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CONFÉRENCE-DÉBAT VERS LA VILLE-NATURE : LA GÉOGRAPHIE AU SERVICE DU PROJET DE TERRITOIRE ALFRED PETER Strasbourg, amphithéâtre de l’INSA, le 22 mai 2012
Dans le cadre de l’élaboration du Plan local d’urbanisme communautaire de la Communauté urbaine de Strasbourg, le service Prospective et planification territoriale de la Communauté urbaine de Strasbourg a organisé, en collaboration avec Jean-Yves Chapuis consultant en stratégie urbaine, un cycle de conférences-débat à partir de novembre 2011. Ces rencontres ont eu pour double objectif de sensibiliser les habitants aux nouvelles dynamiques en matière d’aménagement du territoire et d’alimenter la réflexion des élus et des techniciens pour l’élaboration de ce document cadre de la planification urbaine. Animées par des spécialistes de renom, ces conférences-débat ont rencontré un incontestable succès public et font l’objet des présentes retranscriptions.
VERS LA VILLE-NATURE : LA GÉOGRAPHIE AU SERVICE DU PROJET DE TERRITOIRE
photo CUS
OUVERTURE DE LA CONFÉRENCE PAR JACQUES BIGOT, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE STRASBOURG
Mesdames, messieurs, il me revient en qualité de président de la Communauté urbaine d’introduire cette conférence d’Alfred Peter, puisqu’elle se situe dans le cadre de l’élaboration par la Communauté urbaine du PLU communautaire. La Communauté urbaine a la compétence de l’urbanisme depuis sa création en 1965, mais nous avions pour pratique de considérer que chacune des communes élaborait son Plan d’occupation des sols ou son Plan local d’urbanisme. La loi Grenelle II nous impose désormais, dès lors que la Communauté urbaine a la compétence de l’urbanisme, de faire le Plan local d’urbanisme à l’échelle de toute l’agglomération. Cela a bien sûr un intérêt. Ceci étant, nous y étions déjà, dans la mesure où nous avions déjà des plans de déplacements urbains, des réflexions sur la stratégie économique, ce qui fait que ceux-ci étaient largement partagés par l’ensemble des communes, et il n’y avait aucune difficulté à avoir des plans d’occupation ou des PLU communaux. Nous faisons donc un PLU communautaire, ce qui suppose que nous arrivions à voter avant la fin de cette année le premier élément du Plan local d’urbanisme qui est le Projet d’aménagement et de développement durables. Pendant ce travail, nous devons organiser des réunions de concertation. La loi ne dit pas d’ailleurs ce que doit contenir la concertation, mais parfois, le tribunal administratif casse les plans en disant qu’il n’y a pas eu suffisamment de concertation. Au titre de cette concertation, je vous invite d’ores et déjà à prendre part aux réunions publiques qui auront lieu. Nous en organisons quatre sur la Communauté urbaine et plus particulièrement une, le 29 juin, dans la salle de l’Aubette à Strasbourg, afin de soumettre le projet à l’avis de la population, puis à l’avis des communes ; ensuite, il sera délibéré par le conseil des communautés à la fin du mois de novembre. Bien évidemment, des expositions auront lieu, et nous profiterons de la Foire européenne pour, là aussi, exposer et donner des indications sur ce Projet d’aménagement et de développement durables – les techniciens disent « PADD », mais j’essaye de traduire les sigles, ce qui est beaucoup plus simple et beaucoup plus naturel.
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Nous avons organisé ces conférences plutôt pour nourrir la réflexion de tous ceux qui sont intéressés par ces schémas. Nous avons eu des conférences successives : celle de Martin Vanier sur La relation du centre et de la périphérie dans les villes, de Jacques Donzelot sur Les nouvelles mobilités… Ce soir, celle d’Alfred Peter autour de la notion de « ville-nature ». Que veut dire la notion de ville-nature ? Alfred Peter est bien placé pour en parler, lui qui est l’urbaniste-paysagiste qui a accompagné le tram de verdures, d’arbres, lui qui a accompagné aussi un certain nombre de communes. La commune d’Illkirch-Graffenstaden lui doit de très beaux aménagements et je ne l’en ai jamais assez remercié. Je pense qu’il est bien placé pour vous dire comment l’urbanistepaysagiste conçoit une ville à vivre dans laquelle la nature a sa place. Depuis 2008, avec Françoise Buffet, adjointe au maire de Strasbourg en charge de ces questions et dont je salue la présence ce soir, nous avons décidé, pour la première fois dans la Communauté urbaine, d’avoir des relations avec la Chambre d’agriculture pour parler de la présence de l’agriculture dans la ville et, en même temps, échanger sur ces questions importantes de présence de la nature. Nous avons une opportunité fondamentale dans le cadre de notre PADD, ce sont des trames naturelles qui s’imposent à nous : les trames vertes et les trames bleues, qui peuvent être vécues comme des contraintes ou comme des opportunités. L’Ill, le Rhin, les canaux, tous ces lieux de biodiversité et d’espaces naturels sont autant d’espaces qui permettent aux habitants de vivre de mieux en mieux dans la ville. Nous savons que l’avenir pour la majorité de la population sera de vivre dans les villes, mais la ville n’est pas forcément l’opposé de la nature. Et puis, nous avons besoin de cette nature pour des questions de confort, de respiration, de santé publique. C’est tout cela, l’enjeu de la présence de la nature dans la ville. Il s’agit de faire en sorte que plus tard, quand nous l’aurons adopté, notre PLU communautaire fasse la synthèse entre ces aspirations de l’homme. La villenature pour l’homme, Alfred Peter est le mieux placé pour vous en parler. Mais, préalablement, celui qui va vous parler de ces enjeux et d’Alfred Peter, c’est Jean-Yves Chapuis, qui a été longtemps en charge de l’urbanisme de la ville et de l’agglomération de Rennes, qui intervient dans toute une série d’agglomérations, qui a été directeur de l’école d’architecture de Rennes pendant plusieurs années, qui nous accompagne comme consultant et qui nous a suggéré toute cette série de conférences. Merci Alfred, merci Jean-Yves.
CONFÉRENCE-DÉBAT D’ALFRED PETER
Jean-Yves Chapuis
Merci, monsieur le président, de votre introduction. Je voudrais simplement rajouter quelques mots pour Alfred Peter. Ce qui est très important dans le travail que nous faisons dans le cadre du PLU, avec toute l’équipe de Jacqueline Tribillon, c’est de faire comprendre que la nature appartient aujourd’hui au débat urbain. Il n’y a plus d’un côté l’habitat, l’urbain, et de l’autre la nature, la campagne. La ville, elle est partout. Ce qui est intéressant dans la démarche d’Alfred Peter, c’est qu’il appartient à ces paysagistes qui travaillent avec des urbanistes et font entrer le paysage, la géographie, dans la démarche urbaine. Donc, il a un travail pédagogique extrêmement utile, et puis aussi beaucoup d’humour que j’apprécie bien. Je le connais bien parce qu’il travaille tout près de Rennes, sur le mont Saint-Michel. Il fait un excellent travail pour lui redonner son côté insulaire ; quand vous arriviez au mont Saint-Michel, vous ne voyiez que des voitures, mais aujourd’hui, ce n’est plus vrai. Il a fait un travail très intéressant dans ce domaine-là. Alfred Peter fait partie de la troisième génération de paysagistes qui viennent de l’école de Versailles. La première génération est représentée par Michel Corajoud et Bernard Lassus, qui ont été un peu les pères de cette école ; Michel Corajoud a, entre autres, fait les quais de la Garonne à Bordeaux. Vous avez une deuxième génération avec Alexandre Chemetoff – fils de l’architecte Paul Chemetov –, Gilles Vexlard, Jacques Coulon et Alain Marguerit. Et vous avez une troisième génération qui arrive avec Alfred Peter et Michel Desvigne qui vient d’avoir le prix de l’Urbanisme ; c’est la deuxième fois qu’un paysagiste, après Alexandre Chemetoff, a eu ce prix. Je pense qu’un jour Alfred Peter l’aura, parce qu’il le mérite par tout le travail qu’il a fait dans la ville et par la façon dont il a introduit cette nature, ce paysage dans la ville – sans pour autant oublier la ville, c’est très important parce qu’il ne faut pas non plus nier la ville. C’est une autre manière de faire de la ville. Je lui laisse la parole.
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AVANT PROPOS
© A. Peter
Alfred Peter à fondé sa propre agence de paysage à Strasbourg il y a près de 25 ans. Désormais implanté dans la capitale alsacienne et à Lyon, l’Atelier Alfred Peter Paysagiste compte 15 collaborateurs. Dans les années 80, Alfred Peter s’est d’abord intéressé à l’aménagement des espaces publics et urbains, sujet qui a largement mobilisé les paysagistes de sa génération. Premier concepteur urbain à se conforter aux questions des déplacements il y a 15 ans, il a contribué à la création de « l’école française du tramway ». Défenseur des mobilités douces et de visions alternatives au « tout automobile », il développe les synergies entre réseaux et aménagement urbain. Avec le concept « d’inversion du regard », il explore depuis plusieurs années un champ d’action plus vaste et novateur, et développe une approche à l’échelle de la géographie et du grand paysage, tout en restant fidèle aux trois maitres mots de l’agence : « simplicité – authenticité – sobriété ». Fort de cette expérience à toutes les échelles et à toutes les temporalités du projet – de la conception-réalisation d’espaces publics aux études urbaines et territoriales, en passant par des projets de grands sites et d’infrastructures majeures –, Alfred Peter est particulièrement à l’aise dans les projets urbains complexes et ambitieux. Son engagement, sa grande rigueur et son doigté dans le management sont garants de l’aboutissement des projets, sans perte en ligne.
INTERVENTION D’ALFRED PETER
Je vais même vous présenter une paysagiste de quatrième génération, Marguerite Ribstein, qui est ma collaboratrice ; elle a travaillé avec moi sur la présentation de ce soir et sera à la technique, parce que je suis de cet âge où ce qui touche à l’ordinateur me crispe plus qu’autre chose. Je suis ravi d’être à Strasbourg. C’est très agréable de pouvoir aller à une conférence à pied. J’ai traversé l’Ill et j’ai vu que l’eau était très haute et très boueuse. Je me suis aperçu que, finalement, cela n’intéresse personne. Beaucoup de personnes ont traversé le pont avec moi ; il y en a qui téléphonaient, d’autres qui étaient dans leurs préoccupations pour organiser leur soirée, etc. Mais si vous avez lu les DNA aujourd’hui, vous avez vu que comme d’habitude depuis une dizaine d’années, mai et juin sont les mois des orages violents dans cette région. Les paysans ont retourné toutes les prairies jusqu’à la limite des premières maisons et fatalement – c’est maintenant un phénomène récurrent et de plus en plus important –, nous avons cette catastrophe prévisible qui fait que les lessivages des orages très violents en mai et juin, quand les terres sont encore nues, amènent inévitablement cette terre en coulées dans les agglomérations. C’est finalement une très bonne illustration du thème de ce soir, dans laquelle nous voyons deux logiques dissociées : celle de l’agriculture, qui a été complètement transformée dans les années 60 vers une production qui a déconnecté les agriculteurs eux-mêmes du bon sens terrien, et celle de la ville qui a ses propres façons d’imperméabiliser et d’artificialiser ses sols. La conjonction des deux illustre bien à quel point il est aujourd’hui important de faire des documents de planification un peu visionnaires, intégrant des phénomènes sociétaux majeurs qui entraînent des frais extrêmement importants, parce que dégager cette boue, remettre en état les canalisations, réparer les dégâts dans les maisons privées a un coût très important. Voilà une illustration de l’importance de planifier simultanément la question de la nature et de la ville.
