« La banque et les banquiers en France du Moyen-Age à nos jours », Hubert Bouin, Editions Larousse, 1992
La banque est « sœur du négoce » : en effet, les banquiers s’installent dans les places où le trafic de marcha,ndise s’accompagne d’un change de créances, visant à assurer la compensation, la répartition des capitaux des négociants de ville à ville et de pays à pays. Entre le 8° et le 11° siècle, on assiste à la diffusion du crédit sur fond de relance économique et commerciale. Ce sont alors des « syriens » qui pratiquent le crédit dans le royaume de France jusque vers le 9° siècle ; ils sont suivis par les juifs qui pratiquent le change de monnaies, le prêt à la consommation, le prêt sur gage ; les juifs sont les seuls à pratiquer le prêt sur gage jusqu’au 17° siècle (apparition alors des Monts-de-Piété). Le port de Rouen accueille ainsi une importante communauté juive, à laquelle on doit le plus ancien monument juif médiéval connu d’Europe (1100 environ). Les prêteurs sur gage et banquiers de petite ou moyenne envergure, soutiennent par le crédit les opération de change provinciales. Sur les places commerciales s’installent peu à peu des « cahorsins », des juifs et des lombards, et bien d’autres. Le banquier est aussi dès le départ un « agent de change » : sur les champs de foire, dans les places commerciales, les négociants y ont recours : le système monétaire est alors bien différent des systèmes monétaires nationaux (FF, £, etc.) ou transnationaux (€, $) contemporains ; de place en place, les changeur « évaluent » le cours de telles ou telles monnaie ; Florin de Florence, Ducat génois, Ecu français, Livre Parisis, Livre de Provins, il existe plusieurs monnaies françaises (des monnaies étrangères sont également couramment utilisées en france) par exemple, qui sortent de divers ateliers monétaires, sont plus ou moins usées (« usure »…) par les mains entre lesquelles elles sont passées, font l’objet de fraudes (fausses monnaies, ateliers monétaires non autorisés), sont de qualité différente suivant la composition de l’alliage : cette évaluation, c’est « l’aloi » (bon, mauvais aloi) des pièces d’or et d’argent ; de plus, les marchands qui arrivent sur une place doivent faire leurs affaires avec la ou les monnaies qui y ont cours (la « monnaie de foire » : livre de Provins, Livre Parisis), et qui varient d’une place à l’autre. A Paris, les changeurs se sont regroupés sur le Grand Pont ou « Pont au Change » entre le 12° et le 14° siècle ; et parmi 503 parisiens assujettis à l’impôt en 1423, 43 sont changeurs, et 10 de ces changeurs figurent parmi les 20 premiers contribuables de la cité… ; à Toulouse en 1398, lors d’un recensement des corporations, on compte 34 changeurs et 15 monnayeurs, aux côtés de 150 marchands et merciers. Le change peut être immédiat, mais aussi immédiat, indirect, « au long cours » : il est effectué par lettre de change d’une place à l’autre, c’est le « change tiré », sur lequel le banquier prélève une commission ; de plus, selon les places et le cours des monnaies concernées, le changeur peut réaliser des marges sur les différence de valeurs d’une place à l’autre : c’est la spéculation monétaire : il achète là où la monnaie baisse, revend la où elle monte, au gré de la demande et de l’offre pour telle ou telle monnaie sur telle ou telle place. La rapidité de circulation des lettres de change joue également beaucoup dans ce type de spéculation. Cette mobilité de « l’argent papier », qui limite les risques du transport d’argent métal, permet de régler un déficit sur une place par un excédent sur une autre. Et la solidité financière des banques et de certaines valeurs monétaires permet de faire de l’argent papier un instrument de paiement «fiable »… Le banquier cambiste entretient sur chaque place des correspondants qui font circuler les lettres de changes entre places et entres succursales. Le négociant a aussi recours à ces lettres de change : il encaisse une recette en liquide sur une place, l’amène à telle maison de banque de cette place sur laquelle il dispose d’un compte, et se fait verser le montant de son dépôt sur une autre place où se trouve une succursale de la maison bancaire, évitant les bandits de grands chemin. Mais cette lettre de change peut aussi se transformer en un système de crédit (avec intérêt, c'est-à-dire usure au sens contemporain) camouflé en opération de change. Dans ce cas, l’opération de change s’accompagne le plus souvent d’une opération de rechange au terme du délai. Mais la lettre de change reste à cette époque réservée aux grandes places et aux grandes banques : Paris, Médicis ; jusqu’au 15 et 16° siècle où elle se généralise. Les banquiers tiennent aussi des dépôts d’argent pour leurs clients : épargne des riches bourgeois, des nobles et du haut clergé (ce qui assure à la banque une plus grande « surface », c'est-à-dire une plus grande disponibilité de masse monétaire avec laquelle jouer ; notons aussi que par ce biais, les banquiers sont au fait des flux financiers les plus discrets au sein des appareils du pouvoir : ils sont complices de toutes truande et agents de renseignement tout indiqués…), ou liquidité des hommes d’affaire : dans ce dernier cas, par leur système d’écriture interne, ils peuvent assurer aux négociants clients le versement de tout ou partie de leurs dépôts sur telle ou telle place, sans nécessité de transfert métal. A la fin des foires, ils assurent la compensation des transferts, censée faire correspondre les écritures aux flux actés. Ce sont les banquiers siennois et florentins qui initient ce système au 13° siècle. Il assure aussi des prêts, aux personnes comme aux « entreprises », par une sorte de « commandite » qui préfigure la banque d’investissement. Le banquier est aussi à l’affût d’informations, pour limiter la prise de risque (« border les risques ») : nouvelles politiques, militaires, intrigues de cour, sur les récoltes, les marchandises, les opportunité de nouveaux marchés liées à telle ou telle conquête, fluctuations monétaires et cours des marchandises sur telle ou telle place, comptabilité des succursales, le mouvement des navires, etc. Les banquiers entretiennent ainsi souvent de très volumineuses correspondances. Ces informations restent confidentielles, du fait de la concurrence. La comptabilité peut apparaître au prime abord comme la partie la plus ingrate de ce travail, mais elle peut aussi se révéler très profitable, et le banquier excelle comme personne dans le maniement des chiffres, qui restent romains jusqu’au 15° siècle, date à laquelle, après s’en être longtemps méfié, on utilise les chiffres arabes (plus susceptibles « d’erreurs », c'est-à-dire de fraude d’écriture), plus simples. Le métier s’acquiert dès le plus jeune âge, par un « tour de banque » (comme on fait un tour de france quand on est compagnon : du « bas » en « haut » et en tous lieux) ; parmi les connaissances indispensables, le latin, le droit, les langues, les mathématiques et leurs applications comptables et financières… La banque est également « sœur du pouvoir » : la banque a depuis son apparition constamment été sollicitée par les monarques et autres despotes, pour financer des guerres, par exemple... C’est notamment le cas quand est instaurée en France une armée permanente à partir de 1445. Les banquiers font office de « conseillers » des têtes couronnées et des grands seigneurs : conseils sur les prêteurs à contacter, les achats à accomplir au meilleur prix, tenue (« bonne », toujours… !) des comptes publics, etc. Mais ils leurs procurent surtout des avances sur les recettes des impôts et des rentes terriennes. Les banquiers de Lyon procurent l’argent à François 1 quand celui-ci cherche à s’acheter les électeurs à la couronne du saint empire germanique ; mais dans le même temps, le banquier allemand Fugger aide plus encore Charles Quint, élu empereur en 1519. Lorsque la cour de Bourgogne atteint son apogée avec Philippe pair de France, Comte d’Artois et de Flandre et duc de Bourgogne, puis avec Charles le Téméraire au milieu du 15°, les financiers italiens s’y pressent. Nombre de ces marchands banquiers finissent par gérer une partie des recettes fiscales du royaume. Plusieurs obtiennent également des charges officielles et sont anoblis. Mais cette position est parfois dangereuse. Ils ne peuvent refuser les services financiers et les prêts au prince, lequel se déleste de son banquier quand celui-ci ose lui rappeler sa dette… Ainsi pendant la guerre de 100 ans, les banquiers de Paris subissent les aléas de la guerre ; mais ils ne sont pas passifs dans l‘affaire : nombre d’entre eux se sont en effet impliqués dans un des partis, et se retrouvent ruinés suite aux retournements successifs de conjoncture politique et militaire : ils perdent leurs créances sur Louis d’Orléans avec son assassinat en 1407 ; subissent en 1413 les foudres de la réaction des armagnacs (partisans du roi de France) contre les piliers financiers d’un pouvoir bourguignon (alliés des anglais) déconsidérés par ses alliés cabochiens (parti plus populaire de parisiens
insurgés contre le pouvoir royal) ; sont emportés par le retour bourguignon en 1418, qui ruine tant les prévaricateurs de la faction armagnaque que les hommes d’affaire peu engagés d’un « parti de la paix » (en fait naguère porté vers les armagnacs par exaspération)
Au moyen-âge, les banquiers ou usuriers sont conspués par l’église, probablement avant tout du fait du rejet qu’ils inspirent dans la société elle-même. Thomas d’Aquin s’oppose à l’usure : « on vend ce qui n’existe pas ». Le concile du Latran de 1215 renouvelle l’interdiction de l’intérêt. L’évangile de St Luc stipule : « prêtez-vous l’un à l’autre sans rien en attendre ». Le Concile de Trêves de 1227 interdit tout dépôt rémunéré (compte avec taux d’intérêt) chez les banquiers ; le concile de Lyon de 1274 prive les usuriers de sépulture chrétienne s’ils ne renonçaient pas aux fruits de leur prédation. Mais en 1515, un Concile du Latran rend légal l’usure, le taux d’intérêt sur les prêts sur gage. Mais dans les prêches, on continue de considérer que « jamais l’usure n’est sans larcin ». Mais d’un autre côté, l’Eglise, et particulièrement sa haute hiérarchie, avait besoin des banquier pour piller les pays christianisés : c’est grâce à eux qu’elle pouvait faire des transferts de fonds vers la papauté, qu’elle fut à Rome, ou sous bonne garde royale, en Avignon…par ailleurs, il est prévu par l’Eglise un moyen pour le banquier de connaître la rédemption : les « actes de bienfaisance » : il s’agit de répartir l’héritage familial au crépuscule de sa vie, et selon l’atmosphère de l’époque, entre famille, œuvre charitables et abbayes… Un autre moyen d’avoir la tranquillité face aux co-prédateurs que sont Eglise et princes, les marchands-banquiers, dans le cadre de leurs confréries le plus souvent, subventionnent la construction d’églises, de chapelles, voire de cathédrales ; subventionnent les monastères ; se font mécènes pour les peintures sacrées des Eglises, les vitraux ; ils se font représenter en bonne place à la droite de tel ou tel saint sur les peintures sacrées destinées à l’Eglise et ses temples locaux. Par ailleurs, au Moyen-Age, les monastères aussi font commerce d’argent : ils reçoivent les dépôts des familles et accordent des crédits aux nobles et aux gros paysans, en prenant les terres comme gage… Les juifs et les lombards ne sont donc absolument pas les seuls à pratiquer l’usure… En fait, plus que la piété des banquiers, c’est leur capacité à associer les dominants politiques et religieux à leurs profits qui leur assure la tranquillité au moyen-âge.
Les juifs sont bannis de France en 1394 par Philippe Le Bel (puis par Philippe 6 de Valois), qui fait saisir, inventorier et vendre leurs biens. La monarchie occupe dès lors le rôle de prêteur, mais renonce aux intérêts : c’est le prêt gratuit, sans intérêt, sans usure. Il s’agit de se rendre populaire pour la monarchie. Il s’agit aussi de faciliter une relance économique, en annulant la dette des « acteurs économiques », marchands, négociant, etc.
Les « cahorsins » désignent des financiers dont seul une minorité est en fait originaire de cette ville. La haute-bourgeoisie de Cahors est très prospère entre le 12° et le 14° siècle, mettant en contact les marchés de la Baltique, d’Orient, et locaux. Usuriers et banquiers de dimension internationale s’y installent pour proposer leurs services financiers aux marchands et autres « hommes d’affaires »
Après celle des juifs et des lombards, c’est de la puissance financière des Templiers que la monarchie française prend ombrage. Mais là encore, la colère populaire a précédé la décision de la monarchie. Là encore, on voir une institution ecclésiastique « très catholique » pratiquer l’usure, ce qui témoigne du fait que c’est moins l’usure qui était l’enjeu que son contrôle. Fondé en 1128 par quelques chevaliers, dont Hugues de Payns (descendant des comtes de Champagne…), l’ordre du Temple ou « Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ » est censé protéger les « pèlerins » qui se rendent à Jérusalem ; il est composé de nobles recrutés notamment en Bourgogne et dans toute l’Europe, et reçoit l’approbation de la couronne de france et de la papauté ; mais en fait de pèlerins, il s’agit bien plutôt de véritables routes commerciales et de leur contrôle. L’ordre est compétent pour recevoir dons et legs, recevoir des dépôts de fonds, de métaux précieux, ouvrir des coffres et assurer des transferts d’argent pour le compte de leurs clients, faire des avances aux rois lorsque ceux-ci organisent des croisades au 13° siècle, pratiquer le change au comptant et à terme. Il dispose à cet effet de 9 000 commanderies en Europe, monastères-coffres-fortifiés pour moines-soldats-banquiers ; en 1257, les possessions de l’ordre s’élèvent à 3 468 châteaux, forteresses et maisons dépendantes, réparties dans dix-neuf provinces et sous-provinces. Ce réseau et leur puissance finit par en faire une institution centrale de la haute finance médiévale. Ils deviennent en effet experts en comptabilité et contribuent à l’instauration du système de comptabilité en double partie ; ce sont aussi eux qui inventent le terme de « grand livre » ; ce sont eux qui lancent la pratique du virement entre les « succursales » que sont leurs commanderies pour un même client, ou sur place entre clients ayant un compte auprès d’eux. En fait, ils en viennent même à gérer plus ou moins le Trésor Royal de France : celui-ci est gardé dans leur couvent de la rue du Temple à Paris… (Bénéficiant de privilèges [droit d'asile et franchise des métiers], les Templiers pouvaient y exercer des activités économiques et le commerce de l'argent. Les Templiers ont donc joué un rôle considérable dans le développement du quartier en attirant une population de commerçants et d'artisans) ; ils gèrent la collecte de certains impôts et sont les créanciers de la Couronne ; ce qui commence à inquiéter la monarchie française, qui décide de les poursuivre (Philippe Le Bel) en 1307-1311 : confiscation de leurs biens, torture et mise à mort du chef de l’Ordre, Jacques de Molay. Parallèlement, le pape supprime l’ordre, et attribue leurs fonctions religieuses, et une partie de leurs biens (fonciers surtout) à l’Ordre des Hospitaliers (actuel Ordre de Malte). Boniface 8 souhaite, au début du 14° siècle, unir le Temple et les Hospitaliers (autre ordre combattant), mais Jacques de Molay, alors maître, refuse cette proposition. Or, à cette période, les données de la croisade ont profondément changé : l’Empire latin d’Orient, avec la chute de Saint-Jean-d’Acre en 1291, a cessé d’exister et les Templiers survivants se replient en France — d’où le roi, Philippe IV le Bel, s’est vu refoulé à l’entrée de l’ordre. Philippe le Bel, en manque de numéraire, fait emprisonner les Templiers, les fait torturer par l’Inquisition après avoir fait main basse sur leurs richesses et leurs livres de comptes ; les aveux de 137 templiers (qui reconnaissent tout ce que l’on veut pourvu que l’on cesse de les torturer) justifient la suppression de l’ordre au concile de Vienne en 1312 devant le pape Clément 5, alors que les rois et princes d’Angleterre, d’Espagne, d’Écosse, d’Allemagne, entre autres, ont reconnu l’innocence du Temple. Tous les chefs de l'ordre, dont le grand maître Jacques de Molay, furent arrêtés et remis au pape Clément V (1308) qui, sous la pression de Philippe le Bel, condamna un certain nombre d'entre eux au bûcher (1310) et supprima l'ordre (1312). En 1314, Philippe le Bel fit périr comme hérétiques les derniers dignitaires. Les biens du Temple reviennent aux Hospitaliers ou aux ordres successeurs qui sont créés en Espagne : l’ordre de Notre-Dame-de-Montesa dans la région de Valence et l’ordre du Christ au Portugal [Cf. aussi l’héritage des Templiers en matière de compagnonnage ; passionnant].
Les Lombards sont également poursuivis, pour le même motif de l’usure qu’ils captent sur les prêts qu’ils pratiquent : Philippe Le Bel en fait arrêter en 1277, avant de les faire expulser en 1311 ; en 1337, Philippe 6 de Valois confisque leurs avoirs (plus précisément leurs créances), s’en approprie le montant du capital, et exonère les débiteurs de ces prêts du paiement des intérêts (mais non du remboursement de leurs dettes). Le terme de « lombard » devient assez vite générique pour désigner les banquiers, et cela du fait que l’activité bancaire au moyen-âge se développe par l’arrivée des banquiers italiens, qui en sont la clé de voûte. Ils sont en effet dès le 11° siècle les principaux intermédiaires entre l’orient et l’occident de la méditerranée. Ils sont les banquiers du commerce de gros, du négoce, grâce aux énormes capitaux dont ils disposent. Ils s’installent dans les places de foire, où ils
s’adonnent aux changes internationaux, auprès des marchands de gros ; mais aussi dans les villes de forte consommation de luxe. Les Foires de Champagne et de Brie sont leur site de prédilection au 12°-13° siècles : Provins, Troyes, Lagny-sur-Marne, Bar-surAube. Ils y cherchent essentiellement, comme les marchands, les exemptions de taxes, et obtiennent le droit d’y établir des « tables de prêts » ou « bancs de prêt » (d’où le terme de « banque » ; le terme de « banqueroute » vient de « banc rompu » ou banc cassé », c'est-à-dire la faillite ; de même ils sont à l’origine des termes « change », « crédit », « agio »). Paris les attire aussi avec sa foire du Lendit. Quand au 13°-16° siècle, les grandes villes comme paris se changent en marchés permanents, avec leurs marchands de gros, fournisseurs des bourgeois, du haut clergé, de la noblesse et de la cour des Grands ou du roi, des villes comme Paris deviennent définitivement des cilles de banque, avec a rue des Lombards, qui accueille dès cette époque des banquiers piémontais venus d’Asti, de Chieri, de Novare, de Plaisance. Les placentins en particuliers s’imposent à Paris, la position de leur ville, Plaisance, stratégique entre la France et Rome, étant propice à leur intervention dans les transferts de fonds entre la communauté chrétienne et la papauté. Puis se sont les toscans, les siennois qui les rejoignent à Paris, pratiquant dès le 14° le crédit aux gros paysans de la région parisienne. Viennent également à Paris les florentins, avec leurs réseaux de succursales, à l’intersection des réseaux de succursales des gros marchands italiens, et qui font se mouvoir d’énormes sommes, grâce à de très importantes sommes acceptées en dépôt ou de leurs propres capitaux, lesquels ne cessent de grossir du profit de l’usure. Les grandes places de négoce du royaume de france accueillent des banquiers de dimensions internationales : italiens, mais aussi flamands et allemands, capables de recouvrir le réseau des cités du négoce que sont les villes de la Hanse et les principautés italiennes (Florence, Gênes, Venise), et les plaques tournantes des changes (Bruges). Les marchands français s’approvisionnent également à Anvers, surtout du milieu du 15° au 16° siècle. Ces « pieds poudreux » (c’est leur surnom) sont au cœur de réseaux européens qui font circuler marchandises, argent et informations. De tels réseaux atteignent également la péninsule ibérique et l’Angleterre. Quand la papauté est transférée en Avignon entre 1309 et 1377, les banquiers italiens y accourent. Et d’une manière générale, le Midi tire profit de sa position stratégique entre Espagne, vallée du Rhône et Italie et les banquiers italiens y installent des succursales. Avignon est ainsi une position stratégique de gestion des flux financiers et de négoce entre le grand sud-ouest et le sud-est de la France. Mais la place décline après le départ de la papauté. Lorsque la Champagne est annexée par la france, les foires y perdent de leur intérêt, et les courants d’échange se redéploient vers les grands centres urbains, c'est-à-dire à Paris, sur l’axe rhénan et suisse, et sur l’axe de la manche. Pendant la guerre de cent ans, Paris devient moins sûre, et la monarchie s’installe en Touraine : la banque suit le mouvement et la Touraine devient un centre de consommation et d’échange majeur ; les négociants-banquiers tourangeaux, déjà solidement ancrés dans la place, en tirent le plus grand profit. Le repli de la monarchie de Paris vers la Touraine au début du 15° siècle favorise également l’essor de Genève. Mais quand la guerre prend fin, Louis 11 parvient à attirer les négociants de Genève sur la place de foire de Lyon, qui devient ainsi la plaque tournante du commerce transalpin à partir du milieu des années 1460 ; et pour presque 2 siècles, Lyon devient la plus importante place bancaire de France, véritable foire de virements et de « compensation »dans la première moitié du 16° siècle, comme le sera Besançon dans la seconde moitié du 16°.
Les banquiers provoquent par leur activité usurière des émeutes contre eux, émeutes qui peuvent cependant être excitées par les endettés immédiats, et non par la principale victime des uns comme des autres, le peuple. Il est « juif ou lombard », l’un et l’autre terme étant parfois confondus, et même établi depuis longtemps localement, il reste vécu et traité en étranger. De telles émeutes ont lieu en 1382, en 1413-1418, notamment à Paris : les riches hôtels qu’ils occupent sont forcés à la hache.
Au 16° siècle, Lyon devient la « Florence française » et les banquiers italiens continuent à tenir la place. Louis 11 avait procuré d’amples protections aux foires qui s’y étaient développées dans les années 1420-1440 : exemption fiscale et de droit de douane sur la circulation et l’exportation des masses monétaires, par ailleurs interdites dans le reste du royaume…5 à 6 000 étrangers fréquentent ces foires. Les italiens s’y installent en masse vers 1465. Les banquiers Genevois tentent d’enrayer cette concurrence, sans succès ; à partir de 1489, puis à partir de 1494 avec ces 4 foires de 15 jours, Lyon devient la plaque tournante du négoce franco-italien. On y change les pièces, les métaux, les tissus de luxe italiens, les toiles et draps flamands ; on y traite le tiers des importations du royaume, pour une valeur équivalent à la moitié du trafic d’Anvers. Les lettres de change y sont « monnaie courante », ainsi que virements et compensations. La pratique des reconnaissances de dette, des « obligations », l’acceptation des effets de commerce comme garantie de paiement par les banques, facilitent les achats de marchandises. Lyon accueille également des marchands allemands, mais les florentins y sont les plus nombreux : au moins 50 maisons vers 1500. En revanche, les plus riches sont les lucquois, qui arrivent dans la seconde moitié du 16° siècle. Quelques génois et bolognais les accompagnent. Ils sont installés rue de la juiverie, rue lainerie, place du change, dans des hôtels particuliers. Chaque maison dispose d’une implantation européenne, dans 2 ou plusieurs places. Malheureusement, on ne dispose de presque aucun des papiers des banquiers du 16° siècle lyonnais… les rares archives dont nous disposons sur cette époque montre que le banquier du 16° siècle à Lyon reste marchand par atavisme, financier par intérêt, mais que son activité consiste également dans le jonglage du change, entre les très nombreuses monnaies en circulation en Europe à cette époque. La vitalité lyonnaise s’effrite cependant dans la 2° moitié du 16° : les banquiers perdent de l’argent dans le prêt à la monarchie, devenue insolvable en 1559. la ville est au cœur des guerres de religions et de nombreux combats y ont lieu ; la peste y frappe en 1562, 1574, 1628. Mais la ville renaît au 17°, malgré le poids de la fiscalité royale. Elle reste une place de banque et de change, avec des banquier d’envergure. Puis un crash ébranle la place en 1709, avant que la place parisienne l’emporte à nouveau en puissance à partir de 1720-1730, notamment pour les changes. La crise financière de la Régence affaiblit certains banquiers lyonnais, une partie est ruinée en 1730. par contre la banque lyonnaise soutient désormais t le négoce des soieries, dont la ville est la spécialiste mondiale à cette époque. Une nouvelle strate émerge, faite de marchands-soyeux-banquiers. Des banquiers suisses s’installent par ailleurs à Lyon également au 18°. La ville est prise dans l’expansion commerciale de la 2° moitié du 18° siècle, animée sur cette place par les banquiers suisses.
