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CONFÉRENCE-DÉBAT CENTRE ET PÉRIPHÉRIE : COMMENT CONSTRUIRE ENSEMBLE L’AGGLOMÉRATION DE DEMAIN ? MARTIN VANIER Strasbourg, amphithéâtre de l’INSA le 4 novembre 2011
Dans le cadre de l’élaboration du Plan local d’urbanisme communautaire de la Communauté urbaine de Strasbourg, le service Prospective et planification territoriale de la Communauté urbaine de Strasbourg a organisé, en collaboration avec Jean-Yves Chapuis consultant en stratégie urbaine, un cycle de conférences-débat à partir de novembre 2011. Ces rencontres ont eu pour double objectif de sensibiliser les habitants aux nouvelles dynamiques en matière d’aménagement du territoire et d’alimenter la réflexion des élus et des techniciens pour l’élaboration de ce document cadre de la planification urbaine. Animées par des spécialistes de renom, ces conférences-débat ont rencontré un incontestable succès public et font l’objet des présentes retranscriptions.
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OUVERTURE DE LA CONFÉRENCE PAR JACQUES BIGOT, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE STRASBOURG
Bonsoir mesdames et messieurs, chers collègues élus, habitants de l’agglomération, étudiants, soyez les bienvenus dans cette belle maison de l’INSA qui nous accueille ce soir. Cette conférence se situe dans le cadre des réflexions que nous devons avoir sur l’installation d’un PLU communautaire. Nous n’avions pas prévu cela ; c’est la loi Grenelle II qui impose dorénavant d’avoir un plan local d’urbanisme unique sur l’ensemble de la communauté urbaine. Depuis sa création en 1966, la Communauté urbaine a la compétence de l’urbanisme, mais nous avions une pratique disant que dans le cadre de projets d’agglomération déjà partagés et élaborés, chaque commune détermine son destin. Mais voilà, la loi dit dorénavant que nous devons faire un PLU communautaire. Donc, nous n’avons plus, au Conseil de communauté, à approuver un plan local d’urbanisme commune par commune, mais à faire un plan local d’urbanisme unique sur l’ensemble de la communauté urbaine. Ce n’est pas aberrant dans la mesure où, effectivement, il faut avoir un projet sur l’ensemble de l’agglomération ; si une Communauté urbaine existe, elle doit avoir un sens et une vision globale de son développement. Cette vision globale ne doit bien évidemment pas empêcher d’avoir ce qui a été fait à Lyon, c’est-à-dire des cahiers communaux où chaque commune peut décliner son destin territorial. Mais ceci arrête les travaux qui étaient entrepris à Fegersheim, à Strasbourg, dans d’autres communes sur leur PLU, et nous sommes obligés de reprendre le document à la base pour créer notre Projet d’aménagement et de développement durable et pour faire ensuite l’élaboration de ce PLU. Nous devrons donc travailler tous ensemble et réfléchir au destin que nous voulons donner à la communauté urbaine. « Strasbourg, métropole ». Métropole : que signifie ce mot ? Pour les géographes, est-ce simplement ce que la loi du 16 décembre 2010 dit, c’est-à-dire des structures communautaires plus intégrées, qui auraient les compétences du département ? Certainement pas. Géographiquement, on sait que les métropoles, aujourd’hui, sont des conurbations très importantes de plusieurs millions d’habitants ; c’est ce qui se passe un peu partout dans les grandes métropoles européennes. Strasbourg a pourtant une vocation métropolitaine
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qu’elle peut partager avec d’autres, notamment avec Mulhouse dans le cadre d’un pôle métropolitain, où nous pouvons créer des synergies communes sur le développement économique, sur le soutien aux universités, etc. En même temps, nous devons être un territoire de vie pour nos habitants, avec les quartiers de Strasbourg, les quartiers de nos communes, nos communes elles-mêmes. Les lieux d’habitation ne sont pas forcément des lieux de vie uniques, parce que nous habitons à tel endroit et que nous travaillons ailleurs, et que nous savons que notre développement sera lié à notre capacité d’accueillir de nouveaux habitants. Il n’y a pas de développement sans développement démographique, et il est aussi lié à notre capacité d’accueillir des entreprises, et donc d’avoir du terrain pour elles. En même temps, notre développement suppose aussi de ne pas oublier que nous avons des espaces de nature à protéger, que nous avons aussi une agriculture sur la communauté urbaine qui est non seulement une activité économique, mais aussi une activité qui participe de notre environnement et de l’aménagement de notre territoire. Ce sont tous ces sujets que nous serons amenés à évoquer dans la construction du PLU communautaire. Premier sujet, celui qui traverse la communauté urbaine depuis sa création : comment pouvons-nous avoir un projet de territoire commun entre le centre et sa périphérie ? Doit-il y avoir une dissociation entre les deux, y a-t-il une complémentarité, comment la construire ? C’est peut-être pour les élus plus compliqué que ça ne l’est pour les habitants, qui vivent dans le centre de l’agglomération et qui ont choisi d’habiter à la périphérie. Inversement, comment peut-on se déplacer, se mouvoir ? N’y a-t-il de place que pour la voiture ? Peuton faire tous les déplacements à vélo ou à pied ? Comment développer les transports en commun ? Nous n’allons pas tout réinventer ; nous avons déjà travaillé sur les projets d’agglomération, adopté une feuille de route de développement économique, adopté un schéma de développement des transports à l’horizon 2025, adopté dès 2009 un programme local de l’habitat parce que nous étions en retard sur ce point. Maintenant, nous devons essayer d’avoir une vision plus large et plus visionnaire sur notre projet de développement, et en même temps inscrire le détail dans ce que nous appellerons les cahiers communaux. C’est cela, l’enjeu du PLU communautaire. Cette conférence avec Martin Vanier nous éclairera sur les visions de développement du territoire. Je le remercie d’avoir accepté de venir à Strasbourg pour nous éclairer et nous permettre d’avoir un débat fructueux, qui sera l’un des premiers débats de cette concertation nécessaire sur le PLU communautaire. Je vous convie aussi à venir au centre administratif de la ville de Strasbourg et de la Communauté urbaine pour voir l’exposition qui pose bien les enjeux de ce PLU, et qui sera retracée dans les différentes communes de la Communauté urbaine. Je vous convie d’ores et déjà à la conférence de Jacques Donzelot du 1er décembre prochain, et je convie les élus à participer à un séminaire de travail le 19 novembre pour avoir les axes stratégiques de notre PLU communautaire. Je vous invite enfin à faire partie de la communauté des curieux, en donnant votre opinion et en
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débattant sur Facebook – il faut savoir être moderne dans une vision d’agglomération, et ces outils nouveaux de communication doivent aussi être utilisés. J’introduis notre conférencier et consultant Jean-Yves Chapuis, qui a su développer en tant qu’élu à la communauté d’agglomération de Rennes une véritable stratégie d’agglomération sur la ville archipel. Ville archipel ou ville polycentrique ? À Strasbourg, c’est un peu moins évident : c’est une ville centre marquant fortement la communauté urbaine, avec des communes se retrouvant dans ce que certains appellent la première, puis la seconde couronne, la troisième étant dans le territoire du Scoters ou au-delà. Mais si je développe les couronnes, certains diront que je vais même mettre Mulhouse dans la couronne de Strasbourg… Rassurez-vous, les Mulhousiens savent que c’est Strasbourg qui sera dans la couronne mulhousienne, mais peut-être que deux couronnes ensemble font un grand royaume. Merci.
Jean-Yves Chapuis
Je vais rapidement vous présenter Martin Vanier, géographe professeur d’université et consultant, qui est venu nous parler de la ville. La ville change et évolue : ce n’est plus uniquement la ville dense, la ville du centre de l’agglomération, mais cela va bien au-delà. On emploie souvent les mots centre et périphérie, qui ne sont pas des mots très agréables ni très positifs ; Martin Vanier, par le travail qu’il a fait pour la DATAR sur la périurbanisation, en parlera d’une façon beaucoup plus positive et dynamique. Vous allez avoir une conférence de très grande qualité qui est plus qu’une conférence, car il a un vrai talent ; je dirais que c’est presque un spectacle, dans le sens culturel du terme. Nous mettons la barre très haut, mais il est tout à fait capable d’y répondre très bien. Je lui passe la parole.
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AVANT PROPOS
Martin Vanier est géographe, professeur à l’Institut de géographie alpine de l’Université Joseph-Fourier de Grenoble et directeur d’études au sein de la coopérative conseil ACADIE basée à Paris. Depuis une quinzaine d’années, il a notamment développé ses recherches sur le processus de métropolisation et ses mutations territoriales associées. Étudiant en particulier les marges du cœur des grandes métropoles, il tente de dresser le portrait d’un futur réaliste mais optimiste des territoires périurbains français. Ancien élu, il s’interroge également sur la recomposition des cadres et des modes de l’action aménagiste en France et en Europe. Martin Vanier est chercheur au laboratoire PACTE (Politiques publiques, action politique, territoires) du CNRS qu’il a dirigé lors de sa création. Il est également membre du conseil scientifique de l’Institut des hautes études de l’aménagement des territoires en Europe (IHEDATE) et responsable scientifique de la démarche de prospective « Territoire 2040 » de la DATAR.