comprendre la relation initiale du milieu urbain avec son territoire
J’ai une interrogation qui me taraude. Je ne sais pas si c’est la sagesse qui arrive lentement, mais quand je vais dans une ville, je me pose la question : « Pourquoi cette ville est-elle là ? Pourquoi Strasbourg, par exemple, s’est-elle installée ici, et pas à 5 km plus au nord ou 10 km plus au sud ? » Souvent, il est très important de comprendre cette relation initiale du milieu urbain avec son territoire, parce qu’elle est souvent la clé de compréhension de l’ensemble de l’histoire de la ville telle qu’elle s’est construite. J’ai pris l’exemple de Strasbourg, car j’aime beaucoup cette image de relation à la fois très intime et très distante ; ce n’est pas une ville comme Bordeaux qui s’est installée sur le fleuve. On a envie de chercher ce fleuve, mais, en même temps, il faut s’en protéger parce que c’est un fleuve impétueux, un fleuve alpestre qui a ses sautes d’humeur – certes de moins en moins parce qu’on a réussi à le dompter, bien que nous ne soyons pas à l’abri. Je travaille actuellement sur une île du Rhin qui se situe en amont de Colmar, et on voit bien
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qu’on sait le dompter jusqu’à une certaine limite. Il suffirait une conjonction de plusieurs phénomènes qui amènent de l’eau pour que cette soidisant sécurité que l’on a réussi à installer se dissolve toute seule. Donc, cette question préalable qui est de retrouver la géographie, de retrouver le sens de l’installation d’une ville sur un site, est pour moi un élément clé. Parfois, on le trouve facilement : dans le cas des villes au bord des fleuves, il est évident qu’il y a une relation très facile à établir. Parfois, c’est plus difficile. J’étais récemment à Jérusalem, ville quadrimillénaire, et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi cette ville est sur cette colline. Des collines, il y en a beaucoup dans la Judée. Pourquoi est-elle là et pas ailleurs ? Parfois, ce n’est pas si simple que cela de trouver quelle était la relation initiale et fondamentale avec le paysage. Si je prends une image d’aujourd’hui, une image attrapée sur un atterrissage à Orly en survolant Marne-la-Vallée, voilà où nous en sommes aujourd’hui : nous sommes arrivés à une ville totalement déconnectée de son territoire. Nous sommes dans une situation dans laquelle la question des grands tuyaux, des infrastructures, a complètement conditionné le développement urbain, avec une déconnexion des routes par rapport au tissu bâti. Vous voyez cinq ronds-points sur 200 mètres ; je tourne en rond, je tourne en rond, je tourne en rond… Nous en sommes un peu là sur la question de cette ville périurbaine, émergente. Nous avons trouvé plein de mots plus ou moins polis pour qualifier ces endroits où habitent aujourd’hui 50 % des Européens et je crois que, dans les documents de qualification, c’est de ce défi-là, de cette ville-là qu’il faut que nous parlions. Je suis de cette génération de paysagistes que j’appelle les paysagistes du « re » : requalification, restructuration, réaménagement. Tous les projets, tous les appels d’offres qui commencent par « re » sont plus ou moins des sujets qui nous concernent. Qu’est-ce que nous constatons ? En trente ans, nous avons fait du « re » : nous avons requalifié, nous avons réaménagé. Mais, pendant ce temps, que s’est-il passé ? La ville, comme jamais cela ne s’est passé dans l’histoire, s’est étendue sur des dimensions et à des échelles que nous n’avons jamais connues. Donc, nous voyons bien que pendant que nous nous occupons d’un dixième ou d’un vingtième de cette substance urbaine qui est en train de se construire, se fabrique une espèce de ville étale dans laquelle nous nous déplaçons en tournant en rond. Dans cette logique de retrouver ces racines territoriales, j’ai quelques exemples qui me sont venus à l’esprit. Le premier, c’est Lausanne, donc cette relation au relief, et j’ai fait un parallèle entre les terrasses de Lavaux qui est ce magnifique vignoble entre Lausanne et Vevey, dans lequel on a un travail absolument magnifique. D’ailleurs, je crois que cet endroit est maintenant classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce qui est intéressant, c’est que la ville de Lausanne a été construite exactement sur ce principe-là : toute la ville n’est qu’une tribune de stade qui regarde vers le lac Léman. Cette analogie entre ville agricole et ville urbaine sur un site aussi extraordinaire a donné une forme urbaine tout à fait unique.
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nous sommes arrivés à une ville totalement déconnectée de son territoire
la ville s’est étendue sur des dimensions et à des échelles que nous n’avons jamais connues
Un autre exemple concerne le plan de la ville de La Chaux-de-Fonds, une ville industrielle suisse dont l’industrie horlogère a connu son apogée à la fin du XIXe siècle. Ce qui est intéressant, c’est que cette ville moderne créée dans l’ère industrielle s’est dessinée comme aucune autre ville, et là, dans un paysage avec beaucoup moins de réactions qu’à Lausanne avec ses pentes très abruptes, nous voyons que le crayon du concepteur qui a dessiné cette ville a continué dans la campagne ; il ne s’est pas arrêté à la limite de la dernière maison. Ce rapport très intime que l’on recherche aujourd’hui entre paysage et substance urbaine trouve dans ce type de modèle une forme d’accomplissement tout à fait remarquable. Ce modèle n’est pas assez connu, mais je trouve que tous les étudiants en architecture devraient s’y intéresser parce qu’il est exceptionnel dans son rapport ville-nature.
le rapport à l’eau est un sujet absolument essentiel
est-ce que nous pouvons toujours continuer à construire des maisons et quand ce sera plein, on fera la strate suivante ?
Bien sûr, le rapport à l’eau est un sujet absolument essentiel. Je suis toujours frappé par la méconnaissance que les Strasbourgeois ont de la présence de l’eau. Bien entendu, nous connaissons tous les cartes postales qui montrent la section de l’Ill dans le centre-ville, mais dès que nous avons franchi cette très courte section et que nous venons dans Illkirch… Je prends l’exemple d’Illkirch – le mot « Ill » se trouve d’ailleurs dans « Illkirch ». J’avais emmené les étudiants de l’INSA dans la médiathèque d’Illkirch pour les faire travailler durant une semaine sur ce rapport très intime qui existe ou qu’il faudrait faire réémerger dans les villes qui ne sont pas des villes centres. Et je crois que j’ai trouvé maintenant un circuit vélo à faire faire aux délégations qui viennent à Strasbourg voir le tramway. Je leur dis « je veux bien que nous allions voir le tramway, mais cette ville a quand même d’autres atouts bien plus importants que le système de communication ». Donc, nous avons trouvé un circuit sur une demi-journée permettant de montrer toutes les facettes et les subtilités qui existent entre le système hydraulique et le système urbain dans cette ville. Vauban a été une sorte de génie absolu dans cette relation de territoires. Je suis d’ailleurs un peu jaloux : je ne comprends pas comment il a pu travailler sur autant d’endroits en si peu de temps et avec si peu de moyens de transport. C’est quelqu’un qui a travaillé sur tous les ports de France, en outre-mer, etc., et pour qui j’ai beaucoup d’admiration. Nous travaillons actuellement sur la citadelle à Besançon ; quelle que soit la situation à laquelle il était confronté, il réussissait dans une logique qui était une logique de défense, et la façon de protéger Strasbourg des envahisseurs en inondant toute la plaine qui se trouve en aval de la ville est quand même un coup de génie. Nous retrouvons le travail de Vauban sur ce qui reste aujourd’hui de la ceinture verte autour de Strasbourg, qui a été littéralement laminée par la création de l’autoroute de contournement et ses échangeurs. Pensez à la place de Bordeaux, à la porte de Schirmeck : autant d’endroits stratégiques dans le réseau villenature strasbourgeois et qui, malheureusement, sont aujourd’hui totalement déconnectés des éléments naturels par cette intrusion très violente des infrastructures dans le système naturel. Ces questions que nous voyons si merveilleusement mises en avant par Vauban, nous les retrouvons de manière très contemporaine dans la manière de fabriquer les limites de nos agglomérations. Est-ce que c’est
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infini, est-ce que nous pouvons toujours continuer à gratter un peu de terre végétale, à construire des maisons et puis, quand ce sera plein, on fera la strate suivante ? C’est une sorte de ville infernale qui marche à reculons. Ou est-ce que nous arriverons, et par quels moyens, à reconstruire une forme de limite aux sites, nécessitant d’une façon ou d’une autre de rester dans un système qui redensifie le paysage existant ? Je travaille beaucoup à Lille en ce moment. Ils ont établi une sorte de règle qui n’est pas gravée dans le marbre, mais qui dit « deux tiers en rénovation urbaine et un tiers en extension urbaine ». C’est-à-dire que dans tout projet en périphérie, la question a sciemment été posée de la limitation de la consommation de terres agricoles avec un redéploiement des projets dans des situations déjà construites. Évidemment, c’est un peu plus difficile de travailler sur des sites déjà occupés parce qu’on se heurte au fonctionnement de ses occupants, mais en même temps, c’est une des conditions sine qua non pour redonner de la qualité. Je crois que nous allons travailler, dans les trente années à venir, sur deux paramètres parallèles : d’une part, une remonumentalisation de la ville, et d’autre part, comme le disait Michel Corajoud, une remonumentalisation de la campagne. Ce sont deux sujets qu’il faut mener parallèlement si nous voulons arriver à fabriquer une ville forte et une campagne forte. Je pense que les catastrophes naturelles sont malheureusement de plus en plus d’actualité, et que ce sont elles qui nous aident le plus. J’ai été très impliqué dans la reconstruction de Haïti ; c’est un pays extrême où les questions environnementales sont totalement inexistantes. Donc, on voit que l’ampleur des catastrophes est souvent liée à l’ampleur du désastre environnemental. Ce rappel-là fait que, comme je le disais en introduction, nous sommes obligés aujourd’hui de changer de paradigme si nous ne voulons pas que ce système de phénomènes naturels catastrophiques se répète à des vitesses de plus en plus élevées. Et puis, nous sortons d’une période que mon ami Bernard Reichen appelle « les trente pas glorieuses » ; les trente pas glorieuses pour l’urbanisme bien entendu, pendant lesquelles nous avons été sous la coupe des ingénieurs routiers. Cette période a fabriqué les choses les plus délirantes, un peu moins à Strasbourg, mais quand même : il y a des monuments, des échangeurs sur lesquels nous aurons certainement à retravailler dans les dix, quinze ou vingt années à venir. Cela a fait que finalement, le métier d’urbaniste était déjà dans le sillage d’un autre métier. Il suffit de survoler les villes aujourd’hui pour voir que souvent, la route précède la ville, et qu’il s’agisse de l’infrastructure routière ou du transport public, les deux ont fabriqué le même effet ; dans la partie est de Paris, on voit bien que la ville a suivi la ligne de chemin de fer du RER A. Ce travail où le préalable est donné par ce que j’appelle le « hardware », donc cette énergie qui fabrique ces grands tuyaux, est aujourd’hui fort heureusement en train de s’essouffler. Le fait qu’il y ait beaucoup moins d’argent public est une très bonne nouvelle, parce que cela va permettre de repenser toute une série de choses. Quand on est riche, on équipe et, dans cette ville, on a un peu cette tradition, car vous avez toujours été une ville riche. Le fait que l’on
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une remonumentalisation de la campagne
les trente pas glorieuses…
le paysage, on n’a pas à l’inventer, on n’a pas à le créer : il est sous nos pieds
puisse avoir cette posture de combat consistant à prendre des thèmes qui doivent être traités, de les croiser entre eux, de fabriquer des stratégies, est assez inné à Saint-Étienne, mais beaucoup moins à Strasbourg. Cette raréfaction de l’argent croise un autre phénomène très intéressant en France qui est cet engouement, pour moi inexplicable, pour le durable ; cela fait que si nous arrivons à trouver des concepts mariant des projets qui font économiser de l’argent et qui, en même temps, sont extrêmement vertueux, on est le roi du monde. C’est un peu mon métier en ce moment. La première chose que je dis aux élus quand je commence un projet, c’est « il va vous rapporter de l’argent ». Là, c’est sûr qu’on m’écoute. Quand on me dit « oh là là, cela va nous coûter cher », je comprends. Nous sommes aujourd’hui dans une situation dans laquelle il faut que nous inventions des vrais produits de crise dans lesquels le fait de s’appuyer sur la nature est extrêmement pertinent, parce que contrairement à la matière architecturale, le paysage est déjà là. Le paysage, on n’a pas à l’inventer, on n’a pas à le créer : il est sous nos pieds. Il faut juste que, par des actions qui ne sont pas forcément très coûteuses, mais parfois très spectaculaires, nous arrivions à révéler cette richesse qui est aujourd’hui déjà inscrite dans ces territoires. La dernière fois qu’il y a eu un rapport très fort entre ville et nature, c’était lors de la grande période des cités-jardins, au début du siècle. Ce n’étaient pas les mêmes types de rapports que ceux dont nous parlons aujourd’hui, parce que c’était une nature dans la ville, soumise à une forme urbaine. Mais quand même, cela a fabriqué des morceaux d’anthologie de l’urbanisme, comme la cité Floréal à Bruxelles, qui est d’ailleurs dans un état épouvantable. J’y étais avec Alexandre Chemetoff il y a trente ans, lorsque j’étais encore à l’école, et c’était la première fois que j’ai vraiment compris à quoi servait mon métier. J’y suis retourné il n’y a pas longtemps, et c’est assez rageant de voir que des témoins aussi importants de cette imbrication astucieuse entre ville et nature sont aujourd’hui aussi peu soignés par les autorités. À Strasbourg, nous avons également de très beaux exemples de cités-jardins ; ces petits bijoux ont d’ailleurs été construits à la même époque que les cités-jardins en Angleterre et en Europe du Nord. Ce modèle-là, nous pouvons le croiser avec une tendance à laquelle nous avons certainement contribué : c’est ce que j’ai appelé la tendance « bois habité ». Quand nous regardons les projets d’urbanisme de ces dix ou quinze dernières années – on se demande d’ailleurs si ce sont des projets d’urbanisme –, cela s’appelle toujours « Le grand bois », « Le grand lac », le ceci ou cela, mais rarement « La grande tour » ou « Le grand centre commercial », et je trouve que c’est une forme un peu malhonnête de faire de l’urbanisme en essayant de prendre en otage ce qui se vend le mieux : c’est une logique où le marketing joue un rôle de plus en plus important. Je ne suis pas du tout pour le bois habité, j’ai toujours trouvé cela comme une forme très limite. Quand on visite les bois habités, on voit bien que ce ne sont pas des bois. Dimanche, j’étais à Lille, qui est pourtant l’une des formes les plus abouties de cette expression, mais je crois que ce qui me gêne le plus dans cette école-là, c’est que le rapport ville-nature ne se joue plus à l’intérieur des opérations ; il se joue à une tout autre échelle.