L’économie et la banque suisse connaît un essor au 18° siècle, en particuliers pour les cotonnades, toiles peintes (indiennes), horlogerie. Les négociants suisse deviennent rapidement une puissance financière d’ampleur européenne, avec des places de banque et de change comme Genève, Neuchâtel et l’ensemble du pays de Vaud. Des maisons de banque se constituent, essentiellement parmi les protestants. Y figurent de nombreux immigrés de france après la révocation de l’édit de Nantes. Ils deviennent des spécialistes, après les italiens, du change international et des transferts de monnaie-métal. Leurs maisons tirent parti de liens familiaux avec la diaspora huguenote, en particulier en Hollande, à Londres, en Allemagne : c’est « l’internationale huguenote ». Ces banquiers s’enrichissent du soutien du commerce, du négoce colonial, des spéculations sur les denrées d’outremer, sur les piastres, des placements en navires, y compris pour la traite négrière…Ils bénéficient aussi de quasi-monopoles sur les fournitures aux armées qui s’affrontent en Europe. Les banquiers suisses s’implantent peu à peu en france pour financer l’essor des cotonnades et devenir eux aussi bailleurs de fonds du roi.
Paris accède au rang des première place bancaire française au 18° siècle, à la suite de Lyon : les banquiers y sont 21 en 1703, 51 en 1721, 66 en 1776. Ils animent le marché de l’argent à court terme, pour les billets de commerce privés, pour les effets royaux, pour les billets de ferme. Commerçants et financiers du roi placent leurs créances auprès d’épargnants, ou les font escompter chez des banquiers. A partir du 17°, la lettre de change est devenue un effet négociable, c'est-à-dire san,s lien avec un contrat de change, et endossable, donc transmis entre partenaires d’affaire. La diffusion de la pratique de l’escompte est la clé de l’essor des banquiers au 18°. En plus de leur métier de cambiste, ils deviennent de véritables marchands d’argent, qui accroissent la circulation de l’argent, des « billets à ordre », des traites commerciales, ce qui facilite les affaires. Les banquiers huguenots suisses dominent la place parisienne, mais n’y ont pas pour autant le monopole. Des banquiers français catholiques y percent également.
Outre Lyon et Paris, plusieurs ports français abritent au 18° siècle des maisons de banques d’importance : Rouen, Saint-Malo ; à Bordeaux où des banquiers juifs émigrés du Portugal sont actifs et en lien avec Amsterdam et Londres, en particulier pour la circulation de l’argent métal, mais aussi pour la spéculation. Bayonne est également une place active de banque qui bénéficie des échanges avec l’Espagne et du trafic sur l’argent-monnaie. Le Languedoc (vers Montpellier, Nîmes, Millau) abrite également de nombreux négociants banquiers, souvent huguenots, insérés dans les changes entre l’Espagne, la Catalogne, Marseille, Gênes et le Levant ; certains sont d’ailleurs en relation avec leurs coreligionnaires banquiers protestants de Suisse, de Paris et de Gênes. Le banquier de cette époque pré-révolutionnaire apparaît comme l’agent par excellence du passage d’une société terrienne à une société cosmopolite, d’une société « naturelle » à une société « organisée », d’une société aristocratique enfin à une société bourgeoise et capitaliste.
A partir du 16° siècle, l’expansion du monde des finances ralentit dans le royaume de france : le pouvoir royal et la noblesse pèsent de diverses manières sur le commerce et la finance. Les guerres également coûtent cher : d’énormes capitaux sont mobilisés dans les guerres de religions ; en 1708 et pendant la guerre de 7 ans en 1756-1763, les changes commerciaux et monétaires sont fortement perturbés et génèrent des crises financières majeures ; la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ébranle la puissance économique protestante : de nombreux marchands protestants choisissent alors l’exil. C’est Anvers qui domine le 16° siècle, avec son port et sa bourse ; Amsterdam prend le relais à partir du 17° ; cette « Venise du nord » prospère avec l’ensemble des Provinces-Unies, car les marchands hollandais sont d’habiles redistributeurs des produits importés des empires espagnols et portugais en Amérique. Et le caractère de plus en plus océanique et littoral du négoce dynamise également des places comme Londres et Glasgow à partir du milieu du 17 et au 18°. L’essentiel des opérations bancaires s’effectue à Amsterdam, où est fondée en 1609 la Banque d’Amsterdam. Puis à Londres où est fondée en 1694 la Banque d’Angleterre. En France, les banques restent régionales, de petite taille et appuyées sur une clientèle locale. L’arnaque de Law au début du 18° retarde l’introduction de la « monnaie de banque ». La Banque d’Angleterre est la première « Banque centrale », qui émet des billets de banque gagés sur son encaisse, c'est-à-dire sur l’argent métal qu’elle détient. L’écossais John Law est autorisé en 1716 à créer une Banque Générale, pour une durée de 20 ans, chargée d’émettre de tels billets de banque. Son capital de 6 000.000 de livres est souscrit aux trois quarts en billets d’Etat. Pour asseoir son crédit, la banque obtient le monopole de la vente du tabac, de la frappe des monnaies, de la ferme des impôts enlevée à la ferme générale. Cette masse de recettes sert de garantie à l’émission de billets remboursables à vue et au porteur. La banque tient des comptes courants, reçoit des dépôts, effectue des opérations de change, et échange à haut prix ses actions contre de la monnaie-métal… Elle peut ainsi fournir les fonds dont le Trésor a besoin. L’échange des « effets » publics dévalués contre des billets de banque surévalués facilite l’amortissement de la dette d’état… De Plus, Law fonde la compagnie pour le commerce d’Occident (en Louisiane), achète la compagnie des indes orientales et la Compagnie de Chine, et dispose d’un quasi-monopole sur le commerce exotique. C’est le « Grand système de Law ». Law comptait ensuite sur les profits tirés de ces divers investissements pour fonder « réellement » la survaleur des billets de la banque… Le système est aberrant. Quand il fonde sa banque en 1716, puis la Compagnie du Mississipi, il y a une véritable rue du public sur les actions. C’est que les billets quadruplaient les richesses, tenues jusqu’alors par la créance et donc la méfiance… Mais cette bulle financière, cette « création » artificielle de valeur génère une crise de confiance, et la banque est soupçonnée d’avoir émis plus de papier-monnaie qu’elle ne dispose de monnaie-métal… S’ensuit un crash, tout le monde souhaitant se faire rembourser. La banque est liquidée en 1720. Bilan : nombre des détenteurs de billets « actions » sont ruinés ; en revanche, tous ceux qui avaient remboursé leur dette avec cette monnaie de singe se trouvaient au contraire renfloués…
Sous l’ancien régime, la monarchie a sans cesse besoin qu’on lui prête de l’argent. Mais elle ne dispose pas comme au 20° siècle de la possibilité qu’a l’Etat de placer obligations et bons du Trésor, auprès de banques et de compagnies d’assurance. Elle recourt donc à des financiers (qui ne sont pas nécessairement banquiers), surtout quand le système fiscal se diversifie au 17° siècle pour faire face à l’énorme gonflement du budget et des frais de guerre… Ses financiers sont d’abord de quasi-fonctionnaires : ils achètent une charge royale (receveur, trésorier, contrôleur) et gèrent la caisse de cet « office public » comme si elle était privée. De fait elle l’est… ; pour faire face aux dépenses en attendant les rentrées officielles (revenus du Domaine, impôts), ces financiers les payent de leur poche. D’autres financiers gèrent déjà, en tant que « receveurs », les finances du haut clergé et de la noblesse. Les « partisans » ou les « traitants » (qui signent un traité avec le roi et entre eux) font également des avances exceptionnelles à la Couronne. Ainsi, après la Fronde et les guerres qui la suivent, Fouquet, surintendant des finances royales en 1653-1661 cherche des fonds auprès de ces « traitants » ; ces derniers sont des groupes aisés possesseurs de gros capitaux. Fouquet n’a aucun scrupule pour parvenir à obtenir ces prêts. Ainsi, à la mort de Mazarin, il est facile pour Colbert de relever les faveurs procurées à ces traitants ; et de fait, ces faveurs sont la clé du système de prêt, y compris après que Colbert n’aie succédé à Fouquet. Tout financier vit alors au cœur de réseaux relationnels, avec la Cour d’une part pour obtenir des contrats, et avec les riches et les banquiers pour leur emprunter des fonds. D’ordinaire, les financiers « prennent à ferme » les impôts, font rentrer les impôts directs auprès des 48 receveurs généraux ; les fermiers généraux (qui sont entre 37 et 87 au milieu du 18° siècle) s’occupent des impôts indirects, à la suite de la création de la ferme générale en 1681. Le système repose sur la confiance des prêteurs dans la capacité du financier de la Couronne à les rembourser et à drainer les impôts. Les prêteurs sont des bourgeois, des nobles de robe, des nobles d’épée, sans oublier les riches ecclésiastiques. Ces prêteurs gagnent d’énormes intérêts, ainsi que des faveurs (nomination de leurs proches à des charges royales, anoblissement, etc.). De leur côté, les financiers qui servent d’intermédiaires entre la Couronne et les prêteurs prélèvent allègrement leur « part » de bénéfices sur les flux d’argent, et sont eux-mêmes régulièrement anoblis, à moins que ce ne soit leurs progéniture, qui ne manque jamais de faire quelque « beau mariage » dans l’aristocratie. Ces financiers de la monarchie ne disposent que rarement de leur propre maison de banque, mais ils agissent effectivement en banquiers. Leur puissance et leur train de vie en font souvent la cible de la critique et de pamphlétaires comme La Bruyère (cf. « Caractères ») : « a passé par une petite recette à une sous-ferme ; et par la concussion la violence et l’abus qu’il a fait de ses pouvoirs, il s’est enfin, sur la ruine de plusieurs familles, élevé à quelque grade. Devenu noble par une charge, il ne lui manquait que d’être un homme de bien : une place de marguillier a fait ce prodige » ou « si le financier réussi son coup, les courtisans disent de lui : ‘’ c’est un bourgeois, un homme de rien, un malotru’’ ; s’il réussit, ils lui demandent sa fille ». Les banquiers et financiers
italiens conservent jusqu’au 18° siècle une influence importante : ils financent ainsi les guerres menées en Italie au 16° siècle par la Couronne de France ; la dette de la Couronne auprès des banquiers lyonnais est supérieure en 1560 aux recettes annuelles de la monarchie, et c’est d’ailleurs ce qui explique la faillite du « grand parti », après que la monarchie se soit décrétée insolvable. Richelieu et Mazarin ne peuvent se passer des banquiers italiens, auxquels s’ajoutent quelques banquiers allemands et hollandais : les Cenami, Airoli, Cantarini sont les piliers des finances de Mazarin. Au tournant du 18° siècle, les banquiers prêteurs de la Couronne sont à la fois de gros négociants, des armateurs, et des créanciers directs du roi, souvent comme financiers. La place lyonnaise reste par ailleurs essentielle pour faire circuler la monnaie du royaume, mais elle est secouée par un krach en 1709, tant ses créances se sont alourdies, au point de faire perdre leur confiance aux clients des banques lyonnaises. Cet évènement impose la suspension des paiements et de lourdes pertes chez les banquiers, comme chez Samuel Bernard, principal bailleur de la Couronne dans la première moitié du 18° siècle. Au milieu du 18°, la place parisienne devient le cœur du monde de l’argent français, qui doit vivre au plus près de la Cour. Les financiers banquiers de la Cour assainissent les finances après la spéculation de Law. Les intérêts finissent par s’interpénétrer étroitement entre les affaires des financiers banquiers de cour et celles des banquiers-négociants, comme en témoignent le cas des 4 frères Pâris dans les années 1720-1760, celui de Laborde, puis de Beaujon dans les années 1770. La fonction de « banquier de la cour », informelle, mobilise un réseau de liens d’affaires avec les receveurs, fermiers généraux, armateurs, banquiers, avec des correspondants sur toutes les places, pour leur faire acheter les effets publics (ancêtres des bons du Trésor). Laborde épouse ainsi la fille de la banquière de l’impératrice d’Autriche à Bruxelles, en un symbole de l’interconnexion des places européennes. Les banquiers négociants relaient les banquiers de cour pour assurer les règlements internationaux de la monarchie, les « remises de guerre », pour assurer les frais de l’armée hors des frontières, ou pour payer les importations nécessaires au fonctionnement de l’armée. Quand les dépenses de guerre gonflent au tournant du 18° siècle, la dette publique bondit immanquablement… pour la rembourser, on emprunte encore. Les financiers font « escompter » leurs « billets » (qui représentent leurs avances au Trésor) à des banquiers, qui à leur tour les placent auprès d’épargnants, nobles ou non, français aussi bien qu’étrangers. Les banquiers deviennent au 18° siècle la clé du placement de la rente : l’état émet tant de reconnaissances de dette qu’ils démarchent la clientèle la plus large pour les lui faire absorber. C’est ainsi que toute la finance internationale, protestante ou non, se retrouve impliquée dans la conduite des opérations du Trésor. Les banquiers et riches suisses étayent la puissance des financiers et des banquiers français. Eux-aussi sont les banquiers du roi, et le symbole en est fourni par Necker : banquier genevois, il est appelé par Louis 16 à la tête des finances du royaume en 1777-1781, puis encore à partir d’août 1788. Son renvoi le 11 juillet 1789 ébranle le crédit royal, et marque une volonté absolutiste de l’autocrate que n’apprécient guère ses créanciers, notamment. D’où la journée du 14 juillet 1789 et le rappel de Necker au ministère le 17 juillet, jusqu’en septembre 1790. L’histoire bancaire se trouve ici étroitement mêlée à l’histoire politique.
Lorsque la révolution éclate, et après les guerres de 1792 à 1815, les banques écloses au 18° siècle maintiennent sans difficulté majeure leur activité…elles deviennent même pour la plupart plus solides et forment la « haute banque ». la province se hérisse de banques locales, et la banque de France est créée. 1789 se présente comme l’introduction de la première révolution bancaire. Ses pionniers sont des banquiers « européanistes », opposées aux guerres imbéciles que se livrent les monarchies sur le vieux continent, ils sont pour la plupart protestants, et certains juifs ou catholiques. Plusieurs banquiers figurent parmi les « patriotes » de 1789, par « esprit libéral » sans doute, mais plus encore dans le souci de se voir rembourser leurs créances par un état dont les finances publiques sont exécrables : ceux qui appellent les parisiens à l’insurrection le 14 juillet 1789 réclament avant tout le retour de Necker aux finances, et se moquent bien des aspirations des masses, si ce n’est pour les manipuler ! Les banquiers et manieurs d’argent « modérés » se réjouissent ainsi de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle dans les années 1789-1792. En 1792-1793, un banquier genevois, Clavière, accède pendant quelques mois au ministère des finances. Mais la montée des sans-culottes et des enragés de 1792-1794 perturbe quelques peu les affaires. Enfin, les guerres civiles (c'est-à-dire la lutte de classes) et les guerres extérieures qui leur font diversion perturbent également les réseaux d’affaires internationaux. En particulier le négoce transatlantique avec les colonies esclavagistes. Les enragés et le peuple en arme, aidé par une extrême-gauche dynamique de la bourgeoisie, pourchasse et décapite les financiers d’ancien régime, en particulier les fermiers généraux en 1794. des banquiers se trouvent menacés, comme Etienne Delessert, le protestant suisse installé à Lyon, emprisonné en 1794. La majorité des banquiers se réfugient au-delà des frontières ou se calfeutrent chez eux… Mais le peuple naïf reste bien facilement manipulable, et par ailleurs, d’autres banquiers trouvent à tirer un immense profit de leur révolution : besoins de l’Etat engagé dans la guerre notamment : importation de denrées et de matières première (notamment auprès des pays neutres). Les banquiers procurent aussi du numéraire à l’Etat en faisant circuler des lettres de change endossées de place en place, sur Londres par exemple, sans oublier de se servir au passage de juteuses commissions…Inversement, les banquiers assurent des sorties de fonds au profit des émigrés, des étrangers ou des épargnants inquiets, là aussi en empochant au passage des commissions. Enfin les « fournitures aux armées » sous la Révolution sont l’occasion d’enrichissement pour les banquiers, toléré par Cambon et le ministère des finances dans la mesure où la priorité est donnée à l’approvisionnement des villes et des armées. Les prêts à l’Etat sont gagés sur les biens nationaux… C’est ainsi que Seillière passe du commerce à la banque, grâce à ces « fournitures » : c’est l’ancêtre de la banque Demachy-Worms actuelle.
Dès que les sans-culottes et leurs soutiens se trouvent écrasés, les banquiers réapparaissent sur le devant de la scène, mettant fin aux espoirs du peuple. Les Lecouteulx de Canteleu s’en tirent paisiblement, malgré un bref emprisonnement. Le fils cadet de Delessert, Benjamin, rouvre la banque familiale en 1795 et récupère sans encombre la fortune de son père, qui a placé ses assignats, monnaie de singe, en immeubles, en fermes rurales et en fonds étrangers. Les maisons suisses et protestantes confirment leur redressement au tournant du siècle. Elles sont par ailleurs suivies de nouvelles maisons provinciales, comme la banque Perier en 1801, Laffitte ou Seillière. Elles s’engagent alors dans le financement du grand commerce continental, dans celui du négoce ou du démarchage de l’industrialisation du coton, dans le renouveau du crédit à court terme et de l’escompte, par exemple au travers de la création de la banque de France en 1800. C’est le code civil napoléonien qui, suite à la révolution bourgeoise de 1789, rendit le prêt à intérêt parfaitement licite dans les zones conquises par le dictateur. Des banquiers s’intègrent sans peine à la haute société impériale : une 15aine de financiers accèdent à la noblesse d’empire en 1808, 1810 et 1814 : JeanCharles Davillier, Jean-Conrad Hottinguer, Benjamin Delessert, tous 3 régents de la Banque de France, et Guillaume Mallet, deviennent ainsi des barons, tandis que Lecouteulx de Canteleu et Alphonse Perregaux sont promus comtes… ; Perregaux épouse la fille du maréchal Mac Donald et sa sœur le maréchal Marmont… ; la guerre et la défaite provoque un marasme dans les années 1810-1820, dont se remettent vite les banques françaises. Certaines se posent de plus en forces dominantes, et donnent naissance à ce que l’ont appelle depuis la « Haute Banque » (mais qui existait déjà sous l‘ancien régime) ; ils sont les héritiers de fondateurs souvent suisses, protestants, voire juifs, et quoique plus rarement, catholiques. Ils disposent avant tout de gigantesques (« solides » dans le jargon économiste) fonds propres, qu’ils peuvent placer au mieux et faire fructifier ; par ailleurs, ils rassemblent les gros dépôts en comptes courants « d’amis fidèles », d’associés, de proches parents, de clients importants, que ce soient des épargnants à la tête d’immenses « patrimoines » ou des patrons de sociétés en quête de placements féconds : la gestion de
fortune est alors une des bases de l’activité de ces maisons, qui ne disposent que d’un guichet unique à leur siège lui-même. Ces banquiers sont proches du négoce de gros national et surtout international ; ils lui fournissent des crédits, le pratiquent eux-même, en particulier pour les produits d’origine coloniale, les métaux précieux et les monnaies métalliques ou les matières premières alimentaires ou métallurgiques. On trouve aussi des banquiers parmi les commissionnaires : correspondants de négociants d’autres places, ils vendent les marchandises que ceux-ci déposent chez eux, ils accordent des avances aux acheteurs et paient l’expéditeur initial par l’intermédiaire de lettres de change. Du commerce d’importation à la tête d’un comptoir, le négoce glisse au métier de commissionnaire, puis parfois la banque seule. Mirabaud est ainsi banquier et commissionnaire en soie à Paris à partir de 1801. Les négociants du 19° siècle sont parfois des « marchands-fabricants », qui supervisent la mise en place des embryons de l’industrie cotonnière notamment (indiennes, filature), en donneurs d’ordres, puis en commanditaires, en investisseurs, voire parfois en entrepreneurs. Au-delà des liens avec le négoce, l’ouverture internationale de la haute banque s’explique par son intervention dans la circulation de l’argent de place en place, des traites commerciales pour les opérations d’escompte et de change. Cosmopolites, elles sont fortes de réseaux de correspondants, amis, alliés, parents, coreligionnaires sur les autres places, qui leur procurent des informations ou des services financiers, et leur offrent des dépôts en compte courant pour les changes de place en place. En effet, à l’étranger, des maisons semblables existent comme en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons. La maison Rothschild en est incontestablement le meilleur exemple, sans pour autant être le seul. La haute banque anime les marchés de l’argent parisien pendant l’essentiel du 19° siècle, en particulier la Bourse, le placement et l’arbitrage de la rente publique, les émissions de valeurs par les sociétés. Les maisons de banque achètent les titres (notamment les emprunts publics) en gros et les revendent au détail (clients directs banquiers correspondants, qui en font autant à leur tour) en fonction des cours. La haute banque forme, dans le cadre de telles opérations, de puissants syndicats (groupements de banquiers) pour mieux tenir l’opération ; et ils sont servis par l’Etat, qui par exemple, dans le cadre de l’emprunt à 5% de février 1917 pour le paiement des indemnités de guerre exigées par les alliés au traité de paris de novembre 1815, ne vend le titre qu’à un cours de 55 (c'est-à-dire 55% de sa valeur) à la haute banque parisienne ; par la suite, le relèvement du cours de ce pourcentage a bénéficié à ces banquiers. Les maisons de Haute banque s’enrichissent aussi de commissions et de courtages, et assurent une rotation rapide de leurs capitaux. Elles conservent des portefeuilles titres importants et variés : elles sont en effet de fines « arbitres » qui savent jouer sur les différences de cours des devises sur les places internationales ou sur les cours de la Bourse, en spéculateurs attentifs aux opportunités de marges sur les marchés à terme de valeur boursière, le « délit d’initié » perdant à ce niveau presque tout sens…La puissance de la haute banque culmine dans les années 1830-1870. Des fortunes colossales se sont constituées, avec des portefeuilles boursiers, des hôtels particuliers à Paris ou dans les stations maritimes, des châteaux et domaines en ïle-deFrance et des vignobles en Bordelais, d’amples collections artistiques comme chez Nissim de Camondo à la Belle Epoque, dont l’hôtel particulier devient un musée. Elles sont aussi très influentes sur le plan politique : soutiens financiers de l’Etat, elles sont souvent ses conseillers et parfois accèdent à des relations privilégiées avec le pouvoir. Le début de la Monarchie de Juillet voit les banquiers s’identifier avec le régime : Laffitte est le chef du gouvernement après la révolution de 1830 ; Casimir Perier lui succède en 1831-32 ; la famille Perier est riche en vocations politiques : Claude Perier est député sous le Consulat, Augustin et Camille Perier sont député sous la Restauration et la monarchie de Juillet ; deux descendants Perier sont ministre en 1871 pour l’un, président du Conseil puis de la République pour l’autre entre 1893 et 1895. Le banquier Achille Fould est ministre des Finances de la 2° République et du 2° Empire de 1849 à 1852, puis de 1861 à 1867. De même, un haut cadre du groupe Rothschild, Léon Say, est ministre des finances à plusieurs reprises dans les années 1872-1883. L’écrivain et ex-diplomate Stendhal, dans son roman « Lucien Leuwen », dépeint l’influence du père de son héros, « banquier associé de la maison Van Peters, Leuwen et Cie » sous la Monarchie de Juillet , où l’on peut lire « [...] Et qui fait les ministres aujourd’hui ? Les Rothschild, les Leuwen ! [...] ». Il y est aussi beaucoup question de banquiers ministre de l’Intérieur. Une capacité d’intervention politique plus discrète est procurée par le rôle éminent joué par les banquiers au sein du conseil de régence de la Banque de France, élu par les 200 plus gros actionnaires de cette société privée, concessionnaire auprès de l’Etat de l’émission de billet. En 1851, 8 régents sur 15 sont issus de la Haute banque, dont Mallet, Pillet-Will, Perier ; en 1871, Davillier, Hottinguer, Rothschild ont rejoint les fils Mallet et Pillet-Will, au sein d’un groupe de 8 régents issus de la Haute banque sur 15. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le poids au sein des appareils de l’Etat des liens familiaux ou informels. Ce sont les Mallet qui animent, au sein de la haute banque, la plus ancienne maison, ce qui leur confère une influence certaine. Les maisons de la haute banque ont recueilli l’héritage des banquiers italiens des 12-16° siècles. Comme eux, leur force réside dans leur fortune, mais aussi dans leur savoir, dans leur capacité à obtenir des informations sur la vie de la place parisienne, sur le crédit des autres maisons et des clients ; à capter les nouvelles des autres places financières ; à discerner les tressaillements de la bourse et les retombées des évènements politiques. Leuwen, le personnage de Stendhal, dispose de nombreux informateurs dans les ministères, qui lui permettent d’obtenir des informations inédites, en particuliers par les courriers directs du ministre de l’intérieur : il se procure les copies de dépêches officieuses. Il achète des nouvelles aux ministres, ou les exploite avec eux, en particulier pour et à travers des opérations boursières. La haute banque soutient la révolution industrielle, indirectement en finançant le négoce, directement en soutenant les entreprises, qu’elles soient grosses (chemins de fer) ou moyennes.
