La résistance à la tyrannie 1 Pierre Lemieux Quis custodiet ipsos custodes ? Juvenal Quand l'homme entre en société, il ne désarme pas totalement. Il dépose les armes mais ne les rend pas. Il conserve son droit de légitime défense contre les criminels de droit commun mais aussi contre les tyrans. La capacité de résister à la tyrannie, intérieure comme extérieure, constitue le deuxième fondement du droit de posséder et de porter des armes. Pour se protéger des tyrans extérieurs, les hommes confient des armes, souvent redoutables, à leurs propres Etats. Si l'histoire témoigne de la nécessité de ces armements, elle confirme aussi le danger de confier tant de pouvoir armé à l’Etat. Les hommes qui gardaient encore frais à la mémoire le souvenir de la tyrannie se sont toujours inquiétés de la présence dans leur pays d'une armée permanente. Comment ne pas craindre que, disposant d'une force armée en permanence à son service, le Prince ne l'utilise pour contrôler ses sujets, réduire leur liberté et annihiler leurs protestations? Cette crainte était tellement ancrée dans la mentalité américaine que les polices municipales crées dans les grandes villes de l'Est à la fin du l9e siècle furent un temps sans uniformes et sans armes. L'idée américaine des milices populaires, qui deviendront les gardes nationales des différents Etats, visait à concilier la nécessité d'une force armée contre les tyrans extérieurs et le refus de l'armée permanente. Les individus étant libres et armés, ils défendront leur territoire Etat par Etat, commune par commune, maison par maison. C'est aussi un peu l'idée Suisse, où le citoyen-soldat conserve ses armes de guerre chez lui, avec toutefois la différence majeure que le milicien suisse est conscrit en permanence, alors que le milicien américain est volontaire. S'impose quand même la belle phrase d’Henri Guizan, commandant des forces suisses durant la deuxième guerre mondiale : le port d'armes est la marque distinctive de l'homme libre. Les milices populaires remontent à l'époque où, les pouvoirs publics ne disposant ni d'armée permanente ni de police organisée, les tâches correspondantes revenaient aux simples citoyens, qui devaient par conséquent détenir des armes. Bien ancrée en Angleterre et aux Etats-Unis, cette tradition débordait parfois sur la conscription. Jusqu’au 19e siècle, par exemple, tout citoyen américain valide pouvait en principe être réquisitionné par le shérif local pour l'assister ponctuellement dans ses tâches de police. Le contrôle de l'économie tout entière au service de la guerre et la conscription générale des civils constituent toutefois un phénomène moderne qui a accompagné la montée du pouvoir étatique. Comme dans une sorte de nov-langue orwellienne, le ministère de la guerre s'est fusionné à l'énorme ministère de l'amour auquel prétend l’Etat du 20e siècle. Les Etats contemporains qui ont institutionnalisé le service militaire obligatoire ont ainsi obtenu l'exact équivalent d'une armée permanente tout en entretenant l'illusion qu'il n'y a que des citoyens en armes. On prétend qu’une armée de conscrits - de " volontaires ", en novlangue-, proche du peuple, ne saurait menacer celui-ci, malgré le démenti de moult régimes totalitaires dont l’empire soviétique offrit l'exemple achevé. Entre l’obligation du citoyen de porter des armes au nom de l’Etat et l'interdiction d'en disposer pour luimême, rares sont les époques et les pays où on a seulement considéré la solution de liberté : laisser les citoyens libres de s'armer mais sans les contraindre à s'engager sous les oripeaux de l’Etat. Cette solution offre pourtant la promesse d’une résistance efficace autant contre l'invasion étrangère que contre la tyrannie intérieure.
Le droit de résistance
1 Tiré
de Le droit de porter les armes.