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Je fais une transition vers quelques projets d’expérimentation que je suis en train de mener sur des sujets assez variés. En guise de transition, voici une couverture de Télérama que j’ai gardée précieusement, titrant « Halte à la France moche », le mocheness, comme dit Winy Maas, cette France moche qui est notre défi des trente prochaines années. Je voudrais montrer comment, dans cette question du rapport ville-nature, nous pourrions peut-être trouver des réponses efficaces et pas forcément coûteuses qui permettent de renverser cette situation. L’exemple qui suit – vous avez compris que mon dada du moment est l’inversion du regard – est un concept que nous avons inventé avec Bernard Reichen, quand nous avons travaillé sur le Scot de Montpellier. Il partait du principe qu’il est de plus en plus difficile de planifier le construit, parce que les cycles économiques sont de plus en plus rapides. Quand vous parlez avec un industriel, il peut vous dire comment il voit l’avenir sur deux ou trois ans, mais au-delà, c’est un grand mystère. C’est un peu pareil pour tous les sujets de la substance bâtie. En ce moment, nous travaillons beaucoup avec la grande distribution, et nous voyons bien que les grands groupes cherchent leur modèle. Qu’est-ce que l’hypermarché de troisième génération, le commerce de demain ? Est-ce plutôt un retour vers des surfaces plus petites en ville, ou plutôt des centres commerciaux beaucoup plus diversifiés ? Et partant de ce principe qu’il est très difficile de faire de la planification sur une échelle raisonnable de dix ou quinze années, nous avions peutêtre une carte que nous n’avons jamais essayée : c’est cette idée d’inverser ce que nous faisons d’habitude, c’est-à-dire qu’au lieu de dessiner la ville, nous allions dessiner la campagne. Je prends toujours cette image : aux États-Unis, Jefferson, dans les années 1780, a quadrillé l’ensemble du pays sur le thème du mile, un mile correspondant à une habitation pour nourrir une famille ; il a quadrillé ce pays avec un maillage régulier, qui n’a pas bougé et que vous retrouvez encore aujourd’hui sur les cartes des autoroutes. Ce que Jefferson a fait, à ce moment-là, c’est qu’il a dessiné pratiquement le plan de toutes les villes américaines ; c’est-à-dire que quand vous regardez les damiers de Chicago, de New York, de Los Angeles – un peu moins Los Angeles –, vous voyez que ce n’est que le damier agricole qui s’est progressivement densifié. Cette image qui est marquante, notamment pour comprendre le concept, montre bien ce que j’appelle « travailler la matière nature », pas simplement pour consolider ou fortifier la nature, mais pour donner – ce que les infrastructures ont fait pendant trente années – une nouvelle raison de dessiner une autre forme de ville. Alors je regarde, je vole beaucoup, je me déplace beaucoup. Voici une image de ce que je vois de mon hublot quand j’arrive en avion à Rennes. Rennes est une ville assez vertueuse pour cette question du rapport ville-nature, parce que nous avons une ville dense, nous avons un périphérique et ensuite nous avons la campagne. Je connais très peu de villes qui ont un rapport aussi net. J’ai travaillé plusieurs fois à Rennes et je comprends mieux aujourd’hui comment on peut arriver à ce résultat, comment une politique foncière de longue haleine, qui n’est pas forcément très spectaculaire, de maîtrise de tous les territoires a permis de
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au lieu de dessiner la ville, dessinons la campagne
…
travaillons la matière nature
garder la nature aux portes de cette ville, comment l’agriculture arrive quasiment aux portes de la ville dans quelque chose qui fonctionne non pas dans un conflit, mais dans une forme d’interpénétration qui est remarquable. Voilà une image d’un autre atterrissage sur Entzheim. L’Alsace, c’est curieux. Christian Devillers me disait un jour : « C’est aussi merdique qu’ailleurs, mais c’est mieux rangé. » C’est un peu le sentiment qu’on a. C’est tout aussi le bazar que dans la majorité des villes, parce qu’il y a des extensions anachroniques extrêmement spectaculaires. Quand on voit les taches des lotissements… Vendenheim, par exemple, est typiquement un lieu qui a tous les stigmates de cette ville : les infrastructures, les lotissements et les centres commerciaux. Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Après la dernière clôture de maisons individuelles, il y a des champs de maïs ; c’est pour cela d’ailleurs que nous avons des coulées de boue aujourd’hui. Au regard des opérations qui ont été faites assez récemment, nous sommes ici très proches de l’Allemagne, donc nous n’avons pas besoin d’aller très loin pour trouver des exemples remarquables de cette façon de construire, de monumentaliser ce rapport entre la ville et la campagne. À Fribourg, vous avez la limite entre les derniers immeubles du quartier Rieselfeld et le paysage qui est une ferme expérimentale appartenant à la ville et dans laquelle sont élevés des animaux produisant le lait et la viande pour ces quartiers-là. Circuits courts, circuits vertueux, santé : je crois que c’est un thème que nous partageons beaucoup ensemble. Ce qui est intéressant ici, c’est que nous ne sommes pas dans un système décroissant ; c’est-à-dire que très souvent, on prend le schéma d’une densité décroissante qui fait qu’on arrive en limite de ville avec une substance totalement essoufflée, avec du petit pavillonnaire. Non, au Rieselfeld, on a inversé l’histoire en disant que les plus gros immeubles seront mis en limite d’opération pour créer cette dynamique et cette vue. La vue, cela se vend bien aujourd’hui : « vue sur mer », « vue sur prairie », pour les promoteurs, il n’y a pas besoin de faire de dessin… La chose importante est qu’il faut la garantir, car la vue sur mer doit être pérenne. Ce n’est pas un argument de vente pour cinq ans et puis on sait pertinemment qu’après la couche suivante, la vue sera perdue.
le Lez, le Rhin, l’Ill, seront toujours là dans un siècle et c’est sur ces valeurs-là que nous pouvons créer ou construire des choses pérennes
L’idée de monumentaliser cette limite, nous la retrouvons aussi très souvent en Suisse. Je travaille beaucoup dans des petites villes – pas forcément pour des opérations très spectaculaires – qui ont cette façon de construire des petits immeubles juste en limite, comme à Oberkirch, qui est une toute petite commune. Voilà comment on imagine aujourd’hui de fabriquer cette limite entre ville et campagne. Je disais tout à l’heure que nous avons essayé de tester cette hypothèse à plus grande échelle. Dans le premier plan agricole que j’ai dessiné pour l’agglomération de Montpellier, nous sommes bien dans cette inversion du regard. C’est-à-dire que nous avons dessiné des vignes, des prairies, l’eau, puisque ce territoire qui est au sud de Montpellier est extrêmement menacé par les inondations du Lez et de la Lironde, et que ces projets hydrauliques qui de toute façon devaient se faire, nous les avons d’une certaine manière récupérés pour dessiner ce vide. Ce que pérennise le
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Scot de Montpellier, ce n’est pas la substance bâtie dont nous avons une version, mais la version 2012 ou 2011, qui est déjà dépassée d’ailleurs. Nous n’avons pas eu le temps de laisser sécher l’encre que déjà les données ont changé. Mais par contre, je pense que le Lez, le Rhin, l’Ill, seront toujours là dans un siècle et que c’est sur ces valeurs-là que nous pouvons créer ou construire des choses pérennes. Voilà pour ce travail qui est encore totalement expérimental. Vous disiez, monsieur le président, que c’est la première fois que nous commençons à avoir des partenariats avec le monde agricole. C’est encore très compliqué, parce que le monde agricole n’est pas prêt à cela aujourd’hui ; la tendance est plutôt à élargir encore les moissonneuses-batteuses qu’à fabriquer une forme d’agriculture transitionnelle qui n’est plus nécessairement entièrement basée sur une question de rendement. C’est quand même un peu aberrant de fabriquer du maïs aux portes de la ville, qui est ensuite exporté je ne sais où et que nous importions des fraises du Maroc. C’est absurde comme situation. La fabrication de l’agriculture transitionnelle, qui est un peu sur toutes les lèvres en ce moment, a encore beaucoup de mal à émerger, parce que nous manquons d’interlocuteurs structurés. L’équivalent de la ZAC agricole, cela n’existe pas encore. Les outils d’intervention à cette échelle-là, qui n’est plus de la planification à l’échelle d’un Scot, mais qui n’est pas encore de l’opérationnel d’une ZAC, ce chaînon manquant dans le système de fabrication du territoire, nécessite que nous inventions les outils qui permettront de travailler efficacement. À Montpellier, la question a été réglée en englobant l’ensemble du territoire dans une énorme ZAC, mais c’est la limite de l’outil de la ZAC ; elle n’a pas été inventée pour cela. Donc, il y a un gros travail à la fois de mûrissement des concepts, de mûrissement des acteurs qui travaillent sur ces territoires, et de création des outils qui permettent d’être un peu plus opérationnels. Je pense que je peux passer assez rapidement sur ces questions du Scot de Montpellier. J’ai deux ou trois illustrations de ce travail. Par exemple, que veut dire « travailler avec l’eau » ? Finalement, à Montpellier, on ne voit pas l’eau, mais elle vient une ou deux fois par an – c’est comme les gros orages en mai et juin en Alsace – et pendant ces deux ou trois jours, il faut créer des capacités de stockage énormes permettant de légèrement écrêter les coups de colère du Lez ou de la Lironde. Ce sont ces grandes capacités de stockage que nous avons utilisées pour pérenniser cette agriculture avec ce système d’élevage et ce travail de constitution des limites, qui n’est pas une route, mais qui est un vrai travail de mise en scène à la fois du vide, d’un côté, et des opérations construites qui se font à l’arrière et de manière protégée. Voilà une autre image : ce sont des surfaces énormes dont on ne peut plus imaginer que ce soient des parcs. Cela n’a pas de sens de faire des parcs sur des centaines ou des milliers d’hectares. Il faut trouver les formes de collaboration entre le monde du rural et le monde de l’urbain. Et quelle belle image quand on a des vaches qui broutent à 50 mètres d’un immeuble ! C’est une image qu’on voit d’ailleurs dans toutes les revues, mais qui est très symbolique de cette proximité qu’on essaye de retrouver.