Dans la 2° moitié du 19° siècle, la Haute banque est soumise à la concurrence des grandes banques de dépôts et d’affaires. Elle contribue cependant à les fonder en participant aux syndicats d’hommes d’affaire qui les créent. Ces entreprises captent ensuite l’argent des grandes firmes et de la moyenne bourgeoisie. Des maisons disparaissent, comme Perier, Fould ou Pillet-Will. Mais la plupart conservent une force et une influence de tout premier ordre. Celles-là participent aux syndicats d’émission de valeurs mobilières et gèrent des fonds importants pour le compte de leur clientèle de grosses fortunes ou d’entreprises. Mais elles ressentent aussi la nécessité d’élargir leur dimension pour affronter les grandes banques. C’est ce qui explique la création en 1904 de la Banque de L’Union Parisienne (BUP) par plusieurs maison de la Haute Banque : Hottinguer, Mallet, Mirabaud, Neuflize, Demachy, Vernes. D’ailleurs, les mœurs de la haute banque ont été renouvelées par des sociétés de négoce familiales qui ont reproduit, plusieurs décennies plus tard, le processus de transition du négoce à la banque, et l’entretien d’une maison de banque spécialisée. C’est notamment le cas de Worms.
Au 19° siècle, à côté de la haute banque parisienne, pullulent de nombreuses banques provinciales, sur les places locales. Chaque région est riche d’une pyramide de petits établissements bancaires qui tirent profit du relatif cloisonnement interrégional. Petites et moyennes banques locales, maisons d’escompte, maison de négoce et de banque font circuler argent et crédit. Peu à peu des banques régionales se forment sur des places de moyenne dimension, alors que la Banque de France essaime et ouvre des succursales. La clientèle de ces petites banques provinciales est constituée de petits patrons du commerce ou de la production artisanale et industrielle, et des agriculteurs. En province, on parle de « maisons d’escompte ». En dessous de ces maisons d’escompte se sont multipliés les changeurs, courtiers, petites maisons de banque ou d’escompte locales. A Paris, on compte 180 banquiers en 1838 ; en province, 100 banques locale vers 1820, mais 300 vers 1840. Ces « comptoirs » ajoutent souvent à l’escompte des prêts aux hommes d’affaires de leur terroir, la gestion d’un portefeuille d’assurances, et le démarchage pour placer
les titres mobiliers. A Lyon, la place dispose d’abondants capitaux, et 21 maisons de banque (dont 7 appartenant à des négociants soyeux – banquiers…) atteignent dans les années 1840-1860, une dimension qui leur fait dépasser les petites banques d’escompte et leur confère le statut de haute banque rhodanienne : ce sont Galline, Veuve Guérin, Morin-Pons, Aynard-Rüffer, Droche-Robin, Cottet, Saint-Olive. L’escompte est donc aisé à Lyon car on y offre souvent un taux inférieur à celui de la succursale locale de la banque de France, qui n’ouvre ici qu’en 1848. En 1870, Lyon compte encore 17 maisons locales, tandis que dans les alentours Villefranche-Sur-Saône en héberge 5, Grenoble 5, et Vienne, Mâcon, Roanne ou Oyonnax 3 chacune. Ce sont souvent des négociants qui y font office de banquiers, et qui parfois se spécialisent dans la banque comme le marchand de confiserie, Rive, qui ouvre à Belley en 1849 l’ancêtre de l’actuelle banque régionale de l’Ain. A Toulouse, le négoce a suscité l’émergence de la banque Courtois, qui a traversé 3 siècles. Mais partout, la hantise des milieux d’affaire est le resserrement du crédit et l’impossibilité de disposer de suffisamment de liquidités sur place ; leur souci est d’obtenir la diminution du prix de l’argent, c'est-à-dire l’abaissement des taux d’intérêt pesant sur l’escompte des effets de commerce et des lettres de change. Et l’escompte est essentiel aux affaires locales. Or la plupart des banques locales d’escompte n’ont pas assez de « surface », c'est-à-dire de capital, de réserves. Trop peu diversifiées dans leurs activités et étroitement associées aux activités industrielles et agricoles de leur terroir, elles en connaissent aussi les aléas : en cas de récession , tous leurs clients deviennent insolvables ou manquent de fonds en même temps : l’argent devient rare et cher. Dans ces cas, l’appoint de Paris est indispensable, comme lors de la forte crise de 1827-1831, où 26 banques parisiennes apportent 5 millions de FF de crédits pour soutenir les banques alsaciennes défaillantes, coincées entre l’argent immobilisé dans des prêts et des demandes de remboursement. Lors de la crise économique de 1845-1848, les places bancaires sont comme paralysées, ce qui aggrave la récession. Aussi en 1848, l’Etat et les municipalités créent des comptoirs d’escompte dans 66 villes pour enrayer ce marasme et pour réanimer le commerce ; certains de ces comptoirs vont en fait devenir des maisons robustes après leur privatisation dans les années 1850 (comptoir d’escompte de Mulhouse, comptoirs d’escompte de Rouen, comptoirs d’escompte du Nord ancêtre du Crédit du Nord, comptoirs national d’escompte de Paris lointain ancêtre de la BNP, qui est privatisé en 1853 et devient en 1857 le comptoirs d’escompte de Paris jusqu’en 1889). Mais les milieux d’affaires souhaitent des maisons plus résistantes, dotées d’une clientèle plus large, plus variée, ce qui permet de diviser les risques et d’accroître le volume des opérations, donc des occasions de profits. Aussi, dans les régions où l’économie est déjà riche, ils soutiennent la création de maisons où sont représentées au conseil d’administration et au capital les grandes figures familiales de la région : ainsi naissent Dupont dans le Nord en 1818, Joire en 1826, Scalbert en 1837. A Bordeaux, les gros négociants s’entendent pour gérer la Banque de Bordeaux entre 1818 et 1848 : parmi ses 160 plus gros actionnaires, on compte 136 négociants ; elle émet des billets de banque, escompte les lettres de change et les effets de commerce, assure le recouvrement des effets, accueille des dépôts et effectue des avances. De même la Banque de Rouen, entre 1817 et 1848 associe le métier de banque d’émission locale et l’exercice encore timide de la banque d’escompte. De son côté, le gouverneur de la Banque de France éprouve quelques difficulté à convaincre les régents qui l’épaule, et qui tous appartiennent peu ou prou à la haute banque parisienne, à élargir son champ d’intervention à la province. Eux veulent qu’elle reste la banque du réescompte du négoce parisien. De plus, la province ne fait pas nécessairement non plus bon accueil à cette idée et préfère disposer de ses propres maisons de réescompte, mais ces dernières ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Dotée en 1848 du monopole de l’émission des « billets de banque » et du réescompte, la Banque de France créé des succursales sur les principales places du pays : 24 en 1848, 74 en 1870, 159 en 1936. De cette manière, la circulation de l’argent papier devient rapide et facile ; ce papier devient « bancable », c'est-à-dire que la Banque assure son recouvrement grâce à la succursale : il n’y a plus besoin de faire remonter ce papier au siège parisien de la Banque de France. La succursale locale de la Banque de France assure aussi la fonction de réescompte, avec les « 3 signatures » : le créancier, l’emprunteur, le banquier ou l’escompteur (qui prête au créancier). Par ailleurs, la Banque de France habitue les négociants à l’usage des billets de banque en grosses coupures. La Banque de France s’impose peu à peu comme un intermédiaire quasiincontournable dans les affaires locales. L’essaimage des grandes banques nationales, et la multiplication des succursales de la Banque de France, ainsi que la multiplication des voies de chemins de fer et de routes, désenclavent peu à peu les régions, et brisent les rentes de situations locales. Le coût du crédit diminue peu à peu partout, et la circulation de la monnaie s’accélère. Beaucoup de maison de banque locale sont absorbées ou disparaissent. La fonction bancaire du négoce s’effrite ; les grands établissements nationaux et la Banque de France portent un coup très dur aux petites banques locales, dont les propriétaires régnaient jusqu’alors en maître sur leur localité. Les concurrents redoutables qui s’installent maintenant en face d’eux proposent des conditions d’escompte avantageuses et propose à leur clientèle toutes sortes de titres ; par ailleurs, leur moyens ne sont pas aussi limité que ceux des banques locales ; celles-ci sont désertées. Cependant, les banques locales gardent également des avantages aux yeux de la bourgeoisie locale : relations de discrétion, de fidélité et d’intimité, « sur mesure » avant la lettre ; de plus, les hommes d’affaires de la place sont souvent ses actionnaires, voire ses administrateurs ; aussi certains établissements provinciaux résistent à la concurrence : ainsi de la famille Le Picard qui anime le comptoir d’escompte de Rouen à partir de 1848, et en assure la transformation de société mixte en firme privée en 1854 et en société anonyme en 1875, la dynastie familiale en conservant le contrôle jusqu’en 1935 car cette banque répond aux besoins des fabricants et négociants en coton ; des créations apparaissent même à la fin du siècle : ainsi des Charpenay à Grenoble, des Laydernier à Annecy ; d’autres grossissent par fusion ou absorption : ainsi de la Banque Régionale du Centre, qui regroupe 3 comptoirs à Digoin, Roanne et Charolles en 1913, ou la banque de Savoie à Chambéry, née en 1912 et qui absorbe 7 autres banques locales. Certaines banques moyennes établies dans des villes de moyenne importance parviennent à se maintenir jusqu’à la Belle Epoque, où elles profitent de la reprise des affaires et augmentent sensiblement leur capital : ainsi de la banque Dupont qui double son capital dès 1900 ; d’autres se sont du même coup transformées en sociétés anonymes ou ont fusionné, comme 2 banques de Caen qui donnent naissance en 1913 à la société normande de banque et de dépôts, ou la même année, les banques d’Angers et de Cholet qui créent le Crédit de l’Ouest. Surtout, ces banque de taille moyennes, nées dans quelque capitale régionale, se développent de manière à couvrir peu à peu une région entière, ouvrant à leur tour plusieurs guichets dans diverses localités, et en absorbant d’autres petites banques locales : c’est la régionalisation bancaire. En 1954, parmi les 268 banques de dépôts, figurent ainsi 158 banques locales et 22 banques régionales. Plusieurs de ces banques régionales, désormais dotées d’un réseau d’agences, sont animées par des dynasties familiales, et toutes ont réussi à s’associer aux affaires de la région qu’elles couvrent. Cette communauté d’intérêt s’exprime notamment ar leur présence au conseil d’administration : c’est le cas de Scalbert et de Dupont, figures de proue de l’économie nordiste. Après le rapprochement avec le groupe CIC, leurs 2 banques fusionnent dans Scalbert-Dupont en 1976. L'évolution régionaliste des banques locales concerne également le comptoir d'escompte de Mulhouse, la banque de Mulhouse, en Alsace, la banque Tarneaud à Limoges, propriété de la famille de la fondation en 1809 à la nationalisation en 1982, ou la maison Varin-Bernier en Champagne-Ardenne, qui reste longtemps une affaire de famille. A ce grossissement spontané de banques familiales ou enracinées dans une communauté d’affaire régionale s’ajoute le patronage du CIC (Crédit Industriel et Commercial). Plutôt que de monter un réseau d’agences nationales comme ses consœurs, cette banque née en 1859 décide de se cantonner dans la région parisienne et de s’entourer de banques provinciales amies. C’est que jusqu’à la loi de 1867, il fallait une autorisation de l’Etat pour créer une société anonyme ; aussi l’aide du CIC, bien inséré dans les réseaux d’influence de la capitale, est-elle utile pour édifier une banque… Le CIC parraine donc la création de la Société Marseillaise de Crédit en 1864 et de la société lyonnaise de dépôts,
de compte courant et de crédit industriel en 1865, et la transformation du comptoir d’escompte de Lille, né en 1848, en société de crédit industriel et de dépôts du Nord en 1866, qui devient le Crédit du Nord en 1871. Puis c’est l’expertise du CIC dans la promotion des banques provinciales qui fait de lui un partenaire utile : il soutient la naissance de la Société Bordelaise de Crédit en 1880 et de la Société nancéienne en 1881. très vite cependant, les milieux d’affaire provinciaux s’émancipent de la tutelle du CIC, jugé « trop parisien »… Le Crédit du Nord mène une vie indépendante à partir de 1876 ; de même, la société marseillaise affirme son autonomie, autour de notabilités animant la chambre de commerce, les armateurs, les négociants (qui avaient fourni 30% des actionnaires fondateurs pour 34% du capital initial), les agents de change de la Bourse locale. A la Société Lyonnaise, les capitalistes locaux conquièrent aussi le contrôle du capital, derrière le banquier local Edouard Aynard, homme d’affaire présent dans plusieurs grands conseils d’administration et animateur des milieux patronaux libre-échangistes et modernistes de la place : ils souscrivent l’essentiel du doublement de son capital en 1879, puis ils apportent 10 millions de FF supplémentaires en 1881 et en prennent la majorité, avec l’accord d’un CIC inquiet de leur projet de création d’une banque concurrente. La Société Lyonnaise s’affirme alors comme l’instrument d’une vive autonomie bancaire régionaliste ; elle apparaît désormais comme l’émanation des patrons du cru, d’autant plus que le Crédit Lyonnais fait figure, à partir des années 1880, de banque nationale, surtout après le transfert en 1882 de son siège central à Paris. Dans les régions riches, les milieux d’affaires souhaitent donc édifier une banque régionale qui allie la puissance indispensable et la soumission aux intérêts locaux plutôt qu’à des intérêts exogènes aux milieux d’affaires locaux, soucieux de la discrétion des opérations et de leur indépendance vis-à-vis des affairistes parisiens. Contrairement aux cadres des grandes banques parisiennes, qui sont régulièrement mutés, les banquiers régionaux sont stables, ce qui met plus en confiance les milieux d’affaire locaux. Par ailleurs, ces banquiers régionaux sont souvent issus de grandes familles de notables locaux, comme Camille Riboud à Lyon. Ainsi est défini le principe de donner à la société lyonnaise le caractère d’une banque régionale. Elle développe des agences dans les principales places d’affaires de la région et se rapproche des PME dans les quartiers et bourgades industrieux. Sa prospérité repose sur son intimité avec nombre de firmes régionales, parmi les plus importantes, auxquelles elle accorde de plus en plus souvent des avances sur titres et des découverts. Elle favorise leur collecte de ressources longues, grâce à son activité de placement de valeurs mobilières. Si elle reste la banque de la soie, elle enrichit son portefeuille clients des firmes issues des deux vagues d’industrialisation de la région, comme dans les houillères, la sidérurgie et la métallurgie, le gaz, la métallurgie non-ferreuse, l’automobile, le verre et la chimie… A la veuille de la 1° guerre mondiale et dans les années 20, les banques régionales affirment leur dynamisme. La société marseillaise de Crédit prend son essor dans les années 1870 quand la loi la dégage de multiples restrictions réglementaires et que la « mise en valeur coloniale » relance le port marseillais…c’est bien la banque du capitalisme marseillais, liée à l’alimentation (huileries), aux services (armement maritime), à l’immobilier, aux assurances, et proches des grandes entreprises nouvelles (Grands travaux de Marseille, Energie Electrique du littoral méditerranéen, Chantiers de Provence), même si elle accueille d’amples capitaux parisiens. Cette politique audacieuse devient téméraire avec le boum des années 1905-1906 et des spéculations suscitent le repli vers la liquidité de banque de dépôt en 1908 et 1912, stratégie confirmée par la création à partir de 1913 d’un réseau d’agences. Les banques régionales sont en étroit contact avec les chefs d’entreprises et leurs régions et capables de suivre leurs affaires ; elles travaillent plus avec leur capital propre, mais moins sollicitées pour des remboursements à court terme, elles se lancent dans l’investissement industriel : ce sont les banques nancéiennes qui se sont lancées le plus loin dans cette voie, en apportant leur soutien aux société qui « mettent en valeur » au début du 20° siècle le bassin métallurgique de Meurthe-et-Moselle, toute la région de Briey et de Longwy… Elles soutiennent aussi les papeteries des Vosges ou l’industrie thermale à Plombières. Cette capacité d’investissement décuplée est largement due à des rapports de confiance étroits. Les banques lorraines se refinancent en réescomptant à la Banque de France des effets qui représentent jusqu’à 60% de leur bilan annuel parce qu’ils sont officiellement à court terme, alors qu’en fait les relations de confiance qu’elles entretiennent avec les milieux d’affaires locaux leur permettent dès cette époque d’accorder du crédit à moyen terme, invention que l’on croyait beaucoup plus récente. Par ailleurs, de manière complémentaire, ces banques préparent l’émission des actions et des obligations des sociétés industrielles et assurent le classement de ces titres dans les portefeuilles de leurs clients. De son côté, le Crédit Nantais développe son réseau d’agences sur la côte méridionale de la Bretagne, s’établit à Lorient et Quimper, et entretient avec les usines de ces localités des rapports qui lui valent le surnom de « banque de la conserve ». derrière cette essor des banques régionales, il y a le soutien de nombre d’hommes d’affaires provinciaux hostiles au centralisme des banques parisiennes. Pourtant, elles subissent la concurrence des grandes banques nationales qui démultiplient leurs guichets en province, en offrant souvent des conditions de banque plus alléchantes, à des taux d’intérêt moins élevés, un escompte facile à la place des découverts coûteux que les banque régionales favorisaient. Finalement la banque régionale qui réussit est celle qui devient une banque nationale : Le Crédit Lyonnais dans les années 1880-1910, ou le comptoir d’escompte de Mulhouse, qui franchit les Vosges au tournant du 20° siècle, achète 28 banques locales et ouvre plusieurs agences dans l’Est et le centre-est de la France, soit un réseau final e 59 succursales ; en 1913, celui-ci est intégré à une filiale de statut français, à une époque où le rattachement direct à un établissement installé en Alsace allemande « choquait le patriotisme français ». Cette nouvelle banque, la banque nationale de crédit (BNC), devient dans les années 1920 la 4° banque de dépôt française avant de se transformer en BNCI en 1932, ce qui fait d’elle l’un des ancêtres de la BNP actuelle. Mais le comptoir d’escompte de Mulhouse relance sa stratégie de croissance entre temps, comme banque régionale alsacienne par de nouvelles absorptions : 57 sièges en 1930, avant d’être intégré en 1930 dans son ex-filiale, la BNC. De la même manière le Crédit du Nord cherche à s’extraire de son terroir et à s’affirmer comme une grande banque plurirégionale. Héritier du comptoir d’escompte du nord de 1848, il commence par absorber les banques de la région, comme la Banque générale du nord en 1934 ; de 117 siège en 1927 et 230 en comptant les bureaux périodiques, il dispose bientôt d’un réseau de 310 sièges en 1936 et devient après la seconde guerre mondiale une banque nationale. A son réseau il a ajouté celui de la Banque de l’Union Parisienne – Compagnie française de crédit de banque, avec laquelle il a fusionné en 1974 après le rachat de 2 banques par Paribas, l’une en 1968, l’autre en 1972. Il compte dès lors parmi les 10 à 12 premières banques françaises. Le Crédit du Nord anime en outre un réseau de banque locales où il détient de fortes participations et qui sont ses « correspondants » : Tarneaud à Limoges, Nicolet Lafanechère et De l’Isère à Grenoble, Lenoir et Bernard à Amiens, Arnaud Gaidan à Nîmes, Nuger à Clermont-Ferrand, et Pouyanne à Orthez. Mais malgré cette envergure, il peine au tournant des années 1980 à déterminer son dessein ; comme banque nationale, le Crédit du Nord souffre de l’érosion des industries traditionnelles du Nord-Pas-de-Calais, et des déboires de certaines de ses entreprises clientes (sidérurgie, immobilier). Il tente alors de consolider ses structures, de rénover son fonctionnement, et de se doter d’une image de marque positive. Il se tourne alors vers sa vocation de banque interrégionale : le Crédit du Nord réunit en 1989 ses agences de la région Rhône-Alpes et la banque Nicolet Lafanechère et De l’Isère dans la Banque Rhône-Alpes ; il maintient ses relations avec les banques locales associées et achète Courtois à Toulouse en 1991. Il accentue entre-temps son enracinement dans le Nord, conservant son siège social à Lille, collecte 33% de ses dépôts dans la région Nord-Pas-de-Calais et y distribue 28% de ses crédits : il s’y affirme comme la première banque non-mutualiste ; il y exploite 2 300 de ses 8 300 salariés en 1988. Son siège de Lille bénéficie d’une large autonomie, puisqu’il décide lui-même pour 99% des prêts, ceux inférieurs à 25 millions de FF. Le Crédit du Nord a aussi une forte participation dans la banque locale « Joire, Pajot, Martin », née à Tourcoing en 1827. D’autres banques régionales passent au contraire sous le contrôle de Paris : ainsi à la fin des années 1920, les financiers Bauer et Marchal