INTERVENTION DE MARTIN VANIER J’aime bien la surprise qui consiste à être invité dans un endroit que je ne connais quasiment pas, à parler sur le fond d’un chantier dont je ne sais rien, qui est le PLUC (Plan local d’urbanisme communautaire). Vous l’avez échappé belle, à une voyelle près… J’ai entendu récemment à la radio l’histoire d’une dame de 83 ans, taxi de métier dans une petite ville en France, qui jouait le rôle social fondamental d’assurer la mobilité pour les personnes dépendantes. Il s’avère qu’elle a eu quelques ennuis avec la justice parce qu’en fait, elle roulait sans permis depuis dix ans. Cela m’a fait penser à la Communauté urbaine de Strasbourg qui roule depuis presque quarante ans sans exercer sa première compétence obligatoire, à savoir avoir un vrai Plan local d’urbanisme communautaire. C’est un peu comme la grand-mère qui roule sans permis : vous avez une Communauté urbaine qui fait très bien son travail, mais sans plus – en tout cas, sans PLU communautaire. J’aime bien les surprises, et du coup, ça m’a amené à cette position surprenante de considérer l’Alsace – de loin, on a des représentations géographiques très finies sur l’Alsace : une région sérieuse, efficace – en avance, et qui sur ce sujet-là était finalement assez proche de choses que je connais à Marseille, à Toulon ou dans quelques agglomérations méridionales, qui ont mis trente ans à rattraper l’histoire intercommunale. J’aime bien cette surprise de la situation dans laquelle vous êtes mainte-
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nant : vous venez de signer le premier pôle métropolitain et peut-être que ça n’ébranle pas votre vie personnelle, mais c’est considéré un peu partout en France comme une forte avancée ; c’est même un bipôle, donc c’est une forme très courageuse. Et vous l’avez fait sans pour autant vous appuyer sur une véritable communauté stratégique. Il y a une communauté et j’ose dire, après avoir vaguement regardé et discuté à gauche et à droite, qu’elle ne brille pas par son affirmation stratégique. Ce n’est pas très grave et ça ne l’empêche pas d’être la première à signer un pôle métropolitain. Je me suis dit que c’est une sorte de cas de sublimation ; en physique, la sublimation, c’est quand il y a un passage direct de l’état solide à l’état gazeux. Vous êtes passés directement de l’état solide – la commune, c’est du solide – à l’état gazeux – les pôles métropolitains. Vous avez passé peut-être l’étape de l’état liquide : l’état liquide, c’est la communauté d’agglomération, qui exerce le maximum de son pouvoir et de son autorité. Cet état liquide est sans doute à prendre au sérieux, parce que précisément, nous sommes dans une société très liquide, très mobile, et il y aurait intérêt à construire l’état politique, la condition ou la situation politique qui va avec cette liquidité. Et puis j’aime bien la surprise qui consiste à me faire discourir sur cette équation élémentaire à la base de la géographie urbaine, où on apprend à tous les étudiants de première année que centre + périphérie = agglomération. Faut-il vraiment poser la question puisque a priori, c’est l’équation constitutive de l’agglomération, et qu’il n’y a pas beaucoup d’inconnues ? Là ou ailleurs, dans d’autres circonstances de débat, nous sommes interpellés pour discuter des systèmes métropolitains élargis. Pour ce qui vous concerne, quelque chose tendrait à débattre plutôt de la configuration Strasbourg-Mulhouse-Bâle-Karlsruhe ou du concept des régions hybrides, c’est-à-dire celles où sont posés aujourd’hui les enjeux d’un « naturbanisme » – d’un urbanisme de la nature –, en même temps qu’elles sont capables d’inscrire la position des campagnes urbaines dans les problèmes de l’agglomération et, d’une façon générale, appelées à discourir de ce qu’on appelle les assemblages interterritoriaux. Et me voilà ramené à cette belle question scientifique des années 60 à 70 : l’agglomération, un objet politique des années 90 que vous avez anticipé puisqu’on vous a obligé à la faire en 1967. J’aime les surprises, et en même temps j’essaye de ne pas être trop naïf. Il faut se méfier des grands-mères hors-la-loi et s’il y a, à la CUS, une dimension « Ma Dalton », c’est-à-dire celle qui ruse avec le cadre, il faudrait qu’on soit d’accord sur qui sont les fils, s’il y a un Rantanplan, et éventuellement qui joue le rôle du poor lonesome cowboy. Il faut se méfier aussi des situations paradoxales. Cette terre d’expérimentation – je continue à croire que c’en est une – est-elle si en retard que cela, ou n’est-elle pas en train de trouver une autre solution, paradoxale donc ? Il faut se méfier des trous noirs : qu’est-ce qu’il y a là où on ne voit rien ? C’est une grande question de cosmologie, et c’est précisément là qu’il faut regarder.
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Faut-il vraiment faire ici une pédagogie de l’agglomération ?
le fait métropolitain, qui n’en est pas encore convaincu ?
Je me méfie un peu, parce que j’ai peur qu’on me prenne pour le professeur Explique-nous tout. Faut-il faire une démonstration du fait métropolitain ? Le fait métropolitain, qui n’en est pas encore convaincu ? Que l’on ait des réticences sociopolitiques à son égard est une chose, mais précisément, si on est réticent, c’est que ça existe. Faut-il vraiment un mode d’emploi du construire ensemble, et à l’usage de qui ? Je pense que vos élus savent faire beaucoup de choses ensemble, ils l’ont démontré ainsi que, au-delà d’eux, d’autres systèmes d’acteurs. Je vais plutôt poser trois grandes questions qui me semblent loin d’être spécifiquement strasbourgeoises et doivent vous mettre à l’aise après cette introduction dérangeante. Ces trois questions sont également posées à Lyon, à Lille, à Bordeaux, à Rennes, autant d’agglomérations qui sont peut-être en avance dans le chantier communautaire où sous certains aspects, les étapes stratégiques sont plus poussées, mais où il reste pourtant encore beaucoup de grain à moudre sur les trois sujets que voilà.
La première question est formulée de la façon suivante : qu’est-ce qu’une ville centre ?
qu’est-ce qui, dans la ville centre, est intéressant, qu’elle n’a pas et qui est chez les autres ?
A fortiori, lorsqu’elle est le précipité de deux millénaires d’histoire – donc quand sa position de ville centre est historiquement avérée, prouvée, vécue, conquise –, qu’est-ce que cette ville centre, dans toute son autorité et sa puissance, peut et doit construire avec ses périphéries, lesquelles inversement sont si jeunes et si inachevées au plan urbain, (même si elles peuvent être aussi âgées que la ville centre, mais sous d’autres registres tels que la ruralité, l’agriculture, la forêt, etc.) ? Qu’estce qu’une ville centre peut et doit construire avec ses périphéries qui contribuent à ce qui l’intéresse en tant que ville centre, à savoir la construction de son avantage urbain ? Ce qui l’intéresse, la ville, est d’être une ville au regard des autres et sans doute, dans l’histoire économique, sociale, culturelle et politique, de l’être de la façon la plus ambitieuse qui soit, qu’elle devienne ainsi une métropole. Qu’est-ce qui, pour une ville centre, doit être construit avec ses périphéries pour atteindre cet objectif dont elle est la porteuse, à savoir renforcer et épanouir l’avantage urbain dont elle est dépositaire ? Autrement dit, qu’est-ce qui, dans la ville centre, est intéressant, qu’elle n’a pas et qui est chez les autres ?
Deuxième question : inversement, qu’est-ce que ces fameuses périphéries – le terme me gêne et je vais essayer de l’oublier au fur et à mesure – pourraient bien projeter pour ne plus être désignées uniquement sous ce terme relativement méprisant dans la mesure où, si on est à la périphérie, on n’est pas le centre, on n’est pas au cœur, c’est qu’on est tout le contraire ? Qu’est-ce que je peux projeter pour ne plus être périphérie ? Je peux projeter le fantasme selon lequel je ne suis pas dans le système métropolitain. Et je peux affirmer et cultiver cette identité dans laquelle je prétends me soustraire à ce qui est pourtant là et qui arrive dans tous les sens du terme – les habitants arrivent, les flux traversent, etc. –, non pas
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par réfutation, mais par affirmation d’un autre rôle, par changement d’étiquette et de paradigme, par la réfutation du paradigme de la périphérie et l’invention d’une autre posture, d’une autre stature, d’une autre histoire qu’il faut inventer puisque, comme je le disais tout à l’heure, l’histoire au plan urbain est ici tout à fait inachevée. Cette question-là est beaucoup plus plurielle que la première qui désignait un acteur, la ville centre. Ici, c’est la périphérie, mais en fait, la périphérie n’existe pas. C’est comme les élus : c’est un pluriel sympathique, mais derrière, il y a du monde. Les périphéries sont aussi nombreuses qu’il y a de positions dans le système métropolitain. Est-ce que vous vous rendez service, à Strasbourg, en parlant de couronne ? Je vois que c’est le terme le plus communément utilisé : première, deuxième, troisième couronne. Quand je regarde la carte, on ne les voit pas très bien. Avez-vous raison de tenter de construire cette alternative au paradigme de la périphérie par les couronnes, ces trucs qui sont autour ? Ne serait-il pas nécessaire de varier les terminologies pour désigner ces communes, de sorte que de Schiltigheim à Blaesheim – deux périphéries dont l’une est trente fois plus dense que l’autre, donc pas grand-chose à voir –, l’on puisse se raconter le fait périphérique autrement ? C’est une question dont les réponses seront plurielles et non pas uniques. Ces fameuses périphéries pourraient-elles inventer autre chose pour que, dans le système métropolitain, elles se disent autrement ?
Troisième question, qui est une question politique sous-jacente à tout cela : qu’est-ce que la commune doit et peut représenter, en tant que collectivité politique, dans cette autre collectivité politique qu’est la communauté ? Ce sont deux collectivités politiques qui revendiquent la même fonction, celle de porter l’intérêt général dans un espace urbain. Que peut-on faire pour que cette double représentation trouve les modalités de sa coexistence ? La réponse n’est pas unique comme pour la première question ou plurielle comme pour la deuxième, mais elle est vraisemblablement très spécifique, et ce qui vaudra à Strasbourg sera sans doute tout à fait différent de ce qui vaut à Lyon ou à Rennes, avec déjà, à Strasbourg, des choses faisant partie des surprises que j’ai évoquées tout à l’heure. Par exemple, vous êtes une des rares communautés urbaines où la ville centre a su faire en sorte que sa représentation au conseil communautaire soit proportionnelle aux populations, ce qui est quand même la base de la démocratie. Cela veut dire que Strasbourg a la majorité au conseil communautaire, c’est assez rare et il y a beaucoup de villes centres qui, pour parvenir à faire progresser la communauté dont elles sont le cœur, doivent atténuer leur représentation politique et peser moins lourd dans le conseil communautaire pour laisser de la place à leur périphérie. À Strasbourg, ça n’a pas eu lieu, et pour autant, le paradoxe est que cette présidence est actuellement assumée par un autre maire. Un paradoxe qui doit nous mettre sur la piste de ce qu’on peut faire de cette double représentation.