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la fabrication de l’agriculture transitionnelle a encore beaucoup de mal à émerger
il faut trouver les formes de collaboration entre le monde du rural et le monde de l’urbain
Le parc de Llobregat à Barcelone est un très bon exemple, que je fais souvent visiter. Il fait partie des parcs qui auraient pu disparaître : la pression foncière à Barcelone est tellement forte que ce territoire qui jouxte l’aéroport de Barcelone est ultra-convoité. Mais c’est une plaine alluvionnaire fertile qui a donné lieu à la création d’un parc agricole dont le terreau est extrêmement riche. On y fabrique des poulets labellisés « Parc de Llobregat » ; c’est une marque Barcelone qui se trouve à proximité de la ville dense. J’ai trouvé que c’était un bon exemple. Il est vrai qu’en termes de fréquentation, d’urbanité, d’aménité, ce parc n’est pas forcément exemplaire ; par contre, cette proximité entre agriculture et ville dense est une pure merveille. Je passe à un autre sujet. J’ai fait partie de l’une des dix équipes du Grand Paris qui ont eu le privilège de travailler durant un an sur une question qu’on ne nous reposera peut-être plus jamais : « Qu’est-ce que la ville post-Kyoto ? Comment la pense-t-on aujourd’hui ? » Cette question était plutôt destinée aux chercheurs. Et une question subsidiaire était : « Comment pourrait-on transposer cette vision de la ville postKyoto à la région parisienne ? » Le débat était très accaparé, encore une fois, par la question des infrastructures. Le grand vide de Christian Blanc a monopolisé quasiment toute l’attention, mais malgré tout, je pense que dans cette consultation ont émergé d’autres idées dans les dix équipes, et je voulais vous en montrer une sur laquelle j’ai plus particulièrement travaillé en essayant de voir si, à l’échelle humaine, il était possible d’intervenir sur le climat.
question climatique, il est difficile de bâtir un avenir sur la culpabilité
La question climatique, on nous la présente toujours d’une manière extrêmement culpabilisante : vous êtes tous des pécheurs ici parce qu’à un moment de la journée, vous allez émettre des gaz nocifs qui vont contribuer à réchauffer la planète. Mais sur la question climatique, je crois qu’il est difficile de bâtir un avenir sur la culpabilité. Donc, avec Météo France, nous avons cherché à travailler à une échelle sur laquelle nous avons rarement l’habitude de travailler : nous avons pris comme terrain de jeu la région Île-de-France en incluant les grandes forêts de Rambouillet et de Fontainebleau pour tester, avec leurs propres logiciels qui sont affinés, dans quelle mesure il serait possible, dans les périodes de grande canicule, de baisser la température à l’intérieur de la ville dense. Cette expérimentation, qui était purement une forme d’intuition, s’est avérée très intéressante. En travaillant sur le triptyque « couvert forestier, agriculture diversifiée et humidité », nous sommes arrivés, par des simulations de Météo France, à montrer à quel point la nuit – qui est une espèce de climatiseur qui ne fonctionne pas dans la journée – amène une circulation d’air frais. Quand il y a eu la grande canicule de 2003, la mortalité dans Paris était surtout élevée la nuit, parce que la ville ne se refroidissait plus. En combinant ce gigantesque climatiseur et ces trois paramètres « agriculture diversifiée, augmentation de l’humidité et augmentation du couvert forestier » avec une réduction des points chauds – qui font que la ville est une grande brique réfractaire qui emmagasine la chaleur le jour et la restitue la nuit –, donc en travaillant le jour sur le rafraîchissement par l’intérieur et la nuit par l’extérieur, nous avons réussi à démontrer que nous pouvions significativement baisser la température pendant les périodes critiques de grande chaleur.
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Du coup, je suis devenu le « moins 2 degrés » du Grand Paris. Météo France a continué à développer son logiciel, qu’il vend maintenant dans le monde entier ; cela a permis à quelques chercheurs de rentabiliser le travail qui a été fait. Ma recherche n’est pas simplement de trouver des situations permettant d’avoir une réponse environnementale à un problème qui nous pend au nez – dans trente ans, d’après les statistiques, Paris aura le climat de Cordoue, ce qui peut être une qualité, mais aura quelques conséquences –, mais ce qui est intéressant, c’est que nous travaillons sur cette idée qu’en fabriquant de nouveaux systèmes pouvant avoir de vraies répercussions sur le climat, indirectement, nous influons sur la manière de faire évoluer le dessin des villes elles-mêmes. Donc, le travail que nous avons fait sur Montpellier avec l’eau, nous l’avons un peu fait sur le Grand Paris avec le soleil et la chaleur. Je vais passer un peu plus vite sur les exemples qui suivent. Nous expérimentons aujourd’hui ce travail à toutes les échelles. Sur cette image, voilà une nouvelle opération de logements que nous développons à Besançon, dans ce rapport que j’ai expliqué tout à l’heure. Comme vous le voyez sur ces plans masse, nous ne sommes plus dans les plans hiérarchisés avec un axe, avec des îlots. Nous arrivons aujourd’hui à des situations dans lesquelles nous cherchons une imbrication très forte entre une agriculture préservée – et pour la préserver, il y a une masse critique sinon elle ne marche plus – et cette substance bâtie rouge que nous enchâssons dans ce territoire pour fabriquer ce que nous voyons à gauche en haut sur l’image, à Copenhague par exemple. Quelle merveille d’avoir ces logements ! Qui, aujourd’hui, voudrait habiter à la campagne dans un petit lotissement quand vous avez cette offre-là ? Mais cette offre n’existe nulle part à Strasbourg ; je ne l’ai pas trouvée lorsque j’ai cherché un logement. C’est de cela dont nous manquons le plus : c’est de retrouver dans cette ville périurbaine ces situations dans lesquelles nous avons un peu de densité, pas forcément une densité très forte, mais qui est totalement en phase avec le grand territoire. Sur l’image suivante, nous sommes dans une situation totalement paradoxale. C’est un autre projet que je fais avec Yves Lion, à qui je dédie la conférence de ce soir parce qu’il est très mal ; il est sorti d’affaire, mais il a quand même failli mourir la semaine dernière et cela a été un grand choc pour moi. Le dernier projet que nous avons fait ensemble est la cité des Bosquets à Clichy-Montfermeil, dans laquelle nous nous retrouvons dans une situation extrêmement symptomatique de l’état actuel de ce rapport ville-nature : d’un côté, vous avez un des pires grands ensembles de la région parisienne, relégué, inaccessible, sur un plateau totalement inamical, et à quelques mètres de là se trouve la forêt de Bondy classée Natura 2000, donc complètement sanctuarisée, et entre les deux, un grillage. C’est une situation qui, malheureusement, est peut-être extrême sur ce site-là, mais elle montre bien que le paysage est extrêmement régi par sa vocation à être protégé. Cette protection a fabriqué un corpus de lois et de règles qui font que ce que nous admirons aujourd’hui dans les villes, ce rapport entre Strasbourg et l’Ill par exemple, nous ne pourrions aujourd’hui plus jamais le construire en appliquant le PPRI (Plan de prévention des risques d’inondation). Comment sortir de cette situation ? Nous avions dit que nous pourrions faire glisser la cité des Bosquets dans
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nous cherchons une imbrication très forte entre une agriculture préservée et la substance bâtie
il faut que nous arrivions à déréglementer le paysage
le bois de Bondy et inversement – c’est un peu ce que nous avons essayé de faire à Rennes dans le projet réalisé avec Christian Devillers –, en prenant tous les équipements sportifs plus ou moins disséminés dans la cité des Bosquets et les enchâssant dans la forêt, et inversement, pour essayer de fabriquer cette relation intime. Mais c’est un sacrilège aujourd’hui de toucher à Natura 2000. Dans des situations urbaines aussi extrêmes – je le dis de manière un peu provocante –, il faut que nous arrivions à déréglementer le paysage. C’est un préalable pour arriver à reconstruire quelque chose qui soit basé sur des faits, des projets, et non sur cette espèce de regard en chien de faïence entre d’un côté ce qui est agressé et qu’il faut protéger, et de l’autre côté la ville qui, du coup, se sépare de ses éléments les plus intéressants.