entourent leur Banque Bauer-Marchal d’une confédération lâche de banques, avec la banque Adam, la banque privée Paris-LyonMarseille, la Banque du Rhin, et en 1927, la puissante Banque d’Alsace-Lorraine. Le CCF (Crédit Commercial de France) achète la Banque de Bordeaux en 1917 et la banque de Mulhouse en 1927 et les agrège à son réseau. La BNC reprend 37 banques locales entre 1913 et 1930, en plus du comptoir d’escompte de Mulhouse, comme la banque du Sud-Ouest à Bordeaux, successeur de la maison Samazeuilh, née en 1812 et devenue le fleuron de la place par sa clientèle d’affaires ; son successeur, la BNCI, accentue cette tendance en achetant entre 1932 et 1936, 6 banques, dont les grosses banques Renauld à Nancy et Banque du Dauphiné, puis dans le Sud-Ouest, la banque Guilhot dans les années 1950. Certains réseaux de banques régionales cherchent alors pour faire face à la concurrence parisienne de l’affronter sur son propre terrain, Paris : ainsi le CIC monte en 1885 le Syndicat des Banquiers des Départements, qu’il gérait pour faire accéder quelques 200 banques locales à des courants d’affaires nationaux. D’autres banquiers se sont fédérés hors de la sphère d’influence d’une grosse banque telle que le CIC pour parvenir au même objectif : ils créent en 1904 la Société centrale des banques de province, mais elle s’écroule en 1921 et vivote jusqu’en 1933. D’autres, nombreuses, se sont rapprochées finalement des banques parisiennes, dont elles deviennent les correspondants privilégiés et à qui elles ouvrent leur capital, comme Laydernier d’Annecy ou Chalus de Clermont-Ferrand vis-à-vis du Crédit Lyonnais. La Banque Générale du Nord s’est associée à la BUP (Banque de l’Union Parisienne) dès sa création en 1919 lorsqu’elle succède à la Banque Verley-Decroix ; elle devient une ample banque régionale, forte de 150 agences dans les années 1920, avant qu’elle ne soit absorbée par le Crédit du Nord en 1934. la Sogenal a institué quant à elle un style original de banque régionale autonome, mais fédérée à une banque nationale, la Société Générale. Lorsque l’Alsace-Lorraine devient allemande en 1870, celleci a en effet du mal à gérer les agences qu’elle y avait ouvertes en 1866 (Strasbourg) et en 1870 (Mulhouse, Colmar) ; aussi créé-telle la Sogenal (Société Générale Alsacienne de Banque) en 1881. Elle en détient un gros tiers du capital, souscrit en majorité par les alsaciens : 85% des 12 500 actionnaires résident dans les trois départements annexés et détiennent 53% du capital. Elle rayonne en Allemagne, avec un siège à Francfort en 1886 ou à Mayence en 1894. Elle se déploie enfin au Luxembourg en 1893, et pendant quelques années à Lausanne. En 1918, la Société Générale accepte de maintenir son autonomie, pour respecter le particularisme rhénan, ses liens immédiats avec les milieux d’affaires locaux à son conseil d’administration : on parle alors de la « fille majeure », de la « fille émancipée » de la société générale. Elle renforce alors son implantation allemande à Cologne, Ludwigshafen, Düsseldorf, Sarrebruck, et s’installe à Zurich en 1926. Tout s’effondre dans les années 1930 avec le nazisme. Mais elle revient après la seconde guerre mondiale en Allemagne, à Cologne dès 1949, à Francfort en 1975, elle ouvre un siège à Luxembourg en 1956, à Genève en 1970, elle créé une filiale bancaire en Autriche en 1972 ; en 1975 enfin, elle absorbe la Société Française de Banque et de Dépôts, filiale belge de la Société Générale. Voilà une banque régionale à vocation internationale et qui se veut la « plus européennes des banques régionales », soutenue par la Société Générale qui en fait son outil de pénétration sur le marché bancaire d’Europe germanique. Mais la majorité des banques régionales qui ont subsisté se sont intégrées peu à peu dans la « confédération » du CIC. Juste avant la première guerre mondiale, le CIC, d’origine parisienne, décide de s’implanter en province, en montant des banques régionales dont il devient l’actionnaire clé des établissements existants à la recherche d’un partenaire ou souffrant de difficultés financières. Et il y exerce son contrôle pour qu’elles ne lui échappent pas comme dans les années 1870 ; d’un autre côté, il bénéficie de leur expérience dans leur terroir. Cette insertion du CIC dans les provinces s’intensifie entre 1818 et 1927 ; puis en 1928, un accord de coopération et d’entraide est conclu par le « groupe des banques affiliées » au CIC. Ainsi naît en 1929 une filiale commune, l’Union des Banques Régionales (UBR), qui se consacre au crédit à moyen terme, alors que le CIC accentue sa vocation de correspondant parisien de ces banques régionales. Lors de la crise bancaire de 19311932, le CIC renfloue plusieurs banques régionales dont il répartit les agences entre les membres de son groupe. A partir de 1983 et la nationalisation qui fait de l’Etat et du CIC les seuils propriétaires de chaque partie du groupe, c’est une holding centrale, la Compagnie Financière du CIC (elle même contrôlée par l’Etat et de plus en plus par les assurances GAN, majoritaires à partir de 1989) qui obtient le contrôle des banques régionales. Le réseau parisien est regroupé dans le CIC-Paris. A la fin du 20° siècle paradoxalement, alors que se renforcent les grands groupes d’argent à l’échelle européenne, avec des bilans dépassant les 1 000 milliards de FF, la « banque régionale » redevient une réalité vivante et une petite centaine de maisons régionales figurent parmi les 200 plus gros établissements par leur bilan en 1990 : 40 étaient entre 15 et 90 milliards de FF de bilan, 37 entre 10 et moins de 15 milliards de FF. parmi les 18 établissements forts d’un bilan de plus de 20 milliards de FF, se pressent 11 banques que l’on appelait « non-inscrites », aux côtés de 5 banques du groupe CIC, de la Sogenal et de la Société Marseillaise de Crédit. Les nationalisations de 1982 et l’alternance politique par la suite ont créé quelques « traumatismes », notamment quand les équipes dirigeantes se sont succédées sans continuité, même si des équipes de cadres supérieurs « gardaient la maison ». La durée de 3 ans du mandat des présidents de banque publiques est trop courte pour garantir la stabilité nécessaire à une œuvre de longue haleine. Pendant cette période, une certaine mode apparaît en faveur du régionalisme bancaire. Le GAN se fait l’apôtre du régionalisme bancaire « rénové » et s’engage dans le « renforcement des synergies » au sein de la confédération du CIC dont il est devenu propriétaire. Des agences communes entre l’assureur et le CIC sont mises en place dans les régions, et cherche à tirer profit du profil sociologique de cette banque tournée vers les « classes moyennes et huppées » et vers le patronat des PME. De leur côté certaines banques parisiennes filialisent certains réseaux régionaux : le crédit du Nord propriétaire de la limousine Tarneaud, monte la banque Rhône-Alpes, reprend Courtois à Toulouse et Kolb dans l’Est, le CCF lance le crédit commercial du Sud-Ouest, par filialisation de son réseau dans ces contrées, en fait hérité de la vieille Soula, De Trincaud Latour - Banque de Bordeaux ; il conserve le contrôle de Chaix à Avignon et de la banque de Picardie, des liens avec la banque de Savoie et rachète en 1992 la petite banque Marze en Ardèche. Suez et la Générale de Banque, proches de la Générale de Belgique, possédée par Suez, conçoivent en 1991-1992 la Banque régionale du Nord à partir de la succursale de la Banque parisienne de crédit, que les deux partenaires contrôlent en commun et qui comme le CIC-Paris, fait figure de Banque régionale francilienne, avec près de 70 agences, tout en contrôlant un noyau de petites banques provinciales (comme Dupuy de Parseval, en Languedoc). Même la Dresdner Bank s’est bien gardée de détruire la structure autonome de la banque lyonnaise Veuve Morin-Pons dont elle avait pris le contrôle. Enfin le modèle de la banque régionale semble être la clé des restructurations du Crédit Agricole, des banques populaires et des caisses d’épargne. L’apprentissage de la banque universelle (toutes pratiques bancaires) dans le cadre de la banque régionale se développe peu à peu. Mais les banques régionales de la finn du 20° siècle n’ont plus grand chose de commun avec celles de la période 1900 au krach de 1930. A part quelques exceptions comme la petite Pelletier-Dupuy de Dax, elles sont pour la plupart intégrées dans des fédérations qui leur assure une pérennité (image de marque, services en commun, réseau international, conception de produits financiers, relations avec les grandes entreprises). En outre, le gonflement des fonds propres est facilité par l’accès de la société holding au marché financier ou à la bourse de son actionnaire stratégique (Paribas-Crédit du Nord, GAN-CIC).
Les changements amples de la « première révolution bancaire de 1750-1850 » ont permis aux banques de contribuer fortement à la croissan,ce de la proto-industrialisation puis de la première étape de la révolution industrielle ; Mais au milieu du 19° siècle, même si certaines disposent de capitaux abondants, ces banques conservent des aspects traditionnels : structure de gestion et de propriété familiales, concentration de l’activité sur le seul siège social, etc. Aussi une « seconde révolution bancaire de 1850 – 1930 » va bouleverser l’économie tertiaire marchande. C’est une révolution de la collecte des dépôts et de l’épargne financière. La
montée en puissance de la haute Banque ne suffit pas après 1850 à soutenir l’ampleur des besoins de l’industrialisation et de l’équipement ferroviaire, tant en France qu‘hors des frontières. Les saint-simoniens réfléchissent à des méthodes de rénovation de l’économie et de la société et répandent la notion de « bourgeoisie conquérante »dans cette école de pensée se regroupent des savants, des économistes, des banquiers, des manufacturiers, des hommes de plume, qui inspirent les entrepreneurs des années 1850, tel Talabot, Lesseps, Arlès-Dufour ou les Pereire. Sur le plan bancaire, ils veulent voir l’édification de banques audacieuses et puissantes, capables par d’immenses capitaux de soutenir l’industrialisation, à l’exemple de la Société Générale de Belgique fondée en 1822. Il apparaît nécessaire de constituer des ba,nques dont la surface financière leur permet de tenir le choc à chaque récession. On réfléchit aussi à la formation d’un organisme capable de « refinancer » les banques pour éviter le resserrement du crédit, qui asphyxie encore plus l’économie en récession. Le besoin d’une Banque Centrale plus vigoureuse se fait jour. Plusieurs tentatives surgissent pendant la première moitié du 19°, comme celle de Jacques Laffitte. Il faut attendre l’épanouissement des idées saint-simoniennes sous le second Empire et l’arrivée à maturité de la révolution industrielle pour que « l’utopie » saintsimonienne débouche sur l’éclosion de nouvelles banques. Ainsi le « discours de Bordeaux » de 1852 est un programme de développement économique bonapartiste inspiré par la pensée saint-simonienne. Cela se traduit notamment par l’établissement du libre-échange dans les années 1860. la puissance internationale passe aussi par l’expansion financière extérieure ; le dessein napoléonien coïncide avec les aspirations des milieux d’affaire et les projets saint-simoniens, tandis que l’instauration de la dictature permet de court-circuiter les débats parlementaires qui avaient freinés les projets dans les années 1840. L’exemple de ce « renouveau » est fourni par les Pereire. Malgré les réticences de fonctionnaires méfiants, l’Etat accepte la création de grandes banques : le crédit industriel et commercial en 1859, le Crédit Lyonnais en 1863, la Société Générale en 1864, puis la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas) en 1872, fruit de la fusion de la Banque des Pays-Bas née en 1864 et de la Banque de Paris créée en 1869. en 1874 enfin, le comptoir d’escompte de Paris s’émancipe de la tutelle publique et obtient le droit d’ouvrir des agences et d’intervenir sur le marché financier international sans autorisation gouvernementale. Puis une seconde vague de créations se déploie au début du 20° siècle, avec la BUP (Banque de l’Union Parisienne) en 1904, la Banque Nationale de Crédit (BNC) en 1913 et le Crédit commerciale de france (CCF) en 1917. La majorité de ces banques sont des banques mixtes, qui pratiquent à la fois le métier de banque de dépôts et de banque d’investissement (ou banque d’affaire). Mais peu à peu, une dichotomie entre ces deux fonctions va s’opérer et les banques vont tendre à se spécialiser sur l’un de ces deux créneaux jusqu’aux années 1980. l’histoire du Crédit Lyonnais s’identifie à cette seconde révolution bancaire, d’autant qu’il a été le premier établissement national de 1878jusqu’à la création de la BNP en 1966, avec un court intermède entre 1918 et 1929 où la société générale le supplante. En 1914, il figure au premier rang des banques mondiales par la taille de son bilan, devant la Lloyds Bank anglaise. Des hommes d’affaires de la région lyonnaise (issus surtout de la métallurgie de la Loire, des sociétés gazières et soyeuses de Lyon) se dotent d’un outil bancaire à la mesure de leurs amples mouvements de capitaux et fondent le Crédit Lyonnais en 1863 : un esprit saintsimonien anime ses fondateurs, comme Arlès-Dufour, grand négociant international en soieries, et la direction de la banque. Après avoir détenu 38% des comptes créditeurs et dépôts des 42 banques publiant un bilan en 1892, le crédit lyonnais rassemble encore 23% du montant collecté par les 99 banques de 1913, devant la Société Générale (19%), le CNEP (15%) et le CIC (2%). C’est donc bien une révolution dans la profession bancaire, avec la naissance d’un géant par rapport aux maisons les plus robustes de la haute banque. Les Talabot et la Société Générale illustrent aussi ce mouvement. Mais la banque nouvelle est à la recherche de ressources plus amples, et part en quête de dépôts ; il s’agit désormais de drainer plus d’épargne. Celle-ci se tournait jusqu’alors vers les caisses d’épargne, lesquelles apparaissent dans les années 1820-1850 et se multiplient ensuite jusqu’à la guerre. Elle s’adressait également aux notaires, parfois aux banquiers locaux, aux courtiers et démarcheurs en valeurs mobilières. Les bourgeois fortunés plaçaient leurs fonds dans les maisons de la Haute Banque. Beaucoup de p^lacements s’effectuaient « en rente », c'est-à-dire en « titres de la dette publique perpétuelle » : les rentiers se constituaient une rente qui palliait l’absence de système de retraite ; mais chez eux régnait surtout la thésaurisation, le « bas de laine » ; on stockait de l’argent sous forme de pièces d’argent ou d’or, à une époque où on se méfiait encore avec raison des banques locales jugées incertaines, d’une Bourse « mystérieuse » et tout aussi malsaine, ou de billets de banque déconsidérés par le souvenir des assignats révolutionnaires ; et aussi en suivant l’exemple même des plus gros capitalistes, qui cherchent toujours à placer leur capital en nature plutôt qu’en « signe », preuve qu’eux-mêmes n’ont pas confiance dans le système dont ils profitent… ; les banquiers de la génération saintsimonien partent donc à l’assaut de cet argent thésaurisé : il s’agit de faire sortir l’argent des tiroirs pour le faire placer par la banque. Pour cela vont être mis en place de nombreux réseaux d’agences, jusqu’au fin-fond du trou du cul de Trifouilli-les-oies. C’est dans les places commerciales qu’on ouvre d’abord des agences, dans les villes-marchés où s’échangent de fortes sommes d’argent. Les banques s’implantent dans les villes de foires et marchés (notamment pour les marchés aux bestiaux) qui animent une tombée rurale, l’espace de déplacement des populations qui marquent le rayonnement d’une place commerciale. Les villes disposant d’une gare ferroviaire sont également une cible évidente, où s’effectuent les correspondances entre le train et les autres modes de locomotion, voitures à cheval, puis après la Grande Guerre, cars routiers. La seconde révolution bancaire est sœur de la révolution ferroviaire, sous le second empire. Le développement ferroviaire et le développement des agences bancaires rurale est d’ailleurs le fait des mêmes acteurs. « Ce que le chemin de fer est à la circulation terrestre des marchandises, la banque moderne va l’être à la circulation invisible des capitaux ». de plus, le commerce des marchandises décuplé suscite le commerce de l’argent, et tout en l’alimentant, s’en nourrit. Le volume et la mobilité de la monnaie de banque (dont la loi de 1865 sur les chèques vient asseoir l’usage) vont permettre aux moyens matériels de transport de se multiplier et aux marchés de s’élargir. A la chasse à l’argent des échanges s’ajoute la chasse à l’accumulation des richesses : il s’agit alors de donner la priorité à l’argent des campagnes, celui de la bourgeoisie rurale (négociants, professions libérales, notables) et de la paysannerie aisée, des « coqs de villages ». ou au drainage de l’épargne de la bourgeoisie urbaine plutôt cliente alors des banques du cru. Dans cette perspective de course à l’implantation, les banques nouvelles se livrent une concurren,ce féroce, comme la Société Générale et le Crédit Lyonnais. D‘ailleurs, après la crise des années 1880, le Crédit Lyonnais hésite à réaliser les investissements nécessaires pour répondre à son concurrent sur son propre terrain, le sud-est, comme ailleurs. En 1881, le directeur du Crédit Lyonnais explique aux administrateurs de la banque qu’il s’agit pour celle-ci d’être en première position dans tous les départements. Des années 1890 à la première guerre mondiale, une première course aux guichets s’engage, à laquelle participe également le CNEP (comptoir national d’escompte de Paris), qui après sa défaillance de 1889 est réorganisé selon les principes de la banque de dépôts. On assiste à un véritable rush ba,ncaire dans certaines régions. A tel point que l’implantation de certaines agences confronte les banques à une trop faibles clientèle : qu’à cela bne tienne, elle se contente alors d’ouvrir un bureau périodique, un ou deux jours par semaine ;la Société Générale dispose ainsi de 470 bureaux périodiques en 1913, pour un total de 1097 sièges l’année suivante, dont 995 en province. Une seconde étape de cette dilatation des réseaux a lieu dans les années 1920 : les banques déjà anciennes amplifient leur pénétration du territoire : le réseau de la Société Générale atteint 1514 sièges en 1931 (permanents et périodiques) ; celui du Crédit Lyonnais atteint 1450 sièges ou agences (permanents et périodiques) en 1933. Places d’activités industrielles et commerciales, place de marchés et de foire, sont visés prioritairement. Le développement de l’automobile facilite aussi les relations entre des bureaux intermittents (périodiques) et le siège permanent dont ils dépendent. Des banques jeunes viennent concurrencer Crédit Lyonnais et Société Générale : le CCF se munit lui aussi d’agences dans les principaux centres ; la BNC ramifie également
son réseau, avec 748 agences locales en 1930, dont la moitié sont permanents. Les 6 grandes banques que sont le Crédit Lyonnais, la Société Générale, le CNNEP, la BNCI, le CIC Parisien et le CCF offrent 4810 agences aux clients en 1935, tandis que les banques régionales en entretiennent 1140. Les 2514 banques sont fortes alors de 9150 guichets. Ceci bouleverse la géographie de l’argent, mais déclenche aussi une révolution quantitative, la « révolution des dépôts ». Alors qu’il draine déjà 15 000 déposants dès 1870, le Crédit Lyonnais en compte 80 000 en 1881 avant le krach de 1882, puis 693 000 en 1914 avant la première guerre mondiale. Les dépôts ainsi captés enflent considérablement : 382 millions de FF en 1882 (soit 66 milliards de FF de 1992), contre 2 200 millions en 1913 (soit 33 milliards de FF de 1992). Avec cet élargissement de la clientèle et la concurrence interbancaire sur ce terrain se développe également le démarchage et la publicité, la « réclame ». Le Crédit Lyonnais lance une initiative décisive en créant une caisse de dépôts productifs d’intérêts. Toute personne, quelque soit son état ou sa condition, peut ainsi obtenir un compte courant au Crédit Lyonnais, à la seule condition d’effectuer un versement de 50 FF au moins. Par ailleurs, l’ouverture d’un tel compte, ainsi que la délivrance d’un carnet de chèques, ne coûte au départ rien au déposant. Le succès de cette formule est dû notamment aux risques qu’encourent les populations en gardant à domicile ou dans leur commerce leur capital : vols, incendies, économie de frais de caisse pour un commerçant, et intérêts de cet argent placé en banque, ainsi que la facilitation des règlements ou virements entre particuliers. Mais les nombreuses faillites qui affectent les débiteurs des banques rendent méfiants les déposants qui souhaitent pouvoir se faire rembourser leur argent captif de la banque. D’où un dilemme sur la nature des banques, entre banque de dépôts et banques d’affaire, ou entre banque commerciale (dépôt) et d’investissement (d’affaire). Ainsi au Crédit Lyonnais, un risque réel surgit d’un déséquilibre entre les engagements, les immobilisations (investissements, prêts) de l’argent, placé à court ou à moyen terme, et les ressources procurées par les dépôts, qui restent liquides, car accueillies sous promesse de remboursement immédiat en cas de besoin ; c’est dans ce sens que le Crédit Lyonnais s’efforce de diminuer dans un premier temps les risques liés à ses débiteurs ; dès 1871, la banque se munit d’un service de renseignement et d’études sur les firmes et les pays, devenu la direction des études économiques et financières. Henri Germain, président du Crédit Lyonnais de 1863 à 1905 définit ensuite ce qui reste connu dans le milieu bancaire jusque dans les années 1960 comme la « doctrine Germain ». Cette doctrine ou « charte » de la banque de dépôt est mise sur pied après plusieurs déconvenues : le crédit lyonnais a en effet investi dans des jeunes sociétés lyonnaises qui finissent par connaître des difficultés ; d’autre part, lors du krach bancaire de 1882, la valeur de son portefeuille titres est sérieusement atteinte ; alors les clients finissent par s’inquiéter de ces aléas et retirent massivement leurs dépôts, qui chutent de 272 millions en décembre 1880 à 161 millions en décembre 1882. Germain impose alors l’abandon de la banque mixte, et fixe les « règles d’or » du crédit lyonnais : l’avoir en caisse (argent liquide) et les emplois rapidement mobilisables (prêts à très court terme, placements au jour le jour chez d’autres banquiers ou à la banque de France) doivent correspondre aux dépôts à vue et aux comptes créanciers, afin de permettre les remboursements aisés en cas de crise de confiance. C'est-à-dire que sans tenir compte de la valeur boursière du capitale, artificielle, la banque doit toujours disposer d’une réserve sous forme d’argent liquide, correspondant à la totalité des dépôts, et non mobilisable pour d’autres opérations. La direction contracte donc alors de moitié les crédits et avances, pour redonner sa liquidité à son argent : « ce n’est pas notre métier d’être des entrepreneurs, mais de prêter aux entrepreneurs en leur laissant les risques. Dès lors, le Crédit lyonnais oublie quelques peu sa vocation « saint-simonienne » et réserve ses crédit à l’Etat ou aux grandes compagnies. Après ce rééquilibrage, Germain estime que le Crédit Lyonnais est en fait devenu une seconde Banque de France « mais libre de toute réglementation gênante ». l’objectif des banquiers entrepreneurs de la première révolution industrielle, c’est la mise en place d’un réseau de placement de titres boursiers, les actions, les obligations ; il s’agit de « réveiller l’épargne qui dort » et faire souscrire aux rentiers le « papier » émis par les sociétés. Le banquier est ainsi un intermédiaire entre les capitalistes, détenteurs de patrimoine et demandeurs de capitaux, de la même manière que le négociant est un intermédiaire entre les producteurs et les commerçants… ; or les fortunes françaises connaissent une profonde évolution dans la seconde moitié du 19° : jusqu’alors orientées vers la pierre et la terre, elles se tournent de plus en plus vers les placements mobiliers, l’achat de valeurs boursières, dont le rendement est plus élevé : celles-ci accaparent 55% des fortunes françaises en 1911 contre 45% en 1869, mais les rentes d’Etat ou placements publics y occupent une place majeure. Dans certaines régions, le poids des placements mobiliers est considérable, comme dans les Vosges, la région parisienne, la Somme, la Meurthe-et-Moselle, le Nord, c'est-à-dire essentiellement les régions les plus industrialisées. L’Etat lui aussi accentue ses « besoins d’argent » sous le Second Empire, en lançant des emprunts, notamment pour financer la guerre, le déficit budgétaire et l’équipeme,nt urbain : c’est ainsi que près de 3.5 milliards de rente publique sont émis entre 1852 et 1865 (soit environ 52 milliards de FF de 1992). De plus en plus de souscripteurs s’arrachent ces titres obligataires : 99 000 pour l’emprunt de 1854, 872 000 pour l’emprunt de 1868. On va jusqu’à parler de « démocratie obligataire »… ; ces titres sont relayés par les fameux emprunts de la libération de 1871-1872, lorsqu’il faut payer aux allemands de fortes indemnités de guerre après la défaite des armées françaises : 5.7 milliards de FF sont demandés par l’Etat par le biais des banques, qui se voient offrir plus de 48 milliards par les souscripteurs…dont la moitié par des souscripteurs étrangers. Désormais les banques aident l’Etat dans sa quête de l’épargne, en un flux régulier, accentué par la reconstruction suite à la guerre 1914-1918. Les entreprises lèvent de plus en plus de fonds en bourse, elles émettent des actions et obligations pour financer leur développement ; les compagnies de chemins de fers sont particulièrement impliquées sur le marché boursier : 5 milliard de FF sont émis entre 1852 et 1865 pour financer les grands réseaux (soit près de 74 milliards de FF de 1992), et il y aurait quelques 700 000 détenteurs de valeurs ferroviaires en 1880. Si l’on regroupe tous les porteurs d’obligations publiques et privées, on atteint le chiffre (symbolique) de 3 700 000 français en 1873 (mais certains possèdent de nombreux titres…) les petites et moyennes bourgeoisies urbaines et rurales participent à cette « révolution de l’épargne ». Les acheteurs se ruent sur des valeurs dont les cours et les dividendes grimpent régulièrement, comme les titres de compagnies ferroviaires et houillères, des services publics locaux (gaz, électricité, eau), de la compagnie universelle du canal maritime de Suez, de certaines grosses firmes industrielles solides, et de société financières (grandes banques, Banque de France, alors société privée). Proust s’amuse de cette frénésie boursicoteuse qui alimente l’entregent de certaines familles bourgeoises (cf. « à l’ombre des jeunes filles en fleur » et « à la recherche du temps perdu »). La Belle Epoque est celle du Boum de l’actionnariat que l’on appelle tout à fait abusivement « populaire », mais qui correspond en fait à la diffusion des valeurs mobilières dans la petite et la moyenne bourgeoisie. Les actionnaires de la Société Générale passent de 14 000 à 122 000 de 1899 à 1914. Aux entreprises et à l’Etat français s’ajoutent en outre les entreprises et Etats étrangers : c’est alors la flambée « populaire » des emprunts russes, mais aussi des valeurs de l’Etat ou des sociétés ottomans, de titres d’Amérique Latine ou des Etats-Unis. Pendant les années 1920, les exigences de la reconstruction détournent l’épargne vers les titres publics, l’Etat empruntant directement ou par l’intermédiaire d’organismes comme le Crédit National et les associations de sinistrés. Les banques de dépôts sont alors les moins touchées parce qu’elles louent littéralement leurs guichets à l’Etat pour les émissions du Trésor (touchant au passage des commissions), mais les banques d’affaires qui avant guerre négociaient les emprunts avec les Etats étrangers et qui constituaient des sociétés à l’extérieur du pays n’eurent plus que des éléments d’activité médiocre. Avec l’inflation et la chute du franc, les banques de dépôts finissent à partir de 1924 par être aussi touchées que les banques d’affaires, le public ne s’intéressa,nt plus qu’aux valeurs étrangères, plus rémunératrices : or ces valeurs étrangères, les banques françaises ne pouvaient plus les procurer à leurs clients, suite à la loi sur l’exportation des capitaux (entre 1918 et 1928). Le public achetait donc directement ces valeurs en bourse. Le commerce de titres si florissa,nt avant 1914,