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les périphéries sont aussi nombreuses qu’il y a de positions dans le système métropolitain
Pour répondre à la question titre, je la reformule de trois façons : 1 Quel est l’intérêt du centre à construire ensemble l’agglomération ? Si on ne le dit pas, il n’y a pas de raison que la ville centre sorte des efforts qui sont déjà conséquents pour cultiver, exprimer, épanouir sa propre stratégie. 2 Quel est l’intérêt des périphéries à construire ensemble l’agglomération ? Si on ne le dit pas, on ne voit pas pourquoi les périphéries devraient forcément construire une agglomération, d’autant que celleci leur dit qu’elles sont des marges, des extrémités, des reliquats, etc. 3 Quel est l’intérêt des communes à construire une agglomération, dès lors qu’elle signifie un nouveau pouvoir politique qui vient les contester, ou du moins leur demander de bien vouloir partager le pouvoir ? Il s’agit de répondre à ces trois points puisque apparemment, ici, la question n’est pas résolue et qu’elle fait encore des débats de fond.
des sujets dont la ville centre n’a pas la clé : l’acceptabilité environnementale globale, la qualité de l’air de l’agglomération…
1 Qu’est-ce qui peut faire contribution à l’avantage urbain et qui n’est pas dans la ville centre, dont elle n’est pas dépositaire, alors qu’elle avait l’habitude de construire les ingrédients de l’avantage urbain sur son propre territoire, parmi sa propre population, avec ses propres élites ? Ces fonctions de commandement qui font la ville politique, symbolique, culturelle, économique, ces fonctions de rassemblement festif, culturel, cultuel, consumériste, citoyen, constituent les preuves de l’avantage urbain. Qu’est-ce qui est venu changer cette forme de monopole de l’avantage urbain par la ville centre et qui l’invite aujourd’hui à aller construire en dehors d’elle, alors que de nombreux chantiers prouvent, parce qu’elle a un potentiel de mutation et de renouvellement, qu’elle a encore beaucoup à faire pour cultiver son avantage urbain ? C’est d’ailleurs ce que vous faites à Strasbourg avec pas mal de réussite, en travaillant au renouvellement urbain et à des solutions de mutation des quartiers. Et puis soudain arrivent des sujets dont la ville centre n’a pas la clé, dont elle ne sera pas le réceptacle de la solution. Le premier sujet est l’acceptabilité environnementale globale, la qualité de l’air de l’agglomération : ce n’est pas la ville centre qui en est dépositaire, et ce n’est pas sa politique à elle seule qui va donner des réponses aux habitants sur la qualité de l’air et les effets climatiques. Nous savons maintenant, par les gaz à effet de serre, que les deux sujets sont liés et, d’une façon générale, notre rapport aux ressources et à l’énergie. La fluidité des accès urbains à toutes les vitesses, ça n’est plus la ville centre qui en est exclusivement dépositaire. Si ça bouchonne loin d’elle, si l’embolie est en première, deuxième ou troisième couronne, si le nœud est sur un réseau en dehors du territoire communal, malheureusement, les fonctions mêmes de la ville centre sont déstabilisées et fragilisées, et tout le système dont elle est le noyau dur est ainsi invalidé. La question de la fluidité, qui est absolument essentielle dans la vie de la société mobile, est éminemment partagée. Le sujet de la diversité est une énorme question. La ville a toujours été l’espace de toutes les diversités : de compétences, de métiers, d’entreprises, démographiques, de pratiques, et d’autres encore, y compris celle qui peuvent faire débat : des diversités nationales, linguistiques, ethniques, etc. Ces diversités-là, de toute évidence et pour s’en tenir aux
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premières que j’ai citées, la ville centre ne peut plus en être l’unique dépositaire et sa diversité, indispensable à son avantage urbain, il faut qu’elle la construise avec les autres. En résumé, il y a, sur ces trois sujets – l’acceptabilité environnementale, la fluidité des accès et la diversité en tout – des choses qui sont indispensables pour la ville centre, qui ne se fabriquent plus par elle seule et pour lesquelles elle ne peut plus continuer à compter sur ses propres forces. Ce qui se résume en une phrase, un peu lapidaire sans doute : une cité sans périphérie, dans ces conditions, sera demain de l’urbain mort. Pourtant, la périphérie n’était pas jusqu’à présent ce qui honorait la cité, c’était plutôt son pain noir, son fardeau. Ces rendez-vous de la fluidité et de la diversité se trouvent maintenant au-delà de la cité ou de la ville centre. L’urbain mort, cela peut être par exemple la ville centre muséifiée, et on en connaît pas mal en France, en Europe et dans le monde ; c’est un très bel urbain mort, un espace musée, un espace restauré et figé, qui est en somme le spectacle de la ville passée, mais qui n’est plus la ville. La vie urbaine se passe en dehors, en général. Cela peut être aussi – autre version très vivante et économiquement efficace, mais morte urbanistiquement parlant – le quartier spécialisé, d’affaires, de bureaux, dont on sait le caractère très limité du point de vue des rythmes urbains. Autre version de l’urbain mort : l’espace socialement marginalisé, ce renversement que connaissent pas mal de villes dans le monde, par lequel la ville centre devient l’espace de la relégation et la périphérie l’espace du développement économique, des nouveaux équipements et de la vie en société. Une cité incapable de fabriquer des accords avec ses périphéries s’expose à quelques-unes de ces figures, et elles sont d’autant plus à prendre au sérieux qu’elles sont déjà au travail dans beaucoup de villes – peut-être pas pour la totalité de la ville centre, fort heureusement pour elle, mais pour certaines de ses fractions. Il y a donc le paradoxe suivant, pour finir avec cette première question : pour l’urbain du XXIe siècle, on a besoin de toute la profondeur du territoire avec lequel la ville est en quelque sorte coextensive. La ville est à la dimension de son territoire. Je terminerai ainsi : qu’est-ce que la ville a à trouver comme intérêt chez les autres, c’est-à-dire vers ses couronnes et ses périphéries ? Tout l’intérêt est dans le fait que les avantages de ville seront construits avec ses couronnes. Nous avons quelque chose de nouveau et, finalement, de contemporain dans le sens où cela n’est qu’une forme adaptée de quelque chose que nous héritons. La ville a toujours eu un rapport à ses campagnes, elle a toujours trouvé une modalité d’interaction avec son extérieur. En réalité, elle n’a jamais construit ces avantages métropolitains indépendamment de ses campagnes. Rappelons-nous que dans les toutes premières formes d’apparition de ces rapports ville-campagne, c’est un rapport de prédation : la ville est un prédateur des ressources campagnardes, rurales, agricoles, c’està-dire qu’elle préempte la terre, les hommes, les ressources fiscales et que globalement, le pouvoir est dans les villes, en particulier le pouvoir de propriété foncière ; et rapidement, cette noblesse terrienne qui a le pouvoir des campagnes le perd face à ces bourgeoisies urbaines montantes. C’est la première étape, celle de la prédation. Il y a eu une seconde étape de consommation dans laquelle le rapport ville-cam-
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une cité sans périphérie sera demain de l’urbain mort
on a besoin de toute la profondeur du territoire avec lequel la ville est coextensive
les villes centres ont à passer des accords avec leurs communes, qui ont aujourd’hui suffisamment d’autonomie politique et d’existence sociologique pour être des acteurs avec lesquels on ne peut plus être dans la prédation ou dans la consommation
comment fabriquer du désir d’agglomération pour les communes qui n’en sont que les marges ?
pagne a été un rapport d’extension, où les avantages urbains se sont construits par simple extension de ville sur ses espaces environnants. C’est le XIXe siècle, la première partie du XXe siècle, et le rapport est toujours aussi inégal. Nous sommes maintenant entrés dans l’époque de la transaction. Les villes centres ont à passer des accords avec leurs communes, qui ont aujourd’hui suffisamment d’autonomie politique et d’existence sociologique pour être des acteurs avec lesquels on ne peut plus être dans la prédation ou dans la consommation. Donc, il faut trouver les termes de cet échange. Les trois termes d’acceptabilité environnementale, de fluidité des accès, de diversité en tout, sont sans doute les trois sujets sur lesquels cette transaction doit se construire. 2 Pour autant, avons-nous convaincu les périphéries de passer des deals avec la ville centre, et n’allons-nous pas vers un rendez-vous difficile ? Les périphéries ne sont peut-être pas très intéressées à favoriser la construction de l’avantage urbain de la ville centre, c’est-à-dire à être des contributeurs alors qu’elles sont en dehors du pôle urbain. Pendant quasiment un siècle d’histoire urbaine, on les a quand même appelées des banlieues dépotoirs, puis des périurbains dortoirs. D’une façon générale, la ville a une conception du délestage qui va de l’expulsion des fonctions indésirables à l’étalement social et résidentiel ; encore que le moteur de l’expulsion, c’est quand même de trouver du foncier accessible et de répondre à la grande question du logement. On peut imaginer qu’une civilisation urbaine sachant offrir des réponses moins onéreuses à la question du logement dans les villes que celles que nous offrons aujourd’hui, serait confrontée à une dynamique d’étalement beaucoup plus faible. Comment sortir de cette histoire urbaine qui a fait de la périphérie un dépotoir, un dortoir, une zone d’expulsion, une zone d’étalement ? Les choses se sont ensuite améliorées : des fonctions plus nobles arrivent, des pôles technologiques se rajoutent, des fonctions commerciales se complètent, l’emploi rattrape l’habitant, et puis tout cela est digéré. Après vingt, trente ou soixante ans, la banlieue n’est déjà plus une banlieue, mais n’empêche qu’il reste pendant toute cette période l’idée qu’on est en situation périphérique. Comment sortir de cette situation ? Comment fabriquer du désir d’agglomération pour les communes qui n’en sont que les marges ? Il y a autant de réponses que de positions. Je disais dans l’introduction que les réponses seraient plurielles ; le risque majeur est de ne pas les coordonner et de les laisser se forger et s’énoncer en autonomie les unes par rapport aux autres, dans une espèce de grand bric-à-brac de l’agglomération où chaque territoire trouverait des raisons – non négociées avec d’autres – d’être une part de l’agglomération. Voici quelques figures de cette pluralité de réponses. Il y a un certain nombre de promesses, dans ces ex-périphéries – je vais les appeler ainsi parce que précisément, elles ne le sont plus –, qui sont proprement urbaines. Des communes qui seront demain des centres urbains et qui, dans dix, vingt ou trente ans, ne seront plus distinguées de cette ville centre, mais seront véritablement une sorte de second, troisième ou quatrième centre ; à 500 000 habitants, ça frémit, et à 1 million d’habitants, c’est certain. Je ne souhaite pas que Strasbourg totalise 1 million d’habitants, mais il y a une promesse de centralité urbaine à Schiltigheim et des promesses de polarité fonctionnelle dans d’autres communes un peu
