Camp des Milles - Rwanda

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UNE CICATRICE DANS L’HISTOIRE RWANDA 1994 > LE GÉNOCIDE DES TUTSI

PHOTOGRAPHIES STÉPHANE DUMONT DE SAURET



UNE CICATRICE DANS L’HISTOIRE RWANDA 1994 > LE GÉNOCIDE DES TUTSI

EXPOSITION RÉALISÉE AVEC LE SOUTIEN DE LA :


Le monde est dangereux à vivre, non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. Albert Einstein

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Le Site-Mémorial du Camp des Milles

Seul grand camp français d’internement et de déportation (1939-1942), encore intact et accessible au public, le Camp des Milles abrite aujourd’hui un important Musée historique, tourné vers l’éducation et la culture. Antichambre d’Auschwitz sous le régime de Vichy, le Camp des Milles vit passer dix mille personnes de trente-huit nationalités entre 1939 et 1942, avant même l’occupation de la zone par les Allemands. Plus de deux mille d’entre eux, hommes, femmes et enfants juifs, seront déportés vers Auschwitz, via Drancy ou Rivesaltes. S’appuyant sur l’histoire du lieu, l’action du Site-Mémorial est destinée à renforcer la vigilance et la responsabilité de chacun, face à l’antisémitisme, aux racismes et tous les fanatismes : • d’une part, en s’appuyant sur la mémoire et l’histoire de la Shoah et des crimes génocidaires commis contre les Arméniens, les Tsiganes et les Tutsi, ainsi que sur les résistances à ces crimes. • d’autre part, en tirant parti des acquis scientifiques permettant de comprendre les processus individuels et collectifs qui peuvent conduire à ces crimes, mais aussi les capacités humaines qui permettent de s’y opposer. Le Camp des Milles est un site sauvé par 30 ans de mobilisation de la société civile, soutenue par les grands porteurs de la Mémoire, Madame Simone Veil et Messieurs Serge Klarsfeld, Robert Badinter et Elie Wiesel.

Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

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Avant-propos

ALAIN CHOURAQUI

BERNARD MOSSÉ

Directeur de Recherche au CNRS

Responsable des contenus

Président de la Fondation du Camp des Milles

du Site-Mémorial

- Mémoire et Éducation

du Camp des Milles

Le pari d’apprendre des tragédies de l’histoire Cinquante ans après la Shoah, en Europe, quatre-vingts ans après l’Arménie, en Asie, un autre génocide sur un autre continent, l’Afrique, a ensanglanté le XXe siècle. La croyance humaniste que l’homme peut apprendre de son passé, au fondement du Site-Mémorial du Camp des Milles, semble confrontée à une objection violente, à une épreuve sanglante. Après la Shoah, une brisure dans le monde des hommes, une « césure anthropologique»1 , un moment de négation pure de la condition humaine, à ne plus savoir de la victime « si c’est un homme », « si c’est une femme », combien ont cru à l’irréversibilité de la leçon, au « plus jamais ça ! ». En trois mois, d’avril à juillet 1994, les trois-quarts de la population tutsie ont été massacrés au Rwanda, près d’un million d’individus ont été assassinés. Un nouveau génocide, une nouvelle cicatrice dans l’histoire de l’humanité… Les mêmes questions se posent alors : comment cela a-t-il été possible ? Qui sont les responsables ? Comment empêcher que cela se reproduise ? Que transmettre aux générations à venir afin de donner les clés pour comprendre, les repères pour agir ? Avec cette exposition, nous avons voulu contribuer à fournir quelques réponses, souvent les mêmes d’un génocide à l’autre. Car il existe bien une histoire commune des génocides, telle que l’expose le « Volet réflexif » du Site-Mémorial du Camp des Milles, le seul en France, à notre connaissance, à présenter de manière permanente le génocide des Tutsi, en lien avec cette analyse des constantes et des convergences développée à partir de l’histoire du lieu et donc de la Shoah. Le génocide des Tutsi au Rwanda possède bien sûr ses spécificités qui le distinguent à des degrés divers des autres génocides du XXe siècle, en particulier : des racines dans l’histoire coloniale, une concentration extrême dans le temps et l’espace, et, entre les bourreaux et les victimes, une fréquente proximité de voisinage, sociale et spatiale, quelquefois familiale. Sans parler du processus de reconnaissance et de réconciliation, certes sinueux mais accéléré au regard de celui des Arméniens de l’Empire ottoman ou des Juifs d’Europe. En même temps, ce crime emprunte des chemins communs aux autres génocides, parmi lesquels : un terreau de stéréotypes et de préjugés d’où germent rejet de l’autre et violences discriminatoires ; une montée des intolérances individuelles, collectives et institutionnelles, avec des étapes comparables du racisme ordinaire au massacre de masse ; des mécanismes psychosociaux de soumission aveugle à l’autorité, de conditionnement et d’effet de groupe, adossés notamment à la propagande médiatique; des conflits armés qui sont à la fois causes et conséquences de l’exacerbation des tensions sociales et raciales, de la brutalisation de la société ; surtout une passivité coupable – « ne rien faire c’est laisser faire » – qui atteint aussi bien la société rwandaise que la communauté internationale.

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Et face à ces mécanismes du pire, ici aussi la résistance des meilleurs : des centaines, des milliers d’actes de sauvetage et de résistance, des milliers d’actes justes (comme nous les appelons au Site-mémorial du Camp des Milles), au milieu des appels au meurtre et des massacres de proximité. Au cœur de la folie organisée une humanité résistante. Cette exposition a ainsi été conçue en s’appuyant sur l’analyse pluridisciplinaire présentée au Camp des Milles, à partir des sciences de l’homme et de la société, qui mettent en avant les engrenages et les résistances, la propagande et la passivité, le terreau du racisme et les actes justes. Voulue et produite par notre Fondation pour marquer le vingtième anniversaire du génocide des Tutsi, elle a été confiée, pour sa partie principale, à un artiste, photographe et réalisateur, Stéphane Dumont, qui a déjà travaillé à plusieurs reprises pour notre Site-Mémorial et qui présente une série de 20 grandes photos – vingt comme le nombre d’années qui nous relient au génocide – , centrée sur des figures d’hommes et de femmes saisis aujourd’hui avec les traces incorporées de la violence meurtrière d’il y a vingt ans. Résultat d’un travail de terrain précis et sensible, rendu possible par les contacts entre la Fondation du camp des Milles, Madame Dafroza Gautier et les autorités rwandaises, il a rapporté du Rwanda cette série de photos légendées par les propres paroles des victimes mais aussi une série de témoignages filmés sur les événements de 1994 et le long chemin jusqu’à aujourd’hui. Le choix d’une exposition d’abord artistique est le fruit d’une réflexion difficile. Il s’inscrit dans une vision plus large de l’activité culturelle de la Fondation. Il s’agit non seulement de faire comprendre mais aussi de faire sentir la portée universelle de ces terribles expériences. L’approche sensible du passé, complémentaire de l’approche scientifique, doit devenir un atout pour permettre à l’homme d’aujourd’hui de connaître et d’éviter les chemins individuels et collectifs qui peuvent conduire au pire. Cette dimension culturelle sur le lieu d’une mémoire tragique ne va pas de soi. Elle nous oblige à la plus grande vigilance par respect pour les souffrances nées de ce lieu, par égard pour les visiteurs qui viennent s’y confronter. En même temps, elle trouve sa légitimité dans le rôle même de la culture dans les engrenages qui ont mené à la barbarie et aussi, au camp des Milles, dans le nombre d’artistes et d’intellectuels internés mais continuant souvent de « créer pour résister ». C’est « une certaine culture » qui a justifié le crime nazi, c’est une autre culture, avec d’ailleurs quelquefois la même « matrice intellectuelle »2 qui a justifié le génocide des Tutsi : la culture anthropologique de la race, la culture politique du nationalisme : « La culture … c’est encore et toujours un lieu de conflits où l’histoire prend forme et visibilité au cœur même des décisions et des actes, aussi barbares ou primitifs soient-ils »3 . L’exposition est donc organisée en deux parties qui se renforcent l’une l’autre : - l’exposition photos qui, sans voyeurisme ni pathos, avec dignité, nous renvoie les visages souvent douloureux, parfois sereins, de ceux qui ont survécu, touchés visiblement dans leurs corps, et atteints jusque dans leur regard ; - l’exposition documentaire, centrée sur des témoignages originaux filmés ou écrits, des objets et des archives –documents officiels et articles de presse-, qui rendent compte des engrenages institutionnels et des étapes du racisme ordinaire au racisme exterminateur, de la passivité de certains acteurs, notamment internationaux. En vis-à-vis essentiel pour notre foi en l’homme, sont présentés des actes justes de sauvetage et de résistance. Une partie est enfin réservée à la projection de quelques témoignages plus longs de victimes. Artistique et scientifique par construction, cette exposition se veut également éducative. Destinée au grand public, elle vise à toucher les plus jeunes qui représentent plus de 40% de nos visiteurs. Une version itinérante est conçue pour circuler dans les établissements scolaires et servir de support à information, échanges et débats. Contre les récurrences tragiques de l’histoire, mais aussi en prenant appui sur ces tragédies mêmes qui construisent une expérience cumulée, un atout nouveau pour toute l’humanité, nous persistons, à travers cette exposition aussi, à faire le pari que l’homme peut apprendre de son passé, lentement et malaisément, avec d’horribles bégaiements de l’histoire, mais progressivement et sûrement. Face à la montée des racismes, de l’antisémitisme et de la xénophobie, en France comme ailleurs, au développement des intolérances, des nationalismes et des extrémismes, avons-nous d’autre choix en ces re-commencements que d’opposer à l’engrenage des intolérances la résistance des « armes de l’esprit » ?

1 - In « Pourquoi interroger la Shoah aujourd’hui ? », Georges Bensoussan, conférence janvier 2013, Paris. 2 - In « Rwanda, racisme et génocide, l’idéologie hamitique», J-P. Chrétien et M.Kabanda, Paris, 2014. 3 - In « Ecorces », Georges Didi-Huberman, Paris, 2011

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Avant-propos DAFROZA GAUTHIER Fondatrice du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda) Conseillère scientifique de l’exposition

Rwanda 1994 : la reconnaissance des Justes dans le génocide des Tutsi au Rwanda En 1994, dans ma petite ville de Butare, comme partout dans le pays, c’est le chaos. Bruit de machettes, bruit de gourdins, bruit de terreur et d’armes à feu. C’est une mise à mort systématique de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards dont le seul crime est d’être né Tutsi. En 1994, dans ma petite ville de Butare, des citoyens ont essayé de résister : le premier d’entre eux, le préfet Jean-Baptiste, tenta de protéger les siens. Il fut assassiné pour l’exemple. En 1994, dans ma petite ville de Butare, on tuait au grand jour mais aucune information ne nous parvenait. C’était le silence assourdissant, aucune nouvelle ne filtrait, ce fut le huis clos. En 1994, dans ma petite ville de Butare, quelques enfants survivent. Ils sont convoyés par le CICR (Comité international de la CroixRouge) à Bujumbura début juillet. Un coup de téléphone d’une amie nous annonce que deux petits cousins, Pauline 11 ans, et Jean-Paul 7 ans sont en vie, elle les a reconnus. En 1994, à Reims, toute la famille s’organise et se prépare à les accueillir. Après quelques démarches administratives, Pauline et Jean-Paul arrivent le 15 août 1994 parmi nous, accueillis par leurs cousins. En 1994, dans ma petite ville de Butare, d’autres adultes survivent. Parmi eux, il y a Léopold. C’est le papa de Pauline et de JeanPaul. Sa femme Médiatrice et sa fille Delphine n’ont pas eu cette chance. Daniel, son voisin, Hutu, a eu le courage de le cacher dans le plafond de sa maison pendant les trois mois de l’horreur. Cette nouvelle inespérée nous parviendra plus tard. Au bout d’une année scolaire, au cours de l’été 1995, Pauline et Jean-Paul regagneront le Rwanda, retrouver leur papa Léopold. En 1994, dans ma petite ville de Butare, Daniel a résisté à la consigne de l’État génocidaire. Ce n’était pas facile. Son acte “juste” est un exemple et rejoint ceux de ses pairs. Ils rachètent tous notre humanité. Ici, au Camp des Milles, ils sont célébrés à juste titre dans ce Mémorial. L’hommage qui leur est rendu nous honore, honore toute l’humanité. Après 1994, c’est la reconstruction. Reconstruction sociale, reconstruction politique, reconstruction économique, la reconstruction de soi. Après 1994, c’est aussi et surtout la construction de la mémoire et la lutte contre l’oubli. Lutter pour que justice soit rendue, lutter contre toute forme de négationnisme. En poursuivant en justice les présumés génocidaires rwandais présents sur le sol français, le CPCR – Collectif des parties civiles pour le Rwanda – participe à la reconstruction, à la difficile réconciliation et à l’indispensable reconnaissance des Justes.

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STÉPHANE DUMONT DE SAURET Photographe

Le danger de notre ignorance Seulement 20 ans, et s’ajoute déjà au dramatique oubli l’odieuse offense de l’indifférence. À quoi sert un reportage photographique s’il ne nous propose pas une autre vision ? S’il ne nous sort pas de cet aveuglement parfois volontaire dont nous faisons preuve face aux cicatrices de l’Histoire ? J’ai souhaité ouvrir mes yeux en grand sur les stigmates d’un chaos contrôlé. J’ai souhaité retirer mes mains de mes oreilles et, plutôt que crier, donner la parole à ces hommes et ces femmes rescapés d’une marche historique innommable. Je me suis rendu sur les lieux où s’est produit l’horreur pour rencontrer, vingt ans plus tard, vingt rescapés. Là où bourreaux et victimes ont appris à redevenir voisins. Là où le pardon est contraint de trouver une place au sein de la justice. La où l’on raconte dans des murmures les coups de machettes, les traques et les tortures, le regard du tueur et de notre confortable indifférence. Ce récit photographique est bien loin de ce que ma connaissance imparfaite me permettait d’imaginer avant de me confronter à la réalité. C’est pourquoi je vous propose de partager ce vécu l’instant d’une visite et de nous interroger sur nous-mêmes, sur ce que veulent dire culture, éducation et information ; bref de braquer sur nous ces photographies : miroir d’un questionnement sur l’intérêt porté aux autres. Cette exposition ne prétend pas faire un résumé de la complexité du génocide Rwandais. Mais propose un récit où s’articulent photographies et extraits de témoignages, rendant compte de l’importance de notre lien au reste du monde et du danger de notre ignorance.

