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Swiss made, l’ultime certification
Dès 2024, un chapitre majeur de l’histoire horlogère de la fin 20e et début 21e siècle se referme: à la tête de FHS, le loyal Jean-Daniel Pasche cède son fauteuil présidentiel à Yves Bugmann. Il nous parle du Swiss made.
Sa vie, son œuvre? Cette succincte interview n’en a pas la prétention. C’est juste qu’à l’heure de son repli sur une vie de retrouvailles méritées avec le privé, avec sa famille, j’avais envie de m’offrir une dernière petite piqure de jouvence en matière de conviction Swiss made. Car Monsieur le Président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse FH jusqu’à la dernière goutte de 2023, a eu à ce sujet son mot à dire. Rappel et survol, énième rencontre.
Avant d'arriver à la FHS, vous êtes déjà un pro de la «propriété intellectuelle»?
J'ai débuté ma carrière comme jeune juriste à l'Office fédéral de la propriété intellectuelle à Berne en 1981 (OFPI devenu entretemps IPI, à savoir Institut fédéral de la propriété intellectuelle). Voyant qu'il y avait de l'avenir dans cette branche du droit, à savoir la propriété intellectuelle (PI), qui concerne brevets, marques, designs, droits d'auteur et indications géographiques, j'y ai fait mon doctorat en cours d'emplois, je vous le donne en mille, sur le Swiss made: c'était prémonitoire. Parallèlement, j'ai fait mes classes à l'OFPI pour en devenir l'un des vice-directeurs. Durant cette période, j'avais déjà des contacts avec la FH en raison des affaires de PI et j'ai été nommé directeur FH en 1993 avant d'en devenir le président exécutif en 2002 (fusion des postes de directeur et de président). Par conséquent, il est vrai que la PI a conduit ma carrière professionnelle et je n'ai jamais regretté ce choix.
Du coup, avec ce recul particulier, comment expliquer le Swiss Made aujourd'hui?
Un petit peu d'histoire, en essayant de faire court. L'ordonnance réglant l'utilisation du nom «Suisse» pour les montres (OSM) a été promulguée par le conseil fédéral en 1971: c'est le texte officiel. Il ne prévoyait qu'un seul critère à respecter: dès qu'une montre incorporait un mouvement suisse, elle pouvait être désignée comme Swiss made. J'insiste, il n'y avait pas d'autres conditions à remplir, ce qui a vite provoqué des insatisfactions. Cette OSM a été renforcée en 1992 avec l'adjonction de deux critères supplémentaires, à savoir: emboîtage de la montre et contrôle final par le fabricant à effectuer en Suisse. Par conséquent, un mouvement suisse emboîté hors de Suisse ne pouvait plus donner naissance à une montre suisse. Malgré tout, cette définition, entrée en vigueur en 1997, après un délai transitoire de cinq ans réclamé notamment par l'Union européenne (UE), n'a pas mis fin aux polémiques, car l'habillage ne jouait aucun rôle dans l'obtention du Swiss made.
D’où votre combat pour le renforcer? Il a fallu que le dossier murisse pour obtenir un certain consensus au sein de la branche afin d'aller plus loin, ce qui fut fait en 2007 lorsque la FH a décidé, à son assemblée générale, de demander officiellement le renforcement du Swiss made.
En conséquence, vous avez envoyé à chacun de vos membres une lettre avec les nouvelles conditions à respecter?
Il fallait réviser préalablement la législation fédérale avant de s'attaquer à l'OSM.
Pourquoi le Swiss made devait être «validé» par le pouvoir politique?
En résumé, les procédures devant les commissions parlementaires, les chambres fédérales, le conseil fédéral ont duré dix ans, car le projet Swissness était très controversé, surtout la nouvelle exigence du taux de 60% de valeur minimale suisse. Songez que le conseil des États n'a accepté ce taux, en second vote, qu'à une seule voix de majorité, car une grande partie de l'industrie suisse, notamment l'industrie des machines, s'y opposait. Une fois la loi Swissness, qui concerne donc l'ensemble de l'économie suisse, fut adoptée par les chambres fédérales, il a été possible pour le conseil fédéral d'adapter l'OSM avec le texte actuel qui est entré en vigueur le 1er janvier 2017 (voir le texte actuel en fin d'article).
Votre sentiment?
J'avoue que ce fut un dossier difficile, surtout au niveau du parlement pour obtenir non pas seulement un taux de 50% mais bien de 60%, car la FH était pratiquement seule à le soutenir au sein du monde industriel. Il a fallu faire beaucoup de lobbying mais cela a finalement fonctionné, de justesse.