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plus éloignées. La distinction « polarité » et « centralité » est dans le fait que la centralité urbaine est un peu plus technique, pratique, fonctionnelle – le commerce, les études, la production, les grands équipements d’agglomération –, et que le cadre bâti, le patrimoine urbain, la configuration et la morphologie des voies relèvent plutôt de la polarité fonctionnelle. De ce point de vue là, Illkirch me fait penser à Grenoble parce que ce destin de banlieue à fonction économique, technique et scientifique est extrêmement décisif dans une agglomération. Un certain nombre de périphéries ont donc rendez-vous avec la centralité, avec la polarité. C’est un rendez-vous absolument majeur pour l’agglomération, c’est le rendez-vous du polycentrisme, et c’est un rendez-vous politique. Derrière un centre, c’est un pouvoir, une force de rassemblement et par conséquent, c’est une scène sociale et politique qui rentre dans le pluralisme – j’ose aussi dire dans le fédéralisme. Voilà des périphéries porteuses de fédéralisme urbain, c’est-à-dire d’alliance. Mais toutes les périphéries n’ont pas forcément vocation à être des centres de l’agglomération, et toutes ne s’y retrouveront pas. Elles peuvent décliner un autre intérêt à fabriquer l’agglomération : le village urbain. Qu’est-ce que c’est ? C’est un ancien village rural rattrapé par la dynamique urbaine, noyé par des arrivants qui le transforment, l’adulent et le bousculent. L’adulent parce que c’est le village et parce que c’est ce qu’ils viennent chercher, le bousculent parce qu’ils s’y installent au bord par un premier lotissement, puis un deuxième, puis un troisième. Après vingt ans, le village est doublé par une surface urbaine de lotissements qui font que le village est certes encore là, mais on n’y habite pas puisqu’on est dans l’espace communal des lotissements. Le village urbain, c’est tout cela ; il reste un village, mais urbain, ce qui est un oxymore intéressant. Le système métropolitain l’a fait naître comme une espèce de chose improbable, mais en même temps adorée par nos contemporains. Qu’est-ce que le village urbain propose d’autre à l’agglomération ? Je crois qu’il propose des alternatives sociales et économiques que l’agglomération n’est pas faite pour offrir. J’en signale trois, et j’espère ne pas donner de contresens à ces trois figures – ne les entendez pas d’emblée comme une révérence à la ruralité. Premièrement, des alternatives en termes de mobilité. La ville, c’est l’espace où il faut garder la vitesse, la fluidité, l’accessibilité lointaine ; il faut que ça bouge, que ça circule. On ne supporte pas que ça ralentisse, on veut pouvoir accéder à la grande vitesse ferroviaire, terrestre, à la grande vitesse aérienne ; bref, la ville, c’est l’espace de toutes les vitesses. Le village urbain, c’est l’inverse. Finalement, si le village urbain était la même chose, c’est-à-dire l’espace qui, dans l’agglomération, garantit les mêmes valeurs de la mobilité, ce n’est pas la peine. Ces valeurs-là, on va les trouver dans la ville centre. Il y a quelque chose de très intéressant à construire une agglomération où toutes les possibilités sont offertes selon les âges de la vie, les projets de chacun, les moments de la journée, où l’on trouve l’espace de la grande vitesse et de la fluidité, l’espace où on est pressé. Et il y a l’espace de la lenteur. Pas de contresens : les villages urbains ne sont pas condamnés à la lenteur, mais ils ont la chance de pouvoir être conçus comme des espaces où la lenteur est une valeur
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un certain nombre de périphéries ont rendez-vous avec la centralité
toutes les périphéries n’ont pas vocation à être des centres de l’agglomération
le village urbain est cet endroit où la lenteur est autorisée
sociale, un avantage collectif. Cela veut dire que le village urbain est cet endroit où la lenteur est autorisée. Essayez la lenteur en ville centre : peut-être dans certains secteurs ou dans le centre-ville, oui ; mais dans l’ensemble de l’agglomération agitée, non. La lenteur a une valeur, et je crois beaucoup à cette idée parce que je pense que le « à toute vitesse » finit sur des limites à un moment donné, et qu’il est absolument nécessaire, dans une société qui produit des excès, de donner des espaces inverses. Deuxième figure : le voisinage. Le village urbain est l’espace du voisinage. N’y a-t-il pas de voisinage dans l’agglomération ? Si, bien sûr, mais ce n’est pas la forme de sociabilité privilégiée de l’agglomération, qui est le brassage, le réseau, l’espace public, les autres, l’anonymat, l’inconnu, l’altérité, etc. Dans le village urbain, je trouve un voisinage différent, c’està-dire une construction de la conception du rapport aux autres qui est entièrement fondée sur l’interconnaissance et la proximité. Mythique ? Peut-être, mais capable d’être saisie dans un projet, certainement. Le village urbain peut accueillir cette figure de la sociabilité qu’on appelle le voisinage.
la matière et le contact à la matérialité, nous en avons besoin
Troisième figure : la matérialité. Pourquoi matérialité ? Parce que la société urbaine que nous cultivons, développons et recherchons au cœur des métropoles est une société de plus en plus immatérielle. Elle est fondée sur l’artificialisation de nos contacts à la matière, sur la télécommunication et sur un ensemble de médiateurs qui nous permettent de rendre plus efficaces toutes nos activités – de l’ordinateur au téléphone portable en passant par toutes les autres formes de connexion –, sans nécessiter de notre part de contact à la matérialité. Vous n’avez qu’à réfléchir au nombre de moments où nous sommes sur du toucher digital, sur de la commande vocale. Fort bien, c’est très utile, et nous y travaillons par la société technologique dans laquelle nous nous épanouissons. Mais la matière et le contact à la matérialité, nous en avons besoin ; nous avons besoin de manipuler du bois, de travailler des matériaux vrais, et ceci est à la liberté de tout un chacun, mais c’est un peu plus compliqué à l’intérieur des agglomérations parce que les systèmes sont très artificialisés, parce que vous ne savez pas d’où vient la chaleur qu’on vous distribue, et vous n’êtes pas le contributeur de sa production. C’est là où mettre une bûche dans une cheminée est quelque chose qui ramène à une certaine réalité indispensable à notre fonctionnement individuel et collectif. Je ne mythifie pas les villages urbains en les renvoyant à être les dépositaires de choses éternelles, mais je dis simplement que dans une société urbaine, il y a besoin de tout et de son contraire, de la vitesse et de la lenteur, des réseaux technologiques et de la matérialité, de l’altérité et du voisinage, et que c’est l’ensemble qui fait une agglomération et sa société. Ces trois figures-là, ce sont de très beaux projets sociaux et urbains pour que les villages urbains ne soient pas des périphéries, mais au contraire des contributeurs à cette diversité. 3 Le changement de rôle – nous pourrions dire postpériphérique – pour les communes concernées, ce n’est pas l’embrassement de tous les rôles en mimétisme à la ville, mais c’est le choix coordonné du meilleur pour chacun de ces espaces, dans une sorte de pièce métropoli-
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taine. Les communes ont des rôles à choisir, à coordonner. La fonction politique est d’énoncer le rôle qu’on veut jouer, et la fonction de la communauté est d’énoncer le rôle qu’on veut faire jouer à Strasbourg. La fonction politique de la commune, c’est, comme son nom l’indique, de dire le rôle commun. Comment faire vivre la relation communes-communauté ? Je rappelle une réalité cruelle : les solutions des uns sont chez les autres, et les solutions de la ville centre sont dans ses périphéries – pas systématiquement bien sûr, et pas uniquement en périphérie. Deuxième réalité : la centralité n’est pas monopolisable, et on ne peut pas construire l’agglomération tant qu’il y a autour de la table des territoires qui ne peuvent se dire que périphériques. Troisième réalité : l’urbain redistribue les rôles et les réinvente, tels que le village urbain, la polarité fonctionnelle, la centralité émergente, et il y en aurait d’autres certainement. Mais il n’y a qu’un seul rôle qu’il ne distribue pas, c’est celui de metteur en scène. Donc, nous voilà sur la pièce métropolitaine avec plein de rôles qui se distribuent et se redistribuent – avec la tentation pour la plupart des acteurs de jouer tous les rôles à la fois, même lorsqu’ils n’ont pas la situation ni la carrure urbaine –, et pas de metteur en scène. À priori, l’urbain ne distribue pas le rôle de metteur en scène, il ne le distingue plus, il ne le désigne plus. Il faut faire sans metteur en scène. Il faut s’entendre à ce moment-là sur cette relation communescommunauté, parce que dans le cas contraire, la mise en scène devient effectivement très difficile. Là, nous entrons dans un sujet qui n’est pas vraiment strasbourgeois, mais national et universel. Je voudrais citer de mauvaises réponses qui sont en même temps des tentations permanentes : – Première mauvaise réponse : l’autonomisme communal. Ce système est complexe, il m’assaille, et ma réponse est que je vais fabriquer des cohérences, des solidarités, des solutions tout seul, alors même qu’on vient de m’expliquer que ça ne tient plus. Mais c’est un réflexe de ressaisissement, nous pourrions presque dire de bravade politique. – Deuxième mauvaise réponse, qui est son contraire : la fusion autoritaire. Ce système nous englobe ? Alors ce n’est pas compliqué, fusionnons tout – le pouvoir politique, le pouvoir technique, la citoyenneté, les identités – et faisons un grand tout. Le problème est que ce grand tout est perpétuellement sollicité : il faut faire le grand tout de l’agglomération, dans vingt ans il faudra faire le grand tout de la région urbaine, et finalement on en vient à des impasses comme celle du Grand Paris. – Une troisième mauvaise réponse, c’est cette subsidiarité un peu hypocrite qui consiste à dire que ce n’est pas compliqué et qu’on va s’entendre. Il y a un niveau où on fait une chose, un niveau où on en fait d’autres, et chacun est bien gardé dans ses intérêts respectifs. S’il y a des problèmes à une échelle, il suffit d’y mettre en face l’échelle du politique qui va avec. Mais cela ne va pas du tout parce qu’en fait, la réalité métropolitaine est qu’il n’y a plus que des problèmes à plusieurs échelles en même temps. Un exemple : la mobilité, allant de l’échelle du piéton à l’échelle de l’usager du TGV, met par conséquent
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comment faire vivre la relation communescommunauté ?
dans la même chaîne de réponse l’agent communal dépositaire de la gestion de l’espace public au quotidien – pour en faire un espace piéton fréquentable et géré – et l’opérateur de réseau international qui nous transporte lorsque nous avons rejoint la gare à pied. C’est l’ensemble de tous ces opérateurs sur une chaîne extrêmement complexe qui fait que la subsidiarité est vraiment un vain mot. Il faut donc arrêter d’utiliser la subsidiarité, cela ne marchera plus. – La dernière mauvaise réponse est la solution technocratique : ce n’est pas très grave qu’on ait dix-sept solutions technocratiques, des communes et des communautés qui ne travaillent pas complètement ensemble. En fait, il y a un système technocratique caché qui assure la cohérence de l’ensemble : une agence, un schéma, des services… Il y a une vie politique morcelée, certes, des citoyens qui sont en quelque sorte clivés entre le communal et le communautaire, mais des technocraties qui veillent à la cohérence de la machine.