le sens du paysage, c’est le sens de la mesure
formes très denses et très grands espaces vides : deux concepts qui marchent totalement ensemble
Cette géographie de projets que j’essaye d’appliquer peut prendre des dimensions tout à fait extraordinaires dans le dessin de ces paysages. C’est un métier nouveau pour moi, parce que nous travaillons le temps, et pas avec un objet que nous allons livrer dans les deux années qui viennent. Nous sommes sur une échelle de temps qui est celle de la planification, et dès que nous travaillons sur des concepts associant la question forestière et la question hydraulique, nous ne sommes plus du tout sur l’échelle de la livraison immédiate. C’est un peu pour cela d’ailleurs que j’ai choisi ce métier. Cela donne, comme ici sur cette image, le front de mer de Malmö que j’ai trouvé extrêmement intéressant dans sa conception. Quand je pense à la Côte d’Azur – avec qui nous travaillons beaucoup – et la façon dont on a massacré le rivage en se mettant même pas en bord de mer, mais carrément sur la mer ! Nice s’est déjà deux ou trois fois agrandi sur la mer. Du coup, ce qui faisait la force et la richesse de ce territoire est soit totalement privatisé pour quelques privilégiés, soit totalement laminé par cette trop grande proximité. Le sens du paysage, c’est le sens de la mesure. Malmö a eu cette chance d’avoir à reconstruire sa ville dans les dix à vingt dernières années, elle l’a fait de manière assez spectaculaire et nous voyons bien que ces préoccupations-là, aujourd’hui, sont très présentes. Voilà un projet parfait. Plus près de chez nous, nous retrouvons Francfort qui travaille beaucoup sur cette question de la densité. Ils le font à toutes les échelles. Nous avons aussi récemment travaillé sur une opération pour les Golden boys le long du Main. Cette question du rapport à la nature est méticuleusement planifiée, en créant par endroits de la très grande densité qui est compensée à d’autres endroits par de très grands vides. Avec cette alternance spectaculaire entre des formes très denses, qui fabriquent l’image de la ville contemporaine, et de très grands espaces vides, nous sommes là sur deux concepts qui marchent totalement ensemble pour fabriquer de la ville de très haute qualité. À une échelle un peu inférieure, nous retrouvons ensuite des phénomènes qui peuvent prolonger ce travail à grande échelle. J’aime beaucoup voir aujourd’hui ce qu’on peut faire. Simon Jund, qui est là, est un complice de toujours pour travailler sur ces questions entre aménagement et hydraulique : comment, avec l’eau et à des échelles beaucoup plus fines, arriver à fabriquer des images tout à fait nouvelles de la
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manière d’abriter des territoires, qu’on soit dans de l’habitat comme à Copenhague ou sur un site en renouvellement industriel à Lille ? Il ne faut pas oublier que c’est dur en ce moment, c’est triste, c’est compliqué, etc. Je comprends tout cela. J’ai beaucoup aimé le premier mandat de Gaudin à Marseille qui venait de récupérer la ville dans un état totalement délétère. Il était tellement déboussolé qu’il a commencé par faire la fête – je trouve que c’est d’ailleurs le meilleur mandat qu’il a fait. C’est-à-dire que pendant six ans, pour chaque quartier, chaque entité, il s’est dit qu’avant de commencer à entrer dans le vif du sujet qui a donné des projets tels qu’Euromed, il fallait commencer par festivaliser un peu le projet, chose très souvent pratiquée aussi en Allemagne. On se pose toujours la question de savoir comment faire participer les habitants – c’est la question que vous vous posez également dans l’élaboration d’un PLU –, et nous, nous pensons que les grands événements festifs peuvent y contribuer. L’année dernière par exemple, pour la commémoration des dix années du projet du Emscher Landschaftspark, l’autoroute entre Dortmund et Essen avait été bloquée pendant un dimanche et la population avait été invitée à venir faire un gigantesque pique-nique. J’ai envie de le faire aussi sur l’autoroute de contournement, peut-être un soir à six heures, pour faire un pique-nique et emmerder tous les gens qui nous engazent. Et nous allons faire la fête sur cette autoroute-là. Ces événements permettent spectaculairement de prendre conscience de la présence de ces éléments-là, de leur interaction avec la vie quotidienne, mais d’une façon pas morale. Ce que je déteste dans ce métier, ce sont les gens qui nous disent la bonne parole par la morale : il faut faire ceci, il ne faut pas faire cela… Je pense que ce n’est pas comme cela que nous arriverons à fabriquer un rêve collectif. Il faut le faire par la fête. Je voudrais terminer par Strasbourg. Strasbourg, c’est ma ville, et c’est toujours difficile de parler de sa ville. Quand on voyage beaucoup, on s’en détache un peu, mais il y a quand même quelques sujets qui me tiennent à cœur. Le premier – et cela va venir dans les prochaines années –, c’est le rendez-vous avec le Rhin. Nous avons vu sur la première image ce rapport distendu entre le Rhin et Strasbourg ; ce n’est pas un rapport très sain et très clair. D’ailleurs, beaucoup de touristes me demandent : « Il est où, le Rhin ? » Je suis incapable de le leur expliquer : « C’est là-bas. Vous allez vers l’Allemagne, vous tombez dessus », en m’excusant presque, tellement le chemin pour y arriver est terrifiant. Donc, le rendez-vous avec le Rhin, c’est maintenant, et pour Jacques Bigot et Roland Ries, c’est le rendez-vous qu’il ne faut pas rater. Ce rendez-vous commence par un premier acte qui est le lancement du tramway entre Strasbourg et Kehl, ce qui implique par rebonds successifs toute une série de décisions qui vont être extrêmement déterminantes pour la suite des projets sur cette façade rhénane. Le premier d’entre eux est cette question du nouveau pont qui va se construire pour faire la liaison tramway et cyclistes entre la ville de Kehl et Strasbourg. La situation est compliquée parce qu’il existe déjà deux ponts. D’une part, il y a le pont ferroviaire, qui a été récemment doublé. C’est un peu bête de l’avoir doublé sans le repenser ; personne ne s’est d’ailleurs aperçu qu’il a un peu changé d’échelle. Ce n’est pas si laid que cela, mais ce n’est pas non
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rendez-vous avec le Rhin
le premier acte de la reconquête du Rhin ne doit pas être perdu à cause d’une question infrastructurelle
plus un monument de génie civil très spectaculaire. Donc, nous avons raté une occasion. D’autre part, il y a le pont de l’Europe actuel, qui est un pont routier fatigué. Il faudra y réinvestir 7 ou 8 millions d’euros parce que c’est un pont en béton précontraint. Entre les deux, il faudra construire le pont du tramway. Cela nous paraît beaucoup, trois ponts à si peu de distance. Nous avons pris le pari que nous arriverions à faire un pont unique avec tramway et pont de l’Europe, mais pas en accolant le tramway contre le pont routier actuel : nous ne pouvons pas le faire, parce que la navigation nous impose une passe navigable beaucoup plus haute que le pont actuel. Ce qui est important, c’est que le premier acte de la reconquête du Rhin ne soit pas d’emblée presque perdu à cause d’une question infrastructurelle. Ensuite, concernant l’arrière de la skyline qui va se créer le long de cette rive, un concours vient d’être lancé récemment sur les plates-formes des deux côtés, sur lesquelles je pense qu’il y a un grand potentiel pour les renouveler d’une manière extrêmement mesurée, parce que je pense que ce genre de rapport crée plein de délires et de fantasmes. Je pense que Strasbourg est une ville mesurée qui trouve ce juste rapport entre la monumentalité nécessaire et l’essence même de la ville. Le premier sujet est donc le Rhin. L’exemple que je viens de prendre se trouve dans l’endroit le plus stratégique, mais cette question se joue sur toute la façade rhénane qui part du nord du port jusqu’au sud de l’agglomération.
l’eau : élément moteur du projet
Le deuxième rendez-vous est cette question des trames verte et bleue qu’évoquait le président tout à l’heure. À chaque fois qu’on fait un projet dans cette ville, on cherche un peu à faire en sorte que tous les grands espaces naturels existants dans cette agglomération – la forêt du Neudorf au sud, la forêt de la Robertsau au nord – se retrouvent reconnectés entre eux pour des questions liées à la biodiversité, mais aussi liées à des usages, des pratiques, à cette envie d’avoir des paysages de qualité à grande échelle. Donc, c’est une des préoccupations du schéma directeur Strasbourg-Kehl. C’est le croisement entre une logique urbaine est-ouest qui est le projet Strasbourg Étoile - gare de Kehl, mais qui croise une logique environnementale qui, elle, est nord-sud. Le thème suivant est la question des canaux. De l’eau, nous en avons à toutes les échelles et quelle que soit l’opportunité, dès qu’on se trouve au bord de l’eau, il faut la prendre comme un élément moteur du projet. C’est une illustration, une tentative malheureuse puisque nous avons perdu ce concours, de dire que puisqu’on est le long du canal du Rhône au Rhin, il faut fabriquer sur la rive sud d’Illkirch, quelque part entre le technopôle et la ville, un grand cheminement qui va du centre-ville au technopôle à travers une forme de rapport ville/eau qui se nourrit de l’eau du canal par la création d’une halte fluviale ; je pense que ce sujet, extrêmement populaire dans les villes à canaux, a un vrai avenir sur les canaux de l’Est, et nous avons essayé de le traduire de cette manière sur ce projet-là. Nous n’avons pas gagné, mais ce n’est pas grave. Nous retrouverons l’idée sur d’autres sujets.
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Ce travail, nous le faisons d’une manière assez récurrente sur les questions d’espaces publics situés le long de l’eau. Sur l’image que vous voyez ici, ce sont des espaces publics que nous avons créés au moment de l’extension du tramway vers la Robertsau avec le quai Bevin, une banale route redevenue un vrai lieu qui essaye de renouer avec cette eau si importante dans le quartier des institutions européennes : c’est un peu le lien entre ces grands bâtiments posés au petit bonheur la chance et qui, heureusement, ont cette matrice. Donc, il faut en prendre soin et, à chaque fois que nous le pouvons, il faut la mettre en scène. Nous avions essayé d’aller un peu plus loin, avec une perspective qui restera sans doute une perspective d’archive ; c’était un petit délire avec Christian Devillers d’imaginer que nous pourrions faire, à l’intérieur du quartier européen, quelque chose comme la place Saint-Marc qui s’inonde de temps en temps. Nous avions reculé la ligne au niveau du pont routier, puis nous avions décaissé toute la partie entre le Parlement et l’Institut des droits de l’homme, et nous avions simulé derrière cette place de nouveaux bâtiments puisque dans le quartier de l’Europe se crée grosso modo un bâtiment neuf tous les deux ans. Nous avions imaginé de fabriquer un lieu totalement inédit. C’était un peu prématuré, mais en tout cas, cela restera un dessin encadré dans mon bureau… Dans la périphérie strasbourgeoise, il y a beaucoup de gravières dont on ne fait rien aujourd’hui. Toutes ces gravières sont quand même des éléments formidables, et nous pourrions construire un projet autour de chacune d’entre elles. Au moment où nous avons travaillé sur l’arrivée du tramway à Illkirch, nous avons eu l’idée de raccrocher un petit lac, qui pour l’instant ne sert à personne, à la cité des Hirondelles. De plus en plus, le sujet n’est plus vraiment le tramway, mais la fabrication de lieux, de sites, et nous utilisons ces grands projets qui ont leur logique, leur financement, leur date d’inauguration, comme des éléments déclencheurs permettant de faire avancer plus rapidement cette question-là. Puis, nous cherchons à capter les lieux. Ici, vous voyez un dessin que nous avions fait avec une ancienne thésarde travaillant à l’agence sur cette question des continuités et des grandes ruptures. Les points rouges sur cette carte correspondent aux lieux tels que la place de Haguenau, qui sont extrêmement stratégiques pour comprendre ce système naturel strasbourgeois. Nous avons d’autres éléments. Nous parlions tout à l’heure de l’agriculture, mais elle est très diverse. Sa forme la plus basique est le jardin familial, qui est une invention absolument fabuleuse parce que j’ai constaté que les rapports ethniques difficiles dans les grands ensembles sont relativement faciles quand les gens sont dans les jardins. À chaque fois que je suis dans un lotissement de jardins familiaux, je vois qu’entre Africains, il n’y a aucun problème ; il y a tellement de graines à se partager et de choses à faire… Ce qui ne marche jamais sur un palier marche bien dans un jardin. Pourquoi avoir donné si peu de place à cet élément ? Il y a toujours trois à quatre mille personnes en liste d’attente dans la Communauté urbaine pour avoir un jardin familial. Pour l’instant, ces jardins ne se trouvent que là où on ne pouvait rien faire d’autre : dans les échangeurs, dans les zones inondables, sur des délaissés de ceci ou de cela. Cela ne coûte
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ce qui ne marche jamais sur un palier marche bien dans un jardin
pas cher de faire des jardins familiaux, de les mettre dans les cités et dans tous les lieux non cultivés. Voilà une première façon de faire de l’agriculture périurbaine qui est totalement plébiscitée par les gens. De plus, il y a une vraie tradition dans cette ville que l’on ne retrouve peutêtre pas partout en France. Cette image représente une des stations de tram à l’Elsau. Entre cette station et la cité, chaque mètre carré a été réutilisé pour faire des jardins, non pas à des kilomètres des habitants, mais au pied de chez eux. Et puis, si l’on monte un peu en échelle, cette carte fournie par l’ADEUS est très intéressante. Le trait noir représente la limite de la Communauté urbaine, et l’on voit bien qu’elle est un peu agricole sur son flanc ouest. Si nous prenions ce qui se trouve entre le trait noir et la limite des maisons comme un vrai projet avec un concours, avec une stimulation intellectuelle, nous pourrions faire sur le flanc ouest… Le flanc est est facile à régler : quand vous avez un fleuve qui borde une ville, il faut être vraiment très maladroit pour le rater. Là, c’est beaucoup plus subtil. Nous sommes encore dans cette situation de grignotage qu’il faut arrêter. Ce territoire-là ne peut pas se constituer dans des formes urbaines raisonnables si cette inversion du regard, comme je l’ai expliqué tout à l’heure pour Montpellier, n’est pas pensée comme un projet et non pas simplement comme une limitation de consommation de terrain. Cela ne suffit pas.
travailler simultanément sur des sujets qui ne se marient pas spontanément
Tout ce travail peut être associé à une autre façon de se déplacer ; il y a plein de choses qui vont ensemble. Lorsque nous avons travaillé sur le vélo – c’est quand même une grande spécificité de cette ville d’être leader du déplacement à vélo –, nous avons essayé de voir comment associer cette question d’un système qui a été plébiscité – à notre grande surprise, parce qu’il y a vingt ans, il n’y avait pas plus de vélos à Strasbourg qu’à Rennes. Pourquoi cela s’est-il développé ? Pourquoi ne pourrions-nous pas passer à l’étape suivante ? Par exemple, si vous habitez à Dingsheim, vous prenez le vélo pour aller à Strasbourg et vous croisez une forme de qualité agricole qui permet d’envisager d’élargir très largement le rayon d’action du vélo qu’on considère aujourd’hui encore comme un déplacement court. En Allemagne, ce n’est plus tellement vrai. En Hollande, ce n’est plus vrai depuis longtemps. Il est vrai que la Hollande est presque un parc dans le pays entier, puisque l’agriculture n’est plus qu’interstitielle ; du coup, quand on va d’un quartier ou d’une ville à l’autre, on a l’impression de se trouver dans ce grand parc agricole dont je rêve un peu ici… Nous essayons de travailler simultanément sur des sujets qui ne se marient pas forcément spontanément, dans l’idée qu’il y a des choses qui vont ensemble. De même, quand nous avons travaillé sur le système original de location de vélos développé à Strasbourg, le Vélhop, nous imaginions que les points de dépose et de récupération des vélos pourraient être des lieux fonctionnant avec les Amap : vélo et santé, vélo et agriculture biologique, tout cela marche quand même bien ensemble ; c’est la même famille, la même façon de voir le monde, et donc, il faut réunir toutes ces choses-là. C’est pour cela que je dis que finalement, le manque d’argent oblige à réfléchir, à faire des stratégies, à combiner des projets entre eux, et c’est comme cela que nous ferons un monde merveilleux.