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Chronologie Le génocide au Rwanda La communauté internationale incapable d’arrêter l’horreur Dès avant l’époque coloniale, la population du Rwanda est composée de Hutu, de Tutsi et de Twa : les Tutsi sont pour la plupart éleveurs, les Hutu agriculteurs et les Twa des potiers cueilleurs. À partir de la fin du XIXe siècle, les colons allemands puis belges font de cette distinction économique et sociale une donnée raciale figée. Ils la renforcent en appuyant leur pouvoir sur les Tutsi, très minoritaires. Après la décolonisation, obtenue en 1962, cette rivalité se poursuit. Les Hutu au pouvoir commettent les premiers massacres. Beaucoup de Tutsi sont contraints à l’exil, où ils créent le Front patriotique rwandais (FPR), dont les troupes tentent à plusieurs reprises de pénétrer au Rwanda. Lorsque le Président Juvénal Habyarimana, un Hutu, est tué dans un attentat le 6 avril 1994, les autorités rwandaises profitent de cette occasion pour déclencher un génocide contre les Tutsi. Encouragées par les appels de la radio Mille Collines, les milices Hutu Interahamwe traquent les Tutsi à travers le pays. Des civils participent aux massacres, commis le plus souvent à l’aide de machettes. Hommes, femmes et enfants Tutsi sont souvent même tués par leurs voisins. Beaucoup de médias et d’hommes politiques ont parlé de conflits inter-ethniques complexes. Cette thèse, appuyée sur les massacres commis par les forces Tutsi qui ont reconquis le Rwanda pour mettre fin au génocide, cherche surtout à relativiser le génocide contre les Tutsi. Au total, plus d’un million de Tutsi, mais aussi des opposants Hutu, ont été assassinés en quelques semaines. Malgré l’ampleur de la catastrophe et son caractère prévisible tant les appels au meurtre se multipliaient depuis le début des années 1990, la communauté internationale a été incapable d’empêcher un nouveau génocide, 50 ans après la Shoah, entraînant ainsi une nouvelle cicatrice dans l’histoire de l’humanité.

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1897

1990

Mise en place du protectorat militaire allemand sur le Rwanda. Le pays se compose alors principalement de trois groupes socio-ethniques : les Hutu, majoritaires, les Tutsi, minoritaires et occupant des postes de pouvoir, et les Twa.

Le FPR lance sa première offensive dans l’Est du pays, rapidement endiguée par les FAR (Forces armées rwandaises) appuyées par des troupes étrangères (zaïroises, belges et françaises). Les Tutsi de l’intérieur sont accusés de complicité avec l’ennemi.

1922 Le Rwanda est placé sous mandat belge.

1992

1931

Des Tutsi sont désignés à tort comme responsables d’assassinats de Hutu. Cette accusation sert de prétexte à un massacre organisé au sud de Kigali.

L’administration Belge introduit la mention ethnique sur les cartes d’identité.

1959

1993

Le 1er juillet, le Rwanda accède à l’indépendance.

Sous l’impulsion de la communauté internationale, le président Habyarimana signe avec l’opposition et le FPR les Accords d’Arusha qui prévoient le partage du pouvoir. La MINUAR (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda), commandée par le général Dallaire, entame son opération de maintien de la paix.

1963

1994

Après une incursion d’exilés Tutsi depuis le sud du pays, les Tutsi de l’intérieur sont victimes d’une répression violente qui fait plus de 10 000 morts.

Le soir du 6 avril, l’avion du président Habyarimana est abattu. Kigali est quadrillée par l’armée et la milice. Le 7 avril, Agathe Uwilingiyimana, premier ministre, est assassinée par des militaires ; les opposants politiques Hutu sont exterminés systématiquement. Dix casques bleus belges affectés à la protection du premier ministre sont massacrés par des soldats rwandais. Le 9 avril, un gouvernement intérimaire est constitué. Du 9 au 15 avril, la Belgique et la France notamment envoient des troupes au Rwanda pour l’évacuation de leurs ressortissants. Le 21 avril, en plein génocide, le Conseil de Sécurité des Nations unies réduit considérablement ses effectifs au Rwanda. À la fin du mois de mai, le génocide est presque accompli. Le 22 juin, la France lance l’Opération Turquoise sous l’autorité des Nations unies, opération militaro-humanitaire qui doit sauver des Tutsi mais qui permettra en réalité aux cadres du gouvernement génocidaire et aux nombreux tueurs de fuir devant l’avancée des troupes du FPR. Le 4 juillet, le FPR remporte la bataille de Kigali. Le 19 juillet, les forces génocidaires sont en déroute, poussant deux millions de civils Hutu vers le Zaïre ou la Tanzanie. Un nouveau gouvernement d’Union nationale est mis en place à Kigali.

Après le massacre de centaines de Tutsi, les Belges renversent leur alliance au profit des Hutu.

1962

1973 Après un coup d’État, Juvénal Habyarimana, officier Hutu originaire du Nord, prend le pouvoir.

1987 Des réfugiés Tutsi fondent en Ouganda le Front patriotique rwandais (FPR).

1988 -1989 À cause de l’effondrement du cours du café et du thé, une grave crise économique touche le Rwanda.

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L’ethnicisation de la société rwandaise par l’administration belge Après la Première Guerre mondiale, la Belgique hérite de l’administration coloniale du Rwanda. L’administration belge s’appuie alors sur les Tutsi pour assurer leur autorité. Une prétendue supériorité génétique des Tutsi est mise en valeur à partir d’études raciales et morphologiques. En 1931, l’administration belge introduit la mention ethnique sur les cartes d’identité au Rwanda : Hutu, Tutsi ou Twa. Le colonisateur définit alors un stéréotype pour chaque prétendue “race” et définit alors une prétendue origine extérieure pour les Tutsi qui nourrira le discours de haine pendant les massacres. En avril 1994, ces cartes d’identité deviennent de redoutables instruments de contrôle. Au passage des “barrières” (contrôles routiers installés au début du génocide), la distinction ethnique devient une condamnation à mort immédiate pour les Tutsi.

> Cartes d’identité avec la mention “Tutsi”

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Les “10 commandements” Les “10 commandements” est un manifeste en dix points édité par la propagande officielle du MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement). Il a été publié dans le journal extrémiste hutu “Kangura” (“Réveil” en kinyarwanda), mensuel issu de la mouvance présidentielle. Trois ans avant le génocide, ce document résonne comme un appel à la haine et à l’exclusion.

1. Tout Muhutu doit savoir que Umututsikazi 1 où qu'elle soit, travaille, à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent, est traitre tout Muhutu - qui épouse une Mututsikazi ; - qui fait d'une Umututsikazi sa concubine ; - qui fait d'une Umututsikazi sa secrétaire ou sa protégée. 2. Tout Muhutu doit savoir que nos filles Bahutukazi sont plus dignes et plus consciencieuses dans leur rôle de femme, d'épouse et de mère de famille. Ne sont-elles pas jolies, bonnes secrétaires et plus honnêtes ! 3. Bahutukazi, soyez vigilantes et ramenez vos maris, vos frères et vos fils à la raison. 4. Tout Muhutu doit savoir que tout Mututsi est malhonnête dans les affaires. Il ne vise que la suprématie de son ethnie. Par conséquent, est traître tout Muhutu : - qui fait alliance avec les Batutsi dans ses affaires ; - qui investit son argent ou l'argent de l'Etat dans une entreprise d'un Mututsi ; - qui prête ou emprunte de l'argent à un Mututsi ; - qui accorde aux Batutsi des faveurs dans les affaires (l'octroi des licences d'importation, des prêts bancaires, des parcelles de construction, des marchés publics...). 5. Les postes stratégiques tant politiques, administratifs,

6. Le secteur de l'Enseignement (élèves, étudiants, enseignants) doit être majoritairement Hutu. 7. Les Forces Armées Rwandaises doivent être exclusivement Hutu. L'expérience de la guerre d'octobre 1990 nous l'enseigne.

Aucun

militaire

ne

doit

épouser

une

Mututsikazi. 8. Les Bahutu doivent cesser d'avoir pitié des Batutsi. 9. Les Bahutu, où qu'ils soient, doivent être unis, solidaires et préoccupés du sort de leurs frères Bahutu. - Les Bahutu de l'intérieur et de l'extérieur du Rwanda doivent rechercher constamment des amis et des alliés pour la Cause Hutu, à commencer par leurs frères bantous. - Ils doivent constamment contrecarrer la propagande Tutsi. - Les Bahutu doivent être fermes et vigilants contre leur ennemi commun Tutsi. 10. La Révolution Sociale de 1959, le Référendum de 1961, et l'Idéologie Hutu doivent être enseignés à tout Muhutu et à tous les niveaux. Tout Muhutu doit diffuser largement la présente idéologie. Est traître tout Muhutu qui persécutera son frère Muhutu pour avoir lu, diffusé et enseigné cette idéologie.

économiques, militaires et de sécurité doivent être confiés aux Bahutu.

1-Femme Tutsi

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… j’entendais dire que j’étais Tutsi mais je ne savais pas ce que ça voulait dire, j’allais comprendre…

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Albert 14 ans

Je me suis réveillé dans un charnier au milieu des morts, il pleuvait beaucoup. Je me suis relevé et suis sorti de là.

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A

lbert BIZIMANA était en vacances scolaires quand le Génocide de 1994 contre les Tutsi a commencé. Avant le Génocide, les Tutsi étaient persécutés en classe et séparés de leurs condisciples Hutu. Leurs foyers étaient souvent fouillés et ils étaient suspectés d’être des Inkotanyi (rebelles). Mes grands frères ont été emprisonnés car soupçonnés de résistance. Le matin du 7 avril 1994, nous avons été attaqués par des miliciens. Nous sommes allés nous réfugier à la paroisse catholique de Kiziguro. Sur le chemin, nous avons rencontré des miliciens qui nous ont battus et pris tout notre argent. Nous sommes arrivés trop tard à l’église et les portes étaient fermées. L’église était encerclée de miliciens. Ils ont barricadé les portes pour que personne ne parte. Quelques-uns d’entre eux sont partis tuer les Tutsi soignés à l’hôpital proche de Kiziguro. J’étais avec mes deux grands frères et les trois petits. Les deux grands ont été tués sous nos yeux. Puis ils m’ont battu et donné deux coups de machette dans le cou. Me croyant mort, ils sont partis continuer le désastre plus loin, tout autour de l’église. Je me suis réveillé dans un charnier au milieu des morts, il pleuvait beaucoup. Je me suis relevé et suis sorti de là. J’ai pensé aller à l’hôpital pour que l’on me soigne. Il y avait des miliciens partout. Je suis passé par dessus la clôture de l’hôpital où je suis tombé nez Je suis resté quatre jours sans boire ni manger. Seuls des malades et gardes-malades Hutu étaient restés. Ils se moquaient de moi et attendaient en me regardant agoniser. Puis il y a eu des coups de fusil dans la rue. Personne ne savait qui c’était, alors les malades tentaient de fuir. J’étais incapable de me déplacer, je suis resté sur mon lit à attendre la mort. C’était les troupes d’Inkotanyi ; ils m’ont trouvé et soigné.

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Il faut respecter la vie des êtres humains et lutter contre ceux qui voudraient nuire à la liberté d’autrui.

Albert a aujourd’hui 34 ans. Célibataire, il est titulaire d’une licence en économie et travaille dans le département de l’éducation d’AEGIS Trust.

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Ange 8 ans

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Ce fut la première fois que je vis un homme en tuer un autre. J’allais en voir beaucoup d’autres.