il faut trouver quelque chose qui garantisse les fonctions politiques effectives de la commune et de la communauté
deux niveaux de légitimité
le courage politique, ce n’est pas tant d’assumer le pouvoir que de le partager
Ces quatre mauvaises réponses ayant été rappelées, je termine sur la conviction que je viens défendre en posant la question difficile de cette relation communes-communauté. Mon premier credo est que la commune, c’est sérieux, ça ne s’élimine pas et ça ne s’efface pas, et que la communauté, ça devient sérieux. Par conséquent, il ne peut pas y avoir de réponse exclusive à la question posée, la réponse exclusive étant le tout vert ou tout vert, c’est-à-dire quelque chose qui prive un des deux niveaux d’une forme d’existence politique, d’une prérogative ou d’une capacité d’agir dans la question qui est posée. La question qui est posée à vous, c’est le PLU communautaire. Sur cette question, mon credo à moi, c’est qu’il faut trouver quelque chose qui garantisse les fonctions politiques effectives de ces deux niveaux. Ça se débat – ça a l’air d’être posé comme un axiome. Je vous dis à quoi je crois, ensuite vous avez bien sûr le droit de dire plein de choses à votre tour, et de les penser surtout. Mon deuxième credo est que ce que je viens de dire implique deux échelles de légitimité politique urbaine, en quelque sorte deux maires, deux endroits où il y a des responsables, ce qui reste quand même d’une complexité raisonnable. Deux niveaux de légitimité, ça n’est pas insupportable. On doit pouvoir trouver, dans les sociétés hautement sophistiquées qui sont les nôtres, des formes de rapport à la responsabilité, à l’engagement, à la décision, à la compréhension, qui admettent que le système est binaire et s’établit à deux niveaux, à la suite de quoi il faut tout dire de l’articulation de ces deux niveaux. Oui, il peut y avoir deux systèmes de suffrage dans une aire urbaine, avec une personne élue au suffrage universel direct à un niveau – c’est monsieur le maire – et une autre, pourquoi pas, qui le serait aussi au niveau de la communauté. Ils sont tous deux dépositaires de quelque chose qu’on peut partager en deux ; d’ailleurs on le partage aussi avec le président de la République, etc. On doit pouvoir le faire dans une zone urbaine. Troisième credo : dans ces conditions, le courage politique auquel on fait si souvent appel, ce n’est pas tant d’assumer le pouvoir – cela va de soi – que de le partager. La crise du G20 nous donne une petite leçon, avec toute la douleur que cela représente pour certains. Le courage politique
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des différents protagonistes de ce G20 n’est pas dans le fait qu’on assume une décision, mais qu’on la partage. Si l’international sait le faire, et pourtant c’est compliqué à cette échelle, il faut espérer que le métropolitain sache le faire aussi. Quatrième credo : l’urbanisme communal-communautaire est un champ idéal pour partager entre les deux niveaux dans cette complexité raisonnable, où le courage consiste à partager et non pas à dire « j’assume seul », parce que c’est une série de moments et de compétences. Il faut anticiper, et il est compliqué d’anticiper des besoins, des infrastructures, des équipements, des programmes de logements, des réponses environnementales à cinq, dix ou vingt ans. Il ne suffit pas que des savants anticipent ou que des experts préviennent, il faut délibérer d’un point de vue citoyen, donc il faut débattre, convaincre, raisonner et s’entendre. Comment voulez-vous priver un des deux niveaux de la délibération ? Il faut qu’elle soit communale et communautaire, comme l’anticipation. Même question pour la conception, c’est-à-dire ce moment où on fabrique un idéal de réponse permettant de dire que c’est comme ça que nous voulons habiter, faire le quartier, concevoir le système de mobilité : pourraiton imaginer que cette conception soit captée par un niveau et appliquée à l’autre ? Ensuite, il faut porter l’opération ou maîtriser l’acte d’urbanisme dans tous ses moments quotidiens : délivrer les permis, réguler les mille et un moments de la vie urbaine qui nécessitent une police de l’urbanisme, et je dirais que pour ces moments essentiels, il ne peut y avoir de fiable que des duos ordonnés communes-communauté. Cela ne veut pas dire qu’on ne sait pas trop qui doit assurer chacune de ces fonctions : on les fait ensemble, mais l’ordonnancement permet de savoir qui est devant l’anticipation et qui y contribue, qui est devant la délibération et qui y contribue, qui est devant la conception, etc. Cet ordonnancement n’est pas toujours le même, c’est-à-dire que ce n’est pas forcément toujours la communauté qui doit anticiper, concevoir, délibérer et maîtriser. La commune peut avoir une position première dans un certain nombre de ces domaines : je pense en particulier à la délibération parce que la proximité citoyenne la facilite, et à la maîtrise parce que la proximité avec les problèmes le justifie. Il s’agit donc de duos ordonnés qui permettent de partager les responsabilités, et non pas de les rendre exclusives à un niveau ou à un autre. J’ai commencé mon exposé par des surprises, en vous disant que je les aimais bien et que cela permettait de construire une position faussement naïve. Dans trente ans, nous aurons d’autres surprises, mais faisons ce pari qu’il serait vraiment surprenant : – d’une part que des agglomérations au sein desquelles on ne se soit pas définitivement éloigné de cette espèce de consensus civil, pacifié, poli, entre centre et périphérie, disant « je suis l’héritier de la ville, tu es l’héritier de la périphérie, faisons ensemble une agglomération, mais qui ne change rien à nos rôles respectifs », – et d’autre part des agglomérations qui n’aient pas fabriqué la culture collective des complémentarités : « Qu’est-ce que tu as que je n’ai pas et inversement ? Comment pouvons-nous construire une transaction, car ce que tu es m’intéresse, et j’espère que ce que je suis t’intéresse ? », ces agglomérations qui n’auraient pas fait cela, il serait surprenant qu’elles
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des duos ordonnés qui permettent de partager les responsabilités
les grandes villes seront celles qui seront capables d’exister politiquement sur les bases solides de leur agglomération
soient encore audibles en tant qu’agglomérations et visibles sur la carte nationale ou européenne. Je serais surpris, mais peut-être que ce sera la surprise dans trente ans de considérer une agglomération en quelque sorte non finie qui soit encore identifiée comme telle. Autrement dit, il est vraisemblable que les grandes villes seront celles qui seront capables d’exister politiquement sur les bases solides de leur agglomération, voire davantage encore – davantage encore parce que les régions urbaines arrivent et effectivement, les pôles métropolitains les préfigurent. Et puis, la surprise des surprises serait que les habitants de ces agglomérations et leurs usagers croient encore à la politique et à leurs élus si la démonstration n’était pas faite à leur égard – parce qu’eux seront des métropolitains confirmés, ultracompétents – que ces agglomérations sont des personnes politiques totalement abouties, affermies, convaincantes ; et donc, il serait surprenant que les habitants croient encore à la politique si l’agglomération n’est pas le lieu pour en faire. Je vous remercie.
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ÉCHANGES AVEC LA SALLE
«
Je suis adhérent d’Alsace Nature, une association de protection de la nature. Nous avons actuellement un problème idéologique : l’ensemble des élus, des journalistes, des économistes, et peut-être même la majorité des citoyens et des écologistes, refusent d’admettre qu’il faudrait fixer une limite à la croissance démographique. On nous propose comme solution au problème de l’étalement urbain la densification urbaine, mais ce concept, qui part certes d’un bon principe, est érigé en solution miracle et indiscutable. On nous impose des projets démentiels qui dépassent le concept de cette densification urbaine et qui prévoient d’exploiter quasiment toutes les « dents creuses » de Strasbourg, alors qu’on pourrait intégrer dans un PLU communautaire des préservations de foncier pour créer des vergers haute tige, des jardins supplémentaires, et pour préserver des petits espaces naturels qui ont disparu à la campagne à cause de l’agriculture intensive et qu’on trouve encore à Strasbourg, comme par exemple des ronciers. On ne s’en sort pas avec les élus que nous avons et qui refusent d’admettre. »
«
Je m’appelle Jean Sommer et je suis universitaire. Ma question porte sur le problème de la périphérie. Il ne faut pas oublier que Strasbourg est adossée à une frontière naturelle qui est le Rhin ; si elle veut rester au centre d’une couronne, je ne vois pas comment on peut prévoir un PLU sans tenir compte des villages situés au-delà de la frontière, mais qui sont beaucoup plus proches que certains villages autour de la CUS. C’est une question plus politique que technique. »
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des projets démentiels qui dépassent le concept de cette densification urbaine
comment on peut prévoir un PLU sans tenir compte des villages situés au-delà de la frontière ?
