Dossier
Le logement social pour retarder la dépendance Comment repousser l’âge d’entrée en Ehpad et alléger la facture de la dépendance ? Certaines collectivités expérimentent le logement intergénérationnel, une solution inspirée de l’étranger qui commence à donner des résultats. u Creusot, en Saône-etLoire, la résidence Puebla fait partie d’une expérimentation de logements « solidaires » à l’échelle du département. Dans ce petit immeuble inauguré en mars dernier, des seniors et handicapés occupent le rez-de-chaussée tandis que de jeunes couples et des familles logent dans les niveaux supérieurs. En vertu d’une charte de bon voisinage, les jeunes acceptent de faire des courses groupées, d’effectuer du petit bricolage ou des démarches administratives pour les plus âgés. Ceux-ci offrent de leur temps libre pour des gardes d’enfants. Autour des habitants de Puebla, toute une série de services ont été développés par les institutionnels à l’initiative du projet, le conseil général, la ville, et l’Opac 71 : repas à domicile, épiceries ambulantes, centre de loisirs, soirées culturelles ou accompagnement physique des personnes à faible mobilité. Que cette expérience ait lieu en Saône-et-Loire, parmi les départements ruraux les plus touchés par le vieillissement, n’est pas anodin. « Notre expérimentation vise à maintenir des personnes âgées dans un logement social adapté, en agrégeant pour eux un maximum de services existants, explique Salvatore Iannuzzi, directeur de programme à l’Opac 71. C’est une façon de repousser l’âge du départ en institution, et par là une prise en charge coûteuse pour la collectivité. »
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L’idée est de garder les personnes âgées dans le droit commun, quelles que soient leurs ressources. De fait, pour l’occupant, cette solution n’implique pas un coût plus élevé qu’un logement social. Pour le bailleur, le coût de construction d’un immeuble intergénérationnel est sensiblement le même que celui d’un logement social.
moitié par des familles avec enfants en bas âge et pour moitié par des plus de 60 ans, un Ehpad de 22 places et un accueil de jour pour personnes souffrant d’Alzheimer.
Une nécessité budgétaire Alors que neuf Français sur dix préféreraient vieillir à domicile, la réponse de la collectivité ne peut plus se résumer au simple placement des personnes âgées en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). À l’horizon 2040, 7 millions de Français auront plus de 80 ans et 2 millions seront en situation de dépendance. Le coût pour la collectivité pourrait alors représenter 2 % du produit intérieur brut français, contre 1,2 % aujourd’hui. Permettre aux seniors de vieillir chez eux plus longtemps ce n’est donc pas seulement leur faire plaisir, c’est une nécessité budgétaire. Face à l’épineux problème de la primo-dépendance, les départements et communes, qui ont la gestion du parc social et des Ehpad, se retrouvent en première ligne. Certains, comme le département de Saône-et-Loire, ont compris le rôle qu’ils pouvaient jouer dans le ralentissement du processus : « Un bailleur ne peut plus aujourd’hui
rester dans une posture de constructeur. Il doit devenir aménageur et intégrer cette dimension de services », poursuit Salvatore Iannuzzi. Ailleurs en France, d’autres immeubles intergénérationnels sont en projet ou déjà en fonctionnement. À Saint-Apollinaire, en Côted’Or, à Parempuyre, en Gironde, ou à Chaponost, dans le Rhône, des communes rurales de moins de 8 000 habitants. À Seyssinet-Pariset, dans la banlieue de Grenoble. Et même dans le très chic quartier du Marais, au cœur de la capitale, ou près du parc de la Tête d’Or, en plein centre de Lyon.
Pas une simple utopie À Saint-Apollinaire, la résidence Générations a été créée en 2000 par l’Opac de Dijon, la ville et un organisme spécialisé en gérontologie, la Fedosad. Elle comprend 76 logements sociaux occupés pour
Béguinage, colocation, autogestion : l’imagination au secours du grand âge Plusieurs solutions permettent de prendre en compte le grand âge et la précarité des personnes au sens large, en comblant le fossé des générations. L’habitat « kangourou » consiste, pour une personne âgée, à proposer à un jeune une chambre dans son appartement en échange d’un loyer gratuit ou modique et de petits services. La Ville de Paris encourage ce type de colocation, en partenariat avec des associations.
Actuellement quelque 300 binômes senior-jeune étudiant ou apprenti cohabitent dans la capitale. En Belgique, où l’habitat kangourou est très répandu, la commune de Molenbeek – à forte population immigrée – a créé dès 1986 le foyer Dar al Amal (« maison de l’espoir »). Ce bâtiment aux loyers modérés accueille en colocation une famille d’origine immigrée et une personne âgée ou un couple de personnes âgées.