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Nous avons à Strasbourg cette grande opportunité de faire ce travail-là. À l’ADEUS, cela fait vingt ans qu’on a développé cette idée des grandes coulées vertes. Mais la question est un peu comme celle de l’agriculture, c’est qu’on en est resté là. Ce sont toujours des zones inondables. Le jour où on ne les appellera plus des « zones inondables », mais par exemple des « grands parcs naturels »… Cela peut être une des ossatures les plus extraordinaires qu’on puisse donner à la Communauté urbaine, en faisant émerger ces concepts-là. Voici une dernière image. Toutes les taches rouges montrent les opérations de développement urbain dans la Communauté urbaine qui sont plus ou moins, voire carrément, dans les zones inondables. Une zone inondable est un concept assez large qui englobe aussi bien les remontées de nappe – qui n’empêchent pas de construire – que la submersion, que les milieux hydrophiles. Si nous croisons cette constellation rouge avec un vrai concept nature, je pense qu’avec ce mariage-là nous avons tous les éléments – et c’est sans doute un thème très intéressant à développer dans le PLU – pour essayer de fabriquer des paysages qui sont vraiment des manifestations d’une géographie très particulière. J’ai sans doute été très long pour témoigner de mes rêves de ce que pourraient être les trente prochaines années de l’urbanisme. Parfois, c’est très chiant ce métier, parce qu’on a un langage très ésotérique. J’ai essayé de montrer un autre visage. C’est quand même génial comme profession d’imaginer ce que nos enfants et nos arrière-petits-enfants vont vivre… Les décisions que nous prenons maintenant sont pour les générations suivantes et donc, pouvoir travailler là-dessus est quand même un des plus beaux métiers qui existent. Quand on arrive à en faire de beaux projets, cela intéresse beaucoup de monde ; j’ai été surpris des queues qu’il y a eu pendant l’exposition du Grand Paris, des queues qu’on a généralement pour un Picasso, jamais pour de l’urbanisme. Je pense que durant la période des « trente peu glorieuses », nous avons été obnubilés d’un côté par le hardware, les infras, et de l’autre côté par les bijoux de famille de l’architecture – ce que j’appelle les objets qui brillent. C’est avec cela que nous avons traversé ces trente années, ce qui a masqué de manière habile tout le désastre de la banlieue qui s’est créée en même temps. Si nous voulons lutter efficacement contre l’étalement urbain, si nous voulons fabriquer un mode de vie faisant que toute la ville – pas seulement le centre-ville – redevienne un élément plus attractif que la petite maison dans un lotissement à Vendenheim, alors il faut que nous arrivions à trouver très rapidement des outils pour mettre en œuvre l’inversion du regard. Je terminerai par un slogan que nous avons inventé. C’est le slogan de l’équipe Descartes pour le Grand Paris : « Ce qui serait extraordinaire, ce serait d’améliorer l’ordinaire. » Je vous remercie.
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trouver des outils pour mettre en œuvre l’inversion du regard
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
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L’un des nombreux sujets qui ont été abordés me plaît bien, c’est qu’il faut arriver, dans la mesure où les collectivités ont moins d’argent qu’il y a quelques années, à faire des projets peu chers, des projets à l’économie. Mais cela se heurte systématiquement à une série de problèmes. Le premier problème, c’est que l’élu qui a un pouvoir de décision, à un moment donné, veut pouvoir laisser sa marque. On ne laisse pas sa marque quand c’est un projet peu cher ; on la laisse quand c’est un projet grandiose et forcément onéreux. Par ailleurs, le projet fait appel aux techniciens de la voirie qui sont habitués par leur formation à faire du lourd, et non du léger. Ma question est donc : en dehors du bon concept, que proposez-vous pour faire passer l’idée ? Je me réfère à autre chose. Il y a une vingtaine d’années, quand le Plan vélo a commencé, un sondage demandait ce qu’en pensaient les élus et la population. Systématiquement, les élus refusaient le Plan vélo en disant « on n’en veut pas » et systématiquement, la population disait « si, on en veut », et il y avait un pourcentage très fort des deux. Là, il y a une espèce de dichotomie qu’on ne sait pas résoudre, et nous avons ce problème à Strasbourg, entre autres. Que proposez-vous pour aller au-delà d’une simple incantation, c’est-à-dire comment peut-on faire des projets économiques ? Comment séduire à travers des projets peu chers et qui ne bouleversent pas la ville ? » Alfred Peter
Aucune idée. On a essayé ensemble.
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comment séduire à travers des projets peu chers et qui ne bouleversent pas la ville ?
photo CUS
Marc Hoffsess, collaborateur de Jacques Bigot à la CUS
je crois beaucoup dans la démonstration des projets un à un
Je veux bien répondre. D’abord, Jean-Luc, tu sous-estimes le poids des adjoints et des vice-présidents aux finances : dans les équipes exécutives des collectivités, il y a des arguments qui peuvent bien marcher. Ceci dit, au-delà de la boutade, je crois que c’est la démonstration par la preuve. Nous ne sommes pas là à imaginer que les équipes d’élus vont d’emblée adhérer à la ville-nature, parce que nous adhérons tous intellectuellement sur tous les arguments qui ont été bons et nous sommes bien d’accord, mais il y a derrière… Moi, je crois beaucoup dans la démonstration des projets un à un. Nous en avons un par exemple, qui n’est peut-être pas très important, mais qui est bien dans cet esprit-là : c’est l’aménagement des berges du Ziegelwasser à Neudorf. C’est un petit aménagement de berges en espace public où la méthode d’élaboration a été le calcul du bilan carbone, le choix de matériaux économes en carbone, et nous nous sommes rendu compte, dans la conduite de ce projet avec les riverains, que l’aménagement coûtait effectivement moins cher, en laissant faire la nature, en mettant des prairies mellifères à la place de la pelouse, etc. Donc, l’enjeu, c’est bien d’aborder l’un après l’autre les projets et d’y instiller, avec les élus qui sont convaincus et qui ont la foi, ces types de méthodes et progressivement d’y arriver. La révolution verte, malheureusement, je ne pense pas… Ce serait trop facile de dire : « Voilà, on fait venir Alfred Peter, on met l’ensemble des élus dans la salle et on y va, puis on en sort tous convaincus. » Donc, il y a la démonstration par la preuve. C’est un élément de réponse. Peut-être que Françoise, qui est élue, pourra mieux répondre. Françoise Buffet, adjointe au Maire de Strasbourg, en charge notamment du développement durable et conseillère communautaire
l’inversion du regard existe déjà à Strasbourg
nous modifions l’agriculture
Je ne peux pas m’empêcher d’être tentée de vous répondre, parce qu’on ne peut qu’être tout à fait d’accord avec tout ce qui vient d’être exprimé sur ce nouveau rapport ville/nature. Mais l’inversion du regard, elle existe déjà à Strasbourg. Il est vrai que ces politiques ne coûtent pas forcément cher. Mais il faut savoir ce qu’on appelle nature. Est-ce que par exemple, au centre-ville, on pense plus à la prairie fleurie ou au gazon bien coupé toutes les semaines ? Aujourd’hui, il y a davantage de prairies fleuries que de beaux gazons. C’est déjà une inversion du regard. De la nature, il y en a. Si je pense à l’agriculture, un tiers du territoire de la CUS est agricole ; c’est une chance extraordinaire, parce que cela offre un potentiel agricole extrêmement important. Simplement, comme l’expliquait Alfred Peter, ce n’est pas une agriculture qui correspond à ce que nous appelons une nature vertueuse. Donc, c’est bien de modifier cette agriculture-là dont il s’agit aujourd’hui, mais ce qu’il faut retenir, c’est le potentiel. Nous modifions l’agriculture. Cela fait quand même deux ans que nous travaillons d’arrache-pied avec la Chambre d’agriculture, qu’il y a une convention de partenariat. Il y a quand même pas mal d’hectares aujourd’hui qui ont déjà été transformés, mais qui le remarque, qui le voit ? Tant qu’on ne l’a pas sous sa fenêtre et tant qu’on n’a pas modifié la marge de la ville, tant qu’on n’a pas créé ce rapport plus près, ce n’est pas visible. Pour l’instant, il y a des terres en maïs qui ont déjà évolué vers cette agriculture-là ; simplement, ce sont des parcelles éparses sur le territoire. Nous ne sommes pas encore assez à l’orée de la ville. Il y a quand même un projet très récent, celui de la Robertsau, puisqu’un terrain qui
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se trouve à vingt mètres des premières maisons est transformé hors maïs depuis un an ; on y a installé des vaches il y a un mois et demi et il y a eu deux naissances depuis deux semaines sur ce terrain. Ces choses ne sont peut-être pas très visibles aujourd’hui, mais c’est un travail de fond. Rennes a mis beaucoup d’années pour garder cette agriculture-là, pour constituer du foncier. Lille le fait. Nous le faisons aujourd’hui aussi. Mais c’est un long travail, parce que nous sommes quand même en face d’un monde d’agriculteurs qui a basé toute son économie sur un modèle agricole que nous ne souhaitons pas aujourd’hui. Ces agriculteurs en vivent et donc, il ne s’agit pas juste de changer le paysage. Cela implique non seulement de changer de modèle agricole, mais aussi de changer la profession agricole et d’attendre peutêtre qu’il y ait une relève avec d’autres agriculteurs. Bref, ce sont des politiques à long terme. Pour répondre brièvement à votre question, il est vrai que c’est moins visible que de construire un zénith, mais pour ma part, j’aime cette France-là parce que je suis convaincue que c’est l’enjeu essentiel. Recréer un lien à un territoire qui se manifeste par un lien à recréer avec la terre est une question absolument essentielle. Je la considère ainsi et je crois que nous sommes nombreux à la partager.
«
Je voudrais revenir sur les déplacements. J’ai eu l’occasion de lire récemment le projet de PDU ; j’ai noté qu’il y a presque une dizaine de projets routiers dans les années à venir. Je voulais savoir si c’est vraiment compatible avec ce que nous avons vu ce soir, par rapport à la nature en ville et à l’arrêt de l’étalement urbain ? »
Alfred Peter
Je ne connais pas assez le PDU pour voir à quels projets vous faites allusion, mais je voudrais quand même vous dire une chose importante. Je crois que le fait d’avoir pris un virage qui est clairement pro-transport public, pro-vélo, pro-marche à pied, pro-espace public ne doit pas non plus être vécu comme une espèce d’attitude totalement exclusive. Les routes rendent encore quelques services, et pendant un certain temps encore. Si nous étions dans le tout routier il y a vingt ou trente ans – et nous avons vu tous les dégâts que cela a fait – aujourd’hui, ce n’est pas l’heure de la revanche ; on ne dresse pas les uns contre les autres. Une société est fabriquée d’usagers qui ont un certain nombre de besoins. Donc, je dis toujours : soyons attentifs à ne pas faire les mêmes erreurs, à ne pas tomber dans les mêmes extrémismes que ce que l’ingénierie routière a fait pendant vingt ans. Essayons de bien doser, de bien équilibrer. La question de l’aménagement, c’est une question d’alchimie ; je le dis d’une manière un peu générique. Je ne sais pas de quels projets vous faites mention, mais je vois maintenant souvent que dans beaucoup de projets, on nous dit : « Allez, on arrache cela, on enlève cela. » Parfois, je suis presque à contre-emploi en disant : « Vous êtes vraiment sûr qu’il faille aller jusqu’à cet extrême ? » Je ne veux pas faire la même erreur que celle qu’a faite l’ingénierie routière il y a vingt ans, parce qu’il faut mettre le balancier dans une situation d’équilibre et pas dans une situation où l’on dresse une catégorie d’usagers contre les autres. Avec cela, on ne fait pas de société.