principale source de bénéfice des banques, traverse après la guerre une crise des plus graves. Mais entre 1927 et 1930, après l’assainissement réalisé par Poincaré, l’activité capitaliste reprend de plus laide. Les opérations capitalistes procurent aux banques une part significative de leur volume d’activité (avec beaucoup de manipulation de papier), mais aussi de leurs recettes. Pour chaque mission, les banques organisent l’opération ; elles placent les titres auprès de leur clientèle, qu’elles conseillent. Elles ont d’autant plus intérêt à parvenir au succès de l’opération qu’en cas d’échec, elles doivent verser malgré tout l’argent à la société émettrice et se retrouvent « collées » avec ce « papier » qu’elles mettent longtemps à placer. Mais elles y réussissent la plupart du temps, en s’organisant en syndicats d’émissions. Ces syndicats bancaires d’émission de valeurs mobilières sont d’abord dominés par la Haute Banque (surtout Rothschild) : la haute banque est en effet le chef de file des emprunts russes jusque dans les années 1880, et elle monte le syndicat des emprunts de libération de 1871-1872 ; elle y parvient grâce à la clientèle de gros capitaliste et de grosses fortunes qu’elle entretient, et qui peuvent absorber une grosse partie de ces titres. De plus, son influence sur les banques locales ou étrangères, de celles qu’elles considère comme ses « correspondants », lui achètent ces valeurs pour les écouler auprès de leur propre clientèle. Mais peu à peu, l’ampleur des opérations capitalistes ne permet plus aux maisons de la Haute Banque d faire cavalier seul pour en assurer l’émission, aussi se regroupent-elles dans des « syndicats d’émission », ces relations quasi-permanente finissant par se muer en « pôles d’affaire ». c’est ainsi que de nombreux animateurs de la Haute banque européenne se regroupent en 1872 dans Paribas, de même qu’une dizaine de maisons de la Haute Banque parisienne se regroupent en 1904 dans la BUP. C’est ainsi que les banques d’affaire finissent par se substituer à la Haute banque dans la conduite des grands emprunts : Paribas devient la figure de proue du marché financier, au cœur d’un syndicat concurrent, qui confédère de façon informelle mais régulière des banques de dépôts, comme la société générale, des banques provinciales et des maisons étrangères. Dans les années 1880 perce un troisième syndicat d’émission conduit cette fois par le Crédit Lyonnais qui cherche à s’affirmer sur ce terrain. Mais si les banques d’affaires deviennent expertes sur le terrain des émission de valeurs pour les grandes opérations capitalistiques, elles ne peuvent se passer des banques de dépôts pour placer les titres émis. Crédit Lyonnais, Société Générale (très intime avec Paribas dans la décennie qui précède la guerre de 1914-1918) et CIC mobilisent ainsi leurs réseaux pour séduire l’épargne. Monter ce type d’opération d’émission d’actions ou d’obligations est un métier clé de la banque jusqu'au krach de 1929, alors que par la suite, elles cherchent à placer les emprunts coloniaux et les bons du Trésor émis pour le réarmement. Les banques engages dans ces syndicats d’émission perçoivent des commissions approchant les 2% du total de l’émission ; mais ces syndicats réclament plus aux sociétés émettrices de ces valeurs lorsqu’elles les juges trop peu solides, et craignent leur faillite, qui se répercuterait sur les souscripteurs et sur les banques impliquées : c’est le cas lorsque la Compagnie du Canal de Panama ressent d’énormes besoins de fonds au milieu des années 1880 : les banques prennent alors des commissions épaisses tant la société de Ferdinand de Lesseps est aux abois, autour de 5.6% en moyenne au lieu des 2% de commission habituels. Ces opérations constituent une part importante des activités bancaires, et nombre d’agence de province, de comptoirs de quartiers ou de bourg rural n’amortissent leur frais généraux que grâce à leur talent de vendeurs de titres. Le démarchage à domicile fait ainsi partie du métier de banquier ; le développement de l’automobile et du téléphone facilite le démarchage de la clientèle. A bicyclette ou en voiture, ils sillonnent les campagnes à la recherche de quelque gros agriculteur à entuber. Visitant à domicile les plus riches exploitants, se mêlant à la vie des bourgs les jours de marché. A l’inverse, les agences sont assiégées de clients lorsque des sociétés prestigieuses lancent des valeurs surnommées « de père de famille ». mais tout le talent du banquier consiste alors à se débarrasser de quelque valeur « pouilleuse » qu’il n’arrive pas à placer, en arguant de l’intérêt de diversifier leur portefeuille de titre à ses clients par exemple. On présente alors ces valeurs « collantes » comme de possibles « valeurs de retournement », très profitables dès lors que leur image de marque s’améliorera, etc. Le romancier Giono a débuté sa carrière dans la banque en qualité de démarcheur. Au début du 20° siècle, les banques ne prêtent guère massivement aux familles, mais réservent leurs crédits à une clientèle très friquée. Les grandes banques dès leur fondation satisfont aux desseins de leur fondateurs saint-simoniens : le Crédit Lyonnais comble ainsi les besoins de trésorerie des firmes qui avaient soutenu sa création, comme Schneider, les métallurgistes de la Loire ou les soyeux de Lyon ; la Société générale est proche de la sidérurgie du massif central, à qui elle consent de gros prêts dans les années 1870. les banques gagnent dans de telles opérations des recettes appréciables, car le taux d’intérêt de tels crédits est supérieur à celui de l’escompte. Mais l’escompte reste la clé du crédit bancaire. L’escompte reste la pratique bancaire de base : les patrons ont sans cesse besoin d’argent liquide parce que leurs rentrées tardent ; en effet la firme doit payer ses fournisseurs, mais elle attend le paiement de ses clients ; le délai tourne entre un mois et cent jours, car chaque firme paie ses fournisseurs avec un décalage admis, qu’ »on appelle le « crédit fournisseur », qui est un crédit interentreprises. Ce sont alors les banques qui fournissent les liquidités nécessaires, en escomptant les effets commerciaux, le « papier de commerce ». Elle prêtent l’argent correspondant à cette reconnaissance de dette qui est en même temps une engagement sur des recettes attendues. Les banques se chargent alors elles-mêmes de recouvrer l’argent auprès du débiteur à l’expiration du délai, quand l’effet vient à échéance : c’est pour le banquier à la fois une opération de crédit et un service pratique, toutes deux rétribuées par son taux d’escompte, son taux d’intérêt. La seconde industrialisation qui débute dans les années 1890 suscite de gros besoins de crédits chez les entreprises ; le « portefeuille effets » pèse 1/5° de l’activité des banques commerciales en 1882, ½ en 1913 : la banque commerciale est d’abord une banque d’escompte, de crédit à court terme. Mais le marché de l’escompte évolue peu à peu : au départ, la Banque de France le dominait largement avec le concours des maisons d’escompte, spécialisées dans le regroupement de traites et leur « présentation » à la Banque Centrale. Ces banques ne disposaient que de peu de dépôts et présentaient la totalité des traites au réescompte, ce qui alimentait les fonds de commerce de la banque. Mais l’essor des grandes banques comme le Crédit Lyonnais entaille ce quasi-monopole sur l’escompte et le réescompte de la Banque de France. Car fortes de leurs propres dépôts, elles peuvent nourrir par leurs propres moyens une part importante des traites qu’elles escomptent. Le terme de « crédit » signifie bien « croire » et « avoir confiance », et les banques prêtent de l’argent qui ne leur appartient pas, et dont la valeur est de plus en partie fictive (placement boursier). Aussi le banquier cherche*-t-il à amplifier sa connaissance des entreprises emprunteuses, clientes ; de son débiteur, tout l’intéresse : surface matérielle apparente, opportunité des initiatives de ses clients, eu égard à la conjoncture, justesse des prévisions formulées par les emprunteurs pour le remboursement des avances, dans les délais convenus, personnalité du client et caractère de celle-ci susceptibles de nuire ou de favoriser l’opération. Visites d’usine, rencontre de concurrents pour faire des comparaisons, discussion avec des fournisseurs ou avec des clients de la firme pour avoir un avis tiers sur sa santé. Les archives bancaires sont ainsi riches en dossiers où est suivie l’évolution de la société cliente. Mais ils restent partiellement superficiels, car le secret des affaires et l’insuffisa,nte capacité d’expertise technique manquent généralement au banquier ; nombre de patrons rechignent à ouvrir leur livre de compte à leur banquier, à leur « confesseur » économique…ils n’aiment guère l’œil indiscret de la banque et s’empressent bien souvent de la rembourser. Dans l’entre deux guerres, après avoir utilisé les services des banques pour remettre à flot leur affaire, les patrons s’empressent bien vite de quitter les banquiers ; ceci est particulièrement vrai du secteur automobile, avec André Citroën. Les patrons de l’automobile sont soucieux de leur indépendance et n’aime pas qu’on se mêle de leur comptabilité… La prudence est d’autant plus nécessaires aux banques qui accordent des prêts que jusqu’à la 2° guerre mondiale, elles ne savent pas combien l’entreprise cliente a déjà emprunté à d’autre banques, celles-ci préservant le secret de leurs affaires face aux banques concurrentes. Aussi lors des récessions les banquiers effarés découvrent l’ampleur du cumul des dettes de la firme et du « risque »
bancaire encouru par chaque créancier ainsi « collé ». « Déjeuners d’affaires, fréquentation des dîners, réceptions et salons mondains, promenades équestres, chasse à courre, chasse, etc. sont autant d’occasion de nouer des liens d’homme à homme entre les banquiers et les dirigeants de sociétés, mais aussi de discuter au pied levé de certaines affaires en cours, de certaines rumeurs qui circulent sur la place, etc. Bien souvent cependant, les entreprises se passen,t très bien des banques : elles recourent à leurs bénéfices, leurs réserves, leurs « amortissements », toutes formes d’autofinancement. Les banques dans ce cadre ne leur fournissent le plus souvent que des crédits de court terme nécessaire à leur fonctionnement quotidien ; mais les entreprises font aussi appelle aux banques pour monter les opérations d’émission d’actions et obligations de l’entreprise. Par ailleurs, dans beaucoup de régions, les petites banques provinciales se montrent souvent moins parcimonieuses que les grandes banques : elles fournissent aux entreprises des découverts de 6 mois, renouvelable quasiment indéfiniment, comme s’il s’agissait de crédits à moyen terme, ce qui témoigne de relations intimes entre les industriels et les banques provinciales qui les ont pour clients. Cette intimité s’incarne souvent par leur présence croisée dans les conseils d’administration et souvent également par des liens de famille dans le cadre d’une alliance dynastique du patriciat local. C’est notamment le cas dans le Nord et en Alsace. Souvent aussi, les firmes du 19° siècle obtiennent des crédits en faisa,nt hypothéquer leurs biens, les forêts pour les maîtres de forge, les champs où on fait sécher les draps après blanchiment pour les cotonniers et les liniers, les bâtiments des usines, les machines, les terres des propriétaires fonciers, etc. Alors que le crédit hypothécaire paraît aujourd’hui être une procédure lourde, ces prises de gage rassurent le banquier, c’est une forme on ne peut plus immédiate de solvabilité du client. Quelques cas d’octroi de crédits de démarrage sont restés « légendaires » dans l’histoire des relations entre la banque et l’industrie : ainsi quand la Banque Vernes apporte 300 000 FF à Claude quand il créé l’Air Liquide en 1908, ou la banque Mirabaud qui épaule Renault dans les années 1920. Les banques de dépôts également, comme le Crédit Lyonnais vis-à-vis de Bouygues dans les années 1950 ou l’agence de Beauvais de la Société Générale à l’égard de l’installateur de mobilier urbain Jean-Claude Decaux dans les années 1960. Et nombre de maison de banque, haute ou non, vont plus loin et s’engagent plus fortement aux côtés de certaines entreprises clientes : la Maison Cahen fournit 150 000 FF à Wendel en 1803 pour récupérer les forges au retour d’émigration ; Seillière prête 300 000 FF (soit 4.5 millions de FF de 1992) à Wendel pour qu’il acquière les forges de Moyeuvre en 1811, ou aux frères Schneider quand ils reprennent les usines du Creusot en 1836, en leur fournissant les deux tiers des fonds. Seillière fournit ainsi le fond de roulement (qui complète les fonds propres de l’entreprise) des Schneider régulièrement : entre 316 000 et 1 683 000 FF de 1837 à 1846 (soit entre 5 et 25 millions de FF de 1992), puis entre 4 et 5 millions de FF de 1863 à 1865 (soit 60 à 75 millions de FF de 1992). Cependant Seillière s’inquiète de la témérité de « Schneider aîné » en 1839, et tout en se retirant du capital de l’entreprise, continue à lui accorder des prêts ; mais ce genre de relation s’explique aussi par le fait que les maisons de banque pratiquant de tels crédits sont bien souvent aussi des maisons de négoce : comme c’est le cas ici, ou le marchand de fer banquier proposent des crédits à leurs fournisseurs les sidérurgistes ; ou les marchands fabricants soyeux financent les industriels du textile, etc. dans la sidérurgie, beaucoup de banquiers souvent aussi négociants placent des capitaux, achètent forges et forêts qu’ils afferment ensuite à des maîtres de forge, comme c’est le cas pour les banquiers de Châtillon-sur-Seine, gros actionnaires des forges bourguignonnes dans les années 1820-1840 et après leur transfert sur le charbon de l’Allier, au sein de la société ChâtillonCommentry créée en 1845. Plusieurs banques pratiquent aussi ce que l’on appelle la « commandite » : elles apportent le capital à une société en commandite, et en confient la gestion à des gérants ; on en voit de nombreux exemples dans la sidérurgie et le textile, qui concernent des banques discrètes comme les banquiers Vassal et Drouillard dans les forges et fonderies d’Alès dans les années 1830-1840. Une palette de banquiers lyonnais (Morin-Pons, Saint-Olive, Aynard) se presse dans le capital de la nouvelle société sidérurgique forézienne et ardéchoise l’Horme en 1847. L’essor de Paribas symbolise l’éclosion de la banque d’affaire moderne en France. Etablie à Paris en 1864, la succursale de la banque de crédit et de dépôts des Pays-Bas, créée en 1863 à Amsterdam, finit par dépasser en importance le siège de la maison. Cela consacre le rayonnement de la place parisienne et l’attrait qu’elle exerce sur les banques de taille moyenne, qui mettent en commun leur capital, en argent et en relations ; en effet plusieurs animateurs de la Haute Banque européenne se retrouvent à Paribas comme Bischoffsheim à Anvers et Bruxelles, elle-même liée à Goldschmidt ou à Cahen d’Anvers. A ce milieu d’affaire juif s’ajoute un groupe protestant, avec Hentsch, banquier parisien et genevois. Cette banque fusionne en 1872 avec la Banque de Paris, lancée en 1869 par plusieurs banquiers (Cernuschi, Delahante) : la Banque de Paris et des Pays-Bas, Paribas, est née. Elle est une héritière riche en argent et surtout en contacts européens avec les maisons fondatrices. Celles-ci conçoivent leur banques commune comme un « consortium », un intermédiaire de leurs propres affaires ; les fonds propres de Paribas sont de 245 millions de FF en 1913 (soit 3.2 milliards de FF de 1992). Paribas s’affirme dès le départ en proposant sa candidature aux syndicats d’émission des valeurs mobilières, notamment lors de l’emprunt de libération de 1872. Souvent Paribas se trouve partenaire immédiat des grandes firmes, dont elle occupe souvent le conseil d’administration, la vice-présidence notamment. Paribas accompagne ainsi la constitution des sociétés électriques de la seconde industrialisation, comme la Compagnie parisienne de distribution d’électricité en 1906 ou l’union d’électricité en 1911. Elle aligne ensuite les fleurons dans son portefeuille de participations, dans l’énergie électrique, dans la télégraphie (CSF, en 1918), la chimie (filiale en france de la Société norvégienne de l’azote en 1905), dans le pétrole avec la création de la Compagnie française des pétroles en 1924 (en parité avec la BUP) et celle de la Standard franco-américaine en 1920 (avec Esso), dans l’édition avec Hachette à partir de 1919, dans la métallurgie avec Fives-Lille, les Forges et Aciéries du Nord et de l’Est, etc. Son conseil d’administration mêle la Haute Banque (Camondo, Pillet-Will, Demachy, Lehideux, Stern), des capitaines d’industrie (Ernest Mercier, dirigeant de la CFP et de la Société lyonnaise des eaux et de l’électricité) ; il accueille aussi souvent des figures de la puissance publique ou des ambassadeurs comme Jules Cambon de 1920 à 1935, l‘ancien gouverneur de la Banque de France Moreau, qui le préside de 1931 à 1940, des inspecteurs des finances et des banquiers. On comprend ainsi la force d’influence de cette grosse banque d’affaires, qui fournit également des consultations au dirigeants politiques et financiers du pays… Le rayonnement politique et financier de son directeur général entre 1919 et 1937, Horace Finaly, consacre cette fonction d’influence… Les banques régionales elles aussi entendent s’impliquer dans les affaires, comme le montre dans l’Isère la souscription à d’épaisse lignes d’actions et d’obligations des banques Charpenay ou de la Banque du Dauphiné, tout comme la petite banque Laydernier à Annecy pour la société des forces motrices du Fier en 1899. Georges Charpenay fait ainsi partie du conseil d’administration de toutes les affaires qu’il a contribué à financer. Mais cette fièvre de l’investissement va être ralentie par des crises et des krachs ; ainsi la maison Récamier tombe en 1805, Laffitte en 1831 ; le marasme de 1867 fait tomber le Crédit Mobilier des Pereire mais aussi la banque Pollet de Roubaix. Pendant les récessions, la valeur des placements des banques s’amoindrit, la confiance des déposants s’érode, et c’est alors un « run », une course au retrait des dépôts. La grande dépression de la fin du 19° est ponctuée de récessions qui secouent l’appareil bancaire, comme lors du krach de 1882. Cette grande dépression secoue les pays anglo-saxons dès 1873 par un premier krach ; en France, la bourse, l’investissement et la croissance connaissent un ultime boum en 1879-1881 ; mais soudain en janvier 1882, c’est le krach boursier, qui révèle le surinvestissement et la chute des profits des sociétés. Des banques ont trop prêté aux spéculateurs en bourse, qui spéculaient à la hausse, achetant à crédit des actions qu’ils vendaient à terme, grâce notamment aux « crédits en report » effectués par les banquiers. Quand la bourse s’effondre, ces acheteurs à découvert ne peuvent plus rembourser leurs emprunts. Le crédit Lyonnais est touché, mais Germain qui avait pressenti la crise avait diminué ses crédits aux spéculateurs dès octobre 1881. C’est grâce aux précautions qu’il