«
Pour améliorer le dialogue communes-communauté, pensez-vous que cela fonctionnerait mieux avec un suffrage universel direct pour la communauté, puisqu’il y a tout de même une inégalité d’élections ? Ou au contraire, est-ce que ce n’est pas quelque chose qui vous paraît gênant pour le binôme ? »
© photo CUS
Martin Vanier
deux scrutins territoriaux, à deux échelles, parce que nous sommes dans des systèmes multiterritoriaux
Je pense que cela fonctionnerait mieux avec un suffrage universel direct pour les élus communautaires, et que la solution du scrutin fléché permet de ne pas créer deux classes politiques, mais de désigner un certain nombre d’élus comme devant nous rendre des comptes sur leur capacité d’articulation entre les deux niveaux. C’est-à-dire que leur mandat consiste à nous expliquer comment ils conduisent une politique qui fait les deux en même temps et qui contribue au fonctionnement communautaire et à l’intérêt de la commune dont ils sont en même temps les représentants. C’est cela qui me semble être la solution : deux scrutins dits territoriaux, à deux échelles, parce que nous sommes dans des systèmes multiterritoriaux. Donc, il faut que le politique arrive à rendre des comptes sur des systèmes du même ordre. D’ailleurs, c’est ce qu’il fait : que fait-il pour pouvoir rendre vraiment efficace son activité ? Il cumule des mandats. Le cumul des mandats, c’est une capacité d’être à plusieurs niveaux pour être en quelque sorte dépositaire de cette cohérence des différents endroits de pouvoir. Evidemment, il faut que ça se contrôle, car on ne peut pas cumuler n’importe quoi. Il y a sans doute un cumul dans le temps bien plus essentiel que le cumul du nombre de mandats, mais je pense que le vrai rendez-vous politique, c’est celui de cette articulation des mandats. Le scrutin fléché communal-communautaire, à mon avis, ne pose pas les problèmes qu’une minorité d’élus annoncent, à savoir qu’on ne peut pas diviser le suffrage universel : je pense qu’il est déjà divisé par de très nombreux niveaux d’élections et qu’il doit désormais grandir, comme la société l’y invite, vers cette scène politique qui est celle de l’articulation des décisions. C’est cela qui est compliqué dans une agglomération, c’est d’articuler les décisions entre niveaux. Il faut donc que le politique puisse faire ses démonstrations sur ce rendez-vous-là. Jean-Yves Chapuis, animateur et médiateur
Cela veut dire qu’il y aurait, aux élections municipales, la liste au niveau municipal, mais il y aurait dans cette liste des élus communautaires ? Martin Vanier
Ce qui a l’avantage de ne pas désigner d’élus communautaires qui n’aient même pas de niveau communal. Du coup, être élu communautaire, c’est être forcément élu communal, et il n’y a pas de construction d’opposition ou d’antagonisme dans ces conditions. Par contre, on peut être élu communal sans vouloir ou devoir forcément être projeté sur cette scène-là. Ce système doit permettre d’instaurer les communautés au titre de collectivités territoriales constitutionnelles. Pour répondre à la première question, je voudrais demander à la personne qui l’a posée combien il a d’enfants, parce qu’il a dit qu’il faudrait mettre fin à la croissance démographique. Personnellement, j’ai trois enfants et j’espère être grand-parent un jour. Je n’ai pas de posture idéologiquement donnée vis-à-vis de la croissance démographique, et
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comme par ailleurs nous sommes dans une société où le nombre de personnes par ménage ne cesse de diminuer, je ne vois aucun endroit en France qui puisse refuser une certaine forme de croissance urbaine ; toute la question étant de donner un projet, par densification ou par expansion, pour que les enjeux écologiques que vous avez soulignés prennent leur place dans cette croissance. C’est un vaste débat et il y a beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Mais il n’y aurait rien de pire que de proposer la solution du stop. Pourquoi ? Parce qu’il y a une société française qui vit et s’épanouit, qui a une natalité très intéressante et une demande d’accès au logement absolument considérable, avec une crise du logement épouvantable dans ce pays. Donc, il y a un devoir d’offres urbaines de toute nature, et je trouve assez enthousiasmant d’avoir à faire la ville, surtout si on y met des ronciers – je veux dire plein d’autres choses qui n’étaient pas acceptées. De ce point de vue là, vous avez complètement raison et les idéaux peuvent se retrouver, mais dans une posture résolument urbaine et « naturbaine ». La nature est dans la ville aujourd’hui, et c’est là que nous avons les rendez-vous écologiques les plus décisifs, les plus responsables. Je trouve qu’il serait très intéressant d’y travailler dans des formes de convergence entre les idéaux naturalistes, environnementalistes, et les savoir-faire urbains. Cependant, je ne participerai pas du tout aux affirmations de camp retranché. Vous avez l’air de considérer que les élus ne sont pas dans le coup, mais je pense qu’ils sont plutôt de ceux qui cherchent précisément, parce qu’ils sont là pour ça, à fabriquer les intérêts collectifs qui nous permettent de renouer la nécessité urbaine et les défis environnementaux dont la ville, dans le passé, s’est sans doute beaucoup éloignée. Il y a un chantier magistral de ce que nous pourrions appeler la ville durable, et j’ai entendu très peu d’élus dire qu’ils y étaient hostiles. Concernant la frontière du Rhin, cette agglomération frontalière qui a des formes de solidarité très fortes, notamment économiques mais aussi fonctionnelles, avec Kehl et avec d’autres agglomérations, n’a de mon point de vue pas grand-chose à gagner à se fabriquer une représentation du noyau et des couronnes. D’abord, cela risque effectivement de ne pas trop convenir à certains pôles urbains allemands, et ensuite, je pense que cela ne retranscrit pas la réalité géographique de votre région urbaine qui est fortement archipellistique – c’est un archipel. Votre système de villages qui sont encore très compacts – même s’ils ont doublé de surface sur les bords, ça reste quand même fortement tenu, notamment parce que votre agriculture et votre viticulture ne laissent pas faire n’importe quoi – désigne un ensemble discontinu, et cette discontinuité est à mon avis essentielle à votre organisation urbaine. Donc, je ne vois pas beaucoup d’intérêt à invoquer les couronnes, parce que c’est plutôt une abstraction qui consiste à mettre dans un même ensemble fonctionnel des lieux disjoints et séparés par des espaces agricoles, forestiers ou fluviaux. Cette disjonction est précieuse et désigne une ville réseau qui, du coup, accueille au moins fonctionnellement et géographiquement l’autre bord, l’espace allemand. Quant à l’accueil politique et stratégique, c’est toute une affaire ; il ne faut pas vouloir aller plus vite que la musique. Vous avez un défi aujourd’hui, qui est le PLU communautaire. L’Eurodistrict et les formes de planification internationale vous tendent les bras, mais ne cherchez pas à passer tout de suite dans la classe supérieure, d’une certaine façon. Il y a
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je ne vois aucun endroit en France qui puisse refuser une certaine forme de croissance urbaine
la nature est dans la ville aujourd’hui, et c’est là que nous avons les rendez-vous écologiques les plus décisifs, les plus responsables
la réalité géographique de votre région urbaine est un archipel
une contribution importante de certaines communes périphériques en matière d’agriculture de proximité
d’abord à rendre plus crédible cette étape communautaire – qui n’a peutêtre pas été complètement prise sur le fond de ce qu’elle pouvait signifier, en tout cas pas à l’égal d’autres agglomérations en France – avant de passer à la gestion stratégique urbaine internationale du type bâlois ou genevois. Je pense que vous ne couperez pas à ce rendez-vous, et vous êtes certainement déjà dedans par l’Eurodistrict. Mais on ne peut pas toujours invoquer l’étape d’après pour, peut-être, éviter le rendez-vous de celle qu’on a devant soi. L’étape que vous avez devant vous, c’est le PLU communautaire, et qui peut le plus pourra ensuite le mieux.
«
Vous avez indiqué que le centre-ville est tributaire de la périphérie en ce qui concerne la qualité environnementale, la qualité de l’air, la fluidité des déplacements, la biodiversité et la diversité en tout. Je rajouterais à cela une contribution importante de certaines communes périphériques en matière d’agriculture de proximité. La Communauté urbaine de Strasbourg, que je sache, travaille dans ce sens pour favoriser l’alimentation par les circuits courts, etc. À mon avis, c’est une richesse importante. »
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cette compétence alimentaire est un superbe projet métropolitain
J’abonde tout à fait. Je pense qu’il ne va pas se passer beaucoup d’années avant que les agglomérations se dotent d’une production agricole intégrée dans une filière directement destinée aux marchés de consommation locaux, qui combine le savoir produire avec le savoir transformer, le savoir cuisiner, le savoir servir, le savoir gastronomique. Evidemment, ce savoir-là, on ne peut pas le construire, on ne peut le construire qu’avec les communes qui ont de l’espace agricole, et non pas dans la ville centre hyperdense. Cette compétence alimentaire est un superbe projet métropolitain qui fait un objet de rassemblement et qui va devenir une exigence, si ce n’est pas déjà le cas, dans les agglomérations. Jean-Yves Chapuis
Il y a d’ailleurs aujourd’hui des Plans locaux agricoles (PLA) que les agglomérations peuvent mettre en place avec le milieu agricole pour travailler sur ces thèmes-là.
« comment amener le dialogue entre les différentes couleurs politiques qui se trouvent entre la ville centre et la périphérie
J’ai regardé aujourd’hui un film intitulé « Water makes money » – L’eau fait de l’argent – qui montrait un exemple intéressant à Munich, où ce sont les services des eaux qui vont financer l’agriculture biologique dans les environs pour assurer la qualité de l’eau. Je trouve que c’est un très bel exemple par rapport à une complémentarité de la ville et de l’agglomération. C’est un film qui passe à l’Odyssée. »
«
J’ai une question à propos des rôles dont vous avez parlé tout à l’heure, avec certaines communes qui donnent de mauvaises réponses telles que l’autonomie communale. Je me demandais comment amener concrètement le dialogue entre les différentes couleurs politiques qui se trouvent entre la ville centre et la périphérie. Forcément, il y a une diversité politique. Comment peut se faire ce schéma de dialogue ? Avez-vous des exemples d’une construction réussie à la base de positions qui étaient bloquantes ? »
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Je pense que le système public local dans lequel nous sommes est un système à trois pieds : il y a des élus, des citoyens et un monde technique très important, une administration territoriale forte, professionnalisée et extrêmement variée, allant des agents communaux ou communautaires jusqu’aux très nombreux professionnels des différentes agences, syndicats, etc. C’est un monde très conséquent qui fait que nos villes fonctionnent et que nos territoires sont plutôt bien aménagés et bien gérés. Je pense qu’il faut arriver à emmener tout ce petit monde dans une vision qui ne soit pas la vision du repli. Cette dernière revient régulièrement dans toute dynamique métropolitaine où, quand on se rend compte que la solution des uns est chez les autres, on frémit et on se dit « non, je vais trouver la solution chez moi, avec mes citoyens », ou « moi, le citoyen, je vais l’exiger de mon élu », ou « moi, le technicien, je vais la produire pour mon élu », etc. C’est un effort sur ce triptyque, et je ne vois pas beaucoup d’autre solution que de fabriquer les moments où on exige cet effort, à travers des moments de débat, de délibération, de confrontation. Je pense qu’il est stérile que chacun reste dans son coin et qu’il est absolument essentiel que les rencontres se créent. Mais sans doute, pour arriver à débloquer ces moments de repli, nous avons besoin des termes du conflit, de la controverse, du problème. Nous avons besoin de l’aiguillon, de ce qui fait qu’il n’est pas possible de continuer dans des systèmes souverainistes locaux, autonomistes, communaux ou même technocratiques communautaires, c’est-à-dire de la grande puissance qui décide à la place des autres. Des problèmes, nous n’en manquons pas dans l’urbain et je pense que comme partout ailleurs, vous en avez une série à Strasbourg, mais ce que je constate, c’est que partout où on laisse les entités d’acteurs –élus, citoyens et techniciens – chercher des solutions tout seuls, cela ne fonctionne pas. Cela fonctionne – très vite, dans l’enthousiasme collectif et une sorte de soulagement collectif – quand tout d’un coup, les élus, les citoyens et les techniciens se retrouvent et se rendent compte qu’effectivement, les solutions ne peuvent être construites que dans des formes de coordination, de négociation et donc de renoncement – c’est-à-dire qu’il y a des petits bouts d’intérêts locaux et des prérogatives auxquels il faut renoncer. Il est impossible de renoncer à ce que l’on a quand on est entre soi, mais c’est possible quand on est confronté à ceux vis-à-vis de qui ce renoncement apporte des solutions, et qui ne sont finalement pas si effrayants que cela, pas si spoliateurs de nos pouvoirs que cela, parce que ce sont des autres nous-mêmes, et donc ce sont des renoncements moins pénibles. Je pense que dans ces formes de forums organisés un peu partout en France –la conférence métropolitaine de Nantes-SaintNazaire, les forums de la région urbaine de Lyon ou d’autres endroits encore –, c’est précisément cela qui est en train de mûrir et qu’ensuite, ces petits renoncements qui fabriquent de la décision partagée sont un peu plus admis par chacun.
