Motifs d'Océanie

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Motifs d'Océanie


Les populations du Pacifique ont fait preuve

d’une grande imagination lorsqu’il s’est agi de trouver des matériaux avec lesquels créer des œuvres. Les milieux dans lesquels elles ont puisé ces matériaux présentent une grande variété et, si certaines populations se sont installées dans des lieux à la biodiversité considérable, comme les grandes îles mélanésiennes, d’autres ont développé leur culture au sein d’un environnement aux ressources beaucoup plus limitées. En effet, les atolls coralliens de Micronésie et de Polynésie offrent des terres moins fertiles où la diversité zoologique et botanique est plus restreinte. Les matériaux organiques ont mal résisté au passage du temps, aussi peu d’objets fabriqués dans ces matériaux nous sont connus pour les périodes anciennes. Les matériaux non organiques (la pierre et la céramique) et quelques matériaux organiques (les coquillages et les ossements)

nous permettent de mieux connaître les formes d’expression visuelle les plus anciennes. Aujourd’hui, les Océaniens utilisent des matériaux aussi divers que la plume, le bois et les végétaux dans leur ensemble, l’ivoire, l’ écaille de tortue, les coquillages, le sable et bien sûr le corps humain, qui, en Océanie, demeure le support privilégié de l’expression artistique. Certains matériaux comme le métal ont été introduits sur une large échelle au début de l’ ère coloniale, alors que des populations du nord-ouest de la Nouvelle-Guinée fabriquaient déjà des objets métalliques. Si certaines des œuvres produites dans le Pacifique sont destinées à être conservées sur le long terme (les éléments d’architecture, les objets d’échange par exemple), beaucoup d’entre elles sont très éphémères, comme les dessins tracés sur le sable ou les peintures corporelles ; la brièveté de leur existence ne doit pourtant pas faire préjuger de leur importance artistique, symbolique ou sociale.


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La terre La poterie Lapita

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Fragment de statuette Reef Island Group, île de Santa Cruz, îles Salomon Terre cuite D’après Green, 1979, p. 17

Le peuplement des nombreuses îles du Pacifique résulte de plusieurs vagues de migration. Avant l’ère coloniale, les archéologues distinguent deux principales vagues migratoires. La première a sans doute eu lieu il y a 50 000 ans durant le Pléistocène, ces premiers arrivants s’établissant sur une vaste terre émergée appelée Sahul. Cette terre continentale était formée de ce qui constitue aujourd’hui l’Australie et l’île de Nouvelle-Guinée. Assez rapidement, ces premiers hommes ont colonisé cette vaste terre ainsi que les îles les plus proches (archipel Bismarck et les îles Salomon). Des archéologues ont découvert au nord de la Nouvelle-Guinée, dans la péninsule Huon, un site sur lequel le matériel lithique a pu être daté entre 60 000 et 40 000 ans. Il s’agit pour le moment de la plus ancienne trace d’occupation humaine dans l’océan Pacifique. À la fin de la dernière période d e glaciation, le niveau des océans est monté et a séparé la Nouvelle-Guinée de l’Australie. Plus récemment, il y a environ 3 500 ans, une seconde vague de migration venue d’Asie du Sud-Est s’est établie sur les côtes des îles du nord de la Mélanésie ainsi que sur la côte nord de la Nouvelle-Guinée. Au contact des populations anciennement établies s’est développée une culture originale dite « Lapita », du nom d’un site archéologique situé en Nouvelle-Calédonie. La culture Lapita est caractérisée par la production d’une fine céramique portant un décor géométrique incisé. Cette céramique apparaît sur les sites où ont ensuite migré ces nouvelles populations et l’on en retrouve des tessons dans toute la Mélanésie, mais aussi en Polynésie centrale, à Fidji, Tonga et Samoa.