a prise que le crédit lyonnais résiste à la bourrasque. D’autres banques chutent lors de ce krach : la banque de Lyon et de la Loire chute dès le 18 janvier 1882 ; la Banque de l’Union Générale en est la principale « victime » : constituée en 1878, elle se voulait une banque de dépôts d’envergure, combat de son ambitieux patron, Eugène Bontoux, qui rêve d’être un nouveau Pereire, et prend des participations dans des sociétés ferroviaires en Autriche-Hongrie, mais aussi celui d’un banquier catholique face à des milieux bancaires où les protestants et les juifs sont influents, voire celui des milieux légitimistes face aux républicains parvenus récemment au pouvoir. En fait Bontoux pousse la Banque de l’Union Générale trop fort et trop vite. Cette expansion artificielle est asphyxiée par le krach boursier : les déposants se ruent vers leur argent, la banque doit fermer ses guichets le 28 janvier et est liquidée, alors que Bontoux est emprisonné. Zola s’en inspire directement pour son roman « l’Argent », même s’il place l’action sous le second empire au moment de la chute du Crédit Mobilier des Pereire. La place parisienne est encore secouée par un krach dans les années 1889-1891 ; la banque Demachy-Seillière est liquidée en 1888 tant elle subit des pertes sur ses avances aux sociétés ; elle perd un quart de son capital et doit être assainie avant d’être reconstituée pour devenir une maison de Haute Banque très prospère, la Banque Demachy-Worms. La société de Dépôts en comptes Courants, assez grosse maison, disparaît en 1891. Le Comptoir d’Escompte de Paris s’effondre peu avant en 1889 : il avait placé trop de fonds dans les affaires d’un « faiseur », s’un spéculateur qui avait constitué un énorme stock de cuivre pour faire monter les cours et le revendre avec un gros bénéfice ; mais ce « soufflé » spéculatif se dégonfle et le Comptoir perd sa mise ; il doit être renfloué par la Banque de France qui avance 140 millions de FF avec la garantie des autres banques (soit 2 milliards de FF de 1992) ; il se transforme en Comptoir National d’Escompte de Paris (CNEP) jusqu’à sa fusion dans la BNP en 19666 avec la BNCI, elle-même née en 1932 à la suite du renflouement d’une banque ruinée par le krach de 1931-1932. en effet le déclenchement de la crise des années 1930 en France est inauguré par un ample krach bancaire : il est suscité par la méfiance engendrée par les krachs boursiers et bancaires survenus aux Etats-Unis entre 1929 et 1933 et en Europe centrale en 1931-1932 ; il révèle aussi combien les banques françaises étaient devenues fragiles dans les années 1920. En effet celles-ci avaient, pour soutenir l’expansion et en particulier l’ultime boum des années 1927-1930, accentué la transformation de leurs ressources en emplois d’une durée supérieure à plusieurs trimestres, presque en crédits à moyen terme ; c’était un signe de dynamisme, mais aussi une grosse prise de risque… La crise boursière éclate avant leur échéance et fait tomber le château de cartes bancaire. Aussi la crise boursière s’accompagne-t-elle d’un krach bancaire : plus de 400 banques s’effondrent entre 1931 et 1935. des banques régionales vigoureuses sont balayées, comme Charpenay à Grenoble, Guérin à Lyon, Renauld à Nancy, de même que la Société centrale des Banques de province. La BUP ellemême est sapée par la détérioration de la valeur de son actif et les difficultés des firmes dans lesquelles elle s’est engagée : elle qui s’affichait comme la rivale de Paribas se recroqueville jusque dans les années 1950. Les crises les plus graves touchent des banques trop téméraires, sous l’égide d’hommes d’affaires aventureux ; ainsi deux financiers, Bauer et Marchal, avaient ajouté à leur modeste banque un ensemble de participations dans de grosses banques régionales, comme la Banque d’Alsace-Lorraine et la Banque privée Paris-Lyon-Marseille, tout en s’associant avec la Banque Oustric dans le contrôle d’une solide banque du NordOuest, la Banque Adam. Mais ils ont engagé trop d’argent liquide dans leurs affaires industrielles et boursières, qui ne résistent pas à la chute de la Bourse ni à celle de la Banque Oustric ; toutes ces banques doivent fermer. Adam redémarre difficilement, reprise ensuite par la BNCI ; d’autres éclatent et sont récupérées par les banques du groupe CIC : la Banque d’Alsace-Lorraine s’intègre dans la filiale alsacienne du CIC et devient le CIAL ; les morceaux de la banque privée sont répartis entre la société lyonnaise des dépôts et la Société bordelaise du CIC. Le krach de 1931 détruit aussi la 4° banque de dépôts française, la Banque Nationale de Crédit, passée sous le contrôle d’une majorité conduite par André Vincent, qui dirigeait en polytechnicien brillant les Forges et Aciéries de Firminy, gros métallurgiste du Forez, et le comptoir Lyon-Alemand, premier transformateur de métaux précieux (diamantaires parisiens). Cette double casquette lui permettait de puiser dans les caisses de la banque : la BNC avait avancé de fortes sommes aux sociétés de Vincent, qui se trouvent en raison de la crise dans l’impossibilité de les lui rembourser, au moment même où d’autres débiteurs importants deviennent insolvables, comme les cinémas Gaumont ou la société générale aéronautique. Aussi un run des déposants balaie-t-il la BNC. La banque tente de colmater les brèches avec l’aide de la Caisse des Dépôts et de la Banque de France, jusqu’à ce que le gouvernement fasse garantir en septembre 1931 les dépôts à la BNC par le Trésor, qui doit débourser près de 2 milliards pour enrayer le run de la BNC. La BNC est ensuite liquidée et reprise par une nouvelle entité, la BNCI, qui regroupe près de la moitié des 10 000 salariés et 267 agences sur 388.
Le dynamisme des banquiers français s’exprime aussi par leur action hors de la métropole. Les banquiers du 19° siècles sont délibérément « européens ». Les maisons de la Haute Banque ont coutume de travailler avec leurs « correspondants » notamment sur les place de Londres et d’Anvers. Les Rothschild parisiens entretiennent des relations d’affaires avec les Rothschild de Londres ou de Vienne. Les grandes banques sont souvent des coalitions de banques dans lesquelles figurent souvent des maisons étrangères : c’est le cas de la Société Générale avec des hollandais et des britanniques, ou au Crédit Lyonnais avec des allemands, alors que les maisons suisses jouent un grand rôle au Comptoir d’escompte de Paris dans les années 1870-1880. Nombre de cadres de banques sont d’ailleurs eux-aussi d’origine étrangère, car les sièges font appel à des praticiens talentueux, formés sur le tas et habiles à entretenir des liaisons d’affaire et d’information avec leurs homologues des places au-delà des frontières. On peut parler parfois d’une « internationale des banquiers ». Le suisse Noetzlin est un directeur influent à Paribas au début du 20°, tout comme l’autrichien Spitzer à la Société Générale ou le hongrois Ullmann au CNEP, tandis que le directeur des agences étrangères au Crédit Lyonnais pendant les deux premières décennies du 20° siècle est un anglais, James Rosselli, avec un suisse comme adjoint, Auguste Célérié, et que le directeur de l’agence de Moscou, Roth, est un hongrois. A l’agence moscovite du Crédit Lyonnais, le ht-encadrement est pratiquement exclusivement suisse. Les suisses sont à l’époque présent dans le ht encadrement des banques du monde entier, car les banques suisses avaient mi sur pied un excellent système d’apprentissage, prenant chez elles un apprenti pendant 3 ans sans lui payer d’appointement, mais en lui promettant de lui apprendre la banque en le faisant passer par tous les services. Par ailleurs, les suisses s’expatriaient facilement et étaient d’emblée polyglottes. Le placement des emprunts d’Etat s’effectue souvent en partie à l’étranger, grâce au réseau de correspondants bancaires : c’est ainsi qu’au début du 20°, les Rothschild passent pour être les banquiers de la Sainte Alliance, des monarchies antibonapartistes et antilibérales, et deviennent des « courtiers européens en valeurs d’Etat ». Le crédit lyonnais est considéré par les milieux d’affaires lyonnais comme un partenaire du commerce de la soierie, que ce soit en Italie, en Suisse ou en direction des pays anglo-saxons et l’Asie. Banques et commerce international sont étroitement liés. Les diplomates regrettent néanmoins la faiblesse des implantations d’agences des banques françaises à l’étranger, face à la vigueur allemande et anglaise. Ce à quoi les banquiers répondent que cela est plus du à la pusillanimité des industriels français. C’est un ample débat qui secoue les milieux économiques, en particulier à propos de l’Amérique Latine ou de la Chine au tournant du siècle. Peu de banquiers français sont installés outre-Atlantique au début du 20° et se contentent de correspondants aux Etats-Unis. Ils disposent d’intérêts dans la Banque nationale du Mexique (1911) ou dans la Banque du Rio de la Plata en Argentine ; le CNEP et la Société Générale établissent en 1896 la Banque Française au Brésil ; Paribas s’installe au Chili en 1893 ; italiens et français lancent en 1909 au Brésil la Banque Française et Italienne Pour l’Amérique du Sud. Alors que le Crédit Lyonnais a dû fermer dès 1899 ses agences de Bombay et de Calcutta ouvertes en 1895, et qui y souffraient de la prédominance britannique, le CNEP réussit à préserver son
ouverture sur les océans indien et pacifique et installe au moment de la guerre des agences à Bombay, Sydney, Melbourne. Il entretient des relations suivies avec la sphère d’influence britannique par le bais de ses agences de Londres, Liverpool, Manchester, ainsi que par ses 3 agences égyptiennes d’Alexandrie, Le Caire et Port Saïd. La stratégie du CNEP consiste à se placer au long de cette « route des Indes », à accompagner le flux commercial entre l’Europe et l’Outre-mer, des agences en métropole animées par le financement de l’import-export aux agences lointaines dans les pays où se pressent les acheteurs en matières premières et exotiques, en passant par le relais de Londres ou de New York. Par ailleurs à ses fonctions de banque d’émission en Indochine, la Banque de l’Indochine ajoute le métier de banque commerciale : elle ouvre des succursales en Chine, à Shanghai en 1894, à Hong Kong en 1895, ou à Bangkok en Thaïlande en 1897, à Singapour en 1905, à Pékin en 1907. Comme le CNEP, le Crédit Lyonnais est devenu une banque commerciale vigoureuse en Egypte, où il finance notamment le commerce du coton par de grosses avances. L’exportation du coton a toujours été jusqu’alors la principale source de revenu de l’Egypte, et le financement de ces exportations exige de gros capitaux, fournis jusqu’alors par des maisons d’exportation financées elles-mêmes par les banques. En raison de l’importance des sommes en jeu mais surtout de la sensibilité de la matière première aux fluctuations de cours (spéculation), du faible développement du marché monétaire et de l’insuffisance des ressources locales, le financement pose aux banques des problèmes délicats de trésorerie. Dans toutes les manipulations qu’il subit de l’égrenage jusqu’à la confection de la balle définitivement pressée dans ses 11 cercles de fer pour l’exportation, le coton reste déposé, au nom du Crédit Lyonnais, dans les « chunas » ou magasins munis de dispositifs modernes contre l’incendie et appartenant aux grosses maisons de pressage ou au Crédit Lyonnais lui-même… Parfois ces stocks sont vendus à des exportateurs, parfois à contrario ils sont exportés par le Crédit Lyonnais, ce qui lui permet de conduire des négociations de troc ou des opérations triangulaires qui revêtent une grande importance dans l’économie égyptienne très dépendante de certaines importations… spéculation… ; Tandis que l’agence d’Alexandrie du Crédit Lyonnais finance près de la moitié des importations en bois d’Egypte, l’agence du Caire prend une part importante dans le ravitaillement du pays en sucre et en blé et dans l’importation de matériel d’équipement. En France, peu de couple banques-entreprises se nouent dans une démarche commerciale outre-mer. De plus, la place parisienne n’a pas l’envergure de la City de Londres dans l’animation des courants financiers et commerciaux internationaux : c’est outre-manche que se concluent les opérations de change. Aussi le Crédit Lyonnais s’installe dans la City en 1870 et la Société Générale en 1871. les banques françaises sont alors encore peu préoccupées d’édifier un réseau international, contrairement à ce qu’elles feront dans les années 1960-1970. La Société Générale est présente en Belgique avec la Société française de Banque et de dépôts (1898), et en Alsace Allemande avec la Sogenal (1881). Le CIC ouvre la Société Belge de CIC en 1903, comme le Crédit du Nord dispose du Crédit du Nord Belge. Le Crédit Lyonnais créé le Crédit Franco-Portugais en 1894 ; Paribas est installé à Anvers, Genève, Londres, tout comme le Crédit lyonnais agit à Madrid, Genève, Vienne. La Société générale est très étroitement liée avec plusieurs banques autrichiennes comme la Länderbank pour de nombreuses opérations croisées ; les banques françaises pratiquent d’amples placements de court terme à Vienne jusqu’à la veille de la guerre. Elles se rapprochent des banques tchécoslovaques lorsque la place pragoise se développe, en particulier le CNEP et le Crédit Lyonnais. De même, Paribas et la BUP sont associés à plusieurs banques allemandes dans le partage d’affaires en Europe orientale, par exemple en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie, ainsi que dans l’Empire Ottoman à plusieurs reprises. Les te,nsions diplomatiques ont donc des effets difficiles à décrypter sur les banques ; mais les banques françaises s’abstiennent de plus en plus dès 1908 de s’impliquer en Allemagne. Le Crédit Lyonnais ouvre des succursales tout autour de la méditerranée pour « valoriser », placer des fonds à court terme : les Etats y sont sans cesse assoiffés de liquidités pour financer leurs dépenses somptuaires, leur armée, leur équipement ferroviaire ou maritime. Henri Germain confie ainsi en 1875 que la fonction unique des agences d’orient du Crédit Lyonnais est d’employer une partie des fonds de la Banque restés inemployés. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Turquie, l’Egypte sont ainsi fertiles en opportunités d’emploi d’argent. Les Rothschild sont très actifs en Italie, tant auprès du St-Siège comme le CIC, qu’auprès du jeune Etat italien, dans les années 18601880. Les Pereire avaient installé le Crédit Mobilier espagnol dès 1855 et le BodenKreditAnstalt en Autriche dès 1863, qui survient à leur chute. Le Crédit Lyonnais s’est implanté à Madrid dès 1875, à Alexandrie ou au Caire en 1875 et à Port-Saïd en 1877 ; il y est accompagné par le CNEP, installé dans les mêmes villes. Dans ces pays, les banques souscrivent l’équivalent des bons du Trésor pour alimenter ces « dettes flottantes » et elles y prélèvent ainsi d’amples charges d’intérêts. Parfois, ces Etats deviennent insolvables et ne peuvent plus assurer leurs échéances. Les Banques s’entendent alors pour « consolider » leurs prêts, c'est-à-dire les dettes également, en transformant leurs créances à court terme en obligations à long terme, ce que l’on appelle aujourd’hui le « rééchelonnement de la dette »… C’est ce qui se passe en 1875 lors de la banqueroute de l’Empire Ottoman, qui précède la crise des finances de l’Etat égyptien… Dès 1863 en effet, les intérêts français (dont les Pereire notamment) et britanniques ont établit la Banque Impériale Ottomane, où les maisons de la Haute Banque et Paribas deviennent de plus en plus influentes devant les intérêts anglais. C’est une banque commerciale privée, qui gère un réseau d’agence dans le vaste empire ottoman qui couvre alors tout le Levant. Mais c’est aussi la banque d’émission de la monnaie locale, qui gère une partie des circuits publics ottomans, pour le compte du Trésor Ottoman… Les français contrôlent ainsi dans ce pays les ¾ des investissements étrangers dans le secteur bancaire, loin devant les britanniques (1/5°). La Banque de Salonique (à partir de 1909, avec la Société Générale), le Crédit Foncier Egyptien accueillent aussi des intérêts français, qui percent en même temps en Europe orientale, avec la Banque FrancoSerbe en 1910 (avec la BUP), ou en Bulgarie avec la Banque Balkanique (BUP et Société Générale) en 1908, la Banque Générale de Bulgarie (Paribas) ou le Crédit Foncier Franco-Bulgare. De plus en plus, de tels placements à court terme sont possibles dans les pays en forte croissance, en particulier en Russie, où s’installe le Crédit Lyonnais en 1878 à Saint-Pétersbourg puis à Moscou en 1891 puis en Ukraine à Odessa en 1892, port de la mer Noire où s’effectuent des transactions sur les céréales. La Société Générale créé la Banque du Nord en 1901 à Saint-Pétersbourg ; celle-ci fusionne avec la Banque Russo-chinoise en 1910 et devient la Banque Russo-Asiatique, première banque russe par ses actifs à la veille de la première guerre mondiale, tandis que les français sont très influents aussi dans la banque Azov-Don, l’une des 8 premières banques russes. Les banquiers français ne se contentent donc pas de placer des bas d’affaires à l'étranger, mais s’y installent aussi comme banquiers pour les dépôts et deviennent ainsi les animateurs de nombreuses places où ils s’implantent. Les banques françaises de Russie se créent ainsi une large clientèle sur place, que ce soit parmi les épargnants ou les firmes russes qui leur offrent leurs liquidités, ou parmi les sociétés financées grâce à l’argent levé en France. Le Crédit Lyonnais s’est ainsi enraciné profondément dans le terroir russe, au point que son agence de Moscou prend parfois des allures de bazar oriental, comme le raconte l’un de ses cadres, Jean Morin ; envoyé à Moscou en 1898 comme secrétaire puis chef de la correspondance et fondé de pouvoir, puis chef de la Bourse et des titres, il devient ainsi le numéro 3 de l’agence avant d’y être promu sous-directeur et de rentrer en France en juillet 1914. cette agence exploite alors 400 salariés, car elle suit les opérations de la grosse place commerciale qu’est Moscou et conduit de multiples affaires d’escompte. Elle travaille aussi sur la place de Nijni Novgorod. Les banques françaises à l’étranger souscrivent à des emprunts qui sont ensuite diffusés sur toutes les places d’Europe et en particulier en France ; ce mouvement commence dans les années 1855-1870 ; c’est l’ère des « emprunts russes » (à partir de 1878) et des « emprunts ottomans », surtout dans les années 1890-1914. si les emprunts russes commencent dès 1870, les banques les promeuvent surtout à partir de 1888-1889 ; les banquiers allemands s’effacent de Russie, les Rothschild jusqu’alors si puissants n’ayant plus les moyens de placement suffisant et étant hostile au tsar du fait des pogroms en Russie ; les emprunts russes se multiplient, ceux de l’Etat lui-même entre 1888 et
1909, mais aussi ceux des compagnies ferroviaires garantis par l’Etat et ceux des collectivités locales ; on assiste à un « second âge d’or » de la Belle Epoque, quand les banques placent en France les titres de sociétés privées créant des filiales en Russie ou achetant des firmes russes, pour un total représentant le tiers de tous les fonds français avancés à la Russie, surtout entre 1906 et 1914, pour 3.5 milliards de FF (soit 40 milliards de FF de 1992) consacrés à ces « investissements directs ». Quelques 16 milliards de FF seraient placés en Russie en 1914 (soit 200 milliards de FF de 1992) et le tiers du stock d’argent étranger investi alors en Russie. Mais les banques françaises enrichissent aussi les portefeuilles des épargnants avec des valeurs anglo-saxonnes : chemins de fer américains (transcontinentaux notamment), et même des titres du Brésil et de l’Argentine. Les banques françaises fournissent près de 6% des capitaux étrangers placés aux Etats-Unis, loin derrière les britanniques avec 60%. Le marché financier français est mobilisé par le financement international : les émissions de valeurs étrangères constituent entre la moitié et les 4/5° des émissions totales en Bourse de Paris entre 1900 et 1914, avec un maximum de 87% en 1904. un stock de plus de 43 milliards de FF est ainsi placé hors du pays en 1913 (soit 550 milliards de FF de 1992) : la France est alors le 2° marchand d’argent à long terme, , derrière le Royaume-Uni. En 1914, les banques françaises détiennent 45% du total des capitaux étrangers placés en Turquie et 31% en Russie (devant les anglais), avec environ 12 milliards de FF ; et dans le portefeuille du Crédit Lyonnais, les titres étrangers dépassent les titres français dès 1893. Les emprunts étrangers en France sont pour les 4/5° des emprunts publics, que ce soit en Turquie, en Russie ou en Europe centrale. Un vif débat s’engage dans la première décennie du 20° entre les économistes qui reprochent aux banquiers d’exporter des capitaux sans songer à la mise en valeur des intérêts français, privant les entreprises de la métropole des fonds dont elles auraient besoin. Mais c’est oublier que bien souvent, les bas soutiennent l’éclosion ou l’essor des sociétés où des intérêts français sont présents, en y prenant des participations ou en leur procurant des avances de fonds parfois durables. Dans les années 1870-1890, la Société Générale s’intéresse en Russie à la métallurgie, aux mines de fer, aux houillères ; son dynamisme s’explique par la tradition d’intimité qu’elle nourrit avec les industriels de l’industrie lourde, depuis sa fondation, mais aussi par la « pétulance » de son directeur général Dorizon, et enfin par une alliance d’intérêts avec Paribas en 1905 : banque de dépôts (en fait alors une banque mixte) et banque d’affaires s’épaulent dans la prospection des affaires russes. Louis Dorizon apparaît ainsi comme un banquier cosmopolite dynamique, qui donne à la Société Générale un important rayonnement européen. Entré à la banque en 1874 à 14 ans, à l’agence du Boulevard St Germain, il bénéficie de la promotion interne, devient sous-directeur au siège en 1895, puis directeur en 1896 à 36 ans. Son apogée se place entre 1909 et 1913 quand comme directeur général il anime le rayonnement de la banque en Europe centrale et orientale, et en Russie. Il représente alors le courant d’affaires français « cosmopolite », favorable à l’entente entre les entreprises au-delà des frontières et les divergences politiques. Mais le renforcement à Paris du courant hostile au « cosmopolitisme financier » et plutôt soucieux d’un lien entre le nationalisme diplomatique et l’action des milieux d’affaires amène la Société Générale, pourtant Banque privée, à céder aux pressions politiques menées en particulier par Raymond Poincaré alors président du Conseil puis président de la république. Dorizon doit quitter la direction général et se replier sur la présidence de la banque, qu’il occupe en 1914-1915. C’est avec la même mentalité d’ouverture européenne que Rouvier (qui mène par ailleurs une carrière ministérielle de haute volée et devient président du conseil en 1902-1904) fonde la Banque Française pour le Commerce et l’industrie (BNCI) en 1901, en une vision internationaliste : c’est une lointaine ancêtre de la BNP, puisqu’elle s’est intégrée en 1920 dans la BNC. Mais plus brillante a été la réussite de la BUP, fondée en 1904 par une demi-douzaine de maisons de Haute-Banque. Elle devient le partenaire de la société Schneider lorsque celle-ci à la veille de la première guerre mondiale, s’implante en Russie dans l’industrie de la mécanique, des chantiers navals et des armements, en particulier en s’associant avec le métallurgiste russe Poutilov : la BUP lui accorde d’amples crédits, non sans angoisses. De plus en plus d’entreprises industrielles ou de travaux publics et de banques s’associent ponctuellement dans des « sociétés d’étude », pour obtenir des contrats d’équipement : ports, voies ferrées, arsenaux, etc., en Russie, dans l’Empire Ottoman, etc. De même la Banque impériale Ottomane, suivi de la BFCI, prend des initiatives plus fermes dans l’empire ottoman au début du siècle. Mais les banques restent méfiantes sur ce genre d’opérations, avec des déboires comme ceux de la Société Générale qui subit les difficultés des firmes