«
Vous avez bien développé l’articulation entre le centre et la périphérie, mais c’est peut-être la vision un peu simplificatrice d’une communauté rayonnante. Un autre débat est celui de la compétition entre communes, par exemple celle qui veut être la commune centre par rapport à sa voisine, celle qui veut des équipements, celle qui ne veut pas
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le système public local dans lequel nous sommes est un système à trois pieds : il y a des élus, des citoyens et un monde technique
fabriquer des débats, des délibérations, des confrontations
les solutions ne peuvent être construites que dans des formes de coordination, de négociation et donc de renoncement
un autre débat est celui de la compétition entre communes, par exemple celle qui veut être la commune centre par rapport à sa voisine…
faire de logements, etc. Je pense que les choses sont beaucoup plus compliquées pour les élus de trouver une bonne répartition des choses sur l’ensemble du terrain communautaire. » Martin Vanier
s’il n’y a pas de conflit, il n’y a pas de raisons de trouver de nouvelles modalités
le PLU communautaire est réussi du moment que les communes se dressent en disant « moi, je joue pour faire ça »
La complexité dépasse toujours nos espérances. Tout à l’heure, je disais qu’il y avait une diversité de rôles à tenir dans les communes périphériques. Ces communes se sont développées, elles sont devenues ce qu’elles sont sur la base de la réfutation du projet, c’est-à-dire l’endroit où il n’y a pas de projet. Par conséquent, je peux venir construire ou habiter parce que précisément, il n’y a aucune forme de contrainte de type unité d’un projet qui m’imposerait des règles, qui m’imposerait un contexte et des limites – parce que c’est une commune très agricole, une commune qui est dans la production, etc. Donc, je me périurbanise, et la périphérie s’épanouit et se développe ainsi, parce qu’on est dans l’espace du non-projet. Ceci était peut-être incontournable parce que la mutation s’est faite sur l’énergie du non-projet. À un moment donné, ça y est, nous habitons dans des communes de quelques centaines ou quelques milliers d’habitants en périphérie, et nous ne pouvons plus exister ensemble sans projet. Là, effectivement, il y a cette compétition sur la captation du projet, du rôle, de la fonction spécifique que tel ou tel veut jouer. Je ne pense pas qu’il y ait, sur vingt-huit communes de la communauté, vingthuit rôles à jouer. Il y a des types de rôle à jouer et j’en ai évoqué quelques-uns : nouvelle centralité, nouvelle polarité, village urbain, et d’autres encore. D’autres encore sont à inventer – finalement peu importe la liste –, mais il est incontestable qu’il y ait bataille dans les rôles à tenir. Je le disais tout à l’heure : s’il n’y a pas de conflit, il n’y a pas de raisons de trouver de nouvelles modalités, et il est plutôt sain qu’il y ait bataille. C’est le terreau dont nous avons besoin que de nous rendre compte qu’en fait, trois communes côte à côte sont en train de courir le même lièvre avec la même zone d’activité ou le même projet commercial. À partir de là, effectivement, il faut se bousculer pour créer des raisons supérieures d’entraîner ces espaces de projets à les reconsidérer dans un espace plus ample, en dehors duquel, en réalité, ils ne trouveront pas leur rôle. Quand je disais qu’il n’y a pas de metteur en scène, c’est que d’une certaine façon, il est collectif. Ce fonctionnement de périphérie à périphérie – et vous avez raison de le souligner car je ne l’ai pas assez dit – est lui aussi l’expression que quelque chose s’est passé dans les agglomérations. On ne peut plus juste considérer l’agglomération comme une sorte de fruit avec son noyau et sa chair, parce que dans la chair, il y a des noyaux aussi et tout d’un coup, ça se joue dans quelque chose de beaucoup plus polycentrique ; c’est un polycentrisme de diverses natures. Il y a aussi la relation entre cet ensemble et l’extérieur de l’agglomération, avec les jeux d’interface que certaines communes peuvent exercer par le biais de toute une série de fonctions extrêmement intéressantes qu’il faut revendiquer et qui sont la matière du PLU communautaire. Le PLU communautaire est réussi du moment que les communes se dressent en disant « moi, je joue pour faire ça », « moi, je suis d’accord, je suis autour de la table, mais telle est ma fonction » ou « tu devrais être dans cette fonction-là, car tu as telle ressource que nous n’avons pas », l’expliquent aux autres et entendent ce que les autres en pensent. À partir de là, effectivement, l’énergie communautaire est en
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marche, mais il a fallu d’abord qu’il y ait bataille, rivalité, petite course effrénée pour aller plus vite que le voisin et capter la zone d’activité, le lotissement… C’est la vie.
«
Je voudrais faire le lien entre l’exposé de M. Bigot et le vôtre, pour essayer de mettre en perspective ce PLU. J’estime que l’agglomération strasbourgeoise vit un paradoxe : elle souhaite vivre dans la cour des grands pour maintenir un certain nombre d’institutions ou pour revendiquer son statut de grande métropole régionale, mais nous disions aussi qu’une agglomération sans projet, sans extension, est une agglomération qui se meurt. Là, je m’y perds un peu parce qu’on veut continuer à jouer dans la cour des grands, mais avec des petits moyens. Nous sommes en train de perdre notre aéroport international, nous sommes les premiers à courir à Baden-Baden vers les low cost, nous avons attendu le TGV une vingtaine d’années et nous avons été la dernière métropole régionale à obtenir ce réseau ferré à grande vitesse. À grande échelle, si Strasbourg souhaite continuer à jouer parmi les grandes métropoles régionales, elle doit aller au-delà du Rhin, travailler l’Eurodistrict et tendre vers ce qu’on a pu voir autour de l’espace bâlois. Voilà pour la grande échelle. Concernant la petite échelle, j’ai habité le centre de Strasbourg et me voilà maintenant à la marge d’un village urbain. J’ai effectivement le souci de maintenir l’environnement, mais tous les matins, on se heurte à des problèmes de fluidité. Opposer la lenteur du village urbain avec la rapidité du centre urbain, peutêtre, mais il n’empêche que le village urbain n’est pas déconnecté de la vie de l’hypercentre ; nous sommes donc en plein paradoxe et je me dis « ah, enfin un PLU à l’échelle communautaire », parce que j’estime que si nous voulons nous placer pleinement dans le XXIe siècle, il nous faut un PLU avec de nouvelles ambitions, avec le souci d’éviter l’autonomisme communal, mais en limitant la polarité excessive de l’hypercentre. Je suis désolé, mais le grand contournement ouest de Strasbourg se pose au quotidien, car nous sommes asphyxiés par ces traversées de poids lourds très dangereux qui viennent enfreindre la fluidité ; nous avons besoin d’aller travailler en ville tous les jours, et nous avons besoin de nos campagnes pour vivre. Nous sommes en plein paradoxe, mais je crois que cela passe par une ambition à une échelle communautaire. »
«
Il me semble que les réflexions de ce soir seraient plus pertinentes au niveau du SCOTERS que du PLU communautaire, quitte à modifier légèrement son périmètre qui est un peu bizarre. Les enjeux que vous avez cités en matière de production d’habitat et de ville, de mobilité, d’environnement, se posent davantage entre la quatrième ou la cinquième couronne, et donc je pense qu’on peut se poser cette question au niveau de la révision du SCOTERS. »
«
Je rejoindrais l’avis de la personne ayant parlé des dents creuses de Strasbourg parce qu’actuellement, on voit un PLU qui va être bétonné du centre vers l’extérieur. J’aimerais que le PLU soit plutôt comme les cernes d’un arbre, c’est-à-dire que le centre reste comme il existe, mais en bétonnant par exemple le Neudorf qui en est proche. Actuellement, les cartes montrent de grandes taches vertes, mais ce sont les taches
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on veut continuer à jouer dans la cour des grands, mais avec des petits moyens
le village urbain n’est pas déconnecté de la vie de l’hypercentre
les réflexions seraient plus pertinentes au niveau du SCOTERS que du PLU communautaire
un PLU qui va être bétonné du centre vers l’extérieur
des pelouses synthétiques des stades de football ! Concernant la fluidité, les véhicules 4x4 à Strasbourg constituent un problème. Enfin, vous avez dit que la subsidiarité ne vous plaît pas, mais le principe de la subsidiarité, c’est de faire sur place ce qui, au-dessus, les dépasse. »
80 % des logements neufs ne sont accessibles qu’aux Français les plus riches
«
J’ai une question concernant les dents creuses. Un article dans Le Monde du 31 octobre dernier m’a frappée : 80 % des logements neufs ne sont accessibles qu’aux Français les plus riches. C’est un problème de densification, de hausse du prix des matériaux et, en ce qui nous concerne ici, de spéculation sur le terrain. Quelle solution voyez-vous ? Faut-il tout de même diminuer la densification ? Par ailleurs, vous avez parlé de mettre en place une prise de décision partagée, par la rencontre entre élus, citoyens et technocrates sur des questions de vie communautaire. Comment la mettre effectivement en place ? »
Martin Vanier
il y a un partage des acteurs et il y a un partage en échelle
nous transférons cette collision d’opinions et d’intérêts à des gens à qui nous demandons de prendre les décisions finales