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Fragment de céramique Ile Watom, New Britain, Papouasie-Nouvelle-Guinée Terre cuite 30 × 16,4 × 6 cm Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1934.188.1300.1-5

LA POTERIE LAPITA

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Fragment de céramique

Fragment de céramique

Ile Watom, New Britain, Papouasie-Nouvelle-Guinée Terre cuite 7,9 × 13,7 × 2,6 cm Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1934.188.1294.1-3

Ile Watom, New Britain, Papouasie-Nouvelle-Guinée Terre cuite 16 × 9,5 × 1,6 cm Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1934.188.1326


La poterie à Fidji

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La céramique est une des particularités de l’archipel Fidji. On ne trouve nulle part ailleurs en Polynésie la fabrication de céramique, bien que des tessons de céramique Lapita soient pourtant présents en Polynésie de l’Ouest. À Fidji, la production de céramique n’était pratiquée que dans les communautés établies à proximité du littoral. La poterie, fabriquée uniquement par les femmes, faisait l’objet d’un commerce avec les habitants de l’intérieur des grandes îles. Les pots étaient montés à la main à l’aide d’un battoir (tala) et d’une contre-batte (vatu) placée à l’intérieur du pot. La plupart de ces poteries étaient des récipients à eau. De nombreux pots étaient constitués de contenants multiples reliés par des anses, d’autres prenaient la forme d’une tortue marine. L’utilisation d’une résine végétale dite makare (Agathis vitiensis) permettait de lustrer la surface extérieure de ces poteries. Outre leur surface glaçurée, les céramiques de Fidji sont reconnaissables à leur décor incisé et à l’application de fins reliefs prenant la forme de petites boules de pâtes ou de dentelures. À l’instar des poteries Lapita, le décor incisé des céramiques de Fidji rappelle les motifs de tatouages que l’on rencontre dans l’ouest de la Polynésie ainsi que certains motifs peints ou estampés sur les étoffes d’écorce.

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Gourde en forme de tortue (sangga vonu) Iles Fidji Terre cuite 9,7 × 19,9 × 16,4 cm Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1881.69.25


LA POTERIE À FIDJI

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Gourde en forme de tortue (sangga vonu) Iles Fidji Terre cuite 11 × 14,7 × 17,7 cm Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1881.69.32


La poterie sur le Sepik Plusieurs techniques de céramique cohabitent sur le moyen Sepik en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Certains pots sont montés au colombin tandis que d’autres le sont à l’aide d’une batte et d’une contre-batte, une technique qui consiste à frapper la glaise par l’extérieur du pot tout en maintenant la paroi de l’intérieur à l’aide d’un galet rond ou de la main. Chez les Sawos vivant au nord du fleuve Sepik, les femmes montent au colombin des plats à nourriture de forme conique dont la face externe est ornée de profondes incisions. Les hommes gravent ce décor à l’aide d’une lame de bambou avant que la terre ne soit sèche. Le décor se lit de l’extérieur vers l’intérieur ; le haut des figures est ainsi situé au centre. Le fond du décor est incisé à l’aide d’une lame de bambou de manière à faire apparaître le motif en réserve. Les motifs décrivent des séquences empruntées à différents mythes. Le dessin d’un être mythologique, d’une plante ou d’un animal constitue une référence à partir de laquelle les experts locaux retracent la trame narrative du mythe. Lors de l’acquisition par les musées de ces plats à nourriture, le nom de certains motifs a pu être noté, comme par exemple sur les pièces aujourd’hui conservées au musée du Quai Branly. Sur le plat n o 10, A27 7 les spirales représentent des grenouilles (kerem). D’après Pot à sagou une fiche rédigée lors de la collecte, les visages sont Région du fleuve Yuat, Papouasie-Nouvelle-Guinée appelés wambutu. Sur le plat n o 12 se mêlent des motifs Terre cuite de grenouille représentées par des spirales, des yeux D. 40 cm environ (tambri) et des nez (masi). Après cuisson, les assiettes sont Collection particulière peintes d’ocres rouge et jaune, rehaussées de blanc et de noir.


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Figures Région du fleuve Yuat, Papouasie-Nouvelle-Guinée Terre cuite D. 30 cm environ Localisation inconnue

Outre de grandes jarres destinées à conserver la farine de sagou et autres objets utilitaires, les potiers de Dimiri fabriquent des figurines modelées librement. Parmi leurs thèmes de prédilection, on rencontre une partie du bestiaire quotidien de la région du Sepik, à savoir porcs, crocodiles ou lézards, mais aussi de nombreuses figures anthropomorphes. Sur les figures représentant des animaux ou des hommes, les potiers tracent des motifs reproduisant ou évoquant de manière fantaisiste les scarifications des initiations masculines.