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CONFÉRENCE-DÉBAT D’ALFRED PETER
les projets routiers sont-ils compatibles avec la nature en ville et l’arrêt de l’étalement urbain ?
mettre le balancier dans une situation d’équilibre et ne pas dresser une catégorie d’usagers contre les autres
«
il y a un facteur qui manque : vous n’avez pas de carte où l’on mesure le bruit
Dans toute cette perception de la ville, je vois des questions de température, de qualité de l’air que l’on respire, mais il y a un facteur qui me manque : vous n’avez pas de carte où l’on mesure le bruit. Avoir un jardin familial à la Robertsau où il y a le silence, c’est génial, mais avoir un jardin familial entre deux autoroutes, c’est infernal. Comment pouvez-vous idéaliser des salades que l’on plante dans le bruit ? On ne va pas y aller la nuit pour avoir un peu d’idylle silencieuse ! Je ne sais pas si l’urbaniste a des oreilles, parce qu’il faut y vivre, il faut y être. C’est une critique, mais j’espère qu’elle vous réveille positivement sur le plan sonore. »
Alfred Peter
C’est une question qui n’a peut-être pas été développée explicitement dans mon exposé. C’est d’ailleurs une très bonne critique. Mais c’est une question qui est sous-jacente puisque à partir du moment où je cherche à détacher la substance bâtie des infrastructures, c’est bien pour retrouver une forme de qualité de vie dont le bruit est un des éléments essentiels. Françoise Buffet
il y a des directives qui nous imposent petit à petit de limiter ces bruits
nous créons des potagers en bas des immeubles
Juste une réponse très concrète : il y a une réglementation qui impose une carte du bruit. Elle existe sur la Communauté urbaine depuis près de deux ans. Alors, quand on dit qu’on a une carte du bruit, on n’a pas grand-chose. Nous avons surtout les éléments d’amélioration du confort et cela coûte en effet beaucoup d’argent. Mais il y a des directives qui nous imposent petit à petit de limiter ces bruits. Vous évoquiez les jardins familiaux. Bien sûr, la Robertsau est un paradis à côté du bord de l’A35. Ceci dit, tous les jardins sont occupés, il y a partout des listes d’attente. Malgré tout, ce n’est pas le but que nous poursuivons. Je voulais rebondir sur ce que disait Alfred Peter tout à l’heure : les premiers jardins en bas d’immeubles, nous allons les inaugurer au mois de juin. Nous appelons cela les potagers urbains. Là aussi, il y a de la nature, tout comme à Neudorf ou à Hautepierre. Il y a des espaces verts autour des immeubles, mais simplement, ce sont des zones engazonnées. Donc, nous les transformons et nous créons des potagers en bas des immeubles. Rien que la proximité est essentielle, c’est quand même beaucoup plus agréable. Et puis, on sort petit à petit des zones. Mais la difficulté aujourd’hui sur le foncier, c’est d’estimer qu’il est aussi important d’avoir un jardin familial – et donc éventuellement d’utiliser un terrain constructible – que de construire un bâtiment. La difficulté porte sur le prix du foncier en milieu urbain.
«
Je voudrais d’abord vous remercier pour cette présentation qui est absolument superbe, passionnante, convaincante et avec pas mal d’optimisme – il en faut certainement. Vous avez tout de suite commencé par l’Ill, en soulignant l’importance de l’eau dans la ville. Je ne suis pas d’accord avec ce que vous avez dit sur le fait que les Strasbourgeois ne regardent pas l’Ill ; on la regarde beaucoup, et pas seulement quand il y a les boues rouges qui y viennent et qui ne sont pas tellement polluantes, parce qu’en fait cela peut filtrer les micro-organismes d’autres polluants. Mais en dehors de cette période, elle ressemble le reste de l’année à un égout, à tel point que les joutes nautiques ont été
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supprimées. Il y a longtemps qu’on ne les fait plus parce que ceux qui tombaient dans l’eau en ressortaient avec des boutons. Avons-nous une chance, dans un avenir que nous pourrions encore vivre, pour que cela s’améliore ? » Alfred Peter
J’ai une réponse partielle, mais peut-être que Simon Jund qui est dans la salle peut répondre… Non, je ne le vois plus… Un des enjeux de ces grandes coulées vertes d’agglomération est probablement justement d’améliorer la qualité de l’eau, c’est-à-dire de trouver une espèce de filtre à l’échelle d’un territoire qui permette de trouver des réponses qui sont à l’échelle humaine, parce que purifier un fleuve, c’est une belle tâche. À l’échelle d’une agglomération, il faut utiliser ces questions environnementales comme des questions de constitution de territoire. C’est ce que nous avons fait à Montpellier avec ce qui est un problème purement d’écrêtage des orages. Toutes les coulées vertes d’une agglomération qui sont en amont de la ville peuvent servir à cela. L’image que je vous avais montrée sur EuraTechnologies, c’est très modeste, mais c’est une façon de traiter cette question d’épuration. À Munich par exemple, la rivière Isar, qui était extrêmement polluée, est redevenue une rivière dans laquelle on se baigne en pleine ville. D’ailleurs, c’est le plus grand centre de nudistes en Allemagne, en plein centre de Munich, sur les bancs de graviers de l’Isar. Nous n’en sommes peut-être pas encore là sur l’Ill, mais nous y arriverons, non ?
«
Je suis paysagiste et membre de la Fédération française du paysage en Rhône-Alpes. Le hasard me permet de passer à Strasbourg et de découvrir l’avancée que vous avez dans tous ces domaines. Je constate avec des confrères qu’actuellement, avec la crise, les collectivités ont tendance à choisir les équipes qui sont les plus pluridisciplinaires – vous avez évoqué l’eau, mais aussi les écologistes, etc. –, et tout cela sur les prix les plus bas, pour faire de l’intelligence et trouver les solutions les moins chères en réalisation. Cela demande de l’investissement en matière grise. Je ne connais pas la situation en Alsace, mais je n’ai pas l’impression qu’elle fasse exception. Est-ce que les équipes pluridisciplinaires sont une des pistes d’économie ? Est-ce que vous avez un bon espoir à nous apporter sur ces sujets ? Est-ce que la collectivité urbaine de Strasbourg investit en matière grise ou pas ? »
Alfred Peter
C’est un vrai sujet, mais je pense que ce n’est pas le lieu pour un débat ce soir. Pour l’instant, sur les projets de « prestige », la question des moyens n’existe pas, elle n’a jamais existé d’ailleurs. Vous faites allusion, sans vouloir être péjoratif, au tout-venant, le projet lambda qu’on fait au coin d’une rue, sur lequel on n’investit pas assez, ni ici, ni ailleurs, vous le savez très bien. C’est un vrai sujet, mais je pense que nous touchons à un autre domaine sur lequel je ne suis pas très à l’aise, et je pense que ce n’est pas le sujet de ce soir.
«
Moi aussi, j’ai trouvé cet exposé remarquable ; il portait vraiment sur l’agglomération. Je crois que le fil conducteur de votre exposé est bien une inversion de votre regard, mais à l’échelle de l’agglomération
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CONFÉRENCE-DÉBAT D’ALFRED PETER
avons-nous une chance pour que la qualité de l’eau de l’Ill s’améliore ?
un des enjeux de ces grandes coulées vertes d’agglomération est d’améliorer la qualité de l’eau
est-ce qu’on peut mener à la fois une approche de long terme à grande échelle et une approche à l’échelle de quartier ?
comment passer d’un grand territoire au dessin de la bordure au coin de la rue ?
plus qu’à des échelles réduites au niveau des quartiers. C’est comme cela que je l’ai ressenti et cela m’amène à vous demander : comment votre approche, qui à mon avis est une approche de long terme et à grande échelle, peut-elle être menée en même temps qu’une approche de moyen terme et à échelle plus réduite, qui consiste par exemple à utiliser au mieux les friches industrielles ou portuaires existantes, comme cela se fait en ce moment à Strasbourg ? En d’autres termes, est-ce qu’on peut mener à la fois une approche de long terme à grande échelle et une approche d’écoquartier, ne serait-ce que pour limiter l’étalement urbain ? Comment les deux sont-elles compatibles, et comment peut-on les mener en même temps ? » Alfred Peter
Je disais que c’est une des raisons pour lesquelles j’aime ce métier. C’est un métier dans lequel, quand je vais rentrer au bureau, je vais retrouver un mètre cube de mails urgents ou très urgents. Donc, nous sommes bien en train de fabriquer des choses qui sont dans le court terme, dans l’immédiateté ; nous ne sommes pas en train de rêver uniquement sur ce que pourra être dans un monde idéal une agglomération comme Strasbourg. Nous sommes dedans, nous travaillons dedans tous les jours. Nous faisons des projets concrets sur des questions qui sont contenues dans ce que je viens de vous exposer. Mais quand on fait de la planification, on ne peut pas faire une addition de court terme. Il faut bien, à un moment donné, arriver à dix, quinze ou vingt ans ; c’est long, cela fait quatre mandats d’élus, mais à l’échelle d’une ville, ce n’est rien du tout. Pour Jérusalem qui a quatre mille ans, quinze ans, c’est une goutte d’eau. Donc, il faut arriver à convaincre par des réponses immédiates à des problèmes immédiats. Si vous n’arrivez pas à faire cela, personne ne vous écoute. Si, dans cette réponse immédiate à des problèmes immédiats, vous arrivez à instituer des questions qui ouvrent d’autres questions, qui ellesmêmes ouvrent sur des stratégies de planification, vous êtes le roi du monde. Il faut travailler à toutes les échelles en même temps ; c’est une des grandes joies et difficultés du métier. L’échelle dans laquelle nous travaillons est : comment passer d’un grand territoire au dessin de la bordure au coin de la rue ? En même temps, il faut que temporellement, nous arrivions à donner autant de valeur et d’intérêt pour des questions comme le climat par exemple : ce sujet est un peu dans toutes les têtes aujourd’hui, mais on ne sait pas très bien si c’est du court, du moyen ou du long terme. Pour nous, c’est du très court terme, puisque nous réfléchissons quinze ou vingt années en avant. Les réponses que nous apportons actuellement sur le climat, si en plus elles sont coûteuses, on nous dit « oh là là, le climat, on verra plus tard ». Ce n’est pas le problème de l’escalier de secours dans le collège qui est en train de s’effondrer. Donc, il faut trouver ces leviers. C’est pour cela d’ailleurs, et je le dis de manière très détendue, qu’on a un peu détourné le tramway de sa fonction de transport – et qui l’est toujours, fort heureusement, mais il a été associé à l’idée que, puisque de toute façon on va faire de très grosses transformations dans l’agglomération pour installer un nouveau système de transport, pourquoi ne pas profiter de ce moment pour essayer de régler quelques problèmes au passage ?
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C’est comme cela que l’histoire a commencé, et entre les premiers mètres réalisés dans Hautepierre il y a vingt-cinq ans et aujourd’hui, quand nous dessinons pratiquement la ville en même temps que le tram, j’ai l’impression d’avoir fait la boucle du tramway. Nous sommes passés de cette idée de départ qui était d’arranger un peu la mobilité en ville à l’idée de fabriquer la ville des mobilités. C’est-à-dire que nous avons renversé l’histoire en disant que ce n’est pas le tramway qui est important ; il nous sert à faire quelque chose permettant de répondre à des questions qui sont justement des questions n’ayant pas de réponses immédiates.
arranger un peu la mobilité en ville et fabriquer la ville des mobilités
«
Je suis un peu surprise, parce que l’Alsace ou la France s’arrête toujours au niveau du Rhin, et on ne tient jamais compte de ce qui se passe de l’autre côté, sur l’autre rive. Or, pour l’aménagement, la pollution, l’eau, cela concerne les deux rives. Pourquoi est-ce que sur les cartes on ne tient jamais compte de ce que pensent nos voisins ? »
Alfred Peter
Si vous prenez la carte qui est derrière vous, cela vous dément un peu. Nous avons une petite vision transfrontalière, quand même. Vous êtes un peu de mauvaise foi avec toutes les cartes que nous avons présenté. Nous n’avons pas mis tout le Bade-Wurtemberg, mais quand même !