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P

eu avant le génocide, je voyais souvent les miliciens Interahamwe venir, nous accusant d’être Inkotanyi. Je ne comprenais pas ce qu’ils nous reprochaient. La nuit du 7 avril 1994, nos voisins sont venus à la maison et nous ont annoncé la mort du Président. Papa est arrivé du travail peu après et a décidé que nous devions fuir. Ce que nous avons fait mais papa et mon oncle sont partis de leur côté pour aller se battre et retarder l’avancée des miliciens. Ils sont allés dans la vallée car les tueries commençaient. Quelques jours après, papa est revenu ; mon oncle avait été tué. Les femmes allaient chercher les patates douces que les réfugiés mangeaient. Ma famille avait aussi beaucoup de vaches dans la vallée, gardées par notre berger. Ce dernier fut tué parce qu’il refusait de donner nos vaches. Ce fut la première fois que je vis un homme en tuer un autre. J’allais en voir beaucoup d’autres. Dès lors, nous nous sommes réfugiés chez un ami Hutu sur une autre colline. Mais ce dernier nous a rejetés au prétexte qu’il serait tué s’il nous aidait. Il était pourtant lui aussi milicien Interahamwe. Nous avons trouvé finalement refuge chez un autre Hutu marié à une Tutsi. À côté, la maison d’un Tutsi fut brûlée avec toute la famille à l’intérieur. Papa se précipita pour éteindre le feu. Il resta longtemps. Nous sommes alors allés voir. On l’a trouvé dans les décombres grièvement blessé. Nous avons appelé notre hôte Hutu et papa lui a demandé de faire venir les miliciens pour qu’ils le tuent tellement il souffrait de ses brûlures. Il s’est sacrifié pour que l’homme qui nous cachait ne soit pas soupçonné. En attendant les miliciens, papa nous a dit d’aller nous cacher dans la bananeraie. Ils l’ont traîné sur la route et l’ont découpé en morceaux. Une fois repartis, maman et ma tante ont couru voir ce qui restait de mon père. Elles ont couvert quelques parties avec leurs pagnes, mais les chiens avaient déjà emporté la tête et une partie de la jambe. Le chef de la région avait trompé de nombreux Tutsi en disant que le calme était revenu et que les femmes ne risquaient rien. Nous sommes alors retournés dans nos ruines avec mon grand frère et mon cousin, que maman avait habillés en filles. Ils furent découverts et tués tous les deux. Quelques jours plus tard, deux hommes Hutu vinrent à la maison et nous obligèrent à ouvrir la porte. Maman refusa mais ils entrèrent de force. Ils firent sortir maman, j’entendis l’un d’entre eux dire qu’il allait la violer pour savoir quel goût avait une femme Tutsi. L’autre répondit qu’ils allaient être en retard. Peu après maman hurlait. Je me suis mise à pleurer. L’un d’eux m’a attrapée et a commencé à me violer aussi. Pour me faire taire, il a tailladé mon visage et enfoncé un couteau dans mon cou. J’ai perdu connaissance… Je me suis réveillée chez le Hutu qui nous avait cachés juste avant que nous revenions à la maison. Ils m’ont dit que ma mère avait été tuée par les violeurs. En juillet, nous avons pris la fuite vers la République démocratique du Congo. On m’a donné un bagage à transporter mais mes plaies n’étaient pas cicatrisées. Le Hutu qui nous cachait était connu dans la région au point que nous avons pu traverser les barrages de miliciens jusqu’à Bukavu sans qu’ils ne me tuent comme tous les Tutsi qui tentaient de fuir avec leurs voisins Hutu. J’allais faire mes pansements au centre de santé mais, à la troisième visite, je me suis enfuie car des Interahamwe ont commencé à avoir des doutes sur moi. Je me suis rendue avec d’autres au camp de réfugiés qui avoisinait celui du président du régime génocidaire Théodore Sindikubwabo. Celui-ci animait des réunions pour mobiliser les jeunes à envahir le Rwanda. Tous ceux qui tentaient de fuir étaient immédiatement tués. J’ai rencontré une femme qui travaillait pour le Haut commissariat pour les refugiés (HCR). Elle m’a aidée à m’évader du camp et à rentrer au Rwanda, où j’ai finalement rencontré les Inkotanyi qui m’ont aidée à m’intégrer dans la société.

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Nous devons travailler dur pour améliorer nos vies. La meilleure façon de lutter. Le travail est le moyen de lutter contre le divisionnisme.

Ange a aujourd’hui 28 ans. Célibataire, elle est titulaire d’un certificat d’hôtellerie et travaille comme femme de ménage.

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Augustin 8 ans

J’avais huit ans, j’entendais dire que j’étais Tutsi mais je ne savais pas ce que ça voulait dire, j’allais comprendre…

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J’

étais à Kibuye / Bisesero, où se trouvait l’opération Turquoise avec mes parents et mes cinq frères et sœurs. J’avais huit ans, j’entendais dire que j’étais Tutsi mais je ne savais pas ce que ça voulait dire, j’allais comprendre… Mes parents ont choisi de disperser les enfants pour que nous ne soyons pas tous tués en même temps. Le 9 avril lorsque les troupes Interahamwe (milices de la mort) sont arrivées, les adultes et les vieux ont résisté en se battant avec des outils. Nous nous sommes défendus pendant trois jours. Les troupes ont alors demandé l’aide de l’armée, qui est arrivée avec des armes à feu. Ils ont tué presque tout le monde. J’ai reçu des éclats de grenade dans la tête. Le lendemain, l’armée a demandé aux miliciens de retourner au village pour finir le travail. Ils m’ont trouvé, caché. Ils étaient très fâchés ! Ils m’ont alors lacéré le visage et le crâne avec des couteaux, puis battu à coup de bâtons et sont partis, me laissant pour mort. Le jour suivant, ils sont revenus pour continuer leur recherche de survivants. Ils m’ont vu en vie, essayant de fuir en rampant, m’ont attrapé et conduit chez une mère tueuse (femme Hutu tortionnaire). Elle avait trente ans et trois enfants. Elle s’appelle Mukarugarama. J’avais soif. Elle m’a enlevé mes vêtements, bloqué au sol et uriné dans la bouche. Puis, elle m’a attaché à un arbre et brûlé le corps avec des charbons ardents. Puis je ne sais plus. Je me suis réveillé dans une école, j’avais perdu la parole. L’armée française est arrivée, ils nous ont regroupés. Ils nous ont dit qu’ils allaient chercher de quoi manger et qu’ils reviendraient dans quatre jours. Ils sont partis, laissant la place aux milices qui ont cherché à nouveau à tuer tout le monde, jour et nuit. Le quatrième jour, les milices sont parties et l’armée française est arrivée comme promis. Un soldat Français était Tutsi, il cherchait parmi les cadavres. Il m’a trouvé et amené chez le médecin militaire, Catherine. Je suis parti avec elle en hélicoptère pour Goma en RDC, dans un hôpital militaire. Il y avait beaucoup de gens comme moi. Catherine s’est démenée pour rester avec moi et me soigner : elle n’a pas voulu que l’on m’ampute. Elle n’est pas repartie au Rwanda. Elle m’a soigné puis amené à l’orphelinat. Elle m’a dit "Adieu et bonne chance". Après la guerre, on m’a ramené au Rwanda…

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Essaye de pardonner, tes cicatrices ne te feront pas oublier.

Augustin a aujourd’hui 27 ans. Célibataire, il travaille comme ouvrier agricole.

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Cassier 14 ans

Le troisième jour, affamé et en souffrance, je me suis dit : c’est assez. Je dois les appeler pour qu’ils me tuent.

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M

on village se trouvait à l’extérieur de Kigali. Le génocide a commencé ici deux jours après la mort du Président Habyarimana. Vers 9h du matin, j’étais chez ma grand-mère avec mes cousins. Deux jeunes hommes sont arrivés avec des machettes et ont tué ma grand-mère et mes deux cousins. J’ai réussi à m’enfuir en courant vers notre maison. Il y avait 4 personnes qui prenaient toutes nos affaires personnelles. J’ai retrouvé mon oncle et ma tante, je leur ai dit ce qui s’était passé. Je les ai conduits chez ma grand-mère. Les chiens avaient commencé à dévorer leurs corps. Nous avons essayé de les faire fuir pour récupérer leurs dépouilles mais un groupe de personnes est arrivé vers nous en courant avec des outils dans les mains. Nous avons fui et laissé nos morts. […] Plus les jours passaient, plus notre nombre diminuait. La journée, nous pouvions voir les corps sans vie des personnes de notre groupe. Un jour, j’ai retrouvé dans le buisson mon jeune cousin de quatre ans. Nous avons passé la journée ensemble à chercher de quoi manger. Nous avons rencontré trois autres enfants armés de machettes. Ils nous ont pris en chasse mais mon jeune cousin ne pouvait pas courir assez vite. J’étais devant lui quand ils l’ont rattrapé et découpé. […] Puis je suis retourné à la maison de ma grand-mère. Il n’en restait plus rien. Il y avait à proximité une maison Hutu sans personne. J’ai cassé la fenêtre pour rentrer. Il y avait des bananes. J’ai mangé et suis allé me coucher dans un lit. Le lendemain matin, le propriétaire m’a trouvé et m’a demandé d’aller chez ses voisins. Là, j’ai trouvé une femme Tutsi avec deux petites filles. C’était le chaos dans cette maison. Puis des Hutu nous ont conduits vers une fosse, ils nous ont battus à coups de bâtons, en nous lançant des pierres et tout ce qu’ils trouvaient. Lorsque nous sommes arrivés sur le lieu où l’on tuait les Tutsi, ils ont égorgé devant moi les deux filles puis la femme après lui avoir demandé de leur donner de l’argent. Je connaissais tout comme elle l’homme qui l’a tuée, c’était un voisin. […] Le matin, il est reparti continuer son travail de tueur. Je suis resté trois jours dans sa maison. Je voyais par la fenêtre qu’il tuait et jetait les gens dans la fosse toute la journée. J’ai aperçu un cousin dans la rue. Je l’ai appelé, il est rentré, je lui ai donné à manger, nous ne savions plus quoi faire alors nous avons joué aux cartes. Un homme est arrivé vers 20 h, il a dit : « qu’est-ce que ce Tutsi fait là ? ». Il m’a frappé, c’est lui qui m’a cassé les dents. Puis il m’a conduit à la fosse. Un homme appelé Félicien est arrivé vers moi. C’était un de ceux qui décidaient si on te tuait ou pas. Il m’a regardé et a dit : « tuez ce Tutsi ». Beaucoup ont commencé à me frapper sur tout le corps puis ils m’ont jeté dans la fosse. J’ai passé toute la journée autour des morts. En fin de journée, ils ont jeté à nouveau des gens vivants et les ont lapidés. J’étais enseveli sous les morts, je n’arrivais plus à respirer. Je me suis hissé entre les corps pour revenir à la surface. Le matin suivant, un tueur est descendu dans la fosse et a crié en me voyant : « il y en a un qui respire ici ». Ils m’ont jeté des pierres sur le corps et le visage. Je me suis alors laissé glisser sous un cadavre. Une pierre avait cassé ma jambe, mon visage était tuméfié. Le troisième jour, affamé et en souffrance, je me suis dit : « C’est assez. Je dois les appeler pour qu’ils me tuent ». Je me suis relevé, j’ai crié. Un homme du nom de Shema, que l’on appelait Pilato, est arrivé et m’a demandé : « tu es Tutsi ? » J’ai eu peur et j’ai répondu « non ». Il m’a sorti du trou et conduit à l’hôpital, où il n’y avait rien ; on m’a juste donné des bandages pour mon bras. Il y avait le gardien de l’hôpital qui voulait me tuer. Les autres l’en ont empêché en disant que c’était Pilato qui m’avait conduit ici. Puis j’ai dû perdre connaissance car je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans la maison de ma grand-mère. Deux soldats m’ont demandé où étaient mes parents. Je leur ai répondu que je n’en savais rien. Ils m’ont demandé de marcher devant eux. Il y avait devant moi un des hommes qui avait essayé de me tuer. Nous sommes arrivés dans la forêt. Il y avait beaucoup de soldats. Ils nous ont donné des bananes. Une femme et moi n’étions plus capables de marcher. Ils nous ont alors porté jusque dans une maison où ils nous ont donné à boire et à manger. C’étaient les soldats du FPR. […]

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Ces hommes et ces femmes qui ont tué vos parents n’ont pas voulu être mauvais et faire du mal, il ne faut plus leur en vouloir. Ces Hutu ont aussi des enfants qui n’y sont pour rien. La vengeance n’a pas sa place.

Cassier a aujourd’hui 34 ans. Il travaille comme guide touristique.

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Épiphanie 31 ans

Encore vivante, ils disaient qu’ils allaient me brûler mais ils ont préféré m’enterrer vivante toute nue.

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J

e préparais mon mariage peu avant le génocide. Ma famille a toujours été victime de maltraitance en 1959 puis en 1973, simplement parce qu’elle était Tutsi. Je me souviens de mon frère qui a été privé de son admission à l’école secondaire et remplacé par un Hutu. En 1990, nous avons été battus par des miliciens Interahamwe au prétexte que nous étions complices des Inkotanyi et que mon frère aurait accumulé de l’argent donné par ces derniers. Je me suis retrouvée seule en 1994 après que mes parents, mes sept frères et mes deux sœurs ont été tués par les Interahamwe. Le matin du 7 avril 1994, après l’annonce du décès du président Habyarimana, nous avons été interdits de quitter la maison. Vers 11h nous avons appris le massacre de la famille voisine. Nous avons décidé de prendre la fuite dans la brousse. Accompagnée par un Hutu témoin de Jehovah, j’ai été sauvée par un vieux voisin qui m’a cachée dans le champ de bananiers du 8 au 10 avril, jour où je suis allée me réfugier à l’école primaire proche de la maison. Arrivée à l’école, j’ai trouvé le rassemblement des Interahamwe dont notre ancien berger. La foule s’est jetée sur moi et m’a conduit à la fosse où l’on jetait les victimes. Ils m’ont encerclée, ils étaient nombreux. J’ai reçu deux coups de machette sur le visage et la tête, puis aux bras, aux mains et un autre au cou où ils ont aussi enfoncé un couteau. Et ils m’ont battue tout le corps avec des barres de fer à béton. Je me rappelle, c’était un mardi. Encore vivante, ils disaient qu’ils allaient me brûler mais ils ont préféré m’enterrer vivante toute nue. Ce n’était plus intéressant de continuer. Quelques heures temps plus tard, il a commencé à pleuvoir. L’eau sur mon visage m’a fait revenir à moi. Je me suis dégagée et j’ai rampé dans la nuit jusqu’au centre de santé. Le lendemain, d’autres miliciens ont attaqué le centre de santé mais grâce à Dieu ils ne m’ont rien fait parce je semblais déjà morte. Le jeudi, les Inkotanyi sont arrivés et ont sauvé les réfugiés. Ils nous ont évacués vers l’ex-préfecture de Byumba. J’ai passé plusieurs mois à l’hôpital de Byumba. Je suis triste ; le handicap causé par mes blessures m’a privée de fonder une famille. Toute la famille a été massacrée par nos voisins, ici, devant la maison. Aujourd’hui, ils ont tous purgé leurs peines et sont retournés dans leurs maisons. Ils sont redevenus mes voisins. On m’appelle « la rescapée ». J’ai peur qu’ils recommencent…

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Les jeunes doivent lutter pour un monde meilleur et se détourner du divisionnisme.

Épiphanie a aujourd’hui 51 ans. Célibataire, elle travaille comme cultivatrice et éleveuse de vaches.

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Ernestine 17 ans

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Mes membres entaillés, j’ai survécu. Mais presque toute ma famille, ce jour là, a été massacrée.