LA POTERIE SUR LE SEPIK

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Plat à nourriture (kamana) Sawos, région du moyen Sepik, Papouasie-Nouvelle-Guinée Terre cuite 12 × 32 cm Amsterdam, Tropenmuseum, inv. 2670-158


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Plat à nourriture (khomungu) Village de Kamankawi, Papouasie-Nouvelle-Guinée Terre cuite D. 30 cm environ Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1961.103.235

LA POTERIE SUR LE SEPIK

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Plat à nourriture (khomungu) Village de Kamankawi, Papouasie-Nouvelle-Guinée Terre cuite D. 29,5 cm Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1961.103.227


Le corps Le corps paré dans les Highlands de Nouvelle-Guinée

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Les Highlands de Nouvelle-Guinée forment une immense chaîne de montagnes abritant des vallées très densément peuplées. Au sein de cette région vivent des sociétés aux traits fortement contrastés. Contrairement à celles du littoral, les sociétés des Highlands négligent la production de sculptures ou de peintures. En revanche, lorsque la vie sociale exige le rassemblement d’un grand nombre d’individus, les hommes et les femmes consacrent des efforts considérables à la confection de parures corporelles exceptionnelles, chaque cérémonie nécessitant des atours particuliers. Aujourd’hui, les grands rassemblements qui ont lieu chaque année à Mount Hagen, à Goroka ou à Wabag attirent des groupes de danse venus de toute la région pour montrer la splendeur de leurs parures. Ces festivals qui réunissent, outre une poignée de touristes, plusieurs milliers de danseurs, suscitent une forme de compétition entre les groupes. Chaque année, les participants perfectionnent leurs ornements et leurs performances de manière à retenir l’attention des autorités politiques locales, à susciter l’admiration ou la jalousie des autres concurrents ainsi que l’étonnement des quelques photographes présents.

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Homme de la région de Mount Hagen Western Highlands, Papouasie-Nouvelle-Guinée

Les habitants de la région de Hagen ont institué un système d’échanges sur une vaste échelle, comprenant des centaines de porcs et des quantités substantielles de patates douces. Lors de ces échanges, appelés moka, il convient d’offrir à ses partenaires un nombre de biens plus important encore que ce que l’on a reçu, de manière à montrer sa supériorité et son prestige. À cette occasion, les hommes comme les femmes élaborent des parures d’une grande sophistication, où chaque élément est déterminé par la tradition. Sur une perruque ou un bonnet en filet, les hommes placent un panneau de plumasserie köi wal (ou « sac d’oiseau »), surmonté d’un bouquet de plumes d’oiseau de paradis (Paradisaea raggiana) , notamment de plumes prélevées sur la tête d’un paradisier Prince Albert (Pteridophora alberti).


LE CORPS PARÉ DANS LES HIGHLANDS DE NOUVELLE-GUINÉE

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Femme de Simbu Simbu Province, Papouasie-Nouvelle-Guinée

À l’instar de celles de Hagen, les femmes de Simbu Province affichent leur prestige à travers leurs ornements corporels. Le nombre de croissants de nacre qu’elles portent en collier témoigne de la capacité de leur parentèle à accumuler des richesses et des biens. Les nombreux perroquets naturalisés et les plumes caudales de paradisier fastueux (Epimachus fastuosus) fichés dans leur coiffure résultent de négociations longues et complexes en vue d’emprunter à des parents et alliés de quoi manifester son prestige. En effet, nul ne possède un nombre suffisant de ces ornements pour composer sa propre coiffure.


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Western Highlands, Papouasie-Nouvelle-Guinée

Lors des danses weri, les femmes, qui forment des cercles, affichent leur richesse en portant des parures de prix, constituées en particulier de coquillages venus de la côte. Avant l’ère coloniale et la création de routes reliant les Highlands à la côte, ces coquillages étaient très rares et très prisés. Chaque parure est complétée par un nombre considérable de colliers de graines (Coix lacryma jobi). Sur la tête, les femmes portent une coiffe de plumes de perroquet et de paradisier. Enfin, le visage est maquillé de rouge et rehaussé de larges traits blancs et de quelques points bleus.

RP CO 47 LE CORPS PARÉ DANS LES HIGHLANDS DE NOUVELLE-GUINÉE

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Femme de la région de Mount Hagen dansant


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