Tout est là, dans les témoignages des uns et des autres. D’une certaine façon, vos comportements et vos interventions apportent des réponses aux questions que vous vous posez. On entend des habitants très attachés à la partie strasbourgeoise de l’agglomération me rappelant l’existence de l’échelle du quartier, tout comme on m’a rappelé que le village urbain n’était pas que dans les campagnes, mais qu’il y avait de la dimension villageoise dans certains quartiers. Vous avez parlé de votre vigilance à l’égard de certaines conceptions de l’urbanisme du PLU, cette fois-ci de la commune même de Strasbourg. Une autre habitante a demandé comment fabriquer ce fameux partage entre les élus, techniciens, acteurs divers et variés ; n’oublions pas quelques interlocuteurs latéraux, à savoir les promoteurs, les constructeurs, c’est-à-dire ceux qui fabriquent la ville. On peut aimer, ne pas aimer, protester, il faudra avoir ces acteurs pour prendre des décisions partagées, sinon, eux aussi vont estimer que c’est une forme de démocratie curieuse que la nôtre. Bref, il y a un partage des acteurs et il y a un partage en échelle. Je trouve cela assez exemplaire, car quiconque s’exprime tend pour l’instant encore à le faire du point de vue limité qui est le sien – mais comment le reprocher ? –, et avec une position très revendicative, d’alerte, une position affirmative de ce qu’il estime être une raison majeure, indépassable, quelque chose d’un peu scandaleux même quand on est remonté sur une cause. Si on met bout à bout les interventions des uns et des autres, que se passe-t-il de plus dans la décision ? À un moment donné, effectivement, nous transférons cette collision d’opinions et d’intérêts à des gens à qui nous demandons de prendre les décisions finales, et ils font un truc plus ou moins acceptable. Je pense que notre réflexe est ensuite de dire : « Etant donné que cette espèce d’accident démocratique que vous représentez dans la somme des intérêts est limité, moins vous êtes là et mieux on s’en sort, parce que ça va être très compliqué de faire émerger quelque chose de commun. » C’est un peu cela, notre drame : nous sommes perpétuellement conduits à transférer à une instance limitée, qu’on appelle la démocratie élective, le devoir d’agréger des choses de plus en plus complexes en divergences d’intérêts et en niveaux nécessaires de complémentarité, du communal jusqu’au régional. Après, il ne faut pas se plaindre du fait qu’il y a eu ce délestage de cette complexité,
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dont nous sommes les producteurs par chacune de nos opinions, sur des élus à qui l’on demande d’être porteurs de la totalité du discours alors qu’évidemment, ils vont faire une synthèse. Je me répète : la démocratie est un exercice laborieux, très consommateur de temps, et je ne vois pas d’autre solution que la fabrication inlassable du débat, de la controverse puis de la délibération. On ne débat pas d’un SCOT pendant cinq ans, on ne met pas trois ans ou huit ans pour faire un PLU, il y a des actes qui à un moment donné permettent de prendre des délibérations. Nous avons en France tout ce qu’il faut comme outils pour fabriquer ces moments de débat et de délibération ; nous avons une boîte à outils pleine, du conseil de quartier au conseil de développement, des principes référendaires aux formes les plus publiques de la démocratie. Nos conseils municipaux sont ouverts, notre presse municipale est active, la démocratie électronique commence à se mettre en place. À la suite de quoi, effectivement, il faut se servir de ces outils. Par contre, ce dont nous manquons cruellement, c’est d’une ingénierie démocratique, c’est-à-dire ces efforts qui consistent à faire ces moments-là et plein d’autres, et à partir desquels les opinions vont petit à petit se caler, les choses dites auront été entendues ; lorsqu’elles font blocage, on trouvera des moyens de les dépasser, les opinions limitées et les vues étroites ne seront plus prises en considération pour le collectif, et peu à peu, parce que c’est la mécanique même de la démocratie, on va finir par trouver ce qui émerge. Vous me demandez comment prendre des décisions partagées. D’abord en prenant la résolution, à l’endroit où il y a de la décision à prendre – le conseil communal, le conseil communautaire – qu’on ne fait pas tout seul l’acte de la décision. On prend acte que telle délibération est en attente de telle autre et qu’à un moment donné, il y a un temps organisé pour les confronter, se rendre compte qu’elles ne collent pas, trouver une modalité de travail pour les faire se rapprocher, donner des mandats aux techniciens et aux élus pour que ceci ait lieu, etc. Il faut également organiser des réunions citoyennes avec non seulement les gens du quartier, mais aussi ceux qui le traversent sans y habiter. Bref, c’est cela que j’appelle l’ingénierie démocratique qui est un énorme chantier, peut-être plus ambitieux encore que celui qui consiste à faire la ville, matériellement parlant. Il n’y a pas de miracle, il n’y a que l’usage des outils démocratiques dont nous avons trop souvent tendance à considérer qu’ils ne sont pas pour nous parce qu’en fait, on ne participe pas trop à ce jeu. Je crois, pour l’avoir été pendant un mandat et demi, que les élus se dépatouillent avec cette production qui n’est pas assez élaborée par nous tous, métropolitains. On le voit bien : les uns déclarent qu’ils veulent ce PLU communautaire et les autres interviennent en disant « dites, les dents creuses dans Strasbourg, ça ne va pas le faire ». Donc, ce que j’entends quand on interpelle d’emblée la dent creuse, c’est que le débat n’est pas celui du PLU communautaire. Mais en même temps, il n’est pas très loin, parce que si la solution n’est pas la densification dans les dents creuses, c’est qu’il y a d’autres réponses urbaines ailleurs et qu’il faut en débattre. Alors débattons-en, chers amis citoyens et élus. Je ne vois pas d’autre solution que le débat. Finalement, c’est plutôt heureux : il n’y a pas de sauveur. ■
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la démocratie est un exercice laborieux, très consommateur de temps, et je ne vois pas d’autre solution que la fabrication inlassable du débat, de la controverse puis de la délibération
l’ingénierie démocratique est un énorme chantier, peut-être plus ambitieux encore que celui qui consiste à faire la ville, matériellement parlant
CONCLUSION PAR JACQUES BIGOT, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE STRASBOURG
Je voudrais remercier Martin Vanier d’être intervenu brillamment, d’avoir recadré le débat et fort bien introduit notre travail démocratique de construction de ce PLU communautaire. Je vous remercie vous aussi parce que dans vos interventions, vous avez déjà abordé un certain nombre de questions et de problématiques. Merci à Martin Vanier d’avoir conclu sur la difficulté des élus d’arriver à faire comprendre que l’intérêt général n’est jamais la somme des intérêts individuels divergents. Ce que nous avons à construire ensemble dans le cadre du PLU communautaire, c’est bien entendu un plan d’urbanisme, mais aussi une vision de ce que nous voulons que notre agglomération devienne, et comment cela se traduit ensuite dans notre urbanisme. Un certain nombre de sujets ont été évoqués tels que le développement économique ou l’Eurodistrict, mais nous ne construirons pas l’urbanisme avec nos voisins allemands. Je rappelle qu’avant 2002, nous avons commencé à travailler sur le Scot – un livre blanc de diagnostic fait avec nos voisins allemands – et qu’aujourd’hui, la ville de Strasbourg construit son développement vers le Rhin en partenariat avec nos voisins de Kehl. Mais le PLU, c’est aussi un document juridique d’urbanisme et ce périmètre s’arrête à la frontière ; sans doute ne faut-il pas parler de couronnes, car je ne crois pas que les Allemands veuillent qu’on les prenne dans nos couronnes. D’autres sujets importants ont été évoqués tels que les grandes infrastructures, notre développement, l’aéroport. Après tout, si on va à Baden pour prendre un avion et aller en une heure à Hambourg ou à Berlin, ce n’est pas un drame absolu dans notre développement et il ne faut pas non plus ignorer les autres aéroports. Le vrai sujet est l’accessibilité de manière globale. Sur le TGV, certes, nous avons mis du temps. En 2016, nous aurons un TGV à 1h50 sur Strasbourg, et je rappelle que le 11 décembre, la ligne TGV Rhin-Rhône sera la première à desservir des agglomérations françaises sans nécessairement passer par Paris. Notre drame est parfois de penser que chez nous, ça pourrait être mieux ; oui, ça pourrait toujours être mieux, mais nous ne sommes pas forcément si mauvais que cela. Ce que j’ai trouvé intéressant dans vos propos et qu’il faut intégrer dans nos réflexions – et je le dirai au maire de Strasbourg quoique Alain Jund, son adjoint à l’urbanisme, le sache déjà –, c’est que nous devrons intégrer cette notion de village urbain dans la ville comme lieu de vie. Il est vrai que la ville s’est aussi construite avec une périphérie et que le Neuhof et le Stockfeld étaient, il n’y a pas si longtemps, des quartiers à la périphérie du centre de la ville. Les questions démographiques sont essentielles, et le vieillissement de la population est important. En tant que maire d’Illkirch, je peux vous indiquer que la ville s’est beaucoup plus développée avant les
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années 90 qu’après. Cela n’est pas lié à l’augmentation de la population qui est de 5 à 6 % dans la commune, mais à la baisse du taux d’occupation des appartements par ménage pour deux raisons : la décohabitation et le vieillissement. Le fait que des gens vivent aujourd’hui jusqu’à 90 ans dans leur lieu de vie est une évolution fondamentale qui fait que nous avons un besoin cruel de logements rien que pour répondre aux besoins actuels des habitants. Mais en même temps, si nous ne répondons pas aux besoins de développement, que deviendra notre université si nous ne pouvons pas accueillir des étudiants ? Que deviendront nos zones d’activité si une entreprise veut s’implanter et que nous ne pouvons pas accueillir de nouveaux habitants ? Alors, faut-il pour autant supprimer tous les jardins ? Non. Nous avons inscrit très fortement que nous voulions maintenir la nature dans la ville avec une politique agricole dans la communauté urbaine, mais aussi avec la présence de parcs naturels urbains et de lieux de nature. Lorsque nous avons commencé, à Illkirch-Graffenstaden, à faire des prairies fleuries au lieu des espaces verts traditionnels, on est venu me dire qu’il y a des gens qui cueillent les fleurs ; mais si les gamins retrouvent le plaisir de la nature en ville en cueillant des fleurs, ce n’est pas forcément gênant. Par contre, il faut développer les jardins partagés, et non pas les mûriers, les groseilliers ou les framboisiers individuels que certains pourront avoir dans leur jardin au centre de la ville. Ce sont des sujets compliqués qu’il faut que nous ayons le courage d’aborder. Je vous invite à vous connecter à notre site Facebook et à dire ce que vous en pensez pour que peut-être nous ne fassions pas les erreurs d’hier, parce que si la ville et la communauté urbaine se développent et qu’il ne devait plus y avoir d’espace de nature, personne n’aurait envie d’y vivre. Je vous invite à venir à la conférence du 1er décembre prochain avec Jacques Donzelot, qui parlera des fluidités et de la manière dont la mobilité dans l’agglomération participera à cette capacité de vivre dans la mixité qui est indispensable à notre agglomération. Merci et bonne soirée à toutes et à tous.
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