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N

ée dans une famille de dix enfants, mes parents disaient souvent que les régimes post-coloniaux les avaient chassés de leurs régions natales vers la région de Bugesera, qui était inhabitée et couverte de forêts. Ces régimes voulaient isoler les Tutsi du reste des citoyens pour en faciliter notre élimination. Ou que l’on soit victime de la mouche Tsé-tsé, très présente dans cette région. Certains ont même été jetés dans la rivière Nyabarongo. Mon père a été tellement battu qu’il est mort juste avant le génocide de 1994. J’étudiais à l’école privée de Joc et vivais chez ma grande sœur à Kigali – école privée car les Tutsi n’étaient pas admis dans les écoles publiques. Un jour, avant le génocide, les soldats de l’ancien régime m’ont demandé ma carte d’élève. Ils virent que j’étais originaire de Bugesera (région où les Tutsi avaient été rassemblés), l’un d’eux me gifla et m’interdit de passer sur le même chemin que lui. Un autre jour, je suis allée en ville pour vendre des beignets. Des soldats m’ont arrêtée, les ont pris et jetés, prétextant que je les apportais aux Inkotanyi (opposants au régime). Le jour précédant le génocide, Kigali était déjà parsemée de barrages. Le jour même de l’enterrement de ma sœur, nous avons été arrêtés maintes fois pour être fouillés et interrogés sur nos intentions. Le 7 avril, j’étais en vacances chez nous à Bugesera. Les familles Tutsi ont immédiatement fui leurs foyers et les jeunes gens se sont organisés pour combattre les Interahamwe avec des outils traditionnels. Mais la bataille n’a pas duré car les miliciens on reçu des renforts de soldats et de gendarmes qui vinrent de Kigali le 10 avril avec des armes. Ce même jour, j’étais à la maison avec maman, j’étais malade ; des miliciens sont entrés dans la maison et m’ont donné des coups de machettes, je me suis protégé en mettant mes mains autour de la tête. Ce qui m’a sûrement sauvé ! Mes membres entaillés, j’ai survécu. Mais presque toute ma famille, ce jour là, a été massacrée. Mes frères qui combattaient ont dû battre en retraite. Ils sont passés à la maison pour voir s’il y avait des survivants. Ils m’ont trouvée au milieu des morts. Nous sommes partis nous réfugier dans l’église catholique de Ntarama. Les gendarmes nous ont dit d’entrer dans l’église mais mes frères ont tout de suite pensé que c’était pour nous massacrer avec les autres une fois dedans. Nous sommes alors partis nous cacher dans les papyrus de la rivière Nyabarongoqui qui se trouvait toute proche. Peu de temps après, l’église remplie de Tutsi fut mise à feu. Cachés, nous entendions les cris de plusieurs centaines de personnes prises au piège. J’avais tellement peur, j’étais très faible et affamée. Vers le 15 avril, j’ai perdu conscience alors que les Interahamwe envahissaient le marais où nous nous cachions. Ils coupaient avec leurs machettes tous ceux qu’ils trouvaient sur leur passage. Nombreux sont ceux qui se sont jetés sans savoir nager dans la rivière bouillonnante. Je suis restée là à terre, j’étais morte ! Je me suis réveillée dans ces marrais. Je me suis traînée jusqu’à l’école primaire voisine où j’ai retrouvé un frère et une sœur. Notre ancien berger Hutu nous a recueillis. Mon frère m’a fait manger des patates douces fraîches comme à un nourrisson : mes bras et mes mains étaient découpés. Les Inkotanyi n’ont pas tardé à conquérir la région de Bugesera. J’ai été sauvée et conduite à l’Hôpital Roi Faisal de Kigali pour être soignée. Un frère a été tué à Kabgayi au sud, un autre et ma sœur à Ngororero dans l’Ouest quand ils cherchaient tous à se sauver.

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Maintenant nous devons travailler pour bâtir un pays exemplaire où la ségrégation n’a pas de place.

Ernestine a aujourd’hui 37 ans. Mariée, elle est sans emploi.

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Ester 34 ans

Ils m’ont battue avec des gourdins et ont entaillé mes jambes à coups de machettes, me laissant pour morte. Ils avaient encore tellement de gens à tuer disaient-ils…

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J

e suis veuve depuis le génocide de 1994 qui a coûté la vie à mon mari, mon fils et ma fille. Comme tous les Tutsi, ma famille a été persécutée durant de nombreuses années avant le génocide. On nous a traités de noms d’animaux et d’insectes comme “cafards” et “serpents”. Après la mort du président Habyarimana, notre maison a immédiatement été pillée et brûlée. Les vaches furent abattues par les Interahamwe. Nous ne savions pas où nous refugier car partout, sur les collines voisines, le génocide faisait rage. Mon mari et moi avons décidé de fuir chacun de notre côté pour trouver un refuge pour les enfants. Nous avions caché dans la brousse nos deux plus grands enfants. Ils ont été enlevés et jetés dans une fosse par les Interahamwe. Ma fille aînée fut traînée dans la boue, violée à maintes reprises par les miliciens et en est morte. Mon mari a lui aussi disparu. Je me suis cachée chez un voisin Hutu avec mon bébé, mais les Interahamwe m’ont retrouvée. Ils m’ont battue avec des gourdins et ont entaillé mes jambes à coup de machettes, me laissant pour morte. Ils avaient encore tellement de gens à tuer disaient-ils… Puis Ils sont revenus mais, ne voyant pas mon corps, Ils m’ont cherchée chez un autre voisin Hutu ou j’avais laissé ma petite fille. Ils m’ont encore battue avec elle sur le dos. Je leur ai indiqué où se trouvait un peu d’argent et les affaires de valeur de notre maison. Ils sont partis immédiatement les chercher. Apres leur départ, je me suis cachée dans la plantation de bananiers. J’ai voulu me rendre au bureau communal, mais j’ai rencontré une autre troupe d’Interahamwe ; grâce à Dieu, ils m’ont jugée en trop mauvais état et ne se sont pas intéressés à moi. Une femme Hutu a eu pitié de moi. Elle m’a pris chez elle où je suis resté quelques temps. Mais mon hôte a fini par avoir peur des représailles des miliciens et m’a demandé partir. Je suis allée me cacher dans la jungle avec mon bébé. Il ne nous restait plus qu’à survivre comme des animaux. Enfin, l’armée des Inkotanyi m’a secourue avec mon bébé. Je vis actuellement avec mes deux enfants, la petite fille que je portais sur mon dos et un fils qui a aussi survécu.

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On doit se méfier des idéologies séparatistes et combattre pour l’unité de tous les rwandais. Les jeunes doivent travailler pour un développement durable du pays et du monde entier en général.

Ester a aujourd’hui 54 ans. Veuve, elle est sans emploi.

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Gaudance 27 ans

Nous savions que notre destin allait s’assombrir mais nous ne nous attendions pas à être exterminés par nos propres voisins.

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E

n 1992, les rassemblements des Impuzamugambi (CDR, Coalition pour la défense de la République) ont commencé. Nous savions que quelque chose s’organisait pour éliminer les Tutsi. Le 7 avril 1994 vers 5h du matin, la radio annonçait la mort du président Habyarimana. Nous savions que notre destin allait s’assombrir mais nous ne nous attendions pas à être exterminés par nos propres voisins.

En l’espace de quelques minutes, les miliciens – très organisés – sont sortis dans les rues, armés de machettes et ont appelé à l’élimination générale des Tutsi. Dans la journée, les chefs du quartier ont demandé aux habitants de se rassembler pour organiser une résistance. Les hommes ont décidé de faire la sécurité en installant des barricades à l’entrée du quartier. Mon mari allait le matin aux barrières et revenait le soir. Nous savions maintenant que les Interahamwe allaient arriver. Lorsqu’ils sont arrivés, les combats à la machette ont été terribles. Ils avaient aussi des armes à feu. Nous n’en avions pas. Ils ont tué mon mari et tous les hommes qui se trouvaient là. Je me suis refugiée chez un voisin Hutu. Un groupe d’Interahamwe nous a découverts, ils nous ont demandé de l’argent. Nous leur avons donné tout ce que nous possédions. Nous avons pensé un bref instant que nous étions sauvés. Finalement, ils nous ont sauvagement attaqués à la machette et à l’impiry1. J’ai fui en portant mon enfant sur le dos, j’ai voulu le donner à un voisin mais les Interahamwe nous ont rattrapés. Ils nous ont donné des coups de machettes, mon fils est mort sur le coup, il avait un mois et demi. J’étais parmi les morts, je perdais beaucoup de sang, mon corps et ma tête étaient tailladés. J’ai perdu connaissance. Je ne sais pas comment je ne suis pas morte dans mon sommeil. Je me suis réveillée au milieu des morts. J’ai commencé à crier, à appeler mais il n’y avait que des morts dans toutes les maisons, dans les rues. J’ai rencontré une femme qui, en me voyant, s’est mise à crier et à appeler son mari pour qu’il vienne m’achever. Elle était aussi très faible, elle est tombée au sol, elle semblait morte, comme si sa folie meurtrière l’avait tuée. J’ai marché jusqu’à la maison d’un autre voisin Hutu. Ils étaient tous barricadés et n’ouvrait à personne. Et surtout pas à un Tutsi. Ils m’ont finalement cachée dans le poulailler, ils m’ont donné de la bouillie et de la nourriture. J’étais en très mauvais état et très faible. La famille Hutu a cherché par tous les moyens à me conduire à l’hôpital, ils ont dit que j’étais enceinte et que j’allais accoucher. Mais les passages des postes de contrôle étaient trop dangereux. Ils m’ont cachée et soignée dans la cuisine, jusqu’à ce que les militaires du FPR (Front patriotique rwandais) arrivent. Comme j’étais gravement blessée, j’ai été transférée en Afrique du Sud pour y bénéficier de soins. J’ai perdu mon mari et mon bébé, je suis hémiplégique et je n’y vois plus que de l’œil gauche.

1- Gourdins avec des clous fabriqués pour le génocide.

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Il ne faut jamais cesser la lutte contre les discriminations, qu’elles soient raciales, ethniques, religieuses ou autres.

Gaudance a aujourd’hui 47 ans. Veuve, elle est sans emploi.

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Grace 22 ans

Mon mari et nos deux enfants ont été assassinés sous mes yeux avec une telle cruauté que je ne peux vous le raconter.

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A

vant le génocide nous étions une famille tranquille de quinze personnes, nous ne sommes aujourd’hui plus que trois, les deux autres étaient partis avant le génocide. Mon mari et nos deux enfants ont été assassinés sous mes yeux avec une telle cruauté que je ne peux vous le raconter. J’ai reçu des coups de machette sur la tête, les bras et les mains, puis une dizaine d’Interahamwe m’ont violée à plusieurs reprises.

Je suis aujourd’hui contaminée par le virus du sida. Mais je me bats pour ma fille, qui a tout juste vingt ans.

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Nous devons lutter contre le mal et nous unir pour la paix.

Grace a aujourd’hui 42 ans. Veuve, elle est sans emploi.

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Innocent 10 ans

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Recroquevillés sur nous, les mains sur les oreilles, le visage dans la terre, nous attendions la mort.


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J’

ai perdu toute ma famille. Nous nous sommes enfuis et cachés avec maman dans un champ de sorgho. Un voisin Hutu nous approvisionnait en nourriture. C’est devenu trop dangereux de rester longtemps au même endroit, on pouvait être vus ou dénoncés à tout moment. Nous entendions les miliciens tout près de nous, mais ils ne nous voyaient pas. Nous restions là, cachés, à entendre les hurlements des malheureux qu’ils attrapaient. Recroquevillés sur nous, les mains sur les oreilles, le visage dans la terre, nous attendions la mort. Nous avons quitté ce champ dans la nuit pour le champ d’un autre voisin mais cet autre voisin Hutu nous a chassés. Nous ne savions plus où aller, nous sommes alors retournés d’où nous venions mais les miliciens nous ont trouvés. Nous sommes tous partis en courant dans différentes directions, ils nous ont attrapés comme des chasseurs et conduits dans la rue pour nous exécuter les uns devant les autres. Ils ont commencé par maman qui a reçu deux coups de machette dans le crâne et s’est effondrée. Ils se sont alors retournés vers moi et m’ont porté aussi deux coups dans la tête et le visage. Je me suis protégé avec les mains. Ce geste a amorti les coups mais sectionné ma main droite en partie. Puis est venu le tour de mes frères et sœurs qui ont eu moins de chance que moi. La nuit venue, un bienfaiteur Hutu est venu me chercher et m’a transporté chez lui où il m’a soigné jusqu'à la fin du génocide. Ce qui est étonnant, c’est que cet homme Hutu était un des tueurs. Aujourd’hui il est en prison. Il n’est jamais trop tard pour faire le bien même si l’on a fait le pire.

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On doit s’unir pour faire face aux embûches de la vie quotidienne afin de préparer un avenir meilleur.

Innocent a aujourd’hui 30 ans. Célibataire, il est titulaire d’un baccalauréat et sans emploi.

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Jean de Dieu 10 ans

J’ai couru sans m’arrêter : je ne sais pas combien de temps. Plutôt qu’ils me trouvent, il valait mieux mourir d’épuisement.

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P

apa était en mission à l’ex-préfecture de Ruhengeri. Maman, mes frères et sœurs et moi avons trouvé refuge chez un voisin Hutu pendant deux mois. Chaque instant n’était que terreur. Au bout de deux mois, le voisin Hutu a été suspecté par les miliciens de cacher des Tutsi. Nous savions qu’ils allaient arriver. Alors il nous a demandé de partir pour protéger sa famille des représailles. Nous sommes rentrés à la maison où nous avons retrouvé mon père qui avait, jusque-là, survécu à beaucoup de choses et qui nous cherchait pour que l’on meure tous ensemble. Les miliciens sont arrivés et ils ont mitraillé Maman, Papa et mon grand frère. Pour les enfants et les plus faibles ils ne voulaient pas gaspiller de balles. Ils finissaient donc leur travail à la machette. Pendant qu’ils tuaient dans la maison, je me suis enfui dans les champs. J’ai couru sans m’arrêter ; je ne sais pas combien de temps. Plutôt qu’ils me trouvent, il valait mieux mourir d’épuisement. À Kiyovu, c’est l’armée du FPR (Front patriotique rwandais) qui m’a vu et qui m’a secouru.

