Banque et les banquiers en france

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« La banque et les banquiers en France du Moyen-Age à nos jours », Hubert Bouin, Editions Larousse, 1992  

La banque est « sœur du négoce » : en effet, les banquiers s’installent dans les places où le trafic de marcha,ndise s’accompagne d’un change de créances, visant à assurer la compensation, la répartition des capitaux des négociants de ville à ville et de pays à pays. Entre le 8° et le 11° siècle, on assiste à la diffusion du crédit sur fond de relance économique et commerciale. Ce sont alors des « syriens » qui pratiquent le crédit dans le royaume de France jusque vers le 9° siècle ; ils sont suivis par les juifs qui pratiquent le change de monnaies, le prêt à la consommation, le prêt sur gage ; les juifs sont les seuls à pratiquer le prêt sur gage jusqu’au 17° siècle (apparition alors des Monts-de-Piété). Le port de Rouen accueille ainsi une importante communauté juive, à laquelle on doit le plus ancien monument juif médiéval connu d’Europe (1100 environ). Les prêteurs sur gage et banquiers de petite ou moyenne envergure, soutiennent par le crédit les opération de change provinciales. Sur les places commerciales s’installent peu à peu des « cahorsins », des juifs et des lombards, et bien d’autres. Le banquier est aussi dès le départ un « agent de change » : sur les champs de foire, dans les places commerciales, les négociants y ont recours : le système monétaire est alors bien différent des systèmes monétaires nationaux (FF, £, etc.) ou transnationaux (€, $) contemporains ; de place en place, les changeur « évaluent » le cours de telles ou telles monnaie ; Florin de Florence, Ducat génois, Ecu français, Livre Parisis, Livre de Provins, il existe plusieurs monnaies françaises (des monnaies étrangères sont également couramment utilisées en france) par exemple, qui sortent de divers ateliers monétaires, sont plus ou moins usées (« usure »…) par les mains entre lesquelles elles sont passées, font l’objet de fraudes (fausses monnaies, ateliers monétaires non autorisés), sont de qualité différente suivant la composition de l’alliage : cette évaluation, c’est « l’aloi » (bon, mauvais aloi) des pièces d’or et d’argent ; de plus, les marchands qui arrivent sur une place doivent faire leurs affaires avec la ou les monnaies qui y ont cours (la « monnaie de foire » : livre de Provins, Livre Parisis), et qui varient d’une place à l’autre. A Paris, les changeurs se sont regroupés sur le Grand Pont ou « Pont au Change » entre le 12° et le 14° siècle ; et parmi 503 parisiens assujettis à l’impôt en 1423, 43 sont changeurs, et 10 de ces changeurs figurent parmi les 20 premiers contribuables de la cité… ; à Toulouse en 1398, lors d’un recensement des corporations, on compte 34 changeurs et 15 monnayeurs, aux côtés de 150 marchands et merciers. Le change peut être immédiat, mais aussi immédiat, indirect, « au long cours » : il est effectué par lettre de change d’une place à l’autre, c’est le « change tiré », sur lequel le banquier prélève une commission ; de plus, selon les places et le cours des monnaies concernées, le changeur peut réaliser des marges sur les différence de valeurs d’une place à l’autre : c’est la spéculation monétaire : il achète là où la monnaie baisse, revend la où elle monte, au gré de la demande et de l’offre pour telle ou telle monnaie sur telle ou telle place. La rapidité de circulation des lettres de change joue également beaucoup dans ce type de spéculation. Cette mobilité de « l’argent papier », qui limite les risques du transport d’argent métal, permet de régler un déficit sur une place par un excédent sur une autre. Et la solidité financière des banques et de certaines valeurs monétaires permet de faire de l’argent papier un instrument de paiement «fiable »… Le banquier cambiste entretient sur chaque place des correspondants qui font circuler les lettres de changes entre places et entres succursales. Le négociant a aussi recours à ces lettres de change : il encaisse une recette en liquide sur une place, l’amène à telle maison de banque de cette place sur laquelle il dispose d’un compte, et se fait verser le montant de son dépôt sur une autre place où se trouve une succursale de la maison bancaire, évitant les bandits de grands chemin. Mais cette lettre de change peut aussi se transformer en un système de crédit (avec intérêt, c'est-à-dire usure au sens contemporain) camouflé en opération de change. Dans ce cas, l’opération de change s’accompagne le plus souvent d’une opération de rechange au terme du délai. Mais la lettre de