métallurgiques et minières qu’elle soutenait en Russie au début du siècle. Les émissions à Paris de titres de sociétés travaillant en Russie grossissent de 26 millions par an entre 1888 et 1894, pour passer à 83 million par an entre 1895 et 1904 et à 112 millions entre 1905 et 1913. Ces sociétés francophiles sont autant de clients des succursales ou filiales des banques françaises en Russie ou dans l’empire ottoman. L’importance de l’implantation des banques françaises à l’étranger est indiquée par le réseau international du Crédit Lyonnais, qui fort de 24 agences à l’étranger en 1913, représente plus de 7% de ses 361 guichets. La réputation de l’économie française dans l’entre-deuxguerres est d’être chauvine et malthusienne, or l’élan de la seconde industrialisation se poursuit jusqu’au tournant des années 1930 et les entreprises maintiennent leur insertion dans les courants mondiaux. Malgré les aléas diplomatiques et monétaires, les banques les accompagnent. Les banquiers voient leur dynamisme étouffé par les évènements politiques et militaires : la guerre suspend leurs affaires en Europe centrale et orientale ; l’Etat interdit l’exportation de capitaux de 1918 à 1928. Certes, l’argent est employé utilement auprès de l’Etat belligérant puis reconstructeur, mais la position internationale de la banque française s’écroule. Les détenteurs de titres sur le continent américain les vendent pour que l’Etat puisse payer une partie des importations qu’impose le conflit. Et surtout le stock d’argent investi à l’est est quasiment perdu. Les bolcheviques ne reconnaissent pas les dettes de l’Etat tsariste, et les titres détenus par les souscripteurs rentiers français n’ont plus qu’une valeur de « collection » ! le réseau bancaire russe comme étranger en Russie est confisqué. Ainsi le CNEP, lors de son conseil d’administration du 28 avril 1919, se félicite de l’implantation d’organisations militaires de russes blancs, soutenues par les pays occidentaux, à Arkhangelsk et à Omsk. En Russie est constitué le projet d’un monopole des affaires de banque ; l’armée rouge descend dans les agences des banques françaises ou autres banques étrangères, leur interdit d’effectuer toute transaction. Cependant, il y a bien longtemps que les capitaux se sont évadés de Russie, pour une grande part. mais les banques étrangères installées en Russie se saisissent de ce prétexte pour par contre refuser à leur clients russes le remboursement de titres, etc. Des coffres loués à des russes ou des étrangers dans les banques européennes (CNEP, Crédit Lyonnais) en Russie sont forcés par l’armée rouge, qui en laisse cependant une partie mais exige le transfert des fonds, des comptes clients et des titres à la banque du peuple. Les bolcheviks prennent possession des agences du crédit lyonnais dès décembre 1917, et exigent leur liquidation ; les bolcheviks exigent en outre le paiement de plusieurs milliers de roubles comme impôt spécial en avril 1919. Les directeurs généraux des agences sont arrêtés. Les banquiers essaient de garder le maximum de leur actif : ainsi, le Crédit Lyonnais évacue en avril 1919 les actifs de la banque d’Odessa vers Constantinople, avant de quitter Odessa en avril 1920. Les agents du crédit lyonnais à Moscou parviennent à quitter la Russie en 1921. Du côté ottoman et austro-hongrois, où il n’y a pas de révolution, mais l’émergence de puissances nationales sur les décombres d’empires, les Etats nouveaux ont du mal à prendre en charge les dettes vis-à-vis des épargnants-prêteurs occidentaux. C’est seulement dans la deuxième moitié des années 1920 que le service de cette dette reprend, avant d’être à nouveau suspendu par la crise des années 1930. le Crédit Lyonnais est là aussi au cœur de la tourmente, avec ses agences dans l’ancien empire ottoman, notamment celle de Smyrne, installée dans une zone de combat et d’exode massif de populations. Son dernier directeur Jean Morin y arrive en 1921et y reste jusqu’en 1923, assistant à la guerre entre les turc de Mustapha Kemal et les grecs, qui entendent maintenir leur présence dans de nombreuses places d’Asie mineure. Le Crédit Lyonnais compte sur la présence militaire grecque à Smyrne, avant qu’elle ne soit balayée par une contre-offensive turque. Morin raconte : « J’envoyai
acheter chez les négociants en opium leurs caisses vides faites en épaisses planches de chêne et je les fis doubler de zinc. Pendant ce temps je confiais au conservateur le soin de faire l’inventaire des titres de la conservation tout en les serrant au fur et à mesure dans les caisses [...] Bref, j’organisai l’agence pour traverser au mieux les évènements que l’on sentait imminents et qui s’annonçaient graves » ; puis les turcs font leur entrée à Smyrne, et Morin se retrouve seul dans l’agence avec deux portiers, « les employés n’osaient plus venir, tous cherchaient à fuir et à s’embarquer », car se sont des grecs et des juifs pour la plupart. Morin lui-même fait partir sa fille et sa femme sur un bateau français, mais le commandant refuse d’embarquer les nombreux et encombrants bagages de la famille de rentiers ; Morin se présente alors en qualité de directeur général du Crédit Lyonnais et fait savoir au capitaine que « les malles et les caisses, empilées dans la baleinière, renfermaient l’or, les billets de banque et les titres du Crédit Lyonnais. L’effet fut foudroyant. Des coups de sifflet retentirent, tout l’équipage apparut sur le pont pour refouler la masse compacte des voyageurs qui l’encombraient et transporter mes bagages dans la soute aux groupes, vaste réduit blindé réservé aux envois d’or [...] apposa les scellés sur la porte dont solennellement il remit la clé à ma femme qu’il plaça dans une cabine de luxe [...] Connaissant la manière forte avec laquelle ils agissaient, j’étais fort inquiet pour les titres et l’argent enfermés dans les coffres du Crédit Lyonnais [...] il me fallait maintenant les sauver des mains des turcs qui n’auraient certainement eu aucun scrupule à les confisquer. Je pensais donc à les expédier le plus tôt possible à Marseille. Avant que le personnel prenne la fuite, j’avais heureusement songé à retirer toutes les clés des chambres blindées et des coffres-forts des mains de tous ceux qui en possédaient. J’avais réussi à les réunir, excepté celles du coffre du Trésor qui renfermait environ 400 000 livres turques [...] Ma direction avait réussi à assurer le montant total des valeurs pour leur séjour sur un bateau de guerre en rade de Smyrne et pour leur expédition dans un port de la méditerranée. [...] La marine mit à ma disposition une vedette, une baleinière, des marins et un piquet de fusiliers. Les turcs assistèrent au déménagement sans oser intervenir et à leur barbe j’embarquai toutes mes caisses. [...] Au crédit Lyonnais, la vie reprenait peu à peu. Tous les employés juifs étaient sortis de dessous terre et avaient fait leur réapparition [...]. J’avais une équipe suffisante pour travailler et profiter de ce que le Crédit Lyonnais allait être la seule banque sur place, puisque toutes les autres avaient brûlé. Je [...] l’entrouvris seulement [...] l’on entrait par la petite porte de service. Avec une rapidité inouïe, Athènes apprit que le Crédit Lyonnais fonctionnait de nouveau à Smyrne. Comme les entrepôts de la douane, construits sur pilotis à l’entrée du port avaient échappé à l’incendie, les smyrniotes réfugiés à Athènes m’envoyèrent par des voies mystérieuses des lettres pressantes, accompagnées de duplicata de connaissements obtenus certainement par complaisance, pour me demander de retirer leurs marchandises de la douane et les expédier à Marseille. Il y avait surtout, parmi ces marchandises, de nombreuses caisses de soierie lyonnaises représentant des sommes importantes. [...] l’opération était [...] pleine de risques entre autres pour le directeur général du crédit lyonnais de finir au bout d’une corde. Je n’écoutai pas ma raison et priai ‘’l’Edgar Quinet’’ (bateau de guerre) de lancer un appel en mer pour demander à tout cargo de venir à Smyrne charger des marchandises [...] De tous ces grecs dont j’avais [...] sauvegardé les intérêts, il ne s’en trouva aucun pour m’envoyer un mot de remerciements. Mais lorsqu’ils eurent récupéré et placé en sûreté leurs marchandises, je croulai sous une avalanche de lettres qui protestaient contre les frais et la commission de sauvetage de 15% que j’avais comptés. Quelques-uns me menaçaient de poursuites judiciaires [...] tout finit par se tasser. L’opération se terminait pour le Crédit lyonnais par un magnifique bénéfice »… Finalement, le Crédit Lyonnais abaisse son pavillon à Smyrne en 1923, et Morin quitte Smyrne pour Constantinople, dont l’agence est maintenue elle jusqu’en 1926, avant que Morin soit promu directeur des agences d’Egypte à Alexandrie jusqu’en 1941, en pleine seconde guerre mondiale…Lorsque la croissance économique revient dans les années 1920, la banque contribue au renouveau des échanges commerciaux ; le CNEP insiste sur la fonction essentielle de financement du négoce : ainsi l’industrie lainière du nord trouve un soutien financier auprès du CNEP pour s’approvisionner en matière première en Argentine ou en Australie. Elle accompagne aussi le négoce lyonnais pour l’exportation de soie ; au havre, elle soutient le négoce du café et du coton. Bordeaux et Marseille sont les centres des relations du CNEP avec le négoce d’Afrique occidentale, alors que le Havre, point d’arrivée du trafic transatlantique est également soutenu. Rouen par où passe une bonne partie des approvisionnements en charbons anglais, Dunkerque dans ses rapports avec le négoce des pays scandinaves, Sète et son négoce d’importation de vins, tous ces lieux de négoce voient le CNEP soutenir et tirer de gros profits des affaires de la place après guerre. Les banques accroissent leur emprise sur le négoce international ; elles multiplient les « acceptations » : elles s’engagent de cette manière par leur signature à payer les traites de leurs clients négociants aux banques des partenaires de ces derniers. Le « crédit documentaire » également se développe : la banque avance l’argent à la firme exportatrice qui lui fournit en gage les « documents » du marché, les papiers certifiant que le produit a été commandé, transporté, assuré, livré, etc. On voit même apparaître en 1910 une Banque Nationale du Commerce Extérieur, en 1928 une Banque Française des Acceptations, tandis qu’en 1927 naît une compagnie d’assurances, la « Société Française pour Favoriser l’Assurance-Crédit » pour garantir certains crédits à l’exportation, l’ancêtre de la Coface et de la SFAC actuelles, tandis que l’Etat apporte sa garantie, à partir de 1928, aux assurances à l’exportation pour les risques politiques. Les banques, comme le CNEP notamment, mettent en place des service du commerce extérieur à travers lesquels elles s’entremettent entre des exportateurs et des importateurs, suscitent leur rencontre et leur proposent des possibilités de consignation des marchandises. Le CNEP créé aussi en 1920 ola French American Banking Corporation, en association avec la National Bank of Commerce de New York et la First National Bank de Boston, pour « accorder des facilités aux importateurs pour le règlement de leurs achats aux Etats-Unis », démarche originale puisque peu de banques françaises la pratiquent, à l’exception de Lazard et la jeune banque Schlumberger (fondée en 1919 et spécialisée dans les affaires franco-américaines). Ce n’est qu’en 1940 que la Société Générale ouvre son agence à New York. D’ailleurs les banques dans l’entre-deux-guerres relancent leur politique d’implantation à l’étranger : l’Europe centrale et orientale reste attractive ; Paribas devient le partenaire influent de la Banque des Pays Autrichiens, issue en 1922 de la transformation d’une banque puissante de l’ex-empire austro-hongrois. Comme celle-ci conserve des intérêts dans les établissements apparus à partir de ses succursales dans les Etats créés à la place de l’empire, elle devient le levier de la pénétration de Paribas en Europe centrale ; Paribas contrôle ainsi la Banque pour le Commerce et l’industrie de Tchécoslovaquie et prend le contrôle de la Banque de Crédit Roumain. Paribas est aussi influente dans plusieurs firmes pétrolières roumaines, et sa rivale la BUP tente de lui damer le pion sur ce terrain. La BUP, souvent en association avec des intérêts belges, devient la tutrice de plusieurs banques d’Europe centrale comme la Banque Commerciale de Roumanie, 3° banque du pays, ou la Banque Générale de crédit hongrois ; la BUP pratique également la banque d’affaires, avec des participations dans le pétrole, l’électricité, le charbon en Roumanie, tout en accompagnant les initiatives du métallurgiste Schneider en Tchécoslovaquie et en Pologne. Le CIC se montre actif en Pologne, auprès de la Banque de Silésie et de plusieurs entreprises liées aux français, notamment dans le textile et les chemins de fer. Les titres des sociétés d’Europe centrale et orientale sont placé en France par les banques françaises. A la veille de la seconde guerre mondiale, la France est le second investisseur étranger en Tchécoslovaquie derrière le Royaume-Uni mais le premier en Yougoslavie, en Pologne après le retrait des américains, qui y étaient les premiers avant la crise des années 1930. Un quart des avoirs français est placé dans cette région du monde, d’autant plus qu’au tournant des années 1920, les banques françaises renouent avec la tradition des grands emprunts « syndiqués » : aux côtés de leurs consœurs anglo-saxonnes, elles émettent des obligations au profit des Etats roumain, polonais, yougoslave, placées dans leur clientèle. Entre 1928 et 1931, la place parisienne est la plus solide d’Europe, ce qui avantage la BUP et Paribas, animatrices des intérêts français en Europe de l’est. Plus à l’est encore les banques françaises
préservent leurs intérêts : en Turquie, la Banque Impériale Ottomane réussit une mue habile et de banque symbole de la tutelle financière occidentale, se transforme en banque commerciale banalisée, s’affirmant comme la première banque de dépôts étrangère du pays. La Société Générale lance la Banque Française de Syrie, active de 1917 à 1937 dans ce pays sous tutelle française. En Egypte, les banquiers français conservent leur influence déterminante. Ailleurs, ils restent par contre plutôt effacés, souvent à cause des aléas de la monnaie française. La Société Générale ajoute à ses implantations ouest-européennes (Londres, Allemagne, Belgique) une filiale en Espagne, la Société Générale de Banque, en 1920. mais les banques profitent aussi largement de l’empire colonial français ; la plus coloniale des banques serait le CNEP, qui dès 1862, lance le Crédit Foncier Colonial, devenu indépendant par la suite. Le CNEP définit une stratégie simple de fourniture de liquidités aux banques implantées dans les divers territoires de l'outre-mer , pour placer ses fonds : c’est ainsi qu’il patronne la création de la Banque de l’Afrique Occidentale en 1901 ; il est implanté en direct en 1918 en Tunisie (avec 4 agences) et à Madagascar. Là, Paribas obtient en 1924 la concession de la banque d’émission, la Banque de Madagascar ; c’est que la banque d’affaire nourrit elle aussi un dessein impérial, en particulier au Maroc ; d’organisatrice des « emprunts marocains »au début du 20° siècle, Paribas devient la tutrice de la Banque d’Etat du Maroc créée en 1906, puis y lance la Compagnie Générale du Maroc, qui détient der multiples participations, en particulier dans les firmes gérant des concessions ferroviaires et électriques. Les banques d’affaires patronnent également des projets d’investissement dans les colonies, des « sociétés d’étude », montées par exemple avec des firmes de travaux publics. Le riche Maroc les séduit, que ce soit la BUP, avec Schneider, ou la Banque Mirabaud. De banque d’émission depuis sa création en 1872 et de banque commerciale et de dépôts, al Banque de L’Indochine s’affirme peu à peu aussi comme une banque d’affaires, surtout dans l’entre-deux-guerres : elle transforme souvent ses créances sur des sociétés vacillantes en participations et se constitue ainsi un portefeuille titres important en Indochine. Des banques de dépôts ne restent pas inactives : la Société Générale débarque en Tunisie en 1911, avec la Société Générale de l’Afrique du Nord au Maroc et à Alger en 1911-1914. la Banque Transatlantique (créée en 1881 par un Pereire) elle aussi pénètre en Tunisie, avec la Banque de Tunisie en 1883, puis au Maroc avec la Banque commerciale du Maroc en 1911, avant de monter en 1928 l’Union financière et coloniale, pour financer le commerce avec l’outremer.
Avec la seconde révolution bancaire (1870-1930), la profession est bouleversée, avec l’apparition de grandes entreprises, de gros sièges centraux, de vastes succursales, exploitant un personnel abondant. Les banques deviennent des acteurs essentiels de la vie sociale. Alors qu’à la génération précédente la Haute Banque n’employait qu’un faible personnel, l’apparition des réseaux des grandes banques déclenche au contraire un recrutement intense de personnel ; le monde des « employés de banque » apparaît alors. On assiste parallèlement à une « bancarisation » des français. Le Crédit Lyonnais exploite déjà 5 200 salariés en 1881, contre 26 000 en 1931. la BUP compte 1008 salariés en 1929. Le personnel bancaire en france atteindrait 38 500 personnes en 1896, dont 30 500 simples employés, avant de bondir à 121 000 en 1921 et à 160 000 en 1931. Une hiérarchie de directeurs culmine avec l’administrateur délégué (qui sont parfois plusieurs, comme au Crédit lyonnais) et le président du Conseil d'Administration. Dans certains cas, un comité de direction n’est que l’émanation du Conseil d'Administration, lequel n’a souvent dans les faits qu‘une fonction de ratification à posteriori ; le comité de direction rassemble les administrateurs qui suivent de près la gestion de la banque. Sous le directeur général, le suivi quotidien est assuré par le directeur adjoint, 2 à 4 sous-directeurs, 3 à 4 fondés de pouvoir, et un contrôleur général. Sur le terrain, le directeur du siège social, les directeurs des agences locales, et au siège les chefs de service et les sous-chefs de service sont les exécutants clés, épaulés par les « employés principaux » ; le directeur et le sous-directeurs peuvent ajouter à leur appointement fixe déjà « coquet » un pourcentage lié aux bénéfices, entre 0,5 et 2%. Le « personnel supérieur » bénéficie d’un 13° mois et de « gratifications » ou primes. Derrière les « collaborateurs » (futurs cadres supérieurs) qui oeuvrent au siège central ou dans les agences importantes, la majorité des employés sont embauchés avec un faible niveau de diplôme. Dans les sièges centraux se développe une concentration imposante de commis, employés aux écritures, dans des grandes salles où s’alignent les registres de comptes. Un élément essentiel à ce niveau est la méticulosité dans la tenue des « écritures » : copie de lettres, enregistrement de mouvement de comptes, sur d’immenses registres tenus à la plume, tenir les comptabilités, établir les relevés de compte des clients et les leur envoyer. Des garçons de bureau en uniforme font circuler le courrier, et leur appointement reste faible. Nombre de ces salariés n’ont aucune qualification et n’acquièrent que sur le tas l’expérience requise. L’énorme majorité des employés de banques sont des hommes, formant une sorte « d’aristocratie tertiaire », mais les femmes parviennent peu à ,peu à, prendre place dans la profession, où elles sont placées immédiatement dans les taches subalternes répétitives et ennuyeuse (écritures, etc.) ; c’est d’ailleurs la percée des machines à écrire et à compter qui explique leur apparition. Les « pools » ou ateliers de dactylographie » se multiplient. Un escalier spécial leur est réservée, ainsi qu’une cantine à part ; elles font l’objet d’une surveillance particulière…par ailleurs, certains établissements ne veulent accueillir que des jeunes filles, et elles doivent démissionner quand elles se marient, comme chez Scalbert… dans les banques, l(‘ambiance est au paternalisme et à l’autoritarisme. Par contre, une tradition de promotion sociale interne semble y exister. Cependant, des diplômés finissent par percer dans les Etats-majors dans l’entre-deux-guerres, entravant l’ascension des employés subalterne. Des tensions sociales vives surgissent dans les banques dans les années 1920. les banques s’efforcent de refuser les revendications générales et de n’y répondre qu’au cas par cas, « au mérite » ou suivant « la situation de famille ». des grèves ont lieux, suite auxquelles les responsables d’agences sont autorisés à donner des augmentations aux seuls non-grévistes. Mais avec l’accroissement des effectifs des banques, les revendications finissent par être mieux entendues et le ton change, surtout dans la période mouvementée de l’immédiat après-guerre. Les employés se battent pour la reconnaissance de leurs syndicats. Il y a plusieurs grèves notamment en 1925. Les directions tentent de court-circuiter les mouvements de grèves en faisant des propositions « maison », qu’ils déclarent ne plus pouvoir tenir si la grève intervenait. Et bien souvent, les comités « syndicaux » agissent pour les intérêts des patrons : « notre personnel a résisté à toutes les pressions qui ont été successivement exercée sur lui par le comité de grève », rapporte la société lyonnaise de dépôts en août 1925… L’ascension sociale au sein de la banque est fonction officiellement de « mérites », mais officieusement et réellement de recommandations sociales ou politiques, propices aux « fils de bonne famille », souvent dotés d’une licence en droit et des relations utiles à leur promotion à la tête d’une agence de province ou de quartier. Les directeurs d’agence reçoivent d’ailleurs de nombreuses lettres de recommandations qui appuient des candidatures. Par contre, les employés de banque bénéficient tôt d’avantages sociaux que ne connaissent pas les travailleurs des autres corps de métiers jusqu’à l’après-guerre (1945). Des formations internes sont également prévues. La réussite à ces formation donne droit à de l’avancement, une amélioration de la rémunération et un « bonus » pour une promotion interne. Un corps clé de la banque est celui de l’inspection, chargée de contrôler le travail aux guichets et d’observer la vie de la firme pour suggérer des améliorations ; c’est l’œil et l’oreille de la direction, le contremaître. Ce corps exige la connaissance de tous les aspects du métiers, et les inspecteurs circulent dans tout le pays. C’est aussi une bonne initiation aux métiers et fonctions bancaires. Sont choisis à cet effet de jeunes gens sortant de grandes écoles ou des facultés. Très rares sont les contrôleurs mariés. Le célibat y est la règle. L’inspection, qui est aussi un contrôle de la comptabilité des agences, est une inspection surprise, où l’on compare les titres et fonds détenus par l’agence et les écritures de celle-ci. Il arrive même que par mégarde, un contrôleur se rendant dans une ville de province se trompe d’agence et aille inspecter l’agence d’un concurrent… ; ils font la chasse au détournement de fonds, mais aussi
aux baisse de rendement, grâce à des comparaisons statistiques. Après 8 ans à ce poste, les inspecteurs sont muté dans quelque siège pour s’y former aux fonctions de direction.