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Libérons-nous du divisionnisme, des ségrégations qui émanent des politiques diaboliques. Nous ne sommes qu’un seul, créé à l’image de Dieu.

Jean de Dieu a aujourd’hui 30 ans. Célibataire, il est étudiant et déjà titulaire d’une licence.

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Maurice 5 ans

Maman avait aidé beaucoup de Hutu avant le génocide. Aujourd’hui c’est grâce à leur aide si nous sommes là.

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J’

avais cinq ans pendant la période du génocide, nous étions à la maison avec mes parents, mon frère et ma cousine. Dans l’après midi, vers 15h, une troupe d’Interahamwe est arrivée dans le quartier, un voisin Hutu nous a prévenu que nous allions être attaqués. Nous avons quitté la maison, vers l’église catholique du quartier de Jurwe. Lorsque nous sommes arrivés, un autre voisin Hutu expliqua à ma mère que les petites filles Tutsi ne seraient pas tuées (épargnées pour devenir de futures reproductrices). Comme il n’y avait pas de petite fille chez nous, il donna à maman deux robes rouges. Lorsque les Interahamwe sont arrivés, ils ont pris mon frère et moi pour deux petites filles et ne se sont plus intéressés à nous. Ils ont alors rassemblé le reste de ma famille pour les exécuter mais maman leur a donné ses économies (2 000 Fr.rwandais) pour acheter leur vie le temps de fuir. De retour vers la maison, nous avons rencontré cet homme qui était un des Interahamwe. Nous apprendrons plus tard que c’était un espion Inkotanyi qui nous a protégés pendant toute la période du génocide. Il disait aux autres qu’il se réservait l’occasion de nous tuer plus tard pour célébrer l’enterrement de l’ex-président. Mi-avril, ma cousine est sortie de la maison par imprudence et des miliciens l’ont violée. Elle en est morte quatre jours plus tard. À la fin du mois d’avril, nous avons quitté la maison. Il y avait beaucoup de barrages sur les routes. Nous avons tenté de nous cacher dans la forêt. Mais un autre voisin Hutu nous a cachés à son tour chez lui. Des miliciens nous ont vus entrer dans sa maison et ont attaqué. Ils ont pris mon père et tous les autres membres de la famille. Ils les ont mis dans une fosse (charnier) de quatre mètres de haut. Ils y ont passé trois jours et ont été sauvés par les Inkotanyi. Maman avait aidé beaucoup de Hutu avant le génocide. Aujourd’hui, c’est grâce à leur aide si nous sommes là. Grand-père, grand-mère et les autres membres de la famille n’ont pas eu cette chance.

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Respectons la vie. L’amour et la paix doivent nous guider.

Maurice a aujourd’hui 25 ans. Célibataire, il est titulaire d’une licence et volontaire dans le projet “1 Million Voices “.

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Nathalie

31 ans

Ma petite fille de deux ans a d’abord été sauvée par un Hutu, mais les autres lui ont dit qu’il avait sauvé un serpent… Deux autres mamans Hutu ont ramassé la petite, l’ont battue à mort et jetée dans les latrines.

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A

vant le génocide, vers les années 1990, ils ont amené des Tutsi à Rwigema, les ont tués et enterrés. Vers 1992, nous avons à nouveau subi des attaques et nous nous sommes réfugiés dans les églises ; nos maisons ont été brûlées. En 1994, c’était un samedi, quand la guerre a commencé. Quand les militaires ont attaqué, nous avons cherché à résister mais les soldats avaient des armes et nous n’avions que des outils agricoles. Le chef (bourgmestre) a donné l’ordre de tuer tous les Tutsi, alors nous nous sommes réfugiés à nouveau dans l’église des adventistes. Les Interahamwe sont venus et ont tué les Tutsi, tout autour de l’église. Ils sont devenus fous, leur regard a changé, ils ne voyaient plus des humains en nous mais des insectes. L’église était encerclée, seuls ceux qui avaient de l’argent pouvaient sortir pour acheter leur vie, le temps de partir en courant. Souvent, on leur tirait dans le dos, mais il y avait une petite chance qu’on les rate. J’avais un peu d’argent sur moi que j’ai donné à un jeune tueur. Il m’a fait sortir de l’église puis nous sommes allés dans une bananeraie qui se trouvait tout près et où se cachaient d’autres Tutsi. Nous nous sommes séparés, mon mari et moi, afin de nous donner plus de chances de sauver une partie de la famille. Il a gardé avec lui les deux garçons plus grands et plus rapides et moi ma petite fille pour me protéger car ils disaient qu’ils ne tuaient pas les petites filles, pour en faire plus tard des reproductrices. J’ai passé une nuit dans la brousse, mais mon petit enfant pleurait beaucoup et les miliciens nous ont trouvées. Il y avait parmi eux notre voisin qui nous connaissait bien, il m’a reconnue mais son regard était différent. Ils m’ont battue avec un impiry (gourdin avec des clous) sur la tête et la poitrine. Puis ils sont partis, pensant que j’étais morte. J’ai rampé jusque dans la brousse où nous avons passé la nuit avec ma petite fille. Ils sont revenus au matin et me l’ont prise. Ils m’ont découpé le cuir chevelu avec un couteau et abandonné dans la brousse. Une voisine Hutu est venue me chercher, elle m’a transportée chez elle, soignée et cachée jusqu’à la fin du génocide. Après la guerre, on m’a informée que mon mari et mes deux garçons avaient été tués en tentant de fuir. Ma petite fille de deux ans a d’abord été sauvée par un Hutu, mais les autres lui ont dit qu’il avait sauvé un serpent (un des noms qu’ils donnaient aux Tutsi). Il a été obligé de la laisser aux mains des tueurs pour sauver sa vie. Deux autres mamans Hutu ont ramassé la petite, l’ont battue à mort et jetée dans les latrines. Vers la fin de la guerre, une femme qui savait où je me cachais a indiqué aux militaires français l’endroit où je me trouvais. Ils sont venus me chercher et m’ont amenée à Bisesero. Il y avait beaucoup de réfugiés : environ 800, il y avait aussi les Interahamwe qui continuaient à tuer sous les regards détournés des Français. Je ne comprenais plus rien. Qui était bon ou mauvais ? Nous avons supplié les français de nous protéger et de nous conduire près des positions des Inkotanyi. Un petit groupe de militaires Français et Sénégalais ont désobéi et nous ont conduits dans la nuit jusqu’à Rambura où les militaires du FPR (Front patriotique rwandais) étaient positionnés, mais peu nombreux. Je souffre encore à chaque instant de mes blessures. Heureusement que l’association EVEGA me soutient pour mes soins. Parfois je perds la tête et je dois aller au service des maladies mentales et psychologiques, je prends au moins cent-vingt comprimés par mois. Grâce à Dieu, j’ai eu deux filles après ça. Elles ont maintenant dix et douze ans. Elles m’ont redonné goût à la vie.

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S’unir et s’aimer.

Nathalie a aujourd’hui 51 ans. Veuve, elle est sans emploi.

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Noah 6 ans

Ils m’ont découpé à coup de machettes, j’avais ma petite sœur dans les bras. Elle est tombée puis je suis tombé comme mort, inconscient, sur elle.

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M

on père a été abattu de trois balles dans la poitrine, il est mort dans la rue en tentant de discuter. Les mots ont été moins forts que les balles mais il a fait gagner du temps à maman, qui nous a cachés. Maman a été mitraillée pendant qu’elle essayait de nous sauver. Elle a quand même réussi à nous cacher. Elle était enceinte de huit mois et deux semaines, elle est morte sur place avec le bébé. Mon grand frère a été trouvé en premier, il est parti en courant et a été abattu d’une balle dans le dos. Après les scènes de meurtres de nos parents et de mon frère, ils sont entrés dans la pièce où ma sœur et moi nous trouvions. Ils m’ont découpé à coup de machettes, j’avais ma petite sœur dans les bras. Elle est tombée puis je suis tombé comme mort, inconscient, sur elle. Les tueurs (Interahamwe) sont partis. Quelques heures après, l’armée du FPR (Front patriotique rwandais) est arrivée et nous a secourus.

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Nous devons lutter contre le mal et travailler pour la paix et le bien à chaque instant.

Noah a aujourd’hui 26 ans. Célibataire, il est titulaire d’un baccalauréat et travaille comme chauffeur poids lourds.

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Odette 12 ans

Un de nos voisins nous proposa de fuir à l’école technique de Murambi. C’était en fait une stratégie pour nous rassembler et faciliter notre extermination.

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I

ls ont tué́ mon père et mes deux frères. J’avais douze ans. Je ne me souviens pas des dates, je me rappelle que c’était un mercredi soir d’avril 1994. La tuerie venait de commencer. Il y avait ce jour là mon oncle qui voulait nous aider à nous réfugier en Belgique. Toute ma famille a cherché à trouver refuge sur la même colline appelée Gasakak K’Abotsobe mais il était impossible de trouver une cachette sûre. Que ce soit chez un voisin Hutu, ou dans la brousse, les extrémistes nous pourchassaient pour nous tuer jusqu’au dernier. Un de nos voisins appelé Majyambere nous proposa de fuir à l’école technique de Murambi. C’était en fait une stratégie pour nous rassembler et faciliter notre extermination. Le premier jour, nous avons résisté́. Mais deux jours après notre arrivée à Murambi les miliciens Interahamwe sont arrivés et ont commencé à tuer les réfugiés avec des armes traditionnelles et des grenades. Je me suis échappée avec quatre amies, mais nous avons été vite repérées par d’autres miliciens. Ils nous ont enfermé ensemble dans une maison. Ils nous ont conservé en vie uniquement pour venir nous violer tour à tour et à maintes reprises jusqu’à la fin du génocide lorsque les Inkotanyi nous ont libéré. Je suis depuis séropositive du VIH. Après un long moment dans la maison les miliciens ont voulu nous conduire en RDC (République démocratique du Congo) dans un camp de réfugiés. Sur le chemin d’autres réfugiés Hutu voulaient aussi nous tuer. Nous avons alors essayé de nous échapper à nouveau de ce convoi qui nous menait à la mort. Je me suis mise à courir mais les Interahamwe m’ont rattrapée et m’ont frappée à coup de machettes sur la tête et le corps. Ma jambe a été presque sectionnée en deux. Quelques jours plus tard l’ex-armée patriotique rwandaise a conquis la région et m’a sauvée. J’ai été conduite au couvent de Maria Theresa de Calcutta. Aillant perdu la mémoire, j’y suis restée dix-huit mois, faisant des visites régulières au centre de traitement des maladies psychologiques et mentales de Ndera/Kigali. J’ai été placée ensuite à l’orphelinat où j’ai longtemps travaillé pour retrouver la mémoire. Je croyais en Dieu avant le génocide mais avec mes problèmes de mémoire je n’avais même plus la notion de l’existence de Dieu. C’était comme si Dieu était mort avec les Tutsi. Je suis allée vivre dans un champ de haricots pendant six mois. Je n’arrivais même plus à manger. Un jour, j’ai ramassé une bible que j’ai emmenée dans le champ. J’ai repris l’espoir que Dieu allait m’aider. Lorsque mon état mental s’est amélioré j’étais convaincue que tous les Hutu étaient mauvais. Mais avec l’aide des psychologues et des religieuses, j’ai réussi à vaincre ma solitude et cette idée. Ma cousine qui venait aussi très souvent me rendre visite m’a aussi beaucoup aidée à comprendre. À cause de la gravité de mon handicap physique personne n’a voulu m’adopter. C’est pour cette raison que j’ai décidé de prendre soin des enfants laissés par leurs parents. À vingt-cinq ans j’ai dû laisser ma place à un orphelin plus jeune. L’orphelinat m’a aidé à m’intégrer dans la société en me payant un logement et tous mes besoins de base pendant six mois. J’ai choisi de tomber enceinte hors mariage, pour au moins mettre un enfant au monde. Par la suite, j’ai eu un deuxième enfant, une petite fille. Puis J’ai fait construire cette petite maison en faisant un crédit de 300 000 Fr.rwandais.

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Ne soyez pas influencés par ceux qui prônent la haine, allez de l'avant, regardez vers l'avenir.

Odette a aujourd’hui 32 ans. Mariée, deux enfants, elle est sans emploi.

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Vénuste 42 ans

Le génocide a été un projet réussi par le gouvernement d’alors qui a dit : tuez un Tutsi, commencez par votre voisin, vous n’aurez pas de poursuites et ce qui lui appartient vous appartiendra.