change reste à cette époque réservée aux grandes places et aux grandes banques : Paris, Médicis ; jusqu’au 15 et 16° siècle où elle se généralise. Les banquiers tiennent aussi des dépôts d’argent pour leurs clients : épargne des riches bourgeois, des nobles et du haut clergé (ce qui assure à la banque une plus grande « surface », c'est-à-dire une plus grande disponibilité de masse monétaire avec laquelle jouer ; notons aussi que par ce biais, les banquiers sont au fait des flux financiers les plus discrets au sein des appareils du pouvoir : ils sont complices de toutes truande et agents de renseignement tout indiqués…), ou liquidité des hommes d’affaire : dans ce dernier cas, par leur système d’écriture interne, ils peuvent assurer aux négociants clients le versement de tout ou partie de leurs dépôts sur telle ou telle place, sans nécessité de transfert métal. A la fin des foires, ils assurent la compensation des transferts, censée faire correspondre les écritures aux flux actés. Ce sont les banquiers siennois et florentins qui initient ce système au 13° siècle. Il assure aussi des prêts, aux personnes comme aux « entreprises », par une sorte de « commandite » qui préfigure la banque d’investissement. Le banquier est aussi à l’affût d’informations, pour limiter la prise de risque (« border les risques ») : nouvelles politiques, militaires, intrigues de cour, sur les récoltes, les marchandises, les opportunité de nouveaux marchés liées à telle ou telle conquête, fluctuations monétaires et cours des marchandises sur telle ou telle place, comptabilité des succursales, le mouvement des navires, etc. Les banquiers entretiennent ainsi souvent de très volumineuses correspondances. Ces informations restent confidentielles, du fait de la concurrence. La comptabilité peut apparaître au prime abord comme la partie la plus ingrate de ce travail, mais elle peut aussi se révéler très profitable, et le banquier excelle comme personne dans le maniement des chiffres, qui restent romains jusqu’au 15° siècle, date à laquelle, après s’en être longtemps méfié, on utilise les chiffres arabes (plus susceptibles « d’erreurs », c'est-à-dire de fraude d’écriture), plus simples. Le métier s’acquiert dès le plus jeune âge, par un « tour de banque » (comme on fait un tour de france quand on est compagnon : du « bas » en « haut » et en tous lieux) ; parmi les connaissances indispensables, le latin, le droit, les langues, les mathématiques et leurs applications comptables et financières… La banque est également « sœur du pouvoir » : la banque a depuis son apparition constamment été sollicitée par les monarques et autres despotes, pour financer des guerres, par exemple... C’est notamment le cas quand est instaurée en France une armée permanente à partir de 1445. Les banquiers font office de « conseillers » des têtes couronnées et des grands seigneurs : conseils sur les prêteurs à contacter, les achats à accomplir au meilleur prix, tenue (« bonne », toujours… !) des comptes publics, etc. Mais ils leurs procurent surtout des avances sur les recettes des impôts et des rentes terriennes. Les banquiers de Lyon procurent l’argent à François 1 quand celui-ci cherche à s’acheter les électeurs à la couronne du saint empire germanique ; mais dans le même temps, le banquier allemand Fugger aide plus encore Charles Quint, élu empereur en 1519. Lorsque la cour de Bourgogne atteint son apogée avec Philippe pair de France, Comte d’Artois et de Flandre et duc de Bourgogne, puis avec Charles le Téméraire au milieu du 15°, les financiers italiens s’y pressent. Nombre de ces marchands banquiers finissent par gérer une partie des recettes fiscales du royaume. Plusieurs obtiennent également des charges officielles et sont anoblis. Mais cette position est parfois dangereuse. Ils ne peuvent refuser les services financiers et les prêts au prince, lequel se déleste de son banquier quand celui-ci ose lui rappeler sa dette… Ainsi pendant la guerre de 100 ans, les banquiers de Paris subissent les aléas de la guerre ; mais ils ne sont pas passifs dans l‘affaire : nombre d’entre eux se sont en effet impliqués dans un des partis, et se retrouvent ruinés suite aux retournements successifs de conjoncture politique et militaire : ils perdent leurs créances sur Louis d’Orléans avec son assassinat en 1407 ; subissent en 1413 les foudres de la réaction des armagnacs (partisans du roi de France) contre les piliers financiers d’un pouvoir bourguignon (alliés des anglais) déconsidérés par ses alliés cabochiens (parti plus populaire de parisiens


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