépot Légal : Juin 2013 Achevé d’imprimer en Mai 2013 sur les presses de NOVOprint à Barcelone N° ISBN : 978-2-918298-40-3


Avec le soutien



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Cela fait environ sept siècles que le Parlement de Toulouse, devenu depuis « Palais de Justice », est un centre prédominant et capital du monde du droit dans le Sud Ouest de la France. En son sein, les magistrats, avocats, fonctionnaires de justice, mais aussi tous les justiciables, arpentent les couloirs et les salles d’audience. Entre histoire et modernité, entre constructions et reconstructions, entre découvertes archéologiques et nouveautés architecturales, le Palais de Justice de Toulouse traverse les âges, tout de briques roses vêtu. C’est cette ambivalence que les auteurs de cet ouvrage ont essayé de mettre en avant, que ce soit à travers les photographies de Jacques BEZY ou les textes qui les accompagnent de Pierre-Louis BOYER : passé et contemporanéité, sobriété et luminosité, couleurs et uniformité, etc. Encouragés par les magistrats de la cour d’appel de Toulouse, les auteurs se sont aventurés dans les dédales de ce lieu aux lumières diverses et surprenantes. Les lieux de justice ayant été désormais rendus quasi-inaccessibles aux photographes et chercheurs, cet ouvrage est sans doute l’un des derniers de ce genre sur le palais de justice de Toulouse, plus ancien parlement de province de France. Une entreprise au multiples facettes, sous un autre regard. ISBN : 978-2-918298-40-3

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Prix de vente : 30 €


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