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J

e suis rescapé du génocide de l’ETO - Nyanza où environ quatre mille personnes ont trouvé la mort. Se trouvaient ici les paras Belges. Nous nous sommes réfugiés pour être protégés. Avant tout, je dois dire que le génocide a été un projet réussi par le gouvernement d’alors. Ce gouvernement l’a préparé, l’a enseigné. Il a dit au petit peuple, à ceux qui n’avaient pas grand chose : « tuez un Tutsi, commencez par votre voisin, vous n’aurez pas de poursuites et ce qui lui appartient vous appartiendra ». J’ai appris que l’avion du Président Habyarimana avait été abattu le 7 avril. Pendant la nuit du 6 au 7, on avait entendu que quelque chose se passait, on entendait des coups de feu. Ma femme m’a dit : « nous allons mourir ». Le 7 avril, nous nous sommes préparés à partir. La radio disait qu’il fallait rester à la maison et qu’il était aussi interdit de se déplacer à plus de trois. Je suis allé voir mes voisins pour discuter de la situation qui s’aggravait de minutes en minutes. Des barrages étaient déjà formés tout le long de la route. On ne voyait pas comment quitter la maison mais on a réussi à fuir à l’ETO où se trouvaient les paras Belges. Nous sommes partis le 8 avril dès l’aube avec ma femme et mes trois enfants. Mon autre fille était avec sa grandmère. Elles ont été tuées toute les deux. Quand nous sommes arrivés à l’ETO, il y avait déjà beaucoup de monde. Le nombre de réfugiés s’est accru d’heure en heure jusqu’au 11 avril, le jour où les paras nous ont abandonnés. Beaucoup se connaissaient. On s’est installé. Il a beaucoup plu cette année là, c’était même exceptionnel. Nous avons placé les plus faibles dans les dortoirs et dans les classes d’école. Les autres sont restés dans la cour de l’école, sur le terrain de football. Il y avait un petit stade qui abritait environ deux cent personnes. Nous nous sommes organisés pour lutter contre le manque d’hygiène (latrines et autres)… Nous avons créé un comité pour discuter avec les soldats Belges. On croyait pouvoir être sauvés ou rester là jusqu’à ce que le gouvernement vienne nous libérer ! Nous avions des radios, nous écoutions les informations qui prêchaient contre les Tutsi. Il y avait des gendarmes et des miliciens tout autour de l’école. Ils craignaient les paras Belges qui étaient mieux armés qu’eux. Le 11 avril, nous avons vu les paras se préparer, ranger leurs affaires. Nous nous sommes approchés et avons demandé : « Que se passe-t-il ? Vous voyez bien que nous sommes en danger » leur avons-nous dit. « Si vous nous laissez nous sommes condamnés ». Ils ont dit : « Nous devons partir, nous devons rentrer au pays. Les gendarmes vont vous protéger. » Nous avons insisté en disant : « mais ce sont les gendarmes qui viennent pour nous tuer, vous les voyez. » Ils ont fait la sourde oreille et dit : « Nous partons, notre gouvernement nous a ordonné de rentrer. » On a insisté, nous avons alors demandé qu’ils nous laissent quelques fusils et des munitions pour sortir de là vivants ou avec peu de morts. Ils ont refusé. Quand ils sont montés dans leurs camions, nous avons demandé aux jeunes de se coucher devant le convoi pour qu’ils ne partent pas. Ils ont alors tiré des coups de feu en l’air. Les jeunes ont pris peur et se sont enfuis. Les paras Belges de la MINUAr sont partis alors qu’ils savaient… Immédiatement, les milices et les gendarmes sont entrés dans l’école. Ils nous ont rassemblés. Ils étaient presque aussi nombreux que nous, plus de mille personnes au total. Ceux qui ont essayé de s’échapper ont été tués sur place. Nous avons alors perçu la gravité de notre situation et suivi les ordres des tueurs. Ils nous ont conduits jusqu'à l’usine de plastique non loin d’ici, nous ont dit de nous asseoir. Ils ont fait une petite réunion et nous ont annoncé qu’ils allaient nous conduire dans un lieu où nous serions protégés. Nous voyions bien que c’était faux car, lorsque l’un d’entre nous tentait de s’enfuir, il était abattu. Il pleuvait toujours beaucoup. Ils nous ont ordonné de faire une ligne et nous ont prévenus que ceux qui tenteraient de s’échapper trouveraient la mort. Nous sommes venus alors jusqu’ici, tout prêt de la borne de frontière, ils nous ont encerclés, puis nous ont dit : « s’il y a des Hutu présentez votre carte d’identité ». Deux ou trois ont présenté leur carte et sont partis. Après ça un homme a crié : « Commencez le travail ! » Alors le massacre a commencé en tirant et en jetant des grenades dans la foule. Nous avons été moins de cent sur quatre mille à avoir échappé à la tuerie. Nous sommes invalides, avons perdu des membres. Je ne sais pas comment j’ai survécu ! C’est sûrement grâce au bain de sang qui m’a recouvert. Le sol était un bain de sang. C’est aussi la nuit qui a aidé. Ils ont annoncé qu’ils reviendraient le lendemain matin : il y en a peut être qui ne sont pas morts. On a passé la nuit dans le sang et les morts. C’est très tôt le lendemain que les soldats de FPR nous ont trouvé dans notre misère. Ils nous ont sauvés. Les jeunes sont aujourd’hui solidaires, ils travaillent ensemble. Ils n’ont pas la haine qu’avaient les anciens.

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J’ai l’espoir que les jeunes travaillent ensemble pour l’unité nationale.

Vénuste a aujourd’hui 62 ans. Il est traducteur à l’ETO (l’école technique officielle).

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Violette 20 ans

J’ai été sauvée par un voisin Hutu qui m’a cachée dans un panier pendant trois jours. Puis le risque est devenu trop grand pour le voisin. Alors il a voulu me tuer…

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N

ous étions quatre enfants, Papa et Maman. Ils sont arrivés et ont brûlé notre maison avec Papa dedans. J’ai été sauvée par un voisin Hutu qui m’a cachée dans un panier pendant trois jours. Puis le risque est devenu trop grand pour le voisin. Alors il a voulu me tuer… car d’autres le suspectaient de cacher un Tutsi. Je me suis enfuie dans une étable, où j’ai retrouvé huit autres personnes en fuite. Un milicien était parmi nous. Il est parti chercher, sans qu’on le sache, d’autres membres pour nous exécuter. Ils ont tué tout le monde mais j’ai réussi à m’enfuir. C’est une exemployée Hutu de notre maison qui m’a récupérée dans sa maison, où elle cachait déjà une fillette et sa mère. Quelques jours plus tard, nous avons été découvertes par les miliciens. Notre employée de maison a été tuée pour nous avoir cachées, la mère et sa fille ont pu racheter leur vie contre une vache et 5 000 Fr.rwandais. N’ayant rien à donner, ils m’ont lacéré le crâne avec un couteau et battu le corps avec des bâtons. Inconsciente et laissée pour morte, on m’a jetée dans la forêt. C’est là que l’armée du FPR (Front patriotique rwandais) m’a retrouvée je ne sais pas combien de temps après. Ma colonne vertébrale était cassée, ils m’ont portée tour à tour sur leur dos et puis je ne me souviens plus. Ah… si ! À l’hôpital, j’ai attendu que la mort vienne me prendre tous les jours. Aujourd’hui je suis dans ma maison et je m’occupe de trois petits orphelins…

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Luttons ensemble contre tout ce qui peut nous diviser !

Violette a aujourd’hui 40 ans. Invalide, elle élève trois orphelins

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Volonté 8 ans

J’ai survécu au milieu des morts, grâce aux bonbons que j’avais gardés. Mon oncle me les avait donnés pour me récompenser d’avoir bien travaillé à l’école.

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E

n 1994, mes parents, mes deux sœurs, deux frères et moi habitions à Gikondo. J’avais huit ans. Les Interahamwe sont venus à la maison et ont amené mon père pour le tuer. Ils l’ont coupé à la machette et jeté dans une fosse commune. Les Interahamwe sont revenus à la maison, ils ont conduit tout le reste de la famille vers la fosse réservée pour les Tutsi. Ils ont exécuté tout le monde, ainsi qu’une voisine, puis jeté les corps dans le trou. J’ai survécu à mes blessures, au milieu des morts, grâce aux bonbons que j’avais gardés dans la poche de mon pantalon. Mon oncle me les avait donnés quelques jours plus tôt pour me récompenser d’avoir bien travaillé à l’école. Je suis resté dans la fosse au milieu de ma famille sans vie, deux jours et deux nuits car je n’arrivais pas à remonter. Puis une femme a bougé parmi les morts. Elle était très faible mais, à tous les deux, nous avons réussi à sortir du trou. Après être sorti, je suis retourné à la maison. Je tombais, je rampais. Un voisin Hutu m’a trouvé. Il m’a conduit chez un autre voisin médecin qui m’a porté jusqu’au centre de la Croix-Rouge. En arrivant là, les agents de la Croix-Rouge ont commencé à me soigner. J’étais terrorisé et seul, je n’avais plus personne, j’avais huit ans. La Croix-Rouge organisa un transfert d’orphelins vers la France. J’étais prêt à partir quand j’ai vu mon père, couvert de blessures, dans le couloir. C’était comme la réalité qui revenait après un cauchemar. J’ai choisi de rester avec lui et de ne pas partir en France. Lui aussi avait survécu en se cachant sous les morts pendant des jours. Lui aussi pensait être seul. Aujourd’hui, j’ai du mal à en parler parce que tout revient mais après ça va mieux.

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Ne désespérez jamais, il y a toujours quelqu’un qui vous attend.

Volonté a aujourd’hui 28 ans. Célibataire, il termine une Licence en comptabilité et travaille comme comptable.

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Yassim 12 ans

J’ai reçu un coup qui m’a fendu le crâne au milieu du front. J’ai été sauvé par la Croix-Rouge. Suite à mes blessures, j’ai des troubles de mémoire.

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J’

habitais dans le bâtiment des frères dominicains, à Nyamikrambo, avec mes parents, mes deux frères et mes trois sœurs. Le 8 avril, les miliciens sont arrivés. J’étais avec ma tante. Ils l’ont tuée à coups de machettes. J’ai reçu un coup qui m’a fendu le crâne au milieu du front. J’ai été sauvé par la Croix-Rouge. Suite à mes blessures, j’ai des troubles de mémoire. Un de mes frères et moi avons été placés à la cathédrale Saint-Paul. Au mois de juillet, mes parents et un de mes frères ont été exécutés chez les frères dominicains avec un religieux. Mes autres frères et sœurs et moi-même avons été sauvés dans la cathédrale Saint-Paul. C’est tout. J’ai des problèmes de mémoire. Ma femme et moi avons fondé une petite famille. Nous avons deux enfants.

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Luttez contre les idées dangereuses pour la vie luttez pour la paix.

Yassim a aujourd’hui 32 ans. Marié, il travaille comme chauffeur poids lourds.

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Yves 12 ans

Mon père, ma mère et deux membres de ma famille, ont été tués en même temps… J’ai survécu car j’étais trop petit et ils ont dit qu’ils reviendraient pour moi.

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L

e génocide a commencé avant 1994 car il était bel et bien planifié. Je me souviens que chez moi dans l’ex-province de Kibungo les Interhanwe avaient pour habitude de venir dire à ma mère qu’ils la feraient taire. Ainsi lorsque le génocide a commencé, après le crash de l’avion du Président Habyarimana, mon père, ma mère et deux membres de ma famille, ont été tués en même temps le 7 avril 1994. J’ai survécu car j’étais trop petit et ils ont dit qu’ils reviendraient pour moi. Le 10 avril je suis arrivé dans la ville de Kabarondo car il y avait une église catholique où nous pensions pouvoir survivre. On était environ cinq mille hommes, femmes et enfants. Le 12 avril, les Interhanwe sont arrivés avec l’armée de l’ex-gouvernement et ils ont tué tout le monde, j’ai reçu une balle et des coups de machette, deux sur la tête, une sur la jambe. Une grenade s’est fragmentée sur tout mon corps. J’ai perdu connaissance ; j’ai retrouvé mes esprits grâce aux soldats du RPF (Front patriotique rwandais), les Inkotanyi, après deux jours de coma au milieu d’autres corps. Ils ont essayé de me soigner comme ils pouvaient. Maintenant, je vais mieux avec toutes mes cicatrices sur mon corps.

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Les jeunes doivent s’unir pour lutter contre les idéologies extrémistes au Rwanda et ailleurs, s’unir aussi pour la paix dans le monde.

Yves a aujourd’hui 32 ans. Il est clerc de notaire.

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Actes justes au Rwanda Sont présentés ici quelques récits d’actes de sauvetage et de résistance, qualifiés d’actes justes et tirés de l’histoire du génocide au Rwanda. Ils font partie d’un plus grand ensemble de récits tirés des grandes tragédies génocidaires du XXe siècle présentés à la fin du Volet Réflexif du Site-Mémorial du Camp des Milles. Un acte juste a pour but de réagir à une injustice. Il s’agit ici d’actes destinés à aider autrui ou à combattre une situation dans un contexte génocidaire. Ces actes désintéressés, individuels ou collectifs, peuvent être apparemment anodins, voire passifs, violents ou héroïques, un simple geste de soutien momentané, comme une action décisive de sauvetage ou de résistance armée. Ils sauvèrent des dizaines de milliers de vies et constituèrent souvent des obstacles importants devant les politiques criminelles, avant même de réussir parfois à renverser la situation par les armes. Ces récits ne sont qu’une infime partie des actes innombrables réalisés par des femmes et des hommes de toutes conditions et de toutes origines dans des circonstances les plus diverses. Ils expriment l’humain en l’homme et constituent pour chacun un exemple de l’exercice actif et efficace de la vigilance et de la responsabilité.

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Un conseiller Hutu refuse de collaborer aux massacres et réussit à créer dans son secteur un sentiment d’unité avec les Tutsi

Un abbé accueille des refugiés

En 1994, Ladislas Uzabakiriho, conseiller du secteur Kinzuzi, use de tout son pouvoir pour permettre à la plupart des Tutsi de son secteur d’échapper au massacre. Il parvient à instaurer parmi les habitants de Kinzuzi un sentiment d’unité si fort que le secteur arrive à résister au génocide. Il obtient que presque tous les Hutu de Kinzuzi luttent au nom de leurs voisins Tutsi. Il refuse de collaborer avec les autres fonctionnaires locaux qui planifient les tueries, malgré l’intense pression exercée sur lui. Il conteste ainsi les rumeurs et la propagande promouvant les tueries et incite les résidents de Kinzuzi à défendre le secteur. Ladislas et les autres Hutu endurent cependant les menaces et les coups des Interahamwe. Certains sont restés invalides à vie. « Ladislas Uzabakiriho était un homme doux et compréhensif. Il savait résoudre les litiges des citoyens sans prendre parti. Il avait uni tous les habitants de Kinzuzi. » Le conseiller Cassien

Pendant le génocide rwandais, les réfugiés de la paroisse de Mukarange à Muhazi, Kibungo trouvent un leader qui organise leur lutte pour survivre, un homme prêt à mourir en leur nom. Les réfugiés affluent par milliers à la paroisse à partir du 7 avril. L’abbé JeanBosco Munyaneza leur offrit un sanctuaire, des vivres et un réconfort spirituel. Inlassablement, il s’efforce d’accueillir et d’aider les réfugiés mais il ne parvient pas à empêcher les attaques sur la paroisse à partir du 10 avril. Dans les deux jours qui suivent, les réfugiés vont endurer des assauts incessants par les forces alliées des interahamwe, des gendarmes et des agents gouvernementaux des régions environnantes levées contre eux. Durant cette période, l’abbé Jean-Bosco Munyaneza œuvre avec son collègue, l’abbé Joseph Gatare, pour organiser la résistance au massacre, allant, en dernier ressort, jusqu’à lancer des pierres sur les tueurs de ses propres mains. Il a l’opportunité de s’échapper mais il refuse de quitter les réfugiés. Le massacre au cours duquel il trouva la mort fut aussi un carnage où périrent la plupart des réfugiés de la paroisse.