Consultable en ligne sur le site de l’IPI (L’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle), le dépôt du nom «Swiss» a été rendu nécessaire afin de renforcer la lutte contre l’utilisation abusive de l’appellation «Swiss made»
Swiss made définition, rappel
«Est considérée comme montre suisse la montre… » a) dont le développement technique est effectué en Suisse:
1. pour les montres exclusivement mécaniques: au moins la construction mécanique et le prototypage de la montre dans son ensemble,
2. pour les montres non exclusivement mécaniques: au moins la construction mécanique et le prototypage de la montre dans son ensemble, ainsi que la conception du ou des circuits imprimés, de l'affichage et du logiciel; a bis) dont le mouvement est suisse; b) dont le mouvement est emboîté en Suisse;
En quoi cette «contextualisation légale» en Suisse du Swiss made concernait l’international et pour quelle raison d’autres pays avaient leur mot à dire?
La législation sur le Swiss made a été promulguée en 1971 pour prévenir l'augmentation des abus à la suite du démantèlement du statut horloger. Dans ce dossier Swiss made, la pression extérieure est principalement venue de l'UE, de la Chine et de Hong Kong et visait plutôt à ne pas renforcer le Swiss made de peur de voir la Suisse diminuer ses importations de composants horlogers. Notre marge de manœuvre était étroite, entre l'obtention d'un consensus au sein de la branche et le respect des obligations internationales de la Suisse au regard des règles OMC (non-discrimination et clause la nation la plus favorisée), des accords de libre-échange, notamment ceux avec l'UE, la Chine et Hong Kong.
Le mot «Swiss» qui appartient de facto à la Confédération ne devrait être déposable par aucune institution de PI au monde? Pourquoi alors l’avoir protégé en classe 14?
Nous voulons pouvoir attaquer ab initio, dès le dépôt d'une marque contenant abusivement le Swiss made, avant même qu'elle ne soit sur le marché. Or l'idéal pour attaquer une marque consiste à être soi-même titulaire d'une marque. Nous l'expérimentons aux Etats-Unis, à Hong Kong et dans l'UE. La FH est titulaire du nom «Swiss» en classe 14 notamment (classe internationale qui comprend l'horlogerie) dans ces régions, sur la base d'une marque de certification ou d'une marque collective selon les cas. Pour faire court, la FH peut invoquer sa marque contre toutes celles qui ne respectent pas l'OSM: c'est efficace. Les marques respectueuses du c) dont le fabricant effectue le contrôle final en Suisse, et d) dont 60 % au minimum du coût de revient sont générés en Suisse.
Swiss made sont au bénéfice d'une licence implicite de notre part. Les autres sont dans l'illégalité et nous pouvons les attaquer.
Quels abus possibles face à l’usage du Swiss made?
Il faut relever que de nombreux abus sont commis en Chine. Nous intervenons contre, parfois avec succès. Les autorités chinoises collaborent. Cependant (…), en Chine nous nous heurtons à des difficultés de culture juridique. La FH est pratiquement la seule organisation au monde qui dépose des marques collectives industrielles couvrant tout un secteur économique alors que c'est très fréquent dans le monde agricole et viticole: les fameuses appellations d'origine protégées. C'est peu répandu dans le monde industriel et peu connu des autorités. Il nous a fallu du temps et de l'abnégation pour les obtenir aux Etats-Unis et à Hong Kong. Avec l'aide des autorités suisses et de nos avocats locaux, nous essayons dès lors de convaincre l'administration chinoise du bienfondé de notre démarche, d'autant plus que celle-ci reconnaît la légitimité de lutter contre les tromperies affectant les consommateurs.
Et le commerce en ligne?
Le problème se trouve principalement sur les plateformes en ligne. Nous y rencontrons
Yves Bugmann (dr), président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse FH dès le 1er janvier 2024. Titulaire d’une licence en droit de l’Université de Zurich et d’un bachelor of business administration de la Graduate School of Business Administration à Zurich il a été chef de service à l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle à Berne. Il rejoint la FH en 2006 pour prendre la direction de la division juridique.
Dans la loi d’autres pays, y a-t-il quelque chose de comparable à l'ordonnance Swiss made? «Nous ne connaissons pas de législation comparable couvrant tout un secteur économique dans le monde industriel, à part peut-être l'ordonnance Glasshütte pour les montres en Allemagne. Il existe des législations spécifiques dans le monde agricole et viticole avec les AOP et AOC. Il existe aussi quelques législations plutôt dans l'artisanat: porcelaine de Limoges, couteaux de Sollingen et couteaux Laguiole.» fréquemment des indications abusives telles que «Swiss Brand» et «Swiss Design.» Donc, nous poursuivons nos démarches sans pouvoir déterminer le temps que cela prendra.
Comment expliquer le fait que de nombreux dépôts horlogers de marques graphiques ou nominales contiennent le mot «Swiss»? Vous les autorisez?
Nous surveillons tous les dépôts de marques au monde portant sur des produits horlogers et intervenons lorsqu’ils contiennent une référence à la Suisse et nous semblent suspects. Le cas échéant, nous nous opposons à l’enregistrement de la marque, demandons son annulation, ou sa restriction de protection aux produits d’origine suisse. Sans entrer dans les détails, notre taux de succès est de plus de 90%. n www.fhs.swiss