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Le béguinage, né dans les Flandres, commence à se pratiquer dans l’Hexagone. Destiné à un public plus favorisé, il consiste à bâtir des maisons ou groupes de maisons souvent équipées d’outils domotiques très sophistiqués permettant aux seniors de rester plus longtemps à domicile et de socialiser. Des expérimentations sont menées actuellement à Saint-Quentin, dans l’Aisne, à Avesnes-le-Comte et Vieille-Église, dans le Nord-Pas-
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de-Calais, ainsi qu’à Vireux-Wallerand, en Champagne-Ardenne. Enfin, l’habitat groupé, très développé aux Pays-Bas et au Danemark, revient à se regrouper pour construire un bâtiment autofinancé. Les logements sont adaptés aux besoins des uns et des autres. Le groupe détermine également des locaux communs (chambre d’hôte, garage, buanderie) et des espaces de vie pouvant accueillir des activités communes.
Les habitants profitent d’un relais d’assistantes maternelles, d’un centre de loisirs intergénérationnels, d’une salle de quartier et d’un restaurant scolaire. Après douze années d’existence, le succès de Générations est la preuve que l’habitat intergénérationnel n’est pas qu’une simple utopie. « Nous avons beaucoup de demandes pour loger à Générations, observe Isabelle Benoît, responsable de l’Office des aînés de la ville. Au point que la municipalité prépare pour fin 2013 un nouveau projet dans le quartier du Pré-Thomas qui intégrera cette fois des personnes handicapées et des jeunes en insertion. » La mairie souhaite également étendre l’« esprit Générations » au reste de
Dossier la commune, à commencer par les services municipaux : crèche, centre de loisirs, office municipal des aînés, service culture. Mais on est encore loin de l’engouement qu’ont connu le Danemark, les Pays-Bas ou la Belgique pour l’habitat intergénérationnel (voir encadré). En France, le concept se heurte à un manque de volonté politique face au logement social en général. Les quelques projets qui aboutissent sont portés par quelques élus obstinés. « Nous disposions de fonds pour un immeuble social que nous avons décidé d’affecter à ce projet-là, mais l’Opac n’aurait pas obtenu de financement spécifique pour construire sur la base de ce projet », regrette Évelyne Couillerot, première vice-présidente du conseil général de Saône-et-Loire en charge
sociaux. Le « leader » en la matière est Entreprendre pour humaniser la dépendance (EHD), une société coopérative financée par l’économie sociale et solidaire, qui a déjà une dizaine de bâtiments de ce type à son actif. Ses projets étonnent par leur audace et leur créativité. À Lyon, une résidence intergénérationnelle de 80 logements a été créée par EHD dans le site exceptionnel d’un ancien couvent, cédé par une congrégation de sœurs franciscaines. Les appartements sont loués 5 à 7 euros le mètre carré et attribués selon les critères du logement social à des personnes âgées et des étudiants de milieu social défavorisé en classes préparatoires au prestigieux lycée du Parc. Ici, les sœurs de la maison d’Assise occupent encore une partie du bâti-
agent immobilier devenu prêtre, pousse le concept un peu plus loin. À La Tronche, près de Grenoble, une maison de retraite médicalisée vient d’être construite à côté d’une maison intergénérationnelle accueillant des personnes âgées et des internes du CHU de Grenoble. À Tassin-la-Demi-Lune, près de Lyon, une « petite unité de vie médicalisée » de 24 places réservée à des gens « très âgés et très fragilisés par la vie » est en construction dans un parc de 14 hectares non loin du centre de recherche Mérieux. Il voisinera avec un second bâtiment de 14 logements en partie occupé par des étudiants. Un même parc et une même route partagés par des étudiants, des retraités et des actifs : ce projet résume à lui seul l’ambition de Bernard Devert. « Toutes nos opérations n’ont qu’un but : briser l’isolement, casser l’angoisse des personnes âgées liée à la solitude et à la pauvreté », expliquet-il. L’ecclésiastique ne comprend pas que des personnes âgées valides soient placées en instituts spécialisés lourdement financés par leur famille ou la collectivité. « Il faut réorienter les Ehpad vers la fin de vie », tonne-t-il.
La société civile prend le relais
Le village Générations de Saint-Apollinaire où cohabitent des personnes âgées et des couples avec jeunes enfants. PHOTOS JEFF PACHOUD/AFP
des personnes âgées, qui porte le projet d’habitat solidaire à bout de bras. Une expérience d’équilibriste : « Nous sommes à flux tendu au plan financier et il nous faut résoudre de nombreuses difficultés sans coûts supplémentaires », précise l’élue.
EHD, audace et créativité L’habitat intergénérationnel n’est d’ailleurs pas l’apanage des bailleurs
ment et veillent à la bonne entente entre les locataires. « On nous demande des allumettes, une bâche pour s’asseoir dans le parc. Nous sommes une présence rassurante », confie sœur Johanne, qui se réjouit d’avoir réuni la quasi-totalité des locataires, jeunes et vieux, à la première fête des voisins. À chaque projet, le fondateur d’EHD, Bernard Devert, ancien
Face à la crise des finances publiques et le manque d’ambition de l’État, une « société-providence » pourrait être en train de se mettre en place. « Si l’État-providence s’efface quant à la prise en charge du risque de la dépendance, il faut bien que la société civile prenne le relais », résume Bernard Devert. Évelyne Couillerot en convient : « Ce n’est pas parce que l’on essaie de trouver des solutions que le problème de fond est réglé : répondre à la question du vieillissement c’est la quadrature du cercle. » « Les collectivités territoriales et publiques montrent un certain intérêt pour l’immobilier intergénérationnel, mais le problème c’est qu’elles n’ont plus un sou », lâche Grégoire Lechat de l’association France Active, qui finance EHD. L’idée est d’innover non seulement sur le projet, mais aussi sur les moyens mis en œuvre pour le rendre possible. Ce que permet la finance solidaire. « Nous, nous proposons autre chose qu’une subvention pure et dure : un panaché de mécénat, de fonds publics, de bénévolat », ajoute-t-il. Chaque année, EHD lève plusieurs millions d’euros pour financer ses investissements auprès de riches mécènes et de fonds communs de placements « solidaires ». À observer ses comptes, il s’avère que l’habitat générationnel est tout sauf un gouffre financier : le chiffre d’affaires de cette entreprise de cinq salariés était de 850 000 euros en 2009 pour un résultat de 120 000 euros. De quoi inspirer les pouvoirs publics.
Tatiana Kalouguine
« À Paris, la question des relations entre les générations se pose avec force » La première résidence intergénérationnelle parisienne est en construction au 30-32 quai des Célestins, dans le 4e arrondissement. À quel besoin des Parisiens est censé répondre ce projet ?
Le vieillissement de la population, conjugué à l’avancée de l’espérance de vie, constitue un enjeu de taille pour nos sociétés. La question des relations entre les générations se trouve posée avec force, et tous les acteurs, qu’ils soient économiques, politiques, institutionnels, sont invités à répondre à cette nouvelle donne. C’est le défi que la collectivité parisienne tente de relever, et notamment en proposant une nouvelle approche du logement.
Christophe Girard, maire (PS) du 4e arrondissement de Paris.
D’autres initiatives sont actuellement en cours en France, mais plutôt en zones rurales. Y a-t-il une problématique parisienne spécifique ?
PHOTO ÉRIC FOUGÈRE
Le centre de Paris est structurellement peu adapté, aussi bien pour les seniors que pour les jeunes salariés. Les immeubles anciens, étroits et souvent dépourvus d’ascenseurs sont inadaptés aux personnes vieillissantes. Pour autant, on note un souhait des personnes âgées, attachées à leur quartier, à continuer à vivre chez elles. Concernant le logement des jeunes employés, on sait les difficultés rencontrées par les jeunes fraîchement insérés dans la vie professionnelle pour se loger dans nos arrondissements centraux, du fait du prix de l’immobilier. Pourtant, avec ses bars, restaurants, lieux de convivialité, notre arrondissement de cœur de ville est un bassin d’emploi important pour ce public, souvent contraint de vivre loin de la capitale. Comment se répartiront les logements entre les différentes populations ? De quelle façon se fera le « recrutement » des locataires ?
Notre projet prévoit la création de près de 90 logements destinés à des retraités et des jeunes salariés. Leurs rythmes et modes de vie différents impliquent qu’ils soient logés au sein de deux immeubles distincts, qui sont cependant contigus et communicants : les retraités habiteront au 32 quai des Célestins et les jeunes employés au 30 quai des Célestins. Des espaces communs seront créés. Du point de vue de l’attribution et de la gestion de ces logements, il
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s’agira de logements sociaux destinés aux retraités, et d’un foyer-logement pour les jeunes salariés. Quels services seront proposés aux habitants ? Des partenariats sont-ils prévus avec des prestataires publics ou privés ?
Au-delà des logements, la résidence proposera un ensemble d’espaces de service partagés : hall d’entrée et coin boîtes aux lettres, salle de convivialité commune, espace Web, laverie, salle de gym. Les espaces collectifs sont regroupés dans les deux niveaux bas, rez-de-chaussée haut et rez-de-chaussée bas. Deux terrasses compléteront cet ensemble. Comment la mairie a-t-elle prévu d’animer les échanges intergénérationnels ?
La gestion administrative a été proposée à deux opérateurs. L’association ALJT administrera le foyer de jeunes travailleurs, et Coallia (anciennement Aftam), spécialiste de l’habitat social adapté, sera en charge de la gestion des logements seniors. Ces deux structures seront chargées d’animer et de faire vivre les lieux. Le projet de vie de la résidence doit aussi bien évidemment reposer sur le partage de services entre personnes de différentes générations. Sa philosophie consiste en un échange bénéfique à chacun : temps disponible des personnes âgées utilisé pour aider les jeunes adultes, force de vie des jeunes pour atténuer la solitude de certains seniors.
Propos recueillis par T.K.