Un vieil homme lutte contre la politique de division ethnique au Rwanda Le vieux Gabriel Mvunganyi, du secteur de Ngoma, milite contre la politique de division ethnique avant même le génocide rwandais lors d’une recrudescence de violence en 1992. Le ressentiment dont il fait l’objet du fait de ses opinions est renforcé par son refus d’adhérer à l’un quelconque des partis politiques qui essaiment au début des années 1990 et tentent de le recruter. En avril 1994, les Interahamwe le perçoivent comme une menace susceptible d’éroder la frénésie de tueries collective. Les miliciens fouillent sa maison quotidiennement. Malgré tout, il cache deux jeunes filles Tutsi chez lui pendant plusieurs jours. Pourtant, vers la fin du mois de mai, il décide de sortir avec sa fille. C’est là qu’il est identifié par des soldats qui comptent parmi les génocidaires de la zone. Ils tourmentent le vieil homme, l’humilient puis le tuent par balle. « Gabriel est mort à cause de sa gentillesse et de son intégrité. C’était un vieil homme honnête et respecté par tous ses voisins. Il était gentil avec tous, sans distinction ethnique ». Pascasie Mukarora, voisine

« L’abbé Munyaneza a donné sa vie pour nous. Il a accepté de mourir pour nous alors qu’il avait tout loisir de nous tourner le dos pour garder la vie sauve. Il nous a montré une force de cœur exceptionnelle. Il a tout fait pour nous sauver, mais en vain. Plus encore, il ne nous a pas laissés mourir seuls ; il nous a accompagnés jusque dans la mort. Nous prions à son intention et perpétuons sa mémoire au même titre que celle de nos propres défunts. ». Gilbert

Il abrite deux inconnues Tutsi Jyuma, un Hutu musulman habitant près de la forêt de Nshiri, donne un abri et un petit champ à Christine Vuguziga et à sa fille Rose, qui erraient après l’assassinat du mari et du fils de Christine. Elles ont pu ainsi avoir un lieu sûr et de quoi s’alimenter le temps nécessaire pour repartir et atteindre saines et sauves la commune de Rugombo dans la province de Cibitokeau au Burundi.

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Une sage-femme de 67 ans et ses filles abritent de nombreux Tutsi

Un paysan Rwandais laisse passer un couple mixte dans un barrage

En 1994, Thérèse Nyirabayovu, 67 ans, sage-femme du secteur Muhima arrive à protéger des amis et voisins Tutsi grâce à l’éminente place qu’elle occupe dans sa communauté. Sa décision d’abriter des Tutsi se fonde sur la conviction que toute personne a « le devoir de venir en aide à des êtres humains en danger ». Veuve, elle met tout en œuvre avec ses quatre filles pour subvenir aux besoins des dix-huit personnes réfugiées dans son domicile. Thérèse parvient aussi à trouver suffisamment d’énergie pour apporter des vivres à d’autres personnes rassemblées dans la paroisse voisine. Son domicile fait l’objet de fouilles assidues et elle est interrogée sans relâche. Une grenade est même lancée sur sa maison. La vie de Thérèse est sans cesse menacée par les miliciens qui ont entendu parler de son action.

Samuel et sa femme, un couple mixte notable de Butare, tentent de fuir la ville pour aller en lieu sûr. Mais le fils du chef local de la Milice refuse de les laisser partir : il craint que l'on apprenne par eux l’implication de sa famille dans les tueries. Prenant de grands risques, un paysan de leur connaissance, gardant un poste de barrage routier, les laisse passer, tout en retardant le fils du chef de la Milice afin qu’ils aient le temps de s’évader.

« Thérèse était connue de tout le monde pour son courage et ses compétences de sage-femme. Elle a toujours été pauvre, d’autant plus qu’elle était veuve depuis maintes années... Thérèse et ses filles nous ont cachés pendant presque deux mois tout en sachant qu’elles risquaient leur vie. » Odette Mukakarera

Un officier de l’armée rwandaise sauve une notable Tutsi En 1994, un officier supérieur de l’armée veut tenter de retrouver Jeanne, une femme Tutsi, à la demande de son mari, un notable Hutu. Il arrive malgré les barrages à atteindre la ville de Butare, dans le sud du Rwanda, où elle s’est réfugiée. Avec l’aide de la famille d’accueil, il va lui permettre de s’enfuir. Grâce à leur statut social, la famille d’accueil impose leur maison comme station pour le convoi d’un cardinal français en visite au Rwanda. Jeanne peut s’y glisser sans être vue, puis partir avec le cardinal et sa suite. Par chance, le convoi n’a pas été contrôlé : Jeanne peut ainsi échapper aux bandes armées et à la mort.

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Un médecin allemand protège des Tutsi

Le Docteur Wolfgang Blam, un médecin allemand vivait au Rwanda depuis de nombreuses années et travaillait dans la salle d’opérations de l’hôpital rural de Kibuye. Cela faisait longtemps qu’il travaillait avec des personnes de milieux ethniques et politiques différents, qu’il les soignait et qu’il était respecté par elles. Le docteur Blam avait épousé Jacqueline, une Tutsi, dont il avait un fils, né deux mois à peine avant le génocide. En 1994, il refuse de partir avec les autres expatriés ; il ne veut laisser ni son épouse ni son travail. Il travaille dans des conditions extrêmement difficiles au début des massacres. Il met ses compétences au service de parents, amis, patients et réfugiés Tutsi. Il s’efforce d’offrir une protection ainsi qu’un traitement aux malades et aux blessés qui arrivent en masse à l’hôpital. Le docteur Blam prit soin d’Anne-Marie Mukantabana, alors âgée de quatorze ans, qui gagna l’hôpital après le massacre de sa famille. Elle se rappelle comment il arrivait fréquemment au docteur de supplier les Interahamwe de laisser ses patients en paix : « Il se donnait de tout son cœur. Nous les rescapés, nous le gardons dans notre mémoire, même si nous ne pouvons pas lui exprimer notre reconnaissance. Il s’est chargé de soulager notre détresse alors qu’il était étranger, au moment où nos propres frères nous massacraient. » Anne-Marie Mukantabana


Un maçon creuse des tranchées pour cacher des Tutsi

Un préfet empêche les massacres dans sa région durant deux semaines

En 1994, Frodouald Karuhije, maçon hutu, cache et nourrit des habitants des communes de Nyamabuye, Ntongwe et Gitarama, durant plus d’un mois alors que la plupart d’entre eux lui sont inconnus. Il creuse sur son terrain des tranchées profondes et invisibles à tous ceux qui n’en connaissent pas l’existence. Il les camoufle avec des branches, de la terre et des plantes. Frodouald dit qu’il était « tout à fait prêt à mourir pour ces Tutsi qui s’étaient réfugiés chez lui ». Il a sauvé ainsi la vie de 14 Tutsi, hommes, femmes et enfants.

Jean-Baptiste Habyarimana, préfet de Butare, a pu empêcher l’exécution du génocide depuis le 6 avril 1994 jusqu’à sa destitution le 18 avril 1994.

« C’est un homme bon et courageux. Il était pauvre mais il a accepté de nous abriter et de nous nourrir pendant plus d’un mois et demi. Karuhije s’est dévoué pour nous pendant le génocide. » Phidentia Mukamwiza

Augustin Sebashongore, Hutu de Gishamvu protège et sauve sa belle-fille tutsi, Brigitte Mukantabana en donnant de l’argent aux bourreaux pour qu’ils ne la tuent pas.

Une guérisseuse Hutu invoque les esprits pour effrayer les miliciens Durant le génocide rwandais, Sula Karuhimbi, guérisseuse de 75 ans de Musamo (commune de Ntongwe à Gitarama), protège certains de ses voisins Tutsi des Interahamwe et tente d’en aider plusieurs autres. Sula donne asile à des Tutsi sur sa propriété et s’oppose farouchement aux miliciens qui viennent les chercher. Agricultrice, elle réussit à nourrir les gens qu’elle cache chez elle avec le produit de ses terres, les hébergeant dans un abri qu’elle a construit pour ses bêtes. Parce qu’elle a peu de ressources et qu’elle paraît vulnérable, Sula n’attire pas l’attention de la milice. Toutefois, au bout d’un certain temps, les Interahamwe commencent à la soupçonner. Elle joue sur sa réputation de guérisseuse pour convaincre les miliciens qu’elle peut convoquer des esprits maléfiques, de sorte qu’ils finissent par la craindre. « Karuhimbi se montre accueillante envers tout le monde, même des inconnus. Il est difficile de savoir le nombre exact de personnes qu’elle a pu sauver. Son courage pendant le génocide a été sans égal. Très peu de gens auraient pu faire ce qu’elle a fait». Hassan Habiyakare, ancien refugié

Un Hutu soudoie des miliciens pour empêcher l’assassinat de sa belle-fille

Un militaire Hutu accompagne à la frontière la femme Tutsi d’un collègue Rwagasore, un militaire Hutu accompagne et protège Brigitte Mukantabana dans sa fuite de Gishamvu à Cyangugu, près de la frontière du Congo. Envoyé par l’époux de Brigitte Mukantabana, lui aussi un militaire Hutu, il arrive à garantir sa sécurité et l’amener à bon port saine et sauve.

Des amis Hutu offrent un abri temporaire a une femme Tutsi Urayeneza Bernadette se rend à Runyinya où elle trouve refuge chez des voisins et parents Hutu. Elle se cache chez plusieurs amis, notamment Misigaro, Sekimondo, Gatera André, Nyiramatama Candide. Elle y reste quelques jours avant de partir à nouveau pour ne pas les mettre en danger. Puis elle va à Runyinya et vit chez les Barigira, des parents de sa famille. Elle y reste plusieurs mois puis fuit avec eux, sous la menace des rebelles du FPR. Ils arrivent finalement à se sauver.

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Elle protège sa communaute rwandaise des violences Félicitée Niyitegeka, de la communauté des Auxiliaires de l’Apostolat du diocèse de Nyundo, œuvre pour protéger sa communauté de filles Tutsi et Hutu. Lorsque la violence éclate, Félicitée veille à ce que les tensions ne se propagent pas au sein de la communauté. Elle est la seule à répondre au téléphone et à ouvrir la porte, pour que la présence de filles Tutsi dans le centre ne soit pas découverte. Le centre devient même un véritable sanctuaire pour les réfugiés. Elle commence à évacuer les plus vulnérables en les aidant à passer la frontière pour gagner la RDC mais les Interahamwe découvrent ses plans. Félicitée refuse de s’échapper lorsque son frère, commandant de l'armée, lui envoie un véhicule et une escorte de soldats. Le lendemain, les Interahamwe pénètrent dans le centre pour enlever les filles Tutsi. Sachant qu’elles allaient être tuées, Félicitée insiste pour les accompagner. Elle les aide à chanter et à prier ; puis elle est tuée, elle aussi. « Félicitée a été une véritable héroïne au point d’accepter de donner sa propre vie pour les Rwandais. Ce qu’elle a fait pour nous ne doit jamais s’effacer de nos cœurs. Elle mérite d’être proclamée sainte. » Immaculée Tuyisenge, rare survivante de la communauté

Le maire Hutu mobilise sa police contre la tuerie En 1994, Jean Marie-Vianney Gisagara de Nyabisindu fait preuve d’une position ferme contre la violence. Dès que les problèmes commencent à se manifester, il intervient pour défendre les Tutsi de sa commune. Apprenant une attaque dans le secteur de Nyarusange, il prend avec lui la force de police communale et met les Interahamwe en déroute, en arrêtant plusieurs. Puis il donne pour instructions aux conseillers locaux de résister aux exigences des génocidaires et lance un appel au calme. Finalement, il est obligé de se cacher, mais est vite retrouvé et brutalement tué. En guise d’avertissement et pour donner un exemple de ce qui arriverait à tout Hutu qui essaierait de tendre la main aux Tutsi, il est attaché à une camionnette et traîné à travers les rues à Nyanza. Onze membres de sa famille, dont ses parents, ses frères et soeurs et sa femme, sont tués. Ils sont parmi les premières victimes des interahamwe à Nyanza. Après la mort de Gisagara, le génocide ne rencontre plus la moindre résistance à Nyabisindu. « Gisagara a été un vaillant gardien de l’unité des habitants de Nyanza. Il mérite que son nom soit retenu pour la postérité. » Pélagie Mukantagara, sa tante

Un commerçant risque sa vie pour sauver des Tutsi Un Hutu fait passer la frontière du Burundi à sa belle-sœur Isaïe Sindikubwabo habitant du secteur Ruhororode aide Musabyimana Emérite, sa belle-sœur, à traverser la frontière du Burundi jusqu’à Murama chez une femme burundaise nommée Angela qui l’héberge jusqu’à la fin du génocide rwandais

Des Hutu aident une inconnue Tutsi en la présentant comme une des leurs Musabyimana Emérite fuit Mugusa après l’assassinat de son mari et de son bébé. Sur le chemin de Kigembe elle échappe à la mort grâce à l’intervention de trois personnes inconnues qui demandent aux tueurs de la laisser partir, affirmant qu’elle était Hutu.