Alors que les banques semblent ébranlées dans les années 1930-1950, elles entreprennent une modernisation de leur méthodes de travail, leur mécanisation et la recherche de la productivité. La crise de 1930-1935 et la dépression qu’elle déclenche paralysent les banques ; certaines sont entraînées dans le krach bancaire ; la majorité se trouvent « collées » avec d’importants crédits immobilisés auprès de débiteurs insolvables. Les banques sont fuies par les épargnants, qui préfèrent placer leur argent dans des caisses d’épargne ou souscrire des bons du Trésor, émis alors en masse pour financer le réarmement. Les banques en achètent elles aussi beaucoup, car elles peinent à trouver des réemplois pour l’argent qui leur reste en stock, tant les entreprises devenues très prudentes rechignent à emprunter. C’est alors le « circuit du Trésor » qui se met en place : les banques satisfont les besoins d’argent frais de l’Etat. A la libération, la réputation des banques vacille, et on leur reproche d’avoir restreint leur crédit pendant la dépression des années 1930 et donc d’avoir accentué les difficultés des entreprises. On accuse aussi les « puissances d’argent » d’avoir agi contre les majorités de gauche de l’entre-deux-guerres et d’avoir participé à l’érection du « mur d‘argent » ; mais on soupçonne surtout nombre de banquiers d’avoir été des collabos auprès des nazis. Et de fait, certains banquiers ont participé par exemple très directement à l’administration vichyste ; par ailleurs nombre de banquiers ont accepté d’accorder des crédits ou des garanties à des sociétés clientes pour leurs opérations avec l’Allemagne nazie, , avec l’accord des gouvernements successifs et des hauts fonctionnaires de la collaboration. Plusieurs dirigeants de banques sont poursuivis, emprisonnés à la Libération, comme le directeur général de la Société Générale, qui avait dirigé le comité d’organisation des banques créé par Vichy pour « rationaliser » la profession et intensifier la standardisation des méthodes et « l’harmonisation des conditions de banque » ; aucun ne semble avoir été pourtant exécuté ; ils bénéficient très vite de non-lieux, mais la majorité doivent abandonner leur poste, comme le président de Paribas. Plus symbolique est la nationalisation des grandes banques de dépôts en 1946 : Crédit Lyonnais, CNEP, BNCI, tout comme la Banque de France et 34 compagnies d’assurance. Désormais, la tutelle du Trésor et de la Banque centrale est importante. Les lois bancaires de 1941 et 1945 codifient pour la première fois la profession, distinguant les pratiques des banques de dépôts (qui doivent respecter des critères stricts de liquidité) et des banques d’affaires. Les banques d’affaires en revanche n’ont pas été nationalisées, afin qu’elles conservent leur liberté d’action auprès des entreprises, souvent réticentes à un partenariat avec des firmes de statut public…dans les années de la reconstruction et encore au tournant des années 1960, les banquiers ne semblent pas des acteurs de premier plan, en tout cas se font-ils discrets. C’est le Trésor, aidé par les caisses publiques et parapubliques, qui devient « le banquier de l’économie » et distribue la majorité des crédits aux entreprises grâce à l’émission de grands emprunts obligataires et surtout d’une masse de bons du Trésor. Les banques en souscrivent d’amples paquets, parce que c’est un bon placement et parce que la loi les y oblige à partir de 1948. Les mentalités des banquiers sont souvent plutôt très conservatrices durant ces années : échaudées par leurs déboires avec les entreprises dans les années 1930 et par la perte des intérêts français en Europe centrale et orientale entre 1938 et 1948, elles préfèrent se cantonner dans des opérations commerciales classiques, se montrent peu novatrices, se protègent derrière des accords réciproques qui figent les positions de chacune, sur chaque place et auprès des entreprises. Les « bons usages » guident la vie quotidienne de la profession, peu agitée par l’esprit de compétition, même si certain se plient moins au conformisme ambiant (la BNCI, ou les banques nouvelles que sont la Sofinco, la Banque La Hénin avec Jack Francès, Cetelem et UCB avec Jacques de Fouchier, qui se consacrent aux « crédits spécialisés » aux familles ou à l’immobilier), et si certaines banques d’affaires déploient un certain dynamisme (comme Paribas « ragaillardie » par Jean Reyre, la Banque de l’Indochine qui se redéploie en métropole avec Jean Laurent puis François de Flers, ou la BUP avec Henri Lafond). Mais parallèlement, la bancarisation des français se poursuit, notamment dans les classes moyennes ; les comptes chèques en sont le premier témoin. Les banques de dépôts voient donc leur fonction de gestionnaire des moyens de paiement s’amplifier, aux côtés de leurs opérations « capitalistes » et « commerciales » traditionnelles. Cette période est surtout marquée par l’introduction de machines à écrire et à compter de plus en plus performantes.
Les banques connaissent dans les années 1960-1990 des bouleversements de fond ; c’est la « 3° révolution bancaire » ; la profession s’engage dans une guerre de concurrence aiguë, tant nationale qu’internationale, marquée par la libéralisation et la déréglementation des marchés de l’argent et par la constitution d’espaces supranationaux, comme le marché international des capitaux ou comme l’Europe financière. De plus en plus les banques deviennent un acteur important de la vie des populations, désormais quasiment toutes bancarisées, ainsi que des entreprises et des Etats, en mal de crédits et de placements de leurs valeurs mobilières. Les masses d’argent maniées explosent littéralement. Le traitement électronique s’impose. Les banques se « popularisent » et deviennent de véritables « magasins de l’argent » offrant « services » et « produits » financiers aux familles. Les ménages sont en effet de plus en plus nombreux durant les 30 glorieuses à faire des économies et donc élèvent leur taux d’épargne et capable de rembourser des prêts bancaires. C’est l’apparition de la « banque de masse ». celle-ci commence par entraîner une « course aux guichets » : il s’agit pour chaque banque de multiplier le nombre de guichet proposés aux clients en province ; la Société Générale recommence sa politique d’expansion dès les années 1954-1963, créant 70 nouveaux sièges. Au milieu des années 1960, l’Etat accorde le droit d’ouvrir des guichets sans passer par son autorisation. Chaque banque se veut désormais une « banque de proximité », s’implantant dans les bourgades et les banlieues et multiples agences de quartiers. La concurrence joue au sein de la profession, d’autant que la population peut être attirée vers la Poste, les caisses d’épargne ou les banques mutualistes comme le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel ou la Banque populaire, lesquelles réussissent une percée spectaculaire sur le marché. De 5 400 en 1967, le nombre de guichets de banque en france bondit à 20 500 en 1981. Souvent aux carrefours importants, on voit les bureaux de banques succéder aux cafés… le pourcentage des familles détenant un compte chèque ou un livret d’épargne passe de 18% en 1966 à 92% en 1984. Les salaires y sont « domiciliés ». Les paiements en espèces, puis par chèque, se raréfient, laissant place aux virements ou aux règlements par carte bancaire. Par ailleurs, à consommation de masse, crédit de masse : avant les années 1950, il est impensable de prêter de l’argent à ceux qui n’ont pas au moins le statut de bourgeois ; seul quelques établissements s’y étaient risqués dans les années 1920, mais toujours en liaison avec des constructeurs automobiles, comme Peugeot, Renault ou Citroën, avec qui la Banque d’affaires Lazard avait créé une société de crédit à l’achat de voitures, devenue la Sovac (société de vente à crédit) ; cette Sovac connaît une grande prospérité au lendemain de la guerre, sous l’impulsion de son patron Georges Gay (1928-1962) ; cela l’incite à se diversifier dans toutes les branches du crédit aux familles : crédit à la consommation, crédit immobilier. Des banques apparaissent alors qui se font les experts des « crédits spécialisés », c'est-à-dire de crédits attribués pour l’achat d’un objet particulier, dont la banque connaît la nature. Les deux hauts fonctionnaires des finances que sont Jack Francès et Jacques de Fouchier décident à la fin des années 1940 de se lancer dans les affaires. De Fouchier créé une société destinée à prêter aux familles l’argent nécessaire à leurs achats de matériel électro-ménager : Cetelem apparaît en 1953. Au même moment, Jack Francès conçoit un établissement qui avance les fonds pour l’achat de meubles avec Sofinco en 1951. Puis les deux concurrents occupent tous les créneaux de cette profession de banquiers des familles : équipement en biens ménagers, automobile, crédit immobilier, etc. Là, Jacques de Fouchier créé l’UCB (Union de Crédit pour le bâtiment) en 1952, alors que Jack Francès se dote en 1957 d’une banque devenue la Banque La Hénin, et
de la Cogefimo en 1960. Leur originalité est de moins miser pour se déployer sur des agences que sur des contacts immédiats avec les « prescripteurs », c'est-à-dire les commerçants : marchands de meubles et d’électroménager, vendeurs de voitures, promoteurs, agences immobilières, notaires, pour les « crédits acquéreurs ». ces commerces deviennent ainsi les « correspondants » peu coûteux de ces banques. Ces banquiers deviennent aussi des spécialistes pour détecter les clients insolvables. Mais pour se couvrir, ils ont maintenu des contacts étroits avec la place bancaire : Jacques de Fouchier attire comme partenaire la majorité des grandes banques de dépôts et Paribas, qui lui garantissent ses crédits, placent parmi leurs propres clients, ou souscrivent elles-mêmes les obligations qu’il émet en parallèle avec les prêts accordés. Elles deviennent ainsi les actionnaires de la société qui supervise toutes ces filiales spécialisées, la Compagnie Bancaire, lancée en 1959. en sus des ancêtres de la BNP (CNEP et BNCI), Jack Francès se lie plutôt avec des banques d’affaires, la BUP, la Banque de l’Indochine et avec la Banque de Suez et de l’Union des Mines, qu’il a peu à peu édifiée en liaison avec le groupe de la Compagnie Financière de Suez, la concurrente de Paribas ; il rassemble lui aussi ses filiales bancaires en 1961, dans une firme, la Sogenin, devenue en 1972 la Compagnie La Hénin, exploitant alors 3 800 salariés. Mais les autres banques ne suivent d’abord pas se mouvement, du fait des faibles sommes en jeu, et parce que l’Etat limite dans les années 1970-1985 la quantité de prêts que les banques peuvent accorder, pour enrayer la montée de l’inflation ; elles préfèrent consacrer leur argent aux entreprises. Le Crédit Agricole en revanche, riche en ressources, se taille une part énorme sur le marché des crédits immobiliers, aux côtés des banques spécialisées, en une percée fulgurante, aspect majeur de cette 3° révolution bancaire. Le Crédit Agricole est en priorité la banque des agriculteurs, depuis l’apparition des premières caisses mutuelles en 1894 et de la Caisse nationale de Crédit Agricole en 1920 : c’est « la banque verte ». Mais aux crédits à l’agriculture il ajoute à partir de 1959 la banque commerciale auprès de tous les ruraux, en se dotant d’un réseau dense d’agences dans les moindres bourgades. Puis au milieu des années 1960, sous l’impulsion d’une équipe de hauts fonctionnaires novateurs, conduite par Michel Albert et de la volonté des pouvoirs publics d’obtenir une plus grande contribution des banques au financement de la croissance, il décide de se lancer dans la « course aux guichets » en s’implantant lui aussi en zone urbaine, y compris dans les grandes villes. Depuis 1959 dans les campagnes et depuis 1971 partout, il peut offrir des prêts au logement, et en profite pour devenir le premier distributeur de crédit immobilier, avec plus d’un tiers du marché en 1987. Le Crédit Agricole pratique alors le nouveau métier de la banque de masse, orientée vers les particuliers et les familles, notamment dans les contrées « urbaines », les banlieues en cours d’urbanisation diffuse dans les grandes agglomérations et dans les villes des départements ruraux, où il s’est taillé des fiefs quasiment inexpugnables. Il est un des rois de la « Banque de détail » : au premier rang pour les comptes sur livrets, l’épargne logement, les Sicav ou les plans d’épargne assurance. En 1989, il collecte le quart des liquidités bancaires, presque 1/5° des dépôts et distribue 1/5° des crédits aux particuliers, avec un réseau de 3 000 caisses locales et de 10 000 guichets (plus d’un quart du réseau français). Cela explique qu’il soit devenu en une vingtain,e d’années la première banque française et européenne par son bilan. A partir de 1985, les banques obtiennent la liberté du crédit, au moment même où les famille subissent une moindre progression de leur pouvoir d’achat à cause des rigueurs de la crise et ressentent le besoin d’emprunter pour maintenir leurs dépenses. Si jusqu’alors elles avaient laissé la Compagnie bancaire et ses filiales se développer au sein de Paribas et les banques de Jack Francès (désormais fédérées par Crédisuez) croître au sein du groupe Suez, elles entendent désormais les concurrencer, et proposent une large gamme de produits à leurs clients : avances globales, crédit personnel, crédit « revolving » dont le montant se renouvelle au fur et à mesure des remboursements, , des crédits affectés destinées à un achat particulier, comme le prêt immobilier ou le crédit à la consommation. Les banques incitent désormais leurs clients à l’emprunt, espérant par là de juteux intérêts. Cette course au prêt est très vive à la fin des années 1980. mais à l’orée des années 1990, la griserie du crédit et l’instabilité des situations professionnelles (chômage, licenciement, etc.) a conduit beaucoup de ménages au surendettement et a donc déclenché une masse d’impayés nuisible à la santé des comptes bancaires. Du côté de l’épargne, les banques restent d’abord en retrait du fait notamment des avantages fiscaux sur les bons du Trésor, mais l’Etat les supprime bientôt, refoulant les épargnant vers les « solutions » proposées par les banques : épargne logement, parts de Sicav (Société d’investissement à capital variable) ou de FCP (Fonds communs de placement), gestion personnalisée de portefeuilles titres, offres de conseils en gestion de valeurs mobilières. Par ailleurs, elles continuent de distribuer bons du Trésor, obligations publiques ou privées, actions. Les Sicav investissent les sommes rassemblées en valeurs mobilières, ce qui ôte tout souci de gestion à l’épargnant. Chaque banque se dote de sa palette de Sicav, des plus prudentes car investies largement en obligations, et les plus risquées mais pouvant dégager éventuellement plus de profits (Sicav monétaires). La « 3° révolution bancaire » a été marquée par une explosion quantitative des masses d’argent brassées par les banques pour le compte de gros clients, que ce soient les Etats ou les entreprises. Le marché international des capitaux, comme en France, a pris une ampleur considérable. Par ailleurs, l’entremêlement entre les divers marchés par produits et par pays a débouché sur une « globalisation » du marché de l’argent, qui constitue l’originalité du tournant des années 1990. Les banques placent leurs réserves liquides dans les autres banques pour diviser les risques, en France ou à l’étranger ; les placements inter-bancaires constituent une forte part de l’activité des banquiers en volume, car les banques font « tourner l’argent », pour tirer parti des meilleurs rendements, sur telle ou telle opération, p^lace, tant en France qu’à l’étranger. La valorisation des comptes créditeurs des gros clients est une activité classique des banquiers mais elle est bouleversée par l’apparition des méthodes « pointues » de mise en valeur de l’argent et par la compétition entre banques, tandis que les banques elles-mêmes sont sur ce terrain en concurrence avec les services de gestion des grosses entreprises elles-mêmes. Les banques disposent donc de spécialistes du droit et de la finance capables de grossir les énormes stocks d’argent dont on leur confie la gestion. Leur activité consiste à spéculer, pour obtenir les plus gros dividendes, les plus grosses plus-values pour les valeurs mobilières achetées. Et une plus grosse rentabilité pour les placement à court terme réalisés. Ces spécialistes des marchés savent réussir des « arbitrages » sur le marché financier, faire circuler l’argent de valeur en valeur, selon l’état des bourses française et étrangères. Sur les marchés monétaires et interbancaires national et international, lorsqu’il faut placer l’argent au jour le jour, prévoir les risques de change et de variation des taux d’intérêt. AZ la place des « brokers » et des « jobbers », des sociétés de Bourse et des firmes de placement de valeurs boursières ont été achetée ou créées par les banques pour gérer ces opérations, dont la technique a fortement évolué au cours des années 1980-1990. il s’agit d’être en contact avec les gros investisseurs que sont les organismes de retraite, d’assurance et d’épargne. L’un des autres métiers de la banque est le montage des emprunts obligataires, où comme pour les emprunts russes ou turcs du 19° siècle, les banquiers apportent leur garantie au placement des titres émis. Là encore, les « syndicats » d’émission, les « chefs de file » oeuvrent à la réussite de l’opération, pour leur compte d’abord. Mais la nouveauté des années 1960-1980 a été la percée su marché international des capitaux, avec la mise sur pied notamment de l’euromarché : les entreprises peuvent désormais lancer des emprunts ouverts à une souscription internationale et en devises (étrangères). Les banques interviennent sur l’Euromarché qui n’existe pas matériellement car il n’est que la reconstitution des négociations menées par les banquiers par téléphone, télex ou télématique, sans qu’ils se réunissent dans une « Bourse » ou un bâtiment. Plusieurs centaines d’émissions d’euro-obligation ont lieu chaque année, organisées par les banques pour le compte des entreprises ou d’autres banques. Les entreprises les mettent en concurrence pour se voir offrir les conditions les plus favorables. C’est une vaste criée mondiale aux valeurs mobilières. Les émissions internationales d’obligations atteignent ainsi presque 1 200 milliards de FF (de 1992) en 1991, en dollars, en écu, et en livres surtout. Parmi les chefs de file qui assument ces euro-émissions, les banques japonaises surtout, mais aussi anglo-saxonne,
suivies par Paribas, qui parvient à côtoyer la Deutsche Bank. L’argent circulant de place en place, les excédents d’un pays ou d’une banque peuvent être recyclés dans un autre pays ou chez une autre banque. C’est le cas des pétrodollars, surtout dans les années 1973-1984, ou des « asian dollars » et des yens accumulés par les firmes asiatiques, surtout japonaises, dans la seconde moitié des années 1980. le risque des banquiers réside dans leur garantie de placement. Il est généralement minime, mais il arrive que certaines émissions obligataires ne rencontrent pas le succès attendu, à cause d’un rendement jugé insuffisant ou d’une inquiétude sur la solidité de l’emprunteur. Certaines banques se retrouvent alors « collées », avec du papier qui pour être p^lacé doit subir une certaine décote, c'est-à-dire un prix inférieur au prix d’achat, ou vendu après les délais pendant lesquels la banque a dû financer sur son propre argent sa part dans la tranche d’émission. Dans le milieu des années 1960, les banques ont imaginé des techniques financières permettant à leur client de ne pas leur emprunter de l’argent : c’est le crédit-bail ; avec les contrats de crédit-bail immobilier, l’établissements financier achète l’immeuble de bureau, l’usine, l’entrepôt, les murs de la grande surface commerciale ; il le loue ensuite à son occupant en location-vente. Celui-ci paie un loyer normal et un sur-loyer qui correspond à une traite, ce qui lui permet au terme de 10 ou 15 ans de contrat, de devenir propriétaire des locaux qu’il utilise. Avec le crédit-bail mobilier, c’est le matériel lui-même qui est loué par le financier à son utilisateur : des machines de bureau, des camions, du matériel de production et même dans les années 1980 des avions. Dès lors que l’on évoque le métier de « banque d’affaire », le nom de Lazard frères est cité, comme symbole du dynamisme et de l’innovation dans les opération d’ingénierie financière et de « fusions acquisitions ». Fondée aux Etats-Unis entre 1864 et 1880 par des français expatriés, elle a surtout percé dans les années 1890-1930 grâce à André et Michel Lazard et leur cousin David Weill. L’intelligence de la famille a consisté à s’entourer de « pointures », de cadres supérieurs de haute volée qui deviennent des figures de la finance. La maison devient une spécialiste des opérations de change pour le compte des Etats, du financement des transferts d’or, de la spéculation sur les changes d’aide à l’Etat français pour enrayer la dérive monétaire, ce qui explique l’entrée de David Weill au conseil de régence de la Banque de France en 1931. Meyer, l’un des hauts cadres, installé aux Etats-Unis à cause du nazisme, transforme la maison américaine en fer de lance des restructurations du capitalisme outre-atlantique dans les années 1950-1970. Pierre David-Weill de 1944 à 1975 puis Michel David-Weill réussissent à diversifier la clientèle et les métiers de la maison française, toujours en s’appuyant sur des cadres consacrés « associés-gérants » d’une société de propriété familiale (« en commandite »). La banque Lazard est habile en gestion de l’argent des entreprises et des gros patrimoines, dans le conseil financier, dans les montages d’ingénierie financière destinés aux grandes entreprises. Sa réputation s’étoffe de banquier d’affaires, pionnière et spécialiste du « haut de bilan », des opérations de fusions et acquisitions et des affaires boursières, en particulier grâce à des relations intimes avec les dirigeants de nombreuses grandes entreprises en france, en Italie et en Grande-Bretagne ou dans le monde anglo-saxon. Un « mythe Lazard » se constitue : initiatrice des opération publiques d’achat (OPA) en bourse dès 1964 et surtout en 1969 avec l’offensive (ratée) de BSN sur Saint Gobain, elle a su être le banquier conseil de nombreux rapprochements de sociétés, comme Peugeot et Citroën en 1974, Arnault et Boussac ; elle accompagne BSN et le Printemps dans leurs politiques d’achats de firmes ; elle aide les entreprises françaises à trouver des partenaires aux Etats-Unis, comme Howmet pour Pechiney ou Big Three pour Air Liquide. A la vigueur et à la mobilité de ses équipes s’ajoute son implantation tripolaire, sur New York, Londres et Paris.