«
Oui, mais vous n’en avez jamais parlé. Il faut aussi considérer que l’environnement ne concerne pas seulement le côté ouest du Rhin, c’est aussi le côté est. »
Alfred Peter
Je suis ravi que vous disiez cela, parce que ce qui est intéressant dans une situation frontalière, c’est le changement de philosophie. Je prends un exemple : à Strasbourg, il est interdit d’infiltrer les eaux pluviales dans les aménagements d’espaces publics ; en Allemagne, c’est obligatoire. Or, en dessous, nous avons la même nappe phréatique, les mêmes sous-sols. Et je trouve que c’est justement très intéressant d’être à cheval sur ces deux cultures, parce que l’Allemagne nous a énormément apporté sur ces sujets environnementaux. Cela me gêne un peu de toujours présenter l’Allemagne comme ayant toujours raison, car ce n’est pas vrai : ils ont plein de défauts, les Allemands. Nous y travaillons et nous avons beaucoup de projets. Parfois, on dit que c’est un pays rationnel, mais il n’est pas rationnel du tout ! Donc, cette espèce de caricature constante « ils ont tout juste et nous tout faux et les Suisses c’est encore mieux », eh bien non, ce n’est pas cela.
«
Ce n’est pas une question de caricature, mais on est obligé de travailler ensemble. » Alfred Peter
Mais on le fait, et en plus, avec toutes les difficultés qui se présentent. Là, nous faisons le tramway transfrontalier. Il n’y a que deux cents mètres de rails côté allemand, mais toutes les procédures et toutes les manières de penser sont différentes. Avec ce genre de situation concrète, je mesure ô combien il est difficile de faire l’Europe sans faire la guerre.
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CONFÉRENCE-DÉBAT D’ALFRED PETER
ce qui est intéressant dans une situation frontalière, c’est le changement de philosophie
«
J’ai entendu ce soir parler de l’aménagement du Ziegelwasser. C’est un projet réussi grâce à l’intervention des citoyens qui se sont battus pour éviter qu’une route et un parking n’y soient projetés. Deux projets avaient été présentés par la Ville. J’y ai participé, j’ai laissé parler, puis je me suis levé en disant « non, il y a un troisième projet : pas de voiture, pas de route ». Actuellement, il y a un mini-parking et c’est tout. Ce n’est pas le projet de la Ville, mais celui des citoyens qui se sont défendus. Certes, les paysagistes doivent faire des projets, mais il ne faudrait pas mettre les gens au pied du mur. Et la réaction de la Ville a été justement : les citoyens demandent « pas de route », « pas de parking ». OK, cela a été fait, c’est déjà une réussite. La deuxième chose, M. Peter, est que vous avez parlé du Grand Paris. Vous avez parlé d’argent. Vous n’allez pas me dire que le Grand Paris ne va pas être payé par l’État français, puisque j’ai écouté le discours de M. Sarkozy. Ce n’est pas M. Sarkozy qui a parlé, c’est le président de la République française pour son Grand Paris, parce qu’il va être fait, et avec l’argent du contribuable. Au sujet du GCO, les aménageurs n’attendent que cela, que le GCO se fasse, parce qu’entre le GCO et la Ville, qu’est-ce qui se fera ? Une bonne et belle urbanisation. »
Alfred Peter
la festivalisation comme prémices à la concertation
Ce sont trois questions très polémiques, mais je pense qu’on peut répondre pour les trois d’une manière assez détendue. La première, c’est la question de l’implication des citoyens dans le processus de planification. Je crois que c’est quelque chose de très difficile à réaliser aujourd’hui, parce qu’on est souvent dans une situation de défense d’intérêts catégoriels et qu’on a beaucoup de mal à établir un dialogue. Tout à l’heure, j’avais émis l’idée de le faire par la festivalisation : faisons-le par ce que nous savons faire ensemble, c’est-à-dire la fête, et ensuite, nous arriverons progressivement à trouver un langage commun. C’est une piste qui permet peut-être d’associer ce que vous faites et je trouve que la participation est importante. C’est votre territoire, ce n’est pas le territoire des élus. Les élus sont vos élus. C’est une culture que nous n’avons pas en France. En Allemagne – j’en parle encore une fois très volontiers –, il y a une grande différence culturelle : la question de l’implication des citoyens est beaucoup plus institutionnalisée, ce qui fait d’ailleurs que nous, concepteurs, passons nos soirées avec des partis politiques, parce qu’il est inconcevable de présenter un projet dans un conseil municipal si tous les partis n’ont pas le même niveau d’information ; c’est épuisant pour nous, parce que nous passons beaucoup de temps sur chaque projet. C’est une très grande différence dans la façon de faire. Nous n’avons pas cette culture. Il faut que nous trouvions les moyens, les médiums, et ce ne sont pas les agences de communication qui nous permettront de trouver les moyens de redonner ce goût à concevoir ensemble. Ensuite, sur la question des routes, je vous ai déjà répondu. Encore une fois, je ne connais pas le cas particulier que vous citez. Je suis d’accord sur tout, mais pas pour passer d’un extrême à l’autre. Concernant le GCO, c’est une question qui est beaucoup plus large que ce que vous dites. Moi, je suis pour le GCO, je l’ai toujours dit, même si c’est à contre-courant. Je pense qu’il a trois vertus. La première, c’est qu’il est difficile de faire des leçons de morale quand on voit tous les matins
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le bouchon qui va jusqu’à Brumath nord, voire au-delà. La deuxième est que je travaille à installer une agence à Lyon, une ville qui va bien et qui se développe beaucoup ; elle en est à son quatrième périphérique qui est en cours d’achèvement. Toute ville qui se développe et qui veut construire son avenir a besoin d’un certain nombre d’infrastructures. La troisième raison, c’est que tant que nous n’aurons pas une alternative de grande capacité, nous n’arriverons jamais à retravailler de façon radicale sur l’autoroute de contournement actuelle. Toutes ces raisons font que – je vous le dis et je sais que vous n’êtes pas d’accord – j’assume ma position et j’en suis très fier.
toute ville qui se développe et qui veut construire son avenir a besoin d’un certain nombre d’infrastructures
Françoise Buffet
Sur le GCO, vous connaissez la position de la municipalité. Aujourd’hui, il va être remis en cause puisque la majorité a changé. Mais ce n’est pas parce que le projet est remis en cause que la question a disparu ; la question demeure. C’est en effet une réalité qu’il y ait des bouchons pendant une heure tous les matins et tous les soirs. Ce projet de contournement est peut-être tellement ancien qu’il est déjà obsolète, sachant qu’il n’a pas été construit. Nous aurions peut-être dû faire cela il y a vingt ou trente ans. Sur la question de la participation, aujourd’hui, la ville se co-construit, mais il y a un apprentissage, ne serait-ce que celui de l’écoute de l’autre. Pour assister de temps en temps à des conseils de quartier ou à des réunions publiques, je vois bien que c’est un apprentissage d’entendre l’autre et de l’écouter jusqu’à prendre le risque de modifier son propre jugement. Venir avec un jugement tout fait, c’est une chose, mais venir en se disant qu’on va prendre des informations et éventuellement modifier son jugement, tout le monde n’est pas toujours prêt à prendre ce risque. C’est un apprentissage, et je crois qu’à Strasbourg, on se donne les moyens de cet apprentissage, car il y a quand même une mise en route de la démocratie participative ; tous les projets aujourd’hui sont discutés en ateliers de projet, en ateliers urbains. La ville se co-construit. Il y a encore du chemin à faire, mais je crois que l’intention est là. Pour répondre à madame sur la question de la pollution, il est vrai que nous ne sommes pas en capacité de faire par exemple une carte sur la pollution de l’air côté allemand et côté français. Pourquoi ? Parce que la base des données n’est pas identique. Cela va bientôt arriver, puisqu’un projet européen va permettre aux collectivités d’uniformiser cette base de données. À partir d’une base de données unique, nous aurons des cartes semblables que nous pourrons vraiment comparer, et c’est à partir de là que nous pourrons construire un territoire plus vertueux, en tout cas pour ce qui concerne les pollutions atmosphériques puisque ce que nous partageons avec nos voisins, ce sont les sites industriels de part et d’autre du Rhin. Ce sont des questions qui sont aujourd’hui en discussion.
«
J’ai eu la chance de faire mes études d’architecture du paysage à Genève et je pense qu’en termes de PLU, ce qu’ils ont fait est relativement remarquable. Je crois que ce travail a été fait il y a environ une vingtaine d’années. La question que je voudrais poser s’adresse plutôt aux élus. Les plans, on arrive à les dessiner, mais après la mise en place de ces trames vertes et bleues, qu’est-ce qui protégera, législativement parlant, ces zones qui deviendront des corridors écologiques, en pas-
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c’est un apprentissage d’entendre l’autre et de l’écouter
qu’est-ce qui protégera, législativement parlant, les trames vertes et bleues ?
sant par les toitures végétalisées qui peuvent aussi être une réponse aux impulsions hydrauliques pour éviter les crues, alors qu’à Strasbourg j’ai peu vu ce genre de choses ? » Françoise Buffet
le vrai enjeu est de vivre ensemble et de s’intégrer dans cette biodiversité pour la respecter
Je ne crois pas tellement à la réglementation pour la protection. Je pense plutôt à la durabilité, c’est-à-dire au territoire qui se construit avec les habitants et tous les partenaires. La trame verte et bleue, c’est vrai que c’est une réglementation, mais ce n’est pas incompatible avec une agriculture durable et protectrice de l’environnement. La réglementation, la réserve naturelle, sont pour moi des visions un peu dépassées. Nous attendons avec impatience l’inscription des réserves naturelles du Neuhof et de la Robertsau, mais le vrai enjeu est de vivre ensemble et de s’intégrer dans cette biodiversité pour la respecter. L’enjeu n’est pas de dire « il faut protéger la biodiversité, mais loin de nous », mais de recréer l’interaction. Donc, la réglementation est pour moi dépassée aujourd’hui.
«
Je suis totalement d’accord avec vous. Je pense que j’ai peut-être mal posé ma question. Entre les schémas que nous voyons, les procédures législatives pour déclasser certaines zones cadastrales, la mise en concours et la construction de ces projets, les délais sont assez énormes. Avons-nous dans les procédures des choses qui permettraient d’accélérer les choses ? »
Jacqueline Tribillon
le partage de l’idée et du projet est la meilleure solution pour protéger ce projet
Je ne pense pas pouvoir vous répondre. Nous savons hélas que les projets sont de plus en plus longs du fait de la réglementation qui s’empile, qu’elle soit nationale ou européenne. Je suis chargée de piloter le PLU et personnellement, si nous pouvions nous éviter des règles, ce serait l’idéal, je suis d’accord avec vous. Le partage de l’idée et du projet est sans doute la meilleure solution pour protéger ce projet. Donc, la question de la concertation préalable avec les habitants est bien sûr fondamentale pour qu’ils partagent ce projet, que nous écoutions ce qu’ils veulent et que nous répondions à leurs attentes. On n’est pas obligé non plus d’avoir des habitants constructeurs ou dessinateurs, mais il faut écouter leur parole. L’idéal serait de ne pas avoir de règles ; or, on tombe de plus en plus dans des règles, dans le principe de précaution, etc. Nous sommes envahis de règles et en tant que planificateurs, nous sommes obligés de faire la part à toutes ces règles qui sont, tout comme en Suisse, assez importantes. Donc, nous en sommes à essayer de faire un projet partagé, mais à la fin, nous allons devoir quand même rentrer dans un cadre et dans des normes réglementaires. ■
VERS LA VILLE-NATURE : LA GÉOGRAPHIE AU SERVICE DU PROJET DE TERRITOIRE
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