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Durant le génocide rwandais, Paul Kamanzi, commerçant de Muhazi, à Kibungo, fait tout ce qu’il peut pour déjouer les plans des génocidaires. Kamanzi, dont les propres frères sont partisans de la cause extrémiste, coupe ses liens avec sa communauté et sa famille parce qu’il ne peut pas vivre aux côtés de personnes qui sont impliquées dans les tueries. Il avertit les Tutsi des intentions des Interahamwe et s’efforce de leur trouver des cachettes. En dernier ressort, lorsque son propre père refuse de répondre à son appel à l’aide, Kamanzi décide de rester avec ses amis réfugiés, dans le bureau communal. Le 15 avril, des Interahamwe, des membres de la Garde présidentielle et des policiers lancent un assaut contre les réfugiés ; Kamanzi se bat à leurs côtés. Il est abattu tandis qu’il tente de s’échapper avec les réfugiés Tutsi. « Kamanzi était un garçon généreux. Il avait un comportement exemplaire. Il aimait tout le monde, sans distinction d’origine. Il l’a montré quand il a accepté de mourir pour nous, les Tutsi, avec nos jeunes.. » Témoignage anonyme


Un prètre Hutu participe à un réseau d’évasion En 1994, l’abbé Baudouin Busunyu de la paroisse de Nkanka à Kamembe, Cyangugu, aide en secret des Tutsi au mépris des membres de sa famille et en particulier de son père, Michel Busunyu, chef de la milice Interahamwe, ainsi que du curé partisan lui aussi des génocidaires. Il offre aux réfugiés un secours pratique. Il s’associe au réseau d’évasion géré par des prêtres afin de leur faire passer la frontière pour qu’ils gagnent Bukavu en RDC. A pied, il se rend aux bords du lac avec les réfugiés et paie des piroguiers pour qu’ils les acheminent jusqu’à Bukavu, accompagnant certains d’entre eux jusqu’à leur destination. Une fois, sur le chemin du retour, l’abbé Busunyu est capturé par une patrouille de la milice sur le lac Kivu. Roué de coups, il parvient cependant à soudoyer les miliciens pour qu’ils le libèrent. C’est tandis qu’il se trouve dans un camp de réfugiés au Zaïre qu’il est tué. « L’abbé Baudouin Busunyu nous a montré qu’il s’acquittait parfaitement du travail de Dieu, s’occupant de nous dans les plus durs moments. Ce qu’il a fait au cours du génocide avait quelque chose de surhumain et il aurait sûrement été tué s’il avait été pris en train de protéger des Tutsi. » Micheline Mukayiranga

Un prêtre Tutsi accueille des refugiés et organise la lutte Pendant le génocide rwandais, l’abbé Jean-Pierre Ngoga tente d’empêcher le massacre des 30 000 réfugiés de la paroisse de Kibeho. Ils sont sans arme et sans défense face à des milliers d’assassins, y compris des gendarmes résolument décidés à les exterminer. En tant que Tutsi, et parce que sa témérité lui a permis de tenir tête à des personnalités locales importantes et même aux chefs des génocidaires, l’abbé Ngoga est constamment menacé. Il recueille les réfugiés et tente de subvenir à leurs besoins. Après plusieurs assauts sur la paroisse, les miliciens et les gendarmes s’unissent pour commettre un terrible massacre le 14 avril, éliminant la quasi-totalité de la communauté Tutsi de la région. A l’issue du massacre, l’abbé Ngoga supplie tous les survivants de quitter la paroisse et il emmène certains d’entre eux à Butare en quête de sécurité. C’est là que, quelque temps plus tard, il fut incarcéré puis assassiné. «C’était un très bon prêtre. Il disait toujours haut et fort ses convictions. Ngoga s’est sacrifié pour nous pendant le génocide. Il ne s’est jamais démoralisé. Il nous encourageait à résister aux interahamwe et à lutter. J’ai eu beaucoup de peine quand j’ai appris la mort de Pierre Ngoga.. » Emmanuel, rescapé

Le curé yougoslave lutte contre les persecutions au Rwanda Pendant le génocide rwandais, l’abbé Vieko Curic, prêtre expatrié, originaire de l’ancienne Yougoslavie, consacre ses efforts à dispenser une assistance pratique et des soins médicaux aux personnes déplacées, allant jusqu’à aider certains à s’échapper. Alors que la plupart des autres expatriés sont évacués, l’abbé Vieko reste aux côtés des habitants de sa paroisse de Kivumu. Il condamne ouvertement la violence et continue de prêcher les vertus de la paix et de l’unité tout au long du génocide malgré les menaces des interahamwe. Après la tragédie, l’abbé Vieko fit preuve d’une totale impartialité, aidant aussi bien les Hutu que les Tutsi à reconstruire leur communauté. Aujourd’hui, à Kivumu, on peut encore voir les foyers et les bâtiments que l’abbé Vieko a financés ; hélas, le prêtre, quant à lui, n’est plus. Il a été abattu le 31 janvier 1998 à Kigali. « L’abbé Vieko a tout fait pour nous aider, aussi bien avant, que pendant et après le génocide. Les autres expatriés ont abandonné les Rwandais mais lui, il a refusé. » Espérance Mujawamariya

Trois prêtres sauvent des Tutsi contre l’avis de leur hierarchie En 1994, trois jeunes prêtres, l’abbé Joseph Boneza, l’abbé Ignace Kabera, et l’abbé Dieudonné Rwakabayiza, deux Tutsi et un Hutu de la paroisse de Mibilizi refusent d’être évacués lorsque la paroisse est menacée, malgré les conseils de l’évêque de Cyangugu qui les implore de le rejoindre. Ensemble ils font preuve d’un esprit de solidarité défiant les discours de haine raciale des tueurs et continuent à apporter des vivres, de l’argent et des encouragements aux rescapés. « Le courage des abbés Ignace, Joseph et Dieudonné est tellement grand que je ne trouve pas les mots pour le décrire ... Ils ont préféré nous aider à résister et à lutter énergiquement contre les interahamwe. [ …] Ils possédaient des dons particuliers que Dieu n’avait pas donnés aux autres. » Sœur Bernadette

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Un abbé Hutu crée un hôpital dans la cathédrale En 1994, l’abbé Oscar Nkundayezu, de la paroisse de Cyangugu, commune de Kamembe, n’hésite pas à risquer sa propre vie pour s’occuper de ceux qui fuient les massacres. Il prend un soin méthodique à la recherche de vivres, d’eau et de soins médicaux pour les réfugiés rassemblés au stade de Kamarampaka, théâtre de nombreux enlèvements et de massacres. Il leur rend visite chaque jour pour célébrer la messe et les réconforter. Dans la cathédrale voisine, l’abbé crée un hôpital de fortune qui sert également de cachette à ceux qui sont particulièrement menacés. Son acharnement est un facteur déterminant dans l’établissement à Cyangugu d’un réseau clandestin d’évacuation qui permet à des Tutsi de traverser le lac Kivu pour gagner la RDC. Il contribue à la collecte de fonds et parvient même à persuader certains résidents locaux, y compris des Interahamwe, d’emmener les réfugiés en sécurité en échange d’une somme d’argent. Il leur remet des lettres d’introduction à présenter à différents contacts une fois en RDC. « L’abbé Oscar est reconnu pour sa simplicité et son hostilité à toute forme de mal, notamment la discrimination. Il a sacrifié ses besoins pour ceux des réfugiés, alors que ses collègues résidant à la même cathédrale n’en ont pas fait autant. Il a aidé les nécessiteux sans avoir peur ». Béata Mukamusoni

Un Hutu sauve sa voisine Tutsi en la jetant dans un charnier Lors du génocide rwandais de 1994, dans la ville de Butare, un Hutu, resté anonyme, voit sa voisine Agnès, une jeune paysanne, attrapée et traînée par des Interahamwe pour être violée puis tuée. Tout en leur faisant croire qu’elle est morte, il la jette vivante dans le tas de corps mourants où gisent ses congénères. Elle sera sauvée définitivement quelques heures plus tard par un soldat qui l’extrait du charnier pour la conduire en lieu sûr.

Un prêtre sauve plus de mille cinq cent personnes au Rwanda L’abbé Célestin Hakizimana du centre pastoral St. Paul, Kigali, transforme le centre en refuge pour quelque deux mille personnes durant le génocide rwandais. La plupart ont la vie sauve car l’abbé Célestin Hakizimana intervient lors de chacune des tentatives de la milice. Certes, il ne parvient pas à empêcher la mort de tous les réfugiés mais, malgré la puissante opposition à laquelle il doit faire face, il tente d’écarter les tueurs par la voie de la persuasion et parfois par des pots-de-vin. Il tient tête à certains des plus grands chefs génocidaires de Kigali. L’abbé Hakizimana s’occupe de leurs besoins, il leur procure à manger et à boire ; parfois en prenant des risques majeurs car il arrive qu’on lui tire dessus quand il va chercher de l’eau. Il défend les réfugiés presque sans aucun soutien. Il sauve ainsi plus de 1500 Tutsi. « Il s’est sacrifié pour nous protéger. Pour preuve, le nombre de survivants à Saint-Paul. Il dépasse 1500 personnes. Il faut lui rendre hommage et proclamer son héroïsme. » Sylvérien Mudenge, un rescapé

Le maire Hutu defie les autorités et accueille les refugiés A l’encontre de bien des fonctionnaires des administrations locales qui deviennent souvent les organisateurs du génocide de 1994, Callixte Ndagijimana, bourgmestre de Mugina, fait s’unir les habitants pour lutter contre la violence qui menace de s’infiltrer à travers les frontières. Il agit avec force et détermination dans sa lutte contre les interahamwe. Il accueille chaleureusement les centaines de réfugiés pris de panique qui arrivent des environs. Il offre de la nourriture aux Tutsi ; il sillonne tous les secteurs de la commune pour transmettre un message de paix parmi ses résidents. Lorsque les interahamwe envahissent la commune, il reste avec les Tutsi, les défendant avec l’aide de quelques policiers communaux. Il tombe dans une embuscade et est assassiné le 21 avril. Après sa mort, la résistance contre les Interahamwe à Mugina s’effrite et les massacres des Tutsi commencent dans le secteur. « Callixte était tellement courageux ! Je ne vois personne capable de faire tout ce qu’il a fait dans toute la préfecture de Gitarama. Ce que nous pouvons demander au gouvernement, c’est de l’élever au rang des héros national... » Concilie Kampire, femme et mère de victime

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EXPOSITION ET OUVRAGE

REMERCIEMENTS PARTICULIERS

Commissaire d’exposition Bernard Mossé, Fondation du Camp des Milles

Jacques Kabale Ambassadeur du Rwanda en France

Conseillère scientifique Dafroza Gauthier

Serge Kamuhinda, Chef adjoint - cabinet du Président de la République Rwandaise

Photographies et témoignages recueillis au Rwanda par Stéphane Dumont de Sauret

Michel Flesch Ambassadeur de France au Rwanda

Remerciements à ceux qui ont participé à la réalisation de cette exposition au titre du Site-Mémorial du Camp des Milles

Honoré Gatera Directeur du Mémorial de Kigali

Alain Chouraqui, Cyprien Fonvielle, Michel Martinez, Coralie Pietrucci, Christelle Arthaud, Bernard Zimbris, Mélanie Gehan et Éva Radé (stagiaires), ainsi que toute l’équipe de la Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation

Diogène Bideri Adjoint du Secrétaire Exécutif - Conseiller juridique Principal CNLG

Direction et suivi éditorial Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation Relecture des textes Sylvie Chiousse Conception graphique Exprimer Impression Imprimerie Bono Agence Web Sun Media Vidéos Les Nouveaux Médias Ouvrage édité par Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation N°ISBN : 978-2-9543623-2-8 Toute reproduction des images et textes dans le présent ouvrage interdite. Droits réservés Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation et Stéphane Dumont de Sauret

PARTENAIRES DE LA FONDATION DU CAMP DES MILLES - MÉMOIRE ET ÉDUCATION :

Olivier Kayumba Deuxième Conseiller Ambassade du Rwanda en France Yolande Makolo Directrice de la Communication, gouvernement du Rwanda Jean de Dieu Mucyo Secrétaire Exécutif de la CNLG Yvette Jalade Chargée de Communication - AEGIS Trust Rwanda Naftar Ahishakiye Secrétaire Exécutif IBUKA Claver Irakoze Responsable des Archives - AEGIS Trust Rwanda Maurice Kwizerimana Guide / Traducteur L’ensemble des rescapés du génocide, ainsi que ceux ayant accompli des actes justes, pour leurs témoignages permettant la réalisation de cette exposition

EXPOSITION EN PARTENARIAT AVEC :

PARTENAIRES MÉDIAS :


UNE CICATRICE DANS L’HISTOIRE RWANDA 1994 > LE GÉNOCIDE DES TUTSI

50 ans après la Shoah, 80 ans après l’Arménie, un autre génocide a ensanglanté le XXe siècle. Le pari humaniste que l’homme peut apprendre de son passé, au fondement du Site-Mémorial du Camp des Milles, est confronté à une épreuve sanglante. Après la Shoah, combien ont cru au “plus jamais ça!”. En trois mois, d’avril à juillet 1994, près d’un million de Tutsi ont été assassinés au Rwanda. Un nouveau génocide, une nouvelle cicatrice dans l’histoire de l’humanité… Les mêmes questions se posent alors : comment cela a-t-il été possible ? Comment empêcher que cela se reproduise ? Que ferions-nous demain si ? Que transmettre aux générations à venir afin de donner les clés pour comprendre, les repères pour agir ? Cet ouvrage accompagne l’exposition “Une cicatrice dans l’histoire”, organisée dans le cadre des vingt ans du génocide des Tutsi au Rwanda. Il présente vingt portraits et témoignages d’hommes et de femmes marqués à jamais dans leur corps et dans leur esprit, mais également des récits d’actes justes comme exemples à suivre d’une humanité résistante au cœur